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La maison de Sarah Nolween Eawy

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extrait du recueil de nouvelles collectif "Des bonbons ou la mort"

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Page 1: La maison de Sarah

La maison de SarahNolween Eawy

Page 2: La maison de Sarah

"Le sommeil de la raison engendre des monstres…"

[GOYA]

Je les entends parler à voix basse. Ils chuchotent, murmurent, ricanent.

Entre deux pans de murs qui s’effondrent et les coups de marteau, j’entends tout.

Ils disent que je suis folle, que j’ai perdue l’esprit. C’est ce qu’ils disent tous, quand ils pensent que je ne peux entendre.

Leur vie si pathétique ne tiens qu’a un pan de mur sur une pente raide. Un couloir plein de miroirs et un escalier qui ne mène nulle part. J’enferme les forces du mal dans ma maison. Les égarent dans un labyrinthe sans fin. Les désoriente et les persécute.

Ils existent. Je les renifle et les devine. Ils sentent le souffre et la charogne avarié. Se cache dans les courants d’air qui s’infiltrent dans les fissures et les fenêtres mal fermés. Viennent se perdre dans ma maison sans queue ni tête.

Je ne suis pas folle. Ce sont eux qui sont aveugle aux forces du mal qui les entourent. L’un des ouvriers se met à rire, plus fort que les autres. Il doit être maçon, charpentier, serrurier, décorateur, qu’importe. C’est un merdeux parmi tant d’autres. Il froisse le plan que j’ai dessiné la veille entre ses mains.

« Un escalier qui mène au plafond. Une cave dans le grenier, une porte qui mène sur le vide. Pauvre Sarah, sa raison vacille depuis la mort de son mari et son enfant. »

Il avait parlé à voix haute et s’en était rendu compte bien tardivement. Il n’eut pas le temps d’esquiver, ni même de hurler. L’armoire venait de s’écrouler sur ce pauvre garçon qui croyait tout savoir. J’entends déjà les sirènes de la énième ambulance pour venir récupérer son cadavre. Je suis devenue l’adresse favorite de la morgue du coin. Ma maison est devenue le lieu maudit à éviter. Sauf pour ceux dont l’appel des billets verts est plus fort que la raison. Mais même ceux-là ne sont plus légion. La vie est bien trop précieuse.

Bientôt plus personne, ne voudra venir faire des travaux dans la maison hantée de la vieille Sarah. Les rumeurs dans cette ville se propagent bien plus vite que la gangrène. Tout le monde me craint, me méprise, me montre du doigt. Ils disent que cette vieille Sarah a perdue l’esprit et dilapide la fortune de son défunt mari, dans

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des travaux pharaonique sans fin. Que ma maison est une infamie, une insulte à la logique humaine. Ils susurrent que les esprits qui me persécutent n’existent que dans mon esprit malade.

Pauvre Sarah, elle se croit maudite. C’est son argent qui est damné par toutes les atrocités de son mari. Les ragots qui circulent depuis des années disent que cet ancien fabricant d’arme à feux à fournis tout un arsenal à des terroristes. Des centaines d’innocents on périt et lui a garnis ses coffres forts de billets verts. On dit aussi que des armes clandestines circulent ça et là et causeraient bien du malheur. Paraîtrais même que son père avant lui avait fournis des armes à l’armée d’Hitler. La majorité des habitants de la ville sont juifs, cela fait désordre.

Ce pauvre fou tourmenté par des cauchemars incessants avait finis par tuer sa fille d’une balle entre les deux yeux. Il était convaincu que le démon avait pris possession de son corps. Il avait finis par se suicider rongé par le remord en visant adroitement sa tempe. La vieille Sarah est devenu veuve et riche, avec pour seule compagnie sa solitude et sa folie. La fortune de cette famille a été bâtie dans le sang des victimes de leurs armes meurtrières. Si une malédiction planait sur eux, ils en étaient les seuls responsables.

Sarah s’allonge un instant sur le sofa en se délectant du vacarme des murs qu’ils détruisent et des poutres qu’ils assemblent. C’est une douce musique à ses oreilles, son réconfort et son unique moment de paix. Elle tient les esprits éloignés de cette façon. Ils ne sont plus que des âmes égarés dans ses couloirs sans fin. Elle construit sans relâche une prison dans laquelle il n’existe aucune issue. Ses escaliers mènent aux plafonds. Ses portes mènent à de grands placards ou sur le vide. Ses cheminés sont cernées par des murs bétonnés. Les étages ne peuvent être atteints que par des passages secrets qui changent tous les mois. Les ascenseurs ne mènent jamais aux mêmes endroits. Les couloirs tournent sur eux-mêmes et ne mènent nulle part. La lumière est tamisée afin que les esprits restent aveugles et s’y perdent à tout jamais.

Les élucubrations d’une folle dépensant des millions pour des extensions sans fin d’une maison déjà démesurée. Ils sont payés des fortunes pour obéir à ses désirs et reproduire ses plans qui leur semblent irrationnels. Ils prient chaque jour, pour repartir en vie dans leur demeure. Ils craignent que sa folie et le labyrinthe de cette immense maison ne les engloutissent à tout jamais. La rumeur dit que des ouvriers s’y sont déjà égarés et n’ont jamais été retrouvés.

En cette nuit d’Halloween, ou les fantômes et autres monstruosités sont de sortie. Ils feraient mieux de ne pas trop s’attarder dans ce lieu sordide. Comme tous les habitants du village, ils interdiraient à leurs enfants de s’approcher de la vieille Sarah qui est un peu maboul.

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Sarah a prévu des paquets de bonbon pour les enfants qui viendraient frapper à sa porte. Mais savais au fond d’elle-même, que personne ne viendrais. Elle n’était pas une mauvaise personne, bien au contraire. Mais qui la croirais ? Les « on-dit » sont tenaces.

Elle a attendu de longues heures assise dans son fauteuil. Il est bien trop tard maintenant, aucun enfant ne viendra plus. Pas un seul gamin du village, n’est venu lui hurler aux oreilles « des bonbons ou la mort », caché derrière son costume fait maison. Sarah se retire dans sa chambre, le cœur lourd.

Si seulement elle avait attendu quelques minutes de plus, les choses auraient été différentes. Profondément endormis, dans une des innombrables chambres. Elle ne pouvait entendre, ces tambourinements furieux sur la porte. Un petit groupe d’enfants désobéissants ont voulu braver leur peur. Pariant, qu’ils parviendraient à se tenir debout devant la vieille Sarah la maudite.

Sarah n’est jamais venue ouvrir. Les enfants ne sont pas retournés chez eux. La rumeur à enflé dans le village tel un feu follet en à peine quelques heures.

« Cette vielle carne à tué nos petits. Cette pauvre folle disperse le malheur tout comme son époux avant elle. Le carnage doit cesser. »

Des courageux sont allés frapper chez Sarah, prête à l’immoler sur le bucher de la vengeance. Ils ont fait un tel boucan, que la pauvre Sarah fut tirée de son sommeil avec violence. Elle a jurée par tous les saints, qu’elle n’avait pas fait de mal aux petits. La foule en colère avait trouvé sa coupable. Le démon ne sait que mentir, c’est bien connu. Ses cris ont transpercés la nuit. Les jets de pierres l’ont fait taire à tout jamais. La mort de leurs chers petits était vengée. La tranquillité reviendrait dans le village et ce vacarme tonitruant des travaux incessant de la vieille Sarah ne résonneront plus jamais.

Chacun est rentré chez soi, soulagé d’avoir enfin fait ce qu’il fallait pour le bien de tous. Leur soulagement ne dura qu’un temps.

Mademoiselle Eglantine s’est mise à hurler en pleine rue. De joie ou de colère c’était difficile à dire. Son fils qu’elle croyait mort, était endormi sagement sur le canapé du salon. Ce fils que l’on croyait éviscéré par la vieille Sarah.

Les parents du petit Mathias sont aussi sortis de chez eux, les larmes aux yeux. Il était resté sagement à attendre leur retour. Quand aux jumelles Sophie et Sophia, elles dégustaient leurs bonbons à s’en attraper une indigestion. Ces petits chenapans

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n’ont jamais pu entrer dans la maison, car personne n’avait ouvert. Ils sont alors partis en ballade le long des quais perdant la notion du temps et de l’heure. Ils n’ont jamais su les tourments qu’ils ont causés.

La mort de la vieille Sarah est devenue un secret que personne ne devait évoquer. Jamais.

Garder un tel secret serait un bien lourd fardeau pour ces habitants qui avaient cru bien agir.

Aujourd’hui, il est certains que personne n’en parlera jamais. Parce qu’il n’y a plus personne pour en parler. Une semaine après le drame les habitants du village tout entier disparaissaient. Il ne restait pas âme qui vive, même pas un bruit d’oiseaux. Tout n’était plus que silence.

La maison de Sarah continue de narguer le village désert du haut de sa colline. Il n’y aura plus jamais d’ouvriers pour venir y travailler. Plus jamais de bruit de marteau piqueur et d’arrivage entier de bois et de ciment pour y rajouter des étages et quelques pièces supplémentaires.

La vieille Sarah, n’est plus la pour veiller à garder les esprits malfaisants enfermés dans sa demeure.

A chaque nuit d’halloween, on peut entendre les cris des âmes tourmentés entre le souffle du vent et la brume. La maison du haut de la colline s’éclaire de milles feux et l’on peut apercevoir parfois le reflet de Sarah dans l’une des fenêtres, les larmes aux yeux.

Cette histoire ne sera jamais connu de quiconque, car il n’y avait plus personne pour propager la rumeur. Il n’ya aucun survivant et la ville a été mystérieusement rayé de la carte. Pourtant quelqu’un à survécu. Sinon, comment auriez-vous pu lire cette histoire ?

Je suis Anna, la fille de Sarah. Tout le monde me pensait morte depuis longtemps déjà. Ils avaient tort, ils l’ont payé de leur vie. Ils auraient du laisser maman, continuer à me tenir en cage.

Nolween Eawy

Extrait du recueil collectif « Des bonbons ou la mort »