la pensée du langage chez heidegger

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  • 5/22/2018 La Pense Du Langage Chez Heidegger

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    Luce Fontaine-De Visscher

    La pense du langage chez HeideggerIn: Revue Philosophique de Louvain. Troisime srie, Tome 64, N82, 1966. pp. 224-262.

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    Fontaine-De Visscher Luce. La pense du langage chez Heidegger. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisime srie,

    Tome 64, N82, 1966. pp. 224-262.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1966_num_64_82_5348

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_phlou_93http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1966_num_64_82_5348http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1966_num_64_82_5348http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_phlou_93
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    La pense du langagechez Heidegger

    A une poque o, plus que jamais, le langage semble se rflchir sur lui-mme, on trouve dans l'uvre de Martin Heideggerune importance croissante accorde cette mditation. Importancetout naturellement greffe sur une pense de l'Etre qui s'est toujours affirme davantage comme tant celle de la connexion del'Etre et de l'apparatre.Nous voudrions, dans cet essai, tenter de suivre le dveloppemente ce sens toujours plus plein et plus essentiel reconnu aulangage.Chez Heidegger, l'Etre dit : le Logos est cette Dispensation qui ne l'puis jamais, car toujours en lui-mme il se replie.Si l'homme est celui qui dit (der Sagende), c'est parce que,de par son tre, il est entran dans le circuit indfini et mystrieuxd'une Dispensation, qu'aucune parole humaine ne dira jamais,alors qu'elle la dit tout le temps.T 5v X-^excci %oXkay&z : cette parole d'Aristote, dont Heideggrvait dcouvert trs jeune le commentaire chez Franz Bren-tano (1), fut comme le germe qui semble avoir fcond toute sonuvre, qui sera un questionnement inlassable partir de ce 8v,que la mtaphysique a transpos en problme de l'Un et du Multiple. Heidegger a toujours interrog le langage, ou mieux, a toujours t interrog par lui. La parole d'Aristote tait porteuse de cecercle hermneutique dans lequel il s'est trouv pris ds le dbutde son enqute. Dj aprs avoir rpt dans Kant et le problme de la mtaphysique les lieux secrets de l'imagination trans-

    (') Unterwegs zar Sprache, p. 92: c ... lors de ma dernire anne de gymnasium, la date de l't 1907, je fus saisi de la question de l'Etre sous la formede la dissertation de Franz Brentano, professeur de Husserl. Elle est intitule: De la signification multiple de l'tant selon Aristote... (nous traduisons).

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    La penne du langage chez Heidegger 71bcendentale, dans Sein und Zeit, il en fait apparatre la courburesous le projet comprhensif du Dasein. Le dpassement dcid dela mtaphysique rvlera le cercle dans toute son ampleur. Et dslors sa pense, pousant d'une part le langage pur chez le pote,et cherchant, d'autre part, en une exprience hglienne commeinverse, correspondre au Logos mme, nous entranera dans lesillage de cet avnement gnreux et pourtant jamais inviol. Cesera dsormais la pense qui coute, et qui seulement questionneparce qu'elle est interpelle.S'il y a une pense du langage, ce ne peut tre, pour Heidegger, qu'une pense de l Etre, qui s'adresse l'homme, et faitde lui le diseur de l'Etre.Kant et le problme de la mtaphysique, que l'on peut considrer comme une uvre contemporaine de Sem und Zeit (2>,offre avant tout l'intrt d'tre la premire rptition de Heidegger. Si celle-ci est peut-tre moins radicale que celles quisuivront celles des prsocratiques, de Hegel, de Nietzsche en ce sens qu'elle ne dpasse pas encore clairement les termes danslequel le problme kantien de la critique est pos, elle opre nanmoins dj cette dsimplication, si caractristique de toute l'oeuvreheideggrienne, de ce partir de quoi Kant a pos sa question eta tent de la rsoudre. C'est la premire bauche d'un Schrittzurtick et nous verrons que c'est cette dmarche qui justementdonnera peu peu au langage sa plnitude de sens.Dvoiler l'tre de ce-qui-a-t

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    226 Luce Fontaine-De Viaschercritique : le schmatisme transcendental comme intuition pure dutemps ouvre l'horizon grce auquel la transcendance se prsentecomme une offre perceptible qui nous permet de rencontrerl'tant (4). Remontant en quelque sorte contre-courant la critiquede Kant, Heidegger montre comment l'imagination transcenden-tale est vraiment la racine de la synthse ontologique. Car il s'agitbien d'un pouvoir (Einbildungskraft) de se donner un horizon :l'imagination opre la synopsis des sensations diverses, la reproduction du pass dans le prsent, et la recognition dans le concept,synthse du pass et du prsent en vue du futur, qui est le projetform par le concept

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    La pense du langage chez Heidegger 227que sur l'immdiatet de la thse comme prsence. Le rle le pluslarge est ainsi rserv la raison comme facult de juger.Kant a en quelque sorte recul devant sa propre mthode.Mais ce recul, dit Heidegger, ne doit pas tre interprt commepurement ngatif : ce recul est rvlateur de ce que Kant a dentrevoir d'abord et devant quoi prcisment il a recul, c'est--dire, l'Etre comme abme (9>. Se demandant si l'anthropologiesuffit fonder la mtaphysique, la fmitude prsuppose s'est faiteproblme pour lui : c'est la question mme de l'Etre qui s'y trouveimbrique. De sorte que la possibilit de connatre devient la possibilit d'une relation pure de l'Etre comme tel. Pour Heidegger, lersultat de l'instauration de la critique n'est pas seulement defonder la mtaphysique sur l'intuition pure du temps, mais dedvoiler que le Dasein, tant fmitude, comprend l'Etre sous formed'un projet de temps. Le temps n'est que le prnom de la vritde l'Etre dira Heidegger dans Was ist Metaphysik ? (10>. Etredans lequel s'enracine la comprhension telle qu'elle apparatdans l'analytique existentiale de Sein und Zeit.Ainsi se fait jour, ds Kant und das Problem der Metaphysik,une premire bauche d'une pense du langage que Heidegger r

    eprendr et approfondira sans relche. D'ores et dj le langages'annonce comme venue de prsence : c'est dans la prsence oconvergent pass et futur que nous pouvons rencontrer l'tant. Sansdpasser effectivement la mtaphysique, Kant entrevit nanmoinsson dpassement surtout dans la premire dition de sa critique lorsqu'il tablit le rle de l'imagination transcendentale. L oKant voit dans la transcendance le passage de l'objet l'objectivit(das Gegenstand uberhaupt) Heidegger reconnat le dpassementde l'tant par l'Etre (11). Et nous verrons bientt le langage assumerle rle de dployer cette diffrence , qui est le temps originaire.

    Dans Sein und Zeit, le langage fait dj l'objet d'une thma-

    Kant und dot Problem der Metaphynk, pp. 193-194.< ) Vorwort, p. 17.' ' Kant..., p. 111. Heidegger cite le principe kantien de tout jugementsynthtique Les conditions de possibilit de l'exprience en gnral sont enmme temps les conditions de possibilit des objets de l'exprience . Ce zu-gleichaein, c'est l'unit structurelle de la transcendance.

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    228 Luce Fontaine-De Visachertique explicite : lors de l'analytique du Dasein, il apparat commeco-existential au discours (Rede) qu'il articule, discours issu lui-mme de l' exploitation {Auslege) du monde.

    11 est bon de revenir, pour saisir le sens vritable, et toujoursplus clairement affirm par la suite, de Sein und Zeit, ce qui luia ouvert la voie, c'est--dire la phnomnologie. (1) L'ouvrage esten effet ddi Husserl. Mais cette ddicace est aussi le momento le disciple se spare de son matre, et cela au sens d'une rgression u fondement. Plutt que de donner une nouvelle direction la phnomnologie, j'essayais au contraire de la repenser d'unemanire plus originaire . En s'inspirant des donnes de l'ty-mologie, la phnomnologie est, strictement parler le se-montrerde ce qui apparat ; elle est donc hermneutique au sens premier et originaire, c'est--dire qu'elle vise dterminer l'essencemme de l interprtation (3). Et c'est ainsi que l'objectif ultime del'analytique de Sein und Zeit est le sens de l'Etre : telle est bien ladclaration d'intention de la page 1 de l'ouvrage.D'emble l'analytique existentiale du Dasein amorce unebrche dans l'univocit de l'tre husserlien pos en face d'un Ichpur. L'Etre ne peut faire l'objet d'une rduction, car le Ich mme,indissolublement pur et humain, est lui-mme pris dans l'Etre .Du sein mme de la facticit du Daaein surgit une possibilit essentielle, qui est la transcendance, le pouvoir-tre. La position d'unIch pur n'est pas le fondement dernier car elle prsuppose tre ;la phnomnologie de Husserl s'arrte la conscience et ne posepas la question de l'tre de la conscience (5). Heidegger veut doncoprer un dpassement fidle de la phnomnologie, ainsi qu'il

    I1' Unterwega zut Sprache, p. 95. Dana les notes du mme ouvrage, p. 269,Heidegger affirme, l'encontre de maints propos fallacieux, que la ddicace kHusserl fut maintenue dans l'dition de 5. und Z. de 1935. Si elle disparut decelle de 1942 sous la menace d'une interdiction de paratre, ce fut la condition conclue avec Niemeyer que la note de la p. 38, o l'auteur exprimait sareconnaissance Husserl, serait maintenue. Ibidem, p. 95. Ibidem, pp. 97. 98.

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    La pense du langage chez Heidegger 229l'crit W. Richardson (*\ dpassement que mettront encore davantage n lumire la pense de la vrit comme X^eia et de laprsence comme oafa.Comment le langage apparat-il dans l'analytique du Dasein ?II ne faut pas oublier que seul le premier volet de Sein und Zeita t crit. Et que si la recherche du sens de l'Etre est bien l intention animatrice de l'uvre, seule est parcourue l'tape o dusein de l'existence concrte le Dasein se rvle comme ouverture l'Etre. L'Etre n'est donc abord que du ct de la transcendance,comme tre des tants ; et, sans l'clairage des uvres ultrieures,on pourrait bien ne pas le distinguer du monde, de l'horizon, voiremme d'une ide rgulatrice la manire de Kant. Sans douteapparat dj, dans la manire de repenser la phnomnologie, lesens grec de Xdyo comme faire voir , 5V]XoOv. Mais la parole,envisage comme existential constitutif du Dasein, fait surtoutl'objet d'une minutieuse description de ses modalits existentielles.Le Dasein existe , c'est--dire qu'il est sur le mode d'treouvert l'Etre. Il y a ainsi deux faces l' existence , deux exis-tentiaux fondamentaux et insparables. D'une part, la situation : le Dasein est jet dans le monde qui n'est pas produit parlui, mais dans lequel il est rfr d'autres tants (qu'il peut rencontrer). Le monde (Welt), ensemble signifiant de structures rf-rentielles , est donc constitutif du Dasein ; dans la significabilit,le Dasein va dcouvrir le point de rfrence qu'il est lui-mme(Worumwillem) : il va se saisir comme l'tant qu'il est. La situationontique du Dasein, sa prsence dans un monde, cache ainsipour le Dasein la condition ontologique de la possibilit pour luide dcouvrir des significations, d'expliciter le monde (Auslegen) (8).Ceci fait apparatre l'autre face de l'existence, co-originaire la situation : la comprhension . S'il y a un monde pour

    W. BlEMEL, Le concept de Monde chez Heidegger, p. 81.(>) Sein und Zeit, p. 87. Le monde ustensilier n'est possible que parce que,toujours dj, l'homme a rencontr l'Etre. Ce qui sera davantage mis en reliefdans Der Ursprung de Kunstwer\es (Holzvege) : s'il y a des c choses , c'estparce qu'il y a des c uvres , c'est--dire rvlation de l'tre de l'tant, avnement de vrit. Heidegger y affirmera clairement que le monde de la penseet de l'art est ontologiquement antrieur au monde ustensilier. Cfr. aussi'W. BlEMEL, op. cit.

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    230 Luce Fontaine-De Viascherl'homme, une possibilit de signification, c'est parce que le Dasein,comme existant, comprend toujours dj l'Etre. Cet a priori d'unefamiliarit avec le monde fait que le Dasein se signifie aussi lui-mme comme tre, et cela avec d'autres Dasein (Mitsein). Par lacomprhension, au sein de la situation, le Dasein se projette dansl'Etre. C'est la transcendance finie, telle qu'on la trouve aussi dansKant und das Problem der Metaphysik- Da-Sein, c'est la foisouverture de et l'Etre (Erschlossenheit) Le Dasein est lumirepour lui-mme pour autant qu'il est dans la lumire. Et cela partoutet toujours, sous les formes les plus quotidiennes de l'existence :sous la forme du on {Man), de l 'inauthentique, dans les situationsles plus subies, toujours il porte le poids de son tre, qui est surle mode d'tre son Da. Le non-tre de la dchance (Verfallen)n'est pas rien : le Dasein ne peut dchoir, vivre repli sur unsoi inauthentique, que parce qu'il peut aussi toujours en merger.Nous verrons le langage, constitutif lui aussi du Dasein, marqu decette mme ambigut.Etre ouvert l Etre, c'est pour le Dasein, la possibilit de rencontrer des tants et ainsi de s'accomplir travers le monde. Seprojetant partir d'un appel silencieux de la conscience (Ruf),appel qui nat dans l'angoisse de la confrontation avec le nant,le Dasein est tendu dans un devoir-tre. Le projet dans l'Etre tre est la dcision {Entschlossenheit) racine de la vrit, antrieure tout jugement. Le Dasein se devance ainsi toujours m par lesouci (Sorge), dont le sens ultime, la condition de possibilit est letemps {die Zeit zu). Le Dasein est dans la vrit, et c'est la vritqui nous permet de la prsupposer : voici que se dploie dj lecercle hermneutique. La vrit est le dvoilement (et le non-dvoilement) de l Etre, et le Dasein est le lieu de ce dvoilement.Grce la comprhension, le Dasein peut expliciter le mondeen ses significations : il peut le dire et le dire d'autres. Le discours {Rede), co-existential dcoulant de la comprhension et dela situation, va articuler le projet toujours dj jet du Daseindans l'Etre.La logique s'enracine donc dans l'analyse existentiale duDasein. Le Dasein connat toujours dj le monde, et c'est pourquoi il peut le dire. Ds Sein und Zeit, le langage repose dj surl'ouverture de l'Etre. Dans YHumanismusbrief, le propre del'homme est de faire venir l'Etre en la parole {zur Sprache brin-

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    La petie du langage chez Heidegger 231gen) (*\ Parler devient ainsi aussi un entendre (hren) et un appartenir (gehren), qui entrane le Dasein vers les plus hautespossibilits d'Etre.Mais la comprhension est une comprhension situe : le langage sera donc marqu de dchance. C'est pourquoi il peut treaussi

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    232 Luce Fontaine-D VisscherLa parole est donc, essentiellement, un signe (Zeigen). Etun signe est d'abord ce qui fait signe , ce qui fait voir ... ce quise montre (SVjXoOv). Le signe originaire est ce qui se signifie, et non

    pas l'assemblage aprs coup de deux entits spares ; c'est lerapport qui est premier. L'unit du langage, c'est cette unit synthtique originaire du signe : l unit de ce qui se montre. Platondisait que ce qui fait l unit du langage, c'est qu'il est un dire dequelque chose (Xdyo xtvd).L'analytique du Dasein porte dj en germe toute une pensedu langage qui se fera jour au cours des uvres suivantes, maisavec un dcentrement de plus en plus marqu vers une pense del'Etre comme tel. Heidegger lui-mme a ressenti profondment cetransfert d'clairage. Dans Unterwegs zur Sprache

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    La penne du langage chez Heidegger 233de retourner l'Etre comme tel, dont le Da-Sein ne se conoit quecomme l'ouverture. Il s'ensuit donc que la mtaphysique, tournevers l tant et porte par l'Etre, ne pourrait se fonder elle-mmeet doit par consquent tre dpasse, in-troduite (3\ afin d'oprercette torsion, cette conversion vers l'Etre comme tel, dont la question apparat maintenant dans la clart.Du mme coup, le langage n'est plus seulement envisagcomme un existential, comme un bien de l'homme

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    234 Luce Fontaine-De Visschervoile (6). Comme advenir de la vrit, il est en mme temps non-vrit, oubli de lui-mme, et errance, oubli de cet oubli. L'Etre estdestin (GeschicJ^).L'Introduction la Mtaphysique commence par creuser lemot tre aux fins de lui (aire livrer ce qu'il a d'incomparabledans le rapport qu'il entretient avec sa signification. Quoiqu'il conditionne la possibilit mme du langage, il nous apparat superficiellement comme le concept le plus vide, le plus us. Et celaparce que tout le langage avec lui a perdu sa force d'appel, parsuite de l'affaiblissement de nos relations avec le langage. On nesait plus de quoi il s'agit dans le langage . Pour en saisirl'essence, il faudra mettre nu cette prsence qui parle dans lelangage. C'est en effet parce que nous disons est , parce quenous sommes diseurs d'Etre, montreurs d'Etre {sagen, zeigen), quenous parlons. Et cela est plus originaire en nous que d'trehomme .C'est non seulement le dbut de la philosophie qui est pass, mais

    (, Holxwege,p. 310. EinfUhrung.... p. 39.(*> Was heisst Denken ?, p. 6. H. BlRAULT, Existence et vrit, dans Revue de Mtaphyiqne et de Morale,janvier 1951, p. 64. Aussi M. DuFRENNE, art. cit, p. 27.(l0> Wat heitst Denken ?, p. 98: L'origine se cache sous le commencement >.

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    La pense du langage chez Heidegger 235le secret de cette origine, cach sous ce dbut, que ces quelquestextes pourront peut-tre nous livrer (11). Repenser le langagedu dbut, c'est retrouver le lieu essentiel o l'Etre s'est montr,o la pense lui a correspondu, mais o, en mme temps, il s'estaussi cach, imprimant ainsi son destin toute la philosophie occidentale. En effet, toute la mtaphysique repose sur un avoir vuavant , vers lequel elle ne retourne plus son regard (12>. L'Eidosde Platon, c'est le vidi, le wissen, c'est tout le cycle de la pensereprsentative qui s'annonce, jusqu'au blinzeln, signe vide dontparle Nietzsche, lorsque la mtaphysique aura boucl le cercle dela subjectivit et se sera rvle dans tout son nihilisme.Dj Nietzsche avait senti la force vive toujours prsente de lapense grecque. Mais il ne suffit pas comme lui de retourner lapremire question pose, car celle-ci contient dj une dcision quipsera dans toute la suite de l'histoire. Remonter l'origine commeAnfang (au sens de reprise sur ), c'est revenir une question quirpond, qui correspond . Car la premire question ne rpondjamais elle-mme. Seule lui reste la pense qui procde del'homme lorsqu'il est l'coute de la voix de l Etre, et qui le renddisponible pour la garde de la vrit de l'Etre (3). On voit comment le retour aux premiers Grecs constitue chez Heidegger une. L'Etre est le se donner au dehors , qui prfigure djle Logos et la Mora d'Heraclite.

    (U) Heidegger met l'accent sur ducere: bersefzen, c'est traduire le grec ence que la pense grecque nous livre, pour le (aire accder la parole. Traductionoit tre tradition, Ueberlieferung cfr. Was heisst Denk.cn ?, p. 140.< > Platons Lehre von der Wahrheit, p. 51. Was heisst Denkfin ?, p. 77.< > Nietzsche, II, p. 29 (Nous traduisons).(U) On retrouve ce sens dans le il y a allemand: es gibt Sein. Cet il y a ne traduit pas exactement < es gibt . Car le es qui ici gibt (donne) est l'Etre lui-mme. Cfr. Lettre sur l'humanisme, trad. R. MUNIER, p. 83.

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    236 Luce Fontaine-D VisscherQuant la qrai d'Heraclite, elle a perdu dans la naturalatine la vigueur de son sens premier. La tiai, c'est l'panouissemente ce qui perdure (watet) dans le s'panouir. Ce quitoujours merge de ce qui toujours se cache (15). De cette mergencenat un monde qui donne aux tants leur tre. La ai est doncune conqute itdXejio que la pense contiendra Qe voOde Parmnide). L'Etre est ainsi harmonieux rapport avec soi, quidispense et recueille en soi la prsence. Ce rapport est pour Heraclite e Logos. Ceci nous amne au sens premier de Xyetv, celuid'o drivent les sens divers de : dire, choisir, mettre part.Aeyetv c'est d'abord laisser tendu devant (16), en vue de choisiret de recueillir. Le sujet , ce dont on parle, ne se dit-il pas en

    grec : fcrcoxefyievov, ce qu'on a l, tendu devant soi ?Mais pour l'homme, l'xoeiv fait partie de Xl^ew ; le langagede l'homme est rponse au Logos, poXorflv : un dire du Mme,c'est--dire, non une identit vide, mais une appartenance vivanteau sein de la diffrence.Le Logos est ainsi Un et Tout

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    La pense du langage chez Heidegger 237La tragdie grecque nous parle sa manire de la connexionoriginaire de l'Etre et de l'apparatre, sous son aspect de lutte, lagigantomachie dont parle encore Platon. dipe en particulier estla tragdie du combat entre l'Etre et ce qui se donne pour leparatre, l'apparence comme blosser Schein : car si l'Etre doit (t xpewv) se rvler, il se cache aussi, et la simple apparence peutse donner comme tre. L'Etre engendre lui-mme l'illusion, entre-lac de dvoilement a vrai et de pure apparence. Et c'est pourquoi il est destin, histoire ; sans errance, il n'y aurait pas d histoire Holzweze, p. 310.( > Einfiihrung..., p. 99.(**> Ibidem, p. 134 (nous traduisons).

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    23 Luce fontaine-e Viascherviendra la condition de possibilit de Kant. Et Leibniz demande : pourquoi y a-t-il de l'Etre plutt que rien ?, recherchantle fondement des choses, mais oublieux du fondant comme tel.Dieu est Cause premire, Ur-aache. Cependant la pense causale,le principium reddendae rationis, si elle cherche rendre compte ne pense pas le rendre compte comme tel, le rechnen. Le jugement qui tablit la conformit d'un sujet et d'un prdicat ne remonte pas ce qui rend la convenance possible : ce qui n'a a pas de fondement, parce que de lui vient tout fondement, l'Ab-grund d'o provient tout Grund, la diffrence ontologique qui posela diversit et la recueille dans le simple, le mme. La mtaphysique,lle, ne peut atteindre qu'une Cause suprme, summumEns. Seule la pense de l'Etre comme diffrence peut entrer dansla proximit (daa Nhe) de l'innomm qui se dispense dans la prsence (24).La parole authentique repose donc dans le Logos. Le reste,dit Heraclite, n'est qu' aboiements de chiens . Tout comme leschiens aboient ce qu'ils ne connaissent pas (2S>, les hommesparlent de l'tant et passent ct de l'Etre sans le voir.Dans le clbre x yp ax voelv axtv xs %cd evai, Parmnideaffirme l'appartenance de la pense l'Etre ; appartenance o semeut encore le jugement synthtique de Kant, et aussi la dialectique de Hegel. Mais encore une fois l'optique s'est inverse, etl'appartenance de l'homme l'Etre s'est mue en appartenancedes tants l'homme. Or la pense n'est pas d'abord saisie, mainmise sur (Begriff), mais accueil (in-die-Acht-nehmen) contenant(voO, Vernunft) le Logos en son arrive. La 8 Ainsi s'efface l'apparente incohrence du pome de Parmnide: XP^l^SoxfjUO slvttl exprime une ncessit ontologique; il fallait que l'Etre apparaissedans sa diversit (qu'on se souvienne du X )(pSWV d'Anaximandre). L'apparenceest de l'Etre, le (1/?) ov n'est pas Rien, mais ce qui s'arrache de l''EoV; caril est de l'Etre de sortir de lui-mme dans l'tant et de s'en retirer; c'est ainsi

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    La pense du langage chez Heidegger 239Parmnide prcise encore que la pense est unc'est l'Etre apparaissant ; la dat, le dire, est une apparition d'Etre(rce EinfUhrung..., p. 74 (nous traduisons).() Wir ... wagender sind (Wozu Dichter, Hohwege, p. 255). M. LOREAU, Cadre ontologique de la peinture contemporaine, dans ReueInternationale de Philogophie, 1964, n 68-69, p. 321.

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    240 Luce Fontaine-De Vhackerexcelle mettre en relief cette oscillation de la pense en quilibre instable entre le versant matinal de la rvlation et le versant occidental de la reprsentation et de la subjectivit. Le mythede la caverne peut tre entendu la fois comme une tude de lavrit (XVjfreia) et comme une doctrine de salut, la naiSefa tantdj une philosophie de la valeur .L'ide comme el8o, comme aspect , conserve encore le sensd'apparatre, du merger grce auquel chaque chose accde laprsence Au double sens de venue de prsence et de rapport soi.( > Cfr. Lettre sur l'humanisme.

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    La penne du tangage chez Heidegger 241chez Platon, il deviendra grinant {entsetzend) chez Nietzschequi placera l'art au-dessus de la vrit. L'Etre a engendr la nuequi le voile, l'Ide se vide, la forme n'est plus que das Formal d'o toute rvlation s'est tue.

    L'Origine de l'uvre d'Art dans les Holzwege, contemporainede Y Introduction la Mtaphysique (1935), ramne l'art un projetde vrit, c'est--dire un avnement de l' X^fteia : le combatentre la terre , ce qui est cach, et le monde qui s'instaure,rendant prsentes les choses et les y abritant dans la prsence.

    L'uvre d'art accomplit ainsi le cercle dans lequel la pense dcouvre qu'elle est toujours dj dans l'Etre ; elle ralise le bond (Sprung) de l'tant l'Etre. Tout art est en son fond posie : carcomme mise en uvre de vrit, il ne peut exister que sur fondde langage. La posie, langage l'tat pur, est vraiment l'art premier ; elle est l'oeuure, au sens aristotlicien de 2p*fov : arrived'tre dans une forme, ptop

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    242 Luce Fontaine-De VisscherComme on le voit, l'Origine de l'uvre d'Art manifeste encoredes attaches avec 5em und Zeit, en ce qu'elle considre pluttl'tant dans son closion dans l'tant en totalit que l'Etre commetel en sa rserve. L'expos garde encore de la mtaphysique unecertaine allure dialectique ; le fond et la forme sont encore prsents dans leur ajointement (3) ; car Heidegger part encore de

    la considration de l'tant comme produit (hervorgebracht). Entravers de tout l'expos cependant rayonne l'uvre comme Spyov.Quant la posie, comme dans 5em und Zeit, elle apparat encorecomme un document prontologique parmi d'autres, telle l'approched'un Etre suprme , la fondation de la cit. Il ne s'agit pas encoreexplicitement du dire qui correspond la pense de l'Etre.Un mme cheminement est manifeste si l'on considre lesdivers essais sur Hlderlin (s). B. Allemann souligne le fait significatif ue lorsque Heidegger les a publis en 1944, il n'a pas placen tte Hlderlin et l'essence de la posie, pourtant crit en 1936

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    La pense du langage chez Heidegger 243pas pleinement effectu. La posie est encore approche commeun bien de l'homme, un existential dcoulant du discours {Rede) (8>.

    L'essai Hlderlin et l'essence de la posie a comme pivots deuxthmes qui apparemment s'affrontent, mais que trois autres viennentensuite rconcilier. Les cinq thmes dvelopps partent de cinq paroles de Hlderlin.Les deux premires considrations sont : que la posie estla plus innocente des occupations ; et que le langage est le plusdangereux de tous les biens . La posie est un jeu innocent : ellese tient l'intrieur du langage. Elle est le langage ne concernantque lui-mme, n'engageant que lui-mme. Mais il n'y a langageque lorsqu'il y a dialogue ; et le dialogue implique que l'on secomprenne l'un l'autre, donc que l'on comprenne l'un et l'autre lemme. C'est pourquoi le langage fonde l'histoire, le temps ; siquelque chose demeure et persiste, c'est parce que la posie entant que langage pur rend les choses prsentes, les fonde dansl'Etre. La posie est fondation de l'Etre dans et par la parole (l0).L'homme n'est homme que parce que avant tout il est cette fondation (n>, libre don de l Etre, gratuit qui est la marque de laposie. Si d'une part la posie est innocente, c'est qu'elle se tienthors de l'habituel, du quotidien, l'abri des coups de celui-ci. Letemps qu'elle fait venir, l'histoire qu'elle porte, nous emmne ailleurs , loin des choses manipulables qui sont seulement dansle temps.Mais en mme temps le langage est aussi le plus dangereuxde tous les biens ; tant fondation d'Etre, il risque l'Etre.Rilke ne dit-il pas que, de tous les tres, l'homme est celui qui

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    244 Luce Fontaine-e ViascKerrisque le plus ? Nous allons avec le risque, le voulons, et parfoisrisquons plus que la vie mme , mais la sainte sobrit , un retour la terrenatale , c'est--dire l'affirmation, au maintien de la diffrence . Diffrencia-

    < > Cit dans Holztoege, p. 255 (trad. W. BrokmeieR, Chemin: p. 226).< > Erlauterungen, p. 42. B. Allemann, op. cit., p. 197.< > Erlauterungen, p. 42 (trad. H. CoRBIN, p. 58).< > Ce dpassement est dj prsent dans YEmpdocle, uvre de jeunesseo le Royal (le Fini) s'affirme en face de l' Empdoclen > (l'attrait du Feudu Ciel).< > Comme pourraient le faire croire certains pomes de jeunesse. B. AllE-MANN cite par ex. Les fleuves aspirent l'ocan... (A la nature); et ... Nullepart il ne doit demeurer, sinon o le Pre le reoit dans ses bras > (Le Fleuveenchant); cfr. op. cit., pp. 19 et 21.< B. Allemann, op. cit., pp. 226-240.< > Cfr. l'lgie Brot und Wein, Erlauterungen, pp. 44-45; aussi Woxu Dichterdans les Holzvoege. pp. 248-295.< > Cit par B. ALLEMANN, op. dt., p. 240.

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    La pene du langage chez Heidegger 245tion qui est prcisment ce que Heidegger entendra toujours davantagehez Hlderlin, en cho sa propre requte.

    En 1939, la mditation du pome Comme au jour de fte nouele dialogue entre pense et posie. Ici le chant du pote ouvre ladimension du sacr. Cette dimension c'est l'claircie de l'Etre, c'estla prsence que doit contenir la pense (voO). La pense ainsis'achemine vers son mode initial, qui est le mode du dire. Ladimension du sacr est corrlative l'claircie de l'Etre.Plus qu'un expos dialectique qui tournerait autour de certainesparoles du pome, le commentaire de Heidegger cherche pluttici laisser tre le pome, pouser par la pense ce qu'ilannonce, laisser le pome s'claircir en quelque sorte lui-mme : Pour l'amour de ce qui vient en pome, l'claircissement doitviser tre superflu. Le dernier pas consiste ... disparatre ...devant la pure prsence du pome (ai).Tandis que la critique littraire recherche l'unit du fond et dela forme, ici c'est la prsence mme du pome qui est vise (33\c'est--dire l unit plus profonde dont le pome lui-mme mane,celle qui n'est pas dite et qui demeure sous le voile du chant (as>.Pour cela il faut que la pense se renverse en quelque sorte surelle-mme et se branche sur l'histoire de l'Etre mise en uvre parle pome. L'espace de jeu ouvert par le pome n'est pasl'espace du sujet l'objet, mais la diffrence, le dploiement del'espace pens comme tel. Pense et dire se trouvent reculs au-delde toute distinction logique . Ils se diffrencient, mais commeinsparables, aspirs vers un mme centre, tourbillon d'un questionnement plus originel (35).Le pote est celui qui vit la fte , l'accord avec le ciel. Hse tient dans l'espace entre les dieux et les hommes, comme lepaysan qui se repose, regarde son champ, et se souvient de la

    () Erl&uterungen. pp. 7-8 (Vorwort); cfr. aussi M. DuFRENNE, Critique littraire et phnomnologie dans Revue Internationale de Philoophie, 1964, n* 68-69. p. 208.' > B. Allemann, op. cit., pp. 163 qq, p. 165, n. 1.

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    246 Luce Fontaine-De VisscherNature et de ses dons que le labeur quotidien lui fait oublier. Peu peu se dessine la dimension du dire potique. Avant mme d'trenomme, la Nature est appele, ds le dbut du pome, la touteprsente. C'est cette prsence qui va nous ouvrir l'espace de jeude la posie et qui constitue l'unit profonde du pome. Ici laNature n'est plus pour Hlderlin celle qu'il nommait dans sespomes de jeunesse, l'absolu immdiat o le pote aspire sejeter ( le Pre le reoit dans ses bras ) (26). Heidegger y reconnatla ptiai grecque : ce qui s'avance en se refermant sur soi et faitapparatre ainsi toutes choses en leur contour (xXo).Toujours prsente, non pas intemporelle, mais plus que temporelle, elle est le temps mme : ce qui, toujours dj, a accordla prsence ce qui apparat, ce cercle, toujours dj inscrit, dela diffrence qu'il fait natre. La Nature est ainsi ce repos, quilibre d'un combat o l'un pousse l'autre dans son apparatre (2T>.Comme esprit, la Nature inspire les choses et les fait apparatredans la diffrence. Non pas Esprit absolu donc venant soi, et quiserait l'abolition de la diffrence ; mais la Nature vient elle, traverse par son accord avec elle-mme, son Logos.L'ouverture cre par le pome, c'est donc la mdiation. Etseul l'immdiat, le sacr peut engendrer la mdiation, car il semdiatise ncessairement

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    La pense du langage chez Heidegger 247de l'me du pote (3S>. Il porte ce qui n'est jamais objet , maisce qui vient.

    Par le pote, le sacr vient et brise le silence. Et le pote setient la tte dcouverte (33>, expos au sacr, annonant la mdiationue seul l'immdiat, l'indicible rend possible : Et ce que jevis, que le Sacr soit ma parole (34>. Le pote devient l'instrumentdu sacr, le lieu o fleurit la prsence. La parole est un appel dece qu'il espre et guette. Et la nomination potique dit ce quel'Invoqu lui-mme ... met le pote dans la ncessit de dire (35).C'est le sacr lui-mme qui s'branle. Il semble menac par cetbranlement, mais ne vacille pas pour autant ; car Cur ternel,il reste pourtant ferme (36). Il est Cur , c'est--dire l'intimitde toutes choses se tenant en lui pour tre prsentes. Inaugural persistant, Heraclite le nommait x p/?) 8Ovov note. Car si le sacr estmenac, c'est par le pur feu du Pre (37>, c'est--dire par sonpropre branlement ; tout se ramne en lui, rien ne pourrait (V?) tre branl par ce qui n'est pas lui.Le sacr est la persistance dans la venue. Toute souffrance,toute perte se fond en lui en un commencement radieux. Toujoursil est dire. Hlderlin l'appelle (38) encore Voici , dsignant letemps, l'histoire. Car il n'y a histoire que chaque fois que l'Etrede la Vrit se dcide inauguralement (39).Le pome est une fte , la fte du sacr ; non un hymne quichante ses louanges, le clbre, mais qui l'instaure. L'hymne estune parole qui appelle, qui vient du Sacr : Le Sacr fait don dela parole et vient lui-mme en cette parole. La parole est avnement du Sacr (40). La dimension du pome c'est l'histoire, cerapport, cette diffrence dans laquelle nous nous trouvons toujoursdj < >.

    ( > Ibidem, p. 65 (trad. p. 86).(*) Ibidem, p. 68 (trad. p. 90).(**) Erlauterungen, p. 70 (trad. p. 92).( ' Ibidem, p. 56 (trad. p. 75) ; Heidegger cite aussi' le vers tir de A laSource du Danube : Nous te nommons, contraints par le Sacr, te nommonsNature .< > Ibidem, p. 70 (trad. p. 93).< > Ibidem.

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    248 Luce Fontaine'Dc VisscherL'espace s'ouvre donc dmesurment, port par la parole.Toujours mdiatis, l'immdiat, par le fait mme qu'il se dvoile,

    se retire en une insondable ngativit. Dj les Grecs ont conu lavrit comme le lieu d'un combat. Le \iyew, comme rassembler ,exprime cette pose recueillante de l'Etre : qui fait paratre touteschoses en les rassemblant en lui-mme. Tout autre Xiyew, touteautre - logie est le fait d'une pense purement reprsentative, dracine o se consomme l'oubli de l'Etre au profit de la subjectivit42).De 1943 datent deux autres essais sur Hlderlin : Retour etSouvenir. Dsormais le retrait, le Schritt zurtick., est pleinementaccompli dans la parole de l'Etre. Heidegger y parle la langue mmede la pense (de l'Etre). B. Allemann (43) fait remarquer que lesimages, totalement absentes de la langue de Sein und Zeit, apparaissent maintenant de plus en plus nombreuses ; non que Heidegger utilise le style potique pour exprimer ses ides, mais parcequ'il pense la parole et fait parler la pense. Le rapport pense-posie, ne peut plus s'expliquer du dehors, il se situe au-del d'unrapport logique ; ce qui les unit, c'est un dialogue du mme ,en de de la langue parle. C'est de 1943 aussi que date la postface de Was ist Metaphysik ? o il crit : On sait maintes chosessur le rapport entre la philosophie et la posie. Mais nous ne savonsrien du dialogue du pote et du penseur qui 'habitent dans laproximit sur les monts les plus spars' . Nommer devient laisser paratre le Haut lui-mme dans la parole . Les motspeuvent tre dits partir de l'claircie du sacr ; pour laisserparatre le Haut qui demeure dans le sacr, il nous manque laparole bien nommante (46).On se souvient d'Heraclite (B32) : Ev... X^eafrat ox iUXti %xldiXst Ztjv Holzwege, dans Hegeh Begrtf tr Erfahrung, pp. 31-32 (1942). Op. cit., pp. 247-249.(M> P. 51, Heidegger cite Hlderlin (nous traduisons).< > Erutemngen, p. 26 (trad. M. DEGUY, p. 33). De 1944-45 date ZnrErrterung der Gelagsenheit, dialogue o le Lehrer dit le mot ne reprsentejamais rien, mais signifie (be-deutet) quelque chose, c'est--dire, le montrant, lefait sjourner dans le lointain (la rserve) de son dicible (Celasaenheit, p. 46,nous traduisons).< > Erlauterungtn, p. 27 (trad. p. 34).

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    La pense du langage chez Heidegger 249un chant sans paroles, une lyre qui accorde chaque heure leton (47). L'ade ne voit pas le Haut lui-mme, il est aveugle (4S).Mais si le dieu est absent, son dfaut n'est pas une carence. Si lesnoms sacrs manquent, le besoin qui s'en fait sentir, le souci ,constitue la richesse de la parole ; richesse qu'elle perd si l'hommes'accoutume ce manque, ne le ressent plus comme manque, et sefabrique un dieu son image (le summum Ens).Si l'homme a la parole, c'est donc pour lui une dterminationssentielle. S'il est homme, c'est parce qu'il est diseur ,montreur d'Etre. Riche en mrites c'est potiquement quel'homme habite sur cette terre : ces vers, dj mdits en 1936dans Hlderlin et l'essence de la posie, feront l'objet d'une confrence en 1951 (49). L'homme habite la terre d'abord en tantque pote. Mais qu'est-ce que l' habiter demande Heideggerdans Bauen, wohnen, Denizen ? Erluterungen, p. 26 (trad. p. 33).< > Hlderlin intitule une ode < Le pote aveugle . cfr. B. AlXEMANN, op. cit..p. 173. Kant dit de l'imagination qu'elle est une (onction de l'me, aveuglemais indispensable, sans laquelle nous ne pouvons jamais et nulle part avoiraucune connaissance, mais dont nous n'avons que trs rarement conscience ;comme la < tache aveugle de notre pupille (Critique de la Rai$on Pure, trad.Tremesaygues et Pacaud, p. 93).< > Vortrage und Aufsatze, pp. 187-204.

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    250 ' Luce Fontaine-De VieschrEn tant que signes, nous pouvons, dans notre parler humain, donnerune signification aux choses (53). Posie est pense fidle (58).L'homme est d'abord un diseur, un rpondant attentif au dire, pome antrieur tout dire, qui a dj par avance recouvert deson dit tout dire potique, parce que c'est en lui que tout fondement arrte fermement ce qu'elle fonde (54).Que disent donc les potes ? Ici les vers prcdents nousclairent . Il est dit que l'homme n'est pas mal avis s'il semesure avec la divinit . Et pourtant Dieu est inconnu ; s'il semanifeste, c'est comme le ciel dont l'homme n'atteint que l'espacequi l'en spare. Ce qu'est alors la divinit ? La mesure del'homme

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    La pense du langage chez Heidegger 251 Je voudrais chanter un chant lger mais je n'y parviens plusCar mon bonheur ne me rend pas le discours facile... (1).C'est l'cran de l'idalisme finalement dchir sur l'ineffable.Mais l'autre ple aussi, dans le Logos hglien, celui de l'apparatre ur, du fable pur, Heidegger entend rsonner l'cho de cetteessence oublie, qui est la dimension cache de la dialectique.Pour Hegel, la posie est le fait d'une pense non encore in

    tri ori s e mlange de subjectivit et d'objectivit non surmontes.Le pote est celui qui n'opre pas encore le retour complet sursoi de la rflexion : la pense chez lui est encore aline dans lesensible : quand le sens y apparat comme sens, l'art disparat auprofit de la pense, qui se veut pure mdiation.Et pourtant la logique est elle aussi fille du x ax de Par-mnide. Mais la co-appartenance devient ici identit rigide, repliesur soi, et qui ne s'ouvre plus sur le dploiement de la diffrence,sur l'essence secrte qui seule rend possible une identit. Aussi toutela mtaphysique se meut-elle en logique . L'Absolu est toutentier dans son apparatre et s'puise en cet apparatre. Ce qui estpremier c'est la mdiation d'une dialectique toujours dj commence et d'ailleurs toujours dj acheve. En tant que Logos,le langage humain est pour Hegel la rflexion de l'Etre sur lui-mme, se disant au travers de l'homme qui parle. Le langage n'estdonc jamais maniement purement extrieur de signes : il est toujours dj dialectique. Le langage prcde et accomplit lapense : c'est l'indissoluble circuit de l'Etre s 'apparaissant lui-mme (3).Dj une premire confrontation avec Hegel dans Sein undZeit (8) faisait pressentir Heidegger que le temps hglien ne peutamorcer une dialectique permettant le dploiement de la prsence.Le temps reste chez lui une ngativit abstraite, qui ne surmonterien. Posant l'autre comme son autre, la diffrence hglienne,comme ngation de ce dont elle rsulte , ne s'ouvre pas sur lediffrenciant qui la rend possible. Or le Nant est plus originaireque le Non et la Ngation (il.

    Hymne Le Voyage, cit par B. ALLEMANN, op. cit.. p. 236.

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    252 Luce Fontaine-De VisscherEt pourtant que de thmes hgliens ont d fconder la mditation de Heidegger Qu'il suffice de lire Hegel et son concept de

    l'Exprience dans les Holzwege : ce sens de la parousie, de l'Etretoujours dj bei uns dans le cercle de l'exprience (Erfohrung),et que nous devons redcouvrir au cours d'une conversion ,d'un retournement de la conscience vers l'apparatre comme tel L'onto-thologie et la dialectique, dans Tijdachrift coor PhiloBOphie, dcem re 1958, p. 702.O Holzwege, pp. 142. 176-177.'*' A. De Waelhens, Identit et Diffrence: Heidegger et Hegel, dans ReueInternationale de Philosophie, n 52, p. 225.

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    La pense au tangage chez Heidegger 253tation a voil la prsence, et cela est l'essence mme de la mtaphysique. Si l'Etre est saisi dans le sujet, il demeure reprsentationle \ 8v est transpos au plan de la subjectivit, comme objetcorrlatif. Le XYClV hglien, pure comparaison de la conscienceavec elle-mme, ne recueille pas vraiment l'Etre. Ds Platon djs'effaait la face originaire du Logos ; car l'Etre toujours se retirede son apparatre. La logique hglienne a achev la scission del'Etre et de son apparatre. Le Logos n'est plus la pose recueillante qui rassemble l'Etre et l'tant dans la diffrence, dont le 5vdes grecs tait encore gros.Et pourtant la dialectique des objets de la conscience reposesur le Logos ' , en tant qu'il est -Xirjfreia, dvoilement de l'Etrecomme vrit de l'tant, en un clat insoutenable, mais irrfutable.Aussi l'achvement de la mtaphysique chez Hegel, sa transmutationn logique est-elle pour Heidegger un tmoignage de cetimpens, de ce Logos du 8v, qui sous le dguisement de laratio demeure infond comme tel, Abgrund, et s'affirme avec violence dans la parousie. Lonto-logie dvoile ainsi pour Heideggerson essence : le Se-Savoir absolu affirme l'Etre comme dire ; laPhnomnologie, c'est l'Etre dans son extrme alination dansl'apparatre. La conqute de l'absoluit de l'apparatre tmoigneen fait de son essence.dentitt und Differenz nous installe au cur mme du processus de la vrit, auquel nous appartenons par le lien fragile etunique du langage. Car c'est par le langage que nous appartenonsau temps, l'Etre comme avnement {Ereignis, laquelle nousappartenons comme tant alors vereignet). Tout l'effort de l ouvrage vise retrouver l'essence de la mtaphysique, en tant qu'elleest une phase de l histoire de i'Etre, dont il nous faut essayer desaisir comme en filigrane l'impens, le non-dit. Et c'est pourquoile langage est en question : car il devrait rpondre l'appel del'Etre se manifester, par un voev authentique pousant le Logos,et non seulement les formes du Logos telles qu'elles sont apparuesdans la mtaphysique. Si la mtaphysique et la science et la technique qui en drivent sont des dguisements de l'Etre il fautpouvoir les reconnatre comme tant de l histoire de l'Etre. Comment faire craquer le langage au-del de ses dterminations reues

    Wom hmiut Denktn ?, p. 101.

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    254 Luce Fontaine-e Visscherpar un mode de pense mtaphysique ? C'est sur cette interrogationque s'achve Identitt und Drjferenz (10>.

    Il faut donc se demander : d'o vient l'onto-thologie ? Pourquoi la mtaphysique a-t-elle cette structure de pense causale, quila fait expliquer l'tant par l'Etre en gnral et finalement parun tant suprme, causa sui ? Heidegger pose la question toutspcialement Hegel. Celui-ci a voulu accomplir l'onto-thologieen absorbant toute la mtaphysique dans la Logique. Toute l histoire de la pense se ramne pour Hegel au processus de Se-Savoirabsolu . L' Auhfebung qui est la leve progressive des contradictionsst l'identit s 'accomplissant. Tout commencement est spculatifAnfang ist Rsultat). En des alinations progressives quine sont rien l'Etre s'enroule sur lui-mme, forme la plus gnraleen mme temps que plnitude la plus acheve. L'Etre est Logos ausens de ratio (Grund) : il est sujet absolu, Ur-Sache, engendrantune dialectique de l'identit.C'est alors que s'opre la dmarche du Schritt zurtick. : Heidegger veut remonter au-del de cette identit vers la diffrenceimpense, vers l'Etre comme Ab-Grund, d'o seul peut provenirun Grund comme identit soi. La vrit est aussi non-vrit,latence. La diffrence engendre son oubli, inhrent son mystre . C'est donc dans la diffrence que doit sjourner unepense vraie , c'est--dire qui pouse le processus de la vrit.L'Etre esf l'tant, tout en se retirant en lui-mme. L'identit reposesur une appartenance, qui cre la dimension, Etre comme Ereignis,se rvlant tout en se cachant dans l tant . Car c'est l'Etre quifait tre. L'identit, c'est finalement la Selbigkpit, le mme : Im Selben erscheint die Verschiedenheit (14).

    La co-appartenance tait encore saisie chez Parmnide. C'est( > P. 72: La difficult rside dans le langage. Nos langues occidentalessont toutes, leur manire, des langages de la pense mtaphysique. La questionde savoir si l'essence des langues occidentales est seulement mtaphysique et dslors dfinitivement empreintes d'onto-thologie, ou si ces langues offrent d'autrespossibilits du dire, et cela signifie du Non-dire disant (des sagenden Nichtsagena),cette question doit demeurer ouverte . (nous traduisons).< > Identitdt und Differenz, p. 42.< > Ibidem, p. 46.< > O. PoEGGELER, Der Denkteg Martin Heidegger, p. 153.( > Dans le mme apparat la diffrence ; cfr. Identiiat and Differenz,p. 41 (nous traduisons).

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    La pense du tangage chez Heidegger 255elle qui doit tre dite et pense, tandis que l'essence hglienned'un Etre saisi comme prsence subsistante en fait un fondsdisponible pour le sujet pensant ; elle manque l'historialit del'Etre. Arrive de prsence hors du cach, l'dX^eca est l'nigmedernire laquelle il faut remonter. Le Logos est un faire voir qui prcde le sujet pensant ; II est l'vnement, plus ancien et plusjeune que le temps donn (Vorhandenes), car il est le temps donnant, dispensateur de la prsence.Le cercle hglien et le cercle hermneutique chez Heideggerse touchent peut-tre en un point unique de leur circonfrence : cepoint, c'est le mme Etre. Chez Hegel, il apparat comme laconscience qui passe du stade naturel au stade philosophique,lorsque son objet se rvle comme jaillissant d'elle-mme ; ainsila dialectique droule une subjectivit absolue. Nanmoins, ellecontient encore comme le souvenir perdu, la rsonance d'un rapport d'ouverture l'Etre : la reprsentation est un mode de laprsence ; mais ce rapport reste voil, la Phnomnologie a oublila . Le mme s'est repli dans l'identique de la certitude desoi. En une dmarche symtrique et oppose, Heidegger tente dedployer le circuit d'une diffrence originaire, dont la logique hglienne serait la retombe ; diffrence dont le secret nous est pourtant toujours dj connu, puisque nous pouvons aussi l'oublier. Sile langage veut retourner son essence (Wesen), il doit tre repens partir de ce dire qui est de l'Etre avant d'tre un faire del'homme. L'homme ne peut parler que parce qu'il dit (sagt), parcequ'il montre {zeigt) (16).

    En 1959 parurent six essais ou confrences expressment consacres au thme du langage.Unterweg8 zur Sprache dploie le mouvement de remonte dela pense sur elle-mme en son plein essor. Le saut hors de la< > Holzwege, p. 87.C Wa$ heisst Denken ?, p. 4.

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    256 Luce Fontaine-e Viaachermtaphysique est accompli, et le cercle hermneutique se fait icispirale, tourbillon qui nous emporte vers le non-dit, YAbgrund avectout ce que le mot porte d'ambigut riche.Quoique Heidegger, pour viter toute confusion, carte dsormais e terme de phnomnologie, c'est bien de phnomnologiehermneutique qu'il s'agit ici, contenu et mthode tant rigoureusement hgliennement intrieurs l'un l'autre. Le langage parle (1>. C'est--dire que le langage porte la diffrence, comme l'on dit d'une femme qu'elle porte son enfant.Et si nous voulons penser le langage, le faire parler die Sprachez\x Sprache bringen il nous faut inlassablement nous rapprocherde cette intimit, de ce nud fondamental qui ne se dliera pournous que si nous nous laissons nous-mmes porter par cette relation,constitutive de notre tre-homme. Le langage ne doit donc pas treabord partir d'autre chose que lui-mme, qu'on le considre soitcomme une activit, soit comme l'expression de nous-mmes, signesde nos sensations, et de l des choses, comme dans le Ilepl pp/rjvead'Aristote. Hamann ne dit-il pas que le mystre du langage tient enceci que la raison est langage, Logos ? (2>.Il nous faut donc apprendre sjourner dans le langage, aulieu de le saisir du dehors dans la langue dj constitue. 11 fautnous installer au cur de la parole parlante celle dontF. de Saussure pressentait peut-tre dj la voie en ce que cetteparole est avnement (anfangendea), en tant qu'elle dit, et nonqu'elle renvoie autre chose qu'elle mme.C'est pourquoi Heidegger nous invite couter les potes. Cardans la posie, le langage nomme au sens fort . Le pote faitvenir, en les appelant, les choses qu'il nomme. Et c'est ce qui estnomm qui vient en prsence ; et c'est en mme temps l'innommqui toujours se rserve. L'appel a ainsi deux directions : venant de,dans la prsence, allant vers, dans l'absence (her, ins Anwesen,hin, ina Abwesen). Un espace vertigineux s'ouvre ainsi sous l apparente tautologie : le langage parle.Heidegger cueille (4> pour nous chez deux potes, S. Georgeet G. Trakl, la parole originaire qui dit cette bance, cet espace

    Untenoeg* zur Sprache, p. 12 et passim. Untenoegs zur Sprache, p. 13. < Der Dichter nennt das Heilige (Wat iti Metaphyrik ?, p. 51).

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    La pense du langage chez Heidegger 257qui se dploie pour nous si nous essayons de nous situer l intrieur du langage. Nous touchons ici la mystrieuse affinit duDichten et du Denken, leur complmentarit essentielle.Les deux potes annoncent un aspect de la diffrence. DansEin Winterabend (5) c'est YUnterschied apparaissant sous la formed'un seuil, die versteinerte Schwelle . Le seuil est ptrifi par ladouleur, non au sens psychologique, mais au sens du dchirementinhrent et ncessaire l'ouverture de l'espace qui s tend au-deldes choses familires et leur permet de briller dans tout leur clat.Le unter de Unterschied (comme de Unterwegs), c'est Yinterlatin, c'est le mouvement mme du entre ; non seulement distance matrielle entre deux points, mais ce qui justement sous-tendtoute possibilit d'tre un espace, la tension qui cre la fois etl'cartement et l'intimit entre deux points. C'est l'espace penscomme relation vivante, espace spatialisant, das Zeit-Spiel-Raum (< .L'autre thme qui est pour Heidegger le lieu {Ort) de tousles pomes de G. Trakl c'est celui de YAbgeschiedenheit (7) :la sparation, thme qui se ramne au premier, mais sous l'aspectdu renoncement, de l'ouverture ncessaire l'entre-deux pourl'homme qui veut accomplir son essence. Le langage est pur lorsqu'il fait apparatre l'ouvert (S>. 11 est posie lorsqu'il entend cetappel au dpart, lorsqu'il le dcide, lorsqu'il le risque (9). Pour celail faut le dtachement total : YAbachied doit tre dcision {Ent-schied).Ce thme en amorce un nouveau, celui du renoncement (Ver-zicht) que nous retrouvons dans un autre pome de S. George, Das Wort (9>. Le renoncement qui donne en surabondance (10),c'est l'envers mme de l'ouvert qui nous appelle, et se retire indfiniment, en nous entranant dans les profondeurs de la latence .

    De S. George, cit dans Untenveg:.., p. 17.< ) Littralement: l'espace de jeu du temps; cfr. Untertoega, pp. 213-214.(7 ) Dans Es ist die Seele ein Fremdes auf Erden, ibidem, pp. 81-82.(8 ) Dans lequel Rilke, encore prisonnier d'une vision idaliste, croyait ne paspouvoir sjourner, et en a prouv urfe gratide dtresse; cfr. Wozu Dichter dansHolzwege, pp. 248-295.

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    256 Luce Fontaine-De ViaacherLes deux derniers essais (12> mettent finalement en pleinelumire ce qui constitue le pivot de la pense du langage : pense

    qui se dploie dcidment l'intrieur de celui-ci, pense non pasiiber mais von der Sprache. Ici encore c'est le pote qui fait venirle langage la parole ; et Heidegger emprunte la voix deS. George en citant le vers qui annonce le thme de sa mditation : Kein Ding sei, wo das Wort gebricht

    ce qui nous fait dire positivement : il faut que le mot fasse paratrela chose. Le sei tant un impratif qui rappelle la parole d'Anaxi-mandre xax x xpe&v ou le fragment de Parmnide XP^) xo ^yeiv.Il faut, es braucht, il est de la nature de l'Etre comme cpat d apparatre, de se donner en paratre. Il est de l'Etre de se dire,Xyetv, d'amener en prsence. De sorte qu'un retournement rvlant se produit, clatant et silencieux ; voici que nous passons d'unepense qui paraissait purement abstraite au dbut, l'essence dulangage (das Wesen der Sprache), au langage de l'essence {dieSprache des Wesens), le second Wesen ayant un sens verbal indfiniment appuy. Nous savons maintenant pourquoi ce n'est pasl'homme mais le langage qui parle, car il est langage de l'Etre,gnitif qui n'est ni subjectif ni objectif, mais la racine des deux.Une telle pense abandonne le champ du savoir (Wissen) pour serapprocher indfiniment du Dichten, puisqu'elle dit (zeigt) l'Etre.Elle recueille non comme un concept {Begriff, Angriff) mais commeXysiv. Elle dit l'Etre comme Sage (13>. Pense authentique et posiese meuvent ainsi dans l'Etre comme Sage et manifestent leur appartenance originaire.Mais appartenance rvle aussi diffrence S. George l'appelle: (mit) einem Kleinod reich un zart (Untenoega,p. 162) (un joyau riche et fragile); et Heidegger commente: eine zarte aberhelle Differenz [Untenoeg, p. 1%) (une dlicate mais claire diffrence).

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    La pense du langage chez Heidegger 259douleur dont souffre le pote est celle de la dlivrance essentielle 15).

    L'exprience .Le mot donne la chose parce qu'il la ramne au sein de l'Etre, ilfait ainsi fleurir le monde en son paratre.

    Le chemin qui mne au langage part donc du langage. Il nousporte vers cette intimit du l'un vers l'autre , rgion que Heidegger appelle Gegend (21) {gegen-einander-uber), qui est la foissilence et parole innombrable, repos o culmine et d'o nat toutmouvement, diffrence qui est l'identit en acte, proximit infinie[das Nhe). Ainsi entrons-nous dans le mystre de l'nigme propose l'abord de la premire mditation : die Sprache spricht.La parole est avnement, surgie. Et c'est dans cet avnement que( > Nous retrouvons cet aspect dans la notion japonaise de 17fei, cfr. ibidem,Avls einem Gesprach von der Sprache, pp. 183-255 (entretien avec un penseurjaponais)( ) Erfahrung est vocateur du cercle: fahren, c'est proprement s'avancerdans un chemin qu'on trace.< ) Unterwegs, pp. 174-175.(U) Das < Fragwurdigste dans Einfhrung in die Metaphysik, das c Bedenk-lichste dans Was heisst Den\en ?< > UnterWegM, p. 179 (nous traduisons).< ' Ibidem, p. 257. Il englobe et reprend toujours se propres dterminations,qui sont comme les l^vXlOBl (dclinaisons) de l'Etre, cfr. Einfhrung, p. 156.< ' Unterwegs, pp. 214-215, aussi Gelassenheit, p. 40 sqq.

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    260 Luce Fontaine-De Viaschtrl'homme vient tre comme ncessaire (es braucht) ce circuit.Par l'homme se dchire le voile du silence (22). L'Etre est : devanttre dit, XP^ T^ AefSiv, et c'est par le mot que le prsent est port la prsence, non comme une dtermination mtaphysique del'Etre, mais comme la relation de toutes les relations , commeavnement. Le mot authentique est celui qui rpond (Wort est Ant-wort) et correspond au Logos, par lequel le silence de l unit quirassemble tout vient la parole (24>. Loin que le langage soit uneralit spare de l'homme, il est la parole humaine en tantqu'elle dit le Logos. L'homme ne possde pas le langage, c'est luiqui est possd par le langage : Adyo (Xv&pwrcov Sx107* L'hommetient son tre de ce qu'il se met parler. Le langage est un parlerselon le dire entendu, comme ouverture, brche de l'Etre. Parler,c'est appartenir au langage (Anhren et gehren).Novalis a dit : Ce qui fait la particularit du langage, c'estqu'il ne concerne que lui-mme... (2S>. Il pressentait, quoiqu'l'intrieur d'un cadre de pense idaliste, l'intimit souveraine dulangage, qu'il appelle un monologue . Sans doute est-il un monologue, puisqu'il n'y a que le langage qui parle. Mais Heideggerajoute : si le langage parle, c'est parce qu'il y a des parlants quirpondent et dont il a besoin pour se manifester.

    Ainsi en chemin vers le langage, qui toujours nous prcde,nous nous sommes laisss adresser par lui et entraner vers lui :nous l'avons laiss tre ce qu'il est, il semble donc que nousl'ayons amen la parole . C'est son essence (esse) qui nousapparat : celui qui parle, et en particulier le pote, ne risque pasmoins que l'Etre. C'est pourquoi le langage est aussi das hchsteGeschenk (27>, ce que le franais a le bonheur de traduire par :u le prsent le plus haut, rvlant ainsi la prsence comme don.Le prsent le plus haut, mais aussi le plus prilleux, dit Hlderlin :car dans la parole, c'est l'essence de l'homme qui est engage,c'est l'homme comme tre revendiqu par l'Etre.

    < ) Untenoegs, p. 215.W Unterweg, p. 260.( ) Erlauterangen, p. 71; Hlderlin dit: Tout eat intime. Unterwegs, p. 241.(**) Au premier sens de AtY^tV comme laisser tendu devant > {Vorliegen-lasaen) ; il faut remarquer que l'allemand < lassen > a un sens plus actif que le laisser franais.( > Zut Seintfroge. p. 42.

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    La pense du langage chez Heidegger 261Loin d'tre un assemblage d'expressions interchangeables (at),le langage repose sur un jeu (29\ le plus riche et le plus difficile.C'est pourquoi, la pense la plus rigoureuse, ce n'est pas la science,

    mais la pense fidle, le dire qui est cette pense mme seinGang und Sang (S0>. Dire le langage, c'est s'accorder lui. L allemand a pour la voix ce beau mot de Stimme, accord. Dire le langage, c'est d'abord entendre son air , son JiXo. Hlderlin dit :... depuis que nous sommes en dialogue. Mais bientt noussommes un chant (81).Nous sommes ainsi dans le circuit de la diffrence, car tre est plus originaire que le sujet connaissant. C'est vers la prsencequ'il faut braquer nos feux, cette prsence qui parle encore travers la 8

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    262 Luce Fontaine'De Visacherviolent (M) la ngativit inscrite au cur des choses, et avanttout, des mots ?La phnomnologie avait emport Heidegger, par son propremouvement, dessouder la certitude d'un Cogito trompeusementtransparent. En lisant Kant, il retrouvait l'abme frl par l'imagination transcendantale. Bientt les paroles hrites des premierspenseurs grecs se mirent briller pour lui sur un fond de rvlationoriginaire, dont l'homme ne soutient l'clat qu'en oubliant ; maisaussi qu'il ne peut oublier que justement parce qu'une fois il a vu,il a entendu ; a une fois qui dure toujours, dbut historial, tempsinaugural.Cette force nommante de la parole, cette jeunesse imprissabledu mot (x ji9) 80vov uote), o la trouver, sinon la garde du pote,qui voque et fait paratre ce qui se donne toujours en la prsence ?La logique de Hegel, dploiement de l'apparatre pur, porteaussi pour Heidegger le reflet magnifi de la prsence souveraine,toujours cache, puisque la dispensation est le recueil (X&fo) deson intimit.L'homme parle et ne peut parler qu'en rpondant ; le mot sche aussitt que se dtourne de lui cette aura, qui est l'ouvertd'un appel qui n'a jamais cess de s'adresser lui. Gageure peut-tre que de vouloir penser la pense de l'Etre, puisque nos parolessont marques d'une inadquation sans recours. Mais au moins unetelle pense sait-elle que ce qui est penser, c'est qu'elle nepense pas encore .Les mots sont sources