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« LA MONADE ET L'?UVRE D'ART ». La contribution de Gabriel Tarde au domaine artistique Laurence Saquer P.U.F. | L'Année sociologique 2006/1 - Vol. 56 pages 177 à 200 ISSN 0066-2399 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2006-1-page-177.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Saquer Laurence, « « La monade et l'?uvre d'art ». » La contribution de Gabriel Tarde au domaine artistique, L'Année sociologique, 2006/1 Vol. 56, p. 177-200. DOI : 10.3917/anso.061.0177 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.53.81.5 - 27/07/2013 06h57. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.53.81.5 - 27/07/2013 06h57. © P.U.F.

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« LA MONADE ET L'?UVRE D'ART ». La contribution de Gabriel Tarde au domaine artistiqueLaurence Saquer P.U.F. | L'Année sociologique 2006/1 - Vol. 56pages 177 à 200

ISSN 0066-2399

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2006-1-page-177.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Saquer Laurence, « « La monade et l'?uvre d'art ».  » La contribution de Gabriel Tarde au domaine artistique,

L'Année sociologique, 2006/1 Vol. 56, p. 177-200. DOI : 10.3917/anso.061.0177

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« LA MONADEET L’ŒUVRE D’ART ».

LA CONTRIBUTIONDE GABRIEL TARDE

AU DOMAINE ARTISTIQUE

Laurence SAQUER

RÉSUMÉ. — Le dénouement « Vie esthétique » apporté au « conte » d’anticipationFragment d’histoire future de Gabriel Tarde conduit à s’interroger sur les réflexions quecelui-ci a portées sur le domaine artistique. Le dernier chapitre de La logique sociale intitulé« L’art », texte ultime qui fait le rappel des hypothèses émises par Tarde dans ses archives etses travaux publiés, permet de dégager les notions de besoin esthétique, de production etde consommation d’art qui, corrélés à la détermination de l’œuvre d’art en tant quemonade et à la structure répétition-opposition-adaptation, amènent à la conclusion selonlaquelle la sphère de l’art et les modalités de son fonctionnement ne constituent jamaisqu’un prolongement empirique aux principes fondateurs du système de Tarde, développésessentiellement dans Les lois de l’imitation, La logique sociale et Monadologie et sociologie.

ABSTRACT. — « Esthetical life », the dénouement Gabriel Tarde gave to his antici-pation « tale » « Underground », leads one to ponder his reflections on the artisticdomain. The last chapter of « Social Logic », entitled « Art », is the ultimate text thatreviews the hypotheses expressed by Tarde in his archives and published work. This lasttext allows us to draw out the notions of esthetic need, production and art consumptionwhich, correlated to the determination of the piece of art as a monad and to the repeti-tion-opposition-adaptation structure, lead to the conclusion that the art sphere and itsmodes of functioning are but an empirical extension to the founding principles ofTarde’s system which he developed mainly in Laws of imitation, Social Logic and Monado-logy and Sociology.

Fragment d’histoire future, conte futuriste ou « essai de sociologie-fiction » (Joseph, 1999, 19) que Tarde fait paraître en 1896, fait lerécit de la reconstruction sous forme troglodytique d’une civilisa-tion disparue lors de l’extinction du soleil ayant entraîné le gel totalde la surface de la planète. À partir du néant, les quelques survivantsà cette catastrophe, réfugiés dans des galeries proches du centre de laTerre, élaborent une société idyllique advenue non sans obstacles,mais dotée de la perspective de sa pérennité.

Ce récit rassemble autour des personnages fictifs de Miltiade etLydie des thématiques directement inspirées par les termes de la

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triade tardienne : répétition, opposition, adaptation. À mesure quela narration progresse, corrélativement à la reconstruction fictive decette cité souterraine, les principes généraux qui fondent le systèmetardien se lisent en palimpseste. Ici, « rien n’arrêtait plus dans sonexpansion rayonnante la vogue d’une idée quelconque néen’importe où » (Tarde, 1999 c [1896], 44) ; là, un astre solaire quis’éteint et une population confrontée à une terre désormais hostile ;puis, un brillant compromis entre les « besoins de la civilisationancienne et de la civilisation nouvelle » (Tarde, 1999 c [1896], 82)qui guide les survivants à cette extinction vers les profondeurs de laTerre désormais inadaptée à la vie humaine ; enfin, cette civilisationmoderne qui prend forme « après bien des essais avortés, bien desconvulsions douloureuses » (Tarde, 1999 c [1896], 87) pour se stabi-liser en une entité se renouvelant sans cesse au gré de l’expression etde la satisfaction de besoins dénués de toute justification pratique etrevêtus au contraire d’une enveloppe légère spécialement dédiée augoût, au raffinement, au plaisir. La vie quotidienne ainsi dégagée denécessités toutes matérielles, les individus sont disponibles pourlibérer leurs appétences artistiques, les échanger, les produire, lesconsommer et favoriser ainsi l’étendue du lien social sur le déploie-ment de l’expression du goût et des plaisirs. Cette vie ainsi socia-lisée, Tarde la nomme vie esthétique.

Dans ce récit, Tarde se livre à un exercice de style pour extraired’un contexte épuré de contraintes naturelles et environnementalesun modèle social portant une par une les strates de son système àleur niveau d’application parfaite. Mais pourquoi l’applicationcroisée de ces notions permet-elle d’atteindre un stade ultime dit vieesthétique ? Que faut-il entendre ici par esthétique ? Tarde, quiregroupe sous cet épithète les sciences et les arts sous toutes leursformes, fournit le principe fondamental à partir duquel selon luicette vie esthétique peut se déployer : il s’agit, pour les individus, de« se servir soi-même et s’entrecharmer mutuellement » (Tarde,1999 c [1896], 93) puisque « c’est sur l’échange des admirations oudes critiques, des jugements favorables ou sévères, que la sociétérepose. Au régime anarchique des convoitises a succédé le gouver-nement autocratique de l’opinion » (Tarde, 1999 c [1896], 93) quiérige en religion l’appréciation du beau et du vrai. Ainsi, une œuvred’art ou un raisonnement arithmétique assortis du jugement qu’ilsentraînent sont les données primordiales qui tissent la toile duréseau social par le biais des individus porteurs des appréciations.Autrement dit, la sculpture ou le théorème sans retour appréciatif

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est inutile au groupe, aussi convient-il pour le producteur de cetype de donnée de rechercher un jugement, même inconfortable.

L’écart littéraire aux écrits sociologiques de Tarde permet defaire un retour sur lesdits écrits et de s’interroger sur la sphèreallouée à l’art dans les grands travaux tardiens. A-t-il déjà été ques-tion de l’esthétique chez Tarde ? Comment, de l’application imagi-naire des dispositions de son système de pensée, en arrive-t-on autraitement de l’art ? La question de l’art a-t-elle déjà été pensée parTarde ? Sous quelles formes ?

Deux niveaux de sources bibliographiques se mêlent pourrépondre à cette question. Le premier niveau regroupe pêle-mêleles différentes réflexions que Tarde a menées sur l’esthétique et quisont restées inaccessibles jusqu’au transfert en 2004 des archives deGabriel Tarde de La Roque-Gageac jusqu’au Centre d’histoire del’Europe du vingtième siècle (CHEVS). Le second niveau rassembledeux textes qui ont trouvé éditeur : il s’agit de l’article « L’art et lalogique » (Tarde, 1891) et du dernier chapitre de La logique socialeintitulé « L’art » (Tarde, 1999 a [1895]).

Le dépouillement du Fonds Tarde, riche en notes manuscritessous la forme de carnets intimes, correspondances, manuscritsd’articles et d’ouvrages, permet de mettre en évidence plusieurspoints d’ordre formel. Premier point : le caractère limité de lasphère de l’art se révèle par rapport à l’abondance de ces sourcesd’archive. L’intérêt porté aux œuvres est aussi peu traité dans lesnotes que dans les travaux édités. Deuxième point : une unité chro-nologique peut être dégagée : c’est entre 1878 et 1885 que Tarderédigera la quasi-totalité de ses réflexions sur l’art. Le feuillet« Esthétique, 1878 » (Tarde, 1878), bien que succinct et sans portéesingulière, entame une série d’interrogations et d’hypothèses rela-tives à l’art qui s’étendra jusqu’en 1885, date à laquelle le manuscritintitulé « L’art, 1885 » (Tarde, 1885) est achevé mais au-delà, seulesquelques notes éparses viennent compléter un travail aux contoursdéjà très largement déterminés. Troisième point, corrélatif dudeuxième : ces documents fournissent des indications sur laméthode de travail de Tarde qui facilite la lecture et l’appréhensionde ses hypothèses esthétiques. L. Salmon, qui a classé ces archives,explique très concrètement que de l’observation et de l’étude de cesdocuments se dégage « une volonté de conserver et de classer sesdocuments, ses notes de travail afin de les retravailler sans cesse.Ainsi, ses notes anciennes sont souvent reprises et complétées. C’estce remodelage et cette systématisation de ces idées qui en découlent

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qui lui ont parfois valu des critiques à cause des discordances et desrépétitions » (Salmon, 2005). Ce dernier point explique le fait, éta-bli à partir de l’analyse de ces notes, que le manuscrit de 1885(Tarde, 1885), qui sera transmis à la Revue philosophique pour êtrepublié en 1891, reprend l’essentiel des développements et des hypo-thèses jusqu’alors non combinés, disséminés çà et là sur des feuillesvolantes et désormais réunis sous le chapeau « L’art, 1885 ». Or,entre le moment où Tarde termine son manuscrit, 1885, et lemoment de sa parution, 1891, le texte change de titre et devient« L’art et la logique » (Tarde, 1891), électron libre au milieu del’orientation criminologique des articles qu’il fait paraître alors. Soncontenu ne changera pas non plus lorsqu’il sera repris en 1895 dansLa logique sociale (Tarde, 1999 a [1895]), présenté en dernièremesure comme l’épilogue d’une aventure, celle du syllogisme etplus globalement celle de la logique selon Tarde qui amputera letitre de ce chapitre du qualificatif logique, comme si ce caractèreétait évident. Assuré désormais de s’intituler « L’art », ce texte sedoit néanmoins d’être lu à la lumière des notes raturées et des feuil-lets noircis d’annotations libres qui n’ont pas été reportées sur letexte final mais qui n’en sont pas pour autant dénuées d’intérêtparce qu’elles précisent et prolongent plusieurs points seulementamorcés dans la version publiée et parce qu’elles permettent autexte que soient assurées sa compréhension, son histoire, sa portée.

L’art selon Tarde ne bénéficie donc que d’un chapitre pours’épanouir et se répandre. Ce chapitre vient clore La logique socialeaprès qu’ont été appliqués aux études de la langue, de la religion,des affects et de l’économie politique les principes exposés lors de lapremière partie qui déterminent les différentes qualités de l’inven-tion, de la croyance, du désir1 et de leurs ressorts respectifs, qu’ilssoient individuels ou collectifs. Mais La logique sociale permet-elle àl’art de s’insérer dans le triptyque tardien ? Quelle valeur apporter àce texte par rapport à l’énonciation d’un système fondamentalementbasé sur le rythme d’une différence allant toujours se différenciant,que cette différence soit un élément infinitésimal, un groupe socialou l’une de ses pratiques ? Quels principes ce texte permet-il dedégager ? Comment Tarde appréhende-t-il la sphère esthétique etquelle est la portée de son étude ?

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1. Forces qui traversent tout élément qui « par la croyance, [...] se distingue et dis-tingue [et] par le désir [...] se modifie et modifie » (Tarde, 1895, 392). Ces deux catégo-ries fondamentales et irréductibles se traduisent comme étant, d’une part, le jugement– la croyance –, et d’autre part, la volonté – le désir – qui animent chaque élément.

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Si la délimitation de la sphère de l’art par Tarde – lorsque celui-cis’efforce de mêler ses dispositions et sa finalité sociale – annoncel’ambivalence de l’art en tant que vecteur d’un ensemble précis dereprésentations et d’événements sociaux dont il s’inspire et qu’ilreflète, sa mise en œuvre ou actualisation laisse le champ libre à lapropagation des connexions, des relations interindividuelles, à laprolifération des innovations alors que s’est déjà enclenchée la méca-nique sourde de la répétition, de l’opposition et de l’adaptation.

I. Dispositions et finalité de l’art

« Il y a les beaux-arts, et aussi les arts qui ne sont pas beaux »(Tarde, 1999 a [1895], 523). Tarde débute son texte par cettedouble définition. Appréhendé sous ces deux acceptions, l’art est,d’une part, l’expression « de l’imagination et de l’ingéniositéhumaine, l’invention sous mille formes » (Tarde, 1999 a [1895],523) ; d’autre part, l’art est entendu comme véritablement artistiquelorsqu’il fournit des moyens de satisfaire des besoins dits esthétiques.Ces besoins sont, selon Tarde, « supérieurs » (Tarde, 1999 a [1895],524) aux besoins industriels quand les premiers sont l’expressiond’une haute inventivité qui ne copie pas, expression fondamentalede l’élan créatif et que les seconds aspirent à la reproductibilité mas-sive des produits qui sauront les satisfaire et ce à partir d’une créa-tion initiale qui ne variera pas.

De l’expression générale de l’art, Tarde affirme qu’elle est « prin-cipe d’accord social » (Tarde, 1999 a [1895], 526) et prend pourexemple l’art relatif à une culture qui transmet par ce biais unensemble de traditions, de valeurs qui sécurise les individus dans leurlocalisation culturelle et sociale. Tarde évoque alors le goût de laFrance du XIIe siècle pour les cathédrales gothiques, celui de l’Égypteancienne pour ses pyramides, etc. L’art est ainsi considéré commevecteur et facteur de l’harmonie sociale, car non surprenant2, offrantun résultat conforme à la morale d’un groupe social, allant dans lesens des désirs, des besoins des individus de ce même groupe au tra-vers duquel pourrait se lire la satisfaction collective d’appartenance à

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2. « Combien de peuples qui, en fait d’art, n’ont connu que l’épopée oul’architecture, et qui ont répété pendant des siècles, sans jamais se lasser, les mêmes chantstraditionnels, les mêmes formes de temples, de palais ou de tombeaux impressionnantesquoique inexpressives, et jugées belles précisément parce qu’elles n’étonnaient point ! »(Tarde, 1999 a, 524).

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la même sphère. Plus fondamentalement, Tarde considère que « lepropre de l’art [...] est de chercher et de croire découvrir un butdivin à la vie, un grand but digne du sacrifice individuel » (Tarde,1999 a [1895], 526).

Ainsi, dans une sphère précise, l’art n’est « que le traducteur etl’enlumineur de la morale » (Tarde, 1999 a [1895], 528) de sorteque l’art sous toutes ses formes, dès lors qu’il s’exprime dans lasphère qui l’a vu naître et qui lui a fourni ainsi les clés des besoinsesthétiques de ses membres, est principe ou expression d’un accordsocial. Est-ce là sa finalité ?

Selon Tarde, si l’art a une finalité, celle-ci lui est extérieure.« L’art pour l’art », dispositif inconditionnel, n’envisagerait l’œuvreque depuis l’intention dont son avènement résulte et limiterait sonappréhension à sa seule forme matérielle : pas de finalité autre quel’art lui-même. Corrélativement, d’après une première définition,l’art s’accorde avec le corps moral propre à la sphère dans laquelle ils’exprime et ne clôt pas l’intentionnalité d’un artiste à l’avènementde l’œuvre en tant que matière ayant une forme précise. L’intentionde l’artiste dépasse l’œuvre advenue puisqu’il a admis le besoin for-mulé par le groupe et que l’œuvre est jugée, appréhendée, exa-minée en fonction du corps moral auquel l’artiste est inconsciem-ment soumis3. Par ailleurs, si « l’œuvre d’art a [...] historiquementdes buts véritables extérieurs à elle-même et des buts variables d’âgeen âge » (Tarde, 1999 a [1895], 529), une certaine idée de la varia-tion des croyances d’un groupe peut être validée par la détermina-tion précise du but recherché par l’artiste, en fonction de l’époque àlaquelle il appartient. Tarde nous donne l’exemple suivant : « À uneépoque théocratique ou essentiellement religieuse encore, parceque l’abondance des mythes et des légendes y développe la passiondu merveilleux, les artistes sculptent, chantent, construisent, pourl’édification des fidèles. »4 Ainsi, à ces « phases historiques du goût »

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3. « Quand, déployé exceptionnellement, par les causes mêmes qui lui ont donnésatisfaction, un besoin est devenu très intense et très répandu au sein d’un peuple et d’unegénération de ce peuple, il s’impose inconsciemment aux architectes, aux peintres, auxpoètes, aux musiciens » (Tarde, 1999 a [1895], 529). Il faut considérer ici l’égale impor-tance accordée aux actes conscients ou inconscients qui s’explique par le fait que « lecaractère social de la généralité des actions réside dans le fait que ce sont des répétitions,partant, il faut traiter les imitations volontaires et involontaires de la même façon » (Bor-landi, 2005).

4. Tarde poursuit : « Plus tard, quand la foi a diminué, quoique vive encore, et,grâce à un mélange d’ordre subsistant et de liberté naissante, a fait place en partie au goûtdes proportions en toutes choses ; quand, par suite des victoires nationales et d’événe-ments qui ont suscité l’admiration, le besoin d’admirer, de glorifier la cité et ses grands

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(Brandi, 2000, 56) qui se succèdent, il est possible d’envisager quele but recherché par un artiste correspond à ce que l’on pourraitnommer en termes tardiens des phases historiques de croyances et dedésirs propres aux individus constitutifs du groupe mais déterminantcelui-ci, orientant son conformisme esthétique, sa « convenancetéléologique » (Tarde, 1999 a [1895], 528).

Pour résumer, l’art s’entend par le biais d’une finalité socialedont la nature est déterminée par un ensemble de croyances et dedésirs propres à un groupe et le caractérisant. Par conséquent, exa-miner une variété artistique consiste en la détermination des besoinsesthétiques émis par le groupe social auquel elle s’adresse. Il fautpour cela examiner le dispositif d’actualisation de l’art ou méca-nique de mise en forme des œuvres.

II. Actualisation de l’art : l’œuvre

1. Formulation du besoin esthétique

Tarde distingue le besoin esthétique du besoin industrielpuisque le premier s’élève à la sphère de l’appréciation esthétiquequand le second se borne à satisfaire des nécessités matérielles5. Parce biais, Tarde propose une idée de la notion du « beau social » qu’ilentend comme étant un sentiment esthétique produit par l’appré-ciation d’une œuvre ou d’un objet et qui ne heurte pas l’individuou le groupe d’individus qui lit entre ses traits son propre projetmoral et social : selon l’auteur, est beau « tout ce qui concourt puis-samment à notre recherche de maximum de croyance » (Tarde,1999 a [1895], 538). Par conséquent, au sein d’un groupe social, lebesoin esthétique est l’expression d’un désir qui attend d’êtreassouvi conformément à l’agencement moral dont il dépend. Si ledésir est ainsi satisfait, l’œuvre qui portera cette satisfaction sera qua-lifiée de « belle ».

Plus précisément, le besoin émis par un groupe et le but que sefixe l’artiste se font fondamentalement écho. Tarde précise que « si

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hommes plutôt que de prier ses dieux, est devenu prédominant, alors commence lapériode classique où, répondant à ce sentiment, l’œuvre d’art aristocratique ou monar-chique brille de noblesse ou de grandeur » (Tarde, 1999 a, 529).

5. Pour illustrer cette distinction, Tarde propose l’exemple suivant : « Une maisonsans le moindre luxe se borne à nous défendre contre le froid ou la pluie ; luxueuse, ellenous donne des plaisirs de confort ou de vanité » (Tarde, 1999 a [1895], 535).

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une personne, si un groupe de personnes désire, à un momentdonné, voir s’élever sur une place d’une ville d’un type commun,consacré par les habitudes des populations encore plus que nécessité par leursbesoins naturels, indépendamment de tout besoin social d’imitation6, parexemple un clocher d’un certain style, une cathédrale romane, unthéâtre, un château fort, un cloître, une statue en bronze d’un per-sonnage renommé, etc., [...] trouvera là les conditions essentiellesd’apparition et de déploiement » (Tarde, 1880, feuillet [a]). Ainsi,d’après la combinaison du désir – celui d’un clocher en particulier –et de la croyance – critères esthétiques intégrés par le groupecomme le représentant ou lui correspondant – un besoin nouveauest émis. Il ne reste plus à l’artiste – personne compétente pourrésoudre ces besoins/désirs complexes – qu’à trouver un support– l’œuvre d’art – qui répondra au mieux à ce besoin social.

2. Réponse au besoin esthétique :2. le désir de production ou comment atteindre le but social ?

Le désir de production a « pour objet la satisfaction de désirs deconsommation que l’œuvre elle-même contribue à préciser et àdéployer, non pas de besoins, mais d’amours de nature essentielle-ment psychologique et sociale, que l’artiste éprouve comme lepublic » (Tarde, 1999 a [1895], 556). Il a été vu précédemmentqu’une œuvre dite « belle » est une œuvre qui est conforme aux cri-tères esthétiques d’un groupe (Tarde, 1999 a [1895], 561). De cefait, le travail de l’artiste consiste à respecter les consignes socialesqui lui sont soufflées et « s’il essayait de heurter de front ces croyan-ces, au risque de s’y briser, ou même s’il négligeait de les concilieravec les nouveaux jugements du goût qu’il prétend faire prononcer,et de les prendre pour éléments du beau nouveau qu’il apporte aumonde, il manquerait à sa mission sociale, qui est d’enrichir et nonde diminuer, de fortifier et non d’affaiblir le faisceau de la foipublique : but commun de la logique sociale et de l’esthétique, etsigne de leur parenté » (Tarde, 1999 a [1895], 540). Autrement dit,produire une œuvre d’art tend à l’application par l’artiste desmoyens sociaux inspirés par un ensemble de facteurs historique-ment et socialement convenus, avec pour objectif une rencontreculturelle et sociale au sein de la même sphère, cela supposant que

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6. Souligné par Tarde.

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l’artiste et son public soient animés par la même foi et membres dumême groupe7.

L’actualisation de l’art passant bien évidemment par l’artiste,précisons son statut. Sachant que « l’artiste cherche à évoquer lessouvenirs et les émotions de son public, à lui remettre sous les yeuxquelque chose de lui-même, et n’espère lui plaire que par la vertude cette reproduction » (Tarde, 1999 a [1895], 554) et sachant parailleurs que cet artiste est membre en principe, avant d’être artiste,du groupe qui l’a sollicité, toute la délicatesse de la position del’artiste s’inscrit dans le fait qu’il est à la fois producteur d’art etconsommateur d’art. Tarde s’explique de la façon suivante : « Enfait d’art, la distinction entre la production et la consommation vaperdant de son importance, puisque le progrès artistique tend à fairede tout connaisseur un artiste, de tout artiste un connaisseur »(Tarde, 1999 a, 557). L’analyse peut se poursuivre ainsi : les désirsde production, dont l’objet, outre l’industrie et l’art, consiste à satis-faire des désirs de consommation, procèdent de modalités et desdegrés différents selon que le producteur est un artiste ou un indus-triel. Dans la sphère de l’art, le producteur est aussi un consomma-teur entendu comme amateur d’art – peut-être même avant d’êtreun artiste – tandis que l’industriel n’est pas nécessairement leconsommateur de son produit8.

Il peut à nouveau être indiqué que le va-et-vient incessant del’ensemble commun des croyances9 entre l’artiste et son public àtravers l’œuvre d’art facilite l’identification respective et la consoli-dation du sentiment d’appartenance à une même sphère, cela reve-nant à l’idée précédemment émise que l’art en tant que productiondes individus ou plus précisément entendu comme contenu pro-bable des relations interindividuelles est un garant de l’harmoniesociale. Il convient à présent d’approcher l’œuvre d’art elle-même

« La monade et l’œuvre d’art » 185

7. « La reproduction d’un type traditionnel, ainsi que d’une forme naturelle, ne doitdonc jamais être le but de l’artiste, elle n’est qu’un moyen imposé par les habitudes incor-rigibles des yeux du public et de ses propres yeux. C’est de ces habitudes qu’il doit tou-jours partir » (Tarde, 1880, feuillet [g]).

8. S’il était ici permis de faire un détour par Fragment d’histoire future, nous constate-rions que l’énoncé de cette idée est entré idéalement dans le modèle social dont Tardefait la description. Il explique que l’industriel travaille « toujours, non pour son plaisir, nipour celui de son monde à lui, de ses congénères, de ses concurrents naturels mais pourune société différente de la sienne – à charge de réciprocité, n’importe – son travail cons-titue un rapport non social [...] mais pour le théoricien, pour l’artiste, pour l’esthéticiendans tous les genres, produire est une passion, consommer n’est qu’un goût. Car toutartiste est doublé d’un dilettante » (Tarde, 1999 c [1896], 92-93).

9. Que J.-P. Antoine nomme « commun sensationnel » (Antoine, 2001).

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ou en d’autres termes de s’interroger sur le « degré d’intensité ou degénéralité avec lequel cette œuvre a répondu et le degré de force oude justesse de cette réponse » (Tarde, 1999 a [1895], 528-529).

3. Réception de la production : consommation d’art

Après avoir examiné les volontés d’avènement de l’œuvre d’art– le désir de consommation et le désir de production, sorte« d’amours artificiels, c’est-à-dire des besoins non périodiques maisaccidentels [...] et qui, nés d’une rencontre imprévue, exigent unimprévu perpétuel pour vivre » (Tarde, 1999 a [1895], 560) – Tardeen vient à la détermination de l’œuvre d’art elle-même et ses « carac-tères distinctifs » (Tarde, 1999 a [1895], 560).

En précisant la notion d’œuvre d’art, Tarde évoque l’idée d’un« élément artistique pur » (Tarde, 1999 a [1895], 566), élément tra-versé par des courants de goûts, des fluctuations d’appréciationesthétique, qui se modifie lui-même – car si l’art vit quelques temps,« ce n’est qu’à la condition de se diversifier sans cesse » (Tarde,1999 a [1895], 563)10 – et modifie ceux qui l’ont précédés en réacti-vant l’appréciation de ces derniers, car c’est à partir des anciens typesd’art, des variétés classiques consacrées par un groupe11 que l’artistepeut varier, compliquer et révéler la complexité réticulaire du champartistique, sans cesse arborescent puisque « les arts [...] ne sauraient nicroître ni durer même sans être constamment ragaillardis par de nou-velles inventions » (Tarde, 1999 a [1895], 562)12.

Cet « élément artistique pur » (Tarde, 1999 a [1895], 566), sèvefondamentale de l’art, consiste à révéler l’intérêt13 que suscite une

186 Laurence Saquer

10. Et Tarde explique a contrario que le progrès industriel remplace les anciennesinventions ou procédés au profit des nouvelles qui les révèlent alors obsolètes. En faitd’art, une nouveauté vient enrichir celles qui l’ont précédée.

11. « Tel est le culte passionné d’un peuple pour certains types d’art, appelés classi-ques, que le hasard des idées de génie lui a fait rencontrer et que leur conformité avec sonâme nationale lui a fait applaudir entre tous » (Tarde, 1999 a [1895], 561).

12. D’une part, Tarde note qu’en matière artistique « le désir en question [le désirde production] ne doit pas avoir pour objet seulement la reproduction du type commun,mais sa variation » (Tarde, 1880, feuillet [g]). Il précise, d’autre part, que « l’artiste, enimitant ses devanciers, en leur empruntant les procédés rythmiques, plastiques, musicaux,les types et les genres d’agréments qu’ils ont introduits dans le domaine de l’art, ne se pro-pose d’inventer qu’eux, et dans les mêmes genres qu’eux, par le moyen de cette imitation même(souligné par Tarde). L’artiste, autrement dit, c’est l’incarnation sociale de la DifférenceUniverselle qui aspire sans cesse à se faire jour à travers et moyennant la Répétitionuniverselle » (Tarde, 1885 a, feuillet [e]).

13. Intérêt compris au sens d’attention favorable portée à l’égard de l’œuvre outre lefait que l’art raconte toujours une histoire, ce qui constitue le second intérêt suscité parl’œuvre (Tarde, 1999 a [1895], 571-574).

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œuvre d’art. « Toute œuvre d’art [...] est intéressante » (Tarde,1999 a [1895], 568)14 dès lors que le public décèlera en elle la diffi-culté à laquelle l’artiste s’est confronté pour donner une réponse aubesoin initialement exprimé. Aussi, l’idée d’intérêt que Tarde insèreici porte l’attention sur la façon dont est regardée l’œuvre et, outre lefait que le public entend se voir, se lire, se reconnaître dans une œuvre,l’œuvre d’art donne à voir plus que le reflet d’un ordre moral histo-riquement et socialement validé15.

Plus précisément, à propos des étapes de la composition del’œuvre, Tarde évoque le « travail douloureux d’abord, puis triom-phant de [l’]imagination » (Tarde, 1999 a [1895], 568) de l’artiste. Sid’une part, « l’œuvre d’art est toujours le miroir révélateur et transfi-gurant de l’artiste » (Tarde, 1999 a [1895], 560), elle est, d’autre part,un support, un objet dont la conception matérielle a été réfléchie etqui donne une forme au besoin esthétique et sa réponse. Tardeévoque alors la façon de regarder une œuvre qui consiste en la com-préhension16 des différents procédés artistiques qui ont permis àl’œuvre d’art d’être en tant qu’objet. Ainsi, dès lors que l’on com-prend une œuvre, que voit-on ? Devant une composition picturale,« la plus simple silhouette de la moitié ou du quart d’un personnageépisodique est [...] un tout partiel, une phrase incidente complète ensoi » (Tarde, 1999 a [1895], 570). Envisagé de la sorte, chaque élé-ment constitutif d’une œuvre est une œuvre en soi, même partielle,puisque le personnage qu’il représente advient sur la toile par la miseen présence d’autres éléments, moins évidents pour un œil non ini-tié, mais qui à leur tour ont été le résultat de la coexistence sur unmême espace de détails picturaux et ainsi de suite. Tarde expliquepour cela que « tout est phrases et ondes dans un art quelconque ; etleur ensemble est lui-même une onde complexe » (Tarde, 1999 a[1895], 570). Ainsi, l’ensemble de « ces touts partiels, ces unités élé-mentaires [...] composent le tout total de l’œuvre d’art »17.

« La monade et l’œuvre d’art » 187

14. Et Tarde avait précédemment précisé : « Celle-ci intéresse d’abord comme pro-blème résolu, comme difficulté vaincue mais aussi comme expression fidèle et réussie denous-mêmes » (Tarde, 1999 a, 566-567).

15. La « précision partielle des désirs n’est possible que par la vitesse acquise (soulignépar Tarde) des générations successives qui se transmettent les unes aux autres, parl’éducation (souligné par Tarde), et par le sang, des habitudes visuelles, musicales, tactiles,olfactives, sortes de courants immenses et multiples où les volontés individuelles qui s’ymeuvent sont entraînées sans le savoir » (Tarde, 1880, feuillet [b]).

16. La compréhension advient selon Tarde « après réflexion, après un déchiffrementlaborieux, curieux, intéressant, des procédés de l’artiste, de ses découvertes, de ses ingé-niosités » (Tarde, 1999 a [1895], 569).

17. Cette idée des touts partiels peut se comprendre davantage au contact de G. Sim-mel : « Un pareil sens de l’art en général et de l’œuvre d’art au singulier : être un tout, et en

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Précisons davantage cette idée d’appréhension globale d’uneœuvre d’art. Du fond des développements parfois hésitants desnotes manuscrites de Tarde nous parviennent les idées de simulta-néité et de succession entendues comme modalités de réception quele spectateur fait des différents plans ou phrases qui constituent uneœuvre picturale ou musicale. Tarde explique plus précisément :« J’insiste sur cette comparaison entre les diverses représentationsd’objets par le peintre et les diverses phrases du musicien [...] La dif-férence des plans est bien plus accentuée en peinture qu’enmusique. Toutes les phrases dont la suite constitue une valse, sontdestinées à être écoutées nettement parce que chacune d’elle à sontour envahit l’ouïe tout entière, tandis que tous les objets représentésdans un tableau ne sont pas destinés à être regardés isolément et endétail18 [...]. Aussi, dans le tableau, tout concourt principalement à l’effetgénéral et ne produit son petit effet particulier que dans une trèsfaible mesure » (Tarde, 1885 c, 2e chemise, feuillets [c] et [d])19.Cependant, déduire distinctement à partir de cette réflexion lasimultanéité des éléments constitutifs d’un tableau et la succession desphrases d’une pièce de musique serait quelque peu hâtif si l’on seréfère à l’ensemble des étapes qui conduisent à l’œuvre achevéepuis regardée/écoutée. Ensuite, cette différenciation conduirait à« mécaniser » de manière impérative l’étape de la composition del’œuvre, que celle-ci soit picturale ou musicale. Pour éclairer leprocessus de composition, Tarde dit de l’artiste – que celui-ci soitpeintre ou compositeur – qu’il « conçoit d’abord le plan de sonœuvre à exécuter, les grandes lignes, mais, avant l’exécution, il luiserait impossible de la concevoir tout entière dans le plus menudétail, telle qu’il la verra plus tard quand elle sera terminée » (Tarde,1880, feuillet [h])20.

Ainsi la simultanéité et la succession des touts partiels qui com-posent l’œuvre diffèrent selon qu’elles sont entendues comme des

188 Laurence Saquer

même temps l’élément d’un autre tout supérieur au premier, telle la vague haute d’une vieglobale, ce sens donc agit aussi pour le spectateur, pour le consommateur d’art » (Simmel,1988 [1914], 252). Cette considération est prolongée par les œuvres d’art elles-mêmes quirestent « une de ces formations que nous pouvons certes, une fois qu’elles existent, décom-poser en une pluralité d’éléments, mais non pas recomposer à partir de là ; car ces élémentssortis de son unité originaire pour devenir indépendants sont bien autre chose qu’àl’intérieur de son indivision première » (Simmel, 1988 [1914], 253).

18. Je souligne.19. Tarde précise plus loin (feuillet [e]) : « Parfois, dans un tableau, un groupe

d’objets vus dans l’éloignement (un corps d’armée, un troupeau de moutons) constituenon pas un groupe de phrases mais une phrase unique. »

20. Souligné par Tarde.

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modalités de composition ou de réception de l’œuvre. Et au final,qu’elle soit d’inspiration picturale ou musicale, « l’œuvre d’art est cequi permet la synthèse subjective des actes d’imagination successi-vement dépassés pour la produire » (Tarde, 1880, feuillet [h]) et dece fait, comprendre une œuvre d’art, la regarder, en faire réception,c’est saisir subjectivement l’assimilation dans « la quasi-simultanéitéou la succession abrégée et réglée » (Tarde, 1880, feuillet [h]) d’uneidée et de sa réalisation ou résolution proposée par l’artiste21.

La portée du traitement de la question de l’art dans les travauxtardiens s’évalue en deux temps par rapport à ceux-ci : d’une part,dans une optique immanente à l’œuvre, il s’avère que la question del’art est une illustration des développements de Tarde ; d’autre part,son travail sur l’art dissimule à peine l’inspiration qu’il puise dans laPhilosophie de l’art d’H. Taine.

La différence allant toujours se différenciant constitue la mesuresur laquelle se déploie le rythme tardien d’apparition et de fonction-nement de phénomènes sociaux que Tarde met à l’épreuve dans Lalogique sociale de la religion, de l’économie politique et de l’art. Dansle chapitre sur l’art, à travers l’œuvre d’art mais aussi l’artiste, Tardetrouve un moyen de mettre en relief les principes à partir desquelsse répand ou se résorbe l’élément déterminé comme tel : imitationcréatrice et invention – imitation des modèles classiques d’après les-quels l’artiste livre une nouvelle interprétation – puis réciprocité etaction interindividuelle – l’artiste, le public, la société et l’étendue cul-turelle qui lie tous ces agents. Ces principes animent l’élémentessentiellement dégagé par « Monadologie et sociologie » et partici-pent à son appréhension dans une sphère donnée d’après « une phi-losophie de l’Insertion universelle » (Tarde, 2003 [1890], 243), sortede « conception pacifiée des rapports sociaux, en complète ruptureavec la stratégie d’affrontement du matérialisme historique »(Valade, 1995 [1981]). Mais avant leur explicitation dans La logiquesociale, ces principes – imitation, invention, action interindi-viduelle – avaient été largement développés dans Les lois del’imitation (Tarde, 2003 [1890])22 mais aussi dans Essais et mélanges

« La monade et l’œuvre d’art » 189

21. Pour un plus large exposé de la différence de la réception et de la compositiond’une œuvre d’art, voir Tarde, 1880, feuillet [h].

22. Ces deux volumes devaient paraître sous la forme d’un seul (I. Lubek, 1981,364-365). Et il faut remarquer ici que le chapitre VII des Lois de l’imitation, « Les influen-ces extra-logiques (suite) », expose de façon bien moins élaborée que dans La logiquesociale des questions de principes relatives à la sphère des langues, de la religion, del’économie politique et de l’art, réservant le privilège de leur exposé empirique à Lalogique sociale.

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sociologiques et plus particulièrement dans l’un de ses articles « Mona-dologie et sociologie »23.

La monade : l’interaction produite par la mise en contact de l’œuvred’art, de l’artiste et du groupe fait ici résonner les principes monadolo-giques d’un Tarde lecteur de Leibniz : « Monadologie et sociologie »(Tarde, 1999 b [1895]) propose une grille de lecture du réel qui singu-larise les éléments pour mieux les dissoudre dans une masse réticulaireet de la sorte fournir la vision globale d’une sphère24. Les éléments fon-damentaux qui feront le système tardien y sont exposés comme tels et ilest possible d’envisager que les postulats de base de Tarde sont essen-tiellement proposés dès « La variation universelle » (Tarde, 1895) quisoutient l’idée selon laquelle « Durer, c’est changer » (Tarde, 1895,392) à l’instar de « Monadologie et sociologie » qui déclare que « Exis-ter, c’est différer » (Tarde, 1999 b [1895], 72). Ces deux axiomes ontceci de particulier qu’une fois combinés, ils configurent un réel où ladifférence est la modalité de la permanence de l’élément. Il convientnéanmoins de s’interroger sur les éléments, sensibles ou pas, qui cons-tituent ce réel et les modalités plus spécifiques de leur avènement. Cesparticules infiniment petites capables d’une arborescence sociale,Tarde les appelle « monades ». D’après la terminologie tardienne, lamonade est cet élément issu de la sphère de l’infiniment petit et consti-tutif du réel, capable en des termes psychologiques – invention,croyance et désir – d’inspirer une configuration globale de la sphèredans laquelle il advient, évolue et s’exprime à travers le mécanisme derépétition-opposition-adaptation. Mais dès lors que Tarde pose leprincipe du « sociomorphisme de la monade » (Bertrand, 1904, 645) etqu’il énonce en conséquence que « toute chose est un fait social [et] toutphénomène est un fait social » (Tarde, 1999 b [1895], 58), il fautentendre par monade n’importe quel type d’élément25, qu’il s’agisse

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23. A. Matagrin retient au moins Essais et mélanges sociologiques et les Lois del’imitation dans le classement qu’il opère des ouvrages à portée méthodologique deTarde : « On peut indiquer que les plus importants [ouvrages] au point de vue des ques-tions de méthodes sont, en suivant l’ordre chronologique : Les lois de l’imitation (1890) ;Études de psychologie sociale (1898) ; Les lois sociales (1899) ; Essais et mélanges sociologiques(1895) » (Matagrin, 1910, 2).

24. É. Letonturier insère cette perspective à la définition propre du réseau : « Avecces points distinctifs les uns des autres et leurs relations toujours multilatérales, récipro-ques, en tout sens et à double sens, s’esquisse déjà une première lecture de ce dont seraitporteur le réseau : il correspond à une organisation qui concilie, d’un côté, l’autonomiedes éléments, leur liberté, et, de l’autre, l’unité, la solidarité du tout, à la fois l’intégritéindividuelle et l’intégration au tout » (Letonturier, 2000, 82).

25. « There is no conceptual difference between the association of elements whichconstitute a molecul and those which make up a society (in fact, Tarde calls them all“monads”) » (Lazzarato, 2004, 17).

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d’une pratique culturelle, d’un artiste, d’un groupe, d’une techniquede composition, d’une œuvre... : chaque geste est un élément social,chaque parti pris artistique peut être entendu comme monade parcequ’il peut être répété et réadapté en fonction de modalités qui lecontraindront au fur et à mesure de son expression et de la sorte le gui-deront dans sa différenciation permanente. Cette monade constitueun point de passage du déploiement du triptyque tardien qui préexisteau désir et à la croyance qui la feront advenir et l’action des monadesainsi dirigée vers l’extérieur – en raison de leur disposition à secontraindre les unes les autres – Tarde tisse la toile d’un réseau danslequel les éléments sociaux génèrent une puissance interactionnelled’élément en élément. En ce sens, l’œuvre d’art est une monade : elle sesitue au carrefour des courants imitatifs interindividuels pour porterleur rencontre à la création d’un nouveau courant imitatif (Tarde,2003 [1890], 218) ; à travers elle s’expriment les croyances et les désirsd’un groupe et en tant que porteuse des critères d’une tendance artis-tique, l’œuvre d’art se fait la garante de la pérennité de cette tendanceen allant toujours se différenciant. Et de cette différence universellerésulte une parfaite hétérogénéité qui se veut corrélative de « la multi-plicité des agents du monde. Leur multiplicité atteste leur diversité, quipeut seule lui donner une raison d’être. Nés divers, ils tendent à sediversifier, c’est leur nature qui l’exige ; d’autre part, leur diversitétient à ce qu’ils sont, non des unités, mais des totalités spéciales »(Tarde, 1999 b [1895], 93).

L’imitation propagée : si l’on considère le schéma tardien, il estutile de préciser que « Tarde n’est pas l’homme d’une idée »(Dubois, 1994, 85) : l’imitation n’est que la transposition sociolo-gique de la répétition universelle détectée par ailleurs dans la sphèreorganique comme physique (Tarde, 2003 [1890], 67), répétitionenvisagée respectivement dans sa fonction héréditaire et vibratoire.L’imitation ne constitue jamais qu’une étape du triptyque tardien,celle par laquelle une invention26 advient et avec laquelle un cycle

« La monade et l’œuvre d’art » 191

26. « Toute invention est une “coadaptation”, une interférence-combinaison et lesadaptations sont des rapports de coproduction créatrice. Ce sont donc toujours de peti-tes variations (inventions) qui se propagent, de petites différences inventives » (Joseph,1999, 17).

Par ailleurs, Clark donne cette définition de l’invention qui la lie directement aucycle tardien et naturellement à la sphère qui la contraint : « Pattern of activity devisedby man to help him adjust to the changing environment » (Clark, 1968, 510). D’autrepart, dans l’introduction à On Communication and Social Influence, Clark insiste sur l’idéede l’insertion logique d’une invention dans un cycle et reformule l’idée de cette loilogique de l’imitation d’après laquelle une invention, une nouveauté est toujours leproduit d’un tissage infini mais localisable d’inventions précédentes qui se succèdent de

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nouveau d’imitation-opposition-adaptation s’enclenche. Une foisreformulée, produit de l’adaptation d’une invention passée à uncontexte contraignant, l’invention est une autre et un nouveaucycle est lancé, indéfiniment, cela revenant à dire que « l’inventionn’est qu’imitations – imitations au pluriel, organisées en un systèmeinédit dans lequel elles s’éclairent mutuellement et en viennent àdessiner un sens univoque qui n’est autre que le nouveau courantimitatif auquel elles donnent naissance » (Karsenti, 1993, XVIII).Pour souligner le caractère continu mais différentiel du rythme del’imitation, de l’opposition et de l’adaptation combinées, il faut voir,d’une part, avec F. B. Karpf, que la phase de l’imitation est autantune phase de départ, car elle permet la propagation d’une inven-tion, qu’une phase d’arrivée, car elle consiste en la validation del’invention née d’une adaptation obtenue au terme d’un cycle par sareproduction reformulée27. D’autre part, avec T. N. Clark, quelleque soit l’amorce choisie dans le processus tardien – invention, imi-tation, opposition – pour l’étude d’un fait social28, celle-ci n’enmodifiera pas pour autant l’appréhension qui pourra être faite desautres du fait de leur interdépendance.

Chaque étape de cette reformulation suivie29 mais néanmoinsgrammaire différentielle est un événement constitutif de la monade quila traverse ou qu’elle traverse. Cette monade traversée est dotéed’une combinaison de croyances et de désirs qui, à un moment donné,fixe une identité assimilable selon Lazzarato à un « simple état tran-sitoire, un moyen au service d’une différence encore plus riche »(Lazzarato, 1999, 123). La monade considérée s’appréhende de lasorte telle qu’elle aurait pu être assortie de l’idée de la monadequ’elle sera ou ne sera pas et ceci la détermine au présent dans lapotentialité infinie de ses variations en tant que possible. S’il a été

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proche en proche (Tarde, 2003 [1890], 121) : « The closer a particular invention is tothe most advanced technological aspects of a society, the more likely it is to be imita-ted. A new type of horsedrawn cart is not likely to be imitated by a society that has notyet invented the wheel, any more than by another which makes widespread use ofautomobiles and railroads trains » (Clark, 1969, 27).

27. « Opposition is but an intermediary process between repetition and adaptation,and adaptation itself but marks the initiation of a new cycle of repetition. Applied to thefield of social phenomena, this meant, in effect, that imitation, the social form of repeti-tion, is basically the beginning, the end, and the all of the social process » (Karpf, 1971[1932], 98).

28. Clark insiste sur la souplesse du triptyque de Tarde : « As each of the three pro-cessus leads to the next, the analysis of the overall circular pattern may logically beginwith any one of the three » (Clark, 1969, 22).

29. « La répétition n’est jamais une résurrection, un recommencement ; elle n’estqu’une suite » (Tarde, 1870, note d’octobre 1872).

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reproché à la sociologie de Tarde d’être « prospective comme si lepassé et le futur avaient le même statut » (Favre, 1989, 156), c’estprécisément parce qu’il a considéré que « les futurs contingents [...]ne sont pas plus admissibles que ne le seraient les passés contingentssi quelqu’un imaginait de les concevoir [...]. En un mot, [c’est]parce que nos prévisions sont presque toutes confuses et nos souve-nirs, relativement clairs et précis, que nous octroyons aux néantsantérieurs, de préférence aux néants futurs, le privilège d’expliquerle réel et le présent » (Tarde, 1873, intercalaire au 3e feuillet) etselon le prisme tardien, le présent, comme l’identité, n’est jamaisqu’une harmonie en danger permanent, un stade référent mais nondéfinitif pour les potentialités avortées ou advenues, qu’elles soientantérieures ou postérieures à cet état. L’identité ainsi présentée n’estselon Tarde « qu’un minimum et par suite qu’une espèce, et uneespèce infiniment rare, de différence » (Tarde, 1999 b [1895], 73)et si « Exister, c’est différer » (Tarde, 1999 b [1895], 72), parconséquent, être c’est se répandre sur le mode essentiel de la diffé-rence (Tarde, 1999 b [1895], 73-74)30 par la prolifération desconnexions31. En outre, si l’on considère que la particularité de ladouble force de la croyance et du désir qui propulse tout flux quitraverse une monade est de « pouvoir affecter et d’être affectée »(Lazzarato, 1999, 114), une certaine idée des rapports des monadesentre elles – rapports réciproques aux effets observables – annoncel’épure d’une stratégie méthodologique par le biais de laquelle ellesse donneraient à voir connectées les unes aux autres32, supports àtout type de configuration sociale possible.

Le support interpsychologique : la question du statut de l’élémentindividué au contact des flux continus et accidentels est abordé dansLes lois de l’imitation. En définissant le groupe social comme « unecollection d’êtres en tant qu’ils sont en train de s’imiter entre eux »(Tarde, 2003 [1890], 128)33 permettant de dégager un certain type

« La monade et l’œuvre d’art » 193

30. « L’exemple des sociétés est précisément très propre à faire saisir ce grand fait età suggérer en même temps sa vraie signification, en montrant que dans cette série oùl’identité et la différence, l’indistinct et le caractérisé s’emploient réciproquement plu-sieurs fois de suite, le terme initial et le terme final sont la différence » (Tarde, 1999 b[1895], 73-74).

31. Avoir le maximum de connexions, c’est être davantage. C’est ce que Tarde nom-mera métaphysique de l’avoir (Tarde, 1999 b [1895], 85-95).

32. « Le postulat psychomorphiste vient [...] spécifier cette dialectique entre identitéet altérité qui contraint l’élément à se construire pour soi mais seulement par ses relationsaux autres » (Letonturier, 2000, 82).

33. Dans l’une des premières études sur Tarde, M. M. Davis précise le caractèrecontinu et interindividuel de la modalité constitutive d’une société. La définition qu’il en

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social propre à chaque groupe qui se compose d’un « certainnombre de besoins et d’idées créés par des milliers d’inventions etde découvertes accumulées dans la suite des âges » (Tarde, 2003[1890], 128), Tarde insiste sur cet impératif social : un groupe socialn’est pas une compilation monotone d’éléments bruts. Reprenonslà les termes de l’auteur : « Ce qui est contraire à l’accentuation per-sonnelle, c’est l’imitation d’un seul homme, sur lequel on se modèleen tout ; mais quand, au lieu de se régler sur quelqu’un ou sur quel-ques-uns, on emprunte à 100, à 1 000, à 10 000 personnes considé-rées chacune sous un aspect particulier, des éléments d’idée oud’action que l’on combine ensuite, la nature même et le choix deces copies élémentaires, ainsi que leur combinaison, expriment etaccentuent notre personnalité originale » (Tarde, 2003 [1890], 55-56). La multiplication des modèles en fait des données relatives etsans le mode opérateur de la répétition différentielle, la société n’estpas envisageable : quelle que soit sa forme, seul le lien importepuisque « livrée à elle-même [...] une monade ne peut rien »(Tarde, 1999 b [1895], 66). Cette idée transmise au domaine de l’artfait de l’appréciation que l’œuvre d’art suscite le lien fondamentalqui connecte les individus du groupe auquel elle est soumise.Considérée isolément, par conséquent sans dispositif interindividuelde réception, l’œuvre d’art est parfaitement dénuée de toute utilitésociale, proposition qui revient à dire en termes psychosociologi-ques qu’agir « socialement, nul individu ne peut le faire sans la col-laboration, connue ou ignorée, d’un grand nombre d’autres indivi-dus » (Bertrand, 1904, 648). Ce pressentiment de l’interpsychologieou psychologie interindividuelle marque sur ce point toute sa diffé-rence parce que son postulat principal se fonde sur l’idée selonlaquelle « il ne s’agit à aucun moment de partir de l’individu, maisde suivre le fin réseau de ce qui lui parvient et de ce qu’il restitue »(Latour, 1999), postulat qui se prolonge naturellement avec ladétermination des canaux constitutifs du réseau puisque « si pour lapsychologie individuelle, tout part de l’individu, pour l’inter-psychologie, tout passe d’individus en individus [...] » (Casadamont,1982, 448). Alors l’individu-vecteur ou « individu-relais, individu-flux » (Letonturier, 2000, 94) laisse fuir hors de lui mais éclairé parlui un flux « qui consiste non dans l’incompréhensible production

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donne en conséquence est la suivante : « Society is a continuing process of interactionbetween individuals, in which their initiatives become mutually influential and are har-monized and correlated into useful cooperative action » (Davis, 1909, 141).

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d’un effet hétérogène [...] mais dans la reproduction de la cause quis’imprime et se signe par son effet » (Tarde, 1901, 5).

La différence et l’interdépendance des modalités de son main-tien, par le biais des identités, des éléments, même infinitésimaux,s’insèrent naturellement dans la sphère de l’art dans laquelle il estpossible d’envisager l’indétermination de l’avènement de l’un de ceséléments en raison des conditions extérieures qui le contraignent :la croyance et le désir, dispositif sur lequel Tarde fonde son système,contrarient par le biais d’autres éléments l’avidité des monadesambitieuses. Ces contrariétés attestent de la réalité des monades ouproductions artistiques : « Tout être réel doit avoir affronté lesépreuves qu’impose la loi d’avortement [...] et subi dans ce “défilé”des mutilations sans nombre » (Espinas, 1910, 336). L’artiste peutêtre consacré au sein de sa propre sphère culturelle à un instant quilui est contemporain comme à un instant plus lointain ou être rejetépar celle-ci tout en étant reconnu par d’autres. Ainsi, pour résumerle pullulement sous-jacent de toute sphère – esthétique, religieuse,économique – retenons, d’une part, que tous les éléments sont desphénomènes sociaux et que « tous les phénomènes sociaux [...] sonten leur fond des cas “d’interpsychologie” » (Bouglé, 1905, 300) ;d’autre part, que la différence permanente constitue la règle fondamen-tale de l’existence des éléments34.

La question de la portée interne de ce texte peut être posée entermes méthodologiques plus précis. Il semble que ce texte per-mette de mettre en relief l’approche narrative des phénomènessociaux que Tarde propose comme étant l’approche qui rendcompte au mieux des transformations d’une société. S’il est vrai que« Tarde n’a pas à la différence de Durkheim, donné l’exposé systé-matique de sa méthodologie » (Boudon, 1971 [1964], 77), l’idée de« monographies narratives » (Tarde, 1999 d [1898], 131) n’en est paspour autant une évocation inconséquente. Par exemple, le principeconsistant à déceler la façon dont l’artiste s’est inspiré d’une œuvreet les modalités de sa nouvelle interprétation – c’est-à-dire le pointde rencontre entre une œuvre antérieure et une œuvre contempo-raine qui s’en inspire – permettrait de saisir concrètement les trans-formations progressives du groupe social en question et d’en appro-fondir la connaissance par la recherche détaillée des appropriationsde style qui, successivement, ont conduit à celle qui intriguera la

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34. « Les variétés individuelles ne sont pas des accidents superficiels, ce sont desessences profondes » (Bertrand, 1904, 628).

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curiosité du sociologue. Plus exactement, Tarde explique que « cesont les changements sociaux qu’il s’agit de surprendre sur le vif et parle menu pour comprendre les états sociaux et non l’inverse » (Tarde,1999 d [1898], 131)35. En ce sens, et rejoignant ainsi la détermina-tion de l’œuvre d’art insérée dans le cycle tardien, la réflexion deTarde sur l’art, en plus de son caractère illustratif de principes déga-gés dans ses ouvrages phares, peut être ici envisagée comme prolon-gation empirique des propositions tardiennes.

Or, si le cadre de ce système est dépassé, comment s’évalue laportée de cette réflexion ? À l’époque où Tarde rédige ces notes, lasociologie de l’art en tant que discipline structurée est inexistantemais il pense déjà l’indépendance de son objet par rapport à sonactualisation matérielle36. Mais il n’a pas, à ce niveau, d’intuitionavant-gardiste. Il apparaît au contraire qu’il s’est très largement ins-piré des hypothèses de la Philosophie de l’art de Taine (Taine, 1985[1865]). La première hypothèse que Tarde fait sienne mais dontl’inspiration est clairement tainienne est la suivante : la détermina-tion des traits caractéristiques d’une œuvre d’art profiterait à la com-préhension de l’époque à laquelle elle a été produite. Taineexplique que « l’état des mœurs et de l’esprit est le même pour lepublic et pour les artistes ; ils ne sont pas des hommes isolés. C’estleur voix seule que nous entendons en ce moment à travers la dis-tance des siècles ; mais, au-dessous de cette voix éclatante [...] nousdémêlons [...] la grande voix infinie et multiple qui chantait àl’unisson autour d’eux. Ils n’ont été grands que par cette harmonie »(Taine, 1985 [1865], 13). Taine dégage une formule en complé-ment de son propos : « L’œuvre d’art est déterminée par un

196 Laurence Saquer

35. Et Tarde poursuit ainsi : « [...] celui qui connaîtrait bien, dans le détail précis, lechangement des mœurs sur quelques points particuliers, pendant dix ans et dans un seulpays, ne pourrait manquer de mettre la main sur la formule générale des transformationssociales, et, par suite, des formations sociales mêmes, applicable en tout lieu et en touttemps. – Il serait bon, pour une telle recherche, de procéder par voie de questionnaired’abord très limité : on pourrait se demander, par exemple, dans certaines régions ruralesdu Midi, par qui et comment s’est introduite puis propagée parmi les paysans l’habitudede ne plus saluer les propriétaires aisés de leur voisinage. »

36. Lorsque Simmel rédigera en 1914 son article « L’art pour l’art », cette idée serareprise, mettant en avant l’immersion d’un élément dans une sphère et l’apport élémen-taire, originel, indiscutable que fournit l’interaction entre l’œuvre et la sphère qui la voitnaître : « La perfection d’une formation aussi close qu’elle soit sur son essence propre, nes’obtient justement pas à travers un développement limité à cette formation même ; ilfaut d’abord que l’être global et sa valeur, qui incluent tous les éléments débordant la for-mation particulière, affluent dans celle-ci en s’accroissant et en s’intensifiant, et doncl’élèvent à un degré d’achèvement où ne l’auraient pas menée les forces de sa propresphère, abandonnées à elles-mêmes » (Simmel, 1988 [1914], 249).

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ensemble qui est l’état général de l’esprit et des mœurs environnan-tes » (Taine, 1985 [1865], 78), qu’il reformule plus loin en indi-quant que « chaque situation produit un état d’esprit et, par suite,un groupe d’œuvres d’art qui lui correspond » (Taine, 1985 [1865],81). Plus précisément, Tarde avance l’idée que l’artiste a tout intérêtà saisir et à suivre les recommandations du groupe qui le sollicitepour voir son talent reconnu, idée préalablement formulée parTaine lequel indique « une direction régnante qui est celle dusiècle ; les talents qui voudraient pousser dans un autre sens trou-vent l’issue fermée ; la pression de l’esprit public et des mœurs envi-ronnantes les comprime ou les dévie en leur imposant une floraisondéterminée » (Taine, 1985 [1865], 47). Il est difficile d’évaluer àproprement parler l’influence de Taine sur Tarde : Tarde ne le citeà aucun moment excepté de façon très vague dans Les lois del’imitation (Tarde, 2003 [1890], 134) et, dans ses notes de lecture, iln’économise pas sa virulence lorsqu’il s’agit de commenterDe l’intelligence de Taine (Tarde, 1872). La correspondance de ceshypothèses est ténue mais les premières pages de Philosophie de l’artconsolident l’inspiration supposée : Taine y formule deux catégoriesau sein desquelles s’organisent selon lui les « cinq grands arts »(Taine, 1985 [1865], 20) selon leur tendance à être imitatifs ou pas(Taine, 1985 [1865], 20), l’imitation des formes vivantes et de la naturedevenant alors la modalité exclusive de cette répartition. La pre-mière catégorie, celle des arts imitatifs, regroupe la poésie, la sculp-ture et la peinture qui, selon Taine, s’emploie à reproduire àl’identique ce que la nature donne à voir, « un intérieur de maison,un paysage tel que la nature en fournit [...] des caractères, desactions, des paroles réelles » (Taine, 1985 [1865], 21) ; la secondecatégorie, celle des arts qui ne sont pas imitatifs, regroupel’architecture et la musique qui sont contraintes quant à elles à res-pecter des dispositions toutes mécaniques et mathématiques. Il suffitde se reporter à « L’art » pour retrouver cette distinction reprise àl’identique par Tarde (Tarde, 1999 a [1895], 542-543) qui néan-moins accorde aux deux catégories la conformité aux styles et auxtalents précédents pour prolonger leurs compétences respectives, etfaire intervenir à tout moment de la création artistique et quel quesoit le support matériel envisagé cette prédisposition fondamentalequi selon lui lie l’ensemble des individus, à savoir l’imitation.

Outre ce rapprochement entre les deux auteurs, cette étuderévèle que la thématique de la sphère de l’art appréhendée par Tardereste une illustration de sa « sociologie des forces affectives » (Lazza-

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rato, 1999, 122). D’une part, sans composante qui croit ou quidésire, par conséquent qui s’extériorise du fait de son ambition et secombine à l’état d’esprit avec lequel sa coexistence va être discutée,point d’œuvre, point d’art, point de groupe. La croyance et le désirappliqués au domaine artistique se révèlent alors comme fondamen-taux à son déploiement à travers l’expression des besoins de consom-mation et de production artistiques. D’autre part, à partir d’unelogique sociale exposée par le biais de la monadologie et relayée parla sphère de l’art, s’esquisse une grille de lecture des sphères du réelou – pour le dire autrement – « si [...] l’art n’est jamais [...] qu’unmoyen pour atteindre un but, le développement des arts n’est qu’unexemple de Téléologie sociale »37 (Tarde, 1885 a, 3e chemise, note dejuillet 1884). L’œuvre d’art ainsi approchée par cette étude – c’est-à-dire considérée comme une monade localisable dans un cadre global,lui-même localisable à son tour38 et cela permettant plus générale-ment de saisir, selon Tarde, l’approche microsociologique et néces-saire des faits sociaux – coïncide idéalement avec le mécanisme desmultiplicités coordonnées dès lors qu’une fois mis en présence, leséléments constitutifs d’une œuvre se fondent en une globalité, enune synthèse qui ne sera jamais paisible39.

Laurence SAQUER

Doctorante en sociologie (Paris V - René-Descartes)ATER (Université d’Évry - Val d’Essonne)

198 Laurence Saquer

37. Souligné par Tarde.38. À titre d’exemple, considérons que la toile « Potsdamer-Platz » (1914) de

E. L. Kirchner (1880-1938) est localisable au sein du mouvement « Die Brücke », lui-même localisable au sein de l’expressionnisme allemand, lui-même localisable dans l’artmoderne allemand.

39. La progression constitutive du réel ainsi démontrée trouve un corollairecontemporain chez G. Deleuze et F. Guattari dans l’introduction à Mille plateaux(Deleuze et Guattari, 1980). « Rhizome » parle en termes de lignes, de multiplicités, desegments... pour souffler au lecteur le principe suivant : « La philosophie est la théorie desmultiplicités » (Deleuze et Parnet, 1996 [1977], 179). Par ailleurs, si d’après les principesde connexion et d’hétérogénéité « n’importe quel point d’un rhizome peut être connectéavec n’importe quel autre, et doit l’être » (Deleuze et Guattari, 1980, 10), l’importancedont est dotée la propension d’un élément à se répandre se comprend plus aisément dèslors qu’un réseau ou système rhizomorphe a une finalité qui lui est extérieure puisqu’elleconsiste à occuper l’espace en tous points et faire rayonner le rhizome selon une prolifé-ration infinie où tout est affaire de potentialité et de possibilité entre des points qui seconnectent, s’entrechoquent, s’évanouissent dans la multitude de la réalité pour mieux laconstruire (Saquer, 2005). En cela, de la même manière qu’en linguistique une « languene se referme jamais sur elle-même que dans une fonction d’impuissance » (Deleuze etGuattari, 1980, 14), le système doit proliférer pour vivre avec les conséquences que celasuppose : les systèmes advenus coexistent d’après une motivation différentielle et àchaque nouvelle connexion, à chaque élément, à chaque monade qui s’émancipe dumonde virtuel correspond un « véritable milieu universel » (Tarde, 1999 b [1895], 93) ausein d’une réalité dans laquelle « chaque point est centre » (Tarde, 1999 b [1895], 92).

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200 Laurence Saquer

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