la peinture à ajaccio, 1890-1950

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Association Le Lazaret Ollandini Colonna Édition Exposition au Lazaret-Ollandini, Ajaccio – 6 décembre 2008•> 31 janvier 2009 Bassoul – Canavaggio – Frassati Pierre Claude Giansily La peinture à Ajaccio , 1890-1950

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Catalogue de l'exposition patrimoniale 2008 du Lazaret Ollandini à Ajaccio, retraçant le parcours de trois peintres de l'école d'Ajaccio : Bassoul, Canavaggio et Frassati.

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Page 1: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

Association Le Lazaret OllandiniColonna Édition

E x p o s i t i o n a u L a z a r e t - O l l a n d i n i , A j a c c i o – 6 d é c e m b r e 2 0 0 8 •> 3 1 j a n v i e r 2 0 0 9

Bassoul – Canavaggio – Frassati

Pierre Claude Giansily

La peintureà Ajaccio, 1890-1950

Page 2: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

Cet ouvrage est disponible à la vente sur

www.lazaretollandini.com

Page 3: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

a peinture

Bassoul – Canavaggio – Frassati

Pierre Claude Giansily

Association Le Lazaret OllandiniColonna Édition

E x p o s i t i o n a uLazaret Ollandini6 décembre 200831 janvier 2009

Là Ajaccio1890-1950

Page 4: La peinture à Ajaccio, 1890-1950
Page 5: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

Première partie :

La création artistique à Ajaccio de 1890 à 1950 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

Vie culturelle et artistique à Ajaccio à la fin du XIXe siècle : 1890-1900 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

La poursuite d’un certain engouement pour les arts : 1900-1914 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

La création de la galerie Bassoul en 1913 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

La grande vogue de la Corse et des artistes corses : années 1920-1930 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

Les années 1940 dans le domaine des arts à Ajaccio :

léthargie contrainte et amorce d’un renouveau. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

Deuxième partie :

Trois peintres de l’Ecole d’Ajaccio . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

Jean-Baptiste Bassoul (1875-1934), pionnier et promoteur

de la peinture à Ajaccio et en Corse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

Jean Canavaggio (1884-1941), pédagogue et peintre sensible, au classicisme certain. . . . . . . . . . . 99

Dominique Frassati (1896-1947), réalisme, sentiment et grande force créatrice . . . . . . . . . . . . . . . . 131

Troisième partie

Les peintres étrangers en Corse et à Ajaccio . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181

Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197

ommaire S

Page 6: La peinture à Ajaccio, 1890-1950
Page 7: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

résentationP Par François Ollandini

Bassoul. Je connais ce nom depuis ma plus

tendre enfance.

Bassoul, galerie. Je savais depuis toujours qu’il

y avait, de l’autre côté de la place, face au Lycée

Fesch que je fréquentais alors pour peu de temps,

un lieu, inconnu de moi, mais dont j’entendais

parler autour de moi, en famille. J’en entendais

parler comme par effraction, par hasard, comme

s’il ne fallait pas parler de ces « choses-là » devant

les enfants, comme si c’était là un secret

d’adultes. Comme si l’enfant que j’étais n’en

pouvait rien comprendre et n’aimer rien. Zone

interdite. La religion, oui ; l’art, non.

Il est dommage que je ne sois pas né quinze ans

avant, alors que commençait l’aventure de « La

Corse Touristique » que mon grand-père

maternel, François Pietri, avait éditée de 1924 à

1934. Dommage que cette aventure se soit

terminée cinq ans avant ma naissance. Dommage

que mon grand-père soit décédé deux ans seule-

ment après ma naissance. Sinon, j’aurais connu

cette effervescence, ce milieu de vie qu’a été la

galerie Bassoul dans les années vingt et trente,

ce vivier de talents qu’il fréquentait assidûment

et que j’aurais peut-être fréquenté avec lui.

Je ne suis donc jamais entré dans la galerie, mais

je savais depuis toujours que, là-bas, il y avait un

endroit d’un autre monde, un antre d’exposition

où les murs exultaient. Je sais bien maintenant

qu’il n’y a qu’un seul monde. Mais s’il devait y en

avoir un autre, ne serait-ce pas celui de l’art ? Et

l’artiste, lorsqu’il est puissant, n’est-il pas

créateur de ce nouveau monde ? Ne nous fait-il

pas regarder notre monde autrement ? Regarder

le monde, justement, avec les yeux de l’enfance ?

Comme un monde enfin redevenu nouveau,

insolite, paradoxal. Ne nous fait-il pas naître de

nouveau ?

Bassoul, peintre. Le monde de Bassoul est bien

un monde en soi. J’ai accroché une des étoiles

de cet univers au-dessus de ma table de travail,

au Lazaret, et je suis parti loin, très loin, avec ces

« Voiliers charbonniers », dès qu’ils ont été en

ma possession. Depuis, j’en ai acquis bien

d’autres. Ils deviendront, eux aussi, la nue-

propriété du Musée Fesch dès sa réouverture,

– pour Marie-Jeanne et moi, ils y sont déjà –

s’ajoutant à tous ceux que nous lui avons déjà

offerts.

Et me voici, aujourd’hui, devant un de ceux qui

me sont présentés, « La Treille » par exemple.

Un mur, une treille. Seulement un mur et une

treille. Mais il ne peut pas y avoir plus « mur »

que ce mur-là. Mais il ne peut pas y avoir plus

« treille » que cette treille-là. Je ne saurais plus

voir un mur sans revoir le velouté de ce mur-là.

Page 8: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

Je ne saurais plus voir une treille sans revoir la

vivacité de cette treille-là. Cela est. Cela a la

matérialité de la matière. Cela a la densité de ce

qui est toujours au présent. Oui, un monde. Plus

réel que le réel. Plus vivant que le vivant. Un réel

qui a déplacé l’autre. Qui a raturé l’autre. Un

vivant qui s’est ajouté, de grande manière, à

l’ensemble des vivants. Qui s’est substitué à

l’ensemble des autres vivants.

Je passe d’une toile à l’autre, d’une étoile à l’autre.

Et à chaque fois la matière m’accroche, m’arrache

à mon monde et me fait pénétrer dans le sien.

C’est fort, c’est violent. À peine levé le pied et je

décolle, propulsé vers une destination inconnue

et pourtant posée devant moi. Un trou noir. Plus

je m’approche, plus il m’accroche. Plus j’y

pénètre, plus il m’englue. Et cela sans fin si je le

veux. Ici, tout est essentiel. Rien en trop, rien de

trop. Seulement ce qui est nécessaire et suffisant.

Une œuvre.

Et, à chaque fois, pour revenir à mon monde,

celui que j’ai quitté, c’est un arrachement. Et c’est

un désenchantement. De nouveau, les choses

diverses et insignifiantes. De nouveau, le trop

plein. La vie ordinaire. L’ordinaire de la vie.

Canavaggio, peintre. Avant cette exposition, je

n’avais vu aucun tableau de Canavaggio, mais ce

peintre ne m’était pas inconnu. Comme bien

d’autres, comme Bassoul, Bouchet, Brod, Chieze,

Corbellini, Corizzi, Cossard, Peri, Peyrot, Strauss,

je le connaissais même depuis longtemps, depuis

que je feuilletais et refeuilletais les revues de « La

Corse Touristique ». Il était l’un de ses « colla-

borateurs artistiques ». Combien de fois

m’étais-je arrêté sur l’une de ces reproductions

en noir et blanc, je ne sais. Mais j’avais alors aimé

les traits affirmés et les constructions solides de

ce peintre dont j’ignorais tout des couleurs.

Me voici aujourd’hui devant plusieurs de ses

tableaux, et j’aime que, chez lui, la couleur le

dispute ainsi au dessin, s’impose à lui sans le faire

disparaître, cherche dans l’autre couleur sa

meilleure expression, et l’autre de même, pour

nous donner une palette ordonnée, à chaque fois

précise et riche, et toujours efficace. Dextérité,

sincérité, luminosité. Plus encore : il y a de la

tendresse en lui, et ses tableaux nous le disent.

Frassati, peintre. Voila le peintre de ma famille.

Ma grand-mère maternelle, Adeline Pietri, en

possédait une quinzaine. Alors qu’elle avait tenu,

avec rigueur et rondeur, une bijouterie-antiquité,

avenue du Premier Consul, véritable caverne

d’Ali Baba où je me perdais, enfant, avec délice,

voilà que, lors de sa succession, la chose la plus

désirée, la plus appréciée fut de distribuer, avec

le plus d’équité, toutes ces petites merveilles. Que

l’on soit des Glory, des Ollandini, des Pietri, des

Pozzo di Borgo, des Ropion, ce que nous retenons

de notre grand-mère, outre son cœur énorme et

son sourire de madone, c’est bien sa collection

de Frassati. Pour cette exposition, j’ai pu en

récupérer huit. J’aurais dû faire mieux.

Frassati, est-il mon préféré, je ne sais. Mais, avec

lui, il y a une atmosphère collective à la fois

sereine et jubilatoire. Ce qui m’attire le plus chez

lui ? Pas le portrait, pas le paysage, mais les gens.

Qui ? Eux, vous, nous, qu’importe ! En quel

temps ? Aujourd’hui, hier, avant-hier, qu’im-

porte ! En quel lieu, qu’importe ! C’est toujours

ici et maintenant. C’est tous les ici et tous les

maintenant du monde. C’est de tous lieux et de

tout temps. C’est toujours cette présence à l’être,

Page 9: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

stupéfiante. C’est toujours cet oubli de soi pour

que l’autre existe. Avec Frassati, nous existons.

Nous lisons le journal, nous jouons aux cartes,

nous radoubons les filets, nous retournons au

village, ici la veillée, ici les musiciens, chants et

masques, violon et guitare, nous voici au marché,

chez le barbier, sur la plage, au port, la prome-

nade au parc, lecture à la campagne, perdus dans

les coquelicots, au jardin, il fait si bon sous la

treille, nous dansons, frac et crinolines, nous

suivons une procession, curés et pénitents, les

communiantes, la fête au cabaret, la fête à la

ferme, la fête au bord de l’eau, la fête partout. La

fête de la vie. La force de la vie. L’instinct de la

vie.

Et de sa peinture. Vive, foisonnante, multiple,

bariolée, carnavalesque, arlequine. Par sa

peinture, nous sommes tous des tissus d’arlequin.

Métissés, ensemble, heureux. Il y a, dans Frassati,

une euphorie, une plénitude : cela s’appelle la joie

de vivre.

À laquelle, chacun est invité à participer.

François Ollandini

Page 10: La peinture à Ajaccio, 1890-1950
Page 11: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

ntroductionI Par Pierre Claude Giansily

Le Lazaret Ollandini accueille aujourd’hui la troi-

sième exposition patrimoniale consacrée à la

peinture et aux peintres corses de la première

moitié du XXe siècle. Ce sont trois peintres de

l’École d’Ajaccio qui sont ainsi présentés, après

Léon Charles Canniccioni et Lucien Peri qui ont

bénéficié d’expositions particulières, en ce même

lieu, en décembre 2006-janvier 2007 pour le pre-

mier et décembre 2007-février 2008 pour le

second.

Avec Bassoul, Canavaggio et Frassati, on décou-

vre trois artistes et fortes individualités qui ont

avancé sur le chemin qu’ils s’étaient fixés, mal-

gré les difficultés et, parfois, les embûches. En

même temps, ils appartiennent à un courant qui

a toute sa place dans la définition de l’identité

corse telle qu’elle est conçue, avec ses antago-

nismes et ses diversités au cours de cette période.

Cette École d’Ajaccio appartient bien évidem-

ment à l’École Corse de peinture des XIXe et

XXe siècles dont on cerne mieux aujourd’hui la

qualité et la vigueur.

Elle représente bien ce courant d’un réalisme

régional fondé sur les valeurs traditionnelles et

les artistes qui la composent ont une place par-

ticulière car ils ont su montrer une Corse authen-

tique et mystérieuse, belle et attachante avec des

accents parfois imités, jamais égalés.

Ils ont créé un courant qui apparaît comme une

prise de conscience artistique nouvelle, la soli-

darité se substituant à l’individualisme, pendant

que chacun garde son style et son répertoire.

Le présent ouvrage évoque la création artistique

à Ajaccio de 1890 à 1950 afin de présenter un

panorama et dresser un inventaire de l’activité

artistique ; cette approche est notamment docu-

mentée par référence aux envois aux Salons pari-

siens et manifestations officielles de toute nature.

Les années de la fin du XIXe siècle permettent de

faire un état des lieux à Ajaccio « station d’hi-

ver » fréquenté par de nombreux étrangers, des-

tination recherchée, y compris par les peintres.

On appréciera ensuite la poursuite d’un certain

engouement pour les arts au cours des années

1900-1913 avant la période 1914-1919 qui consti-

tue à l’évidence une charnière dans de nombreux

domaines d’activité. Au cours des années 1920-

1930, c’est la grande vogue de la Corse et des

artistes corses. Le tourisme de masse prend son

essor et dans le même temps, les artistes affluent,

peignant avec encore plus d’ardeur les paysages

Page 12: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

et les habitants de l’Île de Beauté. À Ajaccio, ils

fréquentent la galerie Bassoul qui est sans

conteste le lieu incontournable de rencontre et

d’expression des peintres. Intervient ensuite, au

cours des années 1940 une certaine léthargie

dans le monde des arts, prélude de l’amorce d’un

renouveau de la création artistique qui prend son

essor au cours des années 1950.

La deuxième partie de l’ouvrage présente trois

des principaux artistes qui ont des destins indi-

viduels très marqués. En regardant la vie et l’œu-

vre de ces artistes, on voit à quel point leur place

est complexe ; en raison de leur personnalité, de

la diversité de leurs talents et de leurs carrières.

Ils sont présentés en suivant l’ordre chronolo-

gique de leur naissance : Jean-Baptiste Bassoul

(1875-1934), peintre décorateur de formation,

excellent peintre de chevalet, pionnier et pro-

moteur de la peinture à Ajaccio et en Corse est

une figure de premier plan, de grande réputa-

tion. Jean Canavaggio (1884-1941), peintre bas-

tiais et ajaccien se singularise par un classicisme

certain et une attitude très rigoureuse dans le

traitement de ses sujets. Dominique Frassati

(1896-1947), peintre très attachant dont le réa-

lisme et la grande force d’expression sont atta-

chés à l’œuvre de celui qui fut conservateur des

musées de la ville et qui marque de son empreinte

la peinture à Ajaccio dans les années 1930-1940.

Ces artistes, et quelques autres, ont tenu toute

la place qui était la leur, notamment aux

moments les plus délicats de l’histoire de la

Corse, quand les circonstances n’étaient pas pro-

pices pour les arts.

La peinture de l’École d’Ajaccio a été en vogue à

Paris et au-delà des frontières nationales grâce

à certaines de ses individualités. Elle a retrouvé

un regain d’intérêt il y a vingt ans ; elle méritait

l’hommage qui lui est rendu par cette exposition

et le visiteur et le lecteur de cet ouvrage aura le

plaisir de faire avec nous une découverte com-

plète du travail de ces artistes.

Plaisir également de découvrir de nombreuses

œuvres appartenant aux collections du musée

Fesch et dont une part importante provient de

la donation François et Marie-Jeanne Ollandini,

réalisée en fin d’année 2007, augmentée en 2008

par de très belles pièces des meilleurs peintres

corses. Enfin, cette exposition illustre le parte-

nariat entre l’institution ajaccienne et l’associa-

tion « Le lazaret Ollandini » qui voit son impor-

tance s’accroître avec le temps, manifestation de

la dynamique des efforts engagés pour la pro-

motion de l’histoire de la peinture corse.

Pierre Claude Giansily

Commissaire de l’exposition

Page 13: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

Première partie

La création artistiqueà Ajaccio de 1890 à 1950

Page 14: La peinture à Ajaccio, 1890-1950
Page 15: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle,

la Corse enregistre une importante poussée

démographique. Ajaccio et Bastia connaissent

un essor particulièrement visible dans le

domaine de l’urbanisme et de l’architecture. De

nouveaux équipements publics sont construits

pour répondre aux besoins liés à l’évolution

du temps et les progrès techniques amènent des

transformations dans le mode de vie des habi-

tants. La vie sociale, artistique et intellectuelle

connaît aussi un grand essor. Localement, les

évolutions sont menées par quelques person-

nalités qui, parmi d’autres, se voient confier la

responsabilité de certaines institutions ou la

mise en service de nouvelles structures.

À la fin du XIXe siècle, Ajaccio « station d’hi-

ver » 1, connaît une importante fréquenta-

tion touristique, notamment étrangère 2.

Destination vantée par les guides français et

étrangers, les magazines nationaux, les

affiches de transports maritimes, la ville se

transforme et se modernise. C’est près d’un

millier d’hivernants, en fait souvent une clien-

tèle aisée et au goût artistique assuré, qui

séjourne dans la ville et le chiffre de mille est

atteint en 1901. En matière de patrimoine

artistique, le touriste peut visiter à Ajaccio des

lieux, pour certains chargés d’histoire, et de

belle qualité esthétique et au contenu artis-

tique de choix. La bibliothèque municipale est

un de ces lieux. Elle est située dans l’aile

gauche du palais Fesch construite en 1850 aux

frais de la ville pour l’installation de la biblio-

thèque. Jouxtant la bibliothèque, le Musée

Fesch et ses collections enrichies par plusieurs

dons importants est un lieu de qualité, selon

les normes de l’époque ; ouvert au public le

jeudi et le dimanche de midi à quatre heures,

près de six cents tableaux y sont exposés dans

huit salles, sans logique affichée, collés les uns

aux autres, couvrant toutes les parois. Près du

musée, la chapelle impériale qui forme l’aile

droite du Palais Fesch ; l’architecte ajaccien

Jérôme Maglioli a apporté son concours à

l’exécution de ce monument qui présente une

belle allure, avec l’ensemble ainsi formé avec

le musée et la bibliothèque. La maison natale

de Napoléon 1er est partiellement meublée, peu

décorée. À partir de 1900, une des attractions

de la visite est la couronne en or réalisée par

l’orfèvre parisien Alexis Falize (1811-1898),

financée par souscription publique en 1899,

et offerte à la ville à l’occasion du centenaire

du consulat. Le Musée de l’Hôtel de Ville, mal-

gré son exiguïté présente de beaux objets 3.

1. La saison débute le1ernovembre pour s’achever le30 avril.2. Parmi les principales natio-nalités : les Anglais et lesAllemands.3. Dans une nouvelle salleouverte au public en 1898outre de nombreux objets liésà l’histoire de l’empereur, le visi-teur peut admirer une pré-cieuse collection de médailles.En 1900, la parution duCatalogue des tableaux, sta-tues, bustes, médailles, meu-bles du Musée de l’Hôtel deVille d’Ajaccio, réalisé parFrançois Peraldi constitue unoutil de référence sur lesrichesses de ce musée.

Vie culturelle et artistique à Ajaccioà la fin du XIXe siècle : 1890-1900

3

V

Page 16: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

Autre lieu, en relation avec l’histoire

Napoléonienne, le château de la Punta, situé

près d’Ajaccio. Le théâtre municipal Saint

Gabriel (actuelle Poste, cours Napoléon) est

ouvert durant la saison d’hiver et propose des

spectacles de qualité, comme en 1901, quand

la troupe Amendo donne une série de repré-

sentations de comédies italiennes qui attirent

la foule. Ajaccio bénéficie d’une certaine ani-

mation avec les réceptions à la préfecture, à

la mairie et chez les notables en vue. Pour

les arts, des soirées sont données régulière-

ment en ville, comme celle du 6 février 1889,

dans les grands Salons de la mairie, au béné-

fice de la société des Amis des Arts en voie

de formation 4. On y apprécie le talent dans

leur interprétation de la musique classique de

MM. Casile et de Mme de la Rocca, épouse du

peintre Alfred de la Rocca, lui-même chan-

teur de talent. Il manque cependant un casino

municipal (qui sera inauguré en décem-

bre 1928) ; parmi d’autres distractions, les

courses qui se déroulent à l’hippodrome de

Vignetta, à la sortie Sud d’Ajaccio. Les étran-

gers cherchent bien évidemment une vie cul-

turelle et artistique, même s’ils savent

qu’Ajaccio ne leur offrira pas les mêmes pos-

sibilités et qualité que certaines stations de

la Côte d’Azur ou de la Riviera italienne.

Les acteurs de la vie culturelle et intellec-

tuelle : écrivains, musiciens, artistes,

mécènes, organisateurs, amateurs d’art… sont

suffisamment nombreux pour que la ville

connaisse une certaine animation et que le

public perçoive des évolutions sensibles. À

la fin du siècle, à Ajaccio, on peut rencontrer

des peintres expérimentés qui ont reçu un

enseignement artistique dans les meilleures

écoles de Rome, de Florence ou de Paris, qui

maîtrisent parfaitement les techniques pic-

turales et connaissent tous les genres et styles.

Ces peintres rentrés en Corse après leur for-

mation, demeurent attachés aux valeurs clas-

siques qui leur ont été enseignées. On observe

la concurrence toujours plus forte de la pho-

tographie, et les gens qui ont un certain goût

et quelques moyens peuvent avoir pour bien

moins cher, une merveilleuse épreuve pho-

tographique. Les peintres ajacciens tiennent

une place particulière. Bien qu’ils soient rela-

tivement peu nombreux, ils jouissent d’une

considération toute particulière des ajacciens.

Ils ont chacun une spécialité : peintres déco-

rateurs, peintres paysagistes ou portraitistes,

peintres photographes. Parmi les peintres

décorateurs : Philippe Bassoul et Novellini.

Philippe Bassoul (1835-1895), fils d’un

gendarme originaire de Montauban, nommé

en Corse au début du siècle à Morosaglia où

il s’est marié et installé, part à Montauban

apprendre le métier de peintre décorateur

4

Les acteurs de la vie artistiqueet les artistes ajacciens

L a p e i n t u r e à A j a c c i o 1 8 9 0 - 1 9 5 0 : B a s s o u l , C a n a v a g g i o , F r a s s a t i

4. Cette société a bien du malà se mettre en place, malgréles efforts prodigués par Dela Rocca.

Page 17: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

avant de revenir en

Corse et de s’installer

à Ajaccio vers 1860.

À cette période de

très nombreux pein-

tres décorateurs

sont en activité en

Corse :

Natale Benvenuti,

Gilbert Bouchez,

Domenico Desanti, les frères

Gillio, Novellini, Paul-Baptiste

Profizi. Cette abondance d’artistes crée une

émulation et garanti une grande qualité des

travaux exécutés, à une période où la

demande est forte. Philippe Bassoul réalisera

des travaux de décoration dans l’église de

Bisinchi, la chapelle du couvent de Vico, la

cathédrale d’Ajaccio, où la décoration a été

reprise par la suite. On lui doit également le

plafond de l’Hôtel de Ville d’Ajaccio, l’entrée

de l’hôtel Germania, actuellement au 20,

Cours Grandval, ouvert en 1869 ; la salle de

réception du Grand hôtel d’Ajaccio et

Continental, édifié par l’architecte

Barthélemy Maglioli (1894). À la demande

des propriétaires, il fait des travaux dans des

appartements à Ajaccio. Les sujets les plus

souvent demandés sont la décoration de pla-

fonds : ciels, angelots, et décorations

murales, avec des motifs de décoration clas-

siques. Philippe Bassoul est également excel-

lent peintre de chevalet comme en

témoignent les tableaux parvenus jusqu’à

nous dont le portrait de sa femme et son

autoportrait.

Paul-Mathieu Novellini (1831-1918), est

formé en Corse par Brunetti puis, à Paris, où il

est l’élève de Gleyre ; il revient en Corse sans

doute en 1866. Sa production est abondante :

lithographies 5, peintures religieuses, paysages,

travaux de décoration ; il a beaucoup œuvré

en faveur de l’art par ses écrits, nombreux et

variés. Il a favorisé l’éveil de jeunes talents, gar-

çons et filles, dans son cours libre de dessin et

de peinture ouvert, rue du docteur Versini, à

Ajaccio vers 1870. Novellini est un personnage

très populaire en Corse et à Ajaccio en parti-

culier. Il contribue largement à faire connaî-

tre des artistes et des œuvres de qualité ; Il

milita pour la création d’un musée à Bastia,

dont le fonds aurait été complété par les dons

d’œuvres d’artistes ayant bénéficié d’une aide

pour leur formation 6. Il est l’auteur du

Catalogue des œuvres remarquables de pein-

ture, sculpture etc. qui se trouvent dans les

églises et autres monuments publics ainsi que

dans les maisons particulières de la Corse suivi

par des notices sur la vie et les œuvres des

artistes corses ayant un titre officiel, publié à

Bastia en 1911.

V i e c u l t u r e l l e e t a r t i s t i q u e à A j a c c i o à l a f i n d u X I X e s i è c l e : 1 8 9 0 - 1 9 0 0

5. Novellini a fait plusieursenvois au Salon de Parisentre 1872 et 1879. Novellinis’occupe aussi de commer-cialiser ses lithographies quifigurent dans toutes les mai-ries et écoles de Corse.6. « Beaux-Arts, création d’unmusée à Bastia », Ajaccio,imprimerie nouvelle Robaglia& Zevaco, 1897 ; le même arti-cle dans le « Petit bastiais »du 23 avril 1897.

Novellini. CorsicaHuile sur toile, 18 x 16,8 cm. ©Claude Giansily

5

Autoportraitde Philippe Bassoul (vers 1880)Musée Fesch, AjaccioDonation famille BassoulHuile sur toile, 50 x 35 cm©Musée Fesch, Ajaccio. DR

Page 18: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

Parmi les peintres connus pour l’exécution

de paysages, genre relativement peu à la

mode dans les années 1870-1880, François

Peraldi (1843-1916), qui effectue ses pre-

mières études artistiques à l’Académie de

Florence, puis à Paris, en 1867, où il suit

les cours de l’atelier Gleyre. En 1884, il

adresse au Salon des Indépendants Le

musée ; en 1889, il est sociétaire des Artistes

français. Peraldi est nommé, le 9 mai 1876,

conservateur du musée Fesch, poste qu’il

occupe jusque dans les années 1910. Il a réa-

lisé de nombreux travaux sur les œuvres

conservées dans les musées de la ville fai-

sant preuve d’une grande qualité d’analyse

pour l’attribution de certaines œuvres.

Excellent portraitiste : Portrait de la mère

de l’artiste, (musée Fesch, Ajaccio), pein-

tre des scènes de la vie : Les vendeuses de

lait, rue Chiappe à Ajaccio, 1876 ; Au cime-

tière d’Ajaccio, Peraldi est connu

aujourd’hui pour son remarquable tableau

intitulé Le port d’Ajaccio en 1882, (musée

Fesch, Ajaccio) qui constitue un témoignage

faisant date sur la vie du port avec ses per-

sonnages au premier plan, ses bateaux et la

physionomie de cette partie de la ville et

ses immeubles aux façades colorées.

6

L a p e i n t u r e à A j a c c i o 1 8 9 0 - 1 9 5 0 : B a s s o u l , C a n a v a g g i o , F r a s s a t i

François Peraldi. Le port d’Ajaccio en 1882Musée Fesch, AjaccioHuile sur toile, 75 x 85 cm©Musée Fesch, Ajaccio. JF Paccosi

Page 19: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

Alfred de la Rocca (1855-1915), qui se par-

tage entre Bordeaux et la Corse est aussi un

artiste de premier plan. Il est, à la fin du siè-

cle, le peintre qui représente le plus souvent

la Corse au Salon de Paris et dans les Salons

de province. Il peint la montagne corse : Les

châtaigniers d’Evisa (Corse) par une belle

journée de décembre (Salon des Artistes fran-

çais de 1890), Rivière de Bastelica en juin

(Salon de 1892) ; sa grande peinture Rivière

de Cristinacce en octobre (Salon de 1897,

musée Fesch, Ajaccio), confirme sa manière

de voir la Corse avec un certain aspect de

grandeur de rudesse et de mystère, et quand

il peint le Golfe d’Ajaccio (musée des Beaux-

Arts de Bordeaux), il présente la ville et la

vaste étendue qui l’environne à partir de ses

hauteurs, sous son plus bel aspect naturel et

serein. Ce type de vue panoramique sera

adopté par les peintres affichistes (comme

Dellepiane en 1904 et 1905) et par les photo-

graphes pendant des dizaines d’années.

Parmi d’autres peintres, A. Petrocchi,

artiste amateur bien connu à Ajaccio qui fait

des copies de peintures exposés au musée

Fesch dont la Forêt de Valdoniello par Jean-

Luc Multedo 7. Il a également exécuté une

grande Vue d’Ajaccio datée 1898, choisis-

sant un endroit parmi les plus typiques de la

ville sur une des promenades particulière-

ment prisée des touristes et hivernants. Paul

Casile présente régulièrement ses œuvres

dans les vitrines du magasin tenu par Pierre

Bodoy grand amateur d’art 8. Casile expose

également en 1898 et 1899 à la bibliothèque

7

V i e c u l t u r e l l e e t a r t i s t i q u e à A j a c c i o à l a f i n d u X I X e s i è c l e : 1 8 9 0 - 1 9 0 0

7. Jean-Luc Multedo (1812-1894) présente sa Forêt deValdoniello, à Paris au Salonde 1866. Cette toile achetéepar l’État pour la somme de1 000 francs est envoyée auMusée d’Ajaccio cette mêmeannée 1866.8. Pierre Bodoy sera élu maired’Ajaccio en 1900.

Alfred de la RoccaRivière de Cristinacce en octobreSalon de 1897, Musée Fesch, AjaccioHuile sur toile, 153 x 200 cm©Musée Fesch, Ajaccio. Sylvain Alessandri

Page 20: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

municipale d’Ajaccio en même temps que

Capponi et Corbellini ; en mars 1899, il pré-

sente des vues d’Ajaccio et de ses environs :

Vue d’Ajaccio, Chevaux à la baignade Scudo,

Rochers à Barbicaja, et des natures mortes 9:

Vieux livres, Le déjeuner, Lapin, Fraises et

cerise. Jean Spoturno, élève de Novellini

est ensuite fonctionnaire dans l’administra-

tion des domaines à Ajaccio et peint en ama-

teur. Il se lie d’amitié avec Bassoul au début

des années 1900, quand celui-ci revient de

Paris et il bénéficie de ses conseils et encou-

ragements. Novellini indique que « son

tableau peint à l’huile, représentant la ville

de Saugues a été admis au Salon du Puy avec

mention honorable ».

La plus réputée, parmi les peintres portrai-

tistes à Ajaccio, est incontestablement Aglaë

Meuron 10 (1836-1925), qui a eu le privilège,

en 1856, à vingt ans, de pouvoir accomplir des

études à l’École des Beaux-Arts de Paris où

elle travaille dans l’atelier de Baudry. Revenue

en Corse, c’est tout naturellement à Ajaccio

qu’elle s’installe pour exercer son art. Elle

vit avec ses deux sœurs, dont une épousera

Timothée Landry, magistrat à Ajaccio, éga-

lement d’origine suisse 11. Aglaë Meuron est

réputée pour ses portraits, genre sérieuse-

ment concurrencé par la photographie à la fin

du XIXe siècle et au début du XXe car à Ajaccio

et sa région existait une clientèle importante

et les familles aimaient faire peindre des por-

traits des leurs 12. Novellini nous la présente

comme un « peintre bien connu et apprécié

du public cultivé par ses nombreux portraits

largement peints, d’une

couleur chaude, bril-

lante et harmonieuse

en même temps. Son

chef-d’œuvre c’est le

Portrait en pied,

grandeur naturelle

de Mme Rose Sanvito

Alata, rentière à Vico ».

Aglaë Meuron est égale-

ment paysagiste. Elle a laissé

de très nombreuses vues de Corse, la

plupart à l’aquarelle, réalisées avec une

grande maîtrise : Bavella, Bastelica, Piana,

Vico, Cargèse, Calenzana.

Les peintres photographes ont été nombreux

en Corse à partir de 1870. Le plus connu à

Ajaccio, et sans doute le plus talentueux des

photographes est Laurent Cardinali (1853-

1935), formé à Paris puis à Nice, par Albert et

Ferret 13. Parmi les peintres photographes, on

a recensé Touranjon. Plusieurs membres de

la famille Touranjon installée à Ajaccio au début

du siècle exercent ce métier. Joseph Alexandre

Touranjon (1844-1918) a son atelier au 3, place

du Diamant ; il est en relation avec Dominique

Paccioni, peintre et photographe, installé près

de lui, rue de l’hôpital militaire. Il y a aussi la

concurrence de la reproduction en série comme

les portraits des célébrités corses 14 proposés en

1888 par Cortegiani, artiste peintre, à des prix

modiques : cinq francs le grand format et trois

francs le petit format et Le Moniteur de la Corse

du 28 janvier 1888 précise que « ces portraits,

dont les originaux sont peints à l’huile, doivent

8

L a p e i n t u r e à A j a c c i o 1 8 9 0 - 1 9 5 0 : B a s s o u l , C a n a v a g g i o , F r a s s a t i

9. Genre assez peu traité parles artistes corses et qui seraaussi rarement abordé aucours de la période 1900-1950, selon notre connais-sance actuelle de la question.10. Elle est issue d’une familled’origine suisse installée enCorse depuis le XVIIe siècle :son grand-père était dansl’équipe d’architectes qui édi-fia les bâtiments de l’enceintede la Citadelle d’Ajaccio.11. Elle sera ainsi la tanted’Adolphe Landry, personnagecélèbre à Ajaccio pendant l’en-tre-deux-guerres.12. On connaît ainsi le portraiten pied de Mlle LaurenceBosc, celui du Comte Pozzo-di-Borgo, le portrait deMlle Ambrosini (de Bastelica),les portraits des sœursSampolo.13. Installé à Ajaccio dès 1876,il n’hésite pas à quitter son ate-lier pour photographier pay-sages, métiers, personnageset événements. Ses photogra-phies sont remarquées auxexpositions nationales et inter-nationales.14. Sambucuccio, Sampiero,Christophe Colomb, Paoli,Napoléon.

Aglaë MeuronPortrait de la veuve Marti

Musée Fesch, AjaccioHuile sur toile, 65 x 63 cm

©Musée Fesch, Ajaccio. Sylvain Alessandri

Page 21: La peinture à Ajaccio, 1890-1950

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