la marche vers la guerre plus que jamais...

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N athan Isaevitch Altman est né en 1889 dans la petite ville de Vinnitsa, non loin de Berditchev, où Balzac épousa Madame Hanska un jour de 1850. Dès son plus jeune âge, il peint. Il étudie à Odessa au Collège des Arts. L’académisme ne lui sied guère. Il quitte l’école en 1907 sans avoir ter- miné ses études. Ses œuvres de 1908, témoi- gnent déjà de ses recherches indépendantes comme « Vesna » (Le printemps). En 1910, le jeune artiste se rend à Paris. Il s’intègre à la « Ruche », véritable colonie internationale de l’art dans le quartier de Montparnasse. n * Trad. yiddish : Nathan Altman Tradition et avant-garde (Suite en page 12). ISSN: 0757-2395 MENSUEL ÉDITÉ PAR L’U.J.R.E. PNM n° 368 - Septembre 2019 - 37 e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d’antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient, basée sur le droit de l’État d’Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État. Plus que jamais mobilisation ! par Jacques Lewkowicz C e qui frappe, en cette rentrée politique, c’est l’écart grandissant entre les principaux problè- mes que l’humanité doit affronter et l’incapacité qui caractérise les dirigeants de ce monde à les résoudre, et même leur acharnement à les aggraver. Nul ne peut ignorer aujourd’hui les menaces qui pèsent sur l’écosystème terrestre et l’urgence des mesures à prendre pour le préserver alors pourtant que l’administration Trump, notamment, s’obstine à nier les faits tandis que les mesures prises dans d’autres pays apparaissent bien insuffisantes. À l’origine de ceci, on trouve une logique : celle d’une allocation des richesses soumise à la recherche du profit monétaire maximum le plus immédiat au détriment de l’objectif de préservation de l’intérêt collectif de l’humanité. C’est cette logique qui a conduit Trump à enclencher une guerre commer- ciale dont les retombées, à ce jour difficiles à cerner, ne peuvent être que négatives par l’incertitude qu’elle engendre. C’est cette même logique de profit qui a dicté, en France, la réforme de l’indemnisation du chômage décidée en plein cœur de l’été, pour éviter d’éven- tuelles mobilisations, et qui aboutit à durcir ses conditions d’obtention. C’est toujours cette logique qui conduit le pouvoir macronien à envisager une réforme des retraites dont on trouvera l’analyse en page 4. Par ailleurs, dans l’ensemble de l’Europe, sur la base de l’échec des projets socio-libéraux, on voit se développer des tendances xénophobes et natio- nalistes porteuses de projets politiques dont les normes démocratiques sont le moindre des soucis. Dautre part, les évolutions que l’on peut observer au sein du parti travailliste britannique et à gauche du parti démocrate américain ne sont certes pas des ruptures radicales avec le capitalisme. Mais elles dénotent une volonté d’expansion d’une régula- tion étatique, qui apporterait des protections au monde du travail, rompant ainsi avec le néolibéra- lisme à l’œuvre dans ces pays depuis plus de qua- rante ans. Mais rien n’ira de soi. Le rassemblement dans les luttes – annoncées pour défendre le secteur de la santé et de l’action sociale (11/09) et autour de l’urgence climatique (20 et 27/09) – est la seule perspective raisonnable. Conformément à nos valeurs, il doit nous amener à combattre plus que jamais les sources de division que sont l’antisémitisme et le racisme. n 15/08/2019 ארד * אנט ג אוו אדיציע און אן טר אלטמ נאתאןpar Bernard Frederick L e 1 er septembre 1939, Hitler attaquait la Pologne qui sera réduite et occupée en 36 jours. La France et la Grande-Bretagne déclaraient la guerre au Reich, mais ne bougeaient pas. Les Soviétiques, conformément à un protocole secret du pacte de non-agression conclu avec les Allemands, reprenaient le contrôle des régions qu’ils avaient perdues en 1920. Tout au long de l’année, Staline avait tenté d’obtenir un accord militaire avec Paris et Londres, qui se dérobèrent comme ils l’avaient fait en 1938 à Munich. n (Lire en pages 6 et 7 la première partie de l’analyse de l’historienne Annie Lacroix-Riz) Soldats allemands à bord d'un train à destination de la Pologne. Sur le wagon figure l'inscription : “Nous partons en Pologne pour rosser les Juifs” Il y a 80 ans Hitler attaquait la Pologne La marche vers la guerre Shabès

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Page 1: La marche vers la guerre Plus que jamais mobilisationdata.over-blog-kiwi.com/1/10/37/54/20191106/ob_55bb2e... · 2019. 11. 7. · [1] À noter que la présence juive attestée à

Nathan Isaevitch Altman est né en1889 dans la petite ville de Vinnitsa,non loin de Berditchev, où Balzac

épousa Madame Hanska un jour de 1850. Dèsson plus jeune âge, il peint. Il étudie à Odessaau Collège des Arts. L’académisme ne lui siedguère. Il quitte l’école en 1907 sans avoir ter-miné ses études. Ses œuvres de 1908, témoi-gnent déjà de ses recherches indépendantescomme « Vesna » (Le printemps). En 1910, lejeune artiste se rend à Paris. Il s’intègre à la« Ruche », véritable colonie internationale del’art dans le quartier de Montparnasse. n

* Trad. yiddish : Nathan Altman Tradition et avant-garde

(Suite en page 12).

ISSN: 0757-2395 MENSUEL ÉDITÉ PAR L’U.J.R.E.PNM n° 368 - Septembre 2019 - 37e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 €

La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d’antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient, basée sur le droit de l’État d’Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État.

Plus que jamaismobilisation !

par Jacques Lewkowicz

Ce qui frappe, en cette rentrée politique, c’estl’écart grandissant entre les principaux problè-

mes que l’humanité doit affronter et l’incapacitéqui caractérise les dirigeants de ce monde à lesrésoudre, et même leur acharnement à les aggraver.Nul ne peut ignorer aujourd’hui les menaces quipèsent sur l’écosystème terrestre et l’urgence desmesures à prendre pour le préserver alors pourtantque l’administration Trump, notamment, s’obstineà nier les faits tandis que les mesures prises dansd’autres pays apparaissent bien insuffisantes. À l’origine de ceci, on trouve une logique : celled’une allocation des richesses soumise à la recherchedu profit monétaire maximum le plus immédiat audétriment de l’objectif de préservation de l’intérêtcollectif de l’humanité. C’est cette logique qui aconduit Trump à enclencher une guerre commer-ciale dont les retombées, à ce jour difficiles à cerner,ne peuvent être que négatives par l’incertitudequ’elle engendre.C’est cette même logique de profit qui a dicté, enFrance, la réforme de l’indemnisation du chômagedécidée en plein cœur de l’été, pour éviter d’éven-tuelles mobilisations, et qui aboutit à durcir sesconditions d’obtention.C’est toujours cette logique qui conduit le pouvoirmacronien à envisager une réforme des retraitesdont on trouvera l’analyse en page 4. Par ailleurs, dans l’ensemble de l’Europe, sur labase de l’échec des projets socio-libéraux, on voitse développer des tendances xénophobes et natio-nalistes porteuses de projets politiques dont lesnormes démocratiques sont le moindre des soucis.Dautre part, les évolutions que l’on peut observerau sein du parti travailliste britannique et à gauchedu parti démocrate américain ne sont certes pas desruptures radicales avec le capitalisme. Mais ellesdénotent une volonté d’expansion d’une régula-tion étatique, qui apporterait des protections aumonde du travail, rompant ainsi avec le néolibéra-lisme à l’œuvre dans ces pays depuis plus de qua-rante ans.Mais rien n’ira de soi. Le rassemblement dans lesluttes – annoncées pour défendre le secteur de lasanté et de l’action sociale (11/09) et autour del’urgence climatique (20 et 27/09) – est la seuleperspective raisonnable. Conformément à nos valeurs, il doit nous amener àcombattre plus que jamais les sources de divisionque sont l’antisémitisme et le racisme. n 15/08/2019

* נאתאן אלטמאן טראדיציע און אוואנט גארדpar Bernard Frederick

Le 1er septembre 1939, Hitler attaquait la Pologne qui sera réduite et occupée en 36 jours.La France et la Grande-Bretagne déclaraient la guerre au Reich, mais ne bougeaient pas.Les Soviétiques, conformément à un protocole secret du pacte de non-agression conclu avec les

Allemands, reprenaient le contrôle des régions qu’ils avaient perdues en 1920. Tout au long de l’année,Staline avait tenté d’obtenir un accord militaire avec Paris et Londres, qui se dérobèrent comme ils l’avaient fait en 1938 à Munich. n

(Lire en pages 6 et 7 la première partie de l’analyse de l’historienne Annie Lacroix-Riz)

Soldats allemands à bord d'un train à destination de la Pologne. Sur le wagon figure l'inscription : “Nous partons en Pologne pour rosser les Juifs”

Il y a 80 ans Hitler attaquait la Pologne

La marche vers la guerre

Shabès

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L’UJRE, nos lecteurs le savent,fut créée en avril 1943 par la

réunion de toutes les organisationsclandestines de résistance composantla section juive de la MOI Zone Nordet Zone Sud. Sa résistance, civile (sauvetage desenfants juifs) et armée (groupes decombat) s’accompagnait de la diffu-sion de tracts et d’une revue intituléeDroit et Liberté (tout un pro-gramme !). Née dans la clandestinité,la revue paraît au grand jour en 1945.Elle se présente d’abord comme leJournal du judaïsme de France, puiscomme Hebdomadaire de la viejuive.En 1949, le MNCR (Mouvementnational contre le racisme) créé parla section juive de la MOI donnenaissance au MRAP (Mouvementcontre le racisme, l’antisémitisme etpour la paix). Le 15 septembre, il y a de cela70 ans, l’UJRE offrait Droit etLiberté au jeune mouvement.

« Nouvelle direction, nouvelle for-mule », ce titre se présente désormaiscomme l’organe du MRAP, un« grand journal d’information, d’é-ducation, de défense et de lutte ».<

La nouvelle formule de droit et Liberté

Anniversaire

Droit et Liberté, un titre né de la Résistance

Une cape d’invisibilité ?

2 Presse Nouvelle Magazine n° 368 - Septembre 2019L a

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– I S S N : 0 7 5 7 - 2 3 5

Carnet

Retour aux sources. Notre ami, ledr. Paul Cossé, séjourne en juin

dernier dans la ville natale de sa mère,grodno (Hrodna) [1], en Biélorussie àla frontière de la Pologne. Son grand-père, M. Rypko, bien que non-croyant, y était chantre à la GrandeSynagogue… Il visite la ville, la syna-gogue, rencontre le rabbin BorisKwiatkouski qui lui fournit des docu-ments sur le ghetto de Grodno, où29 000 juifs furent exterminés… L’une des brochures touristiques [2]fournies par son hôtel, le Kronon ParkHotel, y décrit la spectaculairegrande Synagogue du XVIe siècle,œuvre de l’architecte et sculpteur flo-rentin, Santi Gucci, artiste de cour desrois polonais. La synagogue où lesnazis regroupèrent 3 à 4 000 juifsavant de les déporter en camps d’ex-termination – 30 000 juifs vivaient à

Grodno avant guerre,tous exterminés – fait,rappelle-t-elle, l’objetd’une demande declassement au patri-moine mondial del’Unesco.

Mais surprise ! Uneautre brochure, intitu-lée « Grodno » [3], sur-tout diffusée aux tou-ristes, présente l’his-toire de la ville et 15photos d’églises, maisne dit pas un mot de lasynagogue, ni de la présence juive etde son extermination par les nazis…

Cela n’a donc pas existé, se demandenotre lecteur ? étonnement, que nouspartageons, et dont il fait part en écri-vant à l’Office du tourisme. n PNM

[1] À noter que la présence juive attestée à Grodnodepuis le XIVe siècle formait 60% de la popula-tion au XIXe siècle, et encore 42% en 1931.

[2] Guest guide n°2, p. 135, avril 2017, articled’Elena Vasilijeva

[3] Brochure d’I. Ivanov de 24 pages

Fabienne DAIX

Mon amie Fabiennenous a quittés ce

20 août 2019, à l’âge de73 ans. C’est par sonami Joseph (mon Jojo disparu) que je l’a-vais connue en 2001. Elle travaillait dansla recherche pédagogique. Partie plu-sieurs fois à Bénodet pour raisons desanté, elle a su apprécier et nous fairepartager le charme de la Bretagne, parti-culièrement de Sainte-Marine. QuittantParis, elle s’installe définitivement àQuimper où elle nous fait vite rejoindreson nouveau cercle d’amis. Bien quesachant qu’elle était affligée du « mal devivre » chanté par Barbara qu’elle appré-ciait tant, nous l’avons toujours connuesociable, joyeuse, généreuse, cultivée,mélomane, et ce qui ne gâche rien, fidèlelectrice de la PNM dès que nous la luiavions fait connaître. Je suis sûre quemon Jojo se serait joint à moi pour adres-ser nos condoléances les plus émues ànos amis communs, Ernest et Marthe,ainsi qu’à sa famille, à ses proches et à tousceux qui l'ont aimée. < Tauba Alman

LA P R E S S E NO U V E L LEMagazine Progressiste Juif fondé en 1934

Éditions :1934-1993 : quotidienne en yiddish, Naïe Presse

(clandestine de 1940 à 1944)1965-1982: hebdomadaire en français, PNHdepuis 1982 : mensuelle en français, PNM

éditées par l’U.J.R.EN° de commission paritaire 061 9 G 89897

Directeur de la publicationJacques LEWKOWICZ

Rédacteur en chefBernard Frederick

Conseil de rédactionClaudie Bassi-Lederman, Jacques Dimet,Jeannette Galili-Lafon, Patrick Kamenka,Nicole Mokobodzki, Roland Wlos

Administration - AbonnementsSecrétaire de rédaction

Tauba AlmanRédaction – Administration

14, rue de Paradis75010 PARIS

Tel : 01 47 70 62 1 6Fax : 01 45 23 00 96

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La grande Synagogue de grodno (Biélorussie)

Souvenir

Les équipes de l’UJRE et de laPNM seront heureuses de vous

accueillir sur leur stand au VILLAgE dULIVRE de la Fête de l’Humanité.Notre ami dominique VIdAL y aurale plaisir de dédicacer ses ouvrages leSamedi 14 septembre à 16 heures. Vous pourrez y discuter avec noséquipes et vous procurer notre avant-projet de brochure “Le combat contrel’antisémitisme, une lutte nécessaire”. Cette édition en cours de relectureest provisoire, et ne sera diffusée à la

Fête de l’Humanité 2019 que pourrecueillir vos avis, avant la tenue dela réunion d’adhérents de l’UJREqui doit la vali-der. Nos adhérentsseront invités àcette réunion,prévue au der-nier trimestrede l’année, parla voie de laPNM.<

Vie des associations

Rachel BARANEK

Yvonne ROSINOSKY

Au nom de ma famille et pour elle, jetiens à faire part de la mort de mes

deux cousines, survenue en ce moisd’août.Au fil des ans, ma famille et celles deRachel (90 ans) et d’Yvonne (82 ans),toutes deux nées Engiel, filles de Srul etde Léa (Laïtchè), s’étaient progressive-ment perdues de vue.Leurs parents, mon oncle et ma tante,étaient les premiers à avoir quittéKaluszyn (Pologne) pour venir à Parisdans les années 20. C’est sans doute laraison pour laquelle mon père est venu enFrance, après-guerre, pour rejoindre sasoeur. Je regrette d’avoir trop peu connumes cousines, et adresse à leurs enfants età leurs familles, mes plus sincères condo-léances. < Tauba Alman

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Une situation politique para-doxale prévaut en Israël :jamais l’opinion n’a été à ce

point droitisée, et pourtant jamaisBenyamin Netanyahou, à peine battule record de longévité de David BenGourion à la tête du gouvernement,n’aura été moins assuré de reprendrecelle-ci.Cette contradiction est apparue aprèsles élections du 9 avril dernier, lorsquele chef du Likoud n’a pas réussi à for-mer un gouvernement unissant,comme en 2015, les partis de droite,d’extrême droite et ultra-orthodoxes.Avigdor Liberman a pris l’initiative de la rupture,exigeant le vote de la loi qui étend la conscriptionaux jeunes haredim (craignant Dieu), jusque-làdispensés. Le chef du parti russe Israël Beteinou(Israël notre maison) entendait en fait écarter leshommes en noir de la coalition. Mais il ciblait surtoutNetanyahou, dont il a juré la perte.Contraints de repartir en campagne, tous les partis enont profité pour modifier la carte politique. En avril,en effet, trois formations n’avaient pas franchi leseuil éliminatoire des 3,25 % : • le parti nationalistereligieux Hayamin Hahadash (Nouvelle droite) deNaftali Bennet et Ayelet Shaked • l’ultra-nationalisteZehout (Identité) de Moshé Feiglin et • Gesher(Pont) d’Orly Lévy-Abecassis. À gauche, le partisioniste de gauche Meretz et l’une des deux listesarabes étaient arrivés juste au-dessus. D’où de grandes manœuvres réunificatrices. La Listearabe a retrouvé, non sans mal, l’unité qui lui avaitpermis, en 2015, d’atteindre une représentation sansprécédent : 13 députés sur 120. Reste à savoir si cerabibochage lui permettra de remobiliser l’électoratarabe, dont la participation est tombée en quatre ansde 65 % à 50 %. Mais, au lieu de s’allier avec elle, leMeretz a préféré conclure un pacte avec EhoudBarak, dont on ne dira jamais assez l’écrasanteresponsabilité qu’il porte dans l’échec, en 2000, desnégociations de paix avec les Syriens de Hafez Al-Assad comme avec les Palestiniens de Yasser Arafat– sans oublier le retrait unilatéral du Liban. À droite, Ayelet Shaked a unifié sous sa direction lespartis sionistes religieux alliés jusqu’ici au Likoud,mais pas les kahanistes [1] de Otzma Yehudit(Puissance juive), ni Zehout et encore moins Noam,lequel compare les juifs réformés, les militants degauche et les défenseurs des droits des homosexuelsaux nazis et aux kamikazes palestiniens, clamantqu’ils « veulent [tous] nous détruire [2] ». Tous cesgroupes n’obtiendront vraisemblable-ment pas d’élus, sur lesquelsNetanyahou comptait pourtant pourobtenir une majorité. Zehout s’est fina-lement retiré de la course, afin de nepas prendre de voix au Likoud, enéchange… d’un poste ministériel…Figure de proue de la nouvelle coali-tion de Droite, Shaked s’était illustréeen 2014, durant l’agression contreGaza, en postant sur sa page Facebookun texte qualifiant « l’ensemble dupeuple palestinien (d’) ennemid’Israël » et justifiant ainsi « sa des-truction, y compris ses vieillards, ses

femmes, ses villes et ses villages [2] ». Et, lors de ladernière campagne électorale, elle a posé à côté d’unflacon de parfum arborant la marque « Fascisme »....Si Shaked et ses alliés assurent travailler à la recon-duction de Benyamin Netanyahou au poste de Premierministre pour un cinquième mandat, l’intéressé n’ensemble pas complètement convaincu. Nombre d’ob-servateurs pronostiquent que la Droite prendra plus devoix au Likoud qu’aux Bleus blancs de Benny Gantzet de Yair Lapid. Certains estiment même qu’elleambitionne, comme Liberman, d’en finir un jour avecl’ancien chef de gouvernement. Cette incertitudeinquiète suffisamment Netanyahou pour que celui-ciait exigé des candidats du Likoud une promesse d’al-légeance à sa personne – il s’agit à la fois de sauverson poste de Premier ministre et de lui éviter la prisonpour faits de corruption. Mais celui qui reste l’homme fort de la droite israé-lienne n’a pas abattu toutes ses cartes. Si AyeletShaked ajoutait son chantage à celui d’AvigdorLiberman, il pourrait – outre de possibles débaucha-ges individuels – proposer aux Bleus Blancs de for-mer avec le Likoud un gouvernement d’union natio-nale. Liberman y pense aussi, mais pour se débarras-ser de lui. Les précédents de « grande coalition » nemanquent pas dans l’histoire politique israélienne.Et l’attrait du pouvoir pourrait tenter Gantz et Lapid,qui diffèrent de la droite sur le comment, mais peusur le quoi.

L’essentiel est ailleurs : l’électorat ne se voit doncpas proposer d’alternative, ni intérieure ni exté-rieure [4], et du coup il s’est progressivement etprofondément droitisé. Exceptés la Liste arabeunie et le Meretz, un puissant consensus nationalisteunit les partis israéliens et le gros de leurs électeurs.

À preuve l’évolution de la position des sondés surla question de l’annexion de la Cisjordanie.

En 2016, 70% s’y opposaient encore [5]. En 2019, ilsne sont plus que 28% [6] ! Il faut dire qu’entre-temps,la loi du 6 février 2017, puis les décisions de DonaldTrump sur Jérusalem et sur le Golan ont matérialisécette perspective, que Netanyahou a actualisée en seprononçant en avril, pour la première fois, en faveurde l’annexion des colonies – position réitérée enaoût, après l’assassinat d’un jeune colon enCisjordanie. En revanche, selon le même sondage, lepourcentage des partisans de la solution à deux étatsest tombé de 53 % à 34 %.

Autre symptôme : la montée du racisme.

Une enquête réalisée en mars 2018 [7] montre qu’ilcible les Arabes (76 %) et les demandeurs d’asile(75 %), les éthiopiens (72 %), les ultra-orthodoxes etles LGBT (65 %). Seuls 43 % estiment qu’il viseaussi les Juifs orientaux, 39 % les femmes (sousforme de misogynie), 39 % les Russes et 22 % lesJuifs ashkénazes. Un sondé sur quatre affirme avoirété lui-même victime du racisme. Enfin plus de 90 %des répondants pensent que les autorités ne font pasgrand-chose (46 %) ou rien (45 %) pour éradiquer leracisme en Israël. Et 71 % jugent même que les poli-ticiens et les leaders religieux radicalisent les dis-cours racistes.

Que Netanyahou arrache un nouveau mandat ouqu’il soit remplacé par un nouveau – une nouvelle ?– leader nationaliste, il faut l’admettre : la radicali-sation qu’il a mise en œuvre depuis 2015 – officia-lisation de l’apartheid, cap sur l’annexion, loisliberticides, alliances avec les populistes euro-péens, même antisémites – dispose d’une baseélectorale solide. On saura le 17 septembre jusqu’àquel point. n 30/08/2019* Dominique Vidal est journaliste et historien, auteur deAntisionisme = antisémitisme ? Réponse à EmmanuelMacron, Libertalia, Montreuil-sous-Bois, 2018, 136 p., 8 €.

[1] Fondateur de la Ligue de défense juive aux états-Unis,Meir Kahane a créé en Israël le parti Kach, qui a été interditpar la Knesset en 1984, six ans avant son assassinat. La Coursuprême a finalement interdit à ses héritiers de se présenter. Pour sapart, Netanyahou a pactisé avec eux afin de tenter d’écarter la Listearabe du scrutin.[2] Site du Times of Israel, 14 août 2019.[3] On peut trouver cette page originale en hébreu à :https://archive.is/zWrrG[4] Voir dominique Vidal, Israël, l’original et la copie in PresseNouvelle Magazine n° 366 de mai 2019. Benny Gantz n’a pas amé-lioré ses performances alternatives en promettant, à la prochaineguerre, d’« écraser » la bande de gaza (Haaretz, 7 août 2019).[5] i24News.tv/fr, 31 décembre 2016.[6] Haaretz, 25 mars 2019.[7] Press Release, Israel institutionnalizes Racism, Coalitionagainst racism in Israel, 18 mars 2019.

Benny gatz, du parti centriste Bleu et Blanc

3Presse Nouvelle Magazine n° 368 - Septembre 2019

Israël : à droite, avec ou sans Netanyahou ?par Dominique Vidal *

I sraë l

Le député du Hadash, Ayman Odeh, président de la Liste unifiée, etle Secrétaire général du Parti communiste d’Israël, Adel Amer,

pendant un meeting à Haïfa

Le Premier ministre israelien, Benjamin Netanyahou et sa ministre de la JusticeAyelet Shaked en decembre 2016

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Pour bien comprendre ce qu’im-plique le projet gouvernemen-tal de réforme des retraites, il

faut d’abord rappeler les principesqui gouvernent le régime actuel desretraites depuis 1946. L’élémentessentiel est celui de la solidaritéintergénérationnelle. C’est-à-direque ce sont les générations actuelle-ment en activité qui, par prélèvementsur les richesses créées par leur tra-vail, assurent le financement des

retraites de ceux qui étaient, aupara-vant, en activité. Ainsi, ce systèmepar répartition est, en quelque sorte,directement branché sur la croissanceréelle, les cotisations prélevées dansl’année étant immédiatement rever-sées aux retraités. Ces cotisations nesont donc pas prélevées à fonds per-dus, contrairement à ce qu’une cer-taine propagande tente de faire croire.Elles sont, au contraire, le plussouvent, consommées et sont,ainsi, des débouchés pour lesentreprises incitant celles-ci àréaliser des investissements pro-ductifs créateurs d’emplois.Emplois qui à leur tour vont per-mettre la collecte de nouvellescotisations. Ce système, issu duprogramme du Conseil Nationalde la Résistance, devait, à l’ori-gine, procurer aux retraités unrevenu décent, le niveau viséétant celui dont bénéficient lesfonctionnaires (75 % du derniersalaire), niveau jamais atteint.Toutes les réformes menéesdepuis 1987 (date à laquelle lesretraites cessent d’être indexéessur les salaires) ont porté sur les« paramètres » (autrement dit :les données fixes) du finance-ment des retraites, à savoir :

• l’âge de départ en retraite et la duréede cotisation qui en résulte • le niveaudes pensions • et les ressources pro-venant des cotisations. La réformeactuellement envisagée consiste nonplus à agir sur ces paramètres mais àreconsidérer totalement l’architecturedu système. Il s’agit d’une réformenon plus paramétrique mais systé-mique.L’idée principale est de fusionnertous les régimes de retraite actuelle-

ment existants et d’instaurer pourchaque salarié un compte « notion-nel », autrement dit virtuel, au sensoù ce compte ne déterminerait pas unniveau de pension mais un niveau depoints acquis par la collecte des coti-sations. En effet, le niveau des pen-sions est globalement limité par unpourcentage fixe du PIB [1] (14 %dans le cas du projet gouvernemental),

de sorte que si lenombre global deretraités s’accroîtplus rapidementque le PIB, lavaleur des pointsaccumulés tra-duite en euros depensions doitdiminuer ! De plus, unsecond paramètrede calcul inter-vient : la durée devie moyenne dessalariés. Si elleaugmente et queles autres don-nées restent sta-bles (nombre depensionnés et PIB),le niveau des pensions doit diminuer.Mais il est entendu que chaque sala-rié, informé de la durée de viemoyenne et du niveau de ses pointsaccumulés, reste libre de choisir lemoment de sa prise de retraite, lemontant de la pension étant d’autantplus élevé que cette prise de retraiteest plus tardive.Dans ces conditions, on voit bien quele changement majeur consiste à pas-ser d’un système à prestations défi-nies à un système à cotisations défi-nies, le patronat désirant plafonner à14 % la part des richesses créées quisera consacrée aux retraites. Par ailleurs, le patronat souhaitefusionner les retraites des cadres etcelles des autres salariés du privé. Ilvise par là à faire travailler les cadresen les rémunérant comme des

employés et à faire travailler lesemployés comme des précaires.Globalement, l’ensemble de cesmesures constitue une porte ouvertevers un système de capitalisation oùce seraient les revenus, nécessaire-ment instables, des placements finan-ciers réalisés grâce aux versementsdes salariés qui constitueraient lespensions.Ces plans gouvernementaux, mar-qués par une absence totale d’élabo-ration démocratique, peuvent êtrecontrecarrés car d’autres solutionsexistent pour assurer la pérennité desretraites.S’il faut augmenter les ressourcespour les retraites, celles-ci doiventêtre d’abord prélevées sur les revenusfinanciers. De plus, ces ressourcestrouvant leur origine dans le travail,les cotisations doivent être modulées,les entreprises créant le plus d’em-plois devant être celles à qui seraientimposés les plus faibles taux de coti-sation, ceci en liaison avec les créditsbancaires dont les conditions les plusfavorables seraient réservées à cesmêmes entreprises. Rappelons que100 000 chômeurs en moins repré-sentent 0,8 milliards de cotisationsnouvelles pour les retraites.En tout état de cause, toutes ces don-nées doivent sortir du cadre techno-cratique et faire l’objet d’un débatpublic à grande échelle sur la baseduquel la mobilisation populairepourrait faire émerger un rapport deforces nouveau pour ceux qui viventde leur travail. n[1] Produit intérieur brut : ensemble desrichesses crées par un pays au cours d’uneannée donnée.

dessin de Babouse sur le site du SNJ-CgT

4 Presse Nouvelle Magazine n° 368 - Septembre 2019

Réforme ou saccage des retraites ?par Jacques Lewkowicz

Politique sociale

reformes-retraites

Agnes Buzyn, Edouard Philippe et Jean-Paul delevoye, le 18 juillet 2019.

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Tchernivtsi (en ukrainien), Tchernovtsy ouTchernowitz (en russe), Czerniowce (enpolonais), Cernăuţi (en roumain),

Czernowitz (en allemand et en français), autant devariantes toponymiques pour une ville aujourd’huiukrainienne, ancienne capitale de la Bucovine. L’écrivain israélien Aharon Appelfeld (1932-2018), originaire de Jadova près de celle-ci, écrivitun jour : « On peut sans trop se tromper » dire« que Czernowitz était une ville au croisement del’Europe occidentale et orientale, et que plusieursgénérations d’habitants y ont subi l’influence deces deux univers. Ce n’est pas trop se tromper nonplus que d’ajouter que Czernowitz fut une villed’innombrables minorités qui, jusqu’à la PremièreGuerre mondiale, vécurent dans une certaine har-monie. On ne se trompera pas davantage si l’onsouligne que la passion de l’enseignement et de laculture y a nourri de nombreux lycées et même uneuniversité. […] Historiquement, les Juifs furent lalevure qui permit la fermentation culturelle decette ville [1] ».

Véritable tour de Babel de plus de cent trente millehabitants, six langues y coexistaient, l’allemand,l’ukrainien, le roumain, le polonais, le yiddish,l’hébreu. Mais l’une pourtant, l’allemand deVienne, la capitale de l’empire austro-hongrois,dominait en tant que langue de culture danslaquelle, dans la première partie du XXe siècle, sesont exprimé des poètes juifs majeurs, faisant deCzernowitz une « capitale de la littérature alle-mande ».Située à mi-chemin entre Kiev et Bucarest,Cracovie et Odessa, dans une région de collinesforestières, de hêtraies – origine du nom de larégion, Buchenland = pays des hêtres, le mot alle-mand « Buche », « buk » en slave, signifiant« hêtre », d’où Bucovine –, Czernowitz apparaîtdans l’histoire au début du XVe siècle, et ce dansun traité de commerce fixant les prix des marchan-dises transitant par un gué, origine de la modesteagglomération détruite par un incendie moins d’unsiècle plus tard. Czernowitz ne renaît que dans lequatrième quart du XVIIIe siècle. Dans le chaos dela sixième guerre russo-turque (1768-1774), lestroupes autrichiennes occupent la Bucovine, avantd’en faire une partie de la Galicie, puis, à partir de1849, un duché autonome de l’empire habsbour-geois. Dans ce contexte, Czernowitz est promuecapitale régionale, jusqu’à ce que le traité de Saint-Germain de 1919, qui consacre la dislocation de

l’Autriche-Hongrie, mette fin brutalement aux bel-les années de la cité en attribuant la Bucovine auroyaume de Roumanie jusqu’à l’annexion sovié-tique en 1940. Pour les Juifs de Bucovine qui avaient connu jus-qu’alors une période de calme prospérité, tout avaitchangé au lendemain de la Première Guerre mon-diale avec l’administration roumaine. La seule lan-gue officielle était le roumain. Un tiers de la popu-lation juive avait perdu la nationalité roumaine etétait privé de ses droits civiques. En juin 1941, suite à l’annexion soviétique, 5 000personnes sont déportées en Sibérie, dont 3 500Juifs. Le mois suivant, les troupes roumaines sui-vies des troupes allemandes occupent la ville. Ensix semaines, 3 000 Juifs sont exécutés sur les rivesdu Pruth. Le 11 octobre, l’administration roumainedécrète la création du ghetto de Czernowitz, oùvont s’entasser 50 000 habitants de la ville et desenvirons. L’évacuation et la déportation enTransnistrie commencent aussitôt, suivis de la« Shoah par balles » [2]. Les 15 000 Juifs épargnésne subsisteront qu’en se cachant ou effectuant destravaux forcés. La ville sera libérée par l’Arméerouge. Seuls 8 000 Juifs de Czernowitz auront sur-vécu, qui, en grande partie, choisirent alors l’exilen Palestine, aux états-Unis, au Canada, enAustralie et, pour quelques rares d’entre eux, enAllemagne ou en Autriche.

Un monde engloutiLorsque, en 1988, un historien œuvrant pour le« Neue Zürcher Zeitung » [Nouveau journal deZurich], Karl Schlögel, partit enquêter sur la « florissante » cité, il ne trouva personne qui pût luiparler du passé de la ville. Il ne trouva aucune tracedes nombreuses ethnies, langues, religions, cultu-res, qui avaient fait la particularité de la ville ou dela région. Czernowitz était devenue un « mondeenglouti », pour reprendre le mot de la poétessejuive, Rose Ausländer. Heureusement, de leursnouveaux pays en exil, des poètes juifs de langueallemande nés et ayant vécu à Czernowitz, firententendre leur voix et perpétuèrent le souvenir deleur terre natale en Allemagne, en Autriche, enRoumanie, en Israël, aux états-Unis. C’est par euxque Czernowitz continue à vivre dans la mémoireuniverselle.Leurs noms : Rose Ausländer, Klara Blum, PaulCelan, david goldfeld, Alfred gong, AlfredKittner, Alfred Margul Sperber, SelmaMeerbaum-Eisinger, Moses Rosenkranz, IlanaShmueli, Immanuel Weissglas, Manfred Winkler,

que nous avons réunis en 2008 dans une antholo-gie [3] de cent trente poèmes, poèmes révélateursd’une grande richesse tant de la forme que ducontenu.

Ils témoignentDans la préface, nous les évoquions ainsi : « Vingt-six ans séparent le plus âgé des douze poètes iciprésentés de la plus jeune, l’espace temporel d’unegénération. Les premiers ont vécu leur enfance etleur jeunesse dans la “petite Vienne”, comme KarlEmil Franzos avait surnommé Czernowitz. Tousont vécu l’occupation germano-roumaine soit ense cachant dans la ville, soit en vivant à Bucarest,soit déportés en Transnistrie ou dans des camps detravail. Deux d’entre eux n’y ont pas survécu [4].Certains avaient commencé à écrire avant laguerre et continué à le faire pendant celle-ci. Maisc’est surtout après le retour de la paix que la majo-rité d’entre eux put écrire et témoigner, chacun àl’endroit où il décida de vivre. Chacun avec ses dif-férences, ses choix littéraires, son art poétique per-sonnel. Les uns, Alfred Margul Sperber et AlfredKittner, passant de l’expressionnisme de leur jeu-nesse à une facture postromantique. D’autres, telsMoses Rosenkranz, cultivant un certain classi-cisme ; Rose Ausländer, rapportant en Europe lerythme libre de la nouvelle poésie anglo-saxonne ;Paul Celan, relevant le défi de Theodor W. Adorno,“Écrire un poème après Auschwitz est barbare”. »Et Ilana Shmueli retranchant le poème dans uneéconomie extrême du mot. »

Rose Ausländer a ainsi résumé dans ces lignesemblématiques ce qui les a tous tragiquement ani-més : « Et pendant que nous attendions la mort,certains d’entre nous habitaient dans la chimèredes mots – notre foyer traumatique d’apatrides.Écrire c’était vivre, survivre. » n

[1] Aharon Appelfeld, « Au cœur du yiddishland. Czernowitz,la Jérusalem de Bucovine », article paru dans Ha’aretz, Tel-Aviv,le 18.06.2008, repris par le Courrier international, le19.06.2019.[2] Voir Père Patrick desbois, Porteur de mémoires. Sur latrace de la Shoah par balles, éd. Michel Lafon, Paris 2007 ;Champs histoire, éd. Flammarion, Paris 2009, et PNM n° 247de juin 2007 (entretien avec le Père Desbois). [3] Poèmes de Czernovitz. Douze poètes juifs de langue allemande,traduits de l’allemand et présentés par François Mathieu,éd. Laurence Teper, coll. Bruits Paris 2008 du temps (épuisé).(NdLR réédition souhaitée).[4] Selma Meerbaum-Eisinger morte du typhus dans le campde Michaïlovka en décembre 1942, et david goldberg, mortde tuberculose dans le ghetto la même année.

Culture

Des poètes juifs de langue allemande témoins d’une capitale disparue, Czernowitz

par François Mathieu

PNM n°327 - Septembre 2015 11Presse Nouvelle Magazine n° 368 - Septembre 2019 5

La grande synagogue de Czernowitz au début du XXe siècle

La place du marché en juillet 1912

1908 - La Conference de Czernowitz proclame le yiddish languenationale du peuple juif. de gauche a droite Avrom Reyzen,Yitskhok Leybush Peretz, Sholem Asch, Khayim Zhitlovski,Hersh dovid Nomberg.

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Pour l’opinion française, l’in-fâme Staline commit, le 23août 1939, le forfait du « pacte

germano-soviétique » après avoir,entre autres, décidé une famine géno-cidaire contre l’Ukraine (1933),« décapité » son état-major en vued’éliminer son rival Toukhatchevski,seul artisan d’une armée rouge puis-sante (1937), et lancé une vague d’iniques « grands procès » visant àfaire régner une « Terreur » à plu-sieurs millions de morts. Par cette« alliance avec l’Allemagne nazie », il fixa la date du Blitzkrieg : aprèsavoir mitonné avec Ribbentrop, viason commissaire aux Affaires étran-

gères Molotov, l’agression et le dépè-cement de la Pologne martyre et l’avoir envahie le 17 septembre 1939,il gava le Reich de matériaux straté-giques, lui permettant de se jeter surl’Ouest en avril-mai 1940.Le pacte germano-soviétique d’YvesSantamaria [1] évacue « l’ “antifas-cisme” stalinien » pour disserter sur« le choc de deux volontés expansion-nistes » et « le mystère du rapproche-ment des états totalitaires [qui] gardetoute sa charge révulsive pour lesconsciences démocratiques ».

Ce manuel de propagande, sans lamoindre référence d’archive, guidel’historiographie dominante fran-çaise. Même Sabine Dullin, aprèsavoir consulté les fonds d’archivessoviétiques, stigmatise l’instrumenta-lisation par Staline de la terreur de laguerre éprouvée par le peuple russe :

ce pur cynique aurait sacrifié à sa ger-manophilie, partagée avec l’inculteMolotov, la « sécurité collective »édifiée par l’honnête et compétentLitvinov [1]. La réalité, révélée delongue date par les sources diploma-tiques publiées, n’a rien à voir aveccet indéboulonnable thème qui ali-mente la croisade antisoviétique.

Les avances soviétiquesde 1932 à MunichLa guerre, précipitée par la Crise,menaçait sur deux fronts la Russiesoviétique, assiégée dès sa naissancepar toutes les puissances impérialistes(états-Unis inclus) et par certains deleurs obligés, dont la Pologne : àl’Ouest, l’agression allemande ne fai-sait aucun doute ; à l’Est, où lesApaiseurs occidentaux laissèrentTokyo attaquer la Mandchourieen 1931, puis la Chine entière en1937, le péril demeura mortel jus-qu’aux démonstrations de la supério-rité militaire soviétique de 1938-1939 [2]. L’URSS avait d’embléecherché à renouer l’« alliance derevers » franco-russo-anglaise de1914 qui avait contraint la Reichswehrà diviser ses forces. Staline ne changearien à cette ligne, qu’Herriot avaitsemblé partager en reconnaissant lesSoviets en octobre 1924, et dontLitvinov, nommé aux Affaires étran-gères en juillet 1930, fut le porteur.Les élites économiques, politiques etmilitaires françaises (et anglaises) s’étaient mises à discréditer cettealliance, par haine du bolchevisme eten raison d’intérêts économiques deplus en plus germano-centriques. Elles inventèrent après l’accord de

Rapallo (1922) puis letraité de Berlin (1926)une « collaboration mili-taire germano-sovié-tique » visant à anéantir laPologne prétendue grandealliée de la France qui lastimulait sans répit contreMoscou, ce qui ne néces-sitait guère d'efforts, il estvrai. Ce serpent de merde la jonction des hordes« asiatiques » (sovié-tiques) et allemandes nefit qu’entretenir l’antiso-

viétisme, alors que cheminait la« réconciliation » franco-allemande.Même les décideurs les plus obses-sionnellement antisoviétiques concé-dèrent, à partir de 1931, qu’il n’y avaitjamais eu d’alliance militaire ger-mano-soviétique.L’imminence de l’avènement des

hitlériens incita la Krasnaïa Gazeta,« principal organe de l’Arméerouge », à avouer publiquement lesalarmes soviétiques : Londres et Pariscomprirent son article du 3 août1932, sur « la puissance militaire del’Allemagne » clandestinement réar-mée, comme un tournant soviétiqueen faveur du statu quo de Versailles.Cet appel trouva écho en France, nondans le « pacte de non-agression »Herriot-Dovgalevsky (ambassadeurd’URSS à Paris) du 29 ovembre1932 resté lettre morte, mais quand leministre des Affaires étrangères Paul-Boncour nomma ambassadeur àMoscou un partisan de l’alliance,Charles Alphand, en juin 1933. Et surtout quand Alphand reçut l’ap-pui du successeur de Paul-Boncourdans le cabinet Doumergue de février1934, Louis Barthou, homme dedroite qu’inquiétaient les plans duReich, funestes à ses voisins. Moscoutrouva en lui le dernier ministre« occidental » partisan de l’alliancede revers. Barthou, isolé parmi lesApaiseurs (dont le ministre de laGuerre Pétain) dans son effort pourramener les parias soviétiques, mili-tairement indispensables, dans leconcert des nations menacées par larevanche allemande, ne gêna paslongtemps : Berlin planifia son assas-sinat, à Marseille, le 9 octobre 1934,avec la complicité du ministre desColonies Laval [3], qu’on mit à saplace avec le soutien du capital finan-cier, déchaîné contre Barthou.L’URSS ne trouva plus de soutiendans sa quête de « sécurité collec-tive » contre les agresseurs. À Alphand, parti en novembre 1936,succéda un intime de GeorgesBonnet, Coulondre,aussi insolent et hai-neux envers Moscouqu’obséquieux avecBerlin où il fut nomméen novembre 1938,après Munich.

Pourquoi lepacte franco-soviétique du 2 mai 1935 avaitété un néantLe pacte franco-sovié-tique du 2 mai 1935avait été d’emblée unnéant. Le Quai d’Orsay d’AlexisLéger [4], son secrétaire général etchef des ricaneurs, et Laval, escortésde l’état-major des armées, en firent« un chef-d’œuvre du galimatias »(Jean-Baptiste Duroselle) : ils lièrent

notamment la définition de l’agresseur à son agrément par laSDN – c’est à dire par les Apaiseursbritanniques qui abhorraient cetaccord. Paris, maître de Prague et desa politique extérieure, mina le pacte

6 Presse Nouvelle Magazine n° 368 - Septembre 2019

I. Paris, Londres et le pacte de non-agression germano-soviétique - 1932-1939par Annie Lacroix-Riz *

Histoire

Premier jour de guerre

Immeuble 24 de la rue Nalewki, dans le quartier juif de Varsovie, apres les bombardements allemands de 1939

Les Polonais participent au dépeçage de la Tchécoslovaquieen occupant Zaolzie (région de Český Těšín)

AVERTISSEMENT

DE L’AUTEURE AUX LECTEURS

Nombre d’affirmations du pré-sent texte peuvent sembler

aventurées. Elles ont toutes pourfondement des sources originales(françaises, allemandes, sovié-tiques, anglaises et américaines),citées dans les notes infra-pagina-les des ouvrages suivants :• Michael Jabara Carley, 1939,The alliance that never was andthe coming of World War 2,Chicago, Ivan R. Dee, 1999, tra-duction, 2001• geoffrey Roberts, The unholyalliance : Stalin’s pact with Hitler,Londres, Tauris, 1989 ; The SovietUnion and the origins of theSecond World War. Russo-German relations and the road towar, 1933-1941, New York, SaintMartin’s Press, 1995 ; Stalin’sWars : From World War to ColdWar, 1939-1953, New Haven &London : Yale University Press,2006, traduction, Les guerres deStaline, Paris, Delga, 2014.• Jonathan Haslam, The SovietUnion and the Threat from theEast, 1933-1941 : Moscow, Tokyoand the Prelude to the PacificWar, Londres, Macmillan, 1992• Annie Lacroix-Riz, Le choix dela défaite : les élites françaisesdans les années trente et DeMunich à Vichy, l’assassinat de la3e République, 1938-1940, Paris,Armand Colin, respectivement2010 et 2008.

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tchéco-soviétique du 16 mai, ligotéau précédent par Léger.Le Kremlin perdit plus de quatre ansà solliciter, en vain, l’accord militaireque Laval avait ce jour-là, à Moscoumême, promis à Staline.Les campagnes de la presse du grandcapital contre la ratification, acquiseen février-mars 1936 seulement,après la chute de Laval, achevèrentd’ériger le « pacte » en chiffon depapier. Ce que confirma la bénédic-tion donnée par les créanciers « occi-dentaux » du Reich à son réarme-ment, affaire bancaire la plus rémuné-ratrice avant et depuis Hitler.Balayant Versailles, leur complicitééclata dans le quitus de fait donné auréarmement allemand officiel (11 juin1935). Londres récidiva une semaineplus tard par l’accord naval anglo-allemand autorisant la reconstitutionde la Kriegsmarine, chargée de trans-former la Baltique en base d’assautcontre l’URSS.Suivit la guerre d’Espagne, assautgermano-italien maquillé en « guerrecivile », qui multiplia les rebuffadescontre les Soviets, seuls à défendre laRépublique assiégée, les fonds alle-mands en font foi [5]. « L’Occident »forgea la « non-intervention », et son« Comité » fut casé à Londres pourêtre paralysé comme le président duConseil Blum et François-Poncet,ambassadeur (du Comité des Forges)l’avaient immédiatement proposé auxdirigeants allemands. Le Reich putdonc tester ses armements « en tempsréel » et améliorer ses chars et sonaviation, après s’être heurté à la supé-riorité française ou soviétique initialeen ces deux domaines, de l’aveumême du général von Reichenau. Ce spécialiste des blindés et futurchef de la guerre à l’Est se félicita en

1938 des absurdes bontés des vain-queurs de 1918 qui, en accordant àl’Allemagne cette expérience inédite« sur le terrain », lui avaient livréleurs « lignes stratégiques vitales »en Méditerranée et préparé leurdéfaite prochaine [6].L’URSS, multipliant les prévenanceset les voyages à Genève, siège de laSDN, fut en permanence bafouée, àpropos tant de l’Espagne que de l’al-liance militaire. Impossible d’imputerce veto à sa crise militaire de juin1937 et à l’horreur qui aurait saisi leshauts militaires français et toutl’Occident « démocratique » devantl’épuration consécutive « décapi-tant » l’Armée rouge :1° Paris sabotait l’alliance depuisplus de deux ans, dans le consensusentre chefs militaires – fulminantcontre d’anciens laveurs de vaissellemués en généraux de l’Armée rouge– et dirigeants civils ;2° le Deuxième Bureau, le Quaid’Orsay et leurs homologues étran-gers savaient depuis 1936 que, sous lahoulette du maréchal Toukhatchevski,sept généraux de l’Armée rouge occi-dentale discutaient avec le haut com-mandement de la Wehrmacht d’unrenversement du régime soviétiqueen échange d’une cession del’Ukraine au Reich. Frappant Moscouau cœur, le coup menaçait autant laFrance, ce qui ne dissuada pas sesdécideurs de stigmatiser le criminelStaline ;3° Palasse, attaché militaire àMoscou depuis l’automne 1937, mys-térieusement maintenu jusqu’au prin-temps 1940 (pour la fiabilité de sesinformations ?), démentit par le menula propagande qui « dindonnait l’opi-nion publique », formule du 15 sep-tembre 1938 d’un adjoint de Gamelindéclarant inévitables, en cas d’aban-don de Prague, « la défaite, ledémembrement et la vassalisation dece qui subsistera[it] du territoirenational [français] comme État enapparence indépendant. ». Palassedécrivait à flots continus une Arméerouge sans cesse renforcée, aviationen tête, l’association étroite de lapopulation, jeunesse comprise, à l’effort de défense, et les progrès ful-gurants de l’économie de guerre. Il certifia, dès 1938, que l’ennemi quiviolerait les frontières russes seraitdéfait.De 1933 à la signature du pacte,diplomates et attachés militaires fran-çais et britanniques en poste àMoscou serinèrent que l’alternativeétait simple : soit l’URSS parvien-

drait à ranimer la Triple Entente,alliance défensive automatiquequ’elle assumerait pleinement, soitelle serait contrainte à un compromisavec Berlin pour disposer d’un délaisupplémentaire dans l’effort dedéfense. Ils reprirent ce refrain àchaque étape des avanies subiesdepuis juin 1937. En vain.L’Anschluss, décidé par l’accord secret austro-allemand de mars 1926,qui avait été aussitôt connu des vain-queurs de 1918, eut lieu en mars 1938dans leur complète indifférence. Le 29novembre 1937 (sans erreur de date) àLondres, Français et Britanniquesétaient convenus d’agréer cette forma-lité de même que l’abandon de laTchécoslovaquie : c’était l’inéluctableétape suivant l’Anschluss, motif deson interdiction par les traités deVersailles et de Saint-Germain. En juin 1938, Litvinov les mit une foisde plus en garde à Genève : « L’URSSdemeurait encore attachée à la poli-tique de sécurité collective, malgré lesdéceptions qu’elle y avait trouvées.Mais si, après le Mandchoukuo,l’Abyssinie [la guerre italienne contrel’éthiopie], la Chine et l’Autriche, lesPuissances occidentales devaientencore permettre l’étranglement de laTchécoslovaquie, le gouvernementsoviétique romprait la politique collective et se rapprocherait del’Allemagne à laquelle il laisserait lesmains libres en Europe. » Après desmois de harcèlement contre Prague,Hitler, Mussolini, Daladier etChamberlain se réunirent pour l’exé-cuter dans la nuit du 29 au 30 septem-bre à Munich, en l’absence desSoviétiques et des Tchécoslovaques.L’événement convainquit « laCassandre moscovite » que ses interlo-cuteurs resteraient sourds à « la néces-sité pour les puissances pacifiques[…] de s’organiser pour “barrer laroute aux agresseurs” » (Daniel Lévi,attaché à Moscou, 5 avril 1938). nnn

(À suivre)

PNM n°327 - Septembre 2015 11Presse Nouvelle Magazine n° 368 - Septembre 2019 7

I. Paris, Londres et le pacte de non-agression germano-soviétique - 1932-1939par Annie Lacroix-Riz *

Edouard daladier discute avec Adolf HitlerNotes

* Annie Lacroix-Riz est profes-seur émérite d’histoire contempo-raine à l’Université Paris 7.

[1] Santamaria, 1939, le Pactegermano-soviétique, Bruxelles,éditions Complexe, 1998; dullin,Des hommes d’influences. Lesambassadeurs de Staline enEurope 1930-1939, Paris, Payot,2001, passim, dont p. 279-321.

[2] Victoires soviétiques du LacHassan (juin-août 1938) puis deKhalkhin Gol (mai-septembre1939). Jonathan Haslam, TheSoviet Union and the Threat fromthe East, 1933-1941 : Moscow,Tokyo and the Prelude to thePacific War, Londres, Macmillan,1992; Roberts, Stalin’s Wars.

[3] Les archives militaires, diplo-matiques et policières françaises etsurtout les archives allemandessont formelles sur ce point : voirLe choix de la défaite, p. 205-209,et notes infra-paginales.

[4] NdLR Le diplomate Marie-René Auguste Alexis Leger, aliasSaint-John Perse, fut par ailleurspoète, écrivain et lauréat du prixNobel de littérature en 1960.

[5] Documents on GermanForeign Policy, Series D (1937-1945), vol. III, Germany and theSpanish Civil War, 1936-1939,Washington, 1950.

[6] « Pourquoi nous avons aidéFranco », sans date, aprèsl’Anschluss du 12 mars 1938, F7,14722, AN. Cité in Le choix de ladéfaite, p. 369-372.

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Le titre du dernier ouvrage del’historienne Annie Lacroix-Riz« La non-épuration » a juste ce

qu’il faut de provocation. C’eût pu êtreaussi « Contre le courant » comme lerecueil de Lénine et Zinoviev de 1914-1915. Car l’historienne, dont la sciencedes archives impressionne, nous adepuis longtemps habitués à s’inscrireà rebours de l’idéologie dominante, ycompris de celle qui sous-tend l’histo-riographie académique. Rappelons quelques titres évocateurs :Les élites françaises entre 1940 et1944 : de la collaboration avecl’Allemagne à l’alliance américaine(Armand Colin 2016) ; Le choix de ladéfaite : les élites françaises dans lesannées 1930 (Armand Colin 2009) etDe Munich à Vichy : l’assassinat de laTroisième République, 1938-1940(Armand Colin 2008). La non-épura-tion en constitue une manière de suite.On sait comment, aujourd’hui,l’Occident révise l’histoire de laSeconde Guerre mondiale. Prenez cetterésolution du Parlement européen

(2 avril 2009) qui voulait faire du23 août, jour de la signature du pacte denon-agression germano-soviétique une« Journée européenne du souvenir pourla commémoration, avec dignité etimpartialité (sic), des victimes de tousles régimes totalitaires et autoritaires ».Eh bien, justement l’épuration à laLibération n’échappe pas au révision-nisme. Pour la « grande » presse etcertains historiens à la mode, c’estquoi l’épuration ? Des femmes ton-dues ! Comme la prise de Berlin parl’Armée rouge n’est évoquée que pourles femmes violées.Rien de tout cela n’est innocent et AnnieLacroix-Riz nous le démontre par lemenu. Il s’agit de « criminaliser » laRésistance sous le prétexte d’une soi-disant « épuration sauvage » pourcamoufler l’absence d’épuration réelleet le recyclage de collaborateurs – etcollaboratrices ! – en honorables per-sonnages dont certains atteindront lessommets de l’état ou de l’économie(Papon, Bousquet).Appuyée sur des archives que d’au-

cuns délaissent, le travail d’AnnieLacroix-Riz relève de la salubrité àune époque où « l’Europe » pour sagrande « réconciliation » laisse leshéritiers des SS parader de Riga àLviv, de Vilnius la Bavière et même,ces derniers jours en Pologne.L’historienne cite VladimirJankélévitch, l’ancien co-président denotre UJRE : « Demain la Résistancedevra se justifier pour avoir résisté ».La non-épuration invite à la vigi-lance. n BF

Annie Lacroix-RizLa Non-épurationen France de 1943aux années 1950,

éd. Armand Colin,Paris, 2019, 672 p.,

29,90 €

NdLR : À voir, aussi sur Internet

la vidéo de l’éditeur

Armand Colin intitulée :

Y a-t-il eu épuration en France à la fin de la Seconde Guerre Mondiale ?

www.youtube.com/watch?v=Gq4kM26VETw

Le 22 mai dernier, une grandevoix de la littérature pour l’en-fance et la jeunesse s’est

éteinte à Londres. Judith Kerr allaitavoir quatre-vingt-seize ans. Elle avait signé en 1971 un récit auto-biographique, pionnier, devenu trèsvite un classique de la littérature pourles jeunes lecteurs dans un paysageéditorial où le silence sur l’exil desopposants au régime nazi était jus-qu’alors de mise, Quand Hitler s’em-para du lapin rose [1]. Et, illustratriceet narratrice de nombreux ouvragespour les plus jeunes, dont, paru en1968, un premier classique, Le Tigrequi s’invita pour le thé [2], puis lesdix-sept albums qui ont pour héroïneMog, une chatte distraite et têtue.

Que savaient, dans les années 1970,les jeunes lecteurs de la tragédie quevenait de vivre l’Europe ?

La majorité des récits qui leur étaientdestinés évoquaient avec compassion lemalheur de leurs parents fuyant lesbombardements dans des villes en rui-nes, une difficile reconstruction, maisrien n’était dit des souffrances des victi-mes de l’hitlérisme, notamment juives.

En écrivant ce récit, complété ensuitepar deux autres récits, dont IciLondres [3], l’intention de Judith Kerrtraitant de l’exil dans sa propreenfance avait été d’évoquer sesparents afin que ses propres enfants neles oublient pas. Elle était née dansune famille juive berlinoise, d’unemère pianiste et d’un père célèbre cri-tique de théâtre qui, dans ses commen-taires radiophoniques de la fin de laRépublique de Weimar, n’avait cesséde dénoncer le Parti national-socialistedes travailleurs allemands (NSDAP). Le 10 mai 1933, les nazis brûlent sesœuvres dans le cadre de l’« actioncontre l’esprit non allemand ». Le 13 mai, la Fédération allemande ducommerce du livre inscrit son nom surla liste des auteurs considérés comme

« nuisibles à la réputation alle-mande ». En août, en vertu de la « loisur la révocation des naturalisationset la déchéance de la nationalité alle-mande », il figure sur la première listedes déchéances ordonnées par leReich allemand. Au printemps 1940,les organes de répression et de sur-veillance portent son nom sur la listed’un « avis de recherche spécial » despersonnes à arrêter en priorité lors del’occupation projetée des Îles britan-niques. Le 15 février 1933, Alfred Kerr quitteBerlin pour Prague, puis pour Luganooù, le 4 mars, sa famille le rejoint.Après de brefs séjours à Zürich, puis àParis, ils s’installent définitivement àLondres en 1935. Des années plustard, Judith Kerr deviendra citoyennebritannique.

Le titre du récit de Judith Kerr, quidécrit ces deux années d’incertitude,intrigue.

Le lapin rose n’est autre que la vieillepeluche aveugle abandonnée parnécessité au moment où l’enfant, samère et son frère, ont quitté Berlin.Quant à Hitler, il n’est qu’un nom qui,

selon l’auteure elle-même, s’estimposé dans le titre, comme il s’étaitcruellement imposé dans la vie de lafamille.Récit pionnier, disions-nous. Parcequ’il traitait d’une réalité occultée jus-qu’alors, mais aussi parce que sonauteure traitait les jeunes lecteurs enêtres responsables en les faisant sortirde la mièvrerie dans laquelle bien desécrivains les confinaient, des écrivainsqui, pour reprendre les mots de l’écri-vain allemand Erich Kästner, « n’y con-naissent rien et qui, parce qu’il est avéréque les enfants sont petits, écrivent en semettant à genoux. » n

À lire[1] Quand Hitler s’emparadu lapin rose, trad. de l’an-

glais par Boris Moissard, l’école des loisirs, 1987 ;

Albin Michel, 2018, 320 p., 14 €

[3] Quand Hitler s’emparadu lapin rose, Tome 2 :

Ici Londres, trad. de l’anglaispar Antoine Lermuzeaux,

Albin Michel, 2018, 448 p., 15,50 €.

[2] Le Tigre qui s’invita pour le thé, trad. del’anglais par Ramona Bedescu, Albin Michel,2018, Album, 32 p., 14,90 €

8 Presse Nouvelle Magazine n° 368 - Septembre 2019

Judith Kerr, l’auteure de Quand Hitler s’empara du lapin rose, vient de s’éteindrepar François Mathieu

La Non-épuration en France de 1943 aux années 1950, d’Annie Lacroix-Riz

Contre le courant

À lire

Les Annales de la Société desAmis de Louis Aragon et Elsa

Triolet poursuivent, sous le titreUn jour du monde, la publicationdes chroniques d’Aragon paruesen 1939 dans Ce Soir. En complé-ment, on lira dans le tome 2 untexte de François Eychart, sur lesnégociations militaires à Moscouen août 1939 entre le généralDoumenc, l’amiral Drax etVorochilov. Il y analyse un« mémoire » du général Doumencrédigé en 1941 sur le déroulementde ces négociations. Il montreclairement qui voulait quoi et quiest responsable de la signature dupacte de non-agression germano-soviétique. n

Aragon. Un jour du monde.Chroniques de Ce soir (2e partie)N° 20 desAnnales de laSociété desAmis deLouis Aragonet Elsa Triolet.éd. Delga,464 p., 22 €.

Annale n° 20

Disparition

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Israël Joshua Singer est né à Bilgoraj (dans larégion de Lublin) en Pologne en 1893 dans unefamille très religieuse – son père était un rabbin

ultra-orthodoxe. Il avait une sœur aînée, HindeEsther (qui deviendra Esther Kreitman) et un frèrecadet, Isaac Bashevis Singer. Toute la fratrie consa-crera sa vie à la littérature. Pendant sajeunesse, il fait tout pour échapper àl’influence parentale. Il commence àécrire pour des journaux rédigés enyiddish à partir de 1916 [1]. En 1921,il devient correspondant du quotidienaméricain Forverts (The Forward).D’abord fasciné par la révolution bol-chevique, il s’installe en Union sovié-tique avec son épouse, Genia, maisdéchante vite et revient à Varsovie.Comme son frère, il décide de s’exileraux états-Unis en 1934 et tous deuxvont poursuivre à New-York leurœuvre écrite en yiddish. Il publie sonpremier recueil de nouvelles en 1922(Perl et autres récits). Il écrit de nom-breuses nouvelles et aussi des piècesde théâtre. Il fait paraître son premierroman en 1927, De fer et d’acier. Il yévoque l’occupation allemande deVarsovie pendant la Grande Guerre,quand il a dû travailler comme ouvrier à la cons-truction d’un pont. Le livre lui vaut d’acerbes cri-tiques. En 1932, il achève Yoshe le fou, le grandroman qui le fait connaître. Il publiera ensuitenombre de romans depuis l’extraordinaire LesFrères Ashkenazi paru en 1936 jusqu’à La FamilleKarnovski qui paraîtra en 1943, peu avant sa mort.À l’instar de son cadet, il continuera à écrire enyiddish, même en Amérique, jusqu’à sa mort sur-venue en 1944. Et Wolf fils de Hersh devint Willy (Vili), paru en1937, qui se situe entre la nouvelle longue et leroman court, a un arrière-plan autobiographique à

peine masqué : c’est l’histoire d’un jeune hommequi préfère la vie paysanne au fin fond de l’Ukraineaux études et qui se révolte contre ses parents trèspieux qui observent à la lettre tous les rites dujudaïsme. Il décide à la fin de fuir ce monde qui l’é-touffe et d’émigrer aux états-Unis. Après de gros-

ses difficultéspour s’intégrerdans ceN o u v e a uMonde si éloi-gné de sonYi d d i s h l a n dnatal, notrehéros, WolfRoubine, par-vient à trouverdu travail dansune ferme. Il adû surmonterbien des diffi-cultés, la lan-gue, bien sûr,mais aussi lesmœurs et lareligion. Maison l’a accepté,bientôt on l’ap-

pelle Willy et les souvenirs de son enfance s’effa-cent, tout comme les nombreuses et pesantes loisjuives. Il devient un Américain presque comme lesautres, d’ailleurs tous émigrés, comme lui, à unedate plus ou moins récente. Oubliée la rueKrochmalna, la grande artère juive de Varsovie !Le roman est somme toute l’histoire de l’apprentis-sage assez heureux d’une vie libérée de toutes cescontraintes même si notre Willy demeure un êtreun peu à part qui ne va pas au temple le dimanche,mais son patron s’en accommode.Pourtant, avec le temps, son passé refoulé revenantpeu à peu à la surface, avec une pointe de nostal-

gie, il se décide finalement à écrire à son père, quiétait resté là-bas, au bout du monde. Ce dernier luirépond et l’admoneste. Un beau jour, son pèrevient lui rendre visite. Les retrouvailles ne sont pasdes plus simples. À travers eux, deux univers s’af-frontent, et cet homme bien âgé n’a renoncé en rienaux enseignements de la Torah et du Talmud. Unetension permanente s’instaure entre eux et la pré-sence du pharmacien du village, juif lui aussi, nefait qu’exaspérer tout ce qui les divise. Willy esttiraillé entre les bribes de souvenirs qu’il a conser-vées au fond de son cœur et sa nouvelle existence.Avec l’arrivée de son père, tout change : un cerclede juifs des environs viennent lui rendre visite et ilfinit par transformer sa ferme en une pension defamille casher pour les citadins juifs ! Avec beaucoup d’humour – un humour très subtil– Israël Joshua Singer a décrit comment il a pufinalement se fondre dans le moule américain oùdes multitudes de communautés ont conservé toutou partie de leurs traditions dans une optiquetypique des Anglo-Saxons, chacun vivant dans sonquartier ou, dans les campagnes, dans son milieud’origine. Willy est un personnage caractéristique :il a fui sa terre natale mais il n’en est pas moinsrejoint par ses compatriotes qui ont fait le mêmevoyage pour les raisons les plus diverses. Il a narrécette affaire dans une œuvre qui, évitant la mélan-colie comme l’esprit de révolte, aboutit au constatque la judéité est une maladie héréditaire, quiengendre plus ou moins de bonheur ou de malheurselon les cas. n[1] NdLR Israël Joshua Singer écrit dans la presse yiddish euro-péenne, en Ukraine pour le journal Di NayeTsayt (Les temps nouveaux) puis àVarsovie au Literarishe Bletter puis dans larevue Khaliastra.

Israël Joshua Singer,Et Wolf fils de Hersh devint Willy,

traduit du yiddish par Monique Charbonnel-Grinhaus, 2016,

éd. L’Antilope, Paris, 160 p., 17 €.

PNM n°327 - Septembre 2015 11Presse Nouvelle Magazine n° 368 - Septembre 2019 9

En Amérique, avec Israël Joshua Singerou de la judéité vécue comme maladie héréditaire

La chronique littéraire de G.G. Lemaire

S’il s’agit bien ici d’un roman, il faudrait parlerd’un roman de la mémoire –, d’une mémoire quis’estompe à mesure que les années défilent les

unes après les autres. L’auteur a choisi de brosser àgrands traits (mais avec finesse) la vie de son héros (quipourrait n’être autre que lui-même). Tout commence àl’époque du petit collège, à Vizille, dans l’Isère près deGrenoble. Alors le récit s’arrête et les années passent.Le passé resurgit quand un ancien compagnon declasse lui écrit pour lui rappeler qu’il avait quitté l’éta-blissement pour une affaire d’antisémitisme à l’encon-tre de M. Guez, un pied-noir, enseignant d’anglais, quiparaissait plus vieux que son âge. Depuis, notre narra-teur était devenu un spécialiste reconnu de l’hébreu etdu yiddish. Sa curiosité aiguisée, il se met à revenir surce passé et même au passé de la région pendantl’Occupation : le maquis du Vercors, bien sûr, Le Dauphiné, pas encore « libéré », aux mains des col-laborateurs. Il reconstitue alors toute cette malheureuseaffaire. Avec deux amis, il avait contribué, sans lesavoir, à l’envoi d’une lettre anonyme qui disait :« Vieux Juif tu seras puni par le IIIe Reich ». Ces rémi-

niscences le poussent à remonter encore plus dans letemps de son histoire familiale. Il constate que songrand-père était arrivé de Pologne et qu’il avait étéarrêté par les autorités de Vichy. Conduit dans un descent camps français, il avait dû échouer à Pithiviers età Beaune-la-Rolande et a en tout cas fini à Auschwitzoù il est mort en juillet 1942. Il s’emploie dès lors àreconstruire le passé de son grand-père. Mais il ne par-vient pas à grand chose : sa mère se cambre dans sonmutisme. Les traces ont été effacées ou passées soussilence. Quant à sa grand-mère elle serait décédée chezelle en 1942, frappée par une pleurésie. Survivante, samère, elle, aurait été recueillie par une association juivecommuniste à la Libération. Tout cela bouleverse deplus en plus l’existence du héros, au fur et à mesure deses découvertes. Le livre est touchant, bien mené et faitbien croire qu’être juif de nos jours,c’est porter le poids des six millionsde disparus de la Solution finale. n

gilles Rozier, Mikado d’enfance, éd. L’Antilope, 2019, 192 p., 18 €.

Les stigmates de la ShoahL’effacement des traces n’a jamais été uneffet ou une consé-

quence du plan d’extermina-tion nazi mais une des condi-tions de sa réalisation, et laplace occupée par l’efface-ment des traces et la néga-tion du crime est centraledans la compréhension de ladestruction des Juifsd’Europe. » écrivait LauraLaufer, notre critique decinéma, dans la PNM n°364de mars 2019 à propos du premier film d’Amichaigreenberg, Les témoins de Lensdorf. Vous n’avez pu le voir en salles ? Il est encoretemps car depuis le 27 août il est disponible enDVD et VOD ! n PNM

Bande annonce :https://www.youtube.com/watch?v=BGxir_ujyI4

«Les témoins de LensdorfDVD / VOD

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Toute la puissance dufatum élève ce filmnoir de série B à l’é-

gal d’une belle tragédie. Al,pianiste de bar, part en stoprejoindre sa fiancée. Uninconnu le prend et meurtdans son sommeil. Paniqué,Al jette son corps, usurpeson identité et poursuit saroute. Il prend en stop Veraqui connaissait le mort et lemenace de chantage...Ulmer choisit une narrationsubjective – Al se confie ànous – et ouvre le film parun flash-back prospectif.Mode narratif et puissanceplastique impliquent notreémotion. Le vécu que nouslivre Al de l’aventure sefonde sur sa vision angoissée et déformante dupassé et de l’avenir : il se vit en coupable de mortsaccidentelles – celle plus tard de Vera. Ulmer restitue avec grande intensité expressive lepessimisme de son héros ou plutôt de son anti-

héros. Taciturne, sombre, Al est hanté par la menaced’être un looser éternel, sentiment né de sonmanque d’argent et de sa précarité. La pauvreté,c’est là son seul crime. De sa rencontre avec Vera naîtun engrenage sordide auquel il se soumet, forgeantson propre piège. On a rarement vu au cinéma

créature aussi vénale, vul-gaire, vicieuse, que Vera –jouée par l’excellente AnnSavage : cette sangsue véné-neuse tire sa force du senti-ment de culpabilité vécu parAl, sentiment mêlé au désirprobable de la tuer, s’il enavait la force ! La puissance du style singu-lier d’Ulmer (épure, concen-tration, rigueur) rend le filminoubliable et a marqué legenre : la Bibliothèque duCongrès l’a retenu parmi les100 premiers films impor-tants de l’histoire du cinémaaméricain. Film fauchéd’une efficacité redoutable,construit en 67 minutes d’uncrescendo où Al se passe

lui-même le nœud coulant au cou. Détour par samatière et sa couleur fonde la poésie du genre : noirprofond. Fatal destin. n* La version restaurée de ce film ressort en salles le 4 septem-bre 2019.

10 Presse Nouvelle Magazine n° 368 - Septembre 2019Cinéma La chronique de Laura Laufer

Edgar G. Ulmer a dirigé aux USA quatre longsmétrages en yiddish. Né en 1904 à Omoulouc(Moldavie), ce juif laïque, après des études

d’architecture à Vienne, travaille au théâtre pour MaxReinhardt puis, au cinéma, devient assistant deRochus Gliese, décorateur du Golem (1920) de PaulWegener et des films de Munau dont L’Aurore (1927).

À Berlin, il participe avec Billy Wilder et RobertSiodmak au film Les hommes le dimanche [1]. Témoindes débuts du nazisme, Ulmer s’exile aux USA. Sonfilm Le chat noir (1934 avec Boris Karloff, BélaLugosi) est le plus gros succès du studio Universalmais sa liaison avec la scripte Shirley Kassler, mariéeau neveu du directeur du studio, le fait évincer des stu-dios. Shirley devient sa femme et restera sa collabora-trice jusqu’à sa mort en 1972. Banni des grands stu-dios, Ulmer rejoint la Poverty row [2] : petits studios,petits budgets, tournages rapides, séries B ou filmsdestinés à des minorités (ukrainienne, afro-améri-caine, juive) dont il devient le maître incontesté.À New-York, Ulmer déjà initié aux classiques de lalittérature juive par son ami l’acteur RudolfSchildkraut, découvre le Yiddish Art Theatre et sesgrands acteurs Paul Muni, Jacob Adler, MauriceSchwarz. Ses trois premiers films en yiddish s’inspi-rent de la littérature yiddish classique.

Pour Grinè Felder (Green Fields 1937), il travailleavec l’auteur Peretz Hirschbein. Tourné dans uneferme du New Jersey, l’action se déroule chez des pay-sans : Levi, jeune étudiant de yeshiva, quitte ce mondeobscur et part chercher le vrai monde et les vrais juifs,ceux dont le travail manuel développe la terre nourri-cière. Mais dans ce monde rural, superstitions et dog-mes musèlent le désir des jeunes gens. Ce film, lumineux et lyrique, n’est pas sans rappelerparfois L’intruse ou L’aurore de Murnau. Ulmer ycélèbre la vivacité des jeunes filles en fleurs, les désirs

des jeunes gens qui triompheront des conflits fami-liaux nés des dogmes. Le succès du film, durant sixsemaines, dépassa le public juif. Il rapporta le doublede son coût et obtint à Paris le prix du meilleur filmétranger de l’année !

Yankl der Schmidt (1938), d’après la pièce de davidPinski, fait découvrir l’art du grand cantor MosheOysher dans une comédie où Yankl, vaurien déluré,hésitant entre épouse et maîtresse deviendra a mensch !

Dans Die Klatsche (The light ahead 1939) d’aprèsl’œuvre de Mendele Moïcher Sforim, Ulmer nousentraîne, dans la nuit noire d’un chtetl aux côtés d’êtres fragiles, pauvres et humbles : une jeune aveugleHodel et Fishke le boîteux. Le Conseil du village attri-bue le choléra qui sévit à un bain de nuit pris à la rivière

un soir de shabatpar des jeunesfilles et désigneHodel et Fischkecomme boucsémissaires. Desvillageois et RebMendele récla-ment la venued’un docteur et laconstruction d’un hôpital, mais les rabbins préfèrentconsacrer les bénéfices du village à la synagogue. RebMendele interroge Dieu : pourquoi tant d’obscuran-tisme, d’oppression et de persécutions alors que tant demenaces nouvelles – comprenez le nazisme – pèsentaujourd’hui sur les juifs ? Organisant la fuite de Hodelet Fischke, il leur donne l’espoir de pouvoir sortir de lanuit et gagner une vie meilleure en quittant le chtetl. Lefilm lucide sur l’époque et le sort des juifs en 1939,possède une beauté très émouvante et, dans l’affronte-ment entre nuit noire et utopie de la lumière, offre uneprofonde vision humaniste de foi dans le progrès.

Amerikaner Shadkhn (1940 avec Leo Fuchs) héritede la causticité de l’humour yiddish : le personnageaprès sept tentatives de mariage lance un nouveaubusiness : version urbaine et moderne du marieur.Cette comédie fait la satire des nouveaux parvenus etdu juif assimilé.

Le génie plastique et l’inventivité d’Edgar G. Ulmeront su émanciper le cinéma yiddish de l’enfermementstatique dominant trop souvent le genre. Ses films yid-dish sont à placer au premier rang de cette productionet appartiennent désormais au meilleur de la culturejuive classique. n[1] Film emblématique de la « Nouvelle objectivité ». [2] Poverty Row (« allée de la misère ») : argot utilisé à Hollywoodpour désigner les petits studios de production de séries B.

Détour* d’Edgar G. Ulmer (1945) avec Tom Neal, Ann Savage

Ulmer ou le meilleur du cinéma yiddish

Grinè Felder (Green Fields 1937)

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Àla ligne, sans point ni virgule un peu comme unpoème en vers libres d’un étonnant premierroman autobiographique de Joseph Ponthus,

qui après avoir été dix ans éducateur en Seine-Saint-Denis, devient ouvrier intérimaire et embauche dansune conserverie de poissons puis dans un abattoir.Le lecteur y découvre la violencedu monde du travail, le corpssouffrant comme désarticulé parl’effort sans cesse renouvelé, l’a-bêtissement de la fatigue quis’accumule. Se jeter, en rentrantchez soi sur le divan et savoirque le dimanche n’est pas un vraidimanche parce que le soirappelle le lendemain et qu’il fau-dra se sortir, déjà fatigué, du litprétendument réparateur et qu’il faudra faire et refaireles mêmes gestes dans le bruit qui semble ne s’arrêterjamais.Le bruit mais aussi les odeurs, qui imprègnent lesvêtements, le corps, celles des bulots, des crevettes. Àla veille de Noël, quand les horaires de nuit sontcomme des empêcheurs de rêves, et que les fureursdes chefs donnent des envies de meurtre, le narrateurdécouvre avec humour son droit au « détournementartisanal » : à lui les langoustes des Caraïbes où lesmers sont si chaudes qu’on peut s’y baigner tous lesjours sans effort, les crabes royaux.

Et la nuit, s’appropriant son usine, rêver De repas arrosés de champagne de mon paysAvec des gens que j’aime / Plein de gens / À manger / À rire / À boire / À fumer.

Avant d’être confronté, dans ladernière partie du livre, à l’o-deur la plus violente, aux hurle-ments de peur des porcs, desvaches, à la mort. Les « décou-peurs » interviennent après queles « tueurs » ont fait leurœuvre. Et en dernier notre inté-rimaire avec un immense tuyauquand tout est encore rouge desang et blanc de gras. Nettoyeur

d’abattoir comme Apollinaire quand il écrivait du fondde sa tranchée nettoyeur de tranchée mais surtout lesodeurs de la mort. Violence de l’évocation.Tout devient répétitif (un « poème » qui n’en finit pas)comme si l’ouvrier intérimaire était lui-même unerépétition quotidienne, aussi bien pour « le café laclope une pause le café une clope » que pour les nomsdes villes du Nord qu’il traverse pour son travail d’é-ducateur spécialisé. Les noms s’alignent sur son che-min, Dunkerque, Fécamp, Berck-sur-Mer…. étam-pes, Trouville, interrompus par des images poétiques,« c’était la nuit des étoiles filantes… » ou « Le Mont-

Saint-Michel au loin attrapait les lumières du soleilcouchant ». Il y a aussi l’humour de Ponthus, cet humour qui forcele lecteur à se mettre de son côté, « les onglets ontdébarqué », rire même du chapitre sur le tofu dont ledébut ressemble étrangement à « Voyage au bout de lanuit » ça a débuté comme ça « Moi j’avais riendemandé ». Ouvrir un carton de vingt kilos de tofu, il se trans-forme en « égoutteur de tofu ». Et « fauteur dedégouts », il se répète que le tofu c’est dégueulasse etque s’il n’y avait pas tant de végétariens il ne se colle-rait pas « ce chantier de fou de tofu » Et on fait commesi tout allait bien parce que « on gagne des sous » etqu’y a ceux qui « taffent » et ceux qui « cheffent ». Si le lecteur est sauvé du cauchemar comme JosephPonthus l’est par la littérature (la poésie, l’écriture),c’est parce que À la ligne est aussi un livre politique.Jusqu’où peut-on supporter l’aliénation, le corps objet,le mépris ? Ce texte est bien conscient de la réalité dumonde du travail, « je ne vole rien, c’est rien que de laréappropriation ouvrière ». À la ligne est « un chant dédié aux prolétai-res de tous les pays, aux illettrés et aux«sans dents» » un texte original avec sadouble écriture, à la fois littéraire et popu-laire. n

Joseph Ponthus, À la ligne, éd. La Table Ronde, Paris, 272 p., 18 €

latinon-américains qui solliciteront son concours. Et il yen avait, à Paris ! Il côtoiera de fait le réseau Jeanson etle réseau Curiel. Ces activité sont illégales, il prend degros risques et ne l’ignore pas. D’autres vont y perdre lavie. Lui aura dû son salut dès la guerre grâce à l’obser-vance rigoureuse des règles de cloisonnement et à uneintelligence peu commune qui lui évite maints pièges oùd’autres vont tomber.J’ai été émue d’apercevoir, au détour d’une page, mavieille amie, Michèle Firk [3]. Née en 1937, Michèle nesupportait pas d’entendre « les gens », c’est-à-dire tousceux qui n’ont rien fait pour lutter contre le nazisme,rabâcher, après une Libération qui ne leur doit rien, que« les juifs se sont laissés mener comme des moutons àl’abattoir ». Elle s’est juré, elle, de se battre. Après desétudes à l’IDHEC, elle part faire un film sur la révolu-tion cubaine qui fait rêver tant de jeunes. Elle se consi-dérera même comme une communiste cubaine et fera laconnaissance de militants latino-américains. En 1968,passée au Guatemala, elle se tirera une balle dans la têtepour échapper à des policiers venus l’arrêter. Merci auxKaminsky d’avoir rappelé sa mémoire. Merci à Sarahde son beau travail. Il faut lire et faire lire ce récit de lavie d’un faussaire exemplaire. n[1] Adolfo Kaminsky, faussaire et photographe, expositionvisible au MAHJ jusqu’au 8 décembre 2019 dansles Foyers de l’Auditorium, gratuit.

[2] Sarah Kaminsky, Adolfo Kaminsky, une vie de faussaire,

Le livre de Poche, 2018, 254 p., 7,20 €

[3] Op.Cit. p. 23.[4] Un café-librairie porte son nom à Montreuil ;sa sœur Liliane est notre fidèle abonnée.

Adolfo Kaminsky, personne n’avait entendu par-ler de lui et c’est la moindre des choses pour cethomme qui a consacré toute une vie à la lutte

clandestine. Aujourd’hui son portrait s’affiche sur tousles murs de Paris, grâce à l’exposition que lui consacrele MAHJ [1]. Sa fille, Sarah Kaminsky a de son côtérecueilli les souvenirs de son père et retracé son par-cours [2]. Un parcours, sinon banal, dumoins classique pour ceux du yiddish-land. Ses parents sont nés ailleurs,d’où son nom. Lui est né en Argentine,d’où son prénom. La famille sera pas-sée par la Turquie avant de jeter l’ancreen France. Né en 1925, Kaminsky a 17 ans quandil se trouver embarqué dans laRésistance. Moyennant quoi ce jeunehomme au beau visage passionné vamener une vie de bénédictin. Il est recruté aux éclaireurs israélitesde France par une poignée de respon-sables de l’UGIF qui, conscients qu’a-vec l’UGIF « l’État français a trouvéun moyen infaillible de préparer ladéportation systématique des Juifs. » [3], ont créé unesection secrète pour les en sauver : la 6e section, vite encontact étroit avec les autres réseaux juifs – Jeunessessionistes, OJC, OSE et bientôt les FTP-MOI. C’est uneprouesse que de se procurer les listes des noms des pro-chaines victimes, une plus grande prouesse de fabriquerles indispensables faux-papiers et ce, dans la hâte, dansla hantise de ne pas fournir à la demande ou de commet-tre l’erreur technique qui signerait la contrefaçon.

« Trois cents enfants, se souvient Adolfo, cela voulaitdire plus de neuf cents documents... dans un délai de troisjours... impossible ! ...La fatigue est devenue ma pireennemie. ...Une heure, trente vies : je n’ai pas le droit deflancher ». Il faut produire des cartes d’identité, des liv-rets militaires, des cartes d’alimentation, bref tout ce quiva créer le passé que leurs titulaires vont devoir endosser

pour devenir de bons français.La chance de Kaminsky : avoir tra-vaillé comme apprenti chez un tein-turier qui, charmé par son insatiablecuriosité intellectuelle, lui révèle peuà peu les secrets du métier : commenteffacer une encre indélébile, com-ment obtenir l’exacte couleur dudocument officiel... Kaminsky l’ignore sans doute, mais sans laguerre, il eut fait un brillant cher-cheur, amoureux qu’il était de la dif-ficulté. Il invente en permanence. À la fin de la guerre, il sera recruté untemps par les services français. Enbonne logique, il aurait dû alors ces-ser ses activités clandestines. C’est

compter sans ces résistants juifs qui brûlent d’aller pour-suivre le combat en Palestine où il ne les suivra pas.Certes il a rêvé d’un état laïque binational. Mais l’idéaln’est-il pas qu’un juif puisse vivre en paix là où il vit ?Et puis Kaminsky, pacifiste et internationaliste dansl’âme est incurablement épris de justice et de fraternité. Voilà un homme incapable de refuser son aide à unebonne cause. Il va donc fabriquer des faux papiers pourtous les mouvements de libération, tant africains que

Presse Nouvelle Magazine n° 368 - Septembre 2019 11

Adolfo Kaminsky - Une vie de faussairepar Nicole Mokobodzki

L'actualité nous proposait trois figures remarquables. L'espace manquait pour parler des trois. Nous avons choisi de commencer par ce résistant, pacifisteenragé et internationaliste convaincu, que fut et reste Adolfo Kaminsky. Nous poursuivrons dans les prochains numéros... ... PNM

Joseph Ponthus : À la ligne - Feuillets d’usine par Jeanne Lafon Galili

Adolfo Kaminsky à 19 ans © MAHJ

Ceux qui se battent

Page 12: La marche vers la guerre Plus que jamais mobilisationdata.over-blog-kiwi.com/1/10/37/54/20191106/ob_55bb2e... · 2019. 11. 7. · [1] À noter que la présence juive attestée à

l’Association des écrivains et artistes révolutionnai-res (AEAR), fondée en 1932 et dirigée par PaulVai l lan t -Coutur ie r.En 1933, les éditionsparisiennes Trianglepublient, en yiddish,dans leur collection YidnKinstler Monografyes unemonographie de NathanAltman, écrite par lecritique ValdemarGeorges (Jarocinski) etIlya Ehrenbourg.En 1936, NathanAltman retourne àLéningradCe sont desannées sombres, celledes « purges ».

Et très vite, c’estla guerre, l’ef-froyable siège de Léningrad. Nathan Altman etsa famille sont évacués à Perm. Le 1erOctobre 1941, il est embauché comme déco-rateur principal par une troupe de théâtreréfugiée dans la ville. Les décors sont restés àLéningrad, Altman doit les reprendre à zéro :Faust ; Le Prince Igor ; l’opéra Dans la tem-pête, etc. Au cours des six premiers mois, latroupe montera 18 opéras et ballets différents. Après guerre, Altman réalise encore Hamletde Shakespeare, en 1954, au Théâtre

Alexandra mais se consacre surtout à l’illustration.Il meurt à Leningrad, le 12 décembre 1970.

Pendant le « dégel », sousKhrouchtchev,une expositionlui est consacrée(1969). Elleconnaît un suc-cès sans précé-dent. En 1977,une secondeexposition a eu

lieu à Moscou, mais déjà à titre posthume. NathanIsaevitch Altman est mort à Leningrad, le 12 décem-bre 1970.Avant d’être évacué de Léningrad, il lui fallait,comme tout le monde, des cartes d’alimentation pourpouvoir survivre. On s’inquiéta de son « rang ». « Je n’ai pas de rang, dit-il. J’ai un nom… ». n

* La Ruche(cité d’artistes

fondée en 1902) : On verra avec intérêt

sur Internet(vimeo.com/108106440) cette sympathique vidéo

présentée par JacquesKikoïne, fils de Michel

Kikoïne. Il y est question de peinture,

de « La Ruche » et même

du 14 rue de Paradis !!!

Art

12 Presse Nouvelle Magazine n° 368 - Septembre 2019

départements des Beaux-arts du Commissariat duPeuple à l’éducation, àMoscou. Il éditera le jour-nal Art de la Commune et lemagazine Flamme. Il parti-cipera à la création duMusée de l’Art et dirigeracelle du Musée de laCulture. L’artiste travaillaitsur la porcelaine de propa-gande, peignant des platsavec des symboles sovié-tiques, des slogans. Le pro-jet le plus grandiose d’agi-tation de masse d’Altman

fut la conception de la place principale de Pétrogradpour le premier anniversaire de la Révolutiond’Octobre.Les bâti-ments duP a l a i sd’Hiver etde l’état-major géné-ral entou-rant la placeabr i ta ienttout un sys-tème debanderoleset de panneaux et une installation abstraite « futu-riste » recouvrait le bas de la colonne d’Alexandre.Altman explorait de multiples directions,allant du réalisme pictural fort à une naturemorte magistrale. Il expérimentait diversmatériaux : il remplace la toile par une plan-che, peint avec du papier collé ou du mastic,mélange de terre et de gypse. Altman a colla-boré avec plusieurs théâtres. À partir de 1924,

il était le principalartiste du Théâtrejuif d’état (Goset)de Moscou. En1925, le directeur duGoset, AlexanderGranovski tourne un filmà partir de MenahemMendl de CholemAleikhem. Son titre :Le bonheur juif. IsaacBabel est l’un des auteursdu scénario. Le rôle princi-pal est joué par Mikhoels.Altman réalise l’affiche.

On lui doit aussi le magnifique portrait de SalomonMikhoels, l’un des meilleurs portraits psycholo-giques de l’histoire de l’art soviétique.En 1928, c’est avec le Goset que Nathan Isaevitchrevient en France. L’artiste décide, alors, de rester àParis avec sa femme, la ballerine Irina Degas.Il revient à la peinture au chevalet, qu’il adoucit etillumine de manière notable (Nature morte avec unpoisson rouge, Ville dans le sud de la France). Il illustre des livres pour enfants : Gogol, MarcelAymé, les Albums du Père Castor. Il expose avec

ÀParis. Altman découvre lecubisme (Paysage « La Ruche* »1911). Il est ami avec ses compa-

triotes Chagall, Zadkine, Soutine,Sterenberg. Emporté par le modernisme,il poursuit ses études à l’Académie russede Maria Vasilieva. Puis il rentre enRussie en 1912. À cette époque, les juifspour s’installer à Saint-Pétersbourgdevaient montrer patte blanche. Altman ace qu’il faut : un diplôme d’« artisan-peintre en enseigne » ! À 23 ans, son art a de multiples facettes,des thèmes yiddish comme Portrait d’unvieux juif ; Evreïskaïa grafika (Graphiquesjuifs), « Shabès »). Pour sesEvreïskaïa gra-fika, le peintres’inspire desstèles des cime-tières juifs de sarégion natale,revisitées à lam a n i è r ecubiste. Cetteœuvre sera pré-sentée à Saint-Pétersbourg devenue Pétrograd en 1923.Mais le genre préféré de Nathan Isaevitch est, alors,le portrait. Le plus célèbre est certainement celuiqu’il réalise de la poétesse Anna Akhmatova en1914 dans le style cubiste.

Autre portrait célè-bre, celui de Lénine.Ou plutôt ceux deLénine : neuf dessinset un buste en bronzetrès réaliste ; unmois et demide séancesquotidiennesau Kremlin.Lénine tra-vaillait alorsà son livre« La maladieinfantile du

communisme ». Il demanda à Altman si leportrait serait « futuriste », le jeune peintrelui répondit que « l’objectif dicte l’appro-che du travail ». Ses croquis donnent dudirigeant bolchévique une image vivante,humaine et profondément psychologique,loin des interprétations que lui ont données lesgénérations suivantes d’admirateurs ou d’ennemis.Ce n’est pas un hasard si Altman fut invité à tra-vailler dans le cabinet de Lénine. Dans les annéespostrévolutionnaires, il est devenu l’une des figuresprincipales de la construction d’un nouvel art. Et ilfut le premier des artistes à répondre à l’appel dunouveau gouvernement en faveur d’une coopérationavec les personnalités culturelles : V. Meyerhold,A. Blok, V. Maïakovski et R. Ivnev… Altman occupera des postes de direction dans les

נאתאן אלטמאן טראדיציע און אוואנט גארדNathan Altman Tradition et Avant-garde

par Bernard Frederick

La Ruche - Paysage - 1911

Lénine

Anna Akhmatova - portrait - 1915

Esquisse de décoration pour la place du Palais d'Hiver àPétrograd pour le 1er anniversaire de la Révolution 1918

(Suite de la Une)

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Altman esquisse pour un spectacle Perm 1942

Nathan Altman, monographie par Waldemar georges et Ilya

Ehrenburg, Paris, Editions Triangle

Illustration des Contes duchat perché de Marcel Aymé

Evreïskaïa grafika