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LA MACHINE de GUERRE

ÉCONOMIQUE

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Christian HARBULOT

LA

MACHINE de GUERRE

ÉCONOMIQUE

Etats-Unis, Japon, Europe

Préface de Jean-Louis LEVET

ECONOMICA

49, rue Héricart, 75015 Paris

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© Ed. ECONOMICA, 1992 Tous droits de reproduction, de traduction, d'adaptation et d'exécution

réservés pour tous les pays.

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A Valérie et Raphaëlle

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Préface

De la menace économique identifiée à une politique de détente économique mondiale

A l'ouest, les Etats-Unis vivent à la fois la victoire de l'ordre libéral contre le système soviétique et la désintégration de leur orga- nisation sociale. L'Allemagne s'essouffle à financer sa réunification, la France, qui retrouve une compétitivité certaine, reste rongée par le cancer du chômage et le Japon, avec sa redoutable machine de guerre commerciale, perturbe un peu plus les règles économiques de l'occi- dent.

A l'Est, les politiques libérales échouent dans la reconstitution du terreau industriel, fondement d'une nouvelle croissance, et le chô- mage accentue le brasier des nationalismes.

Au Sud, des ruptures se créent entre des pays au volontarisme économique (Brésil, Pacifique) et ceux qui s'enfoncent dans l'anar- chie (Soudan, Somalie, Libéria...) ou la corruption généralisée (Colombie, Nigéria...).

Au sein du monde industrialisé, qui produit et consomme l'essentiel de la richesse planétaire, différentes cultures et mentalités co-existent : l'une, latine, est pacifique, mais est-ce suffisant pour créer des emplois et parer les coups de l'adversaire ? L'autre, anglo- saxonne, reflète un certain cynisme en prônant simultanément la concurrence et la coopération, mais son individualisme produit des acteurs solitaires et parfois de la naïveté. La mentalité germanique, fondée sur l'unité collective, a engendré un partenariat de combat (Etat, banques et appareil industriel) au savoir-faire offensif redou- table. Enfin, les convictions philosophiques et sociales des japonais, alliés à une peur de la pénurie de ressources, ont créé les conditions

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de la constitution d'un projet de conquête du marché mondial et d'utilisation de la puissance publique pour atteindre cet objectif.

Le grand mérite et l'originalité du travail de Christian Harbulot est bien là : renouveler de fond en comble notre compréhen- sion du monde industrialisé d'une part, par la prise en compte d'un facteur décisif de la guerre technologique et industrielle peu étudié jusqu'à maintenant : les systèmes d'information. Alliant une pra- tique de terrain et une réflexion de fond de l'intelligence économique, C. Harbulot va jusqu'au bout de son analyse de la menace écono- mique et de ses pratiques, en dénonçant le risque de généralisation d'un nouveau cancer pour nos démocraties : l'illégalité économique, devant laquelle le droit et les organismes internationaux restent, pour l'instant impuissants.

Notre cécité culturelle, devant ces phénomènes souterrains qui commencent à inerver le corps même de l'économie, peut nous coûter très cher en termes d'emplois et de cohésion sociale aujourd'hui, de démocratie demain. Combattre et non se soumettre, dans le respect de nos valeurs.

L'auteur nous fournit également des pistes concrètes pour défi- nir et mettre en oeuvre une solution alternative, à la fois au modèle national-expansionniste guerrier conduisant à une tension accrue des relations internationales, et au pacifisme économique menant à un désarmement unilatéral : une politique de détente économique mondiale. Le monde est en quête de valeurs. En voici une belle : tel est, au fond, le message de Christian Harbulot.

Jean-Louis LEVET

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Introduction

Combattre ou se soumettre

En novembre 1988, le Ministre des Affaires Etrangères, ayant appris par un de ses proches que je travaillais sur la guerre économique, me demanda de réfléchir sur un cas de négociation commerciale qui intriguait ses collaborateurs du Quai d'Orsay. C'est en essayant de dénouer les fils de cette affaire que j'ai découvert progressivement l'état de faiblesse de notre dispositif dans le domaine de l'information écono- mique. L'Association pour la Diffusion de l'Information Technologique (Aditech) m'a alors encouragé à réaliser une étude sur les techniques offensives et la guerre économique, qui constitue le point de départ de cet ouvrage. Peu après sa parution, j'ai été convié en 1990 par le Ministre des Affaires Européennes à lui préciser mon point de vue sur ce champ de recherches. Son passage à Matignon m'a permis d'approfondir la question et de vérifier que les entreprises, à quelques excep- tions près, ne sont guère mieux préparées que l'Etat pour affronter la compétition économique multipolaire qui succède à la compétition idéologique entre l'Est et l'Ouest.

Du GEM "Europe industrielle" aux réunions prépara- toires du X I Plan, j'ai vérifié que les entreprises prenaient conscience de leurs carences informationnelles face à une

concurrence internationale de plus en plus agressive. Que penser du témoignage de ce directeur de la recherche d 'un grand groupe chimique français qui déplorait en 1991 l'ineffi- cacité de ses pairs dans les négociations sur les normes à Bruxelles ? Par manque de concertation, les industriels de la

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chimie n'ont pas su bâtir de stratégie commune pour défendre notre identité technologique. Ils ont aussi négligé l'importance du savoir-faire des avocats dans ce type de négociation. Aucune équipe de juristes n'a été réunie pour contrer les opé- rations de lobbying menées par nos autres partenaires de la Communauté. Que dire du témoignage de ce représentant de la coordination des ports français lorsqu'il confia en juin 1992 à un groupe de travail de la commission Compétitivité du Plan son désapointement devant l'absence de stratégie fran- çaise dans l'élaboration de la politique portuaire européenne ? Au cours de la même séance, un directeur d'une grande sur- face nous expliqua que son groupe avait dû réduire à neuf le nombre de régions françaises pour avoir une stratégie plus cohérente et surtout plus compétitive. Mais cette astuce ne suffit pas pour leur donner les moyens d'aborder correcte- ment Bruxelles. Comment analyser le comportement de ces onze chambres de commerce françaises qui refusent de coor- donner leur action sur le territoire national sur la demande

d'une grande entreprise française soucieuse de renforcer les exportations de nos PME/PMI vers un pays du Sud-Est asia- tique ?

La France se découvre mal armée pour la guerre écono- mique. Mais ce n'est qu'une rumeur, perceptible dans certains couloirs d'administrations ou d'entreprises. Le débat n'est pas encore mûr car les partis politiques restent enfermés dans les contradictions de leur passé. Fascinée par l'économie de mar- ché, la gauche a mis dix ans à s'initier à la matrice libérale anglo-saxonne. Le rapport Charzat qui a servi de base de réflexion à la rédaction du programme du Parti Socialiste en est l'illustre exemple. Cette phase initiatique a masqué aux dirigeants du PS la crise culturelle du modèle économique américain. Une minorité de ses experts découvre aujourd'hui que d'autres modèles d'économies de marché sont plus per- formants que le modèle américain. Mais le PS n'en a pas tiré les enseignements stratégiques. La droite est restée de son côté attachée à une lecture simpliste et idéologique du libéralisme. Seules quelques personnalités ont osé faire le parallèle entre la fin du communisme et l'obsolescence du mythe de la main invisible du marché. Or le credo sur la libre concurrence et le dépérissement du rôle de l'Etat dans l'économie est chaque

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jour contredit par les succès remportés par les capitalismes nationaux sur les pays qui se font les apôtres du libéralisme sauvage. A moins de nier cette réalité, il sera désormais diffi- cile pour la gauche comme pour la droite de ne pas revoir sa copie.

Par mimétisme, la presse se focalise sur les baromètres de la croissance et relègue au rayon des faits divers de l'économie tous les phénomènes de concurrence. Cette paralysie intellec- tuelle de la classe politique et des medias empêche l'émer- gence des questions de fond. Qui est en mesure de penser une architecture globale des alliances industrielles franco-fran- çaises capables de relever le défi de l'Europe et de la compéti- tion mondiale ? Chacun s'accorde à dire que nous avons suffi- samment d'atouts pour bâtir une puissante industrie de l'environnement, mais l'éparpillement des forces la réduit à sa plus simple expression. Qui va structurer la chaîne de l'infor- mation dans l'entreprise, entre les administrations et les entre- prises ? A cette question, les chefs d'entreprise objectent qu'il n'existe pas dans ce pays de marché de l'information, sans chercher davantage à évaluer le prix d'une lacune aussi grave. Comment sensibiliser la population active au fait que la bataille pour l'emploi est aussi une bataille contre les compor- tements anarchiques de la concurrence internationale ? Toutes ces questions ne peuvent rester longtemps sans réponse. Le silence et l'inaction cautionnent l'aggravation du chômage et l'affaiblissement de notre appareil industriel.

Mais le danger le plus grand peut naître de la montée des exaspérations de la population active et plus particulièrement des salariés dont le niveau de revenus est faible, mais aussi des classes moyennes qui n'auront pas su s'adapter à la situa- tion,. Depuis 15 ans, cette base est frappée de plein fouet par les secousses économiques. Ses cadres organiques sont déboussolés par la chute vertigineuse des effectifs syndicaux. Sa population est bousculée dans son environnement par les flux migratoires. Elle est devenue la seconde grande Muette de la Nation. Privée d'ennemi idéologique depuis la mort du gauchisme et du communisme, elle cherche son combat. La lutte pour l'emploi devrait être logiquement le sien mais il n'existe toujours pas de plan de bataille pour la conduire au front. En 1945, le Japon a su mobiliser sa base sur des objectifs

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clairs : vous avez été battus, vous devez produire au meilleur prix pour survivre le dos à la mer ; et si vous voulez vivre mieux, vous devez gagner des parts du marché mondial. Depuis cette date, la base japonaise n'a jamais cessé son com- bat. En France, la seule mobilisation qui ait eu un écho compa- rable, fut paradoxalement celle lancée après la guerre par le dirigeant communiste Maurice Thorez, lorsqu'il demanda aux ouvriers de retrousser leurs manches pour relancer la produc- tion. Mais cet élan de patriotisme économique ne dépassa pas le cap de la guerre froide. Très vite la lutte sociale reprit le des- sus sur la lutte pour la production. Durant la même période, les Japonais passaient de la lutte pour la production à la lutte pour la compétitivité. Ainsi s'amorça le décalage.

L'erreur commise par la classe politique actuelle est de croire que le message de Maastricht a une ampleur suffisante pour remplacer un discours à la japonaise sur le patriotisme économique. Mais ce traité mal écrit n'en est qu'un piètre brouillon. Maastricht ne mobilise pas la base. Il n'est qu'une des étapes préliminaires pour se rapprocher du concept encore très abstrait de patrie européenne. Or la guerre écono- mique ressemble à toutes les guerres. Un peuple est d'autant plus motivé à se battre lorsqu'il défend sa terre nourricière. Maastricht n'est pas encore le symbole de la terre nourricière des Français. Il en est l'ersatz. Le patriotisme naît de l'enraci- nement, du rapport à un environnement géographique bien défini. L'environnement européen est encore à géométrie variable. Sa stabilité exigera beaucoup de temps. Trop de temps pour laisser la base sans réponse.

Dans un monde économique aussi instable, aucun schéma stratégique pré-établi n'a de valeur certaine pour garantir l'avenir. Les attaques monétaires de l'automne 92 et l'agressi- vité américaine dans les négociations du GATT mettent l'accent sur la nécessité de repenser l'idée d'intérêt national. L'Histoire nous a légué des leçons que nous ne devons pas oublier. La complexité du mécanisme de la mondialisation des échanges et des rapports de force idéologiques qui en décou- lent, a déjà généré dans le passé des retournements d'alliance imprévisibles. La géométrie variable pratiquée par la Société des Nations n'a pas été d'une grande utilité pour empêcher le montage diplomatique du pacte germano-soviétique. Qui ose-

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rait aujourd'hui affirmer que nous sommes définitivement à l'abri de ce type de court-circuit? Pour ne pas faire d'impasse sur les intérêts vitaux de la France, le pouvoir politique est condamné à élargir la panoplie de ses horizons stratégiques, tout en répondant à la question que ne manqueront pas de lui poser un jour les trois millions de chômeurs et leurs familles : existe-t-il une machine guerre économique française ?

Paris, octobre 1992.

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PREMIÈRE PARTIE

La menace économique

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marché de l'information une importance qu'il n'avait pas auparavant. Dun and Brandstreet, leader sur ce marché aux Etats-Unis, emploie près de 60 000 personnes et réalise un chiffre d'affaires de 5 milliards de dollars par an.

L'entreprise n'est plus la seule localisation géographique des opérations offensives de l'adversaire. Elles touchent désor- mais l'environnement des grandes métropoles industrielles. Cette dégradation des méthodes concurrentielles conduit les chefs d'entreprise américains à établir entre eux des critères de moralité pour essayer de cadrer des méthodes d'action qui ris- quent de devenir un jour incontrôlables.

Exemples d'actions morales acceptées contre la concur- rence :

• questionner les commerciaux de l'entreprise qui sont en contact avec les clients,

• analyser les produits et services concurrents,

• étudier les rapports financiers et les documents de recherche réalisés par les concurrents,

• obtenir de l'information en faisant parler volontairement des employés de sociétés concurrentes,

• utiliser les chasseurs de tête comme une source d'informa- tion intérieure.

Exemples d'actions immorales dénoncées par l'establishment :

• attenter à la vie privée du chef d'entreprise concurrent,

• espionner ses locaux ou son domicile avec des systèmes électroniques,

• retourner des membres de son personnel, voler ses plans stratégiques,

• conduire des négociations factices pour extorquer de l'information.

Mais ces recommandations morales ne stoppent pas la progression des délits d'information économique. Les déra- pages concurrentiels sont couverts aux Etas-Unis par une cer- taine loi du silence. A titre d'exemple, SRI International recense chaque année 100 à 200 affaires délictueuses dans

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l'industrie informatique. Moins de 10 sont des cas d'espion- nage industriel. Mais ces chiffres ne veulent pas dire grand- chose. En 1991, la Society for Security Industrial a effectué un sondage sur cette question auprès de 1700 de ses membres. Sur les 165 qui ont répondu, 61 ont fait état d'incidents. Les entreprises américaines ne souhaitent pas trop faire de publi- cité sur les délits d'intelligence dont elles sont victimes. Les sociétés américaines continuent souvent leur coopération avec les firmes étrangères qui ont commis des délits contre elles. Le business doit continuer coûte que coûte. En avril 1992, un ingénieur de Los Angeles, Ronald Hoffman a été condamné à 2 ans et demi de prison pour avoir vendu des documents confidentiels à Nissan Motor Co, Toshiba Corp, Mitsubishi Electric. Cette affaire n'a pas provoqué d'incident diploma- tique majeur entre les deux pays. Les responsables nippons ont démenti avoir connaissance de la nature du délit. Quant aux sociétés américaines visées, elles continuent de travailler avec le Japon. Angelo Codevilla, ancien membre du Comité sur l'Intelligence au Sénat et actuellement senior resident de la Hoover Institution, résume la mentalité des managers par cette boutade :

"Nous inventons des choses plus vite que les gens peuvent nous les voler !"

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CHAPITRE 1

La concurrence

par l'illégalité économique

Le danger mafieux

A côté de la concurrence par l'investissement qui, comme le dit Philippe D e l m a s a supplanté la concurrence par le pro- fit, se profile la concurrence par l'illégalité économique. Cette nouvelle donnée de la compétition économique mondiale a des répercussions aussi bien sur les règles de fonctionnement des entreprises que sur celles des économies nationales. Les économies mafieuses sont un des exemples les plus démons- tratifs de ce type d'interaction. Le commerce des stupéfiants et l'industrie de la contrefaçon sont les secteurs d'activité domi- nants de l'économie illégale. Le chiffre d'affaires du marché de la drogue est évalué aujourd'hui à plus de 120 milliards de dollars, chiffre supérieur aux rentrées financières des pays de l'OPEP. Le marché de la contrefaçon fluctue quant à lui entre 3 et 9 % du commerce mondia l et coûte chaque année à l'éco- nomie américaine et à l'économie européenne 60 milliards de francs. L'enracinement social de ce marché parasitaire dans les pays en voie de développement et dans les régions pauvres de l'Europe du Sud ne suffit pas à expliquer sa résistance aux contre-attaques juridiques des pays industrialisés Formées très tôt à toutes les ficelles de l'illégalité, les directions de ces structures clandestines exploitent au maximum les contradic- tions des pays-cibles : la corruption des administrations locales, les particularismes nationaux qui favorisent des pactes d'alliance entre le pouvoir politique et les structures mafieuses, les rivalités commerciales entre Etats. Pour répondre efficacement à une telle variété d'hypothèses de tra- vail, les organisations criminelles ont transféré une partie de

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leur savoir criminel sur le terrain des entreprises. Les affaires de chantage, de racket, de détournement de fonds, ou de sabotages de négociations commerciales font désormais partie de l'environnement concurrentiel d'un nombre croissant de pays industrialisés. L'essor du commerce de la drogue a poussé les organisations criminelles à perfectionner leurs techniques à un niveau mondial, en particulier dans le domaine des opérations de blanchiment de l'argent qui sont de plus en plus difficiles à déjouer. Selon les banques suisses, une opération de blanchiment de l'argent peut donner lieu à une trentaine de manipulations différentes réparties sur plu- sieurs pays. Mais les organisations mafieuses ne se contentent plus d'exploiter les failles juridiques des sociétés civiles, elles sont à l'affût du moindre dérapage concurrentiel pour renfor- cer leur position sur le marché mondial. Intéressée par les informations confidentielles d'IBM, une organisation mafieuse n'a pas hésité à kidnapper, il y a quelques années,un cadre de cette entreprise et à lui mutiler la main pour pirater le système d'identification numérique donnant accès aux locaux.

Le glissement des activités des organisations criminelles vers l'économie de marché a eu des retombées directes sur les pratiques guerrières du management occidental. Comme la production et l'écoulement des marchandises illégales repo- sent sur une gestion permanente du risque en milieu hostile, les cadres mafieux acquièrent une formation à la guerre éco- nomique bien plus redoutable que n'importe quel cadre d'une entreprise légale. Ces situations économiques particulières donnent naissance à des élites criminelles qui se normalisent en contaminant peu à peu la périphérie de leur sphère d'influence. Les exemples du Panama et de la Colombie sont la partie visible d'un phénomène transculturel qui a pris ses racines dans les pays industrialisés. La période de la prohibi- tion aux Etats-Unis a donné le moyen aux familles mafieuses de s'insérer dans l'économie de marché. Pour vendre l'alcool interdit aux consommateurs, les mafieux ont créé de toutes pièces des circuits de distribution clandestins qui alimentaient tous les débits de boisson du pays. Grâce à cet embryon d'éco- nomie parallèle, les organisations criminelles ont noyauté des secteurs économiques qui étaient hors de portée de leurs- activités traditionnelles. Certains actes symboliques d'Etats

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présentés par la suite comme des cas de force majeure ont donné aux liens mafieux une dimension internationale. La libération de Lucky Luciano qui a été décidée par Washington pour faciliter le débarquement des troupes alliées en Sicile, a eu pour conséquence la reconnaissance implicite de l'influence politico-militaire de la Mafia italienne. Cette cau- tion involontaire apportée par les autorités américaines à des chefs d'organisations criminelles servit quelques années plus tard de tremplin au commerce de la drogue entre l'Europe et les Etats-Unis. Après plusieurs décennies de campagnes répressives, les administrations fédérales américaines se sont révélées incapables de stopper ce processus de contamination. La mobilisation actuelle de la communauté internationale

contre le commerce des stupéfiants n'estompe pas la valeur historique de cet échec.

Le vendredi 26 juin 1992 est une date qui ne restera peut- être pas anodine dans l'histoire économique du Japon. Ce jour-là 1824 entreprises nipponnes, soit la quasi totalité des sociétés cotées en bourse, ont décidé de tenir leurs assemblées d'actionnaires au même moment sous la protection de la police. Ce fait divers illustre à quel point la pénétration mafieuse de l'économie nipponne a atteint sa côte d'alerte. Dans ce cas de figure, ce sont les participations croisées proté- geant les entreprises nipponnes des OPA étrangères qui sont particulièrement visées par les initiatives mafieuses. Profitant de la loi du silence imposée aux actionnaires, les sokaiya, c'est-à-dire les manipulateurs de l'information fabriquée par les officines privées de renseignement, font chanter les diri- geants des sociétés les plus exposés par leur vie privée ou leurs difficultés financières. Un ouvrage sur la mafia japo- naise, dont les auteurs sont deux journalistes américains, David Kaplan et Alec Dubro, évalue à 40 % le pourcentage des entreprises nipponnes qui paient tribut aux maîtres chan- teurs.

Le fil qui relie les yakusas aux milieux de la haute finance et de la politique japonaises est ancien. Dès le début de l'ère Meiji, les sociétés secrètes ont servi de bras armé aux mili- taires nippons pour déstabiliser la Mandchourie. En 1947, les autorités d'occupation américaines et le service de renseigne-

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Les déviances mafieuses du système d'information japonais

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ment de l'armée de terre américaine, le G2, ont utilisé les yakusas pour lutter contre la renaissance des syndicats com- munistes. En puisant dans le potentiel des 100 000 yakusas et de leurs 2300 gangs pour briser les grandes grèves de la fin des années 40, le patronat japonais créait de fait un lien de dépendance avec cet empire du crime organisé. Le prix de cette politique de contrôle social fut d'accorder aux yakuzas le monopole du commerce des lieux de plaisir. Cette aire mar- chande autonome n'empiétait pas sur les autres secteurs d'activité de la société nipponne. Mais la dynamique de l'éco- nomie mondiale a progressivement miné les bases de ce savant équilibre. Différents facteurs sont entrés en ligne de compte. La cascade de scandales qui s'est abattue sur le Japon depuis les années 70 a mis en exergue la multiplication des passerelles financières établies entre l'économie officielle et l'économie mafieuse. A propos des affaires Lockheed et Recruit, le chef du plus important gang de Tokyo déclara aux deux journalistes américains que les affaires de l'ombre allaient être de plus en plus incontrôlables du fait de la multi- plication des initiés et des ingérences.

Un autre facteur a joué un rôle non négligeable dans la contamination mafieuse des milieux d'affaires, c'est l'évolu- tion du marché de l'information nippon. Plus les entreprises nipponnes ont fait un usage intensif de l'information ouverte, plus elles ont reproduit les mêmes méthodes et moins celles-ci se sont avérées rentables sur le marché intérieur. Cette logique de somme nulle crée au Japon des failles culturelles sérieuses. Les entreprises les plus agressives cherchent à reprendre l'avantage en recourant de nouveau à l'information grise, c'est-à-dire à l'information fermée. Elles font appel à des bureaux pour inspirer la confiance, appellation pudique don- née par les Japonais aux agences de détectives privées. Ce marché en pleine expansion évalué à plus de 500 millions de dollars est une arme à double tranchant. La recherche systé- matique des points faibles de l'adversaire déstabilise les règles déontologiques du système d'information nippon. Désormais la violation de la vie privée des chefs d'entreprise et des cadres est monnaie courante. Pour atteindre leur cible, les officines de détectives privés n'hésitent plus à faire chanter les cadres supérieurs en difficultés financières, à voler des

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documents sensibles ou à faire courir des fausses nouvelles sur des victimes potentielles par l'intermédiaire de journa- listes noirs qui alimentent près d'une centaine de magazines à scandales. Cette course à l'information grise ouvre la voie aux mafieux qui avaient jusque-là été tenus éloignés des centres de décision de la machine de guerre nipponne. Grâce à la multiplication de ces pratiques illégales, les yakuza s'infiltrent de manière quasi sociologique au cœur des réseaux les plus sensibles des conglomérats industriels et financiers japonais. Pris dans le piège infernal de la rentabilité de l'information à tout prix, les Japonais n'ont pour l'instant trouvé aucun anti- dote à ce danger de contagion.

En exploitant systématiquement les failles de la législa- tion des échanges, les organisations mafieuses ont créé des poches cancéreuses dans les circuits économiques officiels. Que ce soit l'amiral Lacoste, ancien patron des services secrets français et pourfendeur du syndrome mafieux, ou le PDG de l'empire FIAT, Giovanni Agne l l i qui met en garde les Européens contre la dangerosité croissante de la Mafia, des voix commencent à se faire entendre pour dénoncer les risques du crime organisé. Si l'on en croit les services spéciali- sés, la France est encore à l'abri des aspects les plus menaçants de ce fléau. Les organisations mafieuses sud-européennes n'ont pas encore trouvé sur notre territoire des relais culturels suffisants pour leur fournir une population de soldats homo- gène et durable. De leur côté, les magistrats ont constaté que la décentralisation avait ouvert des brèches dans le fonction-

nement des institutions, en particulier dans le sud de la France. Mais les organisations mafieuses n'en ont tiré pour l'instant qu'un profit marginal. Les triades asiatiques implan- tées dans la région parisienne ont une activité limitée à leur aire d'influence ethnique car elles ne peuvent exister que dans une communauté culturelle bien définie. A ce stade, l'illégalité économique n'est encore en France qu'un simple phénomène de société. Mais le danger est à nos portes. A partir du moment où les métastases mafieuses des différents continents établi- ront entre elles des liens marchands, elles constitueront une menace majeure pour les démocraties marchandes.

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Des consommateurs sous influence

L'illégalité économique ne s'arrête pas aux entreprises et aux marchés financiers. Elle menace aussi l'environnement des consommateurs. Pour pénétrer les marchés de consomma- tion de Hong Kong, de Taïwan et de Thaïlande, les groupes n ippons doivent affronter des groupes locaux qui ont une approche similaire de l'information commerciale. Dans un contexte où les innovations du marketing finissent toujours par être reproduites par la concurrence, le centre commercial n'est plus la cible principale. Pour éviter de combattre sur le terrain de l'ennemi, les grandes surfaces nipponnes ont décidé de s'attaquer à l'environnement socio-culturel de la clientèle, en agissant à l'intérieur et surtout à l'extérieur de leur maga- sin. Elles ont traduit ce changement de tactique par une explo- ration méthodique des données culturelles de l'information afin de dresser un profil social des consommateurs :

• enquêtes mensuelles réalisées à partir d 'un échantillon- nage de plusieurs dizaines de clients sur leurs préférences de marque mais aussi sur leur emploi et leur niveau de salaire,

• relevé photographique régulier des emplacements de par- king pour évaluer la répartition sociale de la clientèle en fonction des types de véhicules,

• initiation gratuite de femmes au foyer, à l'économie domestique mais aussi à la décoration florale et à la poésie...

Ce perfectionnement continu de la collecte de l'informa- tion a amené les entreprises nipponnes à repenser leur gestion de l'information. Elles ont dès lors testé de nouvelles méthodes d'approche du consommateur : sondages de la clientèle par entretiens directifs ou semi-directifs, traitement informatique des adresses figurant sur les chèques... L'étude du mode de vie des consommateurs représente un capital informatif important. En conséquence, l'exploration de la vie privée du citoyen économique est devenue un champ d'inves- tigation à part entière. Les pays du Sud-Est asiatique sont loin de disposer des mêmes instruments de contrôle que les démo- craties occidentales, comme c'est le cas en France avec la

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Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés. Les Japonais sont conscients des réactions négatives que risquent de susciter ces méthodes sur les marchés occidentaux. Pour éviter que leur usage de l'information soit perçu comme une opération déloyale et expansionniste, ils modulent le niveau offensif de leurs pratiques commerciales en fonction des réac- tions. Dans le cas du Sud-Est asiatique, les grandes surfaces nipponnes seront plus prudentes en Corée du Sud où leur image de marque est encore fortement dénaturée par les sou- venirs de l'occupation japonaise, et plus agressifs en Thaï- lande, pays moins touché par les exactions de l'armée de l'empire du Soleil Levant.

Les stratégies d'influence sur le citoyen économique ne se limitent pas à une approche sociologique de la clientèle hors de la zone d'activités de l'entreprise. Pour contrer les attaques de la concurrence, certaines entreprises utilisent l'information comme instrument de sensibilisation de l'opinion publique. Dans le passé, des entreprises occidentales se sont déjà affron- tées sur ce terrain comme le prouve l'exemple de la guerre de la margarine au Danemark. A la fin des années 60, la société Unilever a tenté de s'emparer de la totalité du marché en vou- lant casser la dynamique commerciale du groupe alimentaire danois Alfa. Pour atteindre leurs objectifs, les représentants d'Unilever déclenchèrent contre leur adversaire une véritable bataille commerciale en usant de moyens ouverts et fermés : • achat de tous les supports publicitaires disponibles sur le

marché local afin d'empêcher toute campagne d'enver- gure de la firme danoise,

• négociation d'accords financiers secrets avec les réseaux de détaillants et de grossistes pour bloquer la distribution des produits d'Alfa.

La virulence de cette offensive provoqua une réaction patriotique des Danois qui aboutit à l'échec de la campagne d'Unilever. La mobilisation quasi-spontanée de l'opinion publique danoise dans la guerre de la margarine a donné aux entreprises de nouvelles perspectives pour utiliser l'informa- tion comme levier stratégique. A ce stade, l'information est plus qu'un simple instrument de prospection commerciale.

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Elle peut devenir un instrument d'action. Certaines entre- prises multinationales ont expérimenté cet effet de feed-back sur l'opinion publique. En 1986, le distributeur américain Dayton-Hudson a réussi à contrer une OPA hostile à la suite d'une campagne de soutien de la population des ghettos près desquels il était implanté et à qui il reversait 5 % de ses béné- fices annuels. Sous la pression des communautés d'aide humanitaire qui manifestaient pour soutenir la cause de Dayton-Hudson, l'Etat a refusé de ratifier la décision de vali- dation de l'OPA. La mobilisation de l'opinion publique n'est pas toujours si simple à obtenir. En 1989, la direction de Cartier a décidé d'opérer une destruction publique de faux produits Cartier à l'Automobile Club de Madrid. Il s'agissait de 2 000 chemisettes, 10 000 boîtes et écrins plagiats et 6 000 étiquettes usurpatrices du nom Cartier, saisis en Espagne. Ce type d'action psychologique a sensibilisé durant une journée les médias au problème de la contrefaçon. Mais il n'a eu aucun effet dissuasif sur les fabricants de contrefaçons Cartier qui ont continué à produire, et encore moins sur les petits acheteurs qui ont continué à acheter les faux produits Cartier.

Notes

1. Philippe Delmas, Le maître des horloges, Odile Jacob, 1991. 2. Danièle Rouard, La guerre du faux, Le Monde du 27 octobre 1989. 3. Interview donnée au Le Monde, 17 juin 1992. 4. Méthodes japonaises offensives de marketing direct, Problèmes écono-

miques, La Documentation Française, n° 2 110, février 1989. 5. Une des missions de la CNIL est de veiller à ce que le développe-

ment des pratiques de l'informatique ne porte pas atteinte au respect de la vie privée des citoyens.

6. Pieter de Vries, Unilever, une multinationale discrète, Cerf, 1978.

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CHAPITRE 2

La réponse française

Ne pas se tromper de guerre

A la fin du XIX siècle, on a cassé le monopole du savoir de l'ouvrier de métier pour instaurer le travail à la chaîne. Les travaux de Taylor exprimaient non seulement une volonté d'augmenter la production, mais aussi de contrôler sociale- ment cette production. L'absentéisme, l'alcoolisme, la mobilité géographique étaient monnaie courante chez des ouvriers peu enclins à rester passifs devant les conditions de travail inhu- maines de la première révolution industrielle. A l'époque, les grandes familles manufacturières étaient davantage préoccu- pées par ces attitudes déviantes que par la concurrence étran- gère. Mais le rapport capital/travail s'est peu à peu dilué à la fin des années 1970 dans la crise des idéologies et la sclérose de la pensée syndicale. Sous l'effet des stratégies industrielles japonaises, un autre rapport a commencé à dominer les débats sur la productivité et la compétitivité : le rapport innova- tion/ concurrence.

Au cours des vingt dernières années, la menace concur- rentielle a progressivement supplanté la menace sociale dans les pays industrialisés. Progressivement, le danger n'est plus venu de l'intérieur de l'usine, mais de l'extérieur. A ce propos, le rapport Taddei/Coriat, remis en 1992 au ministre de l'Industrie, fait une curieuse impasse sur les répercussions de la concurrence dans le devenir des économies nationales. Les processus de saturation concurrentielle conditionnent aujour- d'hui simultanément l'évolution des systèmes productifs et l'évolution du travail. Autrement dit, la compétitivité ne se résume pas simplement à la qualité des produits que l'on

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fabrique mais aussi à l'ensemble des moyens mis en œuvre par les entreprises et les Etats pour les écouler sur le marché mondial. Les différents modèles culturels d'économie de mar-

ché (autre trou noir du rapport Taddei/Coriat) sont de plus en plus tributaires du rapport coopération/concurrence qui balise le champ d'une bonne partie des échanges internationaux. C'est la raison pour laquelle le problème de la compétitivité de l'économie française ne se résume pas à une redéfinition du contenu du travail et à une revalorisation des rapports entre les partenaires sociaux. Pour faire baisser le chômage, il faut aussi gagner des parts de marché.

La montée en puissance des enjeux concurrentiels sur le marché mondial, l'effritement du leadership américain et la multiplication des puissances de premier plan (Japon, Alle- magne...), ont mis l'accent sur la nécessité d'une nouvelle approche de l'information économique dans la conduite des stratégies industrielles. Cette pression extérieure a eu deux effets conjugués. D'abord une évolution des mentalités vis-à- vis des Etats-Unis. Au fur et à mesure que sont apparus les défauts du modèle managérial américain, l'idée d'un manage- ment à la française a pris corps. Cette coupure de cordon ombilical est consécutive à l'érosion progressive du sentiment d'infériorité que nous cultivions depuis le début du siècle à l'égard du pays phare du capitalisme. Le second effet de cette pression extérieure s'énonce en une question : existe-t-il une ligne de fracture entre la compétitivité made in Japan et la compétitivité made in USA, entre un modèle asiatique qui s'appuie sur une culture collective de l'information et un modèle anglo-saxon dominé par une culture individuelle de l'information? Une information maîtrisée par le maximum d'acteurs est aujourd'hui plus rentable qu'une information maîtrisée par le minimum d'acteurs. De fait, une stratégie d'information conçue au niveau d'une entreprise, fut-elle multinationale, est moins performante que celle bâtie autour d'une économie nationale dominée par une alliance objective entre le secteur public et le secteur privé.

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L'introuvable pax gallica

Faute de s'être suffisamment préparée à la guerre écono- mique, la France n'a pas encore trouvé de réponse globale aux techniques offensives de la concurrence étrangère. Personne ne nie que les vingt premiers groupes français ont construit des dispositifs très performants qui confirment chaque jour leur rentabilité opérationnelle. La seule critique que l'on peut émettre à leur sujet est qu'ils ont pris l'habitude d'aller au combat en ordre dispersé en privilégiant leur propre stratégie de marché, sans toujours tenir compte des impératifs de l'éco- nomie française. Etant donné l'évolution des phénomènes concurrentiels, la France a besoin d'une industrie de l'infor- mation structurée comparable à celles qui se développent sur le marché mondial. Les informations non traitées par les grands groupes industriels français représentent un surplus informatif dont la non-utilisation reste encore incompréhen- sible. Si la mondialisation des échanges constitue une des étapes fondamentales de la construction de l'économie- monde, elle représente aussi pour les entreprises françaises un champ de menaces en constante évolution. La notion de firme multinationale qui a longtemps servi de référence universa- liste au modèle libéral n'est pas sans ambiguïtés. Que reste-t-il d'américain dans la filiale d'IBM au Japon ? Le redéploiement de la Pax Americana confirme cette résurgence des valeurs nationalistes dans les secteurs géographiques dominants de l'économie mondiale. Les spécialistes des agences fédérales américaines ont renoncé à leur vision ethnocentrique du mar- ché mondial. Ils sillonnent désormais l'Europe et la zone Pacifique à la recherche des sources d'informations scienti- fiques et techniques indispensables à la redéfinition des cri- tères de compétitivité de leur appareil industriel. A partir de novembre 1989, la Maison Blanche a commencé à exprimer officiellement sa volonté politique de "reprendre en main" des intérêts économiques de la puissance nord-américaine, en imposant à l'Australie la présence des Etats-Unis et du Canada à l'Asia Pacific Economic Conference.

La division idéologique du monde en deux blocs anta- gonistes, pays capitalistes et pays socialistes, a masqué pen- dant plus d'un demi-siècle les contradictions marchandes du

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libéralisme. L'effondrement des régimes communistes a mis fin à ce faux-semblant. L'apparition de plusieurs pôles indus- triels dominants autour de l'Axe Atlantique et de l'Axe Pacifique met de nouveau à l'ordre du jour les rivalités concurrentielles entre les Etats. En se contentant d'expliquer les mauvais résultats du chômage par des facteurs conjonctu- rels, les défenseurs de l'orthodoxie libérale ont brouillé sans le vouloir la lisibilité des problèmes économiques. Leur apologie de la loi du marché, confortée par l'ancienne division idéolo- gique du monde en deux blocs, a conduit les industriels et les pouvoirs publics à une vision restrictive des phénomènes concurrentiels. La focalisation des élites françaises sur le modèle américain a renforcé l'idée que l'entreprise était le seul acteur efficace de l'économie de marché, alors que la réussite de l'Allemagne, du Japon ou de la Corée du Sud démontrait exactement le contraire. Dans ces trois pays, l'alliance orga- nique entre l'Etat, les banques et les entreprises a joué un rôle décisif dans les victoires commerciales remportées à l'étran- ger. L'administration a elle aussi été victime de ce mouvement d'auto-désinformation. Le mythe du libéralisme universel, entretenu par certains grands commis de l'Etat après la dispa- rition du général de Gaulle, a vidé de son sens une bonne par- tie de notre politique industrielle. En effet, les succès d'Airbus et du TGV ne doivent pas nous faire oublier les défaites enre- gistrées depuis 20 ans en particulier dans l'industrie électro- nique.

De l'économique au stratégique, l'Histoire nous prouve qu'il n'y a qu'un pas. Contrairement au Canada qui a signé un traité d'union économique avec les Etats-Unis et qui, parallè- lement, tisse sur sa façade Pacifique des liens très étroits avec plusieurs économies dynamiques d'Asie, la France a tout misé sur la construction européenne et n'a pas de stratégies de rechange. Cette situation est dangereuse. Notre pays ne doit pas seulement reconstruire sa force de frappe industrielle mais doit aussi, pour être crédible auprès de ses partenaires, se donner les moyens d'une politique alternative. C'est ce que font l'Allemagne avec la Mittel-Europa, l'Italie avec l'Europe balkanique, l'Autriche avec la Hongrie et la Tchécoslovaquie, et l'Espagne avec ses anciennes colonies d'Amérique du Sud. Si la France n'a plus les moyens de reprendre l'offensive à