la nostalgie, arme du multiculturalisme

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La nostalgie, arme du multiculturalisme ? Hypothèses et projets d’approche discographique. (version de travail ) Didier Francfort, Directeur de l’IHCE-Bronisław Geremek Château des Lumières (Lunéville)

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La nostalgie, arme du

multiculturalisme ? Hypothèses

et projets d’approche discographique.

(version de travail )

Didier Francfort,

Directeur de l’IHCE-Bronisław Geremek

Château des Lumières (Lunéville)

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Jock Young: « Alors même que la

communauté s’effondre, l’identité est

inventée ».

The Exclusive Society, Londres, Sage 1999,

p.164.

Cf. le numéro sur les « identités indécises »

Lignes, octobre 2001.

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La nostalgie, arme du multiculturalisme ? Hypothèses et projet d’approche discographique.

La parution en 1963 de « l’album de famille de tous les Français » que

constituait l’ouvrage de Gaston Bonheur Qui a cassé le vase de Soissons ? a

inauguré, bien avant qu’il ne soit question d’un usage politique, sinon politicien,

de la notion d’identité française, une ère de nostalgie d’un âge scolaire et

républicain. La préface fixait bien l’objectif du livre, qui eut un succès

considérable : « Qu’est-ce qu’un Français ? » La réponse se trouvait dans les

livres de classe, dans les souvenirs de ces belles formules qui ponctuaient

l’histoire et la littérature françaises − « bouter les Anglais »− ou dans des textes

d’anthologie abondamment cités. La nostalgie de l’encre violette, de la belle

écriture et de l’époque idéalisée où l’on connaissait l’orthographe et la

chronologie accompagnait le sentiment serein et évident d’appartenance

privilégiée à un ensemble national. On pouvait alors simplement répondre à la

question « Qu’est-ce qu’un Français ? » en n’évoquant ni le droit du sol, ni le

droit du sang mais le droit des « premiers livres de classe », de l’ « école

enchantée des souvenirs ».

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Pascal Ory,

Goscinny

(1926-1977) :

La liberté d'en

rire, Paris,

Perrin 2007,

307 p. Ouvrage qui

évoque le

« cosmopolitisme »

du scénariste

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La réédition française du Livre Cœur d’Edmondo

De Amicis a bien montré que le roman national

de la formation scolaire est un phénomène

européen assez généralisé. Les bâtisseurs de nation

ont su reprendre une forme de nostalgie textuelle.

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L’hypothèse que nous aimerions poser et discuter

ici est celle d’une autre forme de nostalgie

d’ensembles transnationaux qui puiseraient dans

d’autres formes régressives, dans d’autres images et

d’autres imaginaires. Au parfum de l’encre violette

des écoles nationales et des textes qui les fondent,

s’oppose le parfum de la dévotion impériale, du

loyalisme dynastique, de la coexistence idéalisée

qui se transmet dans d’autres émotions.

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Hofburg Wilhelm Gause (1900)

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Une évocation nostalgique des mélanges culturels

métropolitains s’est ainsi développée dans la

France des années 1970. On découvrait alors en

France un Berlin vibrant, avant le nazisme, aux

accents de la modernité internationale : le Berlin

de Christopher Isherwood qui a donné lieu à des

reconstitutions spectaculaires à Broadway puis au

cinéma dans le fameux Cabaret (Bob Fosse, 1972).

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LE FILM

Affiche polonaise de

Wiktor Gorka

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À Berlin

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[Note : au cours des ateliers, les présentations de Paul

Dumont et de Defne Türkder-Demir ont bien montré

que le caractère « multiculturel » dans les quartiers

d’Istanbul et dans les manifestations de Gezi ne se

limitait à un aspect multinational, à la représentation de

minorités « ethniques », linguistiques ou religieuses mais

concernait aussi la diversité des positionnements

politiques, moraux, sexuels ou esthétiques.]

Un vieux tango de l’époque kémaliste repris en Turquie

par les opposants au gouvernement.

http://www.youtube.com/watch?v=dIPguIn7-ig

Une version « classique »

http://www.youtube.com/watch?v=959rzTqawEM

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Tarlabaşı

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Une évocation cinématographique des « marginalités » autour de Taksim

http://www.startv.com.tr/video-arsiv/agir-roman-yeni-dunya-1-bolum

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L’expérience de la découverte du cosmopolitisme berlinois dans l’exposition qui commença en juillet 1978 au Centre Pompidou renforça ce tropisme cosmopolite métropolitain : on savait que l’Allemagne wilhelminienne et la République de Weimar avaient connu un foisonnement culturel où s’illustraient des peintres et de musiciens comme Vassily Kandinsky (1866 - 1944), il fallut reconnaître que la liste était loin d’être close et qu’il fallait y ajouter des gens comme Alexej von Jawlensky (1864-1941) ou László Moholy-Nagy (1895-1946). Roman Cieślewicz (1930-1996) avait réalisé une affiche ; il fit également celle de Paris-Moscou en 1979.

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L’exposition du Centre Pompidou sur Vienne, « l’apocalypse joyeuse » en 1986

donna lieu à un catalogue, dirigé par Jean Clair. Claudio Magris et Carl Schorske y

ont participé mais l’image retenue en couverture est un tableau de Gustav Klimt,

L’Espoir (1903), conservé à Ottawa. Autour d’une femme enceinte nue rôdent

des masques macabres. Un autre type d’imaginaire nostalgique est alors à l’œuvre

au milieu des années 1980 qui, d’une certaine façon, préfigure les changements

dans la configuration-même de l’Europe à la fin des années 1980. La nostalgie

des cultures multinationales, plus ou moins idéalisées, est porteuse d’un

positionnement politique mais il est difficile d’envisager que l’ensemble des

expressions de nostalgie des entités multinationales qui ont été divisées en

ensembles «nationaux » correspondent à une nostalgie du régime politique

défunt, qu’ils soient celui des Habsbourg, des Ottomans, des Romanov ou des

dirigeants soviétiques .

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KLIMT

die Hoffnung I (1903)

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Références :

Gaston BONHEUR, Qui a cassé le vase de Soissons ? L’album de famille de tous les Français. Paris, Robert Laffont, 1963, 448 p.

Edmondo DE AMICIS, Le Livre Cœur, traduction de Piero Caracciolo, Marielle Macé, Lucie Marignac et Gilles Pécout, notes et postface de Gilles Pécout suivi de deux essais d'Umberto Éco, Paris, édition Rue d'Ulm, 2004, 496 p.

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1.Nostalgie impériale et redécouverte de l’Europe médiane.

Si le public parisien s’est précipité vers l’exposition viennoise, c’est en grande partie parce que quelque chose s’était passé dans la région qui montrait une certaine aspiration à un retour à une culture transnationale. Le film austro-germano-hongrois d’István Szabó, Colonel Redl, réalisé en 1985 dans un format inusuel de co-production de prestige était un signe du retour d’une idée d’Europe médiane qui dépassait la bipartition de l’Europe de la Guerre Froide . On a peut-être trop tendance à expliquer la fin du communisme en Europe par la résurgence des nationalismes qui ont conduit au morcellement politique des anciennes entités supranationales. C’est peut-être oublier des événements comme le pique-nique paneuropéen d’août 1989 qui entrouvrit le Rideau de Fer près de Sopron et oublier également le rôle de pivot que l’Autriche de Bruno Kreisky, chancelier de 1970 à 1983, a su jouer et surtout la façon dont s’est imposée l’image d’une culture de l’Entre-Deux qui correspondait à la ligne de neutralité adoptée au moment du « Traité du Belvédère » signé en 1955 (http://www.staatsvertrag.at/). Au moment où l’on pense que tous les pays du bloc soviétique sont « des pays de l’Est », l’Autriche représente l’Europe médiane accessible. Cf.Antoine MARÈS, « Construction, déconstruction et marginalisation de l’Europe centrale en France », L’Europe médiane au XXe siècle (dir. Paul Gradvohl), Prague, Publications du CEFRES, 2011, pp. 195-214.

http://www.youtube.com/watch?v=Bf2BpUuuL6w

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Willi Brandt, Olof Palme und Bruno Kreisky am 24.5.1975 (Foto: Stiftung Bruno Kreisky Archiv)

http://www.kreisky100.at/index.html

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Sopronpuszta, près de Sopron (Hongrie), 19 août 1989 : la

frontière avec l'Autriche s'ouvre à l'occasion du "pique-nique

paneuropéen" (Tamás Lobenwein)

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On peut noter, dans la Vienne de l’époque de la « neutralité » la coexistence d’un double système de références culturelles dépassant le cadre national : d’un côté une appétence particulière pour l’ensemble du monde, un mondialisme qui va des restaurants grecs au jazz viennois qui avec des jazzmen comme Frantz Koglmann ou Fritz Novotny sont à l’écoute de tous les courants novateurs de la musique afro-américaine la plus novatrice (de Monk à Don Cherry) , de l’autre côté un multiculturalisme très local, comme celui des cabarets viennois. Helmut Quältinger chante une chanson de Georg Kreisler sur l’annuaire téléphonique viennois où abondent les noms à consonance tchèque (que l’auteur a aussi enregistrée). Kreisler, compositeur, chanteur, parolier, juif autrichien émigré aux Etats-Unis, de sensibilité libertaire, reprend un rythme entraînant de valse pour évoquer comment dans une Europe dévastée où tout ce qui est culturel est détruit − de Molière à Bach, des opéras aux musées − triomphe Der Euro.

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http://www.youtube.com/watch?v=JUtnwNVMQhs

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Andreas FELBER, Die Wiener Free-Jazz-Avantgarde. Revolution im

Hinterzimmer. Wien, Böhlau Verlag, 2005, 512 p.

http://www.youtube.com/watch?v=htfBPavIr1A

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http://www.youtube.com/watch?v=cu4tD8bAsHM

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Le discours nostalgique multinational mettant en évidence la complémentarité, la compatibilité des cultures insiste plus sur l’image d’un âge d’or local, d’une bonne entente de voisinage, plus que sur l’efficacité durable des constructions étatiques multinationales. Cela va du rappel d’un simple bon voisinage à des formes complexes et diverses de syncrétisme religieux. Les Albanais musulmans vont chercher des œufs de Pâques chez leurs voisins chrétiens. Cela concerne les métropoles, l’âge du cosmopolitisme urbain est célébré à Istanbul comme à Vienne. Le Monde d’hier : Souvenirs d’un européen de Stefan Zweig est devenu le modèle de cette évocation désabusée d’un âge précédent les déchirements entre nations au cours de la Grande Guerre. La « prison des peuples » n’était plus a posteriori qu’une prison pas si inconfortable que cela. Il y eut, dès avant la fin du communisme en Europe centrale, une vague nostalgique impériale et royale qui précéda l’intégration à l’Union européenne. On reprend l’idée exprimée, par exemple par Joseph Roth, que la monarchie multinationale est un rempart contre la barbarie et qu’elle protège les minorités menacée par la violence des masses mues par les passions nationales. La nostalgie joue ainsi plus dans le sens d’une proximité perdue, d’une altérité effacée, sans doute souvent idéalisée, que dans le sens du regret d’un ancien ordre impérial.

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ZWEIG &ROTH

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Un dernier concert de Fritz Kreisler avant la Grande Guerre

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2. A la recherche des minorités perdues. Si les pays de l’ancien bloc soviétique mettent bien en évidence les modalités d’une nostalgie d’une culture multinationale, cela prend souvent la forme de la redécouverte de cultures minoritaires détruites qui ne constituent pas nécessairement une spécificité régionale mais touche certainement d’autres régions. La réédition de vieux enregistrements a pu être à l’origine d’une logique patrimoniale qui n’était pas strictement nationale. La musique est censée permettre plus facilement de montrer qu’il y avait coexistence de traditions et de cultures dans une situation d’échanges permanents et de symbiose. Le phénomène nostalgique a eu le disque, et particulièrement le CD, comme support privilégié. Il conviendrait à présent de faire une typologie des sites musicaux nostalgiques pour comprendre comment fonctionne cette nostalgie. A l’époque des CD, des anthologies permettent de comprendre des réseaux de circulations qui bouleversent les géographies nationales.

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Ainsi en 1993, le label Frémeaux et Associés édite une anthologie musicale sous le titre de Tziganes, Paris-Berlin-Budapest, 1910-1935, en deux CD. Les textes de commentaires sont significatifs d’une volonté de rappeler la richesse culturelle et musicale des métropoles multinationales. Ainsi Ernst Weber présente des enregistrements de musique populaire viennoise provenant de disques anciens en évoquant la capitale de l’Empire austro-hongrois et le riche spectre des cultures d’un Etat multinational (« das reiche Spektrum des Vielvölkerstaates »). Les enjeux politiques d’une réédition sont multiples : du choix de la police du texte de la pochette ou du boitier, au nom donné à la culture disparue. Lorsque le label Imaj Müzik édite, en 2001, des marches ottomanes interprétées par l’ensemble de Kudsi Erguner, il le fait dans une collection caractérisant l’Empire Ottoman comme « Empire de Tolérance » (Osmanlı İmparatorluğu, Hoşgörü İmparatorluğu). Le sens de l’édition ou de la réédition discographique (publique ou privée, spécialisée ou « généraliste ») des airs et des musiques représentatives d’une minorité en grande partie disparue n’a pas le même sens dans la société. La « Jewish Bookshop & Tourist Agency Jarden » fondée en 1993 dans le quartier de Kasimierz à Cracovie participe à la redécouverte largement utilisée dans le développement touristique et commercial de la ville d’une culture détruite. Elle publie des disques où sont réinterprétés les classiques de la chanson yiddish. C’est toute une géographie imaginaire qu’il faut alors interroger comme l’a fait Jean-Sébastien Noël à propos du « revivalisme » du klezmer .

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Références

• http://www.youtube.com/watch?v=NIJ-I2gzxEA • Wien, Volksmusik. Rare Schellacks, 1906-1937,

Trikont, US 0198, 1994. • Jean-Sébastien NOËL, « L’Europe centrale et orientale

est-elle un espace pertinent pour les compositeurs juifs contemporains ? » in Paul Gradvohl (dir.), L’Europe médiane au XXe siècle. Fractures, décompositions – recompositions – surcompositions Prague, CEFRES, 2011. pp. 89-106 .

http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/59/18/43/PDF/Noel_2011_Un_espace_pertinent_pour_les_compositeurs_juifs.pdf

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http://www.youtube.com/watch?v=edmxadIa8K0

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Bien des survivants remettent en cause la légitimité de la captation d’héritage des rééditions de chants juifs dans de telles conditions . La définition de ce qui relève de la culture juive polonaise implique une réflexion sur les échanges, les migrations, les premières expressions spécifiques et l’on retrouve une nostalgie de musiques écrites ou interprétées par des musiciens juifs alors que leur judéité n’est pas toujours mise en évidence, qu’il s’agisse de la production de musique yiddish en exil ou de production en Pologne ou en URSS de musiciens issus de la culture yiddish : de David Oïstrakh à Arthur Rubinstein ou à Horowitz, de Léonide Outiossov au Frères Gold, de Dounaïevski à Petersburski. Quelques sites de collectionneurs et de passionnés permettent ainsi de mesurer l’importance dans le paysage sonore « global » d’Europe centrale et orientale des musiciens juifs de jazz et de tango . C’est tout un travail de révision historique qui est à l’œuvre. Lorsque le label grec AM records consacre en 1995 le volume 8 de ses « Greek Archives » aux Arméniens, aux Juifs, aux Turcs et aux Tziganes dans les vieux enregistrements, cela constitue une brèche dans une conception étroite d’une nation grecque uniforme et unie autour de la foi orthodoxe . La redécouverte de chanteuses sulfureuses poursuit cette remise en cause du roman national, qu’il s’agisse de Roza Eskenazi ou de Wiera Gran .

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Quelques sites « nostalgiques » entre expressions d’identités (parfois même assez nationaliste) et fierté des mélanges (tango, valses, jazz…)

http://www.youtube.com/channel/UC5cCbwd7wQaMoRxLV8SzvRQ https://www.youtube.com/watch?v=KJQzLBuQg5Y&list=PLB2UEEvowJ3qMF7XwGLg2y

FDXpSH448O_ http://www.youtube.com/watch?v=euixP4RjcB8

http://www.youtube.com/user/pustinnik50/videos http://www.youtube.com/user/240252/videos

http://culturesovietique.e-monsite.com/ http://archive.org/search.php?query=subject%3A%22popular%22+AND+mediatype%

3Aaudio&page=1 http://www.sovmusic.ru/english/last_updates.php

http://patefon.knet.ru/music/patephon/ http://yiddish.lenin.ru/

http://mp3.retroportal.ru/2.shtml

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Une démarche musicale de restitution d’un passé gommé des histoires officielle a été particulièrement stimulante : celle de Kalan müzik . Le destin de cette firme discographique est indissociable de celle de son fondateur Hasan Saltık. Né à Tunceli, il a fondé très jeune (à 27 ans) sa maison d’édition discographique. Il s’est spécialisé dans l’édition des musiques des « minorités » et diverses « communautés » de Turquie : Kurdes, Arméniens, Judéo-espagnols, Tsiganes de Thrace, Lazes du Nord de la Turquie, Pomaks, Ses choix de reconnaître les cultures « minoritaires » l’on conduit à plusieurs reprises devant les tribunaux. Le catalogue de Kalan Müzik qui s’est imposé avec des rééditions de musiques rares s’est enrichi d’enregistrements contemporains, privilégiant les musiques de « fusion », rapprochant les styles d’origine différente, en particulier des groupes militants comme le Grup Yorum ou des groupes qui peuvent plus entrer dans la catégorie de la World Music comme Yansımalar. L’esthétique des rapprochements inattendus est peut-être le signe d’un des effets de la nostalgie locale multiculturelle qui, même en période de « globalisation », ne privilégie pas nécessairement un produit musical uniforme mais un ensemble de produits de « contrebande » mélangeant les marchés nationaux. L’approche en termes de marché est nécessaire. La nostalgie constitue bien une puissante motivation d’achat mais elle conduit aussi à des démarches créatrices nouvelles. http://kalan.com/

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Un récent programme de recherche initié dans le cadre de l’Agence Nationale de la Recherche a insisté sur la création musicale en période de globalisation. Ce programme « Globalmus » a permis d’étudier les effets de cette nostalgie en Europe centrale et orientale . Les disques Kalan témoignent ainsi de l’enrichissement musical que constitue le rapprochement de traditions aussi bien lointaines que proches comme dans le cas des disques enregistrés par Erkan Oğur et Djivan Gasparyan. C’est dire que l’approche de la discographie multiculturelle ne conduit pas seulement à réfléchir en termes de diffusion mais en termes de production, de pratiques et d’appropriation.

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3°Une inspiration nostalgique ? Peut-être a-t-on trop longtemps eu peur de considérer les productions culturelles et les pratiques ne permettant pas de mettre en évidence des représentations comme des sources historiques au même titre que tout ce qui relève explicitement de la représentation. Que dit l’abstraction de la société qui la produit ? Que dit la musique produite en un moment donné ? La réflexion à partir de la reprise, de la transformation de ce qui parle du passé, et d’un passé bien révolu, est peut-être la voie la plus commode pour aller vers une approche historique plus systématique de la création. Le mot lui-même fait peur aux historiens, peut-être par refus du « créationnisme ». Les récentes rencontres organisées à Metz par Anne-Sylvie Barthel-Calvet apportent des éléments nouveaux tout à fait stimulants . Essayons d’appliquer une contextualisation simple à une production qui peut avoir quelque rapport avec les nostalgies multiculturelles. Le pianiste américain Uri Caine, né en 1956 à Philadelphie, se présente simplement, si l’on peut dire, comme pianiste et compositeur de jazz. Sa carrière l’a conduit à retrouver le klezmer avec Don Byron ou Mickey Katz. Dans les années 1990, il découvre ce qu’il peut y avoir de novateur à s’attaquer au répertoire classique. Il ne s’agit pas seulement de le faire jazzer comme ont pu le faire les Swingle Singers, dans les années 1960, ou le pianiste Jacques Loussier. Il s’agit d’une réinvention complète, de collages, de passages libres de toute référence.

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Parmi les compositeurs auxquels il s’attaque Gustav Mahler figure en bonne place. Produit de la monarchie multinationale des Habsbourg, se sentant étranger partout, Mahler a été accusé, en particulier en France, de juxtaposer (avec une sorte de « mauvais goût » assumé) des bribes de fanfares, des airs de brasserie, des passages élégiaques ou austères… Le caractère monumental de la symphonie disparait dans les adaptations de Mahler par Uri Caine qui reprend des allures de klezmer. Le passage de la grande figure universelle de Mahler à d’autres reprises par Uri Caine de « classiques » semble significatif d’un certain changement d’échelle qui réinvente le « multi » dans le « micro ». en juillet 2013, Tomasz Konwent, organisateur du Festival Tzadik de Poznań a demandé à Uri Caine de reprendre les plus grands succès du pianiste Władysław « Władek » Szpilman (1911 – 2000) redécouvert après sa mort avec la réédition de ses mémoires et avec le film qu’en a tiré Roman Polański. Là encore, la conjonction d’une logique de festival, d’une rencontre qui semble fortuite retrouve des moments qui désenclavent les cultures, comme à l’époque où Dave Brubeck apportait en 1958 sa sensibilité jazzistique particulière en Pologne. Ce n’était pas la Nouvelle-Orléans sur la Vistule mais une occasion de créer des ponts entre d’authentiques musiciens polonais (K. Komeda est resté le plus célèbre grâce à ses musiques pour les films de Polanski) et d’authentiques musiciens américains ne se contentant pas de références figées à un style New–Orleans idéalisé. Là encore, si nostalgie il y a en évoquant ce moment créatif, ce n’est pas du régime communiste mais bien d’une liberté conquise, d’un rapprochement dépassant les contraintes politiques et les logiques « nationales ». Cela implique qu’une approche de cette expression mêlant nostalgie d’anciennes synthèses culturelles et processus d’appropriation et de « création » ne peut privilégier les questions de diffusion et de réception aux dépens de la phase de production. Cela peut être un des points sur lequel je souhaiterais conclure en formulant, de façon pour le moment dogmatique et abrupte quelques propositions provisoires de méthode et de terminologie pour une approche de ce qui est multiculturel.

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Découvrir « le pianiste », interprète et compositeur

• http://www.youtube.com/watch?v=SJPmkt4bwf8

• http://www.youtube.com/watch?v=Ok9EV1dbJ0Q

• Interprète de Fritz Kreisler

http://www.youtube.com/watch?v=IxE30lAQ9eo

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1° Je propose de distinguer ce qui est de l’ordre du multiculturel, ou peut-être de l’interculturel, de ce qui relève des théories « multiculturalistes » qu’expose, par exemple, Charles Taylor. Or, les anti-multiculturalistes liés au traditionalisme et à l’extrémisme de droite ont, selon moi, réussi à créer un leurre, une cible fictive qui leur permet de rassembler autour de l’idée d’une culture menacée dans laquelle ils se reconnaissent unanimement. 2° Ne pas mettre au second plan la phase de production-appropriation au nom d’une primauté heuristique des représentations. Accorder autant d’importance aux pratiques culturelles n’aboutissant pas à des représentations sociales analysables comme telles qu’aux productions aboutissant à des représentations dont la distorsion avec le réel historique (dans la mesure où on peut le reconstituer) est significative de l’état d’une société donnée. 3° Essayer de définir des « systèmes esthétiques » ou des « régimes culturels» dans lesquels certains modes de représentation ou certaines pratiques sont privilégiés par rapport à d’autres (le sonore ou le visuel, l’écrit ou l’icône…). Les modes autres « mixtes » ( bande dessinée, théâtre musical, utilisation de vidéos au théâtre…)peuvent être à cet égard d’excellents « laboratoires ». On pourrait ainsi vérifier l’hypothèse selon laquelle la nostalgie du national privilégie l’écrit le langagier alors que la nostalgie du « multi » privilégie l’image. Cette différence est bien politique au sens où l’entend Jacques Rancière dans l’idée de « partage du sensible ».

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Références « Pieśni żydowskie Mordechaja Gebirtiga, Mordechaj Gebirtig Jewish Songs » , Jarden, CD 009. http://www.youtube.com/user/jurek46pink constitue un des sites les plus complets. The Greek Archives, vol.8, Agata TUSZYŃSKA, Wiera Gran, l’accusée. 2010, traduction française, Grasset 2011, 395 p. Bengi DERYA , « Abécédaire musical », La pensée de midi 3/ 2009 (N° 29), p. 102-114 URL : www.cairn.info/revue-la-pensee-de-midi-2009-3-page-102.htm. Voir le site du label : http://kalan.com/ Didier FRANCFORT, « Portrait de Frank Zappa en dissident tchèque : circulations musicales est-ouest pendant la guerre froide » in Emmanuelle OLIVIER (dir.), Musiques au monde. La tradition au prisme de la création. Paris, Delatour France, (é2012, pp. 67-77. Anne-Sylvie BARTHEL-CALVET d.) Propositions pour une historiographie critique de la création musicale après 1945. Metz : Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire. 2011, 239 p. Gustav Mahler/Uri Caine : Urlicht/prima light, Winter &Winter, 1996, 910 004-2.