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LA PERCEPTION DE L'HABITAT

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Jézabelle EKAMBI-SCHMIDT

LA PERCEPTION DE L HABITAT

« encyclopédie universitaire » ÉDITIONS UNIVERSITAIRES 115, rue du Cherche-Midi, Paris 6e

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(c) Editions Universitaires, 1972

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A tous ceux qui m'ont aidée et encouragée au cours de cette recherche vont mes remerciements.

En particulier à vous, Monsieur Moles, qui avez patiemment encouragé, blâmé lorsqu'il le fallait, cor- rigé... dirigé, Messieurs Freund et Tabouret, à vous, Perla, Denise, Marianne, Elisabeth, Bernard, Chris- tian, Rodolphe. Merci.

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PRÉFACE

Dans cette collection, consacrée aux Sciences Sociales, l'ouvrage de Jézabelle Ekambi-Schmidt est l'un des premiers travaux de ce qu'on peut appeler désormais une psychologie de l'environnement, science de la façon dont l'être saisit le monde qui l'entoure, du lieu le plus proche au plus lointain.

En réaction avec l'idée abusivement rationnelle et un monde où l'es- pace est également réparti dans lequel par conséquent, l'entourage de l'être individuel ne possèderait aucune vertu particulière. L'importance attribuée à la perception de ce qui nous entoure : à l'environnement, établit l'idée, plus psychologique, que l'espace n'existe qu'à travers les perceptions que l'individu peut en avoir, qui conditionnent nécessai- rement toutes ses réactions ultérieures. A ce titre, cet espace est loin d'être partout équivalent à lui-même comme voudraient nous l'ensei- gner géographes et géomètres, il possède un point de repère fonda- mental qui le polarise autour de l'être en y constituant une sorte de « Point Ici » et y établit des formes privilégiées à partir de l'emprise plus ou moins grande que celui-ci excerce sur l'espace.

Les travaux de Madame Ekambi-Schmidt, poursuivis à l'Institut de Psychologie Sociale de Strasbourg, participent de cette prise de conscience de l'espace psychologique qui est essentielle à toute struc- turation ultérieure telle que veulent la réaliser les organisateurs ou les marchands d'espace, architectes, promoteurs, constructeurs de toute espèce dont la fonction fondamentale est de découper le volume urbain en tranches comme une quantité et de mettre dans chacune de ces tranches un être vivant individuel équipé de sa famille et de son mobilier, être, qui, lui, va avoir du monde qui Y entoure une perception toute différente, établissant une sorte de contradiction fondamentale que seule la vie quotidienne sera capable de surmonter.

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Ce livre qui résume de nombreuses études empiriques faites par des enquêtes et des expériences devrait donc être un premier outil important pour l'architecte et l'urbaniste qui commencent à se soucier non plus seulement d'un art des volumes ou des masses mais des réactions qui vont peupler ces volumes. Il met en particulier en évidence à l'intérieur de l'habitat : la pièce, l'appartement, l'immeuble, c'est à dire dans les zones proches de l'être, l'importance de l'idée d'emprise évoquée par des sociologues comme Chombart de Lauwe (a la famille, c'est l'en- semble des gens qui vivent à l'abri d'une même clé ») et développée par des psychologues comme Robert Pages. L'emprise exercée par l'homme sur son espace environnant avec les limites juridiques de cette emprise : la porte, le mur mitoyen, la décroissance de celle-ci dans les « zones communes » où s'impose l'idée de partage, de contrat, de co-existence pacifique : le palier, l'escalier, tels sont les principaux axes du présent ouvrage qui analyse sur le terrain, c'est à dire dans les appartements et les familles la façon dont s'articule, se structure cette domination au sein du micro-groupe familial avec les oppositions — parents/enfants, sexe féminin/sexe masculin — niveau de respect/ d'autorité, points de vue fonctionnel et ludique que Madame Ekambi- Schmidt a sû dégager et analyser dans leurs implications et leurs con- tradictions respectives.

La Psychologie est l'étude rationnelle de l'irrationalité de l'Homme. La fonction du psychologue n'est pas de résoudre les contradictions, mais de les énoncer : chaque individu a présent à l'esprit autour de lui une série d'oppositions qui ne sont pas cohérentes les unes par rapport aux autres, il se contredit à chaque instant, mais il existe une sorte de dynamique de ces contradictions. C'est précisément celles-ci que le Psychosociologue doit mettre en évidence s'il veut que l'admi- nistrateur d'espace ou l'architecte les domine.

L'une des méthodes qui ont été les plus fructueuses pour la mise en évidence de ces structures stéréotypées de l'esprit qui gouvernent la moyenne des hommes, leur façon de concevoir leur appartement, leur maison, leurs lieux familiers et familiaux où ils se retrouvent en face d'eux-mêmes et de leur famille, c'est la méthode des associations bien connues de la psychologie profonde et que l'auteur applique sui- vant la forme graphique commode que nous lui avons donné à Stras- bourg et qu'elle a largement contribué à développer, méthode des « Constellations d'Attributs » dans laquelle un item est associé à toute une série d'autres de façon plus ou moins forte, plus ou moins immé- diate, plus ou moins fréquente, donnant lieu dans. l'esprit des êtres à une sorte de structuration statistique du champ des associations : les termes les plus proches, les plus fréquents, les plus évidents se trou- veront donc, dans la constellation d'attributs, se présenter comme les

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plus voisins par rapport à un terme inducteur ; la constellation d'attri- buts n'est qu'une représentation graphique de cette force associative qui régit plus ou moins la pensée irrationnelle de chacun. L'auteur, à la suite d'expérimentations très variées a établi des exemples assez nombreux de ces constellations d'attributs et la simplicité de leur représentation graphique en fait un outil de raisonnement pratique pour l'Architecte. Ainsi, le Psychologue ne s'étonnera pas de découvrir qu'une cuisine doit être à la fois fraîche et chaude, claire et douce, qu'une salle de bain est à la fois publique et privée et que, par consé- quent, la manipulation de ces espaces par l'architecte et le décorateur doit nécessairement être précédée d'une analyse psychologique.

Il y redécouvrira cette opposition fondamentale du public et du privé, qui confine au sacré, et qui émerge tout au long de l'étude. Il apparaît à la lumière de ce travail qu'il s'agit là d'une opposition si enracinée dans les civilisations sédentaires — toutes celles qui s'ins- tallent dans l'espace —, qu'il est illusoire de vouloir y porter atteinte : serait-ce là un de ces noyaux durs de l'homme redécouverts par le psychologue à l'usage du moraliste et sur lesquels aucun système éco- nomique, politique ou policier ne peut véritablement empiéter sans courir le risque de créer un trouble grave qui échapperait à sa maîtrise. C'est là une des questions de fond que pose cette étude objective, basée sur des enquêtes, qui pour s'être exercée principalement en quelques régions de France se trouve d'ores et déjà confirmée par toute une série de travaux effectués par des ethnologues (Mauss), des psychologues (Proshansky), mais aussi des psychiatres (Sivadou), et des économistes (Silbermann). C'est par ces réflexions que cette étude sur l'homme dans sa famille et dans la ville s'intègre dans une « théorie de l'habitat » établie sur l'opposition entre le public et le privé telle qu'elle s'inscrit dans la déclaration des droits de l'homme et telle qu'elle se révèle aussi bien dans le flux de la quotidienneté que dans celui des mass- media.

A braham A. MOLES

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INTRODUCTION

Tout être humain, qu'il soit nomade ou sédentaire, campagnard ou citadin, qu'il appartienne à un pays très développé ou qu'il vive au fond d'une brousse perdue dans un pays non industrialisé, tout être humain s'abrite, se crée un espace personnel, un territoire mobile ou immobile dont il marque les frontières par des limites symboliques, matérialisées par certains objets rituels ou par l'existence de toits et de murs opaques et résistants. Ces limites vont définir un « dedans » et un « dehors », un « chez moi » et un « chez les autres », elles vont isoler thermiquement, protéger des intempéries, mais aussi, protéger de la vue et du bruit, supporter un toit ou un plafond, mais aussi matérialiser « une surface vide à remplir, à décorer ».

En effet, le premier souci de l'homme en créant des frontières symboliques ou réelles à son habitation a été de se protéger contre le « dehors » et tous les dangers qui peuvent en venir du fait d'agents destructeurs naturels ou surnaturels, animaux ou humains.

Actuellement, cette première exigence étant correctement assurée, dans les villes du moins, la fonction seconde : matérialiser « une surface vide à remplir et à décorer » devient primordiale. Dans cette surface intérieure, chacun va être théoriquement libre de se créer un micro-univers personnel ou familial qui tiendra compte de critères pratiques et esthétiques-affectifs.

— pratiques : des meubles ou objets qui répondent à des besoins et habitudes familiaux qui diffèrent selon les aires géographiques et les cultures, mais qui ont une utilisation quasi universelle et dont la gamme ne comprend qu'un nombre limité de catégories.

— esthétiques- affectifs : les éléments que nous venons de citer ne suffisent pas à créer un cadre à la vie quotidienne. Pris en tant

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Echelle logarithmique d'Ekistic

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que tels ce sont des outils impersonnels. Or chaque individu va utiliser ces objets à sa manière et leur donner « un petit cachet personnel ». Il va créer le décor de son environnement privé, et il le fera selon des critères traditionnels relevant du « bon goût » ou bien selon des critères qui lui sont propres et qui relèvent de sa propre créativité et de son sens de l'aménagement de l'espace.

Tout être humain s'abrite, mais est-ce dire qu'il habite ? La création d'un décor serait-elle un critère de définition dans ce domaine ?

Ceci nous entraîne à une suite de questions. Faut-il limiter l'habitation à la surface intérieure déterminée par

les murs qui la limitent ? ou bien l'étendre beaucoup plus largement pour arriver à la limite extrême à une habitation « mondiale » ? Pour notre part, nous avons choisi d'étudier plus précisément certaines sphères de l'environnement de l'homme que nous resituerons dans l'environnement en utilisant comme un tableau à double entrée la matrice ékistique de Doxiadis.

La progression va de la pièce à l'Ecuménopolis. Bien que notre intérêt immédiat se situe au niveau du groupe d'appartements, pré- cisons quelques-uns des termes de cette matrice ; tout d'abord le terme d'Ekistic, qui se réfère à la science de l'environnement et des modes d'habitation humains (network and human settlements).

Celui de continent urbanisé ensuite, qui se réfère aux espaces des pays fortement industrialisés caractérisés par une urbanisation étendue, couvrant l'espace de manière quasi continue.

* Coquilles : (shells) — habitations — services communautaires : écoles, hôpitaux, bibliothèques — centres commerciaux et magasins — immeubles et centres de culture et loisirs (Cette définition accompagne la matrice d'Ekistics de Doxiadis.) ** Maillage : (network) — systèmes de biens publics : eau, énergie, voirie — voies de transport : eau, route, rail, air — moyens de communications : radio, T.V., etc. — moyens d'information et ordinateurs.

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Celui d'Ecuménopolis enfin, utilisé par Doxiadis et que P. Korosec Serfaty définit ainsi dans son travail sur Socialisation et liberté :

« Au-delà de la formation de la Mégalopolis, on peut pré- voir, si les tendances actuelles à l'urbanisation se confirment et continuent,

que la vie urbaine aura un pouvoir d'attraction inégalé ; que les zones peuplées comme les zones très peu occu-

pées, voire non peuplées, seront toutes sous « contrôle » humain, c'est-à-dire que l'homme y a déjà laissé sa trace ou en surveille les processus en vue de son intervention. C'est l'aspect cybernétique du terme « contrôle » ;

que les moyens de communication vont aller se multi- pliant ; et la société affluente fournissant à tous des services et privilèges inconnus jusque-là des classes peu favorisées ;

que les caractères de la vie urbaine ne vont plus être l'apanage de la ville. Au contraire, il semble que nous allions vers une terre uniformément couverte des œuvres humaines, avec des centres plus densément peuplés que d'autres, mais où, de toute façon, les caractères de la vie urbaine seront prédominants, voire les seuls à exister en fait. »

Sur cette matrice, situons le problème de la perception de l'habitat. C'est-à-dire que nous privilégions, dans cette grille des relations de l'homme avec l'environnement, le rapport que l'individu entretient avec son espace proche. Nous choisissons d'observer et d'analyser une de ces « coquilles » par lesquelles l'homme « s'approprie l'espace », telles qu'elles ont été définies par Moles dans son étude sur les « coquil- les de l'homme ».

Si nous situons ces coquilles en partant des coquilles proches vers les coquilles lointaines, nous voyons que le noyau qui va nous intéresser sera constitué par la sphère du geste immédiat définie par A. Moles comme celle qui est « commune au bébé dans son berceau, à l'homme d'affaires vissé à son bureau, au paralytique situé dans son fauteuil : sphère d'extension du geste propre, sphère régissant une théorie du mobilier fonctionnel, où le téléphone, les dossiers, les moyens d'expression sont concentrés dans le mètre cube qui entoure l'individu » ; c'est aussi le micro-espace déterminé par le tapis près de la bibliothèque et de l'électrophone, enfermant le fauteuil préféré du maître de maison dans le halo du lampadaire qui éclaire sa lecture du soir.

La sphère d'appropriation personnelle, l'appartement qui est « coquille individuelle, inviolable, ouverte par une clef, le refuge où

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l'être n'est entouré que par des êtres et des objets familiers sur les- quels il exerce son emprise de maître et possesseur. Ses déplacements y sont étroitement limités, mais sans effort appréciable, sans emploi du temps rigide ; l'être ici colle à sa coquille, c'est une sphère de spontanéité sans effort ». Dans un inventaire des coquilles de l'homme allant de la sphère du geste à « l'espace de projet, la zone de voyage et d'exploration... » en passant par le quartier, la ville et la région, la sphère d'appropriation personnelle est globalement définie comme privée. Nous nous demanderons quant à nous, s'il n'existe pas à l'inté- rieur de cette coquille différents degrés de privatisation (privacy).

Par le biais des espaces communautaires de l'immeuble nous évo- querons les abords de la coquille « en dehors » de la sphère d'appro- priation personnelle. Voici donc situé très sommairement l'objet de notre recherche : l'habitat.

Par habitat nous entendons toutes les formes de maisons, appar- tements, abris servant de sphère d'appropriation personnelle à l'homme. C'est l'environnement immédiat et privé d'un individu ou d'une famille conjugale entendue au sens de Chombart de Lauwe : famille restreinte qui « comprend strictement dans les sociétés monogames, le père, la mère et les enfants », et qui nous servira de référence.

« La famille conjugale est caractérisée alors par les rela- tions entre le père et la mère, entre les parents et les enfants, entre les frères et les sœurs, qui dépendent elles-mêmes des rôles sociaux que chacun de ces membres est amené à jouer dans la vie de chaque jour. »

Nous étudierons un habitat urbain puisque c'est le cadre de vie de la majorité des personnes actuellement en France, et l'habitat d'une population moyenne qui se situerait dans le deuxième tiers d'une pyra- mide des revenus.

Cet habitat est donc un lieu et un cadre et l'habiter est vu comme l'image de cet espace, englobant les actes et les émotions vécues en ce lieu. Par la suite, nous emploierons donc le terme « l'habiter » quand nous parlerons de l'action d'habiter.

Cette sphère d'appropriation qu'est l'habitat est caractérisée par l'opposition entre un aspect dénotatif et l'aspect esthétique.

L'aspect dénotatif sera pour nous réductible à la fonction de l'habi- tat, celle de loger des êtres, de les protéger contre les nuisances natu- relles, matérielles ou humaines, de faire avec des outils appropriés certains gestes quotidiens de la vie. Ainsi, nous aurons une définition

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fonctionnelle des différentes pièces qui le composent. Nous dirons par exemple :

— la cuisine « c'est pour » préparer les repas, — le salon « c'est pour » recevoir, c'est-à-dire que c'est un espace

assigné, fait pour quelque chose. Ce genre d'attitude trahit un mode d'approche spécifique qui s'attache à « mettre entre parenthèses » les aspects connotatifs d'espaces évoqués par des termes aussi chargés affectivement que « le grenier », « la chambre des parents », etc...

L'aspect esthétique recouvrant l'architecture extérieure (qui nous intéressera peu ici) et intérieure, l'aménagement de l'espace créé par l'architecte en fonction de l'affectivité personnelle des habitants. Autre- ment dit, l'aspect connotatif évoqué précédemment, les facteurs de personnalisation qui permettront à l'habitant de se créer un micro- univers familier.

D'un côté nous aurions donc la carte d'identité, celle de l'espace fonctionnel, l'habitat que le sociologue ou le démographe décrivent, et de l'autre une rubrique « signes particuliers » qui engloberait l'aspect connotatif de l'habitat, sa représentation au niveau réel et au niveau des aspirations personnelles.

Nous nous demanderons comment réagissent ces composantes oppo- sées de l'habitat les unes sur les autres. L'observation la plus quoti- dienne enrichit le psychosociologue de l'habitat. En effet, la maison exerce sur les êtres, à des degrés divers, une sorte de fascination, un attrait puissant. Quelques observations :

— Quelque part on creuse des fondations, ailleurs on démolit une vieille maison. Plusieurs personnes s'arrêtent. Pourquoi cette fasci- nation ? pourquoi cette lenteur des ouvriers à démolir ?

— Des vagabonds abandonnent leur foyer ; ils errent. Pourquoi leur faut-il un jour un toit, une limitation de l'espace : des murs ? Pourquoi se dirigent-ils vers les asiles de nuit, ces réceptacles de bien des misères, sans attrait objectif ?

— Pourquoi la philosophie a-t-elle admiré le vagabond qui accepte de dormir sous le ciel, sans protection ? Pourquoi ceux qui aban- donnent la maison pour le pèlerinage sont-ils respectés ? Ne serait-ce pas parce qu'ils ont dompté un besoin, une aspiration fondamentale, celle d'habiter ?

— Un tremblement de terre sévit dans un pays chaud. Des milliers de personnes n'ont pas d'abri, plus de foyer. Il y a toutes sortes d'urgences : soigner, nourrir ; et pourtant la première impulsion des

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personnes venues en aide est d'organiser des baraquements, de donner un nouveau toit. Les propositions d'hébergement sont les premières demandées aux alentours. Pourquoi ? Serait-ce que l'habiter fournit un support essentiel à la vie de l'homme ?

Ces questions, nous nous les posons, mais pour y répondre, nous ne suivrons pas les analyses sociologiques rigoureuses faites par Chom- bart de Lauwe car ce n'est pas, immédiatement, la réalité existante qui nous préoccupe, mais beaucoup plus la façon dont cette réalité est vécue, sentie, intériorisée par l'individu qui la vit quotidiennement. C'est pourquoi nous ne donnerons aucune statistique des habitats des personnes qui composent notre échantillon, pas plus que nous ne décri- rons leur environnement. De même nous ne suivrons pas l'étude très intéressante de Henri Raymond et Nicole Haumont sur l'habitat pavil- lonnaire, car celle-ci privilégie une forme particulière d'habitat alors que nous ne tenons pas compte, nous, de la forme que revêt l'habitat.

Mais nous ne prendrons pas pour cela la voie de Bachelard, psychanalyste, poète de l'espace, car nous garderons un cadre type à notre habitat que notre analyse fixe au départ, des espaces types ayant une fonctionnalité assez marquée et toujours présente.

Entre ces deux modes d'analyse nous tenterons d'aboutir par un troisième chemin à la relation qui existe entre l'habitant et l'habitat.

Relation infiniment complexe et tellement triviale, que celle de l'habitant et de l'habitat, c'est le charme et la difficulté d'une recherche portant sur un phénomène si habituel que nous le percevons bien souvent sans l'analyser et que les analyses que nous en faisons ou que nous trouvons dans la littérature ou dans les ouvrages spécialisés nous paraissent des exposés d'évidences. Et pourtant, rarement dans la pratique, nous prenons la peine, ayant constaté la banalité de nos observations, de chercher où peuvent nous conduire ces évidences ou du moins comment faire pour réduire les évidences nocives et améliorer celles qui sont facteur de bien-être. Et quand même nous le voudrions, bien souvent nous ne savons pas comment procéder. Notre ambition serait de trouver des éléments nouveaux permettant de mieux connaître certains aspects du vécu pour mieux résoudre à la satisfaction générale les problèmes angoissants que pose l'habitat et son image vécue.

Nous avons constaté avec regret, entreprenant cette étude, qu'à part ces auteurs et quelques autres (en particulier Alexander et Cher- mayeff auxquels nous devons une analyse très remarquable, mais encore trop théorique de notre point de vue, du caractère commu- nautaire ou privé des coquilles de l'homme), rares sont les chercheurs

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en sociologie ou psychologie sociale, qui ont étudié les problèmes de perception du vécu dans l'habitat.

C'est ce qui nous a conduit à nous tourner dans un premier temps vers une recherche étymologique dont nous emprunterons une partie à Hubert Tonka, recherche philosophique aussi car Heidegger nous proposait une étude sur « bâtir, habiter, penser ». Ce sera l'objet de notre premier chapitre : qu'est-ce que l'habiter ?

Dans un deuxième temps nous nous sommes proposé d'étudier, à partir d'une enquête centrée sur la relation entre l'habitant et l'habitat, certains thèmes qui nous paraissaient a priori devoir élucider, ou tout au moins révéler plus clairement certaines questions que nous nous posions. Pour cela, nous avons proposé un questionnaire à un échantillon d'une cinquantaine de personnes appartenant aux catégories moyennes de la population urbaine, catégories définies par la catégorie socio-professionnelle (définition INSEE). Délibérément, nous éliminons les extrêmes. Nous ne voulons pas en tenir compte dans cette première approche parce qu'ils sont d'une certaine façon à la fois trop signi- ficatifs et trop marginaux. Ce sont :

— ou bien des personnes appartenant aux classes les plus favo- risées de la société, et alors elles ont théoriquement la possibilité de définir totalement leur habitat de manière à trouver une adéquation parfaite entre leurs désirs, leurs options idéologiques, leur mode de vie et leur environnement privé. Elles appartiennent aux micro-milieu innovateur ou le peuvent. Elles ont donc une importance considérable en fait au niveau de l'évolution des idées sur la création de l'univers personnel ou privé ;

— ou des personnes appartenant au contraire aux catégories les plus défavorisées de la société, et alors, elles subissent trop de con- traintes et n'ont plus ni une liberté de choix ni une liberté d'expression suffisantes.

Restent donc des catégories plus ou moins satisfaites de leur envi- ronnement qui ont des moyens suffisants pour avoir une action de quelque importance sur leur habitat, qui peuvent, en principe, choisir dans les limites des possibilités offertes par le marché de l'habitat, mais qui subissent cependant quelques contraintes.

Nous avons choisi ces catégories à cause de la masse d'individus qu'elles représentent.

Cet échantillon est valable à ce niveau d'étude très général. Mais il est très rudimentaire et si nous nous sommes résignés à nous y limiter c'est pour des raisons de temps et de moyens matériels. Nos résultats sont donc, en fait, plus que des affirmations, des questions proposées à la réflexion.

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Les difficultés d'ordre bibliographique et méthodologique ren- contrées au début de notre recherche, et déjà évoquées plus haut, nous ont contraints à tenter de résoudre des problèmes qui sont essen- tiellement des problèmes de méthode et nos résultats nous donnent des indications de recherches ultérieures, pour lesquelles il faudra délimiter rigoureusement des tranches d'âge dans un échantillon beaucoup plus important en nombre et poser un certain nombre de questions spéci- fiques à chacun de ces sous-échantillons.

Par exemple : quel degré de privatisation les enfants attribuent-ils à leur chambre, ou encore : le salon est-il autant « leur » salon que celui de leurs parents ?

Il sera nécessaire aussi d'avoir une meilleure répartition géogra- phique. Nous n'avons interviewé que des personnes habitant l'Alsace ou la Région Parisienne, mais il est bien certain que cela ne suffit pas pour une étude approfondie. Ne donnons qu'un exemple : les rigueurs de l'hiver obligent à vivre dans une maison bien chauffée, bien fermée, en Alsace, alors que les fermetures sont beaucoup moins hermétiques dans le Sud-Ouest ou dans le midi. Ces conditions clima- tiques déterminent très probablement une perception différente du dedans et du dehors ainsi que du passage de l'un à l'autre.

Nous avons, tout au long de notre enquête, cherché à provoquer chez les interviewés des réponses spontanées, et dans ce but, nous avons privilégié la méthode des associations d'idées et nous avons analysé les résultats ainsi obtenus de différentes façons selon le thème évoqué.

Ainsi, nous analyserons, en un listing par fréquence de citation, les différents objets caractéristiques de l'habitat. Nous chercherons au chapitre II la signification affective, et non plus seulement fonc- tionnelle, des objets dont nous nous entourons dans notre habitat.

Nous n'étudierons donc pas la disposition géographique des objets dans l'habitat, pas plus que nous ne les décrirons. C'est leur densité qui nous intéressera.

En effet nous nous posions une question ainsi formulée : Y a-t-il dans la perception de l'habitat et de ses composantes des éléments quasi-obligatoires ? Lesquels ? Pourquoi ?

Quelles sont leurs importances relatives les uns par rapport aux autres, ou par rapport à une fonctionnalité précise de certains espaces de l'habitat ?

Nous avons défini l'habitat comme un micro-univers privé. Mais il fallait encore préciser de quel type de privatisation il s'agissait et tenter de définir un degré de privatisation des différents espaces de l'habitat. Dans notre perspective, qui est de ne pas dissocier l'habitant de son habitat, il fallait trouver s'il existait une idée de la privatisation

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La maison, thème cher au sociologue, au psychanalyste, à l'architecte... Mais aussi « coquille de l'homme », son domaine privé, son refuge.

Comment les habitants voient-ils avec le cœur et la sensibilité, sponta- nément, les lieux dans lesquels ils passent une bonne partie de leur temps familial ? Comment colorent-ils chaque pièce selon l'occupation principale ou ta fonction qui lui est affectée et selon les êtres qui l'habitent ?

Une application Privilégiée des sciences humaines à notre univers le plus quotidien.

Jézabelle Ekambi-Schmidt. Née en Angleterre. Etudes supérieures en psychosociologie à Strasbourg. Doctorat de troisième cycle avec une thèse qui a donné naissance au présent ouvrage. Vit actuellement au Cameroun.

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