la physique quantique et ses interprétations

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    LA PHYSIQUE QUANTIQUE ET SES INTERPRTATIONSA l'occasion d'un centenairetienne KleinS.E.R. | tudes

    2001/5 - Tome 394

    pages 629 639ISSN 0014-1941

    Article disponible en ligne l'adresse:

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-etudes-2001-5-page-629.htm

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    Pour citer cet article :

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Klein tienne, La physique quantique et ses interprtations A l'occasion d'un centenaire,

    tudes, 2001/5 Tome 394, p. 629-639.

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution lectronique Cairn.info pour S.E.R..

    S.E.R.. Tous droits rservs pour tous pays.

    La reproduction ou reprsentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorise que dans les limites desconditions gnrales d'utilisation du site ou, le cas chant, des conditions gnrales de la licence souscrite par votretablissement. Toute autre reproduction ou reprsentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manire quece soit, est interdite sauf accord pralable et crit de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislation en vigueur enFrance. Il est prcis que son stockage dans une base de donnes est galement interdit.

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    S C I E N C E S

    La physique quantique

    et ses interprtations

    A loccasion dun centenaire

    E T I E N N E KL E I N

    Je respecte beaucoup le rel, mais je ny ai jamais cru.VALRENOVARINA

    LE 14 DCEMBRE 1900, le physicienallemand Max Planck lisait devant lAcadmie des Sciences de

    Berlin un mmoire plein daudace qui allait donner naissance ce que lon appelle aujourdhui la Physique quantique.

    Ce mmoire traitait dun problme en apparence

    marginal, celui dit du corps noir. Depuis plusieurs annes,

    les physiciens staient intresss de prs au rayonnement

    mis par les corps quon chauffe, passant au rougetre, au

    rouge vif, puis au jaune, puis au blanc bleut, enfin au

    blanc vif, au fur et mesure que leur temprature aug-

    mente. Ils dsiraient expliquer les caractristiques de cerayonnement partir des proprits de la matire avec

    laquelle il interagit. En particulier, ils voulaient rendre

    compte du spectre du rayonnement quils mesuraient1. Or

    1. Le spectre dun rayon-nement indique la rpar-tition de son nergie enfonction des frquencesquil contient.

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    les calculs classiques ne donnaient pas un rsultat

    conforme aux observations, et faisaient mme apparatre

    un infini indsirable : selon eux, le spectre du rayonnement

    mis par un four ferm et parfaitement isol, dans lequel

    rgne une temprature donne ce quon appelle prcis-

    ment un corps noir , tait tel que la quantit dnergie

    mise une frquence donne devait augmenter indfini-

    ment avec la frquence, de sorte que lnergie totale rayon-

    ne devait tre elle-mme infinie. Cette contradiction fut

    juge de plus en plus insupportable avec des mesures et des

    calculs se faisant plus prcis.

    Pour rsoudre le problme, Max Planck finit par

    postuler, dans un acte de dsespoir , que, contrairement ce que supposait la physique classique, les changes

    dnergie entre le rayonnement et la matire ne pouvaient

    se faire que par paquets discontinus, les quanta 2. Cettehypothse de quantification, vis--vis de laquelle Planck

    lui-mme prouva longtemps les plus extrmes rticences,

    tait absolument contraire aux principes de la thorie lec-

    tromagntique de la lumire 3. Mais, une fois mise dans les

    calculs, elle avait limmense vertu de saccorder parfaite-

    ment avec les mesures exprimentales.

    Max Planck ne sut pas trop quel sens il convenait de

    donner sa dcouverte, quil considra dans un premier

    temps comme un simple truc . La suite de lhistoire allait

    montrer que son ide avait sign lacte de naissance de la

    physique quantique. Cette nouvelle physique, rvolution-

    naire bien des gards, fut loutil essentiel des progrs

    accomplis au XXe sicle dans pratiquement tous les

    domaines, depuis la physique des particules jusqu lastro-physique, en passant par la physique nuclaire, la physique

    atomique et la physique de la matire condense.

    Une crise de la reprsentation

    La remise en cause la plus importante laquelle

    oblige la physique quantique, qui fut formalise dans les

    annes 1920, concerne la faon de reprsenter les objetsphysiques et leurs proprits. Jusqualors, la physique clas-

    sique avait distingu deux sortes dentits fondamentales :

    dune part les corpuscules, qui sont des sortes de billes

    2. Ces paquets disconti-nus sont dautant plusimportants que la fr-quence est plus leve :une lumire monochro-matique, de frquence ,nchange de lnergiequen payant avec des pices de monnaie ,dont la plus petite a une

    valeur gale h, o h estune nouvelle constante dela physique, la constante

    de Planck. Plus prcis-ment, les paquets chan-gs peuvent avoir unenergie gale h, oubien 2 h, ou bien 3 h, etc., mais il ny apas dchange possible dautres valeurs.

    3. Cette dernire dcrit,en effet, la lumirecomme forme dondescontinues, avec une ner-gie distribue sur toutes

    les frquences, donc deschanges qui ne cotentpas plus dnergie hautequ basse frquence.

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    microscopiques ; dautre part les ondes, qui se propagent

    dans lespace un peu comme le mouvement dune vague

    sur la mer. La physique quantique ne retient pas cette clas-

    sification. Les objets quelle considre ne sont ni des cor-

    puscules ni des ondes, mais autre chose . Les objets

    quantiques ont dailleurs des comportements tranges,

    quaucune chose habituelle nest capable de reproduire.

    Pour les comprendre, il faut rompre de faon franche et

    dfinitive avec notre intuition, et aussi avec la reprsenta-

    tion visuelle des objets physiques. Cest le ct iconoclaste

    de la physique quantique. Il devient impossible de dessiner

    un atome ou un proton. Cette disparition des poissons-

    pilotes de lintelligibilit que sont les images entrane une

    frustration chez ceux qui aiment voir avant de croire, et lafascination chez ceux qui smerveillent de ce que lintelli-

    gence soit capable de dpasser lintuition, et mme de la

    dmentir. Perdre limage, en effet, ce nest pas tout perdre.

    Cest mme en faisant son miel dentits abstraites que la

    physique quantique a bti son extraordinaire efficacit.

    Une interprtation physique

    La physique quantique a, en outre, ceci doriginal

    quelle ne se fonde pas seulement sur un formalisme, cest-

    -dire sur un ensemble de concepts mathmatiques et

    dquations. Elle requiert galement ce que lon appelle uneinterprtation physique. Ds 1927, alors que la physique

    quantique formelle vient tout juste dapparatre, on

    commence dj se soucier de son interprtation. On

    essaie de comprendre en quoi elle consiste, on prcise les

    rgles selon lesquelles il convient de lutiliser et, de faonplus marginale, on sinterroge sur le type de discours

    concernant la ralit physique quelle autorise ou interdit.

    Ce point-l est tout fait singulier : jamais une autre

    science navait ce point exig une autre science spcifique,

    linterprtation, pour pouvoir tre comprise et applique.

    Cest certainement cause de cette particularit que la

    physique quantique a gard en son sein un certain nombre

    de tensions internes propos du lien entre le formel et le

    rel, entre le virtuel et lactuel, entre le possible et leffectif,entre le hasard et le dtermin. De par sa structure mme,

    elle interroge la relation entre le monde et sa repr-

    sentation.

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    Dans les thories physiques antrieures, on navait

    gure besoin dune interprtation trs sophistique, car la

    forme mathmatique des grandeurs physiques tait directe-

    ment imbrique dans les relations qui donnaient le

    contenu physique de la thorie. Les mathmatiques contri-

    buaient plutt clairer notre vision des choses, en prci-

    sant des images que nous avions au pralable lesprit. Par

    exemple, le concept de coordonnes venait prciser ce que

    nous entendions par position. Globalement, loutil tho-

    rique restait en correspondance avec lintuition. Ce confort

    intellectuel tait encore augment par le fait que la physique

    classique avait un engagement ontologique fort propos

    des proprits des systmes physiques : tout systme, elle

    attachait des proprits qui appartenaient en propre cesystme. Cette conception avait germ ds la naissance de la

    physique moderne, notamment dans lesprit de Galile, qui

    croyait ce que lon appelle le ralisme des accidents :

    les proprits contingentes des choses, leurs accidents

    comme leurs formes, leurs positions, leurs vitesses (ce

    quon appelle aujourdhui leurs proprits dynamiques)

    sont considrs comme rels, cest--dire comme indpen-

    dants de notre connaissance et de nos reprsentations. Cette

    conception avait comme corollaire la contrafactualit : sitelle ou telle proposition portant sur tel ou tel objet est vraie lorsque lon pense elle en association avec un dis-

    positif de mesure permettant de la vrifier, elle doit ltre

    aussi en labsence du dispositif ou en la prsence dun autre,

    dvolu une autre fonction. Dans ce contexte, on conoit

    que linterprtation du formalisme classique pouvait tre

    minimale et presque directe : elle revenait dire que toute

    grandeur de la thorie avait une contrepartie dans la ralit

    physique, que cette grandeur fut mesure ou non. Avec laphysique quantique, les choses se rvlrent bien diff-

    rentes, car son formalisme, pris au pied de la lettre, est

    dpourvu de signification. Il exige donc des rgles sman-

    tiques externes lui-mme pour tre mis en correspon-

    dance avec les donnes empiriques 4.

    Le problme de la mesure en physique quantique

    La vritable rupture quimpose la physique quan-

    tique concerne la faon de reprsenter les systmes

    physiques. Ceux-ci, quelle que soit leur nature, sont repr-

    4. Dire que ces rglessmantiques sont externesau formalisme lui-mme,cest peut-tre trop savan-cer, car la question restepose de savoir si linter-prtation doit tre unesous-thorie lintrieurmme de la thorie quan-

    tique, comme certainsphysiciens le pensent, ousi elle doit consister enun commentaire inspirde considrations phi-losophiques pralables,comme le pensaient cer-tains des pres fondateursde la physique quantique.

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    sents dans son formalisme par des entits mathmatiques,

    les vecteurs dtat , qui ont la proprit de pouvoir

    sajouter entre eux : la somme de deux tats possibles dun

    systme physique est encore un tat possible du systme.

    Ce principe fondamental, appel principe de superposi-

    tion, constitue la base du formalisme quantique. Il est

    lorigine de sa remarquable efficacit, mais aussi de la

    difficult quil y a donner delle une interprtation claire.

    Les pres fondateurs de la physique quantique ne sy sont

    pas tromps, notamment Albert Einstein, Niels Bohr,

    Wolfgang Pauli, Erwin Schrdinger ou Werner Heisenberg,

    qui ont demble peru quelle soulevait des problmes

    philosophiques originaux. Cest essentiellement autour

    du problme de la mesure que les dbats se sont cristalli-ss. Classiquement, toute mesure est cense tre la fois

    neutre et, au moins en principe, fidle. Elle enregistre

    objectivement quelque chose qui est dj l , sans

    aucunement le perturber. En ce sens, elle naurait quun

    rapport passif avec le rel, oprant sur lui une sorte de

    dcalque. La physique quantique a oblig reconsidrer

    cette prtendue neutralit de lopration de mesure. Voyons

    comment.

    Un systme physique, par exemple une particule, se

    dfinit dabord par un certain nombre de caractristiques,

    qui sont exactement les mmes pour tous les systmes du

    mme type. Cest ainsi que tous les lectrons ont rigoureu-

    sement la mme masse et la mme charge lectrique. Mais,

    en plus de ces caractristiques universelles, les lectrons se

    voient attribuer des quantits (telle la position ou la

    vitesse) qui, elles, peuvent varier dun lectron lautre.

    Lensemble de ces proprits forment en physique classiquece que lon appelle ltat de la particule. Ce concept dtat,

    dfini ici pour une simple particule, peut tre gnralis

    tous les systmes physiques.

    Une neutralit reconsidrer

    La physique quantique, comme nous lavons dit,

    reprsente ltat dun systme par un vecteur dtat soumisau principe de superposition : si a et b sont deux tats pos-sibles du systme physique considr, alors ltat (a + b)est lui aussi un tat possible de ce systme. Imaginons une

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    particule lmentaire, par exemple un lectron, susceptible

    dexister dans deux tats diffrents, auxquels nous faisons

    correspondre les vecteurs dtat a et b respectivement. Cesvecteurs dtat spcifient ltat interne de la particule, par

    exemple son tat despin (qui est une proprit interne desparticules, analogue mais non identique au concept de

    rotation sur soi-mme). Supposons : si la particule est dans

    ltat a, toute mesure de son tat interne donnera commersultat +1 ; si elle est dans ltat b, la mme mesure don-nera comme rsultat-1.

    En vertu du principe de superposition, la particule

    en question peut aussi bien tre mise (ou se trouver) dans

    ltat (a + b). Quel sera, dans ce cas, le rsultat dune

    mesure faite sur le systme? On pourrait de prime abordconsidrer que ltat (a + b) est un mlange ou une coexis-tence des tats a et b. Ds lors, une mesure faite sur la parti-cule donnerait un rsultat nul, cest--dire gal la

    moyenne de ce que lon obtient lorsque la particule est

    dans ltat a (en loccurrence +1) et de ce que lon obtientlorsquelle est dans ltat b (en loccurrence -1). Mais cetteconclusion htive se rvle fausse : la superposition de

    deux tats na rien dun mlange de ces deux tats. La phy-

    sique quantique dit simplement que si lon fait la mesuresur une particule dans ltat (a + b), alors on a une chancesur deux dobtenir le rsultat +1, et une chance sur deuxdobtenir le rsultat -1. La physique quantique noffre doncrien de mieux que des probabilits. Dune faon gnrale,

    elle indique seulement que si lon fait tel ou tel type de

    mesure, on aura telle ou telle probabilit dobtenir tel ou

    tel rsultat. Mais, tant que la mesure nest pas faite, la

    grandeur cense quantifier la proprit physique dont il est

    question nest pas strictement dfinie, du moins si levecteur dtat de la particule est la somme de plusieurs

    tats.

    Juste avant la mesure, la particule tait reprsente

    par son vecteur dtat (a + b). Si la mesure donne commersultat +1, alors il faut admettre que, aussitt aprs cettemesure, le vecteur dtat de la particule est devenu a, ce qui

    veut dire que, ds lors, la valeur de sa proprit interne est

    bien dfinie. La superposition quantique a donc tdtruite par lopration de mesure. La reprsentation

    mathmatique de la particule a t modifie : dune

    somme de deux termes (a + b), elle est passe un seul

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    terme (en loccurrence a). La mesure a en quelque sorteoblig le vecteur dtat perdre lun de ses termes. On dit

    quil y a eu rduction du paquet dondes . Cette rgle

    simple tablit une liaison entre lespace abstrait, o vo-

    luent les vecteurs dtat, et lespace physique ordinaire, o

    lon observe les phnomnes.

    Si cest lautre alternative qui se ralise, cest--dire si

    le rsultat de la mesure est -1, alors le vecteur dtat de laparticule aussitt aprs la mesure est b. L encore, il y auraeu rduction du paquet donde. Le vecteur dtat davant la

    mesure permet donc de connatre a priori les diffrentsrsultats de mesure possibles (et aussi la probabilit de

    chacun deux). Il renferme toutes les potentialits du sys-tme, dont une seule sactualise de faon alatoire!

    lors dune exprience donne. Le dterminisme classique

    doit, en loccurrence, tre abandonn.

    Si cest le rsultat +1 qui est obtenu, correspondantau vecteur dtat a, la tentation est grande et mme irr-sistible dimaginer que le vecteur dtat tait dj a dsavant la mesure, celle-ci nayant fait que rvler une situa-

    tion dj existante ou enregistrer un tat de fait. Mais silon se forme une telle image des choses, on tombe sur des

    contradictions qui se sont rvles indpassables 5. En

    consquence, on ne peut plus affirmer que la particule que

    lon dtecte dans un tat donn se trouvait dj dans cet

    tat juste avant la mesure, et donc quelle possdait la

    proprit mesure indpendamment de lopration de

    mesure. Il faut admettre que, lorsquune particule est

    reprsente par le vecteur dtat (a + b), ses proprits

    physiques sont indtermines dans la mesure o lon nepeut pas leur attribuer une valeur bien dfinie qui soit cer-

    taine. Le vecteur dtat davant la mesure contient seule-

    ment toutes les possibilits du systme, sans donner

    davantage que la probabilit que telle ou telle valeur soit

    slectionne au hasard. Ds lors, comment parler des parti-

    cules comme de choses en soi sil faut faire des mesures

    sur elles pour que leurs proprits soient bien dfinies? A-

    t-on encore le droit de leur attribuer une ralit physique

    autonome, indpendante de linstrument dobservation?Le problme de la mesure en physique quantique incite

    sinterroger propos de ce que lon entend au juste

    par ralit.

    5. Pour en savoir plus,voir Etienne Klein, LaPhysique quantique, Flam-marion, coll. Dominos,1998.

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    Les interprtations traditionnelles

    de la physique quantique

    Il y eut toujours deux tendances principales dans

    linterprtation de la physique quantique, sous les gides

    respectives de Bohr et de Einstein. Il semble quon puisse

    essentiellement rduire leur opposition une divergence

    sur une unique question : la physique quantique est-elle

    complte? Le vecteur dtat dit-il tout ce quil est possible

    de savoir propos dun systme, ou bien lui manque-t-il

    quelque chose? Si la physique quantique est incomplte,

    alors il faut chercher dautres principes, plus profonds que

    ceux de la physique quantique, et qui, eux, permettront deconstruire une thorie vraiment complte (et peut-tre

    dterministe). Si, au contraire, la thorie est complte, alors

    il faut vraiment creuser la question de linterprtation et en

    trouver une qui soit, si possible, incontestable. Si la plupart

    des autres questions controverses se rapportent celle de la

    compltude, cest parce que les attributs que lon accordera

    au rel ne seront pas les mmes, selon que la physique

    quantique est considre comme complte ou incomplte.

    Parmi ces questions controverses, certaines sont

    dordre technique. Quelle est la correspondance entre le

    monde quantique et le monde classique? Comment conci-

    lier le probabilisme quantique et le dterminisme clas-

    sique ? Les quations de la physique quantique impliquent

    une prsence universelle dtats superposs, donc des effets

    dinterfrences. On ne voit pas ces effets dinterfrences au

    niveau macroscopique. Comment lever cette contradic-

    tion? Ces questions techniques peuvent tre sublimes enquestions authentiquement philosophiques. Quel est le

    rle de lobservateur dans lapprhension du rel ? Que

    peut-on dire de la ralit non observe? Quelle est la part

    de rel qui nous est accessible?

    Lapprhension du rel

    Les diverses rponses qui leur ont t proposesentre 1930 et 1960 se rpartissent schmatiquement en un

    petit nombre de catgories. La premire attitude, dite posi-

    tiviste, est celle dfendue par les tenants de lEcole dite de

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    Copenhague (Niels Bohr tait danois). Ces derniers, essen-

    tiellement Heisenberg, Bohr et Pauli, dfendent lide que

    le mot ralit na pas de sens en lui-mme. Ils refusent

    donc daborder les discussions propos du rel sous pr-

    texte quelles seraient immanquablement vaines. La phy-

    sique quantique est efficace et, selon eux, cest le maximum

    que lon puisse lui demander. Elle na pas revendiquer

    une porte cognitive plus profonde.

    La deuxime attitude relve de ce quon pourrait

    appeler un malaise constructif. Pour un certain nombre de

    physiciens, lembarras philosophique dans lequel nous

    plonge la physique quantique est le signe quelle nest

    quune thorie approche. Le problme de la mesure, larduction du paquet dondes, le renoncement au dtermi-

    nisme strict sont pour eux autant de pilules difficiles ava-

    ler. Daprs ces physiciens, la seule solution consiste

    modifier la thorie quantique elle-mme. Leurs contre-

    propositions ventuelles doivent relever un redoutable

    dfi : faire aussi bien que le formalisme quantique qui, du

    point de vue des rsultats quil permet datteindre, fonc-

    tionne parfaitement, mais avec des fondements diffrents

    de ceux quutilise ce formalisme. La gageure est de taille,surtout depuis quil a t tabli, dans les annes 1980,

    quon ne peut plus esprer remplacer la physique quan-

    tique par une thorie qui la complterait par ladjonction

    de variables caches locales qui permettraient de restau-

    rer le dterminisme classique.

    La troisime raction consiste proposer une autre

    lecture de la physique quantique. Certains physiciens

    acceptent tel quel le formalisme quantique, mais contes-tent linterprtation de Copenhague, juge trop minima-

    liste ou trop timide. Eugne Wigner, par exemple, a

    prtendu, en 1962, que la rduction du paquet dondes

    lors dune mesure obligeait admettre une influence active

    de la conscience sur la ralit physique. De mme quun

    pav lanc sur un crne non casqu peut modifier ses tats

    de conscience, Wigner imagine que, au nom du principe

    de lgalit de laction et de la raction, la conscience peut

    en retour agir sur la matire. Le problme de cette thsespiritualiste, qui fut toujours juge farfelue par la majorit

    des physiciens, est quelle reste trs vague. Il lui manque,

    notamment, une thorie srieuse de la conscience.

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    Une autre ide dinterprtation, au moins aussi

    trange, a t dveloppe par quelques physiciens verss

    dans la cosmologie : cest celle des univers parallles. On

    en doit la premire version Hugh Everett, qui la proposa

    en 1957. Lors dune mesure pouvant a priori donner deuxrsultats diffrents, il y aurait division de lensemble que

    constituent lappareil de mesure et lobjet mesur en deux

    ensembles (en fait, cration de deux univers parallles),

    lun o le premier rsultat est ralis, lautre o cest le

    second. Tous les rsultats possibles dune mesure seraient

    donc simultanment raliss, au prix dune duplication

    concomitante de lunivers. Cette thorie parat extrava-

    gante, mais il est aussi difficile de la rfuter que dy sous-

    crire. Retenons seulement quelle a t conue dans le seulbut dapporter une rponse au problme de la mesure en

    physique quantique, ce qui illustre lembarras dans lequel

    ce problme a pu mettre certains esprits.

    Lapproche contemporaine

    Ces dernires annes, de nouvelles approches ont

    t rendues possibles, grce deux phnomnes. Dabord,on bnficie depuis une soixantaine dannes de la lente

    dcantation des concepts quantiques. Le dbat initial avait

    sans doute t trop marqu par les prises de position des

    pres fondateurs de la physique quantique, qui lavaient

    peut-tre trop rapidement encart dans des systmes

    philosophiques prexistants. Or, comme la crit Roland

    Omns, on est sans doute plus fidle leur esprit en

    rafrachissant leurs dires quon ne lest en les prenni-

    sant6 . Dautre part, la frontire floue qui spare le quan-tique du classique a cess dtre un no mans landexprimental. Par exemple, des chercheurs ont essay de

    montrer que la rduction du paquet dondes, loin dtre

    une recette transcendante venue dailleurs, relve en fait

    dun mcanisme que la physique peut dcrire elle-mme.

    Cest en tout cas ce quindique la thorie dite de la dcoh-

    rence. Cette thorie tente dexpliquer pourquoi les objets

    macroscopiques ont un comportement classique, tandis

    que les objets microscopiques, atomes et autres particules,ont un comportement quantique. Elle fait intervenir

    lenvironnement , constitu de tout ce qui baigne les

    objets, par exemple lair dans lequel ils se propagent ou, si

    6. Roland Omns, Com-prendre la mcanique quan-tique, EDP-Sciences, 2000,p. 7.

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  • 7/22/2019 la physique quantique et ses interprtations

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    lon fait le vide, le rayonnement ambiant. Cest linteraction

    avec leur environnement qui fait trs rapidement perdre

    aux objets macroscopiques leurs proprits quantiques.

    Lenvironnement agit, en somme, comme un observateur

    qui mesure les systmes en permanence, ce qui limine

    toutes les superpositions lchelle macroscopique. Ce

    processus de dcohrence a pu tre saisi au vol : plusieurs

    expriences rcentes ont permis dexplorer, pour la pre-

    mire fois, la transition entre comportements quantique et

    classique. On commence ainsi comprendre comment la

    dcohrence peut protger le caractre classique du monde

    macroscopique.

    Un sicle aprs la confrence de Max Planck, les pro-

    blmes de fond poss par Bohr, Heisenberg, Einstein,

    Schrdinger ou Pauli restent dactualit, mais on dispose

    pour les traiter de davantage de rsultats et darguments.

    Plusieurs systmes pistmologiques essaient dintgrer ces

    nouvelles donnes. On pourrait voquer la thse du rel

    voil de Bernard dEspagnat7, le solipsisme convivial de

    Herv Zwirn8

    , le ralisme physique de Michel Paty9

    ; et, defaon plus diffuse, le ralisme ouvert, lantiralisme, lempi-

    risme, loprationnalisme, le phnomnalisme ; enfin,

    lidalisme, lui-mme divis en idalisme radical et ida-

    lisme modr, les deux pouvant tre plus ou moins kan-

    tiens... Ce pluralisme peut sembler encombrant, mais il a

    au moins lavantage dtre plus fcond que les glaciations

    doctrinales ou les crispations idologiques. Il faut simple-

    ment souhaiter que les partisans dun ralisme fort nri-

    gent pas en dogme absolu le principe selon lequel le relserait totalement intelligible et, pour faire bonne mesure,

    que les positivistes radicaux ne condamnent pas lide que

    cela a un sens de se proccuper du rel, sous prtexte que

    cette ide serait bassement mtaphysique.

    ETIENNE KLEIN

    Physicien au CEA

    7. Bernard dEspagnat, LeRel voil, Fayard, 1994.

    8. Herv Zwirn, LesLimites de la connaissance,Odile Jacob, 2000.

    9. Michel Paty, Interprta-tions et significations enphysique quantique, in Lamcanique quantique ,Revue Internationale dePhilosophie, n 2/2000,juin 2000, p. 199-242.

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