la photogrammétrie au service de la justice : mesures...

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Introduction Le 21 septembre 2001, un dépôt d’en- viron 350 tonnes de nitrates, situé dans le bâtiment 221 de l’usine AZF à Toulouse, détonait en formant un cratère de 75 mètres de long, 57 mètres de large et 7 mètres de profondeur, avec un nombre de victimes et des dégâts considérables. Dans le cadre de l’enquête judiciaire, les services d’un géomètre expert ont été très rapidement requis pour établir le relevé du cratère. Le 22 septembre au soir, les premières mesures ont été réalisées. Des travaux complémen- taires ont été menés deux jours plus tard et les résultats finaux remis à la police judiciaire le 26 septembre 2001. Malgré la célérité avec laquelle furent menés ces travaux, aucun dossier technique, aucun rapport, aucune donnée numérique ne furent versés au dossier pénal avant la fin de l’in- struction judicaire. Initialement, Seul un schéma des relevés avait été mis à la disposition de la justice. Après de nombreuses demandes de la part de la défense, une partie des données numériques fut enfin accessible plus de cinq ans après les événements. Ces données numériques firent alors l’objet d’une analyse détaillée. Les photographiques et vidéo, et il était impératif d’utiliser des clichés pris juste après l’explosion. Dans ces conditions, les traitements photogrammétriques les plus inno- vants ont été appliqués à l’ensemble de trois jeux de documents sélec- tionnés (un seul étant destiné à cet usage), afin de reconstituer la géométrie du cratère immédiatement après sa formation. Les résultats d’une précision remarquable ont permis d’établir une cartographie fine et une description du cratère, qui est ainsi devenue une des pièces principales du dossier. Choix des images Dès le 22 Septembre 2001, le lende- main de la catastrophe, les eaux des nappes phréatiques ont déjà inondé le fond du cratère. Ainsi, lorsque le géomètre expert requis pour les besoins de l’enquête judiciaire inter- vient pour réaliser sa campagne de relevés (le 22 au soir), il est déjà trop tard pour observer le cratère dans son état initial. Toutefois, l’instruction judi- ciaire avait à disposition un reportage photographique et un film datant du jour de l’explosion. L’ensemble de ces données a fait l’objet d’une analyse poussée afin de réaliser un traitement photogrammétrique. Les toutes premières images dispo- nibles sont issues du film réalisé par la gendarmerie depuis un hélicoptère environ 45 minutes après l’explosion. Peu après, un reportage photographique a été réalisé, avec une série de clichés pris depuis le versant nord du cratère. Il est clair qu’aucune disposition particu- lière n’a été prise au moment de Revue XYZ • N° 122 – 1 er trimestre 2010 31 relevés furent superposés aux photo- graphies aériennes géoréférencées prises six jours après l’explosion par la société Aeroscan pour le compte de la Mairie de Toulouse. Cette analyse montrait que les relevés présentaient des écarts de calage planimétrique et altimétrique de l’ordre de 2 à 3 mètres. Par ailleurs, certaines zones du cratère, notamment ses flancs, avaient été insuffisamment couvertes par les relevés topographiques. Enfin, certaines questions restaient sans réponse, à savoir quand et comment le fond du cratère avait été cartographié alors qu’il avait été submergé par le retour des eaux de la nappe phréatique dès le soir même de l’explosion : les méthodes employées par le géomètre expert pour cartographier ce fond avaient-elle permis d’atteindre un résultat adéquat ? Le cratère d’origine ayant été complète- ment remanié par les phénomènes naturels (tassements, pluies, nappe phréatique) et par les travaux liés à l’en- quête, il était devenu sans objet de réaliser de nouvelles mesures sur le terrain. Devant ce constat, une nouvelle voie s’est imposée pour essayer de reconstituer la morphologie du cratère original : la photogrammétrie numé- rique qui viendrait s’appuyer sur un certain nombre de documents TOPOMÉTRIE La photogrammétrie au service de la justice : mesures géométriques du cratère de l’explosion AZF Michel KASSER - Jean Baptiste MONNERIE - Laurent DELGADO - Daniel ROBERT Une série de travaux photogrammétriques très performants a été effectuée sur le cratère qui s’est formé lors de l’explosion de l’usine AZF le 21 septembre 2001, à Toulouse. Ces travaux montrent comment il est possible de tirer parti d’images d’origines extrêmement hétérogènes, tant en matière d’échelle que de qualité métrique et de dates d’acquisition. Ceci a permis de constituer un lever très détaillé du cratère correspondant aux premières heures après l’explosion, avant que sa géométrie ne soit complètement bouleversée par les phénomènes naturels et les nombreux travaux entrepris le jour même. MOTS-CLÉS Photogrammétrie, videogrammétrie, cratère d’explosion. q

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Page 1: La photogrammétrie au service de la justice : mesures ...michel.kasser.free.fr/XYZ_122-AZF-BAT1.pdf · (distance principale) maximum. En effet, toute détermination classique

IntroductionLe 21 septembre 2001, un dépôt d’en-viron 350 tonnes de nitrates, situé dansle bâtiment 221 de l’usine AZF àToulouse, détonait en formant uncratère de 75 mètres de long,57 mètres de large et 7 mètres deprofondeur, avec un nombre devictimes et des dégâts considérables.

Dans le cadre de l’enquête judiciaire,les services d’un géomètre expert ontété très rapidement requis pour établirle relevé du cratère. Le 22 septembreau soir, les premières mesures ont étéréalisées. Des travaux complémen-taires ont été menés deux jours plustard et les résultats finaux remis à lapolice judiciaire le 26 septembre 2001.Malgré la célérité avec laquelle furentmenés ces travaux, aucun dossiertechnique, aucun rapport, aucunedonnée numérique ne furent versésau dossier pénal avant la fin de l’in-struction judicaire. Initialement, Seulun schéma des relevés avait été mis àla disposition de la justice. Aprèsde nombreuses demandes de la partde la défense, une partie des donnéesnumériques fut enfin accessible plusde cinq ans après les événements.

Ces données numériques firent alorsl’objet d’une analyse détaillée. Les

photographiques et vidéo, et il étaitimpératif d’utiliser des clichés pris justeaprès l’explosion.

Dans ces conditions, les traitementsphotogrammétriques les plus inno-vants ont été appliqués à l’ensemblede trois jeux de documents sélec-tionnés (un seul étant destiné à cetusage), afin de reconstituer lagéométrie du cratère immédiatementaprès sa formation. Les résultats d’uneprécision remarquable ont permisd’établir une cartographie fine et unedescription du cratère, qui est ainsidevenue une des pièces principales dudossier.

Choix des images

Dès le 22 Septembre 2001, le lende-main de la catastrophe, les eaux desnappes phréatiques ont déjà inondé lefond du cratère. Ainsi, lorsque legéomètre expert requis pour lesbesoins de l’enquête judiciaire inter-vient pour réaliser sa campagne derelevés (le 22 au soir), il est déjà troptard pour observer le cratère dans sonétat initial. Toutefois, l’instruction judi-ciaire avait à disposition un reportagephotographique et un film datant dujour de l’explosion. L’ensemble de cesdonnées a fait l’objet d’une analysepoussée afin de réaliser un traitementphotogrammétrique.

Les toutes premières images dispo-nibles sont issues du film réalisé par lagendarmerie depuis un hélicoptèreenviron 45 minutes après l’explosion.Peu après, un reportage photographiquea été réalisé, avec une série de clichéspris depuis le versant nord du cratère. Ilest clair qu’aucune disposition particu-lière n’a été prise au moment de

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relevés furent superposés aux photo-graphies aériennes géoréférencéesprises six jours après l’explosion par lasociété Aeroscan pour le compte de laMairie de Toulouse. Cette analysemontrait que les relevés présentaientdes écarts de calage planimétrique etaltimétrique de l’ordre de 2 à 3 mètres.Par ailleurs, certaines zones du cratère,notamment ses flancs, avaient étéinsuffisamment couvertes par lesrelevés topographiques. Enfin, certainesquestions restaient sans réponse, àsavoir quand et comment le fond ducratère avait été cartographié alors qu’ilavait été submergé par le retour deseaux de la nappe phréatique dès le soirmême de l’explosion : les méthodesemployées par le géomètre expert pourcartographier ce fond avaient-ellepermis d’atteindre un résultat adéquat ?

Le cratère d’origine ayant été complète-ment remanié par les phénomènesnaturels (tassements, pluies, nappephréatique) et par les travaux liés à l’en-quête, il était devenu sans objet deréaliser de nouvelles mesures sur leterrain. Devant ce constat, une nouvellevoie s’est imposée pour essayer dereconstituer la morphologie du cratèreoriginal : la photogrammétrie numé-rique qui viendrait s’appuyer sur uncertain nombre de documents

TOPOMÉTRIE

La photogrammétrie au servicede la justice : mesures géométriques

du cratère de l’explosion AZFMichel KASSER - Jean Baptiste MONNERIE - Laurent DELGADO - Daniel ROBERT

Une série de travaux photogrammétriques trèsperformants a été effectuée sur le cratère qui s’est formélors de l’explosion de l’usine AZF le 21 septembre 2001,à Toulouse.Ces travaux montrent comment il est possible de tirerparti d’images d’origines extrêmement hétérogènes, tant en matière d’échelleque de qualité métrique et de dates d’acquisition. Ceci a permis de constituerun lever très détaillé du cratère correspondant aux premières heures aprèsl’explosion, avant que sa géométrie ne soit complètement bouleverséepar les phénomènes naturels et les nombreux travaux entrepris le jour même.

MOTS-CLÉSPhotogrammétrie,videogrammétrie,cratère d’explosion.

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l’acquisition de ces données pourpermettre une exploitation métro-logique future.Acemoment, s’exprimaitseulement la volonté de témoigner àtravers la réalité des images.

En complément de ces images prisesle jour même de l’explosion, unetroisième source de données a étéexploitée. Il s’agit d’un reportagephotographique réalisé par les expertsjudiciaires avec un appareil 6 x 6 Rollei-Métric depuis un hélicoptère le8 Octobre 2001. Bien que trèspostérieur à la date de l’explosion, cereportage est précieux compte tenu dela robustesse des données issues dutraitement de ce projet. En effet,contrairement aux deux sourcesprécédemment citées, les imagesRollei-Metric (photos argentiques) ontété réalisées à des fins éventuellesd’exploitation photogrammétrique.Elles nous ont servi de référence dansle cadre de cette étude.

Par ailleurs, la prise de vue aérienneAeroscan du 27 septembre effectuéepar la ville de Toulouse et mentionnéeprécédemment a servi de base pour lamise en référence générale.

Stratégie de traitement

Afin d’estimer au mieux les précisionsintrinsèques aux différents jeux dedonnées, les sources ont étéexploitées de façon indépendante parla société ESIC avec le logiciel dephotogrammétrie industriel MeeX(DCNS-ESIC SN) :1- Film de la gendarmerie depuis héli-coptère

2- Reportage photo du sol depuis leversant nord du cratère

3- Reportage photo Rollei-Métricdepuis hélicoptère.

Compte tenu de la qualité des photos,les données Rollei-Métric ont étéconsidérées comme référence d’unpoint de vue métrologique pour toutesles analyses comparatives. La dernièrephase de traitement, réalisée par l’IGN,a consisté à basculer l’ensemble de nosprojets dans le référentiel Lambert enexploitant les données issues d’un traite-ment photogrammétrique extrêmementsoigné de la prise de vue aérienne

Aeroscan. On arrive ainsi par propaga-tion d’erreur à quantifier les précisionsfinales de positionnement de restitutiondans l’environnement global du site.

Principes générauxdu traitement

MeeX est un logiciel de photogram-métrie à vues convergentes, dont lesapplications premières sont indus-trielles : métrologie, modélisation “telque construit”,... Il permet d’utiliserdifférents types de capteurs, depouvoir intégrer différentes sourcesimages (analogiques, numériques) etde travailler avec des primitivesgéométriques autres que le point(ligne, cylindre, cercle,…), lui permet-tant ainsi de s’adapter à tous types demilieu et en particulier auxmilieux quel’on qualifie d’“hostile”. Le cœur ducode de calcul est basé sur le conceptde l’ajustement de faisceaux, qui déter-mine simultanément :- le sous-vecteur des primitives objets(point, ligne, cylindre, …),- le sous-vecteur des stations (les 6degrés de libertés des capteurs aumoment des prises de vue) ;- le sous-vecteur des paramètresinternes des capteurs (distance prin-cipale, excentrement du point prin-cipal, distorsions optiques,…).

Une des particularités importantes deMeeX est d’être capable de se satisfaireen entrée des images seules, sans autredonnée additionnelle lui permettantd’initier les traitements. Cette particu-larité implique par contre que les traite-ments initiaux soient robustes et quel’auto-calibrage des capteurs soit unerègle, avec la possibilité d’utiliser desmodèles géométriques du plus simple(sténopé) au plus complet (utilisé pourla photogrammétrie industrielle à voca-tion métrologique).

Analyse géométriquedes données sources

Vidéo de la gendarmerie

Le film vidéo a été réalisé depuis unhélicoptère à une distance de l’ordrede 400 m du cratère. L’opérateur adonc utilisé le zoom de sa caméra afin

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TOPOMÉTRIE

de mieux voir le cratère.La démarche a ici été complexe : l’ex-traction d’images numériques à partirdu film vidéo a été effectuée, après unephoto-interprétation du film, permet-tant d’identifier les images à zoom(distance principale) maximum. Eneffet, toute détermination classiquephotogrammétrique s’appuie sur laconservation des paramètres internesdes capteurs utilisés.

Reportage photographiquedu sol

Les informations EXIF (métadonnéesassociées à chaque imagenumérique) contenues dans lesimages originales, nous ont permis deconnaître la focale de l’appareilphotographique numérique utilisé.

Reportage Rollei-Metric

Les images issues des clichés argen-tiques scannées au format 6x6 n’étaientassociées à aucune donnée géomé-trique ; cela est sans conséquences,compte tenu d’une longue expériencepassée dans l’utilisation de ces camérassemi-métriques. L’exploitation bidimen-sionnelle de ces images scannéesdiffère des images numériques,provenant directement du capteur (CCDou CMOS). Par exemple, les coordon-nées des points mesurés dans l’imagesont exprimées dans un référentielimage très différent : unité pixel, originedans le coin en haut à gauche.A contrario, les coordonnées imagesdes points mesurés dans l’imageargentique sont exprimées dans unréférentiel associé à des croix deréseau, obtenues grâce à une plaqueréseau calibrée située en fond dechambre de l’appareil (contre le film)dans la caméra. Tout traitementphotogrammétrique argentique débutedonc par la phase classique d’orienta-tion interne, qui permet de passer descoordonnées pixels aux coordonnéesmétriques associées au référentiel descroix de réseau. Cette transformation(similitude, affine ou homographie, enfonction des déformations du film et duprocédé de scannage) est calculée aprèsla digitalisation automatique de tout oupartie des 121 (11x11) croix de réseauréparties sur le cliché (voir figure 1).

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Les différentes phasesde traitement

L’ajustement de faisceaux requiert desvaleurs initiales des différentsparamètres (distorsion, focale,paramètres d’orientation). Pour lesparamètres internes des capteurs, unevaleur approchée de la distance princi-pale est nécessaire ; a contrario, onpeut parfaitement se contenter devaleurs nulles concernant lesparamètres de distorsion.

La toute première étape consiste doncà déterminer l’orientation relative de 2images choisies préalablement comptetenu de leur intérêt (positions relatives,champs couverts, recouvrement). A cestade du calcul, cette orientation rela-tive (5 degrés de liberté) est déter-minée, à un facteur d’échelle près. Unpremier nuage de points est donc trian-gulé en associant le référentiel objet àl’une des 2 images ou directement aux

appelé “relèvement auto-calibrant”,ayant pour objectif de déterminer ladistance principale en même tempsque la position et l’orientation de lacaméra (donc un total de 7 inconnues).L’objectif était en effet de s’assurer de laqualité de la photo-interprétation desimages à zoom maximum. Les pointstriangulés issus du projet utilisant lereportage Rollei-Métric ont été utilisés,afin d’obtenir la précision maximale.

L’ajustement de faisceaux a étéexécuté très en amont (avec quelquesimages), il permet de déterminer enbloc les 3 sous-vecteurs de paramètreset d’estimer leurs précisions et indica-teurs de fiabilité. Quant à la mise àl’échelle finale du modèle, elle a étéréalisée en intégrant des points decalage ou des distances connues.

Présentationdes différentes données

Reportage photographiquedu solDix sept images du reportage photo ontété exploitées (14 photos prises le 21/09et 3 prises le 22/09). Ce reportage aoffert l’intérêt d’une double proximité :- proximité temporelle : photos prisesle jour ou le lendemain de l’explosion.- proximité spatiale : photos prises aubord du cratère.Pourtant l’exploitation photogram-métrique de ce reportage n’était pasgarantie. En effet, il présentait deuxdifficultés : (1) L’appareil photo utilisén’est évidemment pas dédié auxapplications métrologiques. (2) Lesprises de vue ont été faites du mêmecoté du cratère (versant nord) : cen’est pas un contexte favorable enphotogrammétrie terrestre où il estpréférable d’avoir à disposition desimages de la scène prises sur 360degrés. De plus, compte tenu de cetteconfiguration de prises de vues, lacouverture photo du cratère n’est pasexhaustive (zones non couvertes surle flanc nord). L’illustration ci-dessousmontre où le photographe s’est posi-tionné (cf. figure 2).

Le traitement photogrammétrique s’estnéanmoins révélé possible avec l’obten-tion de bons résultats. Les incertitudescalculées à 3 sigma (probabilité à 99%)

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points triangulés. La suite consiste àétendre le processus sur toute l’em-prise géométrique de la scène à traiter,grâce à des relèvements de nouvellesimages ou des triangulations denouvelles primitives géométriques.Ces traitements élémentaires (relève-ment, triangulation) doivent êtrerobustes et donc capables d’identifiersans ambigüité toutes fautes d’identifi-cation de points, qui peuvent êtrenécessairement nombreuses dans cetype de chantier où aucun balisage n’aété fait. Il convient d’ailleurs de noterque dans MeeX, l’opérateur est assistélors des phases de digitalisation sur lesimages par un calcul de prédiction (pré-positionnement automatique ducurseur souris). Outre le gain de tempsobtenu grâce à ce procédé, cela permetde minimiser grandement le nombrede fautes d’identification.

Les images issues du film vidéo ont faitl’objet d’un traitement particulier,

Figure 1. Une des images Rollei-Metric, disposant d’un auto-étalonnage très précis. Deuxdes croisillons sont entourés en rouge.

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sur les 442 points mesurés sont enmoyenne de +/- 50mm, ce qui est trèssatisfaisant. Les photos suivantes issuesdu reportage illustrent la densité depoints mesurés à la surface du cratère,ainsi que leur nature (cf. figure 3).

Film de la gendarmerie

Laméthode d’exploitation des donnéesvidéo ne diffère pas de celle appliquéeaux reportages photos. Seule unephase préalable de sélection et d’ex-traction d’images issues du film estnécessaire. Les images sont extraitessuivant les trois critères suivants :- Netteté et qualité de l’image.- Position de l’hélicoptère au momentde la prise de vue.- Prises de vues à focale maximum(zoom maxi)L’illustration suivante montre la locali-sation de l’hélicoptère par rapport aucratère pour les images exploitées (cf.figure 4).

Dix images satisfaisant ces critères ontété extraites de la bande vidéo. Lesincertitudes déterminées à 3 sigma surles 36 points déterminés à l’issue ducalcul d’ajustement de faisceaux finalsont de l’ordre de +/- 500 mm, ce quireprésente un excellent résultat.

Photos Rollei-Metric

Contrairement aux deux sourcesprécédentes, la vocation première desphotos Rollei Métric du 8 octobre 2001,était d’ordre métrologique. La configu-ration de prises de vues est ici idéale etla couverture photo du cratère estcomplète. Les photographies sont enoutre de bonne qualité.L’intérêt de ces images ne se situe pasici au niveau de leur capacité de resti-tution de données, car les imagesdatant du 8 octobre 2001, et sont donctrès largement postérieures à l’explo-sion. La physionomie de la scène n’estplus celle d’origine, et le fond du

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cratère est inondé. L’intérêt de ce jeu dedonnées se situe au niveau de sarobustesse métrologique, et a trèslogiquement servi de référence pourqualifier et estimer la précision de resti-tution des autres données intégréesdans cette excellente ossaturegéométrique. Le seul problème restantà traiter a été alors de correctementidentifier des points naturels permet-tant l’intégration des différentesdonnées de façon fiable. L’illustrationsuivante montre la localisation de l’ap-pareil photo par rapport au cratère pourles images exploitées (cf. figure 5).

Dix neuf images issues du reportageont été exploitées. A l’issue du calculfinal, les incertitudes déterminées à 3sigma sur les 107 points mesurés sontde l’ordre de +/- 100 mm, ce qui n’estque deux fois supérieur à celles dureportage photographique depuis lesol, alors que le rapport d’échelle entreles deux projets est environ de 10 (alti-tude de l’hélicoptère 120 m par rapport

Figure 3. Exemple de points naturels identifiés et levés sur deux des images exploitées.

Figure 4. Schéma présentant les positionssuccessives de la caméra pour les imagesexploitées ici, issues de la vidéo de lagendarmerie prise en hélicoptère.

Figure 5. Schéma présentant les positionssuccessives de la caméra lors du leverRollei-Metric.

TOPOMÉTRIE

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Figure 2. Schéma présentant les positionssuccessives de la caméra lorsdes reportages photographiquesexploités, les 21 et 22 septembre.

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au sol). Les localisations des troisprises de vues du projet donnent lerésultat graphique suivant (cf. figure 6).

Ajustement sur les donnéesRollei-Metric

Les ajustements entre les données dureportage photo du sol et du film de lagendarmerie sur les données Rollei-Metric sont très intéressants car ilsservent quantifier et à valider la qualitéet la cohérence des modèles parrapport à la référence choisie (projetRollei-Metric). Ils permettent égale-ment d’apprécier la précision absoluedu traitement photogrammétrique.

L’ajustement de l’ensemble desparamètres permettant de passerd’un système de coordonnées à unautre (similitude spatiale) est effectué.Celui-ci n’est évidemment réalisablequ’en exploitant les points communsaux trois projets. Les écarts dedistance entre points identiquesdéterminés après calculs des simili-tudes peuvent être estimés commeétant représentatifs de la qualité et dela précision de restitution.

Ajustement du reportagephotographique au solsur le reportage Rollei-Metric

Le calcul de la transformation permet-tant l’ajustement des points 3D issus dutraitement du projet photographiquesur le projet Rollei-Metric donne uneerreur moyenne quadratique (emq) del’ordre de 140 mm. Sur ce constat, il aété décidé de fusionner ces deux jeuxde données complémentaires, l’undonnant le fond du cratère et l’autre,ses alentours (cf. figure 7), afin de

emq qui sont de l’ordre de 500 mm(pour une dizaine de points).

Traitement des donnéesAeroscan par l’IGN

Afin de basculer l’ensemble de cesdonnées dans le référentiel Lambert,l’IGNa extrait, à partir du couple stéréo-scopique aérien réalisé pour le comptede la mairie de Toulouse en 2001, lescoordonnées tridimensionnelles dedétails de la scène préalablement

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disposer d’un modèle numérique del’ensemble du cratère (les zones rele-vant des 2 projets restant cependantclairement identifiables).

Ajustement des donnéesdu film de la gendarmeriesur la mission Rollei-MetricLe calcul de la transformation permet-tant l’ajustement des points issus dutraitement du film de la gendarmeriesur le projet Rollei-Metric donne des q

Figure 6. Schéma présentant les positionssuccessives de caméras lors des troisprises de vues utilisées.

Figure 7. Fusion des deux jeux de données : la zone en vert relève du traitementde reportage photo au sol, la zone en bleu relève du traitement Rollei-Metric.

Figure 8. Localisation des points d’appui utilisés pour la mise en référence.

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d’images à l’aide de mesures depoints d’appui réalisées en stéréo, etde calcul de l’aérotriangulation grâceaux coordonnées des points terrainsfournis.

L’identification de ces points terrain aété possible en utilisant l’orthopho-tographie de la zone. Ce calcul a permisde positionner les images dans lesystème géodésique ancien NTF -Lambert 3. Ce positionnement absolu,dépendant essentiellement de la préci-sion des points d’appuis, assez difficileà qualifier, est estimé dans l’intervalle50 cm - 1 mètre.

Ces grilles de localisation ont ensuiteété utilisées avec le logiciel GeoViewpour la restitution de la zone ducratère (cf. figure 9). Pour répondre àla demande, un levé des formes carac-téristiques de la zone a été effectué,avec des courbes de niveaux pour lamorphologie du cratère et d’unensemble de points côtés. Pourfournir une référence géométriqueaux travaux 3D réalisés par la sociétéESIC, ce levé a été complété par unesaisie d’éléments caractéristiques dela zone. La précision estimée de ceslevés est de l’ordre de 30 cm, leproduit final de cette opération est unensemble de fichiers 3D (figure 9).

Le produit final de cette opération estun ensemble de fichiers 3D décrivant àl’aide de lignes caractéristiques et depoints côtés, la forme de la zone ducratère.

Ajustement des données issuesdu reportage photographique dusol et du reportage Rollei-Metricsur les données IGN

Compte tenu de leur complémentarité(et donc de leur segmentationpossible), les données du reportagephoto du sol et celles du reportageRollei-Metric avaient donc été fusion-nées par la société ESIC. Leur ajuste-ment sur les résultats IGN a fait l’objetd’un seul calcul. Il est à préciserqu’avec l’inondation du cratère et de lagrande différence d’échelle entre lesphotos du sol et le couple stéréoaérien, il aurait été vraiment délicatd’identifier d’avantage de détailscommuns entre ces deux projets.

Figure 9. Ensemble de fichiers 3D décrivant à l’aide de lignes caractéristiques etde points identifiables côtés, la forme de la zone levée pour les mesures du cratère.

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q identifiés. Cette identification estreprésentée sur l’image suivante (cf.figure 8 en anaglyphe).

Les données disponibles étaient lessuivantes :- La prise de vue argentique réalisée àla demande de la ville de Toulouse,peu de temps après l’explosion.- Le fichier de calibration de la caméraayant servi à la prise de vue argen-tique.- Une orthophotographie de la zonedatée du 16/09/01.

- Un ensemble de coordonnées depoints terrain.

Le déroulement de l’opération a été lesuivant : Les clichés argentiques de laville de Toulouse ont été scannés, uneéquipe a été chargée de calculer lesgrilles de localisation nécessaires à larestitution avec le logiciel GeoView.Pour obtenir ces grilles, l’équipe del’IGN a calculé l’aérotriangulationassociée aux clichés, selon les étapesclassiques d’orientation interne de lacaméra, de mise en place du couple

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Le calcul de la transformation permet-tant l’ajustement des points issus des 2projets photographiques sur lesdonnées IGN donnent des emq del’ordre de 250 mm (200 mm en plan-imétrie et 300 mm en altimétrie).

Ajustement des donnéesdu film de la gendarmeriesur les données IGN

Les points communs issus des traite-ments du film de la gendarmerie et duprojet IGN sont au nombre de 4. Cechiffre est trop faible pour permettreun calcul de transformation solide(faible redondance). Il a donc étédécidé de partir du modèle issu dutraitement des 2 reportages photos(photos du sol+ Rollei-Metric) exprimédans le référentiel site pour le bascule-ment basculement des données film.En combinant les deux transforma-tions successivement (les 2 reportagesphotos sur les données IGN, puis lefilm gendarmerie sur les 2 reportages),les erreurs à 3 sigma sont de l’ordre de800 mm.

Présentation des résultatscartographiqueset morphologiques -ConclusionsA partir des résultats obtenus, un MNTa été créé. Le modèle 3D obtenu apermis de cartographier de manièredétaillée le cratère AZF juste après l’ex-plosion et de mettre en évidencecertains traits morpho-structurauxessentiels, révélateurs du mécanismede l’explosion. Un bon nombre d’élé-ments objectifs importants ont ainsi puêtre mis en évidence (cf. figure 11).Le fond du cratère qui est l’empreintedirecte de l’explosion, est caractérisépar une ride de 14 mètres de long,7 mètres de large et environ 0,5 à1 mètre de haut par rapport au milieuenvironnant. L’analyse de cette struc-ture montre qu’elle est constituée enréalité de deux pics (“central peak” ou“rebound peak”), sub-circulaires,d’environ 7 mètres de diamètre etétroitement imbriqués l’un l’autre.Ces pics représentent les zones dedétonation maximale probablementsituées au niveau de deux tas de

de l’explosion et le long desquelles ontété observées les arrivées d’eaux.

Quant au flanc Est, il présente despentes bien plus douces, de l’ordre de10 à 15°. La dissymétrie observée entreles flancs internes Est et Ouest ducratère est liée en grande partie auxconditions géotechniques différentesdu sous-sol avec notamment dessables graveleux et argileux à l’Est(cohésion de l’ordre de 20 KPa) et desargiles très raides (de l’ordre de 200KPa) dans la partie occidentale. Il estimportant également de noter quedans cette zone, des glissements deterrain post-explosion (très certaine-ment liés à des phénomènes de liqué-faction) sont observés et viennentadoucir la morphologie de la pente dece flanc.Dans le secteur oriental, la crête quicouronne le cratère est largementéventrée et déformée par desphénomènes tardifs qui donnent aucratère l’aspect si caractéristique de

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nitrates qui ont détoné dans le hangarprincipal.Ce double pic central est entouré parun sillon de 4 à 6 mètres de large etd’environ 0,5 à 1 mètre de profondeur.Cette dépression circulaire, au-delà dufait qu’elle est topographiquementmoins élevée que les pics centraux, estinterprétée comme la zone où l’anglede cisaillement entre l’onde de pres-sion de la détonation et le toit dusubstratum rocheux est atteint(environ 30°) ce qui a facilité unaffouillement des couches géolo-giques indurées sous-jacentes (phasede cratérisation ou d’excavation).

Les flancs internes nord et ouest ducratère sont relativement réguliersavec des pendages de l’ordre de 35 à40°. Le flanc sud présente un pendagedu même ordre mais est interrompudans sa partie médiane par un méplatqui plonge doucement vers l’Est ducratère. Ceméplat est la trace de faillesconcentriques qui se sont créées lors

Figure 10. Représentation en perspective basée sur les levers obtenus,selon deux points de vue différents.

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Page 8: La photogrammétrie au service de la justice : mesures ...michel.kasser.free.fr/XYZ_122-AZF-BAT1.pdf · (distance principale) maximum. En effet, toute détermination classique

cratère égueulé. Ces phénomènestardifs ont contribué à modeler et àadoucir la morphologie de ce flancoriental.

Des phénomènes tardifs équivalentsont été observés sur le flanc externeoccidental du cratère avec notam-ment un large sillon de 29 m de long,3 mètre de large et environ 0,5 à 1mètre de profondeur qui a été creusédans les éjectas de l’explosion. Cettetrace a été longuement interprétéedans la presse comme “la trace noire”liée à des phénomènes divers (élec-tromagnétiques, électriques, etc). Parailleurs, la cartographie précise ducratère a permis de calculer avec unemeilleure précision le volume ducratère. D’après les calculs présentésici, ce volume serait de 7365 m3 aulieu de 8770 m3 comme cela avait étéestimé initialement.Finalement, il est évident que laconnaissance géométrique précise du

cratère était essentielle, voire mêmeindispensable pour la bonnecompréhension des mécanismes decette explosion.Et c’est grâce aux ressources impres-sionnantes apportées par laphotogrammétrie poussée dans sesperformances ultimes que les carac-téristiques géométriques de cecratère, siège de l’énigme, ont pu êtredéfinies de façon rigoureuse, appor-tant ainsi une contribution irrem-plaçable à la justice. �

ContactsMichel KASSERProfesseur des Universités,Directeur de l’École Nationale des SciencesGéographiques (ENSG) à l’[email protected]

Jean-Baptiste MONNERIEIngénieur ESGT, Chargé d’Affaires [email protected]

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Laurent DELGADOIngénieur à l’Institut GéographiqueNational (IGN) - [email protected]

Daniel ROBERTIngénieur géologue-géophysicien à [email protected]

TOPOMÉTRIE

ABSTRACTA set of very effective photogrammetricoperations has been done on the craterformed during the disaster bound tothe AZF explosion on September 21,2001, in Toulouse. These works showhow it is possible to take benefit fromimages of extremely heterogeneousorigins, in terms of scale, of metricquality and of acquisition dates. It hasallowed constituting a very detailedsurvey corresponding to the very firsthours after the explosion, before thegeometry of crater has beencompletely upset by the numerousworks.

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Figure 11. Représentation en courbes de niveau, avec les traits morphologiques principaux.