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- 1 - La pensée sociale CM Mme C. FRAISSE LA PENSEE SOCIALE INTRODUCTION La pensée sociale, c’est comprendre et expliquer comment les gens appréhendent leur environnement au sens le plus large. On parle souvent de l’étude de la connaissance de sens commun. On cherche à savoir comment les individus élaborent cette connaissance et comment elle va fonctionner. Traite de la réalité quotidienne et de son effet sur les relations avec les autres. Etudes des processus socio-cognitifs. Tous les courants n’accordent pas la même importance à ces deux composantes. Certains mettent l’accent sur les processus sociaux alors que d’autres insisteront sur les processus cognitifs. La question de la pensée sociale sera abordée différemment selon l’élément sur lequel les théories insistent. Depuis un certain nombre d’années, on utilise le terme cognition sociale. Dans cette conception, ce sont les processus cognitifs qui sont mis en avant plus que les aspects sociaux qui sont étudiés de façon secondaire. D’autres courants mettent davantage l’accent sur le social. Ils considèrent que les processus cognitifs ne peuvent pas être considérés en dehors du contexte social. Les modes de raisonnement ne peuvent être pensés en dehors de là où ils se trouvent. Ces deux approches ont des points communs et des différences. Important : Quelle que soit la théorie étudiée, il est important de comprendre quelle conception celle-ci se fait de l’être humain. En effet, chaque modèle a une façon bien précise de concevoir l’individu. Il faut réussir à « se déplacer » pour voir comment pensent les auteurs. Dans le courant cognitif, l’analyse se fait du point de vue intra-individuel. On ne considère que ce qui concerne l’individu lui-même. Ces différents niveaux d’analyse ont été proposés par DOISE (1982). Il a travaillé à partir d’un ensemble de recherches en psychologie sociale et en sociologie qu’il a analysé. A partir de là, il a pu constater qu’il y a différentes manières d’expliquer les phénomènes observés. Ces niveaux permettent d’aider à comprendre comment est construit un travail de recherche. Ils sont classés du plus individuel au plus collectif. Niveau intra-individuel Niveau interindividuel Niveau positionnel Niveau idéologique Ces niveaux servent à analyser les résultats mais également la façon dont est construit le travail de recherche.

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La pensée sociale – CM Mme C. FRAISSE

L A PE N S E E S O CIA L E

INTRODUCTION

La pensée sociale, c’est comprendre et expliquer comment les gens appréhendent leur environnement au sens le plus large. On parle souvent de l’étude de la connaissance de sens commun. On cherche à savoir comment les individus élaborent cette connaissance et comment elle va fonctionner. Traite de la réalité quotidienne et de son effet sur les relations avec les autres. Etudes des processus socio-cognitifs. Tous les courants n’accordent pas la même importance à ces deux composantes. Certains mettent l’accent sur les processus sociaux alors que d’autres insisteront sur les processus cognitifs. La question de la pensée sociale sera abordée différemment selon l’élément sur lequel les théories insistent. Depuis un certain nombre d’années, on utilise le terme cognition sociale. Dans cette conception, ce sont les processus cognitifs qui sont mis en avant plus que les aspects sociaux qui sont étudiés de façon secondaire. D’autres courants mettent davantage l’accent sur le social. Ils considèrent que les processus cognitifs ne peuvent pas être considérés en dehors du contexte social. Les modes de raisonnement ne peuvent être pensés en dehors de là où ils se trouvent. Ces deux approches ont des points communs et des différences. Important : Quelle que soit la théorie étudiée, il est important de comprendre quelle conception celle-ci se fait de l’être humain. En effet, chaque modèle a une façon bien précise de concevoir l’individu. Il faut réussir à « se déplacer » pour voir comment pensent les auteurs. Dans le courant cognitif, l’analyse se fait du point de vue intra-individuel. On ne considère que ce qui concerne l’individu lui-même. Ces différents niveaux d’analyse ont été proposés par DOISE (1982). Il a travaillé à partir d’un ensemble de recherches en psychologie sociale et en sociologie qu’il a analysé. A partir de là, il a pu constater qu’il y a différentes manières d’expliquer les phénomènes observés. Ces niveaux permettent d’aider à comprendre comment est construit un travail de recherche. Ils sont classés du plus individuel au plus collectif.

Niveau intra-individuel

Niveau interindividuel

Niveau positionnel

Niveau idéologique Ces niveaux servent à analyser les résultats mais également la façon dont est construit le travail de recherche.

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1. Niveau intra-individuel : se base uniquement sur ce qui est « intérieur » à l’individu, ce qu’il pense, ce qu’il ressent, les mécanismes qu’il met en jeu, etc. ;

2. Niveau interindividuel : intègre « l’autre ». S’intéresse aux relations entre les individus, leur interaction. Analyse les mécanismes mis en jeu dans une relation entre deux personnes ;

3. Niveau positionnel : intègre la notion de groupe. S’intéresse à des divisions entre

les individus qui sont des divisions sociales. Idée de hiérarchie. La position occupée par l’individu est intégrée dans l’analyse.

4. Niveau idéologique : fait appel à des systèmes de croyance qui rendent

compréhensibles (≠ explication) le comportement des individus. NB : Le niveau positionnel peut, dans certains cas, renvoyer à un système de croyance. Les explications seront différentes selon le niveau d’analyse considéré alors que le comportement analysé, lui, est le même. Pour avoir une explication complète, il faut combiner les différents aspects mais ce n’est pas toujours possible. La vision globale de l’individu est insérée dans différents espaces sociaux. En psychologie sociale, on a l’idée que, quand les gens pensent au quotidien, ils ne le font pas toujours de façon rationnelle. Il y aurait un manque de cohérence, des contradictions dans leur façon de penser. Des chercheurs ont tenté de faire un inventaire des pratiques irrationnelles dans le but de les expliquer. Dans cette démarche il y a donc un présupposé : les groupes de personnes qui vont développer ces croyances sont plutôt les primitifs, les ruraux, les gens peu éduqués, etc. Le catalogue n’est donc pas réalisé à partir de n’importe quelle population. A partir de là, on aura une opposition entre ces individus qui ne savent pas bien penser et un autre sujet qui lui saurait bien penser avec un raisonnement rationnel et cohérent. C’est à partir de ce sujet « optimal » que l’on pourra évaluer les erreurs des autres individus : il sert d’échelle de mesure, de moyen de comparaison. Il y a donc une opposition entre un fonctionnement cognitif « par erreur » et un fonctionnement cognitif « optimal ». Idée de hiérarchie, évaluation d’un fonctionnement par rapport au deuxième. On aura donc une opposition entre primitifs et civilisés, ruraux et intellectuels, etc. Normalement, cette opposition n’a plus cours aujourd’hui.

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I. Premiers travaux d’anthropologie

Ces travaux se sont beaucoup intéressés aux différents modes d’irrationalité (magie, croyances,…), tout ce qui a une forme de « premier ». A partir de cette étude des sociétés traditionnelles, la question qui s’est posée était celle de savoir si leur construction intellectuelle était la même que celle de ceux qui les avaient étudiées. → Est-ce que les membres des sociétés traditionnelles ont le même fonctionnement mais

avec un rendu différent ou est ce que c’est leur fonctionnement qui, à la base, est différent ? Plusieurs auteurs ont abordés ces questions. L’un d’eux est FRAZER (fin XIXème). Il a travaillé à partir de travaux d’autres auteurs qui étaient allés étudier ces sociétés. Il voulait rendre compte du fonctionnement de la mentalité magique. Selon lui, les individus vont établir leur connaissance du monde, leurs croyances par l’intermédiaire des associations d’idées. A partir de ce présupposé, il va proposer l’idée que les primitifs élaborent une certaine conception de la magie, qu’il nomme magie sympathique. Celle-ci repose sur deux principes qui fonctionnent ensemble, ils se combinent pour agir sur l’environnement. 1. Loi de similitude : idée que le semblable produit le semblable. C’est par exemple ce

qui permet à un medium de travailler à partir d’une photo. C’est également la base du fonctionnement des poupées vaudou. Il n’y a pas de séparation entre une chose et sa représentation. Ne nécessite pas de contact préalable ;

2. Loi de contagion : idée qu’une chose puisse agir sur une autre lorsqu’elles ont été en

contact et que ce lien perdure même quand le contact n’est plus. Cela peut par exemple expliquer pourquoi un medium peut utiliser des vêtements qui ont été portés par une personne pour la retrouver.

Selon FRAZER, ce système de magie sympathique va dicter aux individus ce qu’ils doivent faire et ce qui est interdit (positif ou négatif). Il pense qu’à travers ce système, les primitifs vont essayer d’expliquer le monde, la réalité dans laquelle on se trouve. Ils cherchent à l’expliquer de façon rationnelle. Donc, selon lui, le fonctionnement intellectuel des primitifs serait du même type que celui des civilisés mais en moins développé. Ce sous développement expliquerait les erreurs que les primitifs peuvent commettre dans leur raisonnement. La théorie de FRAZER est donc une théorie évolutionniste. A partir de là, il a mis en évidence trois stade de développement : 1. Stade 1 - La magie (primitifs) : Les individus interprètent la nature comme une série

d’évènements qui se produisent de façon invariable sans intervention d’éléments personnifiés (Dieu(x)). En revanche, les individus peuvent intervenir directement sur les évènements par l’intermédiaire de la magie sympathique, ils sont dotés d’une force ;

2. Stade 2 – La religion : Elle est invoquée quand la nature résiste aux actions des individus. Elle consiste en un abandon des forces à une ou des puissances supérieures qui agiront sur la nature. Les individus vont donc essayer d’obtenir les faveurs de ces forces par l’intermédiaire de la prière ;

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3. Stade 3 – La science (civilisés) : Elle nait lorsque les individus constatent que leurs prières ne sont pas exaucées. Principe de causalité expérimentale.

Cette conception a été critiquée entre autre par LEVY-BRUHL dans les années 1950. Ce qu’il a critiqué, c’est la vision qu’avait FRAZER de ce monde primitif. Il explique que FRAZER a utilisé son propre raisonnement pour comprendre celui des primitifs. C’est donc les lois du raisonnement des scientifiques de l’époque qu’il applique à celles des primitifs sans repérer les circonstances dans lesquelles ce raisonnement est produit. Il néglige le contexte de production du raisonnement. LEVY-BRUHL critique le fait de se baser uniquement sur le plan individuel en ne tenant pas compte des circonstances. Il considère que, pour atteindre le mode de raisonnement de l’autre, il faut effacer son propre mode de raisonnement, ne pas le transposer. Donc selon lui le mode de raisonnement des primitifs n’est pas sous développé par rapport à celui des civilisés. LEVY-BRUHL a emprunté cette idée à DURKHEIM qui avait développé l’idée que chaque société génère des modes de pensée. Il va proposer que la réalité qui entoure les individus est être appréhendée à partir de filtres comme par exemple les représentations. Ces filtres seraient spécifiques à une société donnée. Ils sont également transmis comme si chaque société recevait en héritage l’ensemble des ces filtres dans le but d’orienter sa mentalité. Chaque société produit des modes de pensée différents et spécifiques. On se centre donc sur ce qui produit cette différence. Selon LEVY-BRUHL, il existe deux types extrêmes de modes de raisonnement :

mentalité pré-logique : observée dans les sociétés dites « primitives » ;

mentalité logico-scientifique : observée chez les « civilisés ». Il n’introduit jamais la notion d’évolution dans sa théorie, il spécifie seulement deux types de raisonnements différents. La mentalité logico-scientifique ne vient pas remplacer la mentalité pré-logique. Ce sont des raisonnements qui ne partent pas des mêmes prémices (ex. : mort, malheurs,

etc. → voir texte TD 1).

Le raisonnement, quel qu’il soit est toujours logique tant que l’on reste à l’intérieur de la société concernée. Ce que LEVY-BRUHL cherche dans ces croyances magiques sont les indices d’une structure, d’une règle qui serait imposée aux membres de la société. Il définit notamment deux lois :

la loi de participation mystique (primitifs);

la loi de non contradiction (civilisés). = lois imposées par la culture. Le fait de définir ces lois permet de mettre en avant comment la culture contraint les raisonnements et la production de connaissances quotidiennes. Pour LEVY-BRUHL, les individus sont capables d’utiliser les différentes lois. Il ne commet pas d’erreur comme le pensait FRAZER, il utilise ce qui fait sens dans sa culture et lui permet de communiquer avec l’autre. Dans les années 1960 (1962), LEVI-STRAUSS a travaillé sur la pensée sauvage en la comparant à la pensée scientifique. Selon lui, les deux formes de pensée suivent une

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logique identique mais se construisent différemment du fait des contraintes inhérentes au contexte social. Chacune de ces pensées vont procéder à une construction et une reconstruction des connaissances différente. Au-delà de la société, il y a une variation en fonction des contextes sociaux. Ne pense pas non plus qu’il y aurait une pensée inférieure à l’autre. Actuellement, un certain nombre de chercheurs, dont ROZIN et NEMEROFF (voir TD 1), ont mené des travaux visant à montrer que la pensée magique peut être une pensée concomitante de la pensée rationnelle. Les individus utiliserait à la fois des modes de raisonnements rationnels et des modes de raisonnement pré-logiques. Cela contribuerait à l’adaptation de l’être humain à son environnement et plus particulièrement à sa qualité d’omnivore. Une de leurs expérimentations est notamment basée sur le principe de similitude. Déroulement de l’expérimentation : Des étudiants arrivent individuellement dans une pièce. Ils y trouvent deux bouteilles en verre vides et propres et un paquet de sucre fermés, jamais descellé. On demande à l’étudiant d’ouvrir le paquet de sucre et d’en mettre dans les deux bouteilles. On leur donne ensuite des étiquettes où on leur demande d’inscrire sur l’une sucre et sur l’autre poison. Ils doivent coller une étiquette sur chaque bouteille. On leur demande de verser le sucre d’une bouteille dans un verre et le sucre de l’autre bouteille dans un autre verre puis d’y ajouter de l’eau afin d’obtenir deux solutions sucrées. Ce qui est évalué (échelle) est le désir de boire chacun des deux verres. Pour finir, on leur demande de boire l’un des deux verres au choix. Résultats : Le désir de boire le verre contenant le sucre qui vient de la bouteille étiquetée « poison » est majoritairement inférieur à celui de boire le verre contenant le sucre venant de la bouteille étiquetée « sucre ». Les étudiants choisissent majoritairement de boire la solution composée du sucre venant de la bouteille étiquetée « sucre ». Réticence à boire l’autre verre. Le principe de similitude semble s’appliquer. Les étudiants répondent qu’ils ne savent pas pourquoi ils ressentent cette réticence. Ils essayent malgré tout de la combattre par la rationalité. Cohabitation des deux modes de raisonnement. Le fait de passer de l’un à l’autre est à concevoir comme une capacité.

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II. Comment s’est élaborée la cognition sociale ?

A. Le champ théorique de la consistance cognitive

Ce champ théorique regroupe différents modèles théoriques. Toutes les théories sont plus ou moins construites sur les mêmes présupposés.

Théorie de l’équilibre – HEIDER (1940)

Théorie de la congruence – OSGOOD & TANNEBAUM (1955)

Théorie de la dissonance cognitive – FESTINGER (1957)

La psycho-logique – ABELSON & ROSENBERG (1958)

Théorie de la consistance syllologistique – MCGUIRE (1960) C’est une façon de modéliser la façon dont les individus pensent leur réalité. Le terme « consistance » n’était pas celui utilisé à l’époque, il s’agit d’un regroupement fait a posteriori. Ce mot est défini comme l’ « état d’un corps relativement à sa solidité et à la cohésion de ses parties ». Idée de stabilité. Toutes ces théories sont basées sur un présupposé qui porte sur trois aspects :

l’idée qu’il existerait une consistance entre les comportements. On s’attend à ce que certains comportements soient co-occurrents à d’autres comportements car ils vont bien ensemble ;

l’existence d’un lien entre ce que l’on dit être et ce que l’on fait. Il y aurait un lien entre notre personnalité et les comportements que l’on va produire ;

l’idée d’une relation entre les individus. On aurait tendance à s’affilier avec les personnes qui ont les mêmes idées que nous.

Ces théories ont des caractéristiques communes :

→ Elles portent toutes sur l’univers cognitif de l’individu. On essaye de représenter ce qu’il croit, ce qu’il sait. On part du point de vue de l’individu en intégrant son environnement et ses relations aux autres. Ce savoir et ces croyances ont été nommés de différentes façons selon les théories :

o « cognitions » (FESTINGER) o « représentations cognitives (AB. et ROZ.) = sous tend une activité d’élaboration

de la part de l’individu o « éléments cognitifs »

Tous les éléments sont reliés entre eux, un élément n’a jamais de sens seul. Le principe de base de chaque théorie est de décrire le type de relation qui existe entre les éléments d’un univers cognitif ;

→ Elles se fondent toutes sur la définition d’une organisation particulière de ces éléments. Toutes les théories vont définir l’organisation de l’univers cognitif la plus consistante. Les individus cherchent à mettre de l’ordre dans les informations qui leur arrivent pour avoir une représentation du monde stable et prévisible. Cette idée sera associée au principe d’homéostasie ;

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→ Principe d’homéostasie : l’environnement doit rester stable et cohérent. C’est ce principe qui vient réguler la stabilité. Il permet de maintenir ou de rétablir la stabilité suite aux variations de l’environnement.

L’hypothèse des chercheurs est que l’orientation du travail cognitif se fait toujours vers le rétablissement ou la mise en place de l’état harmonieux quel qu’il soit. Cette orientation du travail cognitif sera pensée différemment selon la théorie considérée mais tous cherchent à la décrire. Elles considèrent toutes qu’un être humain est « bien » lorsqu’il est équilibré (dans le cadre de la théorie de HEIDER), consistant. La consistance serait quelque chose d’interne à l’individu, un besoin.

1. La théorie de l’équilibre (HEIDER, 1940) Selon lui, un état harmonieux est donc un état équilibré. HEIDER est un psychologue social du milieu du XXème siècle. Il a proposé une façon non comportementaliste de concevoir l’individu. Selon lui, l’individu est un observateur (≠ acteur), c’est un sujet connaissant. Sa théorie ne se base pas sur les comportements produits par l’individu contrairement à la théorie de la dissonance de FESTINGER (voir TD 2). L’individu décide des choses sur le monde qui l’entoure à partir des observations qu’il en fait. HEIDER s’intéresse à comment l’individu construit ses relations aux autres = relations interpersonnelles. Cependant il ne s’intéresse pas aux relations interpersonnelles dont parle E. MAYO par exemple dans lesquelles le groupe d’appartenance a une influence. HEIDER s’intéresse à l’individu sans prendre en compte le groupe, il ne le rattache jamais à son groupe d’appartenance (qu’il s’agisse de l’individu observateur ou observé). Le sujet n’est pas pris dans une dimension collective mais dans ses relations aux autres. = premiers travaux sur la perception sociale. Perception = construction !! L’individu ne perçoit pas passivement. Cette conception s’inscrit dans la théorie de la Gestalt : former des unités, c’est l’organisation de ces unités qui comptent et non l’élément en lui-même. → Question des relations

On peut distinguer deux types de relations :

relation d’union : idée de proximité (géographique, physique, etc.) entre les éléments qui constituent un tout

relation d’affection : valeur affective entre les éléments. P Y O X

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Le modèle d’HEIDER est un modèle binaire : union / pas d’union ; attitude positive / négative. C’est la description d’une dynamique dans l’univers cognitif. Il y a toujours des forces qui vont provoquer des modifications au sein du système. Il n’est pas statique. Pourtant, ces forces recherchent toutes la même chose : l’équilibre. A partir de là, HEIDER va poser trois hypothèses qui correspondent à une définition de l’équilibre :

l’individu P (perceiver) est unit à lui-même et s’apprécie = il est en harmonie avec lui-même ;

lorsqu’on introduit un deuxième élément (autre individu, objet, opinion, etc.), P cherche à s’unir à ce qu’il apprécie et évite ce qu’il n’aime pas = il y équilibre quand P réussit à s’unir à ce qu’il apprécie ;

lorsqu’on introduit un troisième élément, P est équilibré quant il est unit à ce qu’il apprécie. Si la situation de base n’est pas harmonieuse, l’individu P va mettre en œuvre un travail cognitif pour rétablir l’équilibre.

Ex. :

P + -

O X

- -

P s’entend bien avec O mais déteste X. Pour qu’une situation soit équilibrée pour P, O doit également détester X. Si ce n’est pas le cas il peut, entre autres, faire en sorte qu’O se mette à détester X. L’individu P doit changer l’un des signes de la relation. Il faut toujours tenir compte de l’ensemble du système car le déséquilibre au niveau d’un des éléments entraine le déséquilibre de tout le système. → Paradigmes expérimentaux

Ces paradigmes sont mis au point a posteriori du modèle théorique de HEIDER.

1. Le paradigme d’expression des préférences Il est fondé sur l’idée que les sujets vont préférer des situations équilibrées. On présente à ces sujets des situations de relation interpersonnelle et on leur demande de se mettre à la place de celui qui perçoit (individu P). On leur demande ensuite de classer ces

situations sur une échelle en fonction de leurs préférences (plaisante → déplaisante). De façon générale, les résultats montrent que les triades qui sont déséquilibrées seront jugées comme plus déplaisantes que les triades équilibrées. On va observer des différences selon le type de relation (union / affection). Le sentiment déplaisant sera plus important quand la relation d’affection est mise en avant plutôt que la relation d’union. Les individus chercheront davantage à rétablir l’équilibre quand le déséquilibre est présent au niveau des relations d’affection.

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2. La méthode de complétion Après leur avoir décrit des situations de relations interpersonnelles dans lesquelles il manque une relation, on demande aux sujets de compléter ces situations. Ex. : une petite annonce pour une collocation. On demande de prédire la relation manquante. Après la complétion, on pose des questions aux sujets pour essayer de mesurer leur degré de tension. - le signe ajouté équilibre ou déséquilibre t il la situation ? - s’il la déséquilibre, les sujets ressentent ils un certain malaise ? De manière générale, les résultats montrent que les individus ont tendance à répondre par des relations qui vont maintenir l’équilibre dans le système. Plus une situation sera déséquilibrée et plus le sujet exprimera une certaine tension. Concorde avec les présupposés du modèle de HEIDER. 3. Apprentissage et mémorisation On fait apprendre aux sujets le type de relation qui va exister entre deux individus. Le sujet n’est pas impliqué, il ne se met pas « à la place de ». On lui présente des cartes avec d’un côté un nom et de l’autre le type de relation à une autre personne. On mesure le temps mis par les sujets pour apprendre les différents types de relations. Les résultats montrent que les sujets retiennent plus facilement les situations équilibrés car elles seraient naturelles. Tous les résultats semblent indiquer que les individus ont tendance à organiser les éléments et les situations en fonction des règles de l’équilibre. Cependant, tous ces paradigmes ne montrent pas la notion de changement proposée par HEIDER dans son modèle. Quelques auteurs vont essayer d’introduire cette notion dans leurs expérimentations mais vont plus souvent enregistrer des pronostics de changement qui ne sera pas réellement vécu par le sujet. Expérimentation de ESCH (1950) Il décrit des petites situations sociales aux sujets puis il leur demande de dire comment va évoluer la situation. Exemple : Robert pense que Jean est un idiot mais Robert lit une poésie qu’il apprécie beaucoup et se rend compte que c’est Jean qui l’a écrite.

→ 80 sujets sur 101 vont prédire un retour à l’équilibre :

soit Robert change d’avis par rapport à Jean ;

soit Robert change d’avis par rapport à la poésie ;

soit Robert met en doute le fait que Jean ait réellement écrit la poésie.

→ les 21 sujets restants ne pensent pas à un rétablissement de l’équilibre et vont refuser le langage binaire proposé dans la théorie.

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Dans des situations réelles où les individus sont impliqués dans les liens affectifs et qu’on sort du système binaires, ils n’ont plus autant tendance à choisir le rétablissement de l’équilibre. Plus complexe que dans le modèle. Selon HEIDER, les changements qui ramènent à l’équilibre ne sont pas issus de forces motivationnelles. Les forces qui poussent l’individu n’ont pas le statut de motivation comme dans le modèle de FESTINGER. La théorie de HEIDER est dans le prolongement de celle de la Gestalt qui dit que les forces vont favoriser « la bonne forme » (= équilibre selon HEIDER). On ne retrouve pas l’idée d’une tension qui pousserait les gens à agir. La question qui s’est posée au fur et à mesure de la mise en place des expérimentations est la suivante : pourquoi, malgré tout, les gens ont cette tendance à équilibrer les situations ? Ce qu’HEIDER a proposé n’était qu’un modèle et ce n’est que par la suite que des expérimentations ont été mises en œuvre. → Critiques

Qu’est ce que réellement l’équilibre ? C’est la question que s’est posée LEONARD (1972) en proposant sa critique. Pourquoi, dans les situations expérimentales, les sujets vont orienter leurs réponses ver l’équilibre ? Selon LEONARD, on est passé de l’explication, de l’interprétation d’un comportement dans la théorie de HEIDER, à l’observation expérimentale de ce comportement qu’on a alors nommé biais d’équilibre et qu’il a fallu expliquer. Théorie explicative Observation Production d’un comportement = biais d’équilibre = distorsion du raisonnement Explication Des chercheurs se sont alors demandé si ce n’était pas la mise en place des expérimentations qui aurait produit ce nouveau comportement qu’est le biais d’équilibre. Pour LEONARD, les réponses orientées des sujets sont directement liées au dispositif expérimental. Tout d’abord, il constate que dans toutes les expérimentations du biais d’équilibre, on place les sujets dans des situations contraignantes car évaluatives (contraintes de type scolaire). Ce type de situations induirait l’idée qu’il y a une bonne et une mauvaise réponse. Les sujets ont peur de donner la mauvaise réponse car ils pensent qu’ils doivent absolument donner la bonne. Mais, comme toutes les expérimentations sont extrêmement épurées, il n’y a aucune indication sur ce qui pourrait être la bonne réponse. La seule bonne réponse serait de ne pas répondre mais cette solution n’est pas proposée aux sujets car on a observé que lorsque c’était le cas, ils choisissaient quasi systématiquement cette issue. La deuxième solution serait alors de refuser l’expérimentation mais personne n’ose le faire.

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A partir de là, les sujets vont essayer de trouver un mode de réponse justifiable a posteriori, une réponse cohérente par rapport à ce qu’on leur demande. Pour vérifier ce qu’il avançait, LEONARD a reproduit les expérimentations qu’il critique en les faisant suivre d’un entretien. Il a alors pu montrer que les sujets puisaient dans un autre registre pour justifier leurs réponses. Selon LEONARD, c’est le fait de mettre les sujets dans des situations trop abstraites qui les pousse à aller chercher ailleurs la « bonne réponse ». Plus les situations expérimentales sont pures et plus les sujets répondent en utilisant l’équilibre. Plus on introduit des éléments concrets en accord avec la réalité et moins les sujets répondront par l’équilibre. On aurait donc là un artefact expérimental : le biais d’équilibre est produit par la situation expérimentale. D’autres auteurs ont proposé le même genre d’explications mais en allant un peu plus loin. Par exemple, PICHEVIN et POITOU (1974) critiquent la trop grande épuration des situations expérimentales et proposent d’essayer de trouver l’endroit où les individus puisent les informations pour répondre. Ils vont induire dans leurs expérimentations une différenciation entre les sujets (classes, sexe, etc.). Ils vont confirmer la théorie de LEONARD et montrer que, lorsque la situation devient plus complexe et que les sujets ont davantage d’informations, ils laissent de côté le biais d’équilibre et utilisent d’autres registres. Par exemple le registre idéologique : solidarité, égalité juridique. Selon FLAMENT, le registre serait plutôt représentationnel, il parle d’une « représentation du groupe idéal ». C’est à partir de ce registre que les individus vont équilibrer ou non les situations. Cela induit que les individus ne répondent pas totalement dans le vide. Il y a donc une évolution, un décalage entre le biais d’équilibre qui était considéré comme un processus interne à l’individu et les réponses décrites par ces nouveaux chercheurs qui dépendraient en partie de la société dans laquelle l’individu vit. Les critiques concernent donc le besoin fondamental de consistance qui serait inhérent à l’être humain. Ce besoin devient en fait inhérent par rapport à la société. Les individus répondent aux besoins de la société par la consistance car elle permettrait de rendre prévisibles les comportements et les attitudes. Le besoin de consistance existe mais il est construit par la socialisation. On en arrive donc à dire que la consistance serait une norme. Elle viendrait de la nécessité d’organiser la réalité sociale en la rendant partiellement prévisible. Du coup, cela inclut l’idée d’une désirabilité.

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Des auteurs tels que CHANNOUF et MANGARD (1997) ont mis en évidence la dimension normative de la consistance. La préférence pour la consistance et donc pour la norme aurait tendance à être valorisée. C’est le présupposé que les auteurs vont utiliser pour mettre en place leur expérimentation. Ils ont demandé à des sujets de répondre à des échelles mesurant la consistance en donnant soit une bonne image, soit une mauvaise image d’eux-mêmes. Ils ont constaté que les sujets avaient tendance à faire référence à la norme pour donner une bonne image et inversement. Bonne image : moyenne entre 6 et 7 (9 = tout à fait d’accord [avec la norme]) Mauvaise image : moyenne entre 2 et 3 Cette expérimentation montre bien que les individus présentent une consistance, ils donnent une image en lien avec la norme qui régit la société. On est donc passés d’un besoin à un registre plus idéologique. L’objectif est la présentation de soi, l’approbation de l’autre. Cela permet également d’évaluer les autres, de les classer. Valeur → Evaluation Ce sont ces travaux qui ont ouverts la voie à la théorie de l’attribution causale (HEIDER, 1944, 1958). Ils ont également influencés l’orientation des chercheurs vers une nouvelle conception du sujet : il est vu comme un scientifique naïf. On a vu que HEIDER voyait déjà le sujet comme un sujet connaissant. Il va supposer que le sujet a à sa disposition tous les moyens scientifiques nécessaires pour raisonner et donc qu’il les utilise. On constate pourtant que le sujet ne suit jamais complètement ce raisonnement car il fait des erreurs, des inférences et n’est donc pas totalement objectif. L’individu peut faire et saurait faire mais il est toujours approximatif car il veut aller trop vite. Cette conception va amener la création d’un nouveau champ de recherche sur les biais cognitifs. Ce champ va s’intéresser à comment raisonne ce scientifique naïf. Les chercheurs vont observer que leur raisonnement se fait systématiquement dans un certain sens. Biais = ensemble de distorsions systématiques. C'est-à-dire que les sujets ont tendance à s’écarter toujours de la même façon. On va, à partir de là, retrouver une opposition proche de celle avancée par les anthropologues : Mode de raisonnement de l’individu lambda = raisonnement biaisé VS Mode de raisonnement du « sujet optimal » = raisonnement scientifique et rationnel

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L’individu serait influencé par son fonctionnement cognitif. Actuellement, cette opposition est partiellement tombée mais on peut encore parfois la retrouver en filigrane. Lorsqu’on se centre sur le fonctionnement cognitif d’un individu, on aura tendance à le comparer à un autre fonctionnement. C’est lorsqu’on intègre une dimension collective que l’on fait apparaitre l’idée d’une hiérarchie, on va au-delà de la comparaison.

B. Etude des biais cognitifs

Biais : raccourcis de raisonnement qui permettent d’aboutir à des solutions rapides sans avoir à procéder à de grands calculs. Les individus utilisant des biais n’ont donc pas un raisonnement scientifique et ne tiennent pas compte de toutes les informations qu’ils ont à leur disposition. Considéré comme un raisonnement conduisant à l’erreur.

1. Le biais de la représentativité Ce biais a été décris par KAHNEMAN et TVERSKY en 1973. Ils ont essayé de voir comment les individus raisonnent à partir d’une information qu’on leur donne et comment il traite cette information. On dit aux sujets qu’une série d’entretiens a été réalisée à partir d’un échantillon composé de 30% d’avocats et de 70% d’ingénieurs. Ces entretiens ont permis de réaliser des fiches synthétiques avec une description rapide de chaque personne. Les expérimentateurs tirent une fiche au hasard et la donne au sujet. Celui-ci doit donner la probabilité pour que la personne soir un avocat ou un ingénieur. Selon les expérimentateurs, les sujets auraient du utiliser un raisonnement statistique basé sur les probabilités de départ. Or, on constate qu’apparemment ils utilisent un autre type d’informations : le contenu de la description des personnes qui contenait, selon les cas, des éléments représentatifs de la profession d’avocat ou de la profession d’ingénieur.

Ils utilisent des éléments qui représentent quelque chose pour eux. C’est ce qu’on appelle le biais de représentativité. On peut donc ici voir une opposition entre le raisonnement de base du scientifique qui est un raisonnement statistique et probabiliste et le raisonnement réel des individus qui est basé sur la représentativité. On retrouve l’idée de hiérarchie car selon les expérimentateurs, c’est le raisonnement scientifique qui permettrait de faire le moins d’erreurs.

2. Le biais de confirmation des hypothèses Les individus auraient tendance à sélectionner l’information qui va dans le sens des idées qu’ils ont au départ et à négliger du même coup les autres informations qui pourrait contredire ou infirmer leur présupposé.

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Expérimentation de SYNDER (1981) : On dit à des sujets qu’ils vont devoir interviewer une personne et évaluer son profil et plus particulièrement son introversion ou son extraversion. Deux conditions expérimentales : dans le groupe 1, on demande au sujet d’évaluer l’introversion ; dans le groupe 2, on demande d’évaluer l’extraversion. Les sujets ont donc tendance à focaliser leur attention sur l’un ou l’autre. On propose aux sujets une liste de questions qui évaluent les deux profils. Ils doivent en sélectionner 12 pour effectuer leur entretien. Les expérimentateurs ont alors observé si les sujets sélectionnaient des questions évaluant les deux profils ou s’ils avaient tendance à ne choisir que des questions évaluant le profil sur lequel portera l’entretien. Les résultats montrent que les sujets ont tendance à utiliser le biais de confirmation des hypothèses et donc à ne choisir que des questions qui évaluent l’un ou l’autre des profils. L’individu sélectionne les informations qui vont confirmer ce qu’ils pensent sans utiliser les informations qui pourraient les infirmer.

3. Autres approches de ces deux biais de la cognition FUNDER propose en 1987 de distinguer l’erreur de la faute. Il considère l’erreur comme une déviation par rapport à un modèle normatif en laboratoire. Par contre, la faute serait un jugement social incorrect ou inadéquat dans le cadre des interactions sociales. Cela signifie que quelque chose qui est une erreur dans le cadre du laboratoire et de l’expérimentation peut être pertinent dans la réalité sociale. = Décalage. Par le point de vue de FUNDER, il y a donc une réhabilitation du statut de l’individu comme un individu capable de raisonner correctement. Il n’y a plus cette hiérarchie entre un raisonnement que tout le monde devrait utiliser et le raisonnement que les individus utilisent effectivement au quotidien. On examine la pertinence du raisonnement en fonction de la situation, du contexte. Il y a des contextes plus adéquats que d’autres pour utiliser le mode de raisonnement scientifique. NB : Le laboratoire est également un contexte, il n’est pas hors interactions sociales. L’approche pragmatique de la communication, plus récemment, a également essayé de proposer une vision moins négative et pessimiste du raisonnement humain. Elle pose que la perception des autres est au service de l’action, elle sert à interagir avec son environnement social. Le sujet est alors, de son point de vue, à la fois connaissant (HEIDER) ET acteur. La question du « pourquoi » on raisonne (« pourquoi faire ? ») devient plus important que le « comment » on raisonne. La question de la rationalité ou de l’irrationalité devient beaucoup plus secondaire.

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LEYENS, qui a beaucoup travaillé sur la perception, dit que les individus utilisent des biais qui sont non optimaux du point de vue scientifique mais qui sont socialement avantageux et surtout valorisés. Les individus utilisent tel type de raisonnement parce qu’il lui permet de se faire bien voir par les autres. Expérimentation de DARDENNE (1997) : elle reprend le principe de l’expérimentation de SNYDER mais va montrer que la confirmation des hypothèses est une stratégie utile dans les interactions sociales. Il demande aux sujets de se présenter à l’aide d’une échelle soit comme introverti soit comme extraverti. On explique aux sujets que cette échelle va permettre à un interviewer d’élaborer une liste de questions. On leur présente ensuite la liste des questions : celle-ci est soit confirmatoire (liste de questions évaluant l’introversion pour les personnes qui se sont présentées comme introverties et inversement) soit infirmatoire (liste de questions évaluant l’introversion pour les personnes qui se sont présentées comme extraverties et inversement). On demande alors aux sujets d’évaluer l’interviewer. On constate que les sujets qui à qui on a présenté une liste confirmatoire ont donné une évaluation plus positive de l’interviewer que ceux à qui on a présenté une liste infirmatoire. Ils ont davantage confiance en ses compétences pour mener l’entretien. Cette expérimentation montre que quand les sujets tendent à confirmer leurs hypothèses, ils utilisent en fait une stratégie qui a du sens dans le contexte social. Cette approche considère que, dans le cadre de l’étude des biais cognitifs, les chercheurs sont beaucoup trop axés sur les purs processus cognitifs et restent à un niveau intra individuel. Selon elle, toute situation expérimentale doit être considérée comme une situation comme une autre. Les individus essayent de donner du sens à cette situation et partent du principe que certaines règles sont respectées. Dans le biais de la représentativité, les individus négligent les informations générales pour surestimer les informations individuelles. Cependant il faut noter que, dans l’expérimentation de KANHEMAN et TVERSKY, on précise que les fiches sont réalisées par des experts psychologues = source sûre. Il est donc important de considérer la source des informations et l’importance qu’y accordent les sujets. En 1991, des auteurs dont SCHWARTZ, vont reprendre cette expérimentation mais en faisant varier la source de l’information. Dans une condition, on dit aux sujets que les entretiens et les fiches ont été réalisés par des experts psychologues. Dans une deuxième condition, on dit aux sujets que les entretiens ont été menés par des psychologues mais que les fiches ont été réalisées par un ordinateur. Les résultats montrent que les sujets tiennent moins compte des informations de la fiche et plus compte de la répartition des échantillons dans la condition 2. Cette expérimentation montre que les sujets sont donc capables d’utiliser le raisonnement scientifique mais que le raisonnement utilisé varie selon l’importance accordée aux

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informations qui leurs sont données. Ils adaptent leur façon de raisonner et de traiter l’information à la situation.

4. Le biais de corrélation illusoire Consisterait en une tendance à associer des informations qui n’ont pas de lien entre elles afin de pouvoir tirer des conclusions. Expérimentation de HAMILTON et GIFFORD (1976) : On propose aux sujets une liste de comportements considérés comme désirables ou indésirables. Ces comportements sont réalisés par des individus qui sont censés provenir de deux groupes différents (un groupe majoritaire (groupe A) et un groupe minoritaire (groupe B)). Ces deux groupes devaient apparaitre comme majoritaires ou minoritaires à partir du nombre de comportements émis = différence numérique. Chaque groupe émet des comportements désirables et des comportements indésirables. On demande aux sujets d’apprendre les différents comportements qu’ils voient et ensuite de réattribuer ces comportements au groupe par lequel ils ont été émis. Présentation de l’expérimentation : 39 énoncés décrivant des comportements de personnes membres de deux groupes sociaux, le groupe A et le groupe B. Groupe A = groupe majoritaire = groupe qui émet le plus de comportements 26 énoncés

18 comportements désirables

8 comportements indésirables Groupe B = groupe minoritaire = groupe qui émet le moins de comportements 13 énoncés

9 comportements désirables

4 comportements indésirables

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Résultats :

Condition où les comportements désirables sont majoritaires

Groupe A

majoritaire Groupe B

minoritaire

Comportements désirables 17,52 (18)

9,48 (9)

Comportements indésirables 5,79 (8)

6,21 (4)

Condition où les comportements indésirables sont majoritaires

Groupe A

majoritaire Groupe B

minoritaire

Comportements indésirables 15,71 (16)

8,29 (8)

Comportements désirables 5,87 (8)

6,13 (4)

Moyenne de réattribution des comportements Entre parenthèses : affectifs de répartition d’origine Les sujets ont tendance à réattribuer les comportements minoritaires au groupe minoritaire (groupe B) quelle que soit la nature de ces comportements. Les auteurs ont essayé de montrer que les individus ont tendance à associer des informations parce qu’elles sont du même ordre. Le groupe qui émet le moins de comportements va se voir associer les comportements qui sont le moins produits quelque soit leur valeur sociale. Le problème de cette expérimentation est qu’elle enlève toute leur valeur aux informations car les groupes sont majoritaires ou minoritaire du point de vue du nombre de comportements qu’ils émettent. Elle se base uniquement sur le traitement de l’information. Elle n’explique par pourquoi les individus utilisent ce biais de corrélation illusoire. Les expériences suivantes vont envisager qui, si les individus pensent comme ça (de façon biaisée), c’est parce qu’ils sont insérés dans des rapports conflictuels. L’objectif des individus est de donner une bonne image d’eux même. Des chercheurs vont alors introduire la notion d’appartenance à un groupe : rapport entre les groupes + conflits → autre vision de la société.

Le courant de la cognition sociale a tendance à étudier, par la mise en évidence des biais cognitifs, un seul type d’individu : un homme, blanc, de classe moyenne, sans stigmate particulier.

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D’une certaine façon, on peut dire que cet individu n’existe même pas dans la réalité. La question qui se pose alors est la suivante : Qu’est ce que l’être humain ? Même si dans les dernières expériences les chercheurs ont essayé d’intégrer la notion de contexte et de ne plus opposer le raisonnement scientifique au raisonnement naïf, on reste malgré tout sur des approches qui se basent sur l’interindividuel (un individu éventuellement en interaction avec un autre individu mais pas plus). Le courant de la cognition sociale considère la dimension sociale comme secondaire, elle arrive après le cognitif. Lorsqu’on utilise l’expression processus « socio-cognitifs » on parle bien d’abord du cognitif qui, secondairement serait pris dans un contexte social. Les chercheurs ont essayé de séparer le cognitif et le social et de les étudier l’un détaché de l’autre. Ils étudiaient d’abord le raisonnement d’un individu puis ils le testaient en situation, en interaction avec d’autres individus. Selon le courant que nous allons voir maintenant, on ne peut pas séparer le raisonnement du cognitif, il faut étudier le raisonnement directement en situation.

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III. Le courant de la pensée sociale

Ce courant aborde le raisonnement comme quelque chose de fondamentalement social. On se retrouve alors souvent sur des niveaux positionnel et idéologique. Il traite des mêmes objets que le courant de la cognition sociale (raisonnement naïf, pensée au quotidien, etc.) mais ceux-ci sont traités et conçus différemment.

A. Définitions

La pensée sociale étudie la connaissance de sens commun : connaissance ordinaire, de l’homme de la rue. Sens commun : Façon dont les individus vont utiliser le raisonnement au quotidien. Equivalent du « bon sens ». Bon sens : Notion de jugement. Correspond à une manière de juger et plus particulièrement de bien juger. Opposition du bon sens (du sens commun) à une autre forme de jugement qui serait, elle, scientifique. On utilise le bon sens dans une situation qui ne peut être résolue par le raisonnement scientifique. On utilise l’un quand on ne peut utiliser l’autre. On s’aperçoit tout de même qu’il y a une hiérarchie : on utilise le bon sens uniquement à partir du moment où le raisonnement scientifique ne fonctionne pas. Malgré tout, le bon sens permet le bon jugement, il ne produit donc pas d’erreur même s’il n’est pas le premier choix. Le sens commun dit dans quel sens on doit penser. Forte dimension évaluative. Sens : d’impression que font les objets matériels. 5 sens : ce que l’on éprouve, ce que l’on ressent. Idée d’un fondement quasi physiologique du bon sens. Le sens commun est quelque chose qu’on va ressentir donc que l’on connait de manière immédiate, intuitive et évidente. ≠ Raisonnement scientifique qui nécessite une construction, une prise de distance. Evidence du réel. Commun : Renvoie à l’idée de quelque chose d’ordinaire, de banal, de populaire. Renvoie également à la dimension collective, qui peut s’appliquer à plusieurs personnes. Le sens commun est donc ordinaire, partagé par un certain nombre de personnes. C’est également ce qui va attribuer une signification à la vie de ce collectif notamment au travers de l’orientation des jugements et des actions. Cette signification est évidente, instinctive et difficile à remettre en cause. Relève du populaire, du peuple. → « Sens collectif populaire ».

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On retrouve ici implicitement la notion de hiérarchie en termes de classes sociales. La cognition sociale a tendance à invisibiliser cette hiérarchie, elle la prend comme un fait sans en faire quelque chose. Dans un article de 1984, MOSCOVICI et HEWSTONE vont essayer de définir ce qu’ils entendent par sens commun, plus précisément par « science au sens commun ». Selon eux, le sens commun est constitué d’images et de liaisons mentales qui seront utilisées et parlées par tout le monde pour résoudre des problèmes familiers = corpus de connaissances. Ce corpus est fondée sur des traditions, il relève donc du collectif. Il s’enrichit à partir des expériences des individus et de ce qu’ils font. Il est basé sur les observations, sur ce qui est sensible. Dans le cadre de ce corpus, les individus et les objets seront nommés et classés. Il permet d’organiser l’environnement et de poser des hypothèses. Ces connaissances apparaissent dans le langage de tous les jours (≠ langage scientifique qui est artificiel et élaboré par les scientifiques). Elles ont un caractère d’évidence que l’on ne peut réfuter. Renvoie à un consensus sur ce que savent les gens, on le sait ensemble. Ces auteurs vont envisager qu’il y a deux types de sens commun et donc deux corpus de connaissances distincts :

connaissances de première main : renvoie à la tradition, à tout ce qui a été produit spontanément par les personnes.

connaissances de seconde main : prend comme origine la science et les différentes disciplines scientifiques. Les auteurs veulent mettre en avant le fait que les gens récupèrent et s’approprient des connaissances scientifiques pour créer de nouvelles connaissances. La science a un effet sur la vie quotidienne. Elle est intégrée au sens commun.

Selon les auteurs, les connaissances de première main se transmettent dans le cadre de la communication orale. Les connaissances de seconde main, elles, se développeraient et de se diffuseraient par le biais des médias, de l’écrit et du film. La science a donc une influence et termes de contenu et de raisonnement. Le sens commun n’est pas considéré comme un mauvais reflet du raisonnement scientifique. Ce sont deux corpus présent dans une même société, l’un influence l’autre sans hiérarchie. Ces deux auteurs se sont principalement intéressés à comment les personnes d’approprient les connaissances scientifiques mais d’autre chercheurs ont essayés de montrer comment le sens commun pouvait aussi influencer les découvertes scientifiques = ne fonctionne pas que dans un sens.

SENS COMMUN SCIENCES

Le sens commun a souvent été qualifié de pensée sociale pour qu’on puisse le comparer à d’autres formes de raisonnement :

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pensée scientifiques,

pensée magique,

etc. Rend les différentes pensées « équivalentes ». On appelle cette pensée « sociale » car ce sont les autres, les relations, qui sont l’objet de ce courant. Pensée partagée, pensée collective. Partage d’une même condition. Dans le cadre de l’étude de la pensée sociale, on essaye de ne pas séparer le contenu de la pensée du processus d’élaboration de celle-ci. Les deux s’entre-déterminent. = Pensée constituée + Pensée constituante Le processus est fondamentalement social mais le contenu est aussi important, il n’est pas anecdotique comme le pensent les auteurs du courant de la cognition sociale. Ce sur quoi on pense a un lien avec la façon dont on le pense. Le raisonnement est fondamentalement social que ce soit du point de vue de l’endroit où l’on raisonne que de l’objet sur lequel on raisonne. La culture dans laquelle a lieu la pensée sociale a donc une incidence sur elle. Elle est considérée à la fois comme un témoignage (= contenu) et une œuvre (= processus) de la société.

B. Théorie de ROUQUETTE : les caractéristiques de la pensée sociale

Pour ROUQUETTE, la pensée sociale est une pensée concrète parce qu’elle est liée aux questions liées à la vie quotidienne, réalité vécue immédiatement. Ce n’est pas une pensée qui va se développer dans l’abstraction. Par exemple, le cas particulier ne va pas simplement constituer un exemple, une illustration mais la généralité, le contenu même de cette pensée. On généralise à partir d’un cas. Ex. : les hommes sont violents parce que j’ai rencontré un homme qui était violent. Situation spécifique, que je vis immédiatement = cas général. D’où la dimension de concret. Autre notion importante (vient notamment des travaux d’HEIDER) : pensée qui n’aime pas les vides et les incertitudes. Tendance à compléter. On ne raconte pas des faits partiels parce qu’on n’a que ces information. On va remplir les vides en inférant pour avoir une vision générale et complète = avoir un tout. On cherche à construire quelque chose qui a du sens dans la réalité immédiate. Cette pensée ne fait donc pas vraiment dans la nuance. C’est également une pensée qui va interpréter dans l’immédiat. Comme la formation d’impression, c’est quelque chose que l’on fait dès que la chose arrive. C’est donc un discours qui se construit au fur et à mesure et qui peut évoluer quitte à dire le contraire de ce que l’on disait au départ.

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Dans cette pensée on ne retrouve pas la loi de non contradiction décrite par LEVY-BRUHL. S’adapte à la situation psychosociale des interlocuteurs. Interactions entre des individualités et contexte dans lequel elles ont lieu. Evolution du discours où différentes opinions pourront être émises sans que leur incompatibilité soient mises en avant et puissent être relevée. Dans un système plus rationnel on verrait cette incompatibilité immédiatement. Ici, la question ne se pose pas. La cohérence est sur le moment. C’est une pensée qui sera pluri-déterminée parce qu’elle est soumise à plusieurs contraintes qui renvoient à cet aspect psychosocial.

Facteurs individuels (contrainte dans la façon de discourir et dans les contenus) ;

Contraintes liées au groupe (pressions, normes, valeurs) voire des facteurs liés à des structures sociales (discours en fonction des positions d’individus d’un autre groupe) ;

Détermination liée à des idéologies (idéologie scientifique, politique, etc. Dépend de la thématique du discours).

Discours n’est pas uniquement MON discours mais également celui de mon groupe et un discours que je produis par rapport à d’autres groupes. Sans les autres groupes, mon propre groupe n’a pas raison d’être. A partir de là, la position que va développer ROUQUETTE, c’est d’essayer de considérer cette pensée sociale comme une pensée qui a sa propre logique = logique psychosociale. On ne peut pas la caractériser à partir de mauvais fonctionnement, d’erreurs de fonctionnement. Il va alors proposer des caractéristiques de cette pensée. Décrit la même chose que ce que d’autres chercheurs ont déjà décrit notamment dans l’étude des biais cognitifs mais en l’orientant autrement.

1. Le formalisme spontané Renvoie au fait que l’individu va utiliser des stéréotypes, des préconceptions dans son discours. On dit à partir de ces préconçus la façon dont on pense les choses. A travers de l’interlocution, on dit quelle est notre vision du monde donc en quelque sorte qui je suis. Ex. : les hommes sont violents, les femmes sont particulièrement douces. Renvoie au biais de la représentativité. Dans le cadre des biais cognitifs, les auteurs mettent en avant comment les individus pensent de façon biaisée. Ils caractérisent donc cette pensée du quotidien à partir des erreurs de pensée. Dans le cadre de la pensée sociale, le fait de penser à partir de préconçus n’est pas présenté comme une erreur mais comme une caractéristique. N’a pas la même incidence car on ne pense pas l’individu de la même façon.

2. Le dualisme causal Considère qu’il y a d’une part une causalité scientifique et d’autre part une causalité phénoménale où les effets et les causes se retrouvent répartis parce que les évènements apparaissent au même moment dans un même endroit : cooccurrence des évènements. Causalité liée à une proximité (spatiale et/ou temporelle). Correspond au biais des corrélations illusoires. Lien entre des évènements qui a priori n’en ont pas.

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Ce qui est décrit par ROUQUETTE c’est la même chose mais pas considéré comme une erreur.

3. Le primat de la conclusion Situation où l’on connait à l’avance les réponses aux questions que je me pose. On a une conviction a priori et le discours va s’orienter et se construire à partir de cette conviction. On ne cherche pas à valider ou infirmer ce que l’on pense. Utilisation de préconception pour construire le discours. Variation autour de cette conception de départ. L’individu va chercher les éléments qui vont confirmer son idée voire même compléter les vides par l’inférence. En termes de biais cognitif, le même raisonnement a été présenté dans la confirmation des hypothèses. Ces différentes caractéristiques mettent en avant une pensée qui ne change pas véritablement par rapport notamment au contenu. Pas de modification de la façon dont on conçoit la réalité. Ce n’est pas une pensée qui va intégrer de la nouveauté, de la découverte. C’est au contraire une pensée qui fonctionne à partir d’elle-même et qui du coup tourne un peu en rond. On préserve les connaissances. On peut alors parler de croyances, de préconceptions = évidences.

C. Théorie de MOSCOVICI : les formations mentales

Selon MOSCOVICI, il s’agit d’une pensée dont la fonction essentielle est de maintenir une vision stable et uniforme du monde social afin de pouvoir prédire la tournure des interactions. Pensée qui s’enracine dans la sociabilité, c'est-à-dire qui va dépendre de ces différentes caractéristiques sociologiques et des contextes (pluridéterminée). N’essaye pas de se mettre à l’épreuve comme le ferait un raisonnement scientifique par exemple. Participe à renforcer la cohésion sociale. Le fait que l’information soit valide ne compte pas, c’est le partage qui est important car il renforce les liens. Le contenu est important mais il permet surtout de partager une sociabilité qui lui est spécifique. Cette pensée a sa propre logique et sa propre cohérence qui sont fondamentalement sociales. Dans le cadre de cette conception, l’idée est systématiquement de se dégager de l’irrationalité et d’aller trouver la cohérence de cette forme de pensée. Ne pas la penser en comparaison évaluative. Ne pas évaluer le niveau de rationalité de la pensée. C’est ce que proposera MOSCOVICI un peu plus tard dans un article dans les années 1990. MOSCOVICI va proposer la notion de formation mentale pour essayer de penser autrement la pensée sociale. Son idée à l’origine était d’essayer d’aborder la pensée sociale sans la subordonner à la pensée rationnelle. Pour M. ce qui est important c’est de déterminer les représentations mentales qui seront à l’origine des croyances et des pratiques des individus. Cette notion va permettre de repérer différents modes de raisonnements. On peut aborder un même objet de différentes façons. Formation mentale = système qui a pour objectif de représenter et de mettre en pratique des connaissances puis de communiquer ces connaissances par des voies qui lui sont spécifiques. Décrit un système de représentations et de pratiques autonome.

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Donc par exemple, le raisonnement scientifique n’aura de sens que dans le système scientifique, dans la formation mentale qui renvoie à la science. N’aura pas de sens dans la formation mentale de la magie. Raisonnements ne sont plus comparables et perméables. Tous les systèmes de raisonnement sont indépendants. Il devient alors difficile de comparer un raisonnement magique à un raisonnement scientifique. Chaque raisonnement doit être compris au sein de son propre système de représentations. M. va partir de l’exemple de quatre formations mentales : la magie, la science, la religion et l’idéologie. Va utiliser deux aspects : représentations et pratiques. Pour chaque aspect il va considérer que les représentations et les pratiques sont soit faillibles soit infaillibles. Peut-on ou non le remettre en question ?

Représentations

Faillibles Infaillibles

Pratiques Faillibles Science (1) Religion, dogme

Infaillibles Magie Idéologie (2)

1 : Toujours une remise en question possible, on peut améliorer, élaborer des nouvelles connaissances 2 : Aucune remise en question possible On a différentes façons de penser le monde. Un même phénomène pourra être examiné dans chacune des formations mentales. Cela produira chez les individus des prises de position et des conduites qui seront différentes selon la formation mentale à laquelle ils font référence. Pas de stigmatisation d’un mode de raisonnement. Polyphasie cognitive = capacité pour un même individu de passer d’une formation mentale à une autre en fonction des situations psychosociales dans lesquelles il se trouve (interlocuteur, thématiques, environnement). Les individus ne sont pas enfermés dans un seul lieu en termes de raisonnement. Certains raisonnements sont valorisés dans une société donnée mais pour comprendre le raisonnement il faut se débarrasser de la préconception qui vient de la société dans laquelle on vit. Se dégager, en tant que chercheur, de ses propres conceptions. Redonne à l’individu sa capacité à appréhender la réalité de différentes façons. Pensée du quotidien n’est plus conçue comme inférieure au raisonnement scientifique. Dans la continuité des travaux de MOSCOVICI, d’autres théories ont été proposées. 1) Théorie des représentations sociales 2) La question de la mémoire (mémoire collective) 3) Phénomène de rumeur

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IV. D’autres travaux sur la pensée sociale

A. Théorie des représentations sociales

MOSCOVICI (publications : 1961, 1976) Recherche menée au milieu des années 50. Sa question de départ était la suivante : Comment les individus s’approprient les connaissances scientifiques ? Passage de la science dans le sens commun. Il est parti de la théorie psychanalytique = théorie scientifique très médiatisée à l’époque. A l’origine, son idée était que ce que font les individus aura un caractère créateur en opposition à la vulgarisation scientifique (= connotation négative qui renvoie à l’idée qu’on a simplifié à l’extrême la théorie scientifique = introduction d’erreurs et de distorsions). De son point de vue, il y a un processus créateur = processus de socialisation de la science. Les individus vont élaborer un autre type de connaissances. Ils partent des connaissances scientifiques et les intégrer pour créer d’autres connaissances qui vont répondre à d’autres besoins que ceux de la science. Répond à des contraintes différentes. ≠ Simplification = Appropriation Vulgarisation scientifique ≠ Socialisation de la science On aura d’un côté la théorie psychanalytique et d’un autre la psychanalyse telle que les individus la considère. Pour élaborer sa théorie, M. s’est inspiré du concept de « représentation collective » développé par DURKHEIM en 1898. D. avait mis au point ce concept dans l’objectif de distinguer les aspects individuels des aspects sociaux. Il considérait les faits sociaux indépendants des faits individuels. Selon D., la représentation collective correspond à une classe très générale de faits psychiques et sociaux se rattachant aussi bien à la science qu’à l’idéologie ou au mythe. Il n’a pas réussi à expliquer la pluralité des modes d’organisation de la pensée justement par ce que son concept était beaucoup trop général. L’idée de « représentation collective » a donc été progressivement abandonnée. MOSCOVICI récupère ce concept mais en l’adaptant à la société dans laquelle il vit (plus la même époque). La société en question est beaucoup plus morcelée que celle de DURKHEIM. La dimension collective y est beaucoup moins forte. C’est pour cette raison qu’il va remplacer le terme « collective » par le terme « sociale », il met ainsi en avant une forme spécifique de pensée.

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L’objectif des recherches de M. était d’expliquer comment les individus élaborent des théories de sens commun à partir de théories scientifiques.

1. Mécanismes en jeu dans les représentations sociales

Abandon de la distinction entre l’univers extérieur et l’univers intérieur du sujet, il n’y a plus de coupure nette entre le sujet et l’objet. Il considère que les deux univers se recoupent partiellement. Il y aurait une appropriation de l’univers extérieur par l’univers intérieur. Il n’y aurait donc pas de réalité objective mais une réalité appropriée. Toute réponse à un stimulus pourra être partiellement envisagée comme l’origine du stimulus. Exemple : Si une personne exprime une attitude négative par rapport à la psychanalyse, elle a d’abord du se l’approprier pour pouvoir la juger. En fait, elle donne son avis sur la version reconstruite par elle-même de la psychanalyse. En fait, l’individu ne pense pas sur la réalité telle qu’elle est mais sur une reconstruction de cette réalité et c’est cette construction qui constitue alors le réel. La réalité n’existe pas en dehors de l’individu lui-même. Pour autant, cette reconstruction n’est pas un reflet de la réalité, il s’agit d’une organisation spécifique qui possède une signification. C’est à partir de cette réalité que les individus pourront penser et interpréter leur quotidien.

Distinction de la représentation sociale de l’opinion et de l’image. Les concepts d’opinion et d’image étaient définis à l’époque par rapport à la distinction entre intérieur et extérieur. Correspondaient à un reflet de la réalité.

Dimension de la communication. A cette époque, les auteurs abordaient les individus et le groupe de façon assez statique à partir de la façon dont ils sélectionnaient et utilisaient les informations qui circulaient dans la société. MOSCOVICI, lui, propose de considérer les interactions comme une caractéristique essentielle des individus et des groupes. La représentation sociale s’élabore à partir des interactions sociales. Sa façon d’aborder l’individu est donc plus dynamique, il produit des comportements et des relations.

Représentations sociales = théories autonomes au sens de science collective. Ce sont des théories qui peuvent fonctionner seules. M. décrit un processus de familiarisation de l’individu avec le réel qui aura un impact sur le réel préexistant. L’individu n’est pas passif : il interagit, il sélectionne et élabore les informations, il cherche à donner du sens à la réalité.

2. Fonctions des représentations sociales

a. Fonction de domestication de l’étrange Appréhension et appropriation d’informations nouvelles parfois étranges. Par exemple, dans le cas de la psychanalyse, certaines notions sont soit incompréhensibles (inconscient, complexe, refoulement, etc.), soit choquantes (libido). Les individus ne savaient pas comment les appréhender au premier abord.

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MOSCOVICI a essayé de repérer les difficultés de compréhension que pouvaient rencontrer les individus et comment ils y font face. M. distingue deux types de difficultés :

certaines notions ne disposent pas d’une structure d’accueil intellectuelle c'est-à-dire qu’il n’y aucun élément intellectuel qui permette de comprendre de quoi on parle ;

ce qui manque dans d’autres cas c’est un support matériel auquel se raccrocher, rien de concret.

Par exemple, lorsqu’on parle de la relation psychanalyste/psychanalysé, on peut voir concrètement à quoi ça renvoie mais on ne comprend pas forcément comment ça fonctionne = pas de structure d’accueil intellectuelle. Au contraire, si on considère la notion de libido, il n’y a rien de matériel mais on peut essayer de la comprendre grâce à des éléments intellectuels. Tout le travail d’élaboration des représentations sociales consiste à palier ces étrangetés et à produire soit la structure intellectuelle manquante, soit le support matériel. = Tout un travail autour de l’analogie. Double mouvement : d’abord dissociation des concepts puis perception. On pioche dans différents univers pour reconstruire quelque chose de compréhensible. Nouvelle façon de percevoir la réalité. Pour comprendre le concept d’association libre, les gens ont notamment utilisé la relation de confession religieuse, il fallait donc d’abord détacher la confession de sa dimension religieuse puis l’appliquer à la compréhension du nouveau concept. Permet d’aller au-delà du concret de deux personnes qui parlent dans une pièce. Après cette première étape, il y a un « effet retour » : c'est-à-dire que le fait de piocher des éléments un peu partout modifie le regard des individus sur ces éléments (ex. : sur la façon de percevoir la relation de confession). Ce qu’on connaissait a priori bien devient partiellement inconnu et nouveau. On reconstruit également la situation qu’on a utilisée pour comprendre la nouvelle situation. En s’appropriant et en élaborant la théorie scientifique, on change en partie ce qui nous a permis d’appréhender la nouveauté. Création d’un « monde nouveau ». Double création. Une représentation est toujours « de quelque chose » : on confère à l’objet le statut de signe. L’objet devient signifiant, il a un sens. Une représentation est toujours « de quelqu’un » ou « d’un groupe ». Dimension d’appartenance à un groupe. La représentation sociale est une forme de connaissance. Elle permet à celui qui connait de s’approprier un nouvel univers et de se replacer dans l’univers qu’il connait. On considère qu’il y a une tension entre un pôle passif et un pôle actif.

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Pôle passif = empreinte de l’objet, noyau figuratif = FIGURE Pôle actif = choix des sujets, signification attribuée = SENS

b. Fonction d’orientation des comportements La représentation sera une sorte de guide des conduites. A partir de la signification qu’elle a produit, elle dit ce qui constitue une série de comportements acceptables ou de comportements inacceptables. Dès lors qu’on produit une représentation, un système d’anticipations, d’attentes se met en place. Ce dernier permet de comprendre la réalité et de dire quels comportements je peux produire ou non. Il permet également de savoir comment les autres vont se comporter = prédiction. Expérience de Denise JODELET (1989) : « Les représentations sociales de la folie » Elle a réalisé un travail au sein d’une communauté rurale dans laquelle étaient placés des malades mentaux. Il y avait différentes étapes à cette étude :

un travail d’observation sur le terrain : comment se passe concrètement l’insertion du malade mental dans la communauté ?

des entretiens auprès des habitants de la commune : que disent les gens, quel est leur discours ?

un travail d’analyse de documents sur l’histoire de cette commune dans le cadre de l’accueil des malades mentaux.

Elle voulait montrer comment les habitants de cette commune pouvaient se représenter la folie. L’observation sur le terrain lui permet d’aller au-delà du discours seul des individus et de comparer ce qu’ils disent et ce qu’ils font réellement. Il y a recontextualisation de ce qui est dit dans les entretiens. Elle a mis en évidence une conception de l’Homme à partir de ce qu’on dit les habitants (cette conception était partagée par tous). Il s’agit donc ici d’une théorie naïve de la structure de l’organisme. Il s’agit d’un système en trois parties :

l’organique

le cerveau = social

les nerfs = nature Cerveau et nerfs sont deux éléments indépendants et antagonistes. Un individu est considéré comme malade quand l’un des deux systèmes est défaillant. Cette conception tripartite permet la distinction entre deux types de malades :

malades du cerveau

malades des nerfs Les premiers sont considérés comme de « bons » malades, ils ne sont ni dangereux, ni contagieux, ils ne présentent pas de risque. En revanche, les seconds sont considérés comme dangereux et potentiellement contagieux.

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La façon de percevoir une personne comme malade du cerveau ou des nerfs va influencer le mode d’interaction avec cette personne. A partir du moment où la personne est identifiée, on peut lui attribuer une place, déterminer la façon dont on va se comporter avec elle, prévoir ses comportements. On va donc produire un certain nombre de comportements et en supprimer certains (trier le linge, serrer la main, faire la bise, etc.). Un répertoire de conduites spécifique s’offre à l’individu en fonction de la façon dont il se représente l’humain. Dans le discours recueilli dans les entretiens, tous les habitants déclaraient que tous les malades étaient intégrés. Pourtant, l’observation montrait des variations dans le comportement des habitants.

c. Fonction de justification des comportements émis et des prises de position a posteriori

Lien direct avec la fonction précédente. Il y a une légitimation des conduites. Les représentations sociales participent à maintenir les positions des groupes les uns par rapport aux autres et peuvent même parfois les renforcer. Maintient et justifie la séparation des groupes.

d. Fonction d’identité Les représentations sociales participent à définir et à sauvegarder l’identité du groupe. Elles s’élaborent à partir du système de normes et de valeurs du groupe. Elles permettent de s’identifier soi-même et d’identifier l’autre. Elles maintiennent étanche la frontière entre les groupes. En même temps de dire qui je suis, je dis qui je ne suis pas et du même coup, je peux définir l’autre qui n’est pas moi.

3. Comment se construisent les représentations sociales ? A partir de là, MOSCOVICI a défini deux processus qui seront à l’origine de l’élaboration de la représentation sociale :

a. Processus d’objectivation Ce processus consiste à passer de l’abstrait au concret, à du « compréhensible ». C’est un moyen pour les individus de se sortir de la théorie scientifique d’origine. C’est une prise de liberté. Les individus vont sortir les éléments de leur contexte scientifique pour les amener dans un contexte de sens commun. Ce sont les individus qui deviennent du coup les experts et non plus les scientifiques. = Activité créatrice.

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Les nouvelles théories qui sont du coup de sens commun peuvent alors fonctionner de manière autonome. Ce processus d’objectivation commence par une sélection des informations dans l’environnement. En effet, toutes les informations ne peuvent pas être en accord avec les normes et les valeurs du groupe. Certaines informations seront donc supprimées et d’autres modifiées pour rentrer dans le cadre. Il faut également souligner que tous les individus n’auront pas accès aux mêmes informations à la base selon le groupe auquel ils appartiennent (dépend par exemple des médias qu’ils choisissent, du parti auquel ils appartiennent, etc.). Après la sélection des informations vient la schématisation de la théorie = naturalisation. En schématisant la théorie, on produit un noyau figuratif (= expression directe de la théorie initiale). Ce schéma est simple et concret. Il fait référence aux normes et aux valeurs du groupe qui le produit. Exemple : Schéma de la théorie psychanalytique. M. a montré que les représentations sociales de l’appareil psychique s’établissaient à partir des notions d’intérieur et d’extérieur.

Conscient → visible

Refoulement → Complexes

Inconscient → invisible

Le refoulement fait le lien entre le conscient et l’inconscient. NB : Le schéma a toujours un lien avec la théorie de base mais en décalé. A partir de ce schéma, les individus vont essayer de comprendre les autres notions de la théorie. Dans le schéma de la psychanalyse, on peut noter qu’on ne trouve pas la notion de libido. Cela s’explique par le fait que ce sujet constituait un tabou à l’époque pour la plupart des groupes. Neutralisation de ce qui est gênant. Ce schéma reste une construction propre à l’individu. Il lui permet de repenser le réel. Il change la façon d’aborder les comportements et d’y réagir. Ce processus d’objectivation est un processus de naturalisation des idées. C’est ce qui va faire que la représentation sera une théorie profane autonome. ≠ double de la théorie scientifique. Devient quelque chose d’évident.

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b. Processus d’ancrage En lien avec le processus d’objectivation. Ce processus d’ancrage est plus spécifiquement le principe qui va consister à insérer quelque chose qui n’est pas familier dans le réseau de catégories familières (dans ce qui est préexistant). Confronter et insérer le nouveau dans le familier. Ce qu’on a schématisé sera inséré dans un cadre familier ce qui va permettre de l’interpréter et de l’utiliser au quotidien. C’est à partir de là qu’on aura réellement une représentation sociale. Notre système d’interprétation du réel va alors générer ses propres catégories d’implication. La représentation sociale est pensée comme un système fonctionnel d’explication quotidienne. On va lui attribuer des domaines où elle pourra intervenir, une efficacité dans certains domaines. La représentation sociale permet également de faire des classifications : des personnes, des évènements, etc. (ex. : tel enfant fait son œdipe, telle personne est névrosée). On pourra alors expliquer certains phénomènes différemment. Avec ces deux processus - qui sont à l’origine des représentations sociales - les individus vont pouvoir domestiquer l’étrange. Ils portent alors un nouveau regard sur ce qui était auparavant familier. Par exemple, la psychanalyse a changé la vision des gens sur la façon dont les enfants grandissent. Il y a donc une modification des catégories préexistantes. Le changement dépend du type d’objet et de sa place dans la société. Par exemple, la psychanalyse a provoqué de nombreuses modifications aussi bien au niveau scientifique qu’au niveau de la population. Par cette théorie des représentations sociales, MOSCOVICI voulait montrer l’articulation des aspects cognitifs et des aspects sociaux. Il voulait montrer que les deux étaient liés et qu’on ne pouvait pas penser l’un sans l’autre. A partir de cette théorie, deux autres courants se sont créés chacun étant plus ou moins focalisé sur l’un ou l’autre des aspects.

Théorie du noyau central (ABRIC, 1976) → voir TD sur les représentations

sociales : née de la théorie du noyau figuratif et des travaux de HEIDER sur l’équilibre structural. Cette théorie va davantage se centrer sur l’organisation de la structure de la représentation. ABRIC propose une organisation très spécifique : selon lui, les éléments cognitifs sont des éléments fondamentaux qui vont organiser la représentation et lui donner sa signification. Rejoint l’idée de traits centraux de la théorie de la formation d’impression mise au point par ASCH. Il y aurait des éléments plus structurants que d’autres, et ce sont ces éléments qui détermineraient la façon dont on pense les objets.

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Des éléments font sens pour un groupe et vont donc structurer leur perception des objets. Cela aura une incidence sur la façon dont on va appréhender les éléments liés à l’objet (ex. : l’avis sur l’objet central va influencer l’avis sur les éléments associés à cet objet). L’idée de formalisation est très importante dans cette approche. Il faut déterminer le noyau central car c’est ce qui fait le commun au groupe. Au contraire, les éléments périphériques représentent l’individualité. Orientation cognitive.

Théorie des principes générateurs de prise de position : courant initié par DOISE au début des années 80. Elle se base sur les propositions de BOURDIEU = versant sociologique. Orientation différente de celle d’ABRIC. Cependant, les deux courants gardent à l’idée qu’il y a une articulation entre social et cognitif. La théorie des principes générateurs de prise de proposition part de la question des positions sociales des groupes. DOISE propose d’étudier les liens entre l’organisation de la représentation et les rapports sociaux entre les groupes. Il considère que les représentations sont en partie déterminées par l’organisation des rapports entre groupe et participent à la gestion de ces rapports entre groupes. L’individu élabore la représentation à partir de qui il est mais également par rapport à ses rapports aux autres et à sa position dans la société. Les représentations ne s’élaborent pas dans le vide. Les rapports symboliques et les relations de pouvoir pourront également se lire dans l’élaboration des représentations. Dans la théorie des représentations, ce qui est produit est aussi important que la façon dont c’est produit.

B. La mémoire collective

La théorie des représentations sociales ne sont pas une simplification de la théorie scientifique. Elles ont leur propre logique sociale et ont une incidence sur le quotidien. La notion de mémoire pose aussi la question de comment les individus vont mémoriser des éléments de leur passé. Lorsqu’on se rappelle on fait référence à un certain passé mais ce dont on se souvient dépend aussi de la place de l’individu dans son présent. La mémoire permet aux individus d’être vivants. Sans mémoire du passé, on sait qu’on a du mal à exister. Elle est également importante par rapport au collectif. La constitution d’une mémoire permet d’exister dans son propre regard et dans le regard des autres.

1. Conception d’HALBWACHS Sociologue Pour lui, la mémoire est forcément quelque chose de collectif. Il pense qu’on ne peut pas distinguer une mémoire qui soit strictement individuelle d’une mémoire qui soit strictement collective.

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Il répond aux propositions de BERGSON qui considère qu’il y a une distinction entre deux formes de mémoire :

une mémoire sociale : pratique et rationnelle ;

une mémoire pure : individuelle.

La mémoire pure émergerait, selon lui quand l’individu est totalement isolé du monde social. Elle serait indépendante des insertions sociales des individus. Elle correspondrait à l’emmagasinage et à la reconstitution des évènements. HALBWACHS se positionne contre cette conception car, selon lui, l’individu n’est jamais strictement isolé du monde social. A partir de là, il considère qu’on ne peut pas avoir une mémoire strictement individuelle. Il prend comme exemple le rêve et le souvenir, deux activités le sujet est a priori seul et isolé du monde social.

a. Le rêve De son point de vue, l’individu empreinte à la réalité sociale les matériaux qui forment ses rêves. Il utilise toute la symbolique, les images qui proviennent de la société à laquelle appartient l’individu. H. parle aussi bien de la vie matérielle que de la vie morale.

b. Le souvenir Activité liée à la mémoire. Selon, H., le souvenir ne consiste pas seulement à retrouver une information telle qu’on l’aurait mémorisée à un moment donné. Il serait plus une reconstitution de l’évènement à partir des conditions sociales du présent. On reconstruit le passé en fonction du présent. H. considère que cette activité de souvenir a intrinsèquement une origine sociale. Comme pour le rêve, l’individu va utiliser les matériaux fournit par la société pour former son souvenir, ses normes, ses valeurs. La société indique ce qui peut ou non faire l’objet d’un souvenir. D’une certaine façon, elle nous aide à choisir ce dont on va se souvenir, elle autorise le souvenir de tel ou tel évènement. Ex. : c’est la société qui nous dit qu’il faut absolument se rappeler du jour de son mariage. La façon dont on conçoit un objet va influencer le souvenir qu’on se fait des éléments liés à cet objet. Ex. : conception de la famille. Lien avec la tradition. La tradition du groupe auquel on appartient apparait à travers le souvenir. H. ne fait jamais intervenir le fait de bien ou de mal se souvenir d’un évènement. Si les conditions du présent ont changé, on va réinterpréter le souvenir différemment. Ce n’est pas pour autant qu’on va mal se souvenir. L’individu se souvient en tant que membre d’un groupe, par rapport aux autres membres de ce groupe et également pas rapport aux membres des autres groupes. Dépend donc de la position du groupe auquel il appartient.

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Les souvenirs des individus sont généralement qualifiés de mémoire autobiographique mais, selon H., ils ne sont jamais strictement individuels. Il considère la mémoire comme un entrecroisement des différentes positions occupées par l’individu. Ce n’est pas une élaboration individuelle strictement différente d’une mémoire collective. La différenciation n’a pas lieu d’être. Le même processus a été décrit par BARTLETT dans les années 30. Il va insister sur le processus de construction sociale. BARTLETT parle de conventionnalisation sociale pour parler de l’appropriation des évènements par les individus, de leur intégration au schéma social du groupe. Dans la continuité de ces travaux, HALBWACHS va insister sur le fait que la raison pour laquelle la mémoire sélectionne des éléments c’est parce qu’elle est porteuse d’un message par rapport au groupe. Elle est liée à une demande d’existence, de reconnaissance.

2. Fonction identitaire

a. Fonction de permanence La mémoire aurait donc une fonction identitaire importante. Partager un souvenir, se retrouver autour d’un même passé participe à la cohésion et assure une continuité qui fait ce que la personne est au moment présent. A travers la mémoire, l’identité se construit dans la permanence et la continuité grâce à l’utilisation de symbole. Elle a une dimension normative. Le groupe a besoin de sentir qu’il existe à travers le temps. Le partage d’un passé commun permet ce sentiment d’exister. Permet de dire d’où on vient, de comparer la façon dont on vit par rapport à la façon dont on a vécu. Permet de dire qui on est. L’usage de la mémoire collective permet d’utiliser des références qui ont du sens.

b. Fonction symbolique La mémoire des groupes va se retrouver portée par des symboles. Ces symboles vont permettre un relai au langage. Les membres du groupe vont partager des significations constitutives de l’identité. Cela permet de dire quel type de groupe on est, de distinguer les individus du groupe de ceux des autres groupes. = Patrimoine symbolique commun à un groupe.

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Ces symboles peuvent être de natures différentes :

costumes ;

insignes ;

rituels ;

lieux (plaques commémoratives

objets (transmis de générations en générations)

évènements (qui reviennent régulièrement, ex. : Gay Pride)

Ces éléments symbolisent l’histoire du groupe, le passé de ce groupe. Ils rendent le passé matériel en le concrétisant. Christine CHIVALLON a fait un travail sur la Guadeloupe. Elle voulait étudier la façon dont les habitants d’appropriaient des lieux. Elle a choisi le « cimetière des esclaves ». Elle rapporte des entretiens réalisés avec des personnes qui vivent là-bas. Que les habitants admettent ou non qu’il s’agit d’un cimetière des esclaves, ce lieu joue une fonction symbolique très forte. Un habitant parle de « lieu de force » pour évoquer sa puissance. C’est un lieu où l’âme des esclaves peut transmettre de la force aux vivants. Ce lieu montre bien l’idée de passage entre passé et présent par l’intermédiaire des gens qui s’y rendent. Il y a bien une reconstruction dans le présent car les individus ressentent cette force dans une situation spécifique du présent. Tous ces éléments participent également au sentiment de permanence, de continuité de la mémoire collective. Le symbole révèle cette permanence et permet d’utiliser le passé.

c. Fonction normative La mémoire des groupes véhicule des normes. Elle dit ce qu’il est traditionnel de faire dans tel ou tel groupe. Elle montre comment appréhender les choses. En racontant son passé, l’individu dit quelles règles suivre et quelles valeurs transmettre par la mémoire. Ces coutumes, c’est ce qu’il faut faire si l’on veut rester membre du groupe. Ne pas les suivre, c’est se mettre en position de se faire exclure. La mémoire collective sert à faire le groupe mais cela sous-entend qu’elle a également une fonction d’exclusion. Quand on dit ce qui fait partie du groupe, on dit également nécessairement ce qui n’en fait pas partie. Dès qu’il y a norme, il y a intégration et exclusion (ce qui suit la norme et ce qui ne suit pas la norme). Cette intégration ou exclusion se fait toujours par rapport au présent, à la situation telle qu’elle est au moment présent. La mémoire se réélabore en permanence pour exclure les groupes qui dérangent ou qui ne suivent plus les normes. Conclusion sur la mémoire collective La première fonction de la mémoire collective est donc de faire le groupe. Elle lui permet d’exister pour lui-même, d’avoir un sentiment de commun, d’appartenance à un même ensemble.

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Elle permet de passer d’une simple assignation par l’autre à une réelle identification pour soi. Les individus vont prendre les éléments qui leur paraissent importants pour construire leur propre histoire. Par exemple, les homosexuels sont assignés à certaines pratiques et à certaines attitudes simplement parce qu’ils sont homosexuels. L’histoire individuelle soutenue par l’histoire collective. Ces groupes vont essayer d’utiliser cette assignation pour en faire quelque chose de productif grâce justement grâce à la mémoire collective. La mémoire collective permet de positionner un individu dans un groupe et par rapport aux autres individus des autres groupes. Elle rend le groupe visible. Elle permet aux individus d’un même groupe de faire bloc en tant que collectif, d’exister en faisant émerger un passé commun et leur permet ainsi d’entrer dans les jeux de pouvoir et de changer cette assignation. Transformation La question de l’élaboration du passé par le groupe renvoie également à la question de la transformation. Il ne faut pas concevoir ces transformations comme un mauvais fonctionnement de la mémoire mais comme une véritable élaboration faite par l’individu à un moment de leur vie. Ces transformations suivent une logique sociale liée à la place du groupe dans la société et du moment où cette élaboration a lieu. Travail de Valérie HAAS sur la ville de Vichy (2000) Travail de terrain : entretiens, recherche et analyse de documents, observation de l’institutionnalisation du passé par la ville. Elle a montré comment la ville mettait en œuvre des stratégies pour effacer les évènements moins glorieux menaçant l’identité des habitants. Elle revalorise des évènements pour « effacer » les autres et protéger l’identité du groupe. On voit bien que c’est institutionnel (action de la ville) mais elle a retrouvé cet aspect dans les entretiens. Ce n’est pas une partir de l’histoire qui est oubliée. Elle est seulement considérée comme taboue, secrète. Cependant, en essayant d’effacer cet évènement, il réapparait de façon systématique et vient stigmatiser la ville et les habitants = paradoxe. La mémoire collective a donc tendance à transformer les évènements du passé. Il ne faut pas considérer ces transformations comme des erreurs mais bien comme une élaboration différente. Cette nuance nous permet de faire la différence entre l’Histoire et la mémoire collective. Selon HALBWACHS, l’Histoire scientifique est une reconstruction savante des évènements, elle se construit différemment de la mémoire collective qui elle est une pensée continue.

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L’Histoire, telle qu’elle se faisait à l’époque d’H., se construit de façon discontinue. Elle met en avant une succession de périodes. Il y a cette idée de découper le temps en fonctions d’évènements considérés comme importants parce qu’ils sont porteurs de changement. L’Histoire ne va donc pas traiter les périodes entre ces moments car rien ne change. La mémoire collective va traiter tous ces moments où rien ne change et qui racontent qui on est. L’Histoire est centrée sur les différences, elle dresse un « tableau de changements » alors que la mémoire collective est centrée sur les similitudes, elle dresse un « tableau de ressemblances ». Unicité L’Histoire est a priori unique. Elle raconte le passé de la société, en examinant les différentes traces des évènements qui le composent et en les associant les uns aux autres pour obtenir un tableau global, unique et total. En revanche, la mémoire collective est multiple car elle renvoie à des groupes différents. Elle s’élabore par un groupe et les membres de ce groupe. Le souvenir sera différent d’un groupe à l’autre. A partir d’un même évènement, on aura des élaborations différentes. On pourra également trouver un même individu parlant du même évènement différemment selon le groupe auquel il fait référence au moment où il raconte le souvenir. On peut ici faire le lien avec la théorie des représentations sociales, c’est le même mode d’approche même si les enjeux ne sont pas les mêmes. Dans la mémoire collective, il y a un enjeu lié à une demande de reconnaissance de certains groupes. Enjeux politiques. L’histoire vise l’objectivité et met en place des méthodes qui permettent d’y tendre. Au contraire, la mémoire collective s’élabore à partir des différents membres du groupe et de la position de ce groupe. Elle vise à élaborer et à maintenir une identité, c'est-à-dire une existence. Un certain nombre d’auteurs considèrent la mémoire collective comme une représentation sociale du passé.

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C. Les rumeurs

Comme pour les représentations sociales et la mémoire collective, on peut aborder les rumeurs comme un dysfonctionnement de la communication ou comme un processus de communication avec sa propre logique.

1. Premiers travaux sur les rumeurs (ALLPORT, POSTMAN, LEPKIN) L’étude des rumeurs a réellement pris de l’importance pendant la seconde guerre mondiale avec les travaux d’ALLPORT et LEPKIN et d’ALLPORT et POSTMAN. En psychologie, ces études ont été reprises par ROUQUETTE dans les années 1970. Le mode d’approche des rumeurs est la transmission linéaire d’informations. On accorde une grande place à la mémorisation. Ce qui apparait dans cette expérience est l’impossibilité de mémoriser toute l’histoire ce qui a pour conséquence que l’on a tendance à raconter n’importe quoi. Une substitution s’est opérée entre méthode d’expérimentation et le phénomène véritablement étudié. La rumeur est devenue un phénomène de transmission linéaire d’informations. Perte car la rumeur peut en fait être considéré comme un processus de communication à part entière dans lequel les individus sont impliqués. ALLPORT considère qu’il y a, dans la rumeur un défaut de communication et qu’elle est dangereuse. Il considère donc que les individus qui transmettent des rumeurs communiquent mal et qu’il faut corriger ce dysfonctionnement. Pour cela, il faut commencer par comprendre comment fonctionne la rumeur. Tous les travaux sont donc directement liés à la méthode d’expérimentation et à la période très spécifique pendant laquelle ils ont été menés. ALLPORT et POSTMAN ont mis en évidence un mode de transmission spécifique de la rumeur. Le message est déformé suite à une reconstruction par les individus. Ont mis en évidence trois processus subis par le message :

réduction

accentuation

assimilation Les individus ont tendance à déconstruire l’histoire pour ensuite la reconstruire à leur façon. Le message est réduit à une taille mémorisable, avec une bonne forme pour soi (on le ramène à ce que l’on connait). Dans la reconstruction, l’individu exprime qui il est : ses normes, ses valeurs, ses représentations. Les déformations ne sont pas attribuables au hasard, elles renvoient à l’histoire et à l’appartenance des individus. Elles incluent le rapport aux autres groupes et met en avant l’appartenance de l’individu.

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2. Théorie de ROUQUETTE sur les rumeurs

Dans la continuité des travaux d’ALLPORT et POSTMAN, ROUQUETTE a mis en évidence le fait que la rumeur ne se propage pas dans une population différenciée, au hasard, elle suit la structuration de la société. Elle se propage au sein des groupes.

a. Caractéristiques de la rumeur Il met en évidence trois caractéristiques des rumeurs :

L’implication des individus : pour raconter une rumeur, la personne doit se sentir concernée par l’histoire qu’elle raconte. De plus, elle ne va pas transmettre cette histoire à n’importe qui, elle la racontera à quelqu’un dont elle sait qu’elle sera intéressée et concernée. La rumeur ne circule pas de façon aléatoire. Si la personne à qui on raconte l’histoire ne se sent pas concernée, la rumeur s’arrête là.

L’instabilité de l’histoire : renvoie aux différents processus décrits par ALLPORT et POSTMAN. A chaque fois que le message est transmis, il est également transformé en fonction des interlocuteurs, de son sexe, de son métier, de son âge, etc. En fonction de qui je suis et de qui j’ai en face de moi, je vais transformer l’histoire. Dans le champ de la rumeur, on parle souvent de déformation du message. Cette idée donne l’impression qu’il y avait un message de départ qui a été modifié en quelque chose qui n’a pas la « bonne forme », quelque chose de simplifié. Le terme « transformation » renvoie plus à l’idée de reconstruction, d’appropriation de l’histoire.

L’attribution du récit : on attribue systématiquement l’histoire que l’on raconte à une source qui va garantir sa véracité. Dans la rumeur, la source est souvent l’ami d’un ami. On ancre le récit dans un réseau de sociabilité. On peut également donner une source légitime par rapport à la thématique (institutions).

A partir de ces trois caractéristiques, on voit que le récit offert par la rumeur n’est pas un récit que l’on essaye de valider. On apporte des informations par rapport à son propre système de connaissances.

b. Fonctions de la rumeur Ce qui intéresse ROUQUETTE, c’est de comprendre quelle est la fonction de la rumeur dans le ou les collectif(s) dans le(s)quel(s) elle circule, à quoi elle sert. Il va proposer plusieurs fonctions :

1. Expliquer les évènements qui arrivent dans la réalité dans laquelle se situe l’individu. Pour cela, il faut chercher à savoir ce que disent les rumeurs au-delà du contenu lui-même : ce qu’elle dit des rapports entre les groupes, des institutions, etc.

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Pour autant, cela ne signifie pas qu’il ne faut pas s’intéresser au danger que peut représenter une rumeur.

2. Proposer des leçons « de morale » et des modes de conduite adaptés. La rumeur peut venir stigmatiser certaines conduites (ex. : il ne faut pas faire telle chose parce que ça pollue la planète). Renvoie à des valeurs collectives.

3. Renforcer la cohésion, la similitude au sein des groupes, partager quelque chose avec quelqu’un. La rumeur renforce la différenciation d’un groupe par rapport à d’autres groupes (qui ont une position particulière dans la société, ex. : les homosexuels). Renvoie à la caractéristique d’implication de l’individu dans l’histoire.

Chercher à comprendre la fonction de la rumeur permet de ne pas se focaliser uniquement sur son contenu.

3. Autres auteurs En 1999, les travaux de FROISSART vont dans le même sens que ceux de ROUQUETTE. Cet auteur insiste sur le fait qu’il faut arrêter de vérifier systématiquement le contenu de la rumeur. Pour lui, les rumeurs constituent une forme de lecture de l’état d’une société à un moment donné. Elles permettent d’accéder véritablement au mode de fonctionnement de la société dans laquelle la rumeur circule. Il propose de s’intéresser au métadiscours. ALDRIN, sociologue, a travaillé en 2005 sur une approche plus politique des rumeurs. Pour lui, les rumeurs sont un moyen de contourner la norme de « bien parler » (= contrainte normative de la prise de parole). Les individus se racontent explicitement des histoires qui relèvent de la rumeur pour dire quelque chose qu’ils ne pourraient pas dire autrement. C’est un biais de contournement des normes sociales Rejoint le point de vue de KRAPFERER qui, dans les années 80, avaient abordé les rumeurs comme un contre-pouvoir. Ce type d’analyse ne pourrait pas être fait si on ne s’intéressait qu’au contenu de la rumeur.

4. Travail de JUAN (années 2000) Cet auteur a essayé de montrer comment l’implication de l’individu pouvait influencer l’appropriation du message. Pour cela, elle a utilisé la méthode déjà utilisée par ALLPORT et POSTMAN. Elle a choisi deux groupes :

des témoins de Jéhovah (insérés dans un système de croyance)

des étudiants insérés dans aucun système de croyance.

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Ne concerne que les sujets qui ont accepté de participer à l’exercice. La thématique du message à transmettre concernait l’évolution de l’Homme. Ce thème a été choisi parce qu’il est important dans la doctrine des témoins de Jéhovah. Il est d’ailleurs souvent l’objet de polémique et de débat car ils considèrent que la théorie évolutionniste est responsable de l’athéisme de l’Homme. On présentait à tous les participants un article issu de la revue de vulgarisation scientifique « Sciences et vie ». Le but de l’étude était de voir comment les personnes impliquées (ici, les témoins de J.) vont gérer le conflit créé par le thème et s’approprier le message. L’hypothèse de départ était que le fait de mettre en cause une croyance fondamentale allait se manifester par un rejet de la part de la population concernée. Il y avait deux conditions, deux versions de l’article :

soit le texte proposé présentait des incertitudes

soit le texte proposé ne présentait pas d’incertitudes L’auteur va chercher à savoir si l’appropriation se fait différemment en fonction de la version du texte présentée. Lorsqu’il y a des incertitudes dans le texte, la personne peut s’approprier le message en conservant son système de croyance alors que, lorsqu’il n’y en a pas, elle sera obligée d’omettre certains éléments pour pouvoir le faire. La technique utilisée est spécifique car elle ne permet aucune interaction. En faisant cette étude, les auteurs pensaient qu’il n’y aurait pas de construction spécifique dans le groupe des étudiants car ils n’étaient pas impliqués dans un système de croyances. Ils le considéraient plus comme un groupe témoin. En fait ils ont montré que les étudiants aussi s’appropriaient le texte d’une façon particulière. Dans la plupart des cas, ils transformaient ressemblance en différence (texte : « les hommes et les singes se ressemblent à 99% » ; étudiants « les hommes et les singes sont différents à 99% »). Le fait que cette transformation soit régulière montre bien que ce n’est pas un hasard. On peut ici faire référence aux travaux de DECONCHY (ann. 90/2000) sur les systèmes idéologiques et les systèmes de croyance. En fait, selon lui, l’humain chercherait à se préserver de l’idée qu’il est un produit de la nature. Il utilise alors d’autres systèmes de croyance pour se distinguer de l’animal. Les membres du groupe des témoins de J. n’ont pas besoin de faire de différenciations puisque son système de croyance (religion) inclut déjà cette différenciation. Pour eux, c’est une évidence. Les étudiants, eux, ont besoin de le souligner. Ils transforment le message en fonction de qui ils sont.

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Conclusion : Représentations sociales, mémoire collective et rumeurs Les trois approches ont pour point commun d’essayer de ne pas se focaliser sur la vérité du contenu mais plutôt de s’intéresser aux fonctions de ces phénomènes et à leur rôle dans l’inscription sociale des individus. Que ce soient les rumeurs, la mémoire collective ou les représentations sociales, il ne faut jamais considérer le contenu comme une fausse croyance par exemple par rapport à la « science » au sens large. Ce sont des phénomènes parfois relativement proches. Par exemple, les rumeurs sont étudiées à partir d’une méthode fondée essentiellement sur la mémoire. On considère souvent la mémoire collective comme une représentation sociale du passé et que les rumeurs traduisent les représentations sociales du groupe et de sa mémoire. Ce sont des champs théoriques articulés ensembles. Ils traitent tous de la question du lien social car ils sont toujours abordés à partir des appartenances des individus et des modes de communication qui les fondent. La mémoire collective participe à l’élaboration d’une représentation sociale. En effet, le fait d’appréhender le nouveau à partir de qui est existant implique la mémoire collective. Or la mémoire collective s’élabore elle-même à partir des représentations du groupe, à partir du moment présent.