la mise en voix du texte : une forme de construction du sens · 2. la lecture à voix haute : mise...
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Laurence-Sophie AMBID PLC2 Lettres Modernes Session 2005-2006 IUFM de DIJON
Mémoire professionnel
La mise en voix du texte : une forme de construction du sens
Directrice de mémoire : Mme Sylvie Valloo
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La mise en voix du texte : une forme de construction du sens
Introduction.
1. Un travail oral réparti sur l’année a. Présentation générale
1. La place de l’oral dans le programme de 5ème 2. Le climat général de la classe 3. La bonne volonté manifeste de tous
b. Objectif : diversifier les textes à interpréter
1. Partir de l’exercice de récitation pour aller vers une compréhension et une interprétation de tous types de textes
2. Présentation des stratégies employées (d’après les lectures) 3. Un choix de textes supports assez complexe
c. Une organisation progressive de ce travail sur l’oral
1. Analyse des premiers passages en récitation 2. « Mais, Madame, je la sais par cœur ! » : une compréhension du texte qui
apparaît comme secondaire 3. L’émulation progressive des uns par les autres : de la lecture du texte à son
analyse
2. la lecture à voix haute : mise en place d’un dispositif pédagogique a. Partir du plaisir de l’élève
1. Des supports ludiques 2. L’appropriation du texte par des moyens divers 3. Eradiquer au fur et à mesure le complexe d’être en face des autres en faisant de
la prestation orale une habitude – mise en confiance de l’élève b. Impliquer l’élève
1. La lecture analytique comme l’approfondissement de la connaissance du texte par une « enquête » collective
2. Faire participer les élèves à leur propre évaluation (objectif motivant pour eux) 3. La stratégie de répétition du texte : appropriation du texte et du sens
3. Bilan : Une assimilation progressive des techniques d’interprétation au
service du texte a. Une prise de conscience qui vient de la classe
1. « On pourrait faire comme ça ! » : propositions de mises en scène 2. « Mais arrête de bouger tout le temps aussi ! » : les facilités des uns, les
difficultés des autres, l’entraide de tous 3. « respire et parle doucement » : réfléchir sur ses facilités, les formuler et les
faire partager
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b. le texte qui prend du sens 1. Je pense à ce que je dis : on passe de l’exercice de récitation monocorde à
l’interprétation du texte, en se basant sur le sens découvert en lecture analytique 2. Je comprends ce que je dis : le ressenti du texte comme message 3. Je veux qu’ils comprennent en face : l’implication dans le message et les
stratégies de communication mises en œuvre
c. le plaisir de « jouer » le texte 1. vaincre le trac dans un climat de confiance 2. devenir le personnage de théâtre, roman, poésie… rencontré dans le texte : le
plaisir de « revêtir une autre peau » 3. conscience du corps, de l’espace et de la voix, conscience de leur impact sur
leurs auditeurs
Conclusion Bibliographie
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Introduction
La maîtrise de l’oral a toujours été une force indéniable chez l’individu qui la possède :
maîtriser la langue, mais aussi l’explication ou l’argumentation, est un atout qui ouvre de
nombreuses portes et incite les interlocuteurs à une certaine bienveillance.
Dans le cadre du cours de français en collège, les différents aspects de l’oral sont
abordés, dans la continuité du travail effectué en primaire, mais aussi pour préparer les élèves
à la suite de leur scolarité ou leur entrée dans le monde du travail, puisque certains ne
continueront pas leur scolarité dans un cadre général mais professionnel. La maîtrise de la
langue se doit donc d’être acquise en sortant du collège et l’aisance de l’élève dans son
expression orale est un objectif extrêmement important dans notre travail.
Si ce but est une des priorités, il ne faut pas oublier fondamentalement qu’on parle pour
dire quelque chose et que la forme se doit de soutenir le sens. Les élèves différencient
souvent ces deux composantes pourtant intimement liées et qui ne peuvent exister l’une sans
l’autre. C’est pourquoi le travail que je souhaite effectuer dans ce mémoire repose sur ce lien,
qu’il faut sans cesse rappeler et rendre le plus évident possible, pour essayer d’obtenir des
élèves une conscience de cette interaction au sein du texte : parvenir à leur faire comprendre
que la forme n’est pas simplement un enrichissement esthétique du texte, mais une
valorisation de ses points essentiels, sera mon premier objectif. Le deuxième est presque
inverse : je souhaite que ma classe utilise ses apprentissages oraux pour accentuer sa
compréhension du texte, que chaque élève parvienne à progresser dans une lecture
intelligible et intelligente du texte.
La difficulté principale rencontrée dans cette démarche, difficulté qui sera développée en
plusieurs endroits, réside dans le premier point évoqué, la rupture que font naturellement les
élèves entre une forme qui se doit d’être apprise ou correctement lue, et un fond qui en serait
finalement complètement séparé.
A travers divers exercices oraux : lecture, récitation, questionnement oral, exposé, scènes
de théâtre… répartis de façon progressive sur l’année, j’espère pouvoir rendre compte d’une
avancée dans ces deux objectifs et obtenir des résultats encourageants. Devant la bonne
volonté manifeste des élèves, j’ai bon espoir que ceci aboutisse de façon positive d’ici la fin
de l’année.
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1ère partie : Un travail oral réparti sur l’année
A. Présentation générale
1. La place de l’oral dans le programme de 5ème
La place de l’oral dans les programmes du cycle central 5ème-4ème apparaît comme
primordiale et se développe en quatre points majeurs :
- écouter, parler
- assurer l’audibilité d’un texte
- tenir compte de la situation d’énonciation
- utiliser différentes formes de discours
Dans le travail envisagé avec la classe de 5ème, l’appropriation des textes étudiés par la
biais de l’oral permet de réunir ces différentes directives : les efforts sont concentrés lors de
l’analyse de texte sur une expression orale correcte dans les réponses aux questions posées
par le professeur, une écoute mutuelle qui permet de faire avancer le questionnement et un
travail de lecture qui met en valeur la compréhension du texte.
La prise en compte de la situation d’énonciation apparaît également dans cette analyse,
mais aussi dans les rapports des élèves entre eux et vis-à-vis du professeur : eux-mêmes
doivent se mettre en situation de communication et accepter certaines règles du jeu pour que
la communication puisse se faire correctement. La fonction sociabilisante du travail de l’oral
apparaît dans toute son importance, permettant d’appliquer dans un cadre défini des valeurs
de respect et d’écoute mutuelle. Le dernier point, l’utilisation de différents de niveau de
langue est également en jeu dans ce travail oral : l’élève doit adapter son niveau de langage
lors d’un exercice de présentation à ses camarades et s’approprier le langage d’un auteur lors
d’une lecture à voix haute. Ce point particulier sera le plus développé, même si, en filigrane,
les autres directives participent de cette progression générale de l’élève vers une expression
correcte, décomplexée et tournée en direction d’un public d’auditeurs.
2. Le climat général de la classe
La classe de 5ème 8 du collège Henri Vincenot est une classe équilibrée dans la mixité
puisque onze filles et treize garçons y sont présents. Trois cas de dyslexie ont été
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diagnostiqués par une orthophoniste (un quatrième élève est en cours de diagnostic), ce qui
présente des difficultés au niveau des exercices écrits : deux de ces élèves se révèlent
cependant brillants à l’oral, ce qui compense de façon très valorisante pour eux ce handicap
indéniable.
La classe est vive à l’oral et une bonne entente règne parmi les élèves : aucun mauvais
esprit n’est constatable, les élèves ayant plutôt tendance à valoriser leurs camarades passant à
l’oral, en particulier une jeune primo-arrivante qui bénéficie de beaucoup d’attention de la
part de ses camarades et beaucoup de compliments lors de ses prestations orales. Cette
chaleur qui règne entre les élèves et leur vivacité d’intervention sont deux éléments très
motivants pour l’enseignant, qui doit cependant veiller à canaliser des énergies parfois
débordantes. Si la classe se révèle peu motivée par le travail écrit et les apprentissages de
leçons, les élèves sont en revanche tout à fait motivés pour intervenir sur des textes, se
proposant systématiquement pour lire dans un ensemble presque unanime.
Les bonnes relations qui règnent entre eux sont également propices à l’échange. De façon
très spontanée, les élèves rebondissent sur les propositions de leurs camarades ou les
complètent. Très friands d’explications supplémentaires, sur des mots de vocabulaire en
particulier, ils ont le bon réflexe de faire des hypothèses sur le sens du mot et de demander le
dictionnaire pour pouvoir chercher la définition manquante. A l’inverse, lorsqu’un mot leur
manque et qu’ils ne parviennent pas à le trouver avec les synonymes ou indices que je leur
donne, nous avons recours au traditionnel jeu du pendu qui, s’il n’est certes pas utilisé à
chaque cours, permet parfois de prendre une minute récréative tout en faisant avancer la
classe.
Seul point négatif, la configuration de la salle est peu propice au travail de l’oral sous
forme de représentation par les élèves, dans la mesure où l’espace est extrêmement réduit.
Un mètre sépare le tableau du premier bureau, ce qui suppose parfois de déplacer les tables
pour obtenir une « scène » suffisante pour que les élèves puissent évoluer à leur gré. De la
même manière, la circulation est parfois difficile pour le professeur, qui doit naviguer entre
des tables extrêmement resserrées. Ceci est également ennuyeux en terme de possibilité
d’isolement des élèves qui discuteraient trop ou se dissiperaient.
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3. La bonne volonté manifeste de tous
Il règne donc une bonne ambiance dans cette classe, où la vivacité d’intervention est fort
appréciable. Quelques élèves se révèlent cependant complexés à l‘idée de se lever et de
fournir une prestation orale devant leurs camarades. Ils sont au nombre de cinq, et tentent
régulièrement de se faire oublier pour n’être ni sollicités sur une question, ni sur une
prestation orale de type récitation. Ces élèves sont surprenants d’adresse pour se faire
transparents, mais le sont aussi sur la qualité de ces prestations : les textes ont été travaillés
en classe avant lecture ou récitation, mais il leur est souvent demandé de fournir un travail
supplémentaire à la maison pour préparer l’exercice oral avant passage devant la classe : en
l’occurrence, ces cinq élèves ont jusqu’ici fourni des prestations fort intéressantes, souvent
accentuées dans l’interprétation, avec une bonne compréhension des enjeux du texte.
Cette capacité d’interprétation diffère selon les élèves, mais la plupart mettent une bonne
volonté évidente à venir au tableau. Une sensation de confiance règne quant à cet exercice,
ce qui semble de bon augure pour un travail oral plus complexe qui implique plusieurs
élèves, comme les interprétations de scènes de théâtre.
Afin de pallier les difficultés de la dernière heure de la semaine avec cette classe (le
vendredi de 11h à 12h, alors que les élèves sont énervés par la faim et la fatigue de la
semaine), j’ai mis en place un rituel de lecture dans les dix dernières minutes de cours : je
leur lis l’incipit d’un roman que je souhaite leur présenter ou, plus généralement, le texte qui
sera étudié dès le lundi suivant. Cette activité semble créer une attente chez les élèves et
contribuer à obtenir leur attention lors de l’étude. La motivation n’est donc plus à faire naître
chez les élèves, puisque par chance, ceux-ci sont parfaitement disposés à s’impliquer dans
l’exercice : la difficulté réside plutôt dans l’interprétation orale de ce texte qui doit être
investi du travail de compréhension effectué en amont (les explications et propositions sur
les enjeux primordiaux). Ce lien n’est pas du tout évident pour les élèves, qui considéraient
au départ que la récitation monocorde, si elle est sans erreur, valait une note maximum. Le
jour J, les élèves savent donc pour la plupart le texte par cœur, ou l’ont travaillé à la maison
en vue d’en faire lecture à leurs camarades. Peu sont récalcitrants face à ce travail préalable.
L’élaboration avec les élèves des critères de notation pour la co-évaluation a permis de
recentrer l’objectif d’une prestation orale : la notion de « par cœur » est bien sûr arrivée en
premier, mais la clarté de la voix et la nécessité d’articuler ont été vite évoquées également.
Loin derrière ont été listées les questions de l’interprétation et de la gestion de l’espace : ces
éléments ont finalement été évoqués suite à la question « Et que fait un comédien sur
scène ? », qui a fait jaillir l’idée qu’un texte pouvait s’incarner. L’élève qui a proposé cette
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réponse fait lui-même du théâtre, ce qui s’est révélé fort intéressant dans l’élaboration de
cette grille d’observation : il a très justement évoqué la nécessité pour un acteur d’être le
personnage et de lui donner des caractéristiques physiques et vocales particulières afin que le
spectateur décèle sa personnalité.
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B. Objectif : diversifier les textes à interpréter
1. Partir de l’exercice de récitation pour aller vers une compréhension et une
interprétation de tous types de textes
L’ a priori du par cœur comme garantie d’une bonne prestation orale dans l’esprit des
élèves m’a semblé une base de travail intéressante pour avancer avec eux. Cette autre idée
généralisée parmi eux que la récitation représente la seule forme d’oral visible et validable
par le professeur permet également d’étoffer cette base de travail. En effet, apprendre par
cœur, en répétant le texte à de multiples reprises - que ce soit en classe ou lors de
l’apprentissage à la maison – permet de développer les capacités mnémoniques et d’assurer
une utilisation suffisante de la mémoire. L’exercice de récitation a été présenté de façon
traditionnelle dans un premier temps, à travers l’apprentissage de trois strophes de La
Complainte de Mandrin, afin de partir d’un terrain connu pour effectuer un diagnostic.
Les diverses prestations orales ont permis de démontrer les capacités de certains
élèves à chercher naturellement l’interprétation et, chez d’autres, à appuyer tout aussi
spontanément le sens par la diction. Cet exercice a également permis d’analyser déjà avec
eux les différentes appréhensions du texte proposées par les élèves.
Mon idée était principalement de déceler les facilités et les difficultés selon les
élèves, afin d’aborder l’exercice de lecture dans la continuité : cet exercice se révèle en effet
source de difficultés importantes pour certains élèves, qui proposent une lecture proche du
déchiffrage, comme s’ils avaient oublié l’étude faite précédemment et que la familiarisation
avec le texte était quasi-nulle. Le lien entre sens et lecture apparaît comme un difficulté
majeure chez certains enfants, qui ne parviennent pas à sentir la continuité qui peut exister
entre la recherche et le dégagement des axes principaux du texte et la lecture effectuée
ensuite.
L’objectif principal est donc d’amener les élèves à faire ce lien, à comprendre qu’un
texte prend aussi son sens avec l’oralisation. Si cette donnée est visiblement comprise et
admise pour les textes de théâtre, elle est loin d’être intégrée pour la poésie, assimilée à la
récitation, et bien moins encore pour les textes en prose, pour lesquels ils ne comprennent
pas particulièrement la nécessité de relire. Amener l’élève à aborder un texte étudié comme
un objet à « faire vivre », nécessitant donc une certaine implication dans l’expressivité, me
semble primordial dans la conquête et la transmission du sens.
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2. Présentations des stratégies employées en tenant compte des apports théoriques
La lecture à voix haute1 et L’oral au collège2 ont été les deux ouvrages de référence dans
la recherche de stratégies à employer pour obtenir le résultat escompté. Tout d’abord, comme
le souligne Georges Jean, « nos élèves et les Français en général respirent mal. »3 Ce constat
a été particulièrement flagrant sur la première expérience de récitation : la précipitation de
certains élèves à dire le texte, afin de laisser constater qu’ils l’avaient bien appris par cœur -
comme semblerait le supposer un tacite contrat – provoquait parfois un essoufflement qui
affaiblissait la diction de fin de vers et ne pouvait donc que noyer le sens dans cette perte de
souffle. La priorité a donc été d’obtenir en premier lieu une posture physique favorable à
l’inspiration et l’expiration, et la mise en place avec les élèves d’un code visuel interne à la
classe – qu’ils ont baptisé TGV – pour signaler au récitant qu’il était nécessaire de ralentir le
débit et de respecter les respirations imposées par la ponctuation du texte.
Le deuxième point, toujours souligné par Georges Jean, est celui-ci :
(…) la lecture à voix haute peut et devrait constituer un test d’évaluation (de valeur
relative) de la capacité de lecture silencieuse de chaque élève.
Nous savons que la capacité de lire à voix haute est fonction de la capacité de maîtriser la lecture silencieuse « des yeux ». Et que la lecture à voix haute révèle la nature et le degré de compréhension sémantique des textes. La fausse lecture à voix haute jadis pratiquée à l’école n’était que répétition mécanique et déchiffrement pur.4
Avant toute prestation orale, il est donc demandé aux élèves de relire le texte en silence avant
de lancer les passages au tableau.
Le troisième point est également évoqué par cet auteur : il s’agit de la difficulté
particulière que représente la lecture à voix haute des textes en prose, plus particulièrement
les romans :
Il va sans dire que la lecture à haute voix des romans, outre qu’elle n’est pas courante, complique encore plus la tâche du lecteur potentiel.5
De plus, le postulat de Georges Jean n’est pas de lier lecture à voix haute et théâtralisation de
la parole :
Le lecteur silencieux se fait tout seul son « petit cinéma » et suit le narrateur en pénétrant avec lui dans la maison, puis dans le « drame » comme dit Balzac où le conduisent les personnages.
Le lecteur à voix haute lui, doit chercher à « faire voir » tout ceci, et, en s’effaçant, trouver la tonalité neutre qui convient tout en ne négligeant pas de prendre une certaine
1 La lecture à voix haute, Georges JEAN, Ed. de l’Atelier, 1999 2 L’oral au collège, Jean-Jacques BESSON, CRDP Grenoble, 1999 3 La lecture à voix haute, p.73 4 La lecture à vois haute, p.104 5 La lecture à voix haute, p.122
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distance par rapport au texte pour que les auditeurs « lisent et voient » littéralement ce qu’ils entendent.6
Ce point de vue ne serait sans doute pas partagé par un Fabrice Lucchini qui, dans
l’exercice de son métier d’acteur, met en voix des textes de Céline7, en appuyant de sa
technique théâtrale les effets d’oralité désirés par l’auteur.
Mais le point commun entre ces deux positions est de vouloir « dire » le texte en prose,
d’en faire un objet d’écoute et d’attention sur le mode oral. C’est pourquoi l’accent a été mis
sur la banalisation dans un premier temps de l’oralisation des textes en prose, en détournant
le rituel de la récitation : les élèves devront apprendre un court texte en prose (un monologue
de personnage de roman) ou travailler la lecture avec leur livre qu’ils garderont en main lors
du passage devant leurs camarades. De la même façon, une poésie ne sera pas forcément
apprise par cœur, mais travaillée afin d’être lue, peut-être même en restant à sa place. Peut-
être aussi que la récitation d’un dialogue théâtral sera parfois envisagée entre deux élèves de
la classe qui resteront à leur place plutôt que systématiquement venir se mettre en scène au
tableau.
En effet, les élèves semblent attribuer une posture particulière pour chaque exercice
oral dans une sorte de cloisonnement de principe :
• on lit un texte en prose assis à sa table • on est debout devant la classe pour réciter une poésie • on est aussi debout pour le théâtre, mais on a gagné le droit de bouger
Le « droit au geste » semble particulièrement codifié pour eux : indispensable dans le théâtre,
à peine toléré dans la poésie, il est inenvisageable dans la lecture d’un texte en prose.
Convaincre par l’exemple semble alors nécessaire : j’ai dû appliquer à ma propre lecture
ces stratégies employées et proposer par exemple une lecture physique et animée de l’incipit
de Kamo et Moi8. Cet exercice s’est révélé difficile et m’a demandé une préparation
personnelle importante au préalable, en me forçant à faire des choix d’interprétation qui
imposent de fait une intention à la lecture.
L’oral au collège, qui propose une approche plus technique de la question de l’oral,
appuie sa démonstration par de nombreux exemples concrets et des conseils purement
pratiques de mise en place au sein de la classe. L’organisation de l’espace, par exemple, peut
se révéler une interrogation intéressante, surtout dans le cadre de salles exigües. Les textes
6 La lecture à voix haute, pp.125-126 7 L’arrivée à NY d’après Voyage au bout de la Nuit, de L.F. Céline 8 Kamo et moi, D. Pennac, ed. Folio Junior, 1992
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présentés dans cet ouvrage accompagnés de leur analyse et des difficultés particulières que
chaque genre pouvait présenter ont également été une source importante de réflexion et
d’éclairage pour les textes choisis pour cette classe.
La question de l’exemple par le professeur a également été soulignée dans cet
ouvrage :
Pour montrer aux élèves qu’il y a un lien entre la lecture du texte et son sens, le professeur peut se livrer à l’expérience suivante : il procède dans un premier temps à une lecture du texte en question sur le ton le plus neutre, uniforme, sans tenir compte de la ponctuation et du sens. Le texte oral apparaît comme une suite de sons quasiment incompréhensible. Dans un deuxième temps, il lit oralement le texte en respectant la ponctuation, avec des pauses calculées, des effets de voix et une expression adaptée. Dans un troisième temps, il demande aux élèves quels moyens lui ont permis de passer de la première à la seconde lecture, et quels avantages présente cette seconde lecture pour ceux qui écoutent. D’une vague suite sonore, le texte oral a pris forme.9
Cette gradation – et la première lecture est fort difficile à effectuer… - est
effectivement d’une efficacité redoutable pour provoquer les réactions des élèves, qui,
surpris par la première lecture –certains vont jusqu’à lever le doigt ou faire le signe TGV
avec de grands yeux -, perçoivent immédiatement l’intérêt d’une lecture plus expressive et
plus représentative du texte.
3. Un choix de textes supports assez complexe
Le choix du corpus s’est révélé difficile, en particulier dans le choix des romans car, tout
en restant bien entendu dans le cadre des programmes officiels, il fallait trouver des textes en
prose qui pouvaient offrir des extraits susceptibles d’être appris par cœur.
Mes choix se sont portés sur Kamo et Moi pour commencer, car ce texte propose des
dialogues, voire des monologues susceptibles d’être appris et interprétés de façon théâtrale,
en mettant en scène deux enfants qui, de plus, ont sensiblement l’âge de ces élèves. Puis
Vendredi ou la vie sauvage, de Michel Tournier, qui devrait permettre d’obtenir des lectures
à voix haute où la question de l’intention poétique pourra être abordée.
La farce de Maître Pathelin, suggérée par les programmes, permettra d’aborder la
question de l’interprétation dans le cadre du théâtre et d’aborder courant avril la conjonction
intime qui existe entre mise en voix, interprétation et implication du corps.
Les textes poétiques permettent tout au long de l’année d’avancer vers cet objectif,
puisque qu’ils sont abordés sous divers angles et permettent d’alterner entre le par cœur et la
9 L’oral au collège, p.81
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lecture préparée. Les a priori qui portent sur la poésie et que les élèves nomment d’emblée
sont :
• une poésie est faite pour être bien sue
• elle est écrite en vers réguliers
• ces vers réguliers supposent un rythme monotone
Le projet pédagogique est d’offrir aux élèves un panel de textes qui permettent d’envisager
une parole et un regard différents sur la poésie. :
• une poésie n’est pas faite pour être bien sue, mais plutôt bien dite
• la poésie n’est pas forcément écrite en vers réguliers
• si vers réguliers il y a, ils ne supposent pas pour autant une rythmique monotone
La liste des poésies est donc relativement longue : La Complainte de Mandrin10, Après la
Bataille11, L’école des Beaux-Arts12, Le cancre13, Les conquérants14, Heureux qui comme
Ulysse15, Demain dès l’aube16, Il pleure dans mon cœur17, Barbara18, Le savetier et le
financier19, Le Roi Renaud de guerre revient20. S’ajoutent également des extraits de Je me
souviens… de Georges Perec, propices à du par coeur, afin de travailler sur la mise en valeur
orale de la particularité dans la répétition.
10 Auteur anonyme 11 Victor HUGO 12 Jacques PREVERT 13 Jacques PREVERT 14 Jose-Maria DE HEREDIA 15 Joachim DU BELLAY 16 Victor HUGO 17 Paul VERLAINE 18 Jacques PREVERT 19 Jean DE LA FONTAINE 20 Auteur anonyme
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C. Une organisation progressive de ce travail sur l’oral
1. Analyse des premiers passages en récitation
Le premier texte dans le cadre d’une mise en voix a été La Complainte de Mandrin.
L’approche a été volontairement axée sur la pluralité de l’interprétation orale, puisque trois
versions chantées ont été proposées aux élèves. La première, très connue, de Yves Montand,
offrait une approche assez classique du texte. La deuxième, de François Hadji-Lazaro, avait
pour base une variante du texte étudié et proposait des sonorités plus électriques ainsi qu’une
rythmique plus dynamique. La différence a été immédiatement appréciée par les élèves qui
ont décelé l’intention plus énergique et moins proche de la complainte que celle d’Yves
Montand. La dernière version était un duo entre Bernard Lavilliers et Faudel, qui offrait le
double avantage de mettre en scène deux voix très contrastées pour un même personnage et
d’utiliser la particularité des sonorités arabisantes, qui permettent d’osciller entre tonalités
majeure et mineure, créant de la sorte un climat qui passe du rire aux larmes en quelques
notes.
Trois intentions différentes pour le même texte : les élèves ont perçu les choix artistiques
qui avaient prévalu à la mise en musique. Le texte a donc été découpé en trois parties (de
trois strophes chacune) afin d’organiser à terme une intervention orale multiple. Mais en tout
premier lieu, chaque élève est passé seul.
Les difficultés principales ont été les suivantes :
• mauvais placement de la respiration
• posture physique inadéquate : je regarde par terre, je me dandine sur place, je suis raide
et figé
• un débit trop rapide
• je ne m’adresse qu’au professeur
• récitation monocorde
De grandes facilités ont été également décelées chez certains élèves :
• voix claire et posée
• regard embrassant toute la classe
• implication physique, interprétation
• diction claire et respectant les respirations du texte
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Ces facilités ont permis aux autres élèves de repérer les éléments qui permettent d’offrir
une bonne prestation orale. Un élève en particulier a brillamment interprété un Mandrin
conquérant et gouailleur qui a séduit ses camarades. Les élèves ont spontanément réagi sur
ces points forts et analysé un à un ces éléments. La suite des passages s’en est ressentie,
chaque élève essayant lui aussi d’offrir un personnage à contempler.
Cela nous a permis d’aborder les questions purement techniques qui traduisent les
difficultés évoquées plus haut :
• Petit exercice de respiration ventrale, une main sur le ventre
• Dégagement des épaules pour libérer la colonne d’air qui permet de projeter la voix
• Regard fixé sur un point du mur en face pour les élèves dont la timidité est handicapante
ou qui sont déconcentrés par les regards de leurs camarades
Les autres points, plus difficiles à contrecarrer car inhérents à la personnalité de chacun,
ont été également abordés lors de cette session :
• Le débit est le point le plus difficile, me semble-t-il, à réguler car, même avec une
respiration adaptée, nous avons tous tendance à précipiter le texte, sans nous rendre compte
de la rapidité réelle de notre débit. La technique de l’enregistrement sera sans doute utilisée
au deuxième trimestre pour que les élèves entendent leur propre voix et le débit qu’ils
emploient.
• Le respect de la ponctuation est un objectif intermédiaire intéressant dans la mesure où il
permet de recentrer l’attention du récitant sur le texte : dans ce cas précis, l’élève devait
reprendre son texte et le lire devant la classe, afin d’avoir visuellement ces repères
indispensables.
2. « Mais Madame, je la sais par cœur ! » : une compréhension du texte qui apparaît
comme secondaire
La difficulté de sortir des idées reçues passe au préalable par l’évacuation de la donnée
déjà évoquée précédemment : savoir son texte n’est pas le seul et unique critère de notation
valable. En l’occurrence, les deux premiers élèves qui ont récité ont été surpris des
commentaires que j’ai pu faire. Ils savaient effectivement leur texte sur le bout des doigts,
mais le récitaient d’une voix blanche, sans aucune inflexion.
La première démarche a été de revenir au texte et à la synthèse qui en avaient découlé.
Puis, en reprenant l’analyse, les élèves ont envisagé Mandrin dans son rôle de chef de bande,
l’homme fort, ce qui impliquait donc une posture physique et une voix adaptée. L’insolence
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de certains propos du personnage a également été remarquée, les élèves proposant alors des
tons de voix ou des postures physiques caractérisant cette insolence. Enfin, l’aspect
pathétique de la fin, où dans son adresse à ses camarades, Mandrin rappelle qu’il est un
enfant perdu, a été relevé par deux élèves, qui ont aussitôt souligné qu’il était important de
faire sentir la tristesse de ces propos.
Après avoir noté au tableau ces éléments, un élève est venu au tableau proposer son
interprétation. La consigne a été de tenir une posture physique et vocale correspondant à sa
partie de poème (les trois premières strophes) : avant de commencer, il lui a été demandé
d’expliquer comment il allait se tenir et pourquoi il pensait devoir se tenir comme ça. L’élève
a indiqué qu’il pensait faire un signe de menton sur les vous m’entendez. Cette première
proposition a été suivie d’autres éléments (les mains dans les poches pour l’un, la voix qui
devait baisser sur la fin du texte pour l’autre, se saisir d’une trousse disponible pour appuyer
le je mis la main dessus…), dont chacun s’inspirait pour sa propre interprétation. Il a semblé
que ce travail soit fructueux, particulièrement pour les derniers à passer, qui ont bénéficié de
toutes les propositions de leurs camarades et la compréhension du texte en a été, me semble-
t-il, renforcée par un ancrage dans une réalité visuelle et kinesthésique.
3. L’émulation progressive des uns par les autres : de la compréhension du texte à son
analyse.
Il est évident que l’exercice oral représente une véritable angoisse pour certains élèves
qui sont d’une timidité maladive et qui redoutent la prestation. De même, passer de l’exercice
de récitation comme les élèves l’envisagent au fait de faire vivre le texte leur a paru difficile.
La bonne ambiance régnant dans la classe et la bonne volonté partagée ont permis
d’obtenir des résultats intéressants : en effet, l’élaboration de la grille de notation21 avec les
élèves, l’analyse du texte en partant de leurs remarques et la bienveillance des uns envers les
autres lors des passages au tableau a créé un climat de confiance dans lequel les élèves les
plus timides, bien qu’impressionnés, n’ont pas eu peur d’évoluer. Bien entendu, le regard se
reporte souvent sur les chaussures ou sur le professeur et il faut un petit signe pour qu’ils
pensent à regarder leurs camarades, mais la détente observée est encourageante.
21 « L’évaluation de l’oral prend également en considération l’aptitude à écouter ; une évaluation de l’oral bien conduite devrait logiquement valoriser les attitudes de compréhension et de tolérance mutuelles (voir ci-dessus le cas du questionnement). L’oral peut enfin faire l’objet d’une coévaluation, qui prend en compte le point de vue des élèves aussi bien que celui du professeur, notamment dans le cas de la diction d’un texte lu ou récité. » Accompagnements aux programmes de 5ème / 4ème , p.70
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De plus, ce travail en commun de présentation et d’observation permet d’avancer encore
plus loin dans le texte que ne l’a fait la seule lecture analytique avec les élèves. En effet,
réfléchir ensemble à l’importance de la silhouette attribuée au personnage ou aux mots à
souligner par un appui de la voix permet de mettre en valeur le texte sous des angles
différents et contribue à supposer une intention à l’auteur de ce texte, intention que l’élève
doit ensuite tenter de retransmettre. Bien sûr, aucune interprétation du sens n’est canonique,
mais en multipliant les hypothèses et les propositions, la mise en voix du texte permet
d’avancer encore dans sa compréhension et de lier l’écrit figé à un mouvement plus dirigé
vers l’autre.
Le sens se construit dans les différentes interprétations données par les élèves, en
provoquant également des réactions de la part des camarades : ces réactions sont le terreau
d’une avancée importante, puisque les élèves sont amenés à estimer la crédibilité de ce
passage oral. L’intervention d’un élève m’en a convaincue : « On a bien mieux compris de
quoi parlait le texte quand X est passé : parce qu’il joue les forts, mais en fait c’est comme
s’il restait en lui-même un enfant dans la misère. »
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2ème partie : La lecture à voix haute : mise en place d’un dispositif
pédagogique
A. Partir du plaisir de l’élève
1. Des supports ludiques
Plusieurs éléments permettent d’attirer l’attention de l’élève sur le texte de manière
différente. Ainsi, l’utilisation de supports pédagogiques ludiques pour le travail de l’oral
fixe-t-elle l’attention des jeunes lecteurs sur le texte par le biais d’autre supports comme
l’image ou la chanson
L’apport de la chanson est d’offrir aux élèves une perception d’abord orale du texte,
soutenue par la musique, qui ajoute aux émotions provoquées par les paroles. Il est
intéressant également de proposer aux élèves différentes interprétations, lorsque cela est
possible, d’une même chanson. Ainsi, le travail sur La Complainte de Mandrin a-t-il permis
d’offrir trois adaptations différentes aux élèves, avec trois objectifs d’interprétation
différents.
Le travail sur l’image, fixe ou mobile, permet également d’offrir une autre
appréhension de l’histoire et de la mise en voix du texte. Dans le cadre de d’étude du roman
de Chevalerie, un visionnage de quelques scènes d’Excalibur devrait permettre aux élèves de
visualiser l’équipement des chevaliers ou les scènes de batailles reconstituées pour le film.
De la même façon, une étude de quelques scènes du Seigneur des Anneaux ou de La Guerre
des Etoiles permettra sans doute d’appréhender l’importance de cet héritage culturel et son
réinvestissement dans des histoires d’ heroic fantasy ou de science-fiction.
Le travail sur l’oral est également avantagé par l’utilisation d’un support visuel :
l’imaginaire des élèves semble particulièrement à l’œuvre dans la lecture de l’image. Les
interprétations qui découlent de leur ressenti premier – voire primal – sont souvent des points
de départ particulièrement riches pour étudier le texte. C’est ainsi que l’utilisation d’une
bande dessinée qui adaptait Demain dès l’aube de Victor Hugo a servi de prolongement au
texte, permettant également aux élèves de faire un travail oral de description.
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Ces deux images, par exemple, ont provoqué des réactions de surprise de la part des
élèves : en premier lieu, l’aspect volontairement sombre choisi par le dessinateur s’est révélé
assez perturbateur, générant beaucoup de réactions de refus, qu’ils se devaient d’argumenter.
Cet échange a été productif, dans la mesure où petit à petit, les élèves ont compris que le
décor de « l’aube » n’était pas forcément synonyme de clarté et de joie. Cette prise de
conscience a été très intéressante car elle leur est aussitôt revenue en mémoire dans la même
séquence (sur la Poésie), lors de l’étude du poème Barbara, de Jacques Prévert. Dans ce
poème, la pluie est tour à tout une « pluie heureuse », une « pluie de sang, de fer, d’acier »,
puis une « pluie de deuil », puis simplement des « nuages qui crèvent ». Plusieurs élèves, à
l’écoute du texte qu’ils n’avaient pas encore, se sont remémorés le piège des idées toutes
faites et ont dit avec beaucoup d’humour de se méfier de cette pluie qui plantait le décor.
L’étude du texte leur a donné raison.
La deuxième image a permis aux élèves de rattacher à Victor Hugo et à son histoire
personnelle la déclaration d’amour que représente Demain dès l’aube. Si cette déclaration
d’amour a bien été perçue comme destinée à un être perdu, la bande dessinée a permis
d’élargir cette notion d’amour à celui d’amour filial, ce qui n’est pas si évident pour des
élèves aussi jeunes, qui associent « aimer » à « être amoureux ». L’universalité du texte a été
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bien perçue également par les élèves qui ont apprécié la bande dessinée, mais ont objecté que
le dessinateur aurait pu représenter un homme allant fleurir la tombe de sa femme (ou le
contraire), un enfant celui d’un parent, et pourquoi pas, un ami celui d’un autre ami décédé.
2. L’appropriation du texte par des moyens divers
Cette pluralité d’appréhension permet à l’élève de s’approprier le texte par d’autres
biais que la seule lecture. L’oralisation à travers la description d’une image, par exemple,
semble permettre une sorte d’ impression préalable dans le cerveau, qui offre à l’élève la
possibilité de lire le texte avec des images enregistrées, comprises et commentées par ses
camarades et lui, donc des images devenues familières et supportant le sens.
Le passage par la musique est assez surprenant également : lors des récitations de Mandrin,
l’un des élèves se trompait systématiquement. Il m’a demandé de recommencer et a offert à
ses camarades une version chantée du texte. Mais la musique était parfaitement originale,
sortie de son imagination à lui , avec un rythme légèrement différent, mais qui lui permettait
de ne commettre aucune erreur et surtout d’accentuer le texte en ses lieux-clés.
La lecture de Kamo et moi a permis de travailler le jeu des dialogues grâce à la langue vive
et colorée de Daniel Pennac. Le monologue de Kamo a été un moment d’émotion
particulièrement important pour la classe, car un élève, qui est dans la même situation que le
personnage, à savoir orphelin de père, a demandé à le lire après l’avoir préparé et s’est jeté à
corps perdu dans une lecture très émouvante de ce passage, qui a allié émotion et humour.
Cette appropriation du texte, outre le fait que l’élève a été très touché et très heureux de
pouvoir le faire sien, a été un moment fort où les élèves ont constaté que le texte parlait dans
les émotions et pouvait faire écho dans leur propre univers.
Si cette lecture a été un moment fort, d’autres textes se sont révélés également très
plaisants pour les élèves : l’étude du Petit Nicolas, par exemple, a été un moment
d’expression orale particulièrement intéressant, puisque l’écriture narrative est
volontairement proche d’un langage parlé enfantin. Le plaisir de lire à haute voix un texte où
l’innocence est mise en avant, et d’interpréter ensuite oralement le second degré présent
grâce à ce procédé a permis aux élèves de s’approprier non seulement le texte en soi, puisque
plusieurs lectures en ont été faites, mais également l’humour qui le sous-tend.
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3. La mise en confiance de l’élève.
La mise en confiance de l’élève, par rapport au texte, se révèle une nécessité pour lui
permettre d’effectuer une prestation orale de qualité. L’étude du texte apparaît donc comme
indispensable pour obtenir une compréhension des enjeux du texte et une lecture qui en rend
compte, parce que ces enjeux auront été assimilés progressivement et dans un travail
commun.
D’autres éléments permettent de mettre en confiance l’élève : l’une des consignes
lorsque le texte a été étudié, est de le relire attentivement à la maison afin de pouvoir le relire
en début d’heure suivante. Ce rituel, mis en place avec les élèves, semble bien suivi et
permet aux élèves de reprendre le texte le lendemain matin avec une compréhension qui a eu
le temps de mûrir, d’une certaine façon.
Un autre rituel est celui de la lecture à plusieurs, comme pour Mandrin. Cette
répartition des voix permet aux élèves de se sentir par définition moins seuls et de s’exposer
en groupe aux regards de la classe. L’union faisant la force, une fois les premiers rires
passés, cette réunion dans la lecture permet d’exprimer le sens de façon plurielle. En effet,
les échos des uns aux autres offrent un panel plus large et plus riche d’émotions, et la gêne de
passer à l’oral semble moindre, du fait de l’exposition en groupe.
La lecture analytique effectuée en classe permet également d’offrir à l’élève une mise
en confiance importante : en effet, la construction du sens avec la classe entière, de
l’interprétation à l’élaboration de la trace écrite, permet d’obtenir une familiarité non
seulement avec le texte, mais également avec les commentaires qui en ont découlé. Cette
élaboration semble primordiale, car elle met les élèves au centre de la construction du savoir
et ne fait pas du professeur un juge détenant la vérité ultime, mais un allié qui, dans un
processus maïeutique, doit permettre à chacun d’avancer dans sa propre perception. La
formulation de ces traces est toujours élaborée en commun et permet, fondamentalement, de
reprendre et d’associer les idées importantes émises par les élèves, afin que ces
commentaires soient le reflet de l’analyse de la classe. L’autorité du professeur n’est pas
remise en cause, loin de là, mais elle sert surtout à une régulation des propos de la classe : les
élèves n’ayant pas peur de s’exprimer, puisque c’est leur parole qui prime, ont besoin d’être
dès lors canalisés pour éviter la cacophonie. Cette démarche est parfois épuisante, car elle
suppose de provoquer par les bonnes questions ou les bons rebonds les réflexions en chaîne
des élèves, mais elle est une stimulation de la classe comme du professeur qui offre des
satisfactions importantes aux deux parties, et surtout, qui donne à la parole de l’élève une
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valeur importante, primordiale, ce qui semble permettre aux élèves, même aux plus timides,
de comprendre que leur analyse a une valeur indéniable et qu’ils sont en droit de l’exprimer.
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B. Impliquer l’élève
1. La place de la lecture analytique
La lecture analytique est une démarche d’observation et de réflexion qui permet à
l’élève d’appréhender les clés du texte. Dans l’optique d’un travail oral, elle ouvre trois
perspectives :
- tout d’abord, l’élève doit exprimer oralement ses hypothèses, puis les prouver en s’appuyant sur
le texte : ce va-et-vient constant entre le texte comme support de « preuves » (l’expression
utilisée en classe est « les faits, rien que les faits ») et la déduction des élèves crée un lien
indissoluble entre la lecture et la compréhension. De plus, la qualité de l’expression orale est
requise et soulignée en cas de manquement, dans les buts d’être compréhensible par tous et
de chercher une formulation précise, soutenue et adéquate. Dernier point, les requis
d’audibilité sont indispensables pour toucher la totalité de la classe.
- il est intéressant de constater également que la lecture analytique, exercice a priori sec et formel,
est le point de départ de débats très courts entre les élèves, qui appliquent la démarche de
démonstration pour se convaincre mutuellement du bien-fondé de leur interprétation. Même
dans une classe de cinquième, l’argumentation commence à poindre, à travers
l’enthousiasme que certains mettent à prouver leurs dires. Cette volonté de persuasion permet
des échanges oraux de bonne qualité, où chacun doit écouter l’autre pour rebondir et
confirmer ou infirmer sa démonstration.
- dans un troisième temps, cette analyse, imprimée en quelque sorte dans l’esprit de l’élève qui l’a
conçue et partagée avec ses camarades, permet une appropriation du texte et semble
paradoxalement propice à un développement de l’imaginaire : en effet, le fait d’élaguer des
interprétations erronées ne soumet en rien les élèves à une appréhension fermée du texte. Au
contraire, la lecture analytique, en confrontant les avis et les perspectives d’interprétation,
laisse des questions ouvertes auxquelles chaque élève a la possibilité intime de répondre. Sur
Demain dès l’aube, par exemple, certains élèves n’ont pas surestimé le fait que Hugo
s’adressait à sa fille, mais ont préféré se souvenir du poème comme d’une déclaration
d’amour mélancolique destinée à un être cher. L’aspect anecdotique n’a pas pris le dessus
chez eux, qui analysent le poème dans une plus grande universalité. Les lectures ou
récitations s’en ressentent donc, puisque leur propre imaginaire est au travail dans la
démarche d’offrir ce texte à leur auditoire.
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2. Mise en place de la co-évaluation
Cette mise en place a été extrêmement importante dans l’appréhension du travail
oral : en effet, les élèves ayant déterminé quels points importants devaient être notés, leurs
propres prestations se sont calquées sur ces critères, qui ont forcément déterminé une
réflexion préalable de leur part. Lors de l’élaboration, à chaque proposition, il y a avait
systématiquement des demandes de compléments d’information, souvent formulés sous
forme de questions rhétoriques qui demandaient simplement confirmation : « Donc ça veut
dire qu’il faut qu’on nous entende bien, même au fond de la classe, c’est ça ? ». Ce point me
paraît important, parce que cela suppose que les élèves prennent parfaitement conscience de
ce qui fait une bonne prestation orale, mais ont besoin de le formuler avec leurs propres
mots. Ces critères deviennent dès lors les leurs et leur auto-critique, dans la préparation mais
également à la suite d’une prestation orale, en est facilitée.
S’approprier les critères semble un élément d’importance dans le mesure où cela va
déterminer les objectifs à atteindre. L’implicite ne peut être de mise dans ce type de
démarche : on ne peut demander objectivement à un élève – ni à quiconque – de fournir un
travail de qualité si les consignes ne sont pas claires. On ne peut se permettre de laisser une
classe naviguer à vue et subir la notation comme une sanction teintée d’injustice. Dans le
cadre de la co-évaluation, avec une détermination préalable des critères en les basant sur les
suggestions des élèves de la classe , la notation devient beaucoup plus confortable pour le
professeur et semble beaucoup mieux reçue par les élèves, qui n’y voient pas un couperet,
mais un curseur évaluatif sur une échelle.
C’est pourquoi la participation des élèves est également intéressante dans la prestation
orale : en effet, la classe – surtout si elle offre une bonne ambiance comme les 5ème8 du
collège Vincenot – n’a pas une démarche de tribunal, mais une démarche collégiale
d’entraide. Les affinités se ressentent, mais les élèves savent formuler de façon assez nette
les points positifs et les points à améliorer à la vue d’une prestation. Le professeur n’apparaît
plus comme le juge ultime, mais comme l’adulte responsable du mot de la fin, qui va
trancher après avoir entendu les avis.
La co-évaluation permet également aux élèves d’affiner leur capacité d’observation,
leur jugement critique sur la prestation d’autrui, et de réfléchir dans un effet miroir à leurs
propres prestations : en effet, les « c’est comme moi ! » fusent parfois, montrant une
conscience des élèves quant à leurs propres points à améliorer. Il est particulièrement
intéressant de constater que certains se reconnaissent dans la prestation de leur camarade et
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se montrent en exemple pour qu’il comprenne bien le propos. La démarche pédagogique
vient cette fois des élèves, qui souhaitent absolument que le message soit bien compris.
3. La stratégie de répétition du texte : appropriation du texte et du sens
La répétition du texte est une phase essentielle dans son appropriation ; à répéter,
relire et faire relire les phrases, la musique du texte s’imprime fatalement dans les esprits.
L’oralisation du texte est primordiale pour que l’élève prenne conscience des contraintes de
souffle et de rythmique inhérentes aux phrases, répliques ou vers prononcés, mais elle a
également une place essentielle dans le processus de mémorisation.
L’attente créée par certaines lectures ou ébauches de lecture du vendredi semble
participer de cette familiarisation : c’est une première phase dans la découverte du texte, qui
permet de mettre en appétit ou en interrogation l’esprit des élèves. Suspendre la lecture en
plein milieu avant de leur souhaiter une bonne fin de semaine provoque des réactions
amusantes (« Mais madame, c’est pas grave si ça sonne, vous pouvez finir quand même, on
reste là ! ») et une attente qui permet de démarrer l’heure suivante rapidement et avec
l’attention des élèves. Cette attente est parfois résolue par internet, si certains ont retenu les
références du texte, ce qui est très encourageant puisque cela suppose que l’élève fait lui-
même la démarche d’aller chercher le texte évoqué. Très fier de l’avoir trouvé, il ne manque
pas de le signaler dès qu’il revient en classe. Cela suppose donc une lecture supplémentaire
de certains élèves, dont la curiosité a été piquée au vif.
Répéter le texte, par extraits ou en intégralité, permet cette impression évoquée plus
haut : l’expérience personnelle prouve que de nombreux passages sont gravés dans nos
esprits parce qu’ils ont été répétés en classe, mais également parce qu’ils correspondent
souvent à des moments assez intenses du cours où ils ont été étudiés. C’est pourquoi accepter
le débat, l’échange, la confrontation de points de vue lors de la lecture analytique semble
permettre une appropriation du texte lui-même parce que l’élève a son point de vue à
défendre : il le fait sien, parce que sa parole doit s’appuyer sur des citations pour être validée.
Cette réaction, inconsciente, provoque cependant une implication dans le texte et le sens qui
sert énormément le professeur : plus l’élève fera le texte sien, plus il y a de chances qu’il
reste gravé dans sa mémoire.
La réception est également importante : entendre le professeur ou un autre élève lire
le texte offre au récepteur un panel d’intonations et d’intentions capables de provoquer ses
émotions. Offrir plusieurs lectures, c’est offrir la possibilité d’en préférer une aux autres,
donc de faire un choix et, éventuellement, de justifier son choix, publiquement ou
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intimement. La co-évaluation est aussi le lieu de ces choix, où les élèves expriment
spontanément le plaisir qu’ils ont pu prendre à une lecture vivante et impliquée. Outre le fait
que la répétition orale du texte a un effet mécaniquement familiarisant, la variété des lectures
– et des lecteurs – permet de provoquer des émotions différentes qui se lient au texte et
permettent à l’élève de se l’approprier.
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3ème partie : Une assimilation progressive des techniques
d’interprétation au service du texte.
A . Une prise de conscience qui vient de la classe
1. Propositions de mise en scène
Lors de l’exercice oral de récitation - la lecture se prêtant moins à l’exercice –
l’attitude des élèves pendant leur prestation est de plus en plus décortiquée par leurs
camarades. En effet, les propositions d’amélioration portent de plus en plus sur l’occupation
de l’espace et l’utilisation que les récitants peuvent en faire. La question des déplacements
est apparue au fur et à mesure des exercices oraux.
Il est malheureusement tôt dans l’année pour aborder plus avant cette question, dans
la mesure où nous n’avons pas encore étudié le théâtre en cours. Nul doute que cette question
sera alors développée plus amplement, à l’occasion d’exercices de lecture et de récitation. Le
texte envisagé, La Farce de Maître Pathelin, offrira sans doute l’occasion de mettre en
pratique le comique de geste et de développer des questions sur l’importance de l’alliance
entre le corps et l’oral.
En effet, l’expressivité par le geste ou le visage permettra d’avancer dans
l’importance de comprendre ce que l’on dit et d’appuyer avec le corps et l’espace ce qui est
énoncé. Ce point est donc en éclosion dans cette classe, je ne peux malheureusement pas le
développer plus à cet instant.
2. Gestion des points forts et des points faibles
Chaque élève semble prendre conscience au fur et à mesure de ses points forts et de ses
points faibles, ce qui permet d’aborder chaque exercice avec des références aux derniers
effectués. Le partage avec les autres élèves permet d’avancer dans le sens d’une progression
et de déterminer des objectifs, si possibles peu élevés, qui peuvent être atteints en une ou
deux prestations. « Qui veut gravir une montagne commence par le bas » : dans cette
logique, les élèves sont amenés à formuler, parfois sur les suggestions de leurs camarades
lorsqu’ils n’ont pas un retour suffisant sur eux-mêmes, un point qui peut être amélioré à
l’avenir.
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Par exemple, lors d’une prestation trop rapide et mal articulée, l’élève devra choisir entre
les deux points à améliorer, et se concentrer sur ce point lors de la prochaine prestation.
L’articulation est l’une des difficultés qui revient assez souvent, ce qui nous a amenés à
faire des exercices de prononciation et de découpage syllabique, afin de parvenir à une
conscience de l’importance de détacher les mots pour les faire sonner. Cet exercice permet
également de faire se ralentir le rythme de diction.
Mais la perspective de la compréhension ne doit pas être oubliée dans ce cadre
d’exercice : c’est pourquoi, après un découpage méthodique dans la prononciation du texte,
il semble important de revenir sur les mots qui pourront justement être mis en valeur dans ce
découpage, et pourquoi ils devront l’être. Le sens reprend donc sa place, même dans un
exercice a priori purement technique.
3. Réflexion, reformulation et partage des points forts
A la façon d’une mise en abyme, l’exercice oral permet de pratiquer encore plus
l’exercice oral : en effet, si les élèves sont amenés à s’exprimer sur la prestation orale d’un
de leurs camarades, ils doivent également veiller à la justesse de leur propos et argumenter
leur point de vue de façon construite et intelligible. Une réflexion préalable est donc
importante, et s’exprime celui qui a quelque chose de constructif à dire : les propos lancés
spontanément sont repris assez rapidement et la personne qui les a lancés doit les reformuler
de façon plus cohérente.
La reformulation est également une étape importante de ce travail en commun : en effet,
les idées exprimées sont parfois comprises d’une partie de la classe, mais pas de la totalité.
Il est intéressant alors de demander à un élève qui a visiblement compris de reformuler
différemment pour que tous ses camarades saisissent bien le propos. De même, cette
reformulation est l’occasion de provoquer des rebonds, puisque, en ayant mieux compris,
certains peuvent apporter de nouveaux arguments à ceux déjà évoqués.
Le partage des points forts est également l’occasion d’exiger des élèves des efforts à
l’oral : en effet, certains points forts relèvent de l’inné, les élèves agissant sans avoir
pleinement conscience de ce qu’ils font. Le passage à l’oral et la tentative pour expliquer
aux camarades ce qui est à l’œuvre lors de la prestation est l’occasion pour l’élève d’exercer
un retour sur lui-même, de regarder avec un peu de distance sa manière d’agir, mais
également de chercher clarté, concision et justesse du propos pour transmettre à ses
camarades sa « technique » ou son ressenti.
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Dans tous les cas, le passage à l’oral est l’occasion de rappeler aux élèves que
l’expression part de soi pour aller vers l’autre, et que cela nécessite d’un côté une attention
particulière aux propos tenus et à leur intelligibilité, de l’autre une écoute attentive et active,
qui permet un questionnement complémentaire.
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B . Le texte qui prend du sens
1. Je pense à ce que je dis : on passe de l’exercice de récitation monocorde à
l’interprétation du texte, en se basant sur le sens découvert en lecture analytique
La première démarche qui ne découle pas encore de la lecture analytique, mais en
prend le chemin, est de penser à ce que l’on dit. Cette recherche de prise de conscience
commence par l’analyse du cadre du texte, se poser la question de la nature de ce que l’on est
en train de lire ou de réciter.
Ce premier pas permet à l’élève de réfléchir au fait même qu’il est en train de dire
quelque chose : sa parole est en marche, et elle l’est par le biais d’un texte. Ce n’est pas de
l’oral spontané, mais, par un réflexe comportemental, la prestation de récitation ou de lecture
devient souvent un lancement, au mieux, de mots, au pire, de sons, qui n’ont pas forcément
de liens entre eux. Penser quelques instants à ce que l’on va faire, même de façon très rapide,
permet déjà de se mettre dans la démarche de dire et non simplement de projeter des sons.
La lecture analytique permet d’appuyer encore plus cette progression : je pense le
texte que je dis, en l’ayant entouré de l’analyse faite en classe. Les couleurs que prend le
textes peuvent alors être exprimées par l’élève, qui aura, nous l’avons vu précédemment,
acquis une familiarité avec le texte qui lui permettra, parfois malgré lui, d’y apporter une
sensibilité. Même s’il n’est pas forcément souhaitable de tout contrôler – ces élèves ne sont
pas non plus en train de préparer le concours d’entrée au Conservatoire d’Art Dramatique –
une conscience de ses actes, de son corps, de sa voix et de ce qu’il dit est une étape
importante, qui implique l’élève dans la démarche orale et dans l’impulsion qu’il va donner
au texte.
2. Je comprends ce que je dis : le ressenti du texte comme message
Lors d’une récitation ou d’une lecture, on note tout de suite qui a compris le texte ou
pas. De l’extérieur, instinctivement, on ressent le degré de compréhension. La notion de
message, qui n’est pas réservée à la seule littérature engagée, est primordiale pour permettre
aux élèves de passer à la phase suivante, à savoir transmettre. Mais avant qu’ils ne se
soucient d’être eux-mêmes messagers, il leur faut comprendre qu’ils sont déjà destinataires
du message. Dans ce sens, la lecture analytique permet de démontrer la portée universelle du
texte et de démocratiser la littérature en montrant sa nature humaniste.
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Les élèves ont tendance à envisager le texte comme quelque chose qui se doit d’être
étudié dans un cadre formel, afin d’obtenir de bonnes notes, parfois pour faire plaisir à ses
parents ou son professeur. Mais la notion de plaisir personnel et de progression personnelle
est plus difficile à intégrer. On pourrait arguer que la fin justifie les moyens et que, si l’élève
étudie pour faire plaisir à untel ou untel, il y a toujours cet avantage de le voir étudier. Mais
ce serait nier l’importance de la formation intellectuelle individuelle et la prise de conscience
de sa propre valeur : il est difficile de faire comprendre à des classes d’élèves très jeunes
qu’ils ont chacun de la valeur à titre individuel et que, sans en rajouter dans les effets en leur
disant que le texte est un cadeau pour eux-mêmes, on peut tout de même essayer de leur faire
comprendre que le texte leur est destiné comme à tout autre personne.
Certains élèves – souvent en difficulté - semblent faire un rejet de la littérature, et de
la poésie en particulier, dans ce qu’elle a parfois de complexe et d’hermétique. Trouver la
composition du texte avec eux, l’analyser, le décortiquer en quelque sorte, et avec eux
surtout, en partant de leurs propres observations, permet en plus de la familiarisation, de
construire la compréhension et de dédramatiser l’aspect sacré que peut parfois revêtir une
œuvre littéraire.
Il est frappant de constater que les élèves, en comprenant intimement un texte, se
l’approprient, mais aussi expriment beaucoup de respect en en parlant ultérieurement : il
semble que la compréhension poussée du texte, l’appréhension de ses finesses, la conscience
que l’auteur l’a écrit pour chacun de nous, sont des éléments qui désacralisent le texte, mais
lui donnent pourtant une autre aura. Et encore une fois, ce sont les textes sur lesquels des
émotions sont apparues lors de la lecture analytique ou d’une récitation qui gardent le plus
d’impact.
La notion de message est alors acceptée, dans la mesure où la compréhension du texte
va permettre à l’élève de se sentir destinataire de ce message. Il comprend alors ce qu’il dit et
l’importance de faire comprendre à son tour lors de sa prestation orale.
3. Je veux qu’ils comprennent : l’implication dans le message et les stratégies de
communication mises en oeuvre
L’implication de l’élève, que nous avons déjà évoquée, prend parfois des proportions
touchantes : certains – comme le petit Florian qui avait appris le monologue de Kamo –
mettent une grande énergie à vouloir faire comprendre le fond du message.
Cette volonté permet en général à l’élève de progresser car, s’interrogeant sur les
moyens à employer pour faire saisir le sens, il va lui-même corriger certains points de ses
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prestations et se mettre en recherche pour rendre sa prestation séduisante et intelligible. Une
implication comme celle de Florian est rare, bien sûr, et la plupart des élèves n’atteignent pas
ce degré, mais il suffit qu’un texte leur ait un peu plus plu que les autres pour qu’ils se
mettent dans une démarche similaire, même si elle est plus édulcorée.
La question du « public », un terme qu’ils emploient volontiers pour désigner la
classe qui les regarde, est alors mise en avant : le professeur se charge de faire taire les
élèves, mais il est frappant de se rendre compte que ceux-ci offrent un silence d’une qualité
différente lorsque la prestation est vraiment bonne. Les élèves semblent en avoir une
prescience, mais ne comprennent pas ce qui provoque cela chez eux. Nous n’avons pas
abordé la question de la réception, mais ils ont bien senti qu’ils se laissaient emporter
lorsqu’un camarade leur offrait une belle prestation. Ces moments, particulièrement forts
dans une séance, sont l’occasion de valoriser l’élève qui a offert cette prestation, mais
également d’analyser le travail qui a été proposé.
Cette question du travail est essentielle : on n’obtient rien sans faire d’efforts, et les
interventions orales sont des moments particulièrement propices pour rappeler cette règle. Si
l’élève a réussi à obtenir le calme et l’attention, s’il est parvenu à faire ressentir des émotions
à ses camarades, c’est rarement inné. Il lui a fallu apprendre le texte sur le bout des doigts
pour s’en libérer, en quelque sorte, réfléchir un minimum à la façon dont il allait le présenter,
peut-être le lire ou le réciter devant sa glace ou ses parents. Il y a donc une implication qui
prend du temps et demande de l’énergie, mais qui témoigne d’une volonté de porter le texte
vers son public.
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C . Le plaisir de « jouer » le texte
1. Vaincre le trac dans un climat de confiance
Maîtriser l’oral est une force indéniable qui ouvre de nombreuses portes. Je parle ici
d’élèves qui n’ont que douze ans, qui ont parfois une timidité importante, mais qui seront
des adultes confrontés au monde du travail et au fait de passer des entretiens d’embauche ou
des oraux de concours. Cette réalité n’est pas négligeable et fait partie des raisons qui m’ont
poussée à aborder ce thème.
Le trac et la timidité ne sont pas des éléments à négliger : certains élèves éprouvent de
vraies difficultés à s’exprimer en public. C’est pourquoi, nous l’avons déjà vu, un climat de
confiance est primordial pour que ces élèves évacuent déjà le stress d’être jugés durement
par leurs camarades. Les moqueries sont des attitudes intolérables, que je n’ai pas eu à
sanctionner cette année, mais qui le seraient en cas d’apparition.
L’attention du professeur doit se porter particulièrement sur ces élèves discrets, les
« petites souris » qui préfèrent qu’on les oublient, qui viennent réciter leur texte à toute
vitesse, en général bien appris d’ailleurs, qui n’ont aucun avis sur leur prestation et font
« oui, oui » de la tête aux remarques qu’on peut leur faire. Tout ce qu’on voudra, pourvu
qu’ils puissent retourner à leur place ! Ces élèves-ci méritent un traitement particulier, mais
qui doit se fondre dans les exercices proposés à la classe : on leur proposera peut-être plus
souvent de relire le texte en fin de lecture analytique, ou de prendre un rôle avec peu de
répliques dans une scène de théâtre, au début en tout cas. Cette mise en confiance se doit
d’être progressive : en le brusquant, on retrouve un élève qui se renferme automatiquement
dans sa coquille et refusera d’entendre ultérieurement toute proposition.
De la douceur est nécessaire avec ces élèves. Mais le trac est aussi présent chez des
élèves en apparence plus à l’aise, qui s’exprimeront fort bien depuis leur bureau mais
paniqueront complètement une fois devant leurs camarades. Là aussi, ne pas les brusquer,
leur sourire, les faire parler au préalable, les laisser recommencer éventuellement sont des
possibilités à ne pas laisser de côté.
Laisser le droit à l’erreur est primordial pour mettre en confiance les élèves, y compris
les moins timides. Même si on attend naturellement d’eux une prestation plus vivante dès le
départ, il faut considérer qu’ils n’ont pas l’habitude de s’exprimer en public et que c’est une
démarche stressante qui mérite toute l’attention du professeur, qui a ici un rôle de caution, y
compris dans l’erreur.
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Cette attention est importante et rassurante pour l’élève, qui y voit effectivement une
forme de protection et une valorisation de ce qu’il a offrir. Une fois passé ce cap, on peut
obtenir une sensation de plaisir à passer à l’oral. Mais sans filet, les élèves sont perdus.
2. Devenir le personnage de théâtre, roman, poésie… rencontré dans le texte : le
plaisir de « revêtir une autre peau »
Lorsque le trac est vaincu, les élèves peuvent se laisser glisser dans le plaisir de jouer, au
sens théâtral du terme. J’attends beaucoup de la Farce de Maître Pathelin et de certains
épisodes du Roman de Renart que j’ai prévus d’exploiter à l’oral. Mais pour l’instant, seules
les récitations et lectures effectuées en classe peuvent me servir de base pour l’analyse.
A travers La Complainte de Mandrin, qui était le premier texte étudié avec les élèves
dans une perspective de récitation, le plaisir a commencé à poindre à travers le travail de
groupe. Rassurés d’être à trois, les élèves ont pu jouer de leur complicité pour porter le texte
et , déjà, chercher à incarner le personnage. La division du texte a permis d’offrir trois traits
de caractères de Mandrin : le hâbleur lorsqu’il se présente, l’insolence lorsqu’il narre ses
exploits, la tristesse lorsqu’il se sait condamné. Les élèves ont donc cherché un ton qui
soutiendrait ce trait de caractère. Mais ils devaient également être attentif à suivre leurs
camarades, puisque l’aspect choral revenait sur les « Vous m’entendez » qui ponctuent le
texte.
Le plaisir a donc été palpable dès le premier exercice, et cette sensation a, me semble-t-
il, été positive pour la suite de la progression. Après la bataille de Victor Hugo a été – à
mon grand étonnement, le texte me semblant difficile – extrêmement bien reçu et perçu par
les élèves, qui ont cherché lors des prestations à souligner la noblesse du geste du héros. De
même, Demain dès l’Aube a offert de jolies prestations, empreintes de sobriété et de retenue.
La question du « changement de sexe » s’est révélée source d’amusement pour certains,
ou plutôt pour certaines : parmi les filles qui sont venues jouer Mandrin, quelques-unes ont
visiblement pris beaucoup de plaisir à chercher une posture et une gestuelle masculine.
L’inverse n’a pas encore eu l’occasion de se produire, et je sens les garçons plus frileux sur
cette question. Mais il était vraiment agréable de voir des filles cabotiner un peu, mais
trouver cependant un impact : le début du texte leur permettait certes de s’amuser, mais la
fin tragique de Mandrin ne laissait plus de place au comique. Le contraste a été assez
saisissant et a fait partie de ces jolis moments de séance.
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3. Conscience du corps, de l’espace et de la voix, conscience de leur impact sur les
auditeurs
Mon but, cette année, est de faire comprendre aux élèves qu’ils ont, à travers l’oral une
force de persuasion et un impact indéniable, qui se développent grâce à la pratique et à
l’acquisition de techniques. La prise de conscience de leur corps dans l’espace est une
donnée qui sera approfondie pendant sur les cours sur le théâtre, mais qui a déjà été abordée
lors des récitations. Cette prise de conscience est essentielle, car par la posture physique et
l’économie des gestes, l‘individu impose sans même parler sa présence. Certains l’ont
naturellement, d’autres doivent développer ce qu’on peut appeler le charisme. Mais ce
développement ne passera que par la prise de conscience et cela suppose d’amener les
élèves à l’exprimer. Lorsque certains disent naturellement d’un camarade « il en impose », il
est intéressant de les faire développer leur impression, pour comprendre ce qui, dans
l’attitude même, attire immédiatement l’attention des autres.
La voix est un élément essentiel, qui est développé avec eux. On ne peut certes pas
entrer dans les détails orthophonistes, et c’est un travail progressif sur plusieurs années,
avec tous les professeurs, mais les questions de débit, de clarté, de force ou de douceur dans
la voix sont des composantes distinctes qui peuvent être travaillées, et les élèves sont
suffisamment mûrs pour comprendre l’impact que peut avoir leur voix et ce qu’elle exprime
sur des auditeurs.
Cet impact passera, il me semble, par le plaisir qu’il peut y avoir à se sentir valorisé lors
d’une bonne prestation : des regards admiratifs, des commentaires positifs, des louanges
mêmes, sont autant d’éléments qui mettent en confiance ces enfants qui sont, souvent il me
semble, assez peu sûrs d’eux, assez fragilisés par une course à la réussite qui sanctionne et
dévalorise facilement.
Si, dans le cadre d’une salle de classe, chacun obtient une petite part de louanges, si au
fil des années, ces élèves obtiennent des regards chaleureux et bienveillants, j’ai bon espoir
qu’ils puissent aborder certaines duretés de la vie de façon plus sereine, en sachant qu’ils
ont une valeur en tant qu’individu et que cette valeur ne peut pas être remise en cause.
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Conclusion
En rédigeant la fin de ce mémoire, j’ai conscience qu’il reste encore plus de trois mois
avant la fin des cours et que la marge d progression est encore importante. Cependant, les
premiers résultats obtenus, en terme d’assurance, de clarté dans l’expression, mais aussi de prise
de conscience de la valeur d’un texte par ce qu’il dit fondamentalement et pas seulement par la
joliesse de sa forme, me porte à penser que ces trois prochains mois seront extrêmement riches
en satisfactions.
S’exprimer à l’oral de façon claire et convaincante, j’en suis persuadée, est une force.
On peut même parler sans peur de pouvoir : dans la construction de l’individu, ce pouvoir sur
lui-même, ses angoisses, sa timidité, sa peur de l’échec – éléments qui sont immédiatement
sanctionnés en cas d’apparition puisque l’expression orale se fait généralement dans un contexte
de partage direct avec d’autres individus -, peut être source de stabilisation et de
dédramatisation. Avoir la capacité de s’exprimer correctement, c’est forcer le respect en face,
c’est obtenir l’écoute de ses interlocuteurs, c’est obtenir leur attention voire leur admiration.
C’est donc une source d’auto-satisfaction qui ne doit pas être rejetée ou mal vue, car il est
essentiel à n’importe qui d’obtenir une valorisation de la part de ses congénères. Il est naturel de
rechercher la bienveillance ou la chaleur.
Les jeunes élèves sont dans une attente importante à ce niveau-là et, à travers la
valorisation de leur parole, on peut leur donner ce sentiment qu’ils valent effectivement quelque
chose, qu’ils sont des personnes dignes d’intérêt. Ceci n’est pas un point mineur dans la
démarche générale : si l’enfant est valorisé, sa motivation s’en trouve remontée d’autant, et son
plaisir à venir travailler et participer coule alors de source. Avec la peur du jugement, avec des
remarques blessantes, avec un manque de douceur en les reprenant ou en leur signifiant une
erreur d’interprétation, on fait se refermer le pont-levis et il sera difficile de l’ouvrir encore.
Tous ne seront pas de grands orateurs, loin de là, mais tel n’est pas l’objectif de toute
façon. Si chacun peut, à sa manière et à son rythme, profiter de la possibilité de s’exprimer et
progresser dans cette voie, le but sera déjà partiellement atteint. Si chacun parvient à saisir
l’importance des mots, leur poids dans la société et dans l’image d’eux-mêmes qu’ils y
projettent, un très grand pas sera fait. Nous avons quelques années pour le faire et la multiplicité
des professeurs rencontrés dans une scolarité est une chance, puisque cela suppose autant
d’interlocuteurs différents amenés à faire travailler l’expression orale, interlocuteurs avec
lesquels il faut néanmoins adapter son discours. Cet aspect protéiforme du discours et de
l’échange sont des points que nous sommes amenés à aborder plus particulièrement en cours de
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français. Cependant, au-delà de ces aspects formels, la conscience du lien existant
intrinsèquement dans le texte entre ce qui est dit et la forme choisie par l’auteur est une base de
travail qui, peut-être, peut parvenir à éveiller une volonté d’être celui qu’on entend, qu’on
comprend et qu’on respecte pour cela.
Bibliographie
• La lecture à haute voix, Georges JEAN, éditions de l’atelier, 1999
• L’Oral au collège, Jean-Jacques BESSON, Collection 36, CRDP Académie de
Grenoble, 1999
Sites internet visités
• activités de lecture au collège : http://www.ac-versailles.fr/pedagogi/Lettres/lirecoll.htm
• site weblettres : http://www.weblettres.net/sommaire.php?entree=1&rubrique=21
• œuvres conseillées par le Ministère de l’Education Nationale :
http://www.istp.org/studentlife/classpages/LectureCollege/Lecture.html
• dossier des Cahiers Pédagogiques : http://www.cahiers-
pedagogiques.com/article.php3?id_article=678
• ateliers lectures envisagés dans d’autres disciplines que le français :
http://www.lecture.org/productions/revue/AL/AL71/page32.PDF