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métaphysique des simples

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  • La mtaphysique des simples

    La mtaphysique des simples est valable.Nous ne disons pas que les simples ne se trompent jamais, que le

    bon sens suffit tout, qu'un homme intelligent est capable de r-soudre les questions les plus difficiles sans les avoir tudies labo-rieusement, que les spcialistes sont inutiles, voire nuisibles.

    En ralit, tout homme est faillible. L'erreur vient souvent d'uneprcipitation : on veut trancher trop vite dans des questions o l'onn'est pas comptent. La vanit peut exister tous les niveaux d'in-struction. Lorsqu'elle se trouve dans l'homme de la rue, le dangerd'erreur sera plus grand que chez un spcialiste, parce que les fron-tires resserres du domaine connu par l'homme de la rue seront plusvite franchies.

    En revanche, si l'homme de la rue est modeste, il se taira judicieuse-ment ; et si le spcialiste est vaniteux, il voudra que son domaine pro-pre soit coextensif tout le connaissable. Cette assertion norme serencontre par exemple chez les no-positivistes et chez certains sa-vants.

    L'homme de la rue est tout de mme un homme et pas une bte. Lepeu qu'il sait, il le sait. De son ct, le spcialiste peut avoir oubliles origines de sa propre connaissance, l'poque o il tait un hommede la rue. Il peut ainsi devenir un hypercritique par rapport aux con-victions spontanes des simples. A quoi le simple opposera son intui-tion authentique ; et un autre spcialiste, alli du simple, montrera com-ment discerner l'authenticit de cette intuition sans la confondre avecune impression vague ou une habitude extrapole ou une mode plusou, moins tyrannique. Ce discernement se fera notamment, commenous le verrons, par une rtorsion .

  • 674 G. ISAYK, S. J.

    I. CRITIQUE ELEMENTAIRE

    Nous prendrons le simple le plus simple : un enfant normal arriv l'ge de trois ans.

    1. Dialogue avec un en'fcunt.

    L'enfant de trois ans comprend les questions suivantes, car il yrpond correctement dans les circonstances les plus varies :

    De quoi parles-tu? (ce qui revient lui demander quel est le sujet de saproposition).

    Qu'en dis-tu? (quel est le prdicat7). Est-ce vrai? En d'autres termes, l'enfant comprend si on lui dit ; Tu as

    raison, tu as ton, c'est faux, tu te trompes , etc.L'enfant dira aussi : Ceci est bon et cela est bon aussi. Je ne veux pas cette

    balle-d, je veux celle-l . Dans ces phrases interviennent les notions d'indivi-dualit et d'universalit.

    L'enfant connat aussi la diffrence entre oui et won. Par exemple, il protes-tera contre les refus, quitte abuser lui-mme des rponses ngatives.

    II pose des questions et attend des rponses. Il n'est pas content si la rponsese tait attendre. Il rpond lui-mme des questions.

    Il comprend et emploie des propositions universelles et des propositions hypo-thtiques. Il connat le sens des mots tels que tous, toujours, si (hypothtique).

    Il comprend et emploie des syllogismes. < Maman, j'ai t sage, donne-moi unepomme... Tu avais dit que, si j'tais sage, tu me donnerais une pomme...

  • LA MTAPHYSIQUE EES SIMPLES 675

    2. Une liste de principes.

    On peut retrouver dans ce que sait l'enfant ce qu'un philosophecritique ou un logicien appellerait les premiers principes. "En voiciquelques-uns.

    1. Le principe de la strwtwe synthtique du jugement. II m'arrive de pr-tendre avoir raison; et dans ce cas, je parle de quelque chose et j'en dis quelquechose .

    Convenons d'exprimer cela en termes techniques. Il m'arrive de faire des jugements ; ceux-ci comportent une assertion (une prtention de vrit oud'objectivit); l'assertion porte sur une synthse de < sujet et de prdicat.

    .Sujet et prdicat s'appellent termes du jugement. Ce qui est dans le jugementsans tre dans les termes sera dit < exerc dans le jugement, vcu dans le juge-ment.

    Le jugement rflexe est celui, qui' prend comme terme (ou comme termes)tout ou partie de ce qui n'tait qu'exerc dans un autre jugement.

    2. Le principe de faillibilit : < il m'arrive de me tromper.. 3. Le principe d'objectivit : il ,y a des jugements vrais. Ceci est affirmcontre le scepticisme universel. Bien entendu il ne faut pas confondre le principed'objectivit avec l'erreur que voici,: Tous les jugements sont vrais.

    4. Le principe de contradiction. Le sens habituel (par exemple chez l'enfant)de la ngation est qu'il y a opposition de contradiction entre le jugement ngatifet le Jugement que nie ce jugement ngatif. L'opposition 'de contradiction con-siste en ced : II s'agit d'une paire de jugements tels que l'un des deux au moinssoit faux (principe d'incompatibilit), et tels que l'un des deux au moins soitvrai (principe du fiers exclu). ,

    5. Le principe du prdicat, universel. ; II y a des jugements dont le sujet estsingulier, individuel, non universel, et dont le prdicat est, universel, et qui ce-pendant sont vrais. Comme un tel jugement affirme son sujet comme singu-lier, il nie que Vwversalif du prdicat soit valable du sujet (tout en affirmantque le prdicat lui-mme est valable du sujet).

    6. Le principe du sujet universel, ou principe du Jugement universel, ou prin-cipe du syllogisme : II y a des jugements vrais dont le sujet est universel .

    L'universel est pris id au sens de l'applicabilit- Un jugement universel est unjugement applicable a, des cas particuliers; en d'autres termes, dans ces Jugementsle mot < tous signifie chacun . Par exemple : < toutes les faces du d correct,sans exception, ont une chance sur six de gagner au prochain coup .

    Dans un syllogisme, la proposition universelle qui sert de majeure dit djimplicitement que le syllogisme est valable. Admettre la valeur universelle d'unemajeure, c'est admettre qu'elle est applicable au cas concret exprim dans la mi-neure. Ce qui est admettre virtuellement la conclusion.

    Bien entendu le principe du syllogisme ne signifie pas que tous les syllogis-mes soient valables. Sur les 256 espces de syllogisme simple, il y en a au moins232 qui ne sont pas valables.

    Et nous pourrions continuer.

    Passons immdiatement au premier principe de l'ordre moral : IIy a une obligation morale, il faut faire le bien, il faut viter le pch .

    Ce dernier principe n'est pas connu par l'enfant aussi tt que lesprincipes de l'ordre spculatif.

  • 676 , G. ISAY,, S. J.

    3. Les premiers principes sont-ils vrais?

    Ils sont vrais. Point n'est besoin, de raisonner pour le savoir. End'autres termes, nous connaissons leur vrit par une exprience im-mdiate, par une intuition.

    Et tout homme qui se sert de son, intelligence, saisit les premiersprincipes de l'ordre spculatif. Et tout homme arriv l'ge de laraison morale saisit l'obligation morale (encore ne faut-il la confon-dre ni avec la pression sociale ni avec la force de l'exemple).

    Mais c'est ici qu'intervient le spcialiste hypercritique.

  • I,A MTAPHYSIQUE DES SIMPLES - 677

    lat d'Euclide, l'intuition de certaines lois dites classiques de la m-canique, ces intuitions ne sont pas ncessaires, ce ne sont que deshabitudes d'esprit. On peut parfaitement poser une objection contreelles sans les concder par le fait mme. Par contre, la rtorsion con-sistait prcisment montrer, dans l'adversaire hypercritique des pre-miers principes, qu'il avait, lui, l'intuition des premiers principes etque cette intuition lui tait ncessaire pour qu'il pt poser son objec-tion. Il s'agissait d'une ncessit absolue pour l'exercice de l'intellec-tion, tandis que l'habitude euclidienne n'est pas une ncessit absoluepour n'importe quel exercice de l'intellection.

    Dans ce qui prcde, nous avions la partie belle. Il s'agissait d'in-tuitions. Reste voir si le simple arrivera faire en mtaphysiquedes raisonnements valables.

    Notons dj ceci : le simple fait des syllogismes valables. Et nouspourrions dfendre la valeur de cette opration exactement par lamme mthode qui nous a servi pour dfendre le principe de falli-bilit.

    Passons donc aux diffrentes parties de la mtaphysique.

    II. .ONTOLOGIE ELEMENTAIRE

    L'ontologie comprend quatre questions principales : l'analogie, lesproprits de l'tre en tant qu'tre, la structure relle de l'tre impar-fait, la causalit.

    La thorie de l'analogie, au fond, est une rflexion sur la maniredont on prouve l'existence de Dieu. Nous ne l'exposerons donc pasici. II suffira de voir si la preuve de l'existence de Dieu est valable.De mme le principe de causalit sera expos l'occasion de la tho-dice lmentaire. Il reste deux questions.

    1. Proprits de l'tre.

    Dans ce rsum, nous omettrons l'unit. Nous considrerons doncl'intelligibilit, la bont, l'activit de l'tre,

    Et d'abord tout tre (tout existant) est intelligible.Le simple exprimera facilement sa conviction en rptant : C'est

    comme cela ! C'est comme je vous l'ai dit ! En d'autres termes : Laralit objective est telle que je vous l'ai dit. Mon jugement s'estconform la ralit objective .

    En d'autres termes, existant et affirmable sont poss simul-tanment dans le jugement comme jugement. Ces deux termes ont

  • 678 G. ISAYK, S. J.

    donc la mme extension (valent pour les mmes choses) : tout exis-tant est affirmable, et rciproquement.

    Comparer l'intuition par laquelle je sais ceci : le color est visible,le sonore est audible (tandis que je n'entendrai jamais le bleu, et queje ne verrai Jamais le timbre de la clarinette). De mme, ^existant-est affirrnable.

    L'intuition rflexive de la convertibilit entre existant et affirma-ble a lieu plus facilement si l'on compare l'assertion comme telle auprdicat universel.

    Si, dans les termes d'un jugement, je fais abstraction de l'indivi-dualit, alors je ne considre plus que l'universel (aurait dit M. de,laPalisse). Ceci n'est en fait ni. par personne, tellement cette intuitions'impose. Par exemple, l'Empire State Building est une constructionhaute de '380 mtres : ce prdicat est, de soi, universel. Sans doute,je ne puis pas en conclure qu'il 'existe effectivement une deuxime construction haute de 380 mtres ; je puis seulement dire que laquestion .est ouverte. (Il se fait que, pour l'instant, d'autres informa-tions me permettent de la rsoudre ngativement),

    De mme, dans mon jugement, ce qui limite l'assertion ou l'affir-'mtion (en la diffrenciant des autres affirmations), ce sont les ter-mes. Si donc je considre l'affirmation comme telle en faisant abstrac-tion des termes, je fais .abstraction de la limite (aurait dit M. de laPalisse). Sans doute, je ne puis pas en conclure immdiatement, que^par exemple. Dieu (l'tre qui exclut toute limite) doive tre affirm;mais la question est pose. Et elle est pose par la structure mmede mon opration intellectuelle, de mon jugement.

    Exposons la mme chose en prsence d'une objection. Voyons ce que signifiela proposition de tel adversaire : Dieu n'existe pas ; la totalit de ce qui existeest limite . Ou encore cette proposition d'un autre adversaire : Dieu est in-connaissable pour moi; la totalit de l'affirmable est limite. On ne peut poserla ngation latente sous ces limitations que par opposition un certain positif,

    , un certain au-del de la limite comme limite. Bien entendu, ce positif n'est pas.par exemple l'affirmation actuelle de l'existence de Dieu, de l'tre infini; maispour autant que l'objectant veut affirmer la totalit du connu comme limite,ce positif, cet au-del, doit tre un certain genre d'illimit, Non pas un infinipositif actuellement affirm, mais un achvement possible de ma recherche in-tellectuelle. Bref, fini signifie pas encore satisfaisant pour roa tendanceintellectuelle. Donc, pleinement satisfaisant pour ma tendance intellectuelle(satisfaction que je n'ai pas pour le moment) , ce sera l'a infini, Dieu.

    Ced ne prouve pas encore l'existence de Dieu. Mais la thodice pourra ache-ver la preuve.

    Le simple le sait bien : toute question exprime un dsir de savoir,et toute c&nnaissance limite en tant que limite ouvre de nouvellesquestions. Bref, J'ai le dsir de tout savoir; mme si, dans l'ordrefkff-inftInfrImiA f fifte fni-HtfBf nri'w am rimant & riartfiflf m^afna

  • LA MTAPHYSIQUE DES SIMPLES 679

    questions pour mieux en rsoudre d'autres plus urgentes. Et partirde ces constatations, le spcialiste peut tirer une conclusion, savoir,ce qui serait capable de satisfaire pleinement mon dsir intellectueldoit tre illimit.

    En second lieu, iout tre (tout existant) est bon.On pourrait le prouver en rflchissant sur l'acte de volont et son

    rapport l'intelligence. Cette preuve est omise dans nos pages.Mais on peut aussi le prouver comme suit. Pour l'intelligence, toute

    nouvelle connaissance est un bien; et mme, la premire notion intel-lectuelle du bien est .celle que nous avons en rflchissant sur la re-cherche intellectuelle : quaerere , poser une question, c'est .affir-mer que la rponse est dsirable, que la rponse sera un bien.

    Et puisque la rponse sera un jugement (et tout Jugement peut treconsidr comme la rponse une question qui se poserait), cette r-ponse affirmera un existant comme indpendant de moi, comme ob-jectif, comme en soi . Le bien que m'apporte le jugement est doncfonction de l'existant lui-mme, dpend de l'existant lui-mme. L'ob-jectivit du jugement est un bien pour moi. En ce sens, l'existant ensoi est un bien pour moi.

    Donc tout intelligible est un bien pour moi. Or tout existant estintelligible. Donc tout tre est bon-

    On voit galement que plus un tre est positif (et notamment, plus-un tre est parfait), et plus cet tre est intelligible et bon. Nous allonsvoir qu'il est aussi plus actif. , , , ,

    Tout tre est actif. . .Le premier sens mtaphysique du mot action , c'est l'action in-

    tellectuelle (ou encore cette autre action qu'est la dcision libre). Com-ment arrive-t-on employer le mme mot action pour les autrestres, depuis les minraux jusqu' Dieu? Par la constatation d'unedpendance, d'une rception.

    Nous l'avons vu, c'est intuitivement que nous connaissons la valeurdu raisonnement syllogistique. L'action intellectuelle par laquelle j'ad-mets la conclusion n'est pas une affirmation gratuite : c'est une affir-mation lgitime parce que cette action dpend d'une autre action, in-tellectuelle (celle par laquelle j'admets les prmisses).

    Soit maintenant un jugement lgitime, mais qui n'est pas la con-clusion d'un raisonnement. En posant ce jugement comme lgitime,comme non arbitraire, j'affirme (comme dans le raisonnement) quecette action dpend d'autre chose, i Cette fois, l'autre chose n'est pasun systme de prmisses; le jugement tant pos comme immdiat,l'autre chose est l'objet lui-mme. Je me dclare rceptif l'gard del'objet. Je dclare que l'objet agit sur moi. Par exemple, quand je

  • 680 G. ISAY, S. J.

    dclare que ce papier est blanc, j'avoue que je suis forc de Jugerainsi : le choix entre blanc et noir ne dpend pas d'un dcret arbitrai-re, mais de l'objet lui-mme- Et c'est bien ainsi que le comprend l'hom-me de la rue.

    Ainsi affirmer un objet comme objet, c'est l'affirmer comme agis-sant sur moi.

    Si un adversaire hypercritique nie ma thse, il emploie des sons oudes signes pour me faire considrer son objection et me faire admettresa thse. Si j'ai mal lu ou mal entendu, il me forcera rectifier : bref,il agira sur moi... et concdera par le fait mme ma propre thse.Mes constatations exprimentales comportent bien une rceptivit,une dpendance l'gard de l'objet que je constate; dans le cas pr-sent, c'est une dpendance l'gard de celui qui prononce les phrasesde l'objection.

    Plus un tre est positif, et plus il est intelligible. Mais plus il estintelligible, plus il est affinnable et plus il agit sur moi. Donc plus untre est parfait, plus il agit sur moi. C'est le sens de l'adage scolasti-que : operari sequittir esse ; du moins c'est l'un des sens de cetadage.

    2. Structure relle de l'existant imparfait.

    La composition d'acte et de puissance est le scandale de l'aristot-lisme. Qu'entre l'tre et le nant, on puisse insrer un intermdiaire^un rel vraiment rel qui ne soit pas un existant, cela parat une sub-tilit vaine et impossible fonder, cela parat le dlire de l'intelligenceabstractive, la rification des concepts, le simplisme qui oublie lescomplexits concrtes.

    Or, Aristote a tout bonnement voulu dire ce que l'homme de la rueadmet couramment : il y a des tres rellement complexes. Et Aristoteest tellement oppos au simplisme que, selon lui, les lments de cettecomplexit relle ne sont pas semblables. Un lment a un rle pluspositif que l'autre. L'acte a un rle plus parfait, plus positif que lapuissance.

    Etablissons cette thse dans le cas le plus immdiat : celui o l'ondcouvre la distinction relle entre le suppositum et les accidentsphysiques .

    Voici ce que peut se dire l'homme de la rue,Lorsque, m'tant pos une question, j'arrive apprendre la rpon-

    se, le jugement qui est la rponse est une opration relle. Quelqu'unqui connat la rponse est rellement diffrent de quelqu'un qui neconnat pas cette rponse.

    L'opration rponse est rellement nouvelle. Elle n'avait pas deralit au moment o je me posais la question. Ceci est immdiate-

  • u MTAPirysiQui': DRS SIMPLES 681

    ment vident. Si se poser une question, tait rellement la mme choseque connatre la rponse, tous les lves auraient 10 sur 10 l'exa-men : car le professeur fournit la question; l'lve sait donc quelleest la question ; et par hypothse il saurait d mme coup la rponse !De mme, lorsque l'adversaire hypercritique de cette thse ou d'uneautre thse pose son objection, il veut m'amener admettre sa rponse( la question que nous posions tous les deux), il veut rellement mefaire admettre son avis, il veut me changer rellement. Bref, une r-ponse que j'apprends est une ralit nouvelle.

    D'autre part, j e posais la question et j e connais maintenant ,la r-ponse ; ce moi est une ralit non nouvelle. C'est immdiatement vi-dent. Si le moi qui doit connatre une rponse n'tait pas le moi quise pose la question, s'il suffisait qu'un autre moi connaisse ia r-ponse, tous les lves auraient encore 10 sur 10 l'examen; car l'l-ve se pose la question, et il y a quelqu'un qui connat la rponse : leprofesseur (du moins, esprons-le!). De mme, mon adversaire hyper-critique veut que moi, qui ne suis pas encore de son avis, j e finissepar tre de son avis. Ce j e est identiquement ce moi. Bref, le moi quiapprend, c'est le moi qui ignorait; ce n'est pas une ralit nouvelle.

    Donc, rellement le moi n'est, pas son opration intellectuelle. Cequ'il fallait dmontrer.

    Le mme argument vaut pour les autres oprations (votition libre, action desfacults infrieures).

    Il vaut aussi pour les habitus acquis, vertus, sciences. Quelqu'un qui con-nat les mathmatiques, mais qui pour, le moment est endormi ou pense autrechose, est rellement diffrent de quelqu'un qui ne les connat pas. De mme,un homme profondment sincre, ou probe, ou dvou, mais qui n'exerce pas sesvertus pour le moment, est rellement diffrent d'un menteur invtr, ou d'unvoleur, ou d'un goste. Or une science, ou une vertu, peut s'acqurir progressi-vement. Elle sera, dans le moi devenu savant ou vertueux, une ralit nouvelle.Or le moi sera rellement ce mme moi qui autrefois ne possdait pas cettescience ou cette vertu.

    De proche en proche, on tendrait la dmonstration aux dispositions' inneset aux facults opratives.

    En termes techniques, toutes ces ralits sont appeles accidents physiques paropposition au moi qui est appel suppositum. Une personne n'est pas autre chosequ'un supposituni dou d'intelligence.

    Outre la composition de substance et d'accident, il y a d'autres complexitsrelles : actus essendi et essence, forme substantielle et matire premire. Lacomposition d'acfus essendi et d'essence est trop subtile pour que nous en parlionsau simple. La question de la forme et de la matire se retrouvera en psychologie.

    3. Dpendance, relation.

    Sans tablir ici le principe de causalit, rappelons que nous avons recontr, enexposant les proprits de l'tre, des dpendances et une finalit. Mon adhsionrelle une conclusion dpend de mon adhsion relle aux points de dpart.Mon exprience immdiate relative un certam objet, si elle est lgitime, et non

  • 682 G. 1SAYE, S. J.

    arbitraire, dpend de cet objet. D'autre part, lorsque Je me pose une question, jecherche la rponse comme un enrichissement rel, comme un bien, comme unbut, comme une fin. L'homme de la rue fait toutes ces expriences.

    La dpendance est une relation . La notion de relation est la plus subtile detoute la mtaphysique. N'insistons pas,, sauf deux remarques.

    Les mtaphysiciens parlent d'une relation dite

  • 1.A MTAPHYSIQUE, DES SIMPLES 683

    Nous caractrisons la matire par une rceptivit. Mais il y a plu-sieurs espces de rceptivit ou de dpendance.

    Lorsqu'un ange connat, il agit. Dans cette action, il dpend deDieu. Cette dpendance ne sera pas attribue la matire premire.Peu importe quoi le spcialiste va l'attribuer.

    Ce qui nous intresse ici, c'est que dans sa connaissance un angene doit rien recevoir des objets sensibles. L'ange ne doit pas ap-prendre .

    Par contre je dois * apprendre ', et par une rceptivit d'ordre sen-sible. Tous les simples le savent bien : pour que je voie ou pour quej'entende, je dois subir une influence de l'objet extrieur. La rcepti-vit que je manifeste ainsi est caractristique de la matire premire.Nous pouvons la considrer comme l'quivalent d'une dfinition de,cette matire premire. En ralit, ce n'est qu'une proprit.

    Bien entendu, le simple peut savoir aussi que les individus corporelsdistincts de lui-mme, y compris les individus humains/possdent lamme rceptivit, la mme matrialit.

    2. Ce qui caractrise l'homme : rflexion, moralit.

    L'animal connat : il voit, il entend... il sait. Mais l'homme, lui,non seulement sait, mais t7 sait qu'il sait. C'est ce que nous appelleronsla rflexion.

    Cette caractristique ne sera pas conteste ( ceci prs que d'au-cuns voudront peut-tre retendre aux animaux suprieurs; nous nediscuterons pas ce point).

    La seconde caractristique de l'homme c'est qu'il est dans un ordrede moralit. '

    Les simples le savent bien : l'homme est soumis une obligationmorale, un devoir. Comment le sait-on? Par intuition; point nces-saire de raisonner ici.

    Et cette intuition n'est pas rserve quelques privilgis. Lessimples aussi sont soumis au devoir. Or pour tre oblig, il faut savoirqu'on est oblig. Donc les simples connaissent l'obligation morale.Concernant la religion, il y avait autrefois un certain slogan : Avingt ans, il choisira . Si l'on appliquait ce slogan la question del'obligation morale, si l'homme devait attendre l'ge adulte pour sa-voir s'il y a une obligation morale, pendant vingt annes de sa vie,les vingt premires, l'homme ne serait soumis aucune obligation.Ceci peut tre admis pour la plus tendre enfance, mais pas pour lesannes suivantes.

    Cette intuition de la moralit, tout le monde, disions-nous, la pos-sde. Tout le monde, mme les matrialistes, du moins dans la vieconcrte (en dehors des discours acadmiques). Spontanment, tout

  • 684 G- ISAYE, S. J.

    le monde admet qu'il y a une obligation de sincrit, de probit, depatriotisme, de respect pour la vie d'autrui.

    Ceci est manifeste lorsque l'on fait un examen de conscience. Sou-vent, ce sera l'examen de la conscience du voisin. Par exemple, enpolitique, notamment dans les querelles internationales, rien n'est plusordinaire que les reproches d'immoralit faits un ennemi. Spontan-ment encore, on n'admettra pas des principes tels que : Pas vu, paspris ! Ou encore : La force prime le droit . Le fort n'est paspris; sera-t-il innocent pour cette raison?

    Nous pourrions accumuler les exemples. Nous nous contenteronsd'un seul. Il est pratiquement (et mme strictement) impossible d'ob-jecter ou de discuter si l'on n'admet pas deux devoirs corrlatifs : ledevoir de confiance chez l'auditeur, et le devoir de sincrit chez l'ora-teur. Si Forateur ment, il fait un abus de confiance. Si l'auditeur,sans raison suffisante, refuse sa confiance, il viole illgitimement ledevoir de charit : Nemo mendax donec probetur .

    3. Il y a en moi une ralit spirituelle 2.

    On pourrait dmontrer qu'il y a dans les tres infrieurs l'hom-me une forme substantielle , laquelle est appele une me si elleest un principe vital de plante ou de bte. Nous omettrons ici cettedmonstration. La ralit spirituelle prsente dans l'homme s'appelle-ra aussi une < me , de qualit suprieure videmment.

    Mais, pour les simples, que signifie le mot spirituel ?... Il a deuxsens.

    Il peut signifier d'abord ce qui permet l'homme d'avoir une cer-taine immortalit, ce qui dans l'homme ne meurt pas. Mais alors, ils'agit d'une me qui continue exister alors que son union avec lecorps est rompue. Donc son existence est, dans une large mesure, in-dpendante de son union avec la matire. En termes techniques, ondira qu'elle a son existence wor dependenter a compostione cum nw-teria, ou encore qu'elle a son existence roiofie sui. Ainsi la dfinitiontechnique exprime ce qui se trouvait dj en termes non techniquesdans la psychologie des simples.

    Pour les simples, une ralit spirituelle signifie encore ceci : unechose qui chappe aux lois du monde corporel; concrtement, unechose qui chappe au dterminisme des lois physico-chimiques,

    Ces deux conceptions pourront servir dans la dmonstration. Unedmonstration plus technique s'appuyant sur la premire conceptionutiliserait le fait de la rflexion. Nous l'omettrons ici.

    2. Sur cette question, voir Nouvelle Revue Theologique, novembre 1953, pp.913-836, Les robots et l'esprit; et septembre-octobre 1957, pp. 798-815, Unemtaphysique ^intrieure et rigoureuse.

  • I.A MTAPHYSIQUE DES SIMPLES 685

    Nous donnerons d'abord une preuve qui se base sur la moralit.Il y a un devoir moral. Le simple le sait trs bien. Or ad imposs-

    ble nemo enetur. Donc l'tre qui agit conformment la moralitou qui viole la moralit le fait librement, donc il y a dans cet trequelque chose qui chappe au dterminisme des lois physiques.

    Cette libert mme, le simple en a une connaissance exprimentale.Quand il fait son examen de conscience, il doit voir dans quelle mesu-re il a t responsable, il doit voir dans quelle mesure son action a tune dcision personnelle , une dcision libre. Une raction involon-taire n'est pas imputable; elle n'est ni exercice de vertu ni pch. ,

    Renversons les conditions de l'exprience. Adressons-nous un di-fice minral ou un vivant sans ralit spirituelle; et supposons quenous lui adressions des reproches pour telle ou telle raction qui nenous a pas plu : Tu as manqu ton devoir .

    Si l'individu purement matriel peut rpondre, il dira ceci : D'a-bord, je ne suis pas libre; je n'aurais pas pu faire autrement que jen'ai fait; je n'tais donc pas oblig de faire autrement que je n'ai fait.Ad impossibie nemo tenetur. Donc je ne mrite pas de reproches. Ily a plus : Je mrite des louanges, car j'ai obi ce qui est ma. pre-mire loi, c'est--dire la loi physique. Si J'avais viol une loi physi-que, alors je ne serais pas en rgle. Mais je ne l'ai pas fait, pourl'excellente raison que c'tait pour moi impossible .

    Admettre la moralit au sens strict, c'est bien admettre la libert,et donc une transcendance a, l'gard des lois physiques, une spiritualit.

    Ds lors, un matrialiste, s'il est logique, finira par nier la moralit, malgrle tmoignage de notre conscience et de sa conscience. Par exemple, Jean .Ros-tand : * Toute action humaine est strictement dtermine par le concours del'hrdit et du milieu... Et ailleurs ; La socit a sans doute le droit de seprotger contre les protoplasmes antisociaux. Formule trange chez un mat-rialiste, car enfin s'il n'y a pas de devoir, il n'y a pas de droit non plus. Maispoursuivons la citation : 31 faut bien que la socit sache que, lorsqu'elle croitchtier un homme, elle ne punit jamais qu'un uf ou des circonstances.

    Le mme Jean Rostand a dit ailleurs : < Si nous avons une me immortelle,il faut aussi qu'il y en ait une dans les infusoires qui habitent le rectum desgrenouilles .

    Oui... si Jean Rostand peut nous dmontrer que les infusoires susdits possdentune moralit au sens strict! Ou encore s'il peut nous dmontrer que les infu-soires possdent une rflexion! Ceci nous mne notre autre argument.

    L'homme sait qu'il sait.Il se saisit donc. Ce qui est plus que voir que j'ai des mains . Il

    s'agit de saisir le moi dans son unit.Or une facult matrielle (telle que la sensibilit) a besoin d'un

    organe qui soit intermdiaire entre le connaissant et le connu. Parexemple quand je vois, grce mes yeux, ma rtine, mon nerfoptique, que j'ai des mains, j'ai d me servir d'un organe. Or un or"

  • 686 G. ISAYE, S. J.

    gane, un intermdiaire, peut bien rapprocher deux ralits distinctestelles que la vision et mes mains, mais il ne peut pas rapprocher unmoi de ce mme moi.

    On dit bien : Je me vois par l'intermdiaire d'un miroir , Enralit, Je vois dans le miroir une silhouette qui n'est pas moi', et ilfaudra l'quivalent d'un raisonnement (devenu rflexe conditionn)pour que ce reflet me conduise une image de mon corps, laquellea t elle-mme associe ( travers tout un apprentissage) avec le vraimoi, le moi dont j'ai par ailleurs et dont j'avais d'avance une intui-tion intelligible. C'est cette intuition qui se passe d'organe. C'est elle quiest spirituelle.

    Il y a plus : l'homme sait qu'il sait en ce sens qu'il peut se justifiersa connaissance, en tablir la valeur. C'est ce que nous avons fait encritique .lmentaire.

    Or, un difice purement matriel ne peut pas justifier sa connais-sance .

    En effet, le premier principe auquel obit un minral, c'est le prin-cipe de l'existence des lois physiques. C'est quivalemment le principede l'induction. Or demandons un robot de nous Justifier ce principe.Le robot va faire fonctionner ses rouages et finalement faire appa-ratre un voyant que nous interprterons comme un oui, le principede l'induction est vrai . Mais tout ce fonctionnement qui aboutit la rponse affirmative n'est lui-mme digne de confiance que si l'onadmet par avance la fidlit du robot des lois physiques, c'est--diresi l'on admet par avance le principe de l'existence de lois physiques.Bref, le robot n'a pu faire qu'un parfait cercle vicieux.

    Et mme, supposons que le principe de l'induction soit tabli. Ilreste encore ceci : Un mcanisme logique peut fonctionner correc-tement comme mcanisme, donc en gardant sa fidlit aux lois physi-ques, mais fonctionner incorrectement comme machine a, raisonner .Car il est possible, et mme facile, de construire une machine .qui raisonne selon une mauvaise logique ; par exemple, selon une lo-gique en contradiction avec le principe du tiers exdu.

    Or la structure fondamentale d'une machine dpend intgralementdu constructeur ; celui-ci pouvant tre, si l'on veut, un hasard aveugle.Et la machine ne pourra jamais exclure l'hypothse selon laquelle leconstructeur l'aurait combine pour qu'elle raisonne selon une mauvai-se logique. Car cette hypothse peut parfaitement se raliser. Il reste-rait donc toujours un doute.

    Donc un difice purement matriel ne pourra jamais fournir unejustification critique de ses premiers principes. Or nous l'avonsvu, l'homme est capable de fournir pareille justification. Donc il y adans l'homme une ralit qui dpasse la ralit purement matrielled'une difice purement matriel : minral, ou vgtal, ou animal.

  • LA MTAPHY81QUS DSS 8IMPI.BS ' 687

    4. Z/d^ AMmain^ immortelle.Les simples admettent rimmortalit notamment pour des raisons de

    moralit.Nous savons- par la morale qu'une sanction est ncessaire ; nous ne

    le dmontrerons pas ici; les simples s'en rendent compte spontan-ment. D'autre part, nous savons par exprience que la sanction ter-restre est insuffisante. Donc l'me vit encore aprs la sparation desdeux composantes de l'homme.

    Mais cette vie de l'me doit-elle durer toujours? On peut le devi-ner d'aprs le caractre absolu de l'obligation morale. On peut aussis'en rendre compte par les considrations suivantes.

    Anticipons sur la thodice. Elle nous dit que Dieu a cr tout lemonde corporel. Quel est le finis ulmus cm d cette cration; c'est--dire, quel est l'tre qui, en fin de compte, en profitera, en sera heu-reux?

    Dieu? Il n'y gagne rien.L'ange ? Il gagne quelque chose sa propre cration. Il ne gagne rien

    ta cration du monde corporel. 'Les animaux, les plantes, les minraux? L'homme ne peut pas leur

    tre subordonn. ' i ,Le genre humain comme tel ? Cette hypothse, comme la prcdente

    d'ailleurs, est exclue pour deux raisons. D'abord, parce que l'individuhumain a une intelligence capable de comprendre Dieu lui-mme,l'Etre infini; donc la personne humaine ne peut pas tre sacrifie ''autre chose. En outre, parce que la personne humaine est libre et doitavoir la matrise de son opration; cette matrise ne peut pas tre don-ne un autre, pas mme un autre homme, pas mme la collectiondes autres hommes.

    Pour ces raisons, l'individu humain ne peut pas tre un simplemoyen pour un autre tre.

    Mais alors, l'me humaine tant finis utimits cui ne peut prir.Car tout ce qui se fait dans le monde matriel a pour but de la ren-

    dre heureuse. Cest cela que Deu .veut. Or la mort de l'me ne la ren-drait pas heureuse.

    On pourrait objecter par une supposition : l'me deviendrait par-faitement heureuse un moment, et ensuite Dieu cesserait de la con-server dans l'existence.

    Mais dans ce cas, l'me ne serait pas parfaitement heureuse. Car,ou bien elle saurait qu'elle va mourir et elle en serait malheureuse ;ou bien elle ne le saurait pas et cette ignorance elle-mme serait unmal.

    Ces considrations ne font qu'expliciter le dsir du bonheur. Sansdoute, certains existentialistes dclarent ce dsir absurde. Mais alors,

  • 688 G. ISAYE, S. J.

    toute recherche de vrit, par exemple la recherche selon l'existen-tialisme, est absurde ! De plus, selon le mot de saint Augustin, Fe-cisfi nos ad Te , il faudrait dire finalement que si l'immortalit estabsurde, Dieu lui-mme est absurde.

    Ceci nous amne la theodice.

    IV. THEODICE ELEMENTAIRE

    Nous n'exposerons qu'un argument. Au pralable nous ferons deux remarques.Et d'abord une objection. Si Dieu, tre parfaitement bon et tout-puissant

    existait, il n'y aurait Ras de mal.Cette objection, les simples la posent souvent. Encore faut-il distinguer l'ob-

    jection spculative et le dsir subconscient. Souvent, ce que l'on demande sansle dire, c'est, ou bien la suppression de ce qui fait souffrir, ou du moins unanesthsique. Cela regarde un mdecin ou un bienfaiteur ou un thaumaturge-Mais le philosophe n'est pas comptent. Par contre, la foi chrtienne centre surle Sacrifice rdempteur peut faire accepter la souffrance sans la supprimer ;l'expiation pour soi et pour le prochain en union avec le Christ souffrant

    Quant la difficult spculative, il faut encore distinguer. Ou bien il s'agitd'un mal physique, plus prcisment d'un mal distinct du pch. Alors c'est unepreuve. La bont divine veut nous donner plus tard cette joie spirituelle, et donccette joie plus haute3, d'avoir mrit notre bonheur. Quant au pch, le philo-sophe ne peut pas l'expliquer, c'est--dire le-rendre rationnel. L'origine du pch,c'est l'irrationnel accept par le pcheur.

    Notre seconde remarque concerne une preuve de l'existence de Dieu admisepar les simples. Il s'agit de Yargwment moral. Voici les expriences qui inter-viennent successivement dans ce raisonnement.

    I! y a une obligation morale.L'obligation morale est une dpendance tout comme l'mtellection est une d-

    pendance (voir l'ontologie lmentaire). Elle a donc une cause (finale) ou unesrie de causes.

    Dans cette srie, il y a une cause (finale) dernire; toute comrne, dans lesintellections, il faut une intellection premire.

    La cause finale dernire du bien moral est la cause de tout bien, car tout biendoit tre subordonn au bien moral

    Cette cause finale dernire doit tre le Bien suprme, Bon-wm a qw cunctabona procdt, c'est--dire Dieu-

    Tout cela est trs rsum4. Nous avons voulu consacrer tout l'es-pace diponible un seul argument : celui qui considre l'ordre dumonde. Il sera instructif de comparer cet gard les ractions d'unsavant et les ractions des simples.

    Notre propos n'est pas de commenter le texte vanglique abscondisti haec asapientibus et prudentibus et revelasti ea parvulis . Les savants ne sont pas de

    3. Il n'est pas trs lev, l'idal selon lequel le Seigneur se bornerait rcom-penser dans la crature une vie de coq en pte.

    4. Voir La finalit de l'intelligence et l'objection kantienne, dans la RevuePhilosophique de Lowuain, fvrier 1953, pp. 42-100; notamment pp. 96-100.

  • I.A MTAPHYSIQUE DES SIMPLES 689

    faux sages, ils ne sont pas des suffisants, pas plus que l'homme de la rue, pasplus que l'artiste, S'il faut citer un texte scripturaire, nous songerions pluttau De Profundis : Mon me attend plus srement le Seigneur qu'un veilleurn'attend l'aurore. Si l'on attend l'aurore, c'est parce que l'on admet les loisphysiques. Eh bien, comparons le savant qui prdit en vertu des lois physiquesles phnomnes futurs et l'homme qui attend le Seigneur.

    1. Une lettre d'Einstein.

    Le 30 mars 1952, Einstein crivait Maurice Solovine :

    Vous trouvez curieux que je considre la comprhensibiUt du monde (dansla mesure o nous sommes autoriss parler d'une telle comprhensibilit) com-me un miracle ou comme un ternel mystre. Eh bien, priori on devrait s'at-tendre un monde chaotique, qui ne peut en aucune faon tre saisi par la pen-se. On pourrait (oui, on devrait) s'attendre ce que le monde soit soumis la loi dans la mesure seulemeni: o nous intervenons avec notre intelligenceordonnatrice. Ce serait une espce d'ordre comme l'ordre aphabtique des motsd'une langue,

    Si un canal est rectiligne, si un gratte-ciel est vertical, c'est que l'in-telligence du constructeur a impos un ordre la matire. Mais lemonde que le savant dcouvre n'a pas t fait par l'homme. Et pour-tant les thories conues par l'intelligence humaine existent; et lemonde rpond ces thories!

    < L'espce d'ordre, par contre, cr par exemple par la thorie de la gravita-tion de Newton est d'un tout autre caractre. Mais si les axiomes de la thoriesont poss par l'homme, le succs d'une telle entreprise suppose un ordre d'unhaut degr du monde objectif qu'on n'tait, priori, nullement autoris atten-dre. C'est cela le miracle, qui se fortifie de plus en plus avec le dveloppe-ment de nos connaissances. C'est ici que se trouve le point faible des positivisteset des athes professionnels, qui se sentent heureux parce qu'ils ont la conscience,non seulement d'avoir avec plein succs priv le monde des dieux, mais aussi del'avoir dpouill des miracles .

    Jusqu'ici nous avons la partie positive de la lettre. Mais l'emploides mots miracle et mystre a une saveur religieuse ; Einsteinveut rester savant et rien que savant. Il ajoute :

    < Le curieux, c'est que nous devons nous contenter de reconnatre le mira-cle , sans qu'il y ait une voie lgitime pour aller au-del. Je me vois forcd'ajouter cela expressment, afin que vous ne croyiez pas que, affaibli par l'ge,je suis devenu une proie des curs,

    2. Le veilleur attend l'aurore.

    Ce veilleur c'est le savant. Selon le mot de Poincar : Avant tout,le savant doit prvoir .

    Le savant sait que le matin viendra. C'est qu'il a fait une induction.Jusqu'ici chaque nuit a t suivie d'une aurore; donc... .