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Article : 038 La place de l’électricité dans le mix énergétique mondial MULTON Bernard oct.-15 Niveau de lecture : Peu difficile Rubrique : Électricité

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Article : 038

La place de l’électricité dans le mix énergétique mondial

MULTON Bernard

oct.-15

Niveau de lecture : Peu difficile

Rubrique : Électricité

Depuis la maîtrise du feu jusqu’à l’avènement de l’électricité *notice 026+, l’énergie est devenue au cours de l’histoire de l’humanité un moteur essentiel de son développement. L’électricité-énergie a émergé à la fin du 19ème siècle et s’est progressivement révélée comme une forme idéale d’énergie en ce sens qu’elle peut assurer avec un excellent niveau de qualité la plupart des services énergétiques [notice 000].

Il n’y a guère que dans les transports qu’elle tarde encore à s’imposer car les performances

massiques de son stockage restent très en deçà de celle des combustibles. La solution alors utilisée, dans les navires, les trains non électriques, et maintenant les automobiles hybrides, consiste à embarquer un combustible à base d’hydrocarbures (fossiles aujourd’hui, d’origine renouvelable demain) puis à produire de l’électricité à bord pour exploiter pleinement les possibilités de l’électricité en termes d’efficacité globale. Dans ce qui suit, l’électricité-énergie dont il est question se limite à celle produite stationnairement pour des usages généralement fixes, mais parfois aussi mobiles lorsque l’on charge des batteries électrochimiques pour des « usages déconnectés » (énergétiquement bien sûr !).

1. Demande énergétique et électrique planétaire

D’un point de vue sociologique, l’électricité offre à ses chanceux usagers des services inégalés,

notamment en relation avec la santé, l’éducation et la culture. Cependant, aujourd’hui, environ 1,4 milliards d’humain, qui n’ont pas accès à cette forme d’énergie aux qualités exceptionnelles, sont piégés dans une situation de précarité extrême1. Et bien que de nombreux programmes d’aide contribuent à réduire la pauvreté énergétique, le problème reste de grande ampleur.

En 2011, 13,1 Gtep de ressources primaires ont été consommées dans le monde dont 8,9 sous la

forme d’énergie finale commercialisée (1 Gtep ou 1 milliard de tonnes équivalent pétrole a une valeur énergétique de 11 600 TWh soit 1 milliard de kWh). Les 4,2 Gtep de pertes sont dues à l’extraction des matières premières énergétiques, à leur transformation en énergie exploitable et à leur distribution (figure 1). Actuellement, c’est l’électricité, très majoritairement produite à partir de ressources non renouvelables avec des rendements médiocres, qui est à l’origine de la plus grande partie des pertes de transformation. On peut également remarquer que la consommation de ressources primaires est fondée à plus de 86 % sur les non renouvelables.

L’électricité a représenté, en 2011, 17,7% de l’ensemble de l’énergie finale commercialisée au

niveau mondial, soit 18 300 TWh, mais ce sont 22 100 TWh qui sont sortis des différents outils de production, la différence réside dans les pertes de transports et de distribution jusqu’au client final. En France, la même année, l’électricité pesait 22,1% de la consommation finale.

1 B. Multon, G. Moine, J. Aubry, P. Haessig, C. Jaouen, Y. Thiaux, H. Ben Ahmed. Ressources énergétiques et

solutions pour l’alimentation en électricité des populations isolées. Colloque Electrotechnique du Futur, Belfort

14-15 déc. 2011. Article et diaporama téléchargeable : http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00674833/

Fig. 1: Bilan mondial 2011 de la consommation de ressources primaires à l’énergie finale distribuée, et précisant la

place occupée par l’électricité – source : IEA (International Energy Agency). Key World Energy Statistics, 2013.

La dynamique, qui n’apparaît pas sur la figure du bilan de la seule année 2011, est une donnée

très importante. Afin de lisser les effets des soubresauts de l’économie, une analyse moyennée sur 10 ans (2002 à 2012) peut être effectuée. Tandis que la croissance annuelle moyenne de la consommation finale mondiale était de 2,5%, celle de l’électricité finale était de 3,4%. Il en résulte un accroissement rapide de la place de l’électricité dans le mix énergétique mondial. Cette part, qui était inférieure à 3% en 1940, valait 9,4% en 1973 puis 17,7 % en 2011 et atteindra probablement 25% en 2040.

L’interprétation des camemberts de la figure 1 est délicate notamment parce ces bilans sont

largement fondés sur des conventions. Par exemple, dans le bilan d’énergie primaire, les énergies renouvelables sont comptées avec un coefficient 1 par rapport à l’énergie finale : 1 kWh éolien d’électricité finale est comptabilisé comme 1 kWh d’énergie primaire renouvelable, car on néglige notamment l’énergie grise de fabrication des éoliennes. Même si cette dernière est faible, cette comptabilité est très imparfaite et tend à minorer fortement la place des énergies renouvelables si on observe le bilan en énergie primaire. A l’opposé, les mauvais rendements de transformation d’une ressource primaire en énergie finale, comme dans le cas du nucléaire (rendement conventionnel de 33%) contribue à surévaluer la place de cette forme d’énergie. En effet, sachant que la production d’électricité d’origine nucléaire représentait, en 2001, 11,7% de la totalité de la production électrique mondiale et que l’électricité pèse 17,7% de l’ensemble de l’énergie finale (celle réellement commercialisée pour réaliser des services énergétiques), il en résulte que la part du nucléaire dans la production d’énergie finale est de 11,7% x 17,7% soit 2,07%. La place réelle de l’énergie nucléaire dans le monde en 2011 était donc de 2,07%, proportion de l’ensemble de l’énergie commercialisée, alors que son poids dans le bilan d’énergie primaire était de 5,1%. Si la production électronucléaire avait eu un rendement de 10%, pour la même production d’énergie finale, elle aurait représenté près de 15% de la consommation d’énergie primaire. On voit là l’importance de connaître ces méthodes de comptage et la nécessité d’avoir un regard très critique.

2. Production d’électricité par sources primaires et par zones

géographiques

Si l’électricité est partout dans la nature, comme l’hydrogène d’ailleurs, elle nécessite d’être extraite de formes d’énergie dites primaires. Comme son stockage est assez difficile et coûteux, on a tendance à la produire et à l’utiliser en flux tendu en la stockant au minimum, c’est la raison pour laquelle on parle souvent de vecteur énergétique. Cette expression est cependant ambiguë, notamment parce qu’elle sous-entend l’impossibilité d’un stockage, pourtant pratiqué au quotidien sous diverses formes, par exemple électrochimique (batteries) ou hydraulique gravitaire (dans les réservoirs de centrales de pompage - turbinage).

Comme pour les autres formes d’énergie finale, les ressources primaires, à partir desquelles elles

sont extraites, sont de deux natures : non renouvelables (fossiles et fissiles) et renouvelables. Outre la déplétion des matières premières énergétiques non renouvelables, les impacts environnementaux associés à leurs conversions conduisent à se tourner progressivement vers les renouvelables, celles qui ont le plus grand potentiel d’assurer les besoins futurs de l’humanité. Ces dernières sont disponibles en quantité largement suffisante (l’énergie solaire et ses dérivées reçues annuellement dans la troposphère représentent près de 8000 fois la consommation d’énergie primaire) et sont désormais convertibles, notamment en électricité, grâce aux progrès technologiques récents.

En 2012 (figure 2), l’électricité mondiale a été produite à hauteur de 79,2 % par des ressources

non renouvelables (fossiles et nucléaire) d’abord converties en chaleur puis en électricité avec un faible rendement (30 à 60 %) via des cycles thermodynamiques. Les 20,8 % d’électricité issue des ressources renouvelables viennent à 78 % de l’hydraulique et à un peu plus de 11 % de l’éolien. Mais avec des taux de croissance moyens très élevés, la production éolienne (moyenne de 26 % par an de 2002 à 2012) et le solaire (moyenne de 50 %) devraient devenir majoritaires bien avant 2030.

En ce qui concerne la production d’origine fossile (plus de 68% de l’ensemble), les ordres de

grandeur de la répartition par combustible sont : 41% pour le charbon, 22% pour le gaz et 5% pour le pétrole. La production d’électricité contribue ainsi grandement aux émissions de gaz à effet de serre (GES), ceci d’autant plus que les combustibles sont carbonés. Or le prix du charbon (ramené à sa valeur énergétique) étant très bas, il est, avec ses variantes (de l’anthracite au lignite), le combustible dominant. Son bas prix étant associé à des pénalités d’émissions de GES très insuffisantes, dans un contexte de marchés concurrentiels, les producteurs d’électricité font plus de profits en écoulant de l’électricité produite à partir de charbon. C’est ce qui explique la tendance observée en Europe occidentale, depuis plusieurs années, d’accroissement de la production d’électricité à partir de charbon aux dépens du gaz. Le pétrole (sous forme de fioul lourd ou de fioul ordinaire), quant à lui, n’est plus beaucoup utilisé pour produire de l’électricité, sinon dans d’anciennes turbines à combustion très flexibles et ne fonctionnant qu’en pointes extrêmes, ou encore dans des groupes diesel, par exemple en zones insulaires. Le pétrole est en effet aujourd’hui le combustible fossile le plus cher, et de loin, ramené à sa valeur énergétique.

Ici également, il est important d’insister sur la dynamique de croissance. La production

d’électricité d’origine fossile et fissile (non renouvelable) a connu une croissance de 3,1% par an (moyenne de 2002 à 2012), alors que celle d’origine renouvelable évolue avec un taux bien supérieur, égal à 4,7% par an. Ainsi, contrairement à ce que l’on entend souvent, la part des renouvelables dans la production d’électricité est bien en croissance et l’on peut même affirmer que l’électricité est la forme finale d’énergie la plus vertueuse. Connaissant tout son potentiel de

satisfaire la plupart des services énergétiques, elle présente ainsi un très fort potentiel de soutenabilité pour le développement de l’humanité.

Fig. 2: Bilan mondial 2012 de la production d’électricité et taux moyens, sur dix ans, de la croissance par source –

source : OBSER’ER. La production d’électricité d’origine renouvelable dans le monde, 14e inventaire, édition 2013.

Ces conclusions peuvent être affinées (figures 3 et 4) si l’on s’attache aux progressions de la

production mondiale d’électricité de 2003 à 2012 par sources et par zones géographique2. La part des renouvelables pour la production d’électricité progresse à un rythme soutenu. Au niveau mondial, cette part était de 17,5% en 2003 alors qu’elle a atteint 20,8% en 2012. Dans la même période, la part du nucléaire est passée de 15,7% à 10,9% (avec une diminution également en valeur absolue), décroissance entamée avant la catastrophe de Fukushima Daïchi.

2 B. Chabot. Analysis of the 2003-2012 Global Electricity Production With a Focus On the Contribution From

Renewables. Renewables International, December 2013 http://www.renewablesinternational.net/

Fig. 3 : Évolution, par source, de la production mondiale d’électricité en TWh de 2003 à 2012 – source : B. Multon, Y.

Thiaux, H. Ben Ahmed. Consommation d'énergie, ressources énergétiques et place de l’électricité. Techniques de l'Ingénieur, D3900v2, fev. 20

La production d’électricité est sensiblement stagnante dans l’ensemble des pays développés mais

elle subit une croissance très rapide dans les pays en développement (Chine, Inde et « reste du monde » dit ROW).

Fig. 4 : Évolution, par zone géographique, de la production mondiale d’électricité en TWh de 2003 à 2012

Afin de donner une vision instantanée plus précise de ce qui se passe au niveau mondial, les

figures 5 à 8 montrent les bilans (pour la même année 2012) du mix électrique de production en Europe de l’Ouest, en Chine, aux USA et en France.

Fig. 5 : Bilan 2012 de la production d’électricité en Europe de l’Ouest et taux moyens, sur dix ans, de la croissance

par source – source : Obser’ver

Fig. 6 : Bilan 2012 de la production d’électricité en Chine et taux moyens, sur dix ans, de la croissance par source –

source : Obser’ver

Fig. 7 : Bilan 2012 de la production d’électricité aux Etats-Unis et taux moyens, sur dix ans, de la croissance par

source – source : Obser’ver

Fig. 8 : Bilan 2012 de la production d’électricité en France et taux moyens, sur dix ans, de la croissance par source –

source : Obser’ver

La situation française avec les trois quart de sa production d’origine nucléaire est exceptionnelle.

On peut également remarquer que l’Europe constitue une zone privilégiée pour le développement des énergies renouvelables, en particulier l’éolien et le solaire, mais que la Chine n’est pas en reste, avec des niveaux de croissance exceptionnels, de 63% et 174% par an respectivement pour l’éolien et le solaire, en moyenne sur 10 années (2002-2012). La Chine est ainsi devenue rapidement le premier producteur mondial d’éoliennes et de modules photovoltaïques mais également le premier marché pour ces nouveaux outils de production.

Conclusion

Parmi toutes les formes d’énergie finale, l’électricité progresse inexorablement car elle offre une

qualité de service inégalée. Mais sa production est encore très majoritairement issue de sources primaires non renouvelables et polluantes. Cependant, la progression des sources d’origine renouvelable est très rapide et montre clairement leur émergence, y compris dans les pays en développement. Si l’on considère leur immense potentiel, leurs faibles impacts environnementaux et leurs rapides baisses de coût, l’électricité se présente comme un formidable vecteur d’avenir.