la place de la religion aux États-unis (1815-1860)

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HISTOIRE DE L’AMÉRIQUE DU NORD LA PLACE DE LA RELIGION AUX ÉTATS-UNIS (1815-1860) L’Apothéose de G. Washington par Brumidi, située sous la coupole du Capitole COLLETTA Josselin | nov./déc. 2012

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Page 1: La place de la religion aux États-Unis (1815-1860)

HISTOIRE DE L’AMÉRIQUE DU NORD

LA PLACE DE LA RELIGION AUX ÉTATS-UNIS

(1815-1860)

L’Apothéose de G. Washington par Brumidi, située sous la coupole du Capitole

COLLETTA Josselin | nov./déc. 2012

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LA PLACE DE LA RELIGION AUX ÉTATS-UNIS (1815-1860)

«Les dangers qui nous font face sont de deux ordres : ceux qui touchent à notre religion et ceux qui concernent notre gouvernement. Ils sont cependant si intimement liés qu’ils ne peuvent être

séparés.»— Jedidah Morse, pasteur du Massachusetts, 1799

Pour exprimer l’importance de la religion dans la vie politique américaine, on a coutume d’évoquer le serment prêté sur la Bible par les présidents, et ce depuis George Washington, même si rien ne figure dans le texte constitutionnel concernant cet usage. Le sociologue français Raymond Boudon a écrit : «L’exception religieuse américaine, comparativement aux autres pays développés de système libéral, va à l’encontre de la loi évolutive élaborée et traitée par Auguste Comte, Tocqueville, Durkheim et Weber, selon laquelle, dans la modernité, les explications rationnelles de type scientifique remplacent les explications religieuses».

Les années qui séparent la Guerre anglo-américaine de 1812-1815 de celle de Sécession seront le cadre de notre étude. Coincées entre deux événements d’une si forte magnitude (l’époque révolutionnaire et la guerre civile), on pourrait presque oublier leur importance propre. Ce furent avant tout des années d’expansion, d'explosion, au niveau territorial, démographique et technologique, scandées par des crises économiques (1819, 1837, 1857), des guerres (on ajoute à celles citées la guerre contre le Mexique en 1846-1848), des compromis au sujet de l’esclavage (1820, 1850). C’est plus généralement une période de profondes et rapides mutations, d’industrialisation, d’urbanisation et d’immigration - bref, une période d’effervescence vertigineuse. La période fut également bornée par deux grands réveils de la vie religieuse : le Second Great Awakening initié à la toute fin du XVIIIe siècle, et le Grand Réveil national de 1857. L’effervescence de cette période est donc tout autant spirituel. Ce bouillonnement de la vie religieuse dans ce contexte de liberté se traduisit par la créativité et une fragmentation toujours plus grande des dénominations. De nouvelles églises virent le jour, et la palette d’options religieuses était devenue suffisamment large pour que chacun pût y trouver sa place. On dit d’ailleurs parfois des États-Unis qu’ils sont une «  une nation avec l'âme d'une Église » (Chesterton). Il ne faut peut être pas parler d’une Église, mais d'une multiplicité d'Églises, de dénominations, de réseaux et de sectes. Sans être la seule force religieuse en présence, le protestantisme n’en resta pas moins, sinon la plus importante, au moins la plus visible. Par ailleurs, la nébuleuse évangélique constituait, dans sa diversité, un groupe particulièrement influent sur l’échiquier politique au milieu du XIXe siècle. S’il serait peut être exagéré de vouloir tout expliquer par la religion, celle-ci demeure un prisme incontournable pour comprendre la politique tant locale que nationale au cours de cette période. Le XIXe siècle est aussi l’époque où s’installe la communauté juive qui, à l’époque des Pères fondateurs, était réduite à un nombre à quatre chiffres : ils sont plus de 150 000 au moment de la Présidence de Lincoln. Au rythme de

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LA PLACE DE LA RELIGION AUX ÉTATS-UNIS (1815-1860)

l’immigration, des stéréotypes antisémites se créaient dans les journaux, la littérature, le théâtre et la culture populaire, alors que certains historiens rapportent également des agressions physiques. On peut aussi se demander quelle place occupaient les musulmans dans l’Union naissante : on en trouve une proportion infime aux États-Unis, et beaucoup d’entre-eux étaient esclaves. Les catholiques, quant à eux, ne représentent qu’un pour cent de la population à la fin du XVIIIe siècle et jouent un rôle mineur dans l’histoire américaine, même si l’on peut tout de même noter la présence d’un catholique parmi les Pères fondateurs (Daniel Caroll, signataire de la Constitution). Leur nombre augmente mécaniquement grâce à l'achat de la Louisiane en 1803, la cession de la Floride en 1819 et la cession de territoires par le Mexique en 1848. En effet, dans ces régions, les catholiques, pour la plupart des descendants des premiers colons américains, sont nombreux et présents depuis des siècles. Cependant, le nombre de catholiques s'accroit principalement dans la deuxième moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle, du fait de l'afflux massif d'immigrés européens (Irlande, Allemagne, Italie, Pologne..). Les Irlandais, qui fuient la grande famine, sont parmi les premiers à arriver. D'autres immigrants arrivèrent d'Italie, d'Allemagne, et de Pologne. Les Irlandais, qui remplissaient la plupart des positions épiscopales américaines, seront au cœur d’un activisme nativiste parmi certains milieux protestants, qui leur imputaient une allégeance à l’autorité du pape et donc une incompatibilité avec le projet américain et sa diffusion de la liberté et de la démocratie.

Cherchant à mieux comprendre la place de la religion aux États-Unis entre 1815 et 1860, il s’agira dans un premier temps d’aborder la place donnée par la Loi Suprême au fait religieux dans la jeune république. Le XIXe siècle est aussi le lieu d’un réveil religieux au même moment où le territoire des États-Unis s’agrandit très nettement : elle y devient le ciment communautaire. À travers l’exaltation de la mémoire des puritains, qui souhaitaient créer un modèle prospère, démocratique et universel, nous verrons au final comment la question de la religion s’inscrit dans le projet américain : nécessairement, refaçonner le visage de la société implique une imbrication avec le terrain politique.

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LA PLACE DE LA RELIGION AUX ÉTATS-UNIS (1815-1860)

— PREMIÈRE PARTIE —

ENTRE SÉPARATION ET RELIGION CIVILE

Propos du Président John Tyler, dans un document de 1843

Les États-Unis se sont lancés sur une

grande et noble expérience, qu’on a dite

dangereuse, en l'absence de prédécesseur

dans la séparation totale de l'Église et de

l'État. Aucune institution religieuse par la loi

n’existe entre nous. La conscience est

libérée de toute contrainte et chacun est

permis d'adorer son Créateur selon son

propre jugement. Les bureaux publics sont

ouverts également à tous. Il n’y a pas de

dîme prélevée pour appuyer une hiérarchie

préétablie, ni de jugement faillible de

l'homme soumis au credo sûr et infaillible de

la foi. Le Mahométan, s'il veut venir parmi

nous, aurait le privilège garanti par la

Constitution d'adorer selon le Coran ; et

l'Indien pourrait ériger un sanctuaire dédié à

Brahmā, s’il lui plaisait. Tel est l'esprit de

tolérance inculquée par nos institutions

politiques : notre système de gouvernement

libre serait imparfaite sans lui.

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LA PLACE DE LA RELIGION AUX ÉTATS-UNIS (1815-1860)

 Le gouvernement n'a pas l'ombre d'un droit de se mêler de religion. Sa plus petite interférence serait une usurpation flagrante.  

— James Madison, Père fondateur et 4e président des États-Unis , en 1816

Pour comprendre la place donnée par le nouvel État à la religion, il convient peut être de s’intéresser à ce que disent les textes qui en assurent le fonctionnement, ce que John M. Murrin a appelé le « toit constitutionnel ». Ce socle de textes fondateurs comprend la Déclaration d’indépendance de 1776, la Constitution fédérale de 1787, les Federalist Papers, le Bill of Rights ratifié en 1791, et repose sur un principe essentiel, celui de la souveraineté du peuple, non soumise à la sanction d’un souverain, qu’il soit terrestre ou céleste. Dans la Déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776, les Pères fondateurs (Jefferson, en l'occurrence) prennent «à témoin le Juge suprême de l’univers de la droiture de leurs intentions», et s’affirment «pleins d’une totale confiance dans la protection de la divine Providence». Mais, si le « Dieu de nature » est mentionné dans la Déclaration d’indépendance, il n’en est rien dans la Constitution, qui est, comme l’a dit I. Kramnick, une «constitution sans Dieu». L’absence de référence à une quelconque divinité a suscité de nombreux débats au XVIIIe siècle ; ainsi, certains pasteurs firent remarquer aux Pères fondateurs que le pays pourrait très bien être dirigé par un mahométan, un athée ou un adorateur du dieu Baal. Et effectivement, rien ne l’interdit dans le texte constitutionnel. Mais celui-ci n’est pas antireligieux : on ne trouve pas, dans l’Amérique naissante, d’anticléricalisme tel qu’il a pu exister pendant la Révolution française; simplement, les Pères fondateurs (déistes pour la plupart), fortement influencés par les Lumières, ont accordé peu de place à la religion dans le système politique américain, et ont imaginé une séparation stricte de l’Église et de l’État. Il faut savoir que cette expression, à laquelle nous sommes habitués en France, n’apparaît pas en tant que telle dans les textes fondateurs; pour autant, un certain nombre d’articles et d’amendements de la Constitution mettent en place cette séparation. Ainsi, l’article 6 stipule qu’aucun serment de nature religieuse ne saurait être exigé des élus de la république : c’était là la seule mention religieuse dans la Constitution américaine, avant l’adoption du Bill of Rights. Ce dernier, accordant aux citoyens de la nouvelle république la garantie d’un certain nombre de droits et libertés, est constitué de dix amendements à la constitution, et est ratifié en 1791. Le premier d’entre-eux énonce l’interdiction pour le Congrès d’adopter des lois limitant la liberté de religion et d’expression, la liberté de presse ou le droit à s’assembler pacifiquement. Élément central des textes fondateurs américains, le premier amendement protège ainsi la liberté de culte, mais interdit également toute religion officielle au niveau de l’État fédéral. La séparation entre les Églises et l'État en découle, mais sans être explicitement mentionnée. C'est dans un courrier de Thomas Jefferson à la communauté baptiste de Danbury, en 1802, que la formule surgit. Elle caractérise le premier amendement sous la forme d'un mur de séparation entre les Églises et l'État. La portée exacte de la loi a cependant été interprétée de différentes manières. Alors que l'amendement ne fait référence qu'au Congrès fédéral, les débats ont été

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LA PLACE DE LA RELIGION AUX ÉTATS-UNIS (1815-1860)

nombreux pour savoir s’il devait s'appliquer également aux législations des différents états de l’Union et il faut attendre 1947 pour que le texte soit effectivement étendu à tous les États fédérés par un arrêt de la Cour suprême (la dernière église d’état, celle du Massachusetts, disparait en 1833). D'autre part, le texte ne fait mention que du Congrès qui est seul investi du pouvoir législatif dans la Constitution, cependant, les principes de l'amendement ont pu être appliqués aux décisions des pouvoirs présidentiel et judiciaire. Ainsi, le récit fondateur de la nouvelle république sépare strictement le religieux du politique. Signé par le président John Adams, le traité de Tripoli de 1797 stipulait aussi explicitement que les États-Unis n’étaient en aucun cas un Etat chrétien. Il avait ensuite été placardé et publié à travers le pays pour en informer les citoyens, sans attirer de réaction particulière. La renommée du traité est surtout récente, puisqu’il sert de preuve historique montrant l’absence d’une base chrétienne pour le gouvernement des États-Unis. Ce qui importait pour les Pères fondateurs était que l’État fût neutre en matière religieuse pour préserver l’ordre public. Pour autant, cette volonté de paix civile n’est en aucune façon synonyme d’une indifférence de l’Etat en matière religieuse.

Dans ses écrits, le sociologue américain du XXe siècle Robert N. Bellah a défendu l’idée que, même si la séparation de l’Église et de l’État est fermement affirmée dans la Constitution des États-Unis, cela ne veut pas pour autant dire qu’il n’y a pas de dimension religieuse dans le corps politique américain. Il utilise le terme de religion civile, déjà théorisé par Jean-Jacques Rousseau, pour décrire la relation particulière de la politique avec le religieux aux États-Unis. Lauric Henneton, dans son ouvrage sur l’histoire religieuse des États-Unis, avance que les Pères fondateurs considéraient le rôle de la religion comme étant la garantie d’une société vertueuse. C’est peut être dans l’extrait suivant que l’ambiguité entre religion et politique, chez ceux-même qui ont forgé la nouvelle république, se manifeste le mieux.

«Posons-nous simplement cette question de savoir où nous trouverions la sûreté nécessaire à la propriété, à l’honnêteté, au respect de la vie si le sentiment de devoir religieux faisait défaut aux

serments qui sont à la base de toute enquête judiciaire. Et faisons preuve de la plus grande prudence à l’égard de l’hypothèse d’une moralité qui puisse être préservée sans le secours de la

religion. La raison comme l’expérience nous interdisent de conclure que la moralité de la nation saurait prévaloir en l’absence de tout principe religieux.»

— George Washington, discours d’adieu

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LA PLACE DE LA RELIGION AUX ÉTATS-UNIS (1815-1860)

Aux yeux du plus éminent des Pères fondateurs, la pérennité des institutions républicaines ne saurait donc être assurée sans le concours quotidien de la religion. Ce que Washington explique, c’est aussi que l’État ne peut assurer seul la charge d’inculquer les vertus civiques et il appartient en conséquence aux Eglises d’entretenir la moralité publique. La religion semble donc être, outre un facteur d’épanouissement personnel, le gage de relations sociales harmonieuses. D’ailleurs, comme l’avait remarqué Alexis de Tocqueville au cours de ses voyages aux États-Unis, les prédicateurs américains mettent plus volontiers l’accent sur les avantages qu’apportent les croyances religieuses à «la liberté et l’ordre public» que sur «l’éternelle félicité dans l’autre monde» : le rôle premier assigné à la religion en Amérique est bien d’ordre civique. Tocqueville a aussi insisté sur «l’influence des mœurs sur le maintien de la république démocratique aux États-Unis» dans son chapitre IX du premier tome de sa Démocratie en Amérique (1835). Il explique que toutes les communautés religieuses s’accordent sur la moralité publique et exercent une influence décisive pour la vie politique. Les Églises forment un garde-fou fort utile à la république : «Ainsi donc, en même temps que la loi permet au peuple américain de tout faire, la religion l’empêche de tout concevoir et lui défend de tout oser». Pour Tocqueville, c’est donc le respect des lois divines, définissant une moralité, qui permet la liberté politique, l’état ne pouvant laisser le citoyen libre de tout faire sans risque pour l’ordre social. Il est donc dès le départ difficile de dissocier le religieux du politique dans la conception qu’avaient les Pères fondateurs de la république qu’ils bâtissaient.

Prière du premier Congrès continental (1774) représentant les Pères fondateurs

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LA PLACE DE LA RELIGION AUX ÉTATS-UNIS (1815-1860)

— DEUXIÈME PARTIE —

LA RELIGION, CIMENT COMMUNAUTAIRE

Représentations des fameux Camp Meetings américains

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La colonisation progressive du territoire des États-Unis, fait majeur du XIXe siècle américain, n’est pas dépourvue d’une forte signification symbolique. Il s’agissait de faire progresser la civilisation, de domestiquer le territoire sauvage donné par Dieu. C’est à ce moment-là que se fixe la figure du fermier-prédicateur qui accompagnait la population toujours plus à l’Ouest, très répandue chez les baptistes. C’est aussi l’époque d’une série d’inventions et d’innovations technologiques : le développement des presses à vapeur, à partir de 1811, généra un déluge de papier. Le nombre de journaux se démultipliait et une presse exclusivement religieuse voyait le jour : par son succès, elle entraînait la presse laïque qui consacrait de plus en plus d’espace aux sujets religieux. La place de la religion dans ce renouveau semble capitale, et l’expansionnisme est tout autant territorial et démographique, que religieux. Il contribua à la «christianisation» du pays : en dehors du Nord-Est, elle était encore assez inégalement répartie à l’époque de l’Indépendance, mais, au milieu du XIXe siècle, les États-Unis sont devenus un des bastions mondiaux du protestantisme, dans la grande diversité de ses déclinaisons. Cette christianisation s’exprime en chiffres : alors qu’on comptait 1800 pasteurs en 1775, il y en a plus de 40 000 en 1845, et le ratio par habitant est triplé.

L’Amérique de la première moitié du XIXe siècle assiste à une redynamisation importante de la vie religieuse dans les églises protestantes, qui sont, rappelons le, les plus importantes du pays. Déjà, dans les décennies 1730 et 1740, le Grand Réveil d’Amérique bouleversait la sphère spirituelle par des conversions et un regain d’intensité des offices, et de la piété chrétienne en général. L’Ouest de l’Etat de New York, depuis lors, était surnommé le burned over district, l’espace consumé par le feu sacré. Le Second Grand Réveil naît au même moment que la république, et continue jusque dans les années 1840. Ce réveil n’est d’ailleurs pas spécifique aux États-Unis, puisque la France en connut également à la même période, dans une dimension inférieure. La ferveur évangélique qui traverse cette première moitié de siècle (avec des hausses et des retombées), est très diverse dans ses manifestations. La Bible, sola scriptura, y occupe une place centrale, les prédications mobilisaient bien plus les émotions que la raison et le salut était de plus en plus démocratisé : non plus réservé une élite, mais simplement à tous ceux qui acceptaient sincèrement le don gratuit de la grâce. Ainsi, comme le note Lauric Henneton, le protestantisme américain glisse généralement «du calvinisme vers l’arminisme, l’Homme devenant acteur de son salut, ce qui eut pour conséquence de grandement responsabiliser l’individu.» Mais le croyant, si son rôle change, n’efface pas la place centrale des pasteurs, locaux ou itinérants, qui prêchaient la Parole. Le camp meeting, rassemblement religieux en plein air, est certainement le symbole de ce réveil évangélique. Ceux qui y participaient convergeaient vers une clairière ou plus rarement un champs, dans des zones vides d’habitations. Tentes et chariots, placées là pendant plusieurs jours, donnaient au camp une allure de petit village. Sermons et autres cultes émaillaient la vie des campeurs jusqu’à la nuit, où l’on allume des lanternes accrochées aux arbres : la clairière prenait alors une dimension presque

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LA PLACE DE LA RELIGION AUX ÉTATS-UNIS (1815-1860)

fantastique. Les observateurs de ces fêtes sont nombreux à avoir décrit le caractère «convulsionnaire et hystérique» de celles-ci, où bien des fidèles semblaient perdre tout contrôle de leur corps : des femmes palpitent, crient, se roulent à terre, d’autres personnes éclatent de rire ou en sanglot, se mettent à courir, chanter, danser... Les participants rentraient chez eux profondément transformés par une expérience que D. Raynolds a décrit en comparant le grand rassemblement de Cane Ridge, en 1801, à une sorte de Woodstock du XIXe siècle. Prenant place dans le Kentucky, cet événement est généralement considéré comme le camp meeting emblématique, peut être par son ampleur (entre 10 000 et 20 000 participants), ou par son anticipation, l'événement ayant été préparé et annoncé pendant plusieurs mois en amont, par un pasteur presbytérien qui souhaitait revigorer la vie religieuse de sa communauté. Il est aujourd’hui généralement considéré comme le coup d’envoi du deuxième Grand Réveil. Le camp meeting était un formidable outil de recrutement : on a estimé à trois millions le nombre d’Américains qui participaient à un camp meeting chaque été, soit le tiers de la population totale : le phénomène connaissait donc un succès considérable. Les méthodistes y voyaient d’ailleurs un avantage énorme : ils permettaient d’attirer à soi les fidèles, plutôt que de les démarcher.

Le deuxième Grand Réveil comprend en réalité deux phases distinctes : le réveil populaire entre 1790 et 1820, puis le réveil bourgeois dans les décennies suivantes. Le réveil populaire se caractérise par son anticléricalisme et son antiélitisme, sa quête d’une doctrine simple et claire, et des églises sous le contrôle des fidèles au lieu d’instances extérieures. De nouvelles formes de religiosité apparaissaient : les rêves, les visions, le surnaturel. Le bouillonnement de la vie religieuse dans ce contexte de liberté se traduisit aussi par une atomisation toujours plus grande des forces religieuses, surtout chez les méthodistes et les baptistes, les principales. L’effervescence religieuse contribua à la multiplication de sectes plus ou moins éphémères : c’est en 1830 que Joseph Smith crée son église mormone dans l’état de New York. Sa théologie, très à l’écart du christianisme même si elle s’en réclame, n’est pas facilement acceptée par les américains : si l’état fédéral doit être impartial, les lois des états fédérés ne sont pas encore toutes égales sur l’équité religieuse. Les mormons furent chassés état après état (plus par le peuple que par le pouvoir) et leur prophète assassiné : ils se réfugièrent dans ce qui deviendra l’Utah, un territoire de l’Ouest américain et pas encore gouverné. L’Utah fut officiellement déclaré état de l’Union en 1896 : ce n’est peut être pas étranger au fait que la polygamie, au cœur de la polémique, fut abandonnée par les mormons en 1890.

On ne sera pas surpris de voir proliférer les bâtiments de culte au même moment où la vie religieuse prend un tel essor et où l’immigration est si forte. Le Sud profond comptait un nombre si élevé d’Eglises, sinon de sectes dissidentes protestantes, qu’un homme d’Atlanta écrivit un jour à propos de sa ville que, «dans la plaine côtière, il y aura bientôt autant de chapelles que de foyers».

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LA PLACE DE LA RELIGION AUX ÉTATS-UNIS (1815-1860)

Représentation de Monongahela, la «City of Churches», au XIXe siècle

Vers 1830, Tocqueville écrivait qu’aux États-Unis, «la religion règne moins comme doctrine révélée que comme opinion commune» exprimant ainsi le rôle central et unificateur de la religion dans la pensée américaine. La mise à profit des progrès réalisés en matière d’imprimerie permit notamment de produire un million de bibles par an autour de 1830 et d’en abaisser les coûts. La fabrication d’un traité de dix pages revenant à un cent, il devenait possible de le distribuer gratuitement et par conséquent d’en démultiplier l’accessibilité. La vigueur des ces réveils, un peu moindre dans les années 1850, reprend de l’élan à partir de 1857, alors que de nouveaux groupes religieux émergent. Au début de la décennie 1860, les groupes religieux ont donc pris une place centrale dans la société, et la plupart des grandes dénominations occupent le nouvel espace couvert par les États-Unis par des activités missionnaires nombreuses. Le réveil fut interrompu par la guerre de Sécession dans bien des villes (cela dit, dans le Sud, il fut dans une certaine mesure stimulé, et les baptistes renforcés, par la guerre civile).

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— TROISIÈME PARTIE —

LE DESSEIN AMÉRICAIN

Tract éminemment religieux concernant l’alcoolisme et les valeurs familiales

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Dans ses symboles d’identité, l’Amérique est la seul à avoir unifié nationalité et universalité, identité citoyenne et spirituelle, histoire séculière et rédemptrice, le

passé du pays et son futur paradisiaque, en un seul et unique idéal. — Sacvan Bercovitch, The American Jeremiad

Au cours de ce premier XIXe siècle, les États-Unis se cherchaient encore une identité commune en dépit de leurs différences, notamment entre des régions tiraillées par des intérêts contradictoires. Une sorte d’adolescence américaine, en somme, naissance étant la Révolution et la maturité, l’après-Sécession. Un article du Ladies Repository, en 1850, voyait dans le télégraphe un outil qui permettait d’étendre la civilisation, le républicanisme et le christianisme à travers le monde, de mettre fins aux guerres et de déclencher le millénium, le Règne de mille ans du Christ sur terre, annoncé dans l’Apocalypse : un renvoi direct à l’idéologie puritaine.

En effet, au cœur des mœurs américaine est logée l’idée que les américains se voient comme le peuple élu par Dieu pour créer un modèle unique de société sur la terre, une nouvelle Terre Promise : à la fois un projet religieux et un projet politique. La Cité Céleste de l’Apocalypse est destinée dans l’Evangile de Saint Jean à faire régner la clarté de la lumière divine sur tout l’univers. Le sermon délivré par John Winthrop est le texte fondateur de cette mythologie puritaine : il y décrit la terre qui attend les pèlerins, une Nouvelle Jérusalem, qui doit être une « cité sur la colline », servant d’exemple au monde entier. Cet épisode est souvent interprété comme le point de départ de la démocratie américaine, ancrée dans une tradition religieuse. C’est George Bancroft, l’historien et homme politique américain du XIXe siècle, qui a popularisé un portrait de la nation américaine voyant dans les Pères pèlerins l’incarnation du « génie » américain, alors qu’ils avaient été dépréciés par les Lumières et les Pères fondateurs, qui considéraient cette référence comme archaïque. Le mythe puritain est pourtant au cœur de l’idéologie providentialiste américaine. Alice Béja note à ce propos : «C’est pour cette raison que le concept français de laïcité ne saurait s’appliquer aux États-Unis, pour lesquels la « mission » relève du domaine séculier (faire progresser la liberté dans le monde) comme du religieux (faire profiter le monde de l’aura de cette Nouvelle Jérusalem terrestre).»

Ce projet américain est la motivation majeure pour tant de groupes religieux à tenter de moraliser la société, pour qu’elle corresponde mieux aux attentes du Créateur. Tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, les ministres du culte des paroisses du Vieux Sud ou des Appalaches vilipendent les trois vices, à savoir la cigarette, le billard et la danse. Dans les années 1820, cette volonté d’agir sur la société américaine aboutit à l’émergence de sociétés visant à réformer les vices tels l’alcoolisme ou le non-respect du repos dominical : l’idée d’éradication de toute sorte de mal social revient souvent dans les écrits de cette période. Dans les années 1830, cherchant à seconder leur activisme d’une action au cœur de la politique, certains groupes religieux entrent en politique. Les évangéliques, favorables au réveil, s'engageaient généralement dans plusieurs sociétés et votaient pour le parti whig, là où d’autres, comme les épiscopaliens, votaient pour le Parti démocrate d’Andrew Jackson. L’élection de 1848 compta un nouvel acteur,

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à forte composante évangélique : le Free Soil Party. La politique et le religieux étaient pour eux indissociables car la politique était un outil de réforme morale : abolitionnistes, n’hésitaient pas à enjoindre leurs frères évangéliques à voter comme vous priez et prier comme vous votez. Denis Lacorne, dans son célèbre ouvrage sur la religion aux États-Unis, a d’ailleurs montré comment la religion a pu aussi être un outil de contrôle aux mains des maîtres blancs, admettant les noirs dans leurs églises pour mieux les surveiller et faire entendre un message d’obéissance assez éloigné du message biblique. Parmi les diverses tentatives de moraliser la société, le sabbatarianisme, défense du dimanche consacré à Dieu, mis sur le devant de la scène question fondamentale de la place de la religion dans la vie publique et ses rapports avec l’organisation des institutions, notamment à travers une polémique autour de la distribution dominicale du courrier. Les partisans du mouvement sabbatarien voyaient dans l’autorisation du travail dominical une insupportable subversion de l'identité chrétienne des États-Unis. Le pays serait-il une nation chrétienne ou au contraire une république impie ? Ses adversaires, (souvent démocrates) étaient favorables à la circulation toute la semaine sans interruption. «Ils ne s’opposaient pas tant à la religion en soi qu’à une interprétation particulière de sa place dans la vie publique» rapporte Isabelle Richet : à leurs yeux, la foi de tout individu relevait de la sphère privée et ne pouvait donc pas avoir d’impact sur l’organisation de la société en général et la distribution du courrier en particulier. Si la campagne sabbatarienne se solda par un échec notamment pour des raisons liées au développement économique du pays, qui s'accommodait mal du hiatus dominical - les modalités d’actions qu’elles avait mises en oeuvre ne différaient guère de l’action politique : les églises servaient de relais locaux, formait des bénévoles, organisaient des collectes de fonds et des distributions de tracts et des signatures de pétitions.

Des écoles du dimanche, dirigées par les sociétés religieuses, apparaissent dans les années 1820 : également présentes en France, leur fonction dépassait souvent la catéchèse : dans beaucoup de petits villages, elles étaient la seule véritable école, où l’on apprenait d’abord à lire et à écrire. Parallèlement aux écoles du dimanche consacrées à l’instruction élémentaire, de nombreuses institutions d’enseignement supérieur furent fondées à mesure que le peuplement de l’Ouest progressait. Entre 1830 et 1860, les méthodistes fondèrent une trentaine d’universités, les baptistes une vingtaine, dans une quinzaine d’états différents. Les catholiques fondèrent l’université Notre-Dame dans l’Indiana, qui devait servir, pour reprendre la formule de Denis Lacorne, de tête de pont catholique, dans un Ouest en expansion constante. Des Jésuites, comme le père Smet, partent en mission aux États-Unis où ils entreprennent un travail pastoral important, notamment avec les Indiens, et fondent de nombreuses universités telles que Regis University, Gonzaga University, Seattle University, l'Université de Santa Clara, l'Université de San Francisco... L’objectif général, outre étendre le réseau d’influence de chaque dénomination, était, principalement chez les protestants, de perpétuer par l’éducation une population vertueuse, assurant la survie de la république. Un

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LA PLACE DE LA RELIGION AUX ÉTATS-UNIS (1815-1860)

raisonnement similaire vise à réinsérer les détenus par l’instruction, afin de les transformer en citoyens vertueux et productifs, épisode relaté par Pierre Sicard, dans son ouvrage sur la civilisation américaine. Les malades mentaux et les handicapés firent également l’objet de l’attention des réformateurs, toujours dans une optique didactique et philanthropique. Les sociétés religieuses de réforme sociale étendirent leur champ d’intervention à la lutte contre les châtiments corporels à l'encontre des enfants, des femmes ou encore des marins. La lutte contre l’alcoolisme, dans des États-Unis connus pour leur forte consommation d’alcool, eut également un retentissement important. Le pionnier de la tempérance était le pasteur Lyman Beecher, qui fonde la Connecticut Society for the Suppression of Intemperance en 1811. Petit à petit, le glissement vers l’abstinence totale s’effectua sous l’action de pasteurs évangéliques insistant sur les ravages de l’alcoolisme et faisait la publicité pour des établissements secs. À cause des rechutes des consommateurs, on cibla bientôt les producteurs. «La tempérance était une question morale, la prohibition une question politique : elle devint un objet législatif après une campagne d’opinion» nous explique Lauric Henneton : en 1856, quatorze états étaient devenus secs, même si les lois de prohibition furent généralement abrogées peu de temps après leur mise en place.

L’afflux inédit et sans cesse croissant de catholiques allemands et irlandais entre 1847 et 1854 fit grimper les effectifs catholiques au États-Unis : alors que la population est un peu plus que doublée entre 1820 et 1850, le nombre de catholiques devient huit fois plus important au cours de la même période. Le nativisme, version américaine de la xénophobie, va se développer à partir de cet accroissement du nombre d’immigrés. L’idéologie nativiste a fourni l’occasion de se choisir un bouc émissaire sous la forme de immigrés à la solde de l’évêque de Rome : Denis Lacorne parle de phobie atavique du «papiste». Cet antipapisme n’était pas nouveau : depuis la Glorieuse Révolution, Jacques II et la révocation de l’édit de Nantes, avaient contribué à associer catholicisme et gouvernement arbitraire voire tyrannie et asservissement, par opposition à un protestantisme de plus en plus systématiquement synonyme de liberté politique et religieuse. Un des grands débats, depuis la Révolution, était de déterminer si l’on pouvait être à la fois américain et catholique. À la faveur d’une immigration catholique de plus en plus massive et dans un contexte de profondes mutations sociales dues à l’industrialisation et à l’urbanisation, le papisme retrouva donc le devant de la scène.

La peur des Américains fut renforcée par l'immigration irlandaise toujours croissante et pauvre, qui faisait concurrence aux travailleurs protestants de souche, mais les ressorts de l’anticatholicisme étaient aussi moraux, voire politiques. La multiplication des grog shops à Boston ou New York ulcérait des Américains de plus en plus attirés par la tempérance, voire l’abstinence ; aussi, la conception catholique du dimanche était bien plus festive et moins solennelle que celle des protestants sabbatariens. On reprochait aux prêtres des irlandais de cautionner les écarts moraux au confessionnal. «Leur communautarisme, leur «esprit» de clan, semblait incompatible avec l’idée même de la nation américaine, que l’on appela

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plus tard le melting pot», avance Alice Béja. Le New York Protestant Association organisa des conférences publiques en 1834, portant sur des questions comme «Le papisme est-il compatible avec les libertés civiles ?» ou «Le papisme est-il Babylone la Grande ?». Quelques années après, la «guerre des Bibles» donnait lieu à des querelles vigoureuses entre catholiques et protestants quant à la traduction qui devait être employée dans les écoles. La loyauté des irlandais était sujette à caution : n'obéissaient-ils pas à Rome avant d’obéir aux autorités politiques des États-Unis ? Les nativistes partaient du principe biblique que l’on ne peut servir deux maître à la fois et ils craignaient que les Irlandais fissent partie d’une grande conspiration visant à livrer les États-Unis sur un plateau. Le plus célèbre adepte de cette théorie du complot était Samuel F. Morse : à ses yeux, le catholicisme était intrinsèquement incompatible avec le républicanisme démocratique qui était l’essence même des États-Unis. Mais la vindicte d’une part du paysage protestant à l’encontre des catholiques n’est pas toute entière dirigée contre les Irlandais : les Mexicains, catholiques, étaient à leurs yeux «aussi idolâtres que les Chinois». Les années 1840, celles de l’expansion territoriale aux dépens du Mexique, voit d’ailleurs l’apparition de l’idée de Destinée manifeste, une légitimation par la Providence de l’expansion américaine. En d’autres termes, les Américains, nouveau peuple élu, ne faisaient que prendre ce qui leur avait été donné par Dieu.

Les nativistes voyaient les Américains comme des missionnaires de la liberté et de la démocratie dans un monde qui restait globalement à convertir. En 1852 est fondé l’American Party, un véritable parti politique nativiste, dont les membres étaient connus comme les Know Nothings, car ils déclaraient ne rien savoir au sujet de ce parti afin de ne pas mettre celui-ci en danger. Deux ans plus tard, le parti remporte une série de victoires et envoie 75 élus au Congrès, alors qu’il rafle la quasi-totalité des sièges à la chambre du Massachusetts. Ne parvenant pas à s’entendre sur une position commune au sujet de l’esclavage, le parti s’effondre aussi rapidement qu’il s’est constitué : Denis Lacorne a montré comment le vide laissé par le parti whig, alors que le Parti républicain n’est pas encore totalement formé, a rendu possible cette ascension nativiste.

Les inquiétudes quant à la loyauté des catholiques n’étaient pas fondées, au contraire : les évêques américains prêchaient d’être fidèles aux institutions américaines et, pendant la guerre contre le Mexique, les catholiques, plutôt que de prendre fait pour les mexicains, catholiques, soutinrent les États-Unis. La soumission au Vatican était donc limitée ou inexistante. Intéressé par le sujet religieux aux États-Unis, Lauric Henneton, écrit à ce propos : «Les nativistes protestants avaient une peur disproportionnée des catholiques, notamment irlandais. Le véritable péril pour l’Union était ailleurs. L’impossibilité de s’entendre sur la restriction ou l’expansion de l’esclavage provoqua, directement ou indirectement, les schismes des églises presbytériennes, méthodistes et baptistes dès 1837». L'animosité entre protestants et catholiques diminue cependant au cours du XIXe siècle, même si quelques protestants continuent, encore aujourd’hui, de redouter « l'influence catholique » exercée, selon eux, sur le gouvernement.

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« La religion a donné naissance aux sociétés anglo-américaines; il ne faut jamais l’oublier; aux États-Unis, la religion se confond avec toutes les habitudes nationales

et tous les sentiments que la patrie fait naître. Ici les sectes chrétiennes varient à l’infini et se modifient sans cesse mais le christianisme lui même est un fait établi et

irrésistible qu’on n’entreprend point d’attaquer ni de défendre.» — Alexis de Tocqueville

William O’Douglas, dans un jugement rendu en 1952 par la Cour suprême, l’organe politique assurant le maintien des principes constitutionnels, déclarait solennellement : «We are a religious people». Aux États-Unis, il est bon d’appartenir à une Eglise et de montrer sa dévotion, et si l’on fait partie du corps politique, c’est même indispensable. Abraham Lincoln lui-même, probablement l’un des moins religieux des présidents américains, avait une connaissance profonde de l’Ancien Testament et faisait l’usage de citations bibliques dans ses discours. C’était peut-être aussi pour des raisons rhétoriques, les images bibliques étant sans doute le meilleur moyen d’atteindre son auditoire. Après la destitution des églises d’État, la liberté de culte devint un principe américain fondamental, qui permettait l’émergence d’un nombre très important de dénominations. En outre, les flux migratoires considérables du milieu du XIXe siècle revigorèrent la religion, qui pris une nouvelle place, parfois même, les immigrants exerçaient leur culte avec plus de zèle qu’ils ne le faisaient dans leur pays d’origine, peut être pour pouvoir mieux affirmer leur nouvelle identité si complexe. La mission très large de fait assignée aux Églises pose néanmoins un réel problème constitutionnel. Comment respecter le principe de séparation posé entre Églises et État dès lors qu’elles sont amenées à jouer un rôle si central dans la démocratie américaine ? La conviction, partagée par les citoyens, que cette mission est indispensable à la survie des institutions rend difficilement maintenable l’absolue neutralité en matière de religion. En définitive, la question constitutionnelle de séparation n’a pas été à ce jour clairement tranchée, et la frontière entre Église et État, floue. Il ne saurait cependant en être vraiment autrement dès lors que la démocratie américaine ne semblerait pouvoir subsister sans une moralité dictée par des principes chrétiens, alors que l’État ne peut se charger de leur propagation. Les Églises ont donc pris le rôle d’un indispensable vecteur de la religion civique. Notons peut être pour terminer que c’est en 1864, qu’apparaitra pour la première fois la maxime In God We Trust, sur la pièce de deux centimes.

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- Et également - BEJA Alice, « La Bible fait-elle la loi aux États-Unis ? », Esprit, 2006/7 Juillet, p. 176-179. BERTRAND Claude-Jean, Les Eglises aux États-Unis, QSJ, 1975 Collectif, Le Fait religieux aux États-Unis  : approches culturelles et cultuelles, Revue française d'études américaines, fév. 2003 FATH Sébastien, «  ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Le territoire et les hommes) - Religion  », Encyclopædia Universalis JOHNSON Paul, A History of the American people, Weidenfeld & Nicolson, 1997 LACORNE Denis, « Religion et politique aux États-Unis » Entre laïcité et puritanisme, Esprit, 2012/11 Novembre, p. 15-22. REMOND René, Histoire des États-Unis, coll. Quadrige, PUF, 2012 (rééd. 1959) RICHET Isabelle, « La religion influence-t-elle la politique étrangère aux États-Unis ? », Le Débat, 2003/5 n° 127, p. 42-56 SICARD Pierre, Questions d’histoire et de civilisation américaine, coll. Optimum, Ellipses, 2008 TOCQUEVILLE Alexis, De la démocratie en Amérique, Tome I (1835) et II (1840), Flammarion, 1999

RICHET Isabelle, La religion aux États-

Unis, PUF, 2001

HENNETON Lauric, Histoire religieuse des États-Unis,

Flammarion, 2012

LACORNE Denis, De la religion en Amérique : essai

d’histoire politique, Gallimard, 2007

- Principalement -

BIBLIOGRAPHIE