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« A quoi bon aller en cours si notre avenir est condamné?»: c’est depuis quelque temps le mot d’ordre de nombreux-ses jeunes qui se mobilisent pour le climat un peu partout en Europe. En Suisse, le mouvement naît en fin d’année 2018. Suite à un premier vendredi, où les étudiant.e.s zurichois.es de degré secondaire II désertent les cours, d’autres établissements alémaniques se joignent à cette «grève pour le cli- mat» avant de propager le mouve- ment dans toute la Suisse. Voilà des années qu’on entend parler du réchauffement climatique et que l’on pousse les gens à accomplir ces «petits gestes» qui la sauvent. Qu’est- ce qui a changé? Pourquoi l’écologie revient-elle soudainement au cœur des préoccupations? La planète et l’humain en péril Depuis les années cinquante et l’ex- plosion de la croissance économique, les émissions de gaz à effets de serre ainsi que la destruction des forêts et l’acidification des océans ont drasti- quement augmenté, mettant en péril toute la biosphère. Le rapport publié par les scientifiques de l’ONU pour le climat en novembre 2018 lance un ultimatum clair: nous avons jusqu’à 2030 pour atteindre un bilan net d’émission de gaz à effets de serre nul, si nous ne voulons pas augmenter la température globale de plus de 2°C. Une telle augmentation engendrerait non seulement de nombreuses inon- dations, mais provoquerait un boule- versement de l’écosystème terrestre par la disparition de nombreuses espèces végétales et animales. Dès lors, nous entrerions dans un modèle climatique tout à fait différent, dû notamment au déclenchement des boucles de rétroaction positive, telles que la fonte du permafrost, l’acidifica- tion des océans, ou les sécheresses. Dans ce cas, il serait tout bonne- ment impossible de prévoir quelles seraient les conditions de vie sur la planète et dans lesquelles nous devrions apprendre à évoluer. A la fois acteurs inconscients et témoins idéalistes de la sixième extinction de masse (les trois quarts des insectes volants ayant disparu en une tren- taine d’années et un oiseau sur trois en quinze ans), la génération née pendant les Trente Glorieuses a en grande majorité vécu avec l’idée que les mesures individuelles permet- traient de préserver notre planète, sans entraver la sacro-sainte crois- sance économique. C’est d’ailleurs ainsi que fut élevée la nouvelle géné- ration. Cependant, suite à la COP24 et au refus de la loi sur le CO 2 en Suisse, la coupe est pleine. Inspiré-e-s par la jeune Greta Thunberg, dont le discours à Katowice a fait le tour des réseaux sociaux, les jeunes se mobili- sent pour des mesures plus globales et, elles/ils l’espèrent, plus efficaces. Ainsi, comme la jeune Suédoise qui abandonne les bancs scolaires tous les vendredis pour manifester contre son gouvernement, les lycéen-ne-s, étu- diant-e-s et apprenti-e-s des cantons de Neuchâtel, Genève, Vaud, Jura, Fribourg, Berne, Aarau, Zurich, Bâle, Grisons, Zug, St-Gall et Lucerne des- cendront le 18 janvier dans la rue avec l’élan insufflé par l’urgence de la situation. Les directions informées Dans un souci de transparence, un mail avait été envoyé aux directions de nombreux établissements dans le but de les informer des intentions des jeunes. Ainsi, les activistes espéraient rendre claires leurs motivations, qui n’ont rien contre leurs établissements. En effet, la grève n’est pas une démonstration de mécontentement concernant la politique éducative, mais bien climatique. Tout un cha- cun étant dès lors concerné, l’espoir était de voir le secteur de l’éducation comprendre et soutenir l’engagement politique. Les réactions des diffé- rentes directions ne se sont pas fait attendre et varient selon les cantons. Tandis que Fribourg et le Valais refu- sent globalement d’accorder l’autori- sation aux étudiants de se rendre à la manifestation et de faire grève, à Neuchâtel, chaque établissement est libre de gérer l’événement à sa guise. Ainsi, le lycée Blaise-Cendrars de la Chaux-de-Fonds n’imposera aucune sanction aux élèves, qu’il considère s’éveillant à une conscience politique. En Suisse alémanique, les premières manifestations n’avaient pas entraîné de sanctions trop lourdes, grâce au nombre important des personnes mobilisées. Changement de climat ou de système? Nous voilà confrontés aux abus d’un système qui, axé sur le profit et l’accu- mulation de richesses, oublie le plus important: ses constituant-e-s. L’ex- ploitation des ressources est compa- rable à l’exploitation humaine, tirant le maximum, puis laissant à l’agonie l’entité vidée de ses richesses. La société de production et de consom- mation capitaliste est à l’origine de ce fonctionnement, raison pour laquelle il est temps d’ouvrir le débat pour de nouveaux modèles de société. Le mouvement présente d’ailleurs trois revendications claires: le gouverne- ment doit prendre des mesures pour atteindre un bilan net d’émissions de gaz à effets de serre nul en Suisse d’ici à 2030, sans le développement et l’im- plémentation de technologies de compensation. Il doit également déclarer l’Etat d’urgence climatique et agir en conséquence, une collabora- tion avec les médias nationaux afin de communiquer clairement l’état actuel de la catastrophe climatique étant pour cela bienvenue. Enfin, le gouver- nement se doit de ne pas laisser de barrière systémique entraver l’acces- sion à ces revendications. La jeunesse à laquelle on reproche trop souvent son manque d’implica- tion serait-elle plus clairvoyante que ses décideurs? Nous sommes à l’aube d’un changement important, reste à savoir s’il sera de société ou de climat. Comme l’exprime si bien Pablo Ser- vigne, chercheur pour une transition écologique, «aujourd’hui, l’utopie a changé de camp : est utopiste celui qui croit que tout peut continuer comme avant.» n Inès Marthaler JAA / PP / JOURNAL, 1205 GENÈVE SUCCESSEUR DE LA «VOIX OUVRIÈRE» FONDÉE EN 1944 WWW.GAUCHEBDO.CH N° 3 18 JANVIER 2019 CHF 3.- GE: La Coordination contre la loi «Maudet» sur la laïcité entre en campagne page 3 Jean Ziegler revient sur la figure du grand économiste Samir Amin, décédé en 2018 page 5 LAUSANNE: LE POPISTE DAVID PAYOT LANCE UN PROJET DE BUDGET PARTICIPATIF DANS LE SILLAGE DU MODÈLE DE PORTO ALEGRE AU BRÉSIL PAGE 2 Les petits boulots de m…! Dans l’émission Mise au Point du 06 jan- vier, la RTS a diffusé un reportage sur la vente par téléphone. Hormis le fait que des gens nous appellent en Suisse depuis le Maroc pour nous vendre toute sorte de produits plus ou moins inutiles, c’est les conditions de travail qui m’ont interpellé. Les employés des call center sont surveillés, mis sur écoute pour contrôler qu’ils répondent bien, et c’est idem en Suisse. Ils doivent faire du chiffre, sont mis en concurrence par leur employeur. Une coche est inscrite sous leur nom dans un tableau affiché à chaque vente qu’ils réalisent. Dans le genre boulot de m…il y a aussi ce qu’on peut nommer l’uberisation. Cela concerne de nombreux jobs de services, comme les livraisons à domicile par des cyclistes, qui exploités et payés au lance- pierres ne bénéficient bien souvent d’au- cune protection sociale de la part de leur employeur. On pourrait aussi parler du domaine de la santé, des EMS et autres CMS. Autant dire que ces conditions de travail sont pour le moins stressantes et mal- saines. Rentabilité, concurrence, flexibi- lité, surveillance, voilà où nous en sommes arrivés. Comment voulez-vous que les travailleurs se sentent épanouis dans leur job? Comment voulez-vous, dans ces conditions, que les travailleurs ne finissent pas malades, en dépression ou en burn-out? Hélas il faut bien se rendre à l’évidence que le système capitaliste n’en a que faire de la santé de ces travailleurs, du moment où ils produisent et sont ren- tables. Si ceux-ci n’arrivent plus à suivre la cadence, hop, on le remplace par quel- qu’un de plus jeune, plus endurant, plus productif… Cela se vérifie dans toute une série de domaines professionnels. Notre vie sur terre n’est-elle destinée qu’à travailler et à produire? Souvent, les gens n’ont pas d’autres choix que d’ac- cepter d’avoir un boulot mal payé, avec de très mauvaises conditions de travail, un salaire pas très haut, pour arriver (quand ils y arrivent) à la retraite avec une mince rente et une santé précaire. Ils n’ont pas le choix, car ils doivent payer un loyer trop cher, des assurances mala- die prohibitives etc… Il y a une révolte sourde chez beaucoup de travailleurs qui n’en peuvent plus. Il faut l’entendre, la comprendre et la por- ter politiquement sur le devant de la scène, avec des propositions concrètes, en mobilisant et en unissant les tra- vailleurs. Christophe Grand IL FAUT LE DIRE... La jeunesse en grève pour le climat MOBILISATION • Le vendredi 18 janvier, des lycéens, universitaires et apprentis seront en grève dans une dizaine de villes de Suisse pour exiger des mesures urgentes contre le réchauffement climatique.

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Page 1: La jeunesse en grève pour le climat - Gauchebdo...ultimatum clair: nous avons jusqu’à 2030 pour atteindre un bilan net d’émission de gaz à effets de serre nul, si nous ne voulons

«A quoi bon aller en cours sinotre avenir est condamné?»:c’est depuis quelque temps le

mot d’ordre de nombreux-ses jeunesqui se mobilisent pour le climat unpeu partout en Europe. En Suisse, lemouvement naît en fin d’année 2018.Suite à un premier vendredi, où lesétudiant.e.s zurichois.es de degrésecondaire II désertent les cours,d’autres établissements alémaniquesse joignent à cette «grève pour le cli-mat» avant de propager le mouve-ment dans toute la Suisse. Voilà desannées qu’on entend parler duréchauffement climatique et que l’onpousse les gens à accomplir ces«petits gestes» qui la sauvent. Qu’est-ce qui a changé? Pourquoi l’écologierevient-elle soudainement au cœurdes préoccupations?

La planète et l’humain en périlDepuis les années cinquante et l’ex-plosion de la croissance économique,les émissions de gaz à effets de serreainsi que la destruction des forêts etl’acidification des océans ont drasti-quement augmenté, mettant en périltoute la biosphère. Le rapport publiépar les scientifiques de l’ONU pour leclimat en novembre 2018 lance unultimatum clair: nous avons jusqu’à2030 pour atteindre un bilan netd’émission de gaz à effets de serre nul,si nous ne voulons pas augmenter latempérature globale de plus de 2°C.Une telle augmentation engendreraitnon seulement de nombreuses inon-dations, mais provoquerait un boule-versement de l’écosystème terrestrepar la disparition de nombreusesespèces végétales et animales. Dèslors, nous entrerions dans un modèleclimatique tout à fait différent, dûnotamment au déclenchement desboucles de rétroaction positive, tellesque la fonte du permafrost, l’acidifica-tion des océans, ou les sécheresses.

Dans ce cas, il serait tout bonne-ment impossible de prévoir quellesseraient les conditions de vie sur laplanète et dans lesquelles nousdevrions apprendre à évoluer. A lafois acteurs inconscients et témoinsidéalistes de la sixième extinction demasse (les trois quarts des insectesvolants ayant disparu en une tren-taine d’années et un oiseau sur troisen quinze ans), la génération néependant les Trente Glorieuses a engrande majorité vécu avec l’idée queles mesures individuelles permet-traient de préserver notre planète,sans entraver la sacro-sainte crois-sance économique. C’est d’ailleursainsi que fut élevée la nouvelle géné-

ration. Cependant, suite à la COP24et au refus de la loi sur le CO2 enSuisse, la coupe est pleine. Inspiré-e-spar la jeune Greta Thunberg, dont lediscours à Katowice a fait le tour desréseaux sociaux, les jeunes se mobili-sent pour des mesures plus globaleset, elles/ils l’espèrent, plus efficaces.Ainsi, comme la jeune Suédoise quiabandonne les bancs scolaires tous lesvendredis pour manifester contre songouvernement, les lycéen-ne-s, étu-diant-e-s et apprenti-e-s des cantonsde Neuchâtel, Genève, Vaud, Jura,Fribourg, Berne, Aarau, Zurich, Bâle,Grisons, Zug, St-Gall et Lucerne des-cendront le 18 janvier dans la rueavec l’élan insufflé par l’urgence de lasituation.

Les directions informéesDans un souci de transparence, unmail avait été envoyé aux directionsde nombreux établissements dans lebut de les informer des intentions desjeunes. Ainsi, les activistes espéraientrendre claires leurs motivations, quin’ont rien contre leurs établissements.En effet, la grève n’est pas unedémonstration de mécontentementconcernant la politique éducative,mais bien climatique. Tout un cha-cun étant dès lors concerné, l’espoir

était de voir le secteur de l’éducationcomprendre et soutenir l’engagementpolitique. Les réactions des diffé-rentes directions ne se sont pas faitattendre et varient selon les cantons.Tandis que Fribourg et le Valais refu-sent globalement d’accorder l’autori-sation aux étudiants de se rendre à lamanifestation et de faire grève, àNeuchâtel, chaque établissement estlibre de gérer l’événement à sa guise.Ainsi, le lycée Blaise-Cendrars de laChaux-de-Fonds n’imposera aucunesanction aux élèves, qu’il considères’éveillant à une conscience politique.En Suisse alémanique, les premièresmanifestations n’avaient pas entraînéde sanctions trop lourdes, grâce aunombre important des personnesmobilisées.

Changement de climat ou de système?Nous voilà confrontés aux abus d’unsystème qui, axé sur le profit et l’accu-mulation de richesses, oublie le plusimportant: ses constituant-e-s. L’ex-ploitation des ressources est compa-rable à l’exploitation humaine, tirantle maximum, puis laissant à l’agoniel’entité vidée de ses richesses. Lasociété de production et de consom-mation capitaliste est à l’origine de ce

fonctionnement, raison pour laquelleil est temps d’ouvrir le débat pour denouveaux modèles de société. Lemouvement présente d’ailleurs troisrevendications claires: le gouverne-ment doit prendre des mesures pouratteindre un bilan net d’émissions degaz à effets de serre nul en Suisse d’icià 2030, sans le développement et l’im-plémentation de technologies decompensation. Il doit égalementdéclarer l’Etat d’urgence climatique etagir en conséquence, une collabora-tion avec les médias nationaux afin decommuniquer clairement l’état actuelde la catastrophe climatique étantpour cela bienvenue. Enfin, le gouver-nement se doit de ne pas laisser debarrière systémique entraver l’acces-sion à ces revendications.

La jeunesse à laquelle on reprochetrop souvent son manque d’implica-tion serait-elle plus clairvoyante queses décideurs? Nous sommes à l’aubed’un changement important, reste àsavoir s’il sera de société ou de climat.Comme l’exprime si bien Pablo Ser-vigne, chercheur pour une transitionécologique, «aujourd’hui, l’utopie achangé de camp : est utopiste celuiqui croit que tout peut continuercomme avant.» n

Inès Marthaler

JAA / PP / JOURNAL, 1205 GENÈVE

SUCCESSEUR DE LA «VOIX OUVRIÈRE» FONDÉE EN 1944 • WWW.GAUCHEBDO.CH N° 3 • 18 JANVIER 2019 • CHF 3.-

GE: La Coordination contre laloi «Maudet» sur la laïcité entreen campagne page 3

Jean Ziegler revient sur la figuredu grand économiste Samir Amin,décédé en 2018 page 5

LAUSANNE: LE POPISTE DAVID PAYOT LANCE UN PROJET DE BUDGET PARTICIPATIFDANS LE SILLAGE DU MODÈLE DE PORTO ALEGRE AU BRÉSIL PAGE 2

Les petits boulotsde m…!Dans l’émission Mise au Point du 06 jan-vier, la RTS a diffusé un reportage sur lavente par téléphone. Hormis le fait quedes gens nous appellent en Suissedepuis le Maroc pour nous vendre toutesorte de produits plus ou moins inutiles,c’est les conditions de travail qui m’ontinterpellé. Les employés des call centersont surveillés, mis sur écoute pourcontrôler qu’ils répondent bien, et c’estidem en Suisse. Ils doivent faire duchiffre, sont mis en concurrence par leuremployeur. Une coche est inscrite sousleur nom dans un tableau affiché àchaque vente qu’ils réalisent.

Dans le genre boulot de m…il y a aussice qu’on peut nommer l’uberisation. Celaconcerne de nombreux jobs de services,comme les livraisons à domicile par descyclistes, qui exploités et payés au lance-pierres ne bénéficient bien souvent d’au-cune protection sociale de la part de leuremployeur. On pourrait aussi parler dudomaine de la santé, des EMS et autresCMS.

Autant dire que ces conditions de travailsont pour le moins stressantes et mal-saines. Rentabilité, concurrence, flexibi-lité, surveillance, voilà où nous ensommes arrivés. Comment voulez-vousque les travailleurs se sentent épanouisdans leur job? Comment voulez-vous,dans ces conditions, que les travailleursne finissent pas malades, en dépressionou en burn-out?

Hélas il faut bien se rendre à l’évidenceque le système capitaliste n’en a que fairede la santé de ces travailleurs, dumoment où ils produisent et sont ren-tables. Si ceux-ci n’arrivent plus à suivrela cadence, hop, on le remplace par quel-qu’un de plus jeune, plus endurant, plusproductif… Cela se vérifie dans touteune série de domaines professionnels.

Notre vie sur terre n’est-elle destinéequ’à travailler et à produire? Souvent, lesgens n’ont pas d’autres choix que d’ac-cepter d’avoir un boulot mal payé, avecde très mauvaises conditions de travail,un salaire pas très haut, pour arriver(quand ils y arrivent) à la retraite avecune mince rente et une santé précaire.Ils n’ont pas le choix, car ils doivent payerun loyer trop cher, des assurances mala-die prohibitives etc…

Il y a une révolte sourde chez beaucoupde travailleurs qui n’en peuvent plus. Ilfaut l’entendre, la comprendre et la por-ter politiquement sur le devant de lascène, avec des propositions concrètes,en mobilisant et en unissant les tra-vailleurs.

Christophe Grand

IL FAUT LE DIRE...

La jeunesse en grève pour le climatMOBILISATION • Le vendredi 18 janvier, des lycéens, universitaires et apprentis seront en grève dans unedizaine de villes de Suisse pour exiger des mesures urgentes contre le réchauffement climatique.

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2 • NATIONAL N° 3 • 18 JANVIER 2019

N otre pays est l’un des plusriches au monde, mais unegrande partie des tra-

vailleurs.euses, retraité.es, chô-meurs-euses peinent à joindre lesdeux bouts. Partant de ce constat,le POP Vaud lance une candidatepour le Conseil d’Etat  avec unerevendication principale: davan-tage de pouvoir d’achat pour lesclasses populaires. Et lorsque cetterevendication émane de la gauchecombative, elle s’inscrit dans unvéritable projet de société.

Défendre les classes populaires etrenforcer l’économie localeSi parler de pouvoir d’achat n’estpas propre à un camp politique, lesrevendications concrètes s’oppo-sent. A droite, on revendique sur-tout une baisse des impôts, avecpour objectif déguisé d’affaiblir lesservices publics. A gauche, pour lePOP, élever le pouvoir d’achat sefait à travers l’incitation à la haussedes salaires et la baisse des fraisfixes pesant sur le budget des

ménages. Ce sont donc deux pro-jets de société qui s’affrontent. Etpour le POP, il s’agit bien d’œuvrerpour la réalisation d’un autremodèle économique, au service deceux qui produisent la richesse denotre pays: les travailleuses et lestravailleurs.

Le POP s’attaque aux frais fixesqui pèsent fortement sur le budgetdes ménages, principalement lesprimes d’assurance maladie et lesloyers chers. Cet argent ne finitaucunement dans l’économie localemais enrichit des caisses d’assu-rance maladie et des groupesimmobiliers qui l’investiront selondes logiques de profit et pas dansl’intérêt de la population.

A l’opposé, un meilleur pouvoird’achat c’est davantage d’argentdans le budget des ménages pourfaire des dépenses qui feront tour-ner l’économie locale. En effet,pour avoir accès aux marchés pay-sans, à la boucherie locale, aux res-tos du coin, à la culture (musique,théâtres, concerts), à la santé (salles

de sport, piscines), il faut en avoirles moyens.

Revendiquer une hausse dupouvoir d’achat sans baisse d’im-pôts, c’est donc défendre les classespopulaires et nos services publicstout en renforçant le tissu écono-mique local. Laisser le champ libreà la droite sur ce terrain reviendraità perdre la garantie de services àbas coûts dans le transport, la santé,l’éducation pour les classes popu-laires. C’est pour toutes ces raisonsque le POP Vaud en a fait sonthème principal de campagne.

Agir pour la transition écologiqueMiliter pour le pouvoir d’achat desménages est donc un outil essentielpour contribuer au changement demodèle économique que défend lecamp progressiste, mais égalementafin d’agir efficacement pour latransition écologique.

Le mouvement des gilets jaunesle montre: l’écologie libérale estvouée à l’échec, car elle oppose sys-tématiquement écologie et social,

et ne s’attaque jamais aux gros pol-lueurs. Seule une écologie nonpunitive pour les classes populairesa des chances de succès, surtoutquand on sait que l’essentiel de lapollution liée au mode de vie est lefait des très hauts revenus.

Au lieu de prendre pour respon-sables les gens et leur «surconsom-mation» individuelle, ne ferait-onpas mieux de militer pour quetoutes et tous aient enfin lesmoyens de consommer local etsain? Ou encore de fournir destransports publics gratuits afind’éviter aux gens de devoir prendrela voiture? Car si beaucoup deconsommateurs se tournent vers lesfast-foods et l’achat en ligne, parexemple, c’est avant tout parmanque de moyens. Toute la ques-tion est là: pour consommer mieux,à l’heure actuelle, il faut en avoir lesmoyens. Pour en avoir les moyens,il faut de meilleurs salaires, moinsde frais d’assurance maladie et deplus bas loyers. n

Paris Kyritsis

Une candidature du pouvoir d’achatVAUD • La candidate du POP pour les élections complémentaires du 17 mars au Conseil d’Etat vaudois,Anaïs Timofte, défend une revalorisation des salaires et une baisse des frais fixes.

70 jours de grève de lafaim pour Leyla Güven

A près les deux mobilisations de la semainedernière à Lausanne, une cinquantaine demembres du Centre culturel kurde de Lau-

sanne (CCKL) se sont rassemblés mardi en débutd’après-midi devant le Grand Conseil. Ils ont inter-pellé les députés sur l’isolement du leader kurdeAbdullah Öcalan et sur la vague de grèves de lafaim entreprises par des milliers de prisonnierspolitiques et de citoyens en Turquie, au Kurdistanet en Europe. La députée kurde Leyla Güven enta-mait ce mardi son 70ème jour de grève alimentaire.Le jour même, de nouveaux municipaux kurdesemprisonnés en Turquie ont rejoint le mouvement,totalisant 262 élus locaux et parlementaires engrève de la faim – y compris la co-présidente duparti démocratique des régions (DBP), SebahatTuncel. Durant la matinée, une délégation duCCKL a rencontré Igor Santucci, secrétaire généraldu Grand Conseil, qui a souligné que le parlementne menait pas la politique extérieure de la Suisse. Ila toutefois reconnu que les militants kurdes avaientle droit de faire usage des divers outils d’un étatdémocratique, comme la pétition ou la résolution.La délégation a pour sa part rappelé qu’environ90’000 Kurdes résident en Suisse, dont 10’000 ontle droit de vote. Enfin, Jean-Michel Dolivo estintervenu durant les débats au nom du groupeEnsemble à Gauche, afin de demander «qu’ici etailleurs, la solidarité avec la députée kurde LeylaGüven se propage et que les prisonniers politiquesen Turquie soient libérés». n

TRz

L e budget participatif est né àPorto Alegre, au Brésil, en 1989.Lundi, le Service de l’enfance, de

la jeunesse et des quartiers de la Villede Lausanne lançait officiellement sapropre mouture, via un projet pilotede trois ans basé sur une politique desubventionnement. Une enveloppe de100’000 francs financera cinq projetslors de cette première année – chacunrecevra un soutien de 20’000 francs –puis le financement passera à 200’000francs et à 300’000 francs les annéessuivantes.

Lors de la phase d’appel à projets,ouverte jusqu’au 30 avril, les citoyenspourront déposer les initiatives quileur tiennent à cœur sur le portail«my.lausanne.ch». Les propositionsdevront avoir pour objectif «d’amélio-rer la qualité de vie du quartier et derenforcer les liens sociaux», et lesactivités proposées ne devront paspoursuivre de but lucratif. Durantcette étape, Damien Wirths, coordi-nateur des quartiers, explique que«les projets n’auront pas de focale thé-matique, mais devront en priorités’inscrire dans un territoire, un quar-tier, en somme un lieu de vie». Sou-haitant donner la possibilité à lapopulation «d’inventer» et non pas«orienter» la nature des propositions,David Payot ne s’étend pas sur lesexemples. Il évoque des éléments dedécoration végétale, l’améliorationd’infrastructures existantes ou l’ins-tallation de mobilier urbain.

Afin d’encourager la dimensioncommunautaire, chaque projet devraêtre monté par trois personnes auminimum, qui devront ensuite trou-ver dix parrains ou marraines pourles soutenir. Enfin, l’association Reliefet l’atelier d’architecture et d’urba-nisme OLGa soutiendront les por-teurs de projets sur le terrain, en lesconseillant et en répondant à leursquestions. Leur intervention serafinancée par le Programme «Citoyen-

neté» de la Commission fédérale desmigrations à hauteur de 240’000francs pour les trois ans. «L’objectif estque les gens ne soient pas démunis,explique Damien Wirths, et que ce nesoient pas toujours les meilleurs oules plus aguerris qui déposent desprojets, mais que toute personne quia une bonne idée puisse la porter et laconcrétiser».

Campagne de votation citoyenneLa Municipalité analysera ensuite lafaisabilité des projets, au regard deleur légalité et de leur coût, et afind’éviter qu’il s’agisse de compétencesqui relèvent de la Ville. La liste desprojets non retenus sera publiée avecune notice explicative. Dès sep-

tembre, les lauréats entameront leurcampagne afin de défendre leurconcept devant la population, qui seprononcera via internet ou papier,puisque des urnes seront disséminéesdans les quartiers. Une boîte auxlettres est même promise à la rueCentrale.

Dès l’automne, les porteurs desprojets retenus signeront une conven-tion avec la Ville, tandis qu’ils seronteux-mêmes en charge de la mise enœuvre. Une responsabilité «qui n’estpas anodine et méritera d’être mise envaleur» pour David Payot. «Le budgetparticipatif est un outil qui permetfondamentalement de donner laparole aux citoyens et de mettre àl’agenda et sélectionner les projets sur

la base d’un choix populaire»,explique David Payot. «C’est égale-ment une occasion pour la Municipa-lité d’avoir un autre lien avec la popu-lation et de lui proposer une autremanière de participer aux institutionspolitiques».

En août dernier encore, le POPLausanne lançait un sondage popu-laire au sujet du réaménagement de laplace de la Riponne, en parallèle de laconsultation menée par la Municipa-lité. Céline Misiego, conseillère poli-tique de David Payot et conseillèrecommunale popiste, confiait alorsdans les colonnes de Lausanne Citésne pas faire confiance à la Municipa-lité pour mener à bien ce projet:«Nous ne savons pas encore ce que la

Municipalité entend faire et ce seraitdommage que Lausanne loupe lecoche dans le réaménagement decette place si emblématique. Notrecrainte est que cette démarche pré-sentée comme étant participativefinisse en simple consultation,comme on a pu le constater pour lesPlaines-du-Loup, ou par un référen-dum comme pour Taoua». PourDavid Payot, cette série d’initiativesest emblématique de la culture poli-tique que promeut son parti: «C’estune façon de revoir l’horizon poli-tique pour l’extrême gauche. C’estmoins la prise du pouvoir que saredistribution qui devient l’enjeu et lecœur de notre action». n

Talissa Rodriguez

Je participe, tu participes, il participe…VAUD • La Ville de Lausanne a présenté lundi les détails de son nouveau projet de budget participatif. La population sera amenée à voter surdes projets imaginés par les citoyens eux-mêmes. Les lauréats se verront attribuer une subvention de la Ville et assureront la mise en œuvre.

Le projet de budget participatif lancé par le Service de l’enfance, de la jeunesse et des quartiers de la Ville de Lausanne est une première en Suisse romande. Les Lausannois ont jusqu’au 30 avril pour déposer leur projet. DR

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NATIONAL • 3N° 3 • 18 JANVIER 2019

Projets genevois pour destituer le gouvernement

E nferré dans plusieurs affaires (voyage à Abu Dhabi en2015, don du groupe Manotel pour sa campagne ououverture rapide d’un bar aux Grottes par ses services),

le Conseiller d’Etat Pierre Maudet a finalement obtenu lesoutien de son parti, bien travaillé au corps, à l’occasiond’une assemblée des militants réunis à l’université cettesemaine. Par 341 voix contre 312, la base a rejeté lademande de démission du magistrat PLR, exigée par le pré-sident du parti, Alexandre de Senarclens - qui a démis-sionné de son poste dans la foulée - mais aussi par lesconseillers nationaux Christian Lüscher et Hugues Hitpold.

Face à ces tergiversations, les députés des autres partisont décidé de prendre le taureau par les cornes. Coup surcoup, le MCG Daniel Sormanni a déposé deux projets deloi permettant la destitution des membres du Conseild’Etat, de la Cour des comptes et des autorités judiciaires.

De son côté, l’ex-député PS Roger Deneys a rédigé deuxprojets d’initiative. L’une pour créer une procédure de desti-tution. L’autre visant directement celle de Pierre Maudet. Pasen reste, Ensemble à Gauche, par l’entremise de Pierre Baye-net, a déposé un projet de loi le 14 janvier, qui permettrait au

Grand Conseil de destituer un conseiller d’Etat et au peuplede destituer l’ensemble du gouvernement. «C’est ce qu’a fait lecanton du Tessin, qui a, d’une part, prévu à l’article 29a de saconstitution qu’il est mis un terme à la charge du membre duGrand Conseil ou du Conseil d’Etat exercée par un citoyencondamné à une peine privative de liberté ou pécuniaire pourdes crimes ou des délits contraires à la dignité de la charge;d’autre part, l’article 44 de sa constitution prévoit que quinzemille citoyens peuvent présenter au Grand Conseil unedemande de révocation du Conseil d’Etat», explique le députéd’Ensemble à Gauche. Précisant les modalités de mise enœuvre de son système de révocation, Pierre Bayenet souligneque le choix a été fait de placer les barres assez haut en termesde nombre de signature nécessaires pour la majorité qualifiéeparlementaire pour la destitution (75% des députés votants)et pour l’initiative révocatoire (4% du corps électoral). «Il fauten effet que ces possibilités soient mises en œuvre lorsqu’ilexiste un consensus au sein de la population, et qu’elles nesoient dans la mesure du possible pas utilisées par un groupepartisan contre un autre», justifie-t-il encore. n

JDr

Double référendum sur la CPEG

Suite au vote par le Grand Conseilgenevois en décembre de deuxlois contradictoire sur la recapita-

lisation de la Caisse de prévoyance del’Etat de Genève (CPEG), deux référen-dums viennent d’être lancés, l’un éma-nant de la droite, l’autre de la gauche. Le8 janvier, le PLR a annoncé récolter dessignatures contre la loi 12228 approuvéeau parlement par l’Alternative (PS,Verts, Ensemble à Gauche) et le MCG.Le projet prévoit de renflouer la caisseen proposant - à titre d’actifs de recapi-talisation- des terrains détenus par l’Etatpour construire des logements à loyersabordables. «Cette loi ne prévoit aucuneréforme structurelle et fait porter l’entierde la charge de la recapitalisation, soit 4,2 milliards, sur le seul contribuable»,critique le PLR, qui défend le projet issudu Département de sa magistrate,Nathalie Fontanet. Le texte prévoit lepassage au système de primauté descotisations, ainsi qu’une augmentationde la part de l’employé passant de 33,3 %à 42% contre une baisse de celle de l’em-ployeur passant de 66,7% à 58%.

La loi 12404 issue de la droite et del’UDC est combattue par le Cartel inter-syndical de la fonction publique, sou-tenu par l’Asloca, le PS, Ensemble àGauche ou le MCG, qui a annoncé lelancement d’un référendum le 10 jan-vier. «Il faut rappeler que le Conseil d’É-tat a précisé qu’en cas de non-contesta-tion de ces deux lois par référendum, ilchoisirait de promulguer la L12404, etqu’il reviendrait devant le parlementavec ses observations, dans un délai de 6

mois, sur la 12228, comme l’y autorise laConstitution», précise Marc Simeth,président du Cartel.

«Cette loi péjorera une nouvelle foisles rentes des assuré-e-s, tout en aug-mentant leurs cotisations. Il faut souli-gner que ce sont les décisions de lamajorité de droite qui sont à l’origined’une capitalisation insuffisante de lacaisse et non des retraites trop géné-reuses», explique, de son côté, le PS.«Les salariés ont déjà subi de fortesbaisses de leurs rentes, soit plus de 12%actés en 2014 lors de la création de laCPEG et 5% fin 2016, en lien avec l’aug-mentation de l’âge pivot.

La loi prévoit d’autre part le passagede la primauté des prestations à la pri-mauté des cotisations; le premier sys-tème garantit une rente en fonction decritères fixés en amont alors que lesecond fait dépendre la rente des rende-ments des placements de la caisse. Cen’est alors plus l’employeur et le salariéqui supportent conjointement le risquede devoir adapter le système s’il ne par-vient plus à remplir les objectifs légauxfixés, mais les salarié-e-s seul-e-s quivoient leur rente fondre sans pouvoir s’yopposer», précise encore le PS.

«La loi de la gauche garantit demeilleures prestations pour le personnelet veut recapitaliser la Caisse en misantsur la construction de logements àloyers abordables plutôt que sur labourse», résume Marc Simeth, prési-dent du Cartel. La population sera pro-bablement appelée aux urnes en mai. n

JDr

C ette semaine, la Coordination contre uneloi sur la «laïcité» contraire aux droits fon-damentaux, qui regroupe des forces qui

vont de la gauche aux syndicats, en passant parEnsemble à Gauche, les Verts, différents mouve-ments féministes, StopExclusion, les Juristesprogressistes, des organisations musulmanes ouencore le Parti évangélique, lançait sa campagnecontre la Loi sur la «laïcité» de l’Etat (LLE). Pourles référendaires qui avaient lancé quatre réfé-rendums sur le sujet, la loi n’est pas nécessaire.«La constitution genevoise adoptée en 2012 ainscrit la laïcité de l’État comme principe. Il y estinscrit que l’État est laïque, neutre religieuse-ment, qu’il ne subventionne pas d’activités cul-tuelles et qu’il entretient des relations avec lescommunautés religieuses. La constitution garan-tit également la liberté de croyance et deconscience à tout individu. Cette nouvelle loicréerait des problèmes et des situations de ten-sions là où il n’y en a pas aujourd’hui», estimentles socialistes.

Si la nouvelle loi permettra d’élargir, à desconditions strictes, la perception de la contribu-tion religieuse à un plus large panel d’organisationsreligieuses, un privilège que critique la Coordina-tion référendaire, la LLE entend surtout interdirele port de signes religieux extérieurs aux élus poli-tiques, à l’exécutif et dans les parlements, ou auxagents de l’Etat et du parapublic. Ce point dérangeparticulièrement la Coordination, qui juge la loi

«arbitraire et discriminatoire». «Ce sont surtoutdes femmes portant un foulard qui sont cibléespar l’interdit du port de «signes religieux». C’estdiscriminatoire! La loi induira ainsi pour certainesdes difficultés à se former et à accéder au travailou à l’engagement citoyen. C’est inacceptable! Enlimitant leur possibilité de gagner en autonomie,notamment financière, on les rendra plus vulné-rables! Chaque femme doit pouvoir vivre commeelle veut, sans discrimination, violence ou autresobstacles. Un enjeu central de l’égalité femmes -hommes est la liberté de disposer de son corps.Avec cette loi, c’est un parlement avec 70%d’hommes qui prescrit comment des femmes doi-vent ou non se vêtir. Toute loi réduisant l’auto-détermination de certaines femmes est uneattaque contre toutes et doit être rejetée!», esti-ment ainsi les membres de la coordination réfé-rendaire. Elle craint que dans les communes, despostes de patrouilleuses scolaires, de bibliothé-caires, de mamans de jours soient menacés, aveclicenciements à la clef. «Il n’y a pas de raison depenser que le port d’un signe religieux par unagent de l’État puisse nuire à la neutralité et à l’uni-versalité du service public», souligne Carole-AnneKast, présidente du Parti socialiste genevois.

Interdiction des manifestations cultuellesEn sus de ce problème, les référendaires regrettentque les manifestations cultuelles dans le domainepublic – qui seront interdites sauf exceptions –

n’aient pas été soumis à la loi qui régit toutes lesmanifestations, syndicales, sociales, politiques,associatives, sportives.

Soutenue unanimement par la droite et leMCG, la loi «Maudet» est aussi défendue par ledéputé genevois du Parti radical de gauche PierreGauthier, fondateur de l’association La laïcité, ma

liberté. Pour sa part, le comité du Réseau laïqueromand, regroupant des défenseurs de la laïcité, adécidé de ne soutenir ni les référendums, ni la loisur la laïcité de l’Etat (LLE), ni de s’y opposer,désapprouvant, entre autres, le maintien d’unecontribution religieuse volontaire. n

JDr

Une loi «Maudet» inutile et discriminatoireGENÈVE • La Coordination contre une loi sur la «laïcité» contraire aux droits fondamentaux vient de lancer sa campagne en prévision desvotations du 10 février.

Société d’édition de Gauchebdo25, rue du Vieux-Billard, 1205 GenèveChristophe Grand, président [email protected]

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«Le port d’un signe religieux par un agent de l’État ne nuit pas à la neutralité du service public», estime la Coordination solidaritéS

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4 • MOUVEMENT N° 3 • 18 JANVIER 2019

Yann Moix et les femmes de 50 ansAvec ses propos sur les femmes de 50 ans, Yann Moix, né en 1968, écrivain, réalisateur etchroniqueur à la télévision et dans la presse, a fait le buzz.

Se confiant au magazine Marie-Claire, il avoue qu’il est incapable d’aimer une femme de 50ans, du même âge que lui, donc. Il trouve «ça trop vieux». Leurs corps sont «invisibles». Ilpréfère les femmes jeunes. «Un corps de femme de 25 ans, c’est extraordinaire. Le corpsd’une femme de 50 ans n’est pas extraordinaire du tout».

Ses propos ont déchaîné des flots de réactions, de la part d’hommes et de femmes. La majo-rité relève une vision stéréotypée des femmes ou de la société. Aucune parmi celles que j’ailues ou entendues n’aborde ce qui me paraît le plus grave: les femmes se résument à uncorps. Il n’est pas le seul. La semaine dernière, je soulignais la même vision à propos de l’in-terdiction de temples hindous aux femmes, réduites à leur cycle menstruel.

L’histoire des «civilisations» dit et redit la répartition des rôles : les femmes au foyer, leshommes à l’extérieur (travail, politique, arts, sciences, etc.). Le film Une femme d’exception,de Mimi Leder, sorti récemment, retrace la biographie de Ruth Bader Ginsburg, née en 1933.A l’automne 1956, elle intègre l’Ecole de droit de Harvard. Elle est l’une des neuf femmesd’une promotion comptant plus de cinq cent hommes. Le doyen leur reproche de prendrela place d’hommes compétents! En 1972, elle co-fonde le Women’s Rights Project dans leslocaux d’une association appelée Union américaine pour les libertés civiles et travaille surplus de 300 cas de discriminations sexistes. Elle fait valoir six cas de discrimination devantla Cour suprême entre 1973 et 1976, où ne siègent que des hommes. Elle remporte cinq vic-toires. Avant elle, les recourantes avaient toutes échoué. Pourtant, le 13e amendement à laConstitution des Etats-Unis d’Amérique, adopté en 1865, parle d’égalité. Mais cette «éga-lité» concerne l’abolition de l’esclavage et les droits des noirs... pas des femmes. Ce n’est quele 26 août 1920 que le 19e amendement accorde le droit de vote aux femmes. Jusque dansles années 1970, le traitement inégal des femmes était considéré comme constitutionnel-lement acceptable, à condition qu’il fût possible de démontrer que l’inégalité constituait unmoyen rationnel d’atteindre un objectif légitime de l’Etat. L’amendement sur l’égalité desdroits ne fut proposé qu’en 1972; il a été accepté par la Chambre des représentants et leSénat, mais du fait de l’opposition de certains Etats, il n’a finalement pas été adopté et nefait pas partie de la constitution.

En Europe, nous avons été encore plus lents. En France, la loi pour l’égalité réelle entre lesfemmes et les hommes a été adoptée par le Parlement le 23 juillet 2014. En Suisse, la loifédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg), votée en 1995, est entrée en vigueurle 1er juillet 1996. Mais dans aucun pays du monde, l’égalité entre les hommes et lesfemmes n’est réalisée dans les faits.

On peut donc «excuser» Yann Moix, qui est un produit de la société et des législationssexistes et misogynes. Mais on peut se demander à quoi ressemble sa vie sexuelle et affec-tive. Et d’abord, ce que signifie «aimer» pour lui. S’il ne parvient à s’approcher que d’un corpsjeune, cela révèle un vécu d’une pauvreté misérable. Il veut dominer et non partager. N’a-t-il jamais éprouvé des sentiments pour une de ses institutrices ou profs? N’a-t-il jamais étéséduit par l’intelligence d’une femme? Ou par son charme? N’a-t-il jamais constaté que ledésir n’a rien à voir avec la beauté ni avec l’âge ? Mais il s’agit ici davantage de désir qued’amour. Aimer, c’est s’investir dans une relation, avec foi et confiance, c’est porter à l’autreun intérêt, une admiration qui concernent la personnalité, l’être, l’âme. C’est partager desvaleurs, avoir un projet commun. Cet amour est capable de défier le temps, les rides, leschairs qui tombent, comme le prouvent des couples qui forcent le respect : Marie et PierreCurie, Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, Benoîte Groult et Paul Guimard, les vulca-nologues Katia et Maurice Krafft, Simone Signoret et Yves Montand, Agnès Varda et JacquesDemy, Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé...

Visiblement, Yann Moix n’a jamais aimé. Il doit rester en marge, en admirateur jappantdevant des images stéréotypées. Des corps de 25 ans? La belle affaire! Mais est-ce que cescorps parlent, éprouvent, pensent? Sont-ils libres de dire non au corps de Moix, qui n’estpeut-être pas «extraordinaire»? Ou bien ne les considère-t-il que comme des poupées dechair vouées à son bon plaisir?

Ne trouve-t-il aucun charme à ces femmes de 50 ans que sont Michèle Laroque, Sophie Mar-ceau, Mathilde Seigner, Carole Bouquet, Monica Bellucci, Julia Roberts, Nicole Kidman,Madonna, Sharon Stone? Ou à Nathalie Baye, 68 ans, voire Catherine Deneuve, 75 ans?

Pour lui, comme pour une grande partie de la société, les femmes de plus de 50 ans sont«invisibles». Ménopausées, c’est-à-dire ne pouvant plus procréer, elles n’ont plus d’utilité.Elles intègrent une sorte de «no womans’ land». Les actrices le dénoncent: elles connaissentun «trou» entre 50 et 70 ans. Les hommes peuvent continuer à tourner, il y a plein de rôlespour eux, mais les femmes deviennent invisibles. On les repêche dès la septantaine, pourjouer les mamies.

La sociologue Janine Mossuz-Lavau, auteure de La vie sexuelle en France (Ed. La Marinière),a réalisé une vaste enquête et interrogé des Français-e-s de tous âges, de tous milieux et detoutes orientations sexuelles. Les propos de Yann Moix ne correspondent pas à la réalité despersonnes interviewées. Dans les faits, presque toutes les quinquas travaillent, sont actives,prennent soin d’elles, font des rencontres, ont ou cherchent une vie amoureuse et sexuelle.«Il n’y a pas d’âge pour être épanoui-e ou frustré-e sexuellement. Je vois aussi bien desfemmes et des hommes de 20 ans qui ne sont pas épanoui-e-s dans leur sexualité qued’autres de 50 ans et plus qui découvrent une sexualité plus libérée des contraintes et destabous contraignants.»  Voire plus épanouie.

Personnellement, j’ai connu des relations affectives et sexuelles avec des partenaires de tousâges, allant de 20 ans de moins que moi à 20 ans de plus. Ce n’était jamais une questiond’âge, mais de rencontre, de partage et de complicité. Des notions probablement étrangèresà Yann Moix et à tous ceux qui lui ressemblent... En plus, je trouve que Clint Eastwood, 89ans, a un charme fou !

Huguette Junod

LA CHRONIQUE FÉMINISTE

N ous vous avons déjà parlé de cette diminution desplaces, afin de privilégier les placements familiaux.Selon les autorités cantonales, faudrait-il croire que jus-

qu’à présent, les placements institutionnels se faisaient sansconscience? Désormais, l’Etat est en chasse pour trouver desfamilles d’accueil, et ce n’est pas si facile. Quand aux compé-tences professionnelles de ces familles, on n’en sait encore rien.Ceci dit, c’est par un heureux hasard que ces mesures permet-tront au canton d’économiser 3 millions de francs. Mais l’af-faire ne s’arrête pas là, car cette décision touche également lescantons voisins du Jura et de Berne, eux qui n’ont pas toutes lesinstitutions nécessaires pour répondre à leurs besoins de pla-cement. Jusqu’à présent, ils pouvaient avoir recours aux insti-tutions neuchâteloises, mais maintenant ces cantons devrontréserver et payer à l’avance le nombre de places qui leur sontimparties, qu’elles soient occupées ou pas. Avant, ils payaientcomme il se doit ces placements, mais désormais, on peut par-ler d’un nouveau marché qui arrive pour apporter un peu d’ar-gent à l’Etat de Neuchâtel.

Soins hospitaliers soumis au marchéDans le secteur hospitalier nous vous avons régulièrementinformés de l’évolution du dossier de l’Hôpital neuchâtelois.Nous avons également souligné qu’il s’agissait en fait desconséquences d’une concurrence acharnées entre les secteurspublics et privés, favorisé par la Confédération, qui a mis enconcurrence les hôpitaux publics, comme l’exigent les règlesdu marché.

Dans son numéro du 12 janvier dernier, ArcInfo parle de lanouvelle clinique Volta récemment installée à La Chaux-de-Fonds, précisant que celle-ci avait réalisé «déjà 65 opérations»depuis sa récente ouverture le 7 janvier. Dans sa présentation,l’article révèle l’état d’esprit qui règne en ces lieux. On yapprend d’une cliente qu’elle ne se plaint pas de l’hôpitalpublic, «mais qu’une petite clinique lui plaît beaucoup».Certes, la sonnette d’alarme ne fonctionne pas, mais on l’aremplacé par une liaison téléphonique! «Cette institution est

comme un Airbus. Autour de la cabine, il y a toute une tech-nologie», souligne son vice-président. L’objectif est d’atteindre3’500 opérations annuelles. Mais il est précisé que les inter-ventions ne seront qu’ambulatoires. Les autres besoins serontlaissés généreusement à l’hôpital public. Cette situation per-mettra au privé d’offrir des soins meilleur marché puisqu’il n’apas besoin d’avoir le personnel nécessaire pour assurer lessoins dans toutes les situations. Du fait que les autorités cher-chent à faciliter les entreprises privées, tout est bon!!

Remédier aux nuisances humaines sur notre environne-ment dans le cadre de l’égoïsme du tout marché est le but desmarches pour le climat lancées par des jeunes et des lycéens le18 janvier dans toute la Suisse (voir page 1). Une démarcheque tient à soutenir le POP, qui s’avoue satisfait de la prise deconscience qui s’élargit. A Neuchâtel, il est prévu de lancer unemotion populaire sur le sujet destinée au Conseil d’Etat. n

Alain Bringolf

La fuite en avant continueNEUCHÂTEL • Le Conseil d’Etat poursuit sa politique d’économie, en diminuant lesplaces dans les institutions pour enfants.

A l’occasion de sa rituelle conférence de presse de débutd’année, l’Union syndicale suisse (USS) a défendu sespriorités pour 2019, tout en dénonçant la stagnation

des salaires réels. «Même en Allemagne, la croissance dessalaires est plus forte. Simultanément, les primes des caissesmaladie augmentent chaque année, ce qui comprime les bud-gets dans les ménages. Les cotisations aux caisses de pensionaugmentent également, ce qui se traduit par des déductionsplus élevées. En conséquence les salaires nets baissent. Etcomme si cela ne suffisait pas: bien que les travailleurs et tra-vailleuses paient plus de cotisations dans les caisses de pen-sion, au final ils reçoivent moins de rentes», a ainsi soulignéGiorgio Tuti, vice-président de l’USS. Pour y faire face, la cen-trale syndicale défend toute une série de mesures. A côté durenforcement de l’AVS, de l’instauration d’une 13ème rente oude la limitation des primes maladie à 10% du revenu desménages, elle exige une augmentation substantielle dessalaires des travailleurs de longue date (qui n’ont pas vu d’aug-

mentation de salaire depuis 2010) et des femmes, ainsi que lamise en œuvre rapide et systématique du contrôle des salairesprescrits par la nouvelle loi sur l’égalité. «La stagnation dessalaires et les coûts croissants du 2e pilier mettent à mal lademande intérieure, surtout la consommation des particu-liers. Il est donc tout sauf surprenant que le commerce dedétail en Suisse se plaigne d’un recul des ventes», a encorerelevé Daniel Lampart, économiste Pour sa part, Vania Alleva, vice-présidente de l’USS a dit toutle mal qu’elle pensait d’un futur accord-cadre Suisse- UE,mettant en péril les mesures d’accompagnement à la libre cir-culation. «Quiconque travaille dans ce pays doit être soumisà nos conditions de travail et percevoir un salaire suisse, indé-pendamment de son origine. Dans ce contexte, l’accord pro-posé par le conseiller fédéral Ignazio Cassis est voué à l’échec»,a-t-elle expliqué, tout en apportant son soutien à la Grève desfemmes du 14 juin. n

JDr

L’USS fixe ses objectifs pour 2019

Le secteur public dans la santé est soumis à la concurrence du privé. DR

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INTERNATIONAL • 5N° 3 • 18 JANVIER 2019

L ’économiste franco-égyptienSamir Amin s’est fait connaîtrepar son analyse des modes de

développement inégaux entre le centreoccidental et les périphéries, défendantaussi bien la nécessité d’un mouvementde réforme agraire, de nationalisationdes moyens de production et d’indé-pendance nationale. Il est aussireconnu pour son engagement au côtédes pays du Sud et, plus récemment, enétant une figure de l’altermondialisme.

Le projet de réforme agraire de Samir Aminsemble une utopie dans le style duphilosophe italien Tommaso Campanella:agriculture familiale écologique etautosuffisante. En y regardant de près on serend compte que son projet est très concret etréaliste, en ce sens qu’il s’appuie sur unchangement révolutionnaire des structuressociales, inspiré, en partie, par l’expériencesoviétique. Ce modèle est-il encore validepour transformer l’agriculture?JEAN ZIEGLER Samir Amin a joué ungrand rôle dans les débats théoriquessur l’agriculture vivrière, mais ce quifascine aussi est son implication dans laréalité. En 1957, il a rejoint le Ministèrede la planification égyptienne d’IsmaïlSabri Abdallah. C’est cette équipe, oùprédominent largement les commu-nistes, qui mènera à bien la réformeagraire de 1958. Rappelons qu’aprèsleur éviction en 1952, les communistescomme le jeune Samir Amin sont reve-nus en grâce auprès de Nasser et dumouvement des Officiers libres, suite àl’invasion anglo-française de 1956, quia suivi la nationalisation du canal deSuez. Il a participé à la mise en placed’une réforme inspirée du modèle fami-lial, de petites unités, mais sans fermesd’Etat ou de kolkhozes, malgré la pré-sence d’experts soviétiques. Le gouver-nement a ainsi distribué un certainnombre d’unités de terre (feddan) parfamille. Ce modèle familial de réformeagraire a mis fin au latifundium,résorbé le chômage, enrayé l’exoderural, mis en valeur le savoir cumulatifde la biodiversité du fellah égyptien.

Par la suite, Samir Amin a rejointde 1960 à 1963 le Mali, appelé par legouvernement de Modibo Keitacomme commissaire au plan. Danscette fonction, il a œuvré pour uneréforme agraire fondée sur le modèlefamilial.

Du fait des inégalités existantesdans l’accès à la terre arable dans 122pays du Sud comme par exemple auGuatemala, où 1,86% des propriétairesterriens étrangers et nationaux possè-dent 67% des terres, la Banque mon-diale a été forcée à se convertir à partirde 1982 à l’idée de réforme agraire,mais elle a développé son propremodèle de «réforme agraire assistéepar le marché» (Market assisted landreform), combattu jusqu’à son dernier

souffle par Samir Amin. Cette réformefixe normativement les limites supé-rieures des acquisitions de terre afin derompre avec les monopoles et prescritque les grands propriétaires vendentdes terres aux paysans au prix du mar-ché. La Banque mondiale offre alorsdes crédits aux acheteurs, ce quiconduit à leur endettement.

Le modèle de la Banque mondialeest catastrophique: un paysan africain,endetté pour acheter des terres, estainsi contraint de vendre sa récolte enseptembre, au moment où le prix dumil est très bas. Il ne peut pas faireautrement que de s’en séparer, du faitqu’il a mis en gage sa récolte pour rem-bourser son crédit. Le problème de lajointure – soit le moment entre sarécolte et sa nouvelle production decéréales – tend, dans le même temps, às’accroître du fait des changements cli-matiques. Le paysan est alors obligéd’aller au marché acheter de la nourri-ture à crédit, en gageant sa nouvellerécolte. Ce processus est infernal. Lemodèle de «réforme agraire assistéepar le marché» produit un surendette-ment meurtrier. Du fait de son expé-rience en Égypte, puis au Mali et sontravail au sein de l’Institut africain dedéveloppement économique et de pla-nification de Dakar, Samir Amin estdevenu un pionnier de la lutte contrela Banque mondiale et son modèle.

Nous sommes 7,3 milliardsd’hommes sut terre. La FAO a montréque l’agriculture mondiale pourraitnourrir – à raison de 2’200 calories parjour pour un individu adulte – 12 mil-liards d’êtres humains. Pour la premièrefois dans l’histoire, il n’y a plus demanque objectif pour satisfaire lesbesoins incompressibles de l’humanité.Avec le capitalisme, l’humanité a connuune formidable potentialisation de sesforces de production. Or, toutes les 5secondes un enfant au-dessous de 10 ansest anéanti par la faim. C’est l’absoluscandale de notre temps. Les personnesextrêmement pauvres, celles qui gagnentmoins de 1,25 dollar par jour, sont à74% des petits paysans, des métayers oudes journaliers sans terre. Paradoxale-ment, ceux qui sont chargés de nourrirl’humanité sont ceux qui souffrent leplus de malnutrition. Face à cette situa-tion, le modèle de réforme agraire deSamir Amin a toute sa raison d’être.

Un modèle alternatif de production agricoleet de souveraineté alimentaire estaujourd’hui porté par les associations commeLa Via Campesina. Qu’en pensez-vous? L’action combative d’un mouvementcomme celui des Sans-terres brésilien,qui fait partie de La Via Campesina,qui regroupe plus de 200 millions depaysans, est formidable. Tout ensaluant le plan Faim zéro de Lula, lecoordinateur du MST, membre du Partides Travailleurs, Pedro Stedile, n’a pashésité à reprocher au ministre de l’agri-culture brésilien, aujourd’hui directeurgénéral de la FAO, José Graziano, den’être pas allé assez loin dans son pro-gramme de redistribution de terres. EnEurope aussi, sortir d’un marché agro-business, fortement tributaire des pesti-cides, est une nécessité. En France, parexemple, chaque année, 14’000 tonnesde pesticides sont utilisées dans les cul-tures agricoles ou horticoles.

Samir Amin s’est souvent prononcé en faveurde la reconquête de l’indépendance

nationale. Quelle forme cette souverainetédoit-elle prendre?Samir Amin défend la théorie de ladéconnexion. Il a été un des tous pre-miers à comprendre le capitalismedans sa phase paroxystique. Tout endémontrant une formidable dyna-mique de son mode de production–avec la création de nouvelles molé-cules dans la chimie pharmaceutiqueou de nouveaux instruments financiersà Wall Street tous les six mois – et uneabondance de biens inégalée, ce modede fonctionnement capitaliste crée unordre cannibale du monde, un ordresocialement atroce. Deux milliardsd’êtres humains n’ont pas accès à eaupotable non-nocive. Toutes les 4minutes, une personne perd la vue parmanque de vitamine A. Dans lesrégions périphériques, des centaines demillions de personnes meurent chaqueannée du fait de la fièvre noire, dupaludisme, du sida ou de la malaria.La cause en est la monopolisationextrême des richesses créées. SamirAmin a anticipé cette situation.

Les 500 plus grandes sociétés trans-continentales privées, tous secteursconfondus, ont contrôlé l’année dernière52,8% du Produit mondial brut pro-duit. Ces oligarchies restreintes, qui gou-vernent la planète, ont plus de pouvoirque le pape, les empereurs ou les roisd’antan. Elles échappent à tout contrôleétatique, interétatique ou syndical. Leurmonopole s’étend aux savoirs probléma-tiques, sur la technologie ou les sciences.«Il est aujourd’hui devenu plus faciled’imaginer la fin du monde que la findu capitalisme», dit le philosophe fran-çais Jean-Claude Michea.

En République du Congo, des enfantsde dix ans travaillent pour récolter, auprix de leur vie et dans des puits étroits,le coltan de nos portables, afin de fairevivre leur famille. Sous la pression deséglises américaines, Barak Obama aédicté une loi sur les «minéraux deconflit» et exclu de la vente aux Etats-Unis la production de coltan, extrait desmines par des enfants. Toutes lesgrandes entreprises du secteur commeGlencore ou Rio Tinto ont hurlé et

mobilisé leurs députés. Deux jours aprèsl’élection de Donald Trump, celui-ci asupprimé la loi. Cette oligarchie peutdonc abolir une loi même dans l’Etatdémocratique le plus puissant dumonde. Cela montre que l’oligarchie aérigé une dictature sur cette planète, sur-déterminant l’ensemble du processusdémocratique. Angela Merkel, DonaldTrump ou Emmanuel Macron regar-dent chaque jour le cours de la boursepour connaître l’espace millimétriquequ’ils ont pour leur propre politique fis-cale ou d’investissement. Cette oligarchiefonctionne selon un seul principe, celuide la maximalisation du profit dans letemps le plus court. L’intérêt généraln’existe pas pour ces maîtres du mode.

Face à cette situation, Samir Amina défendu une théorie de la décon-nexion. Cette solution me semble plusjudicieuse que celle qui prétend impo-ser la volonté des Etats aux multina-tionales, avec les résultats que l’on sait.François Mitterand a suivi cette poli-tique pendant deux ans, avant decéder devant le capital. François Hol-lande n’a même pas essayé. Pour SamirAmin, le meilleur moyen pour assurerl’indépendance, l’autodéterminationd’un pays, et notamment du Sud,consiste à favoriser le commerce et l’in-vestissement Sud-Sud, à se découplerde l’Empire, à promouvoir l’autarcierégionale.

Cette idée visionnaire de renverser lerapport de la périphérie au centre estcependant rendue difficile par le pro-blème de la dette extérieure, qui écraseles pays du Tiers-Monde. L’Afriquecompte 54 Etats. Pour les 37 Etats pursproducteurs agricoles, la faiblesse desrendements – de l’ordre de 600 kilos decéréale pour un hectare contre 10tonnes en Europe -, liés au manqued’engrais minéraux, de semences sélec-tionnées, de moyens d’irrigation oud’infrastructures, fait que tout le revenugagné à la production d’exportation –comme celle du coton au Mali – s’en vadirectement pour payer la dette externedu gouvernement auprès des banquescréancières. L’Etat africain n’a plus lemoindre sou pour investir dans l’agri-

culture. Face à cette situation, laBanque mondiale estime qu’il fautdonner les terres aux investisseursétrangers, qui bénéficient de technolo-gies et d’accès au marché. 41 millionsd’hectares de terres arables entre leSahel et Le Cap ont été repris par desgrandes banques. Genève joue un rôleprimordial dans cet accaparement desterres, en étant la deuxième place mon-diale après Londres pour les hedgefunds. Addax a raflé des dizaines demilliers d’hectares en Sierra Leone,pour produire du bioéthanol, issu decanne à sucre ou d’huile de palme.35,2% des 982 millions d’Africains sontsous-alimentés, alors qu’ils vivent sur lecontinent le plus riche de la terre.

La déconnexion défendue par SamirAmin n’est pourtant pas un doux rêve.Malgré la toute-puissance des oligar-chies et le fardeau de la dette, c’est laseule voie pour imposer un rapportd’égalité, de redistribution et de mettrefin au pillage des matières premières.Prenons l’exemple de ce sous-continentcongolais, miracle géologique avec sesréserves immenses en uranium, dia-mants, or, manganèse ou cuivre. Deuxsemaines après l’indépendance du paysde juin 1960, le Katanga, à la solde desmultinationales, a fait sécession, alorsque le leader de l’indépendance PatriceLumumba est assassiné le 17 janvier1961. Depuis cette date, ce pays a étévictime de régimes de mercenaires, avecMobutu, Laurent Kabila et son filsJoseph, alors qu’il aurait pu négocierdes contrats miniers équitables. Je nevois pas de solution hors cette décon-nexion, du fait du pouvoir des oligar-chies. Face à cette tyrannie totale de lamaximalisation du profit, la réalisationde l’auto-détermination des peuples parla négociation ou la lutte des classesplanétaire est la seule voie. Comme ledit le multimilliardaire Warren Buffet:«Il existe une lutte des classes, mais c’estma classe qui l’a gagnée» (in New YorkTimes, 26.11.2006). La victoire de Buf-fet n’est pas une fatalité. Nous pouvonsvaincre. n

Propos recueillis par Joël Depommier

Samir Amin vu par Jean ZieglerINTERVIEW • Jean Ziegler, auteur du «Capitalisme expliqué à ma petite-fille, en espérant qu’elle en verra la fin» (Ed. du Seuil, 2018)

revient avec nous sur la pensée et l’action de ce grand intellectuel militant franco-égyptien, décédé en 2018.

Samir Amin, invité en 2016 à un colloque du groupe parlementaire de Die Linke à Berlin. Linksfraktion

Jean Ziegler. DR

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6 • INTERNATIONAL N° 3 • 18 JANVIER 2019

Le secteur est verrouillé. Auxronds-points qui cernent les vil-lages avant Bourgtheroulde, cette

commune de l’Eure choisie pouraccueillir le lancement du grand débatnational par Emmanuel Macron, lesgendarmes ont remplacé les giletsjaunes. Il faut montrer patte blanchepour s’approcher du gymnase Bene-detti, où les maires (entre 600 et 800ont été invités) sont conduits par d’in-cessantes rotations de bus. Devantl’église, il y a pourtant quelquesdizaines de manifestants vêtus de leursigne de ralliement qui tapent du pieddans la froidure normande. Le granddébat ne les satisfait pas, mais ils profi-tent calmement des nombreusescaméras de télévision, des micros ten-dus des radios pour le dire.

«Le service après-vente de Macron»Ils ne sont pas les seuls à exprimerleur méfiance, voire leur défiance.Dans le grand gymnase du collège, lesmaires appelés à «faire remonter leréel», nous dit l’un d’eux, sourire encoin, ont un peu l’impression de faire«le service après-vente de Macron».

Le matin même, le vice-président(PS) de l’Association des maires deFrance, André Laignel, avait prévenu:ce débat, «les maires ne l’ont jamaisdemandé». Selon lui, il doit avoir lieu«entre l’État et les citoyens». D’autantque certains dénoncent un biais. C’estle cas de Pierre Mouraret, maire deDives-sur-Mer, premier vice-prési-dent de la communauté Normandie-Cabourg-Pays d’Auge. Contacté par leprésident de l’Association des mairesdu Calvados pour faire partie de ladélégation départementale d’une cen-taine de maires, il apprenait «par lejournal (Ouest-France) qu’il n’y enaurait que deux qui prendraient laparole»: Joël Bruneau, le maire LR«macron-compatible» de Caen, etSophie de Gibon, maire divers droitede la commune rurale de Canteloup.Il a décidé de boycotter. «Beaucoupd’élus se posaient la question de venirou pas», abonde la sénatrice PCF deSeine-Maritime Céline Brulin: «Onles a ignorés, insultés. Certains nousont dit avec raison que cette ren-contre n’avait de débat que le nom.»

Car voilà: dans sa lettre aux Fran-

çais rendue publique dimanche soir, leprésident de la République a donné lecadre, «contraint, forcément», grincentles élus: «L’ISF, pas touche. Le Cice(Crédit impôt compétitivité), pastouche. L’exit tax, la flat tax, pas touche.Autrement dit, Macron ferme le ban àpropos des mesures qui ont provoquéet accentué la colère des oubliés, deshumiliés de la République», déploraitle député PCF de Seine-MaritimeSébastien Jumel lors d’une conférencede presse organisée lundi par les éluscommunistes normands à Brionne.Dans cette commune de 4’300 habi-tants de l’Eure, ce sont ces «revendica-tions de justice fiscale qui arrivent entête» des cahiers de doléances, expli-quait le maire communiste ValéryBeuriot avant le débat.

Emmanuel Macron lui aussi cares-sera son public dans le sens du poil.«Vous êtes les dépositaires d’attentes devos citoyens», commence le présidentde la République, évoquant la «fracturesociale», sans oublier le clin d’œil à unillustre «prédécesseur», la «fracture ter-ritoriale», la «fracture économique»,mais aussi la «fracture démocratique»

qui sans doute a connu «un tournanten 2005»… Ces «fractures», certainsmaires les lui ont pourtant rappeléessans détour. D’abord, assez timide-ment, Vincent Martin, le maire sansétiquette de Bourgtheroulde, en luiremettant son cahier de doléances quiporte haut la question du pouvoird’achat. «Quand arrêtera-t-on lamachine à broyer la proximité?» s’in-terroge ainsi Jean-Paul Legendre, leprésident de l’Union des maires del’Eure, ouvrant la voie à un autre frontde mécontentement. Comme lui, plu-sieurs maires éreintent la loi Notre et sarestructuration forcée des territoires,renforçant parfois «l’isolement à seule-ment 160 kilomètres de Paris». ValéryBeuriot l’a ensuite interpellé sur «lacontradiction» entre deux de ses pro-pos: «Aucune question taboue» et «onmaintient le cap». Et sur la destructiondes services publics de proximité, pre-nant pour exemple «la fermeture pro-grammée» de la maternité de Bernay.Des «attentes» que ce maire PCF a tra-duites en deux questions: «Ce débatest-il entièrement libre en matière defiscalité, de distribution des richesses?»

et «Pensez-vous que la reconquête desservices publics fait partie des prioritéspour refonder notre contrat social?»

«Cahier de droits et de devoirs»Mais, au bout de deux heures, le chefde l’État a recadré le débat en répon-dant à la première salve de questions.Les cahiers de doléances? Il ne reniepas «la référence historique», mais pré-fère le terme «cahier de droits et dedevoirs». Emmanuel Macron conclutce premier round en disant qu’il n’a«pas de réponse sur tout», avant debrosser un portrait global, façon ENA,du paysage politique, économique etsocial de la France qu’il faut «réorgani-ser» sur tous les sujets. Sauf l’ISF. «Nitabou ni totem», dit le président. Mais«ce n’est pas en le remettant comme ilétait il y a un an et demi qu’on amé-liorera la situation d’un seul giletjaune», prévient-il. Ce premier débata donné le ton: il n’y a peut-être«aucune question taboue», mais l’exé-cutif a une réponse toute faite: «Onmaintient le cap.» n

Grégory MarinParu dans L’Humanité

Un lancement qui freine déjà le grand débatFRANCE • Des élus de l’opposition mis à l’écart, des interventions triées sur le volet… ce premier rendez-vous d’Emmanuel Macron pourlancer le grand débat, devant des édiles dubitatifs, a montré les limites d’un exercice cadenassé par l’exécutif.

La Corée du Sud a ceci d’extraordinaire: unsimple sachet de nouilles instantanées peutporter la paix comme la révolte sociale.

Depuis la mort d’un ouvrier, le 11 décembre2018, dans une centrale à charbon, l’empire duplat préparé et déshydraté est en ébullition. Et cepays, où la consommation mondiale deramyeons est la plus importante au monde avec74,1 paquets par personne et par an, pourraitbien se détourner peu à peu de ces pâtes bonmarché, désormais symboles de précarité et d’ex-ploitation. A l’instar de ses compatriotes, KimYong-kyun en était un grand consommateur.C’est en réalité le seul repas que son maigresalaire lui permettait de s’offrir. Après son décès,les policiers ont ainsi retrouvé dans son sac à dosune lampe de poche cassée et trois sachets deramyeons. Agé de 24 ans, l’intérimaire est mortaspiré dans un tapis à charbon qui l’a décapité.Personne n’est venu à son secours: par soucid’économie, le patronat de la Korea WesternPower Company Ltd (Kowepo) préfère ne pasconstituer d’équipes.

Le taux de mortalité au travail le plus élevé despays de l’OCDELe jeune ouvrier est pourtant le quinzième àdécéder dans cette centrale depuis 2010. Afin dene pas verser d’indemnisation, la Kowepo a«omis» de déclarer quatre des décès intervenusdans sa centrale. Kim restera-t-il un dommagecollatéral? Rien n’est moins sûr. Le jeune hommeincarne désormais cette classe ouvrière sud-coréenne qui peine à sortir de sa condition. Kimfaisait partie des 97% de Coréens qui, malgré lesefforts, échouent aux concours de la fonctionpublique et voient s’éloigner la perspective d’unemploi à vie. Dans un pays où le taux de chô-mage des jeunes caracole à 9,4%, soit le plushaut niveau depuis 1999, la concurrence estreine et il n’est point de salut hors des diplômes.Kim a donc obtenu deux licences d’ingénieur,mais n’a reçu que trois heures de formation à lasécurité avant d’être envoyé à la mort. Le toutpour un salaire de 1’300 euros, sans prestationsociale, et avec lequel il a dû payer son casque etsa lampe de poche. «Le salaire des intérimairesne leur permet pas de manger correctement. Ilsfinissent par avaler des ramyeons ou de la nour-

riture qu’ils achètent au distributeur automa-tique», confirme Lee Tae-sung, porte-parole destravailleurs intérimaires de l’usine.

Avec 1’000 morts par an, la Corée du Sudpossède le taux de mortalité au travail le plusélevé des pays de l’OCDE. 76% sont des intéri-maires affectés à des postes dangereux qu’ils nemaîtrisent pas. Les syndicats déplorent le dangerque constituent pour les travailleurs les écono-mies de main-d’œuvre. D’aucuns dénoncent éga-lement un gouvernement qui ferme les yeux surles pratiques des entreprises. En octobre, Kim

participait à une campagne sur les réseauxsociaux. Muni d’une pancarte, il demandait àrencontrer le président Moon Jae-in, qui pro-mettait, après son élection, de «sécher les larmesdes travailleurs précaires», afin d’évoquer l’abro-gation des lois «injustes» et l’extension descontrats à durée indéterminée.

«La mort de ce jeune travailleur intérimaire aplongé notre peuple dans une profonde tristesseet a révélé la véritable nature de cette société», afustigé Na Do-won, l’un des responsables duParti travailliste. Fin décembre, des parlemen-

taires de gauche sont parvenus à faire adopterun amendement à la loi sur la sécurité indus-trielle portant le nom de Kim Yong-kyun visantà responsabiliser les entreprises et à améliorer lesconditions de travail des intérimaires. La droites’est empressée de condamner une loi criminali-sant les patrons et susceptible de nuire à l’acti-vité.

Distribution de ce plat pour ne pas payer lesheures supplémentairesUn mouvement s’est, depuis, levé dans l’en-semble du pays demandant la fin du recours à lasous-traitance pour les emplois à risque. A l’ap-pel de la Confédération coréenne des syndicats(KCTU), des rassemblements hebdomadairessont organisés. Également portée par la nouvellegénération, la contestation a donc pris poursymbole les fameux ramyeons. A Séoul, l’auteldédié à Kim présente un portrait, des bougies,des chrysanthèmes et, moins solennel, un bol denouilles instantanées. Ces pâtes, dont le prixoscille entre 800 et 1’200 wons (de 0,62 à 0,93euro), sont considérées «comme un trésor denutriments pour les pauvres», selon les cher-cheurs Jung Ho Park et Sun Woong Park. La lit-térature et le cinéma sud-coréens regorgent ainside références aux ramyeons, ces soupes où laviande n’est qu’illusion. Nées au Japon, cesnouilles instantanées ont débarqué dans lapéninsule en 1936. Après la guerre de Corée, lesÉtats-Unis profitent de la faim qui étreint leurallié pour écouler leur surproduction de blé. Etle gouvernement d’encourager la fabrication dece plat du pauvre. Au cours des années 2000,dans le cadre de la politique du rayon de soleil,le produit devient même un instrument decoopération entre Séoul et Pyongyang: des car-gos chargés de millions de sachets sont affrétés.Dans la zone industrielle de Kaesong, située enCorée du Nord, les entreprises du Sud ont, ellesaussi, distribué des nouilles instantanées pourcompenser l’interdiction de payer les heuressupplémentaires des travailleurs nord-coréensen espèces. Une astuce qui leur permet de liqui-der la surproduction tout en limitant lesdépenses salariales. Les profits d’abord. n

Lina SankariParu dans L’Humanité

Les nouilles de la révolte à SéoulCORÉE DU SUD • Le pays est en ébullition suite à la mort d’un jeune intérimaire. Les repas instantanés retrouvés dans son sac sont devenusle symbole de la lutte contre la précarité.

Un mouvement s’est levé en Corée du Sud, demandant la fin du recours à la sous-traitance pour les emplois à risques. KCTU

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CULTURE • 7N° 3 • 18 JANVIER 2019

Dans son livre, Le centenaire de laRévolution d'Octobre 1917,(Delga 2017) l’immense Samir

Amin a réussi à résumer de façon sai-sissante sa pensée, telle qu’elle s’estaffirmée depuis en tout cas 1973(voir : Le développement inégal. Essaisur les formations sociales du capita-lisme périphérique, Paris Ed. deMinuit 1973). Concis et magis-tral – Samir Amin savait écrire! – cetexte reprend à l’occasion du cente-naire sa thèse, qui s’est imposée: endépit de ses imperfections, l’URSSétait un véritable Etat plurinational,avec un centre irriguant les Etats péri-phériques, (p.20) à l’opposé des Etatscapitalistes, essentiellement de la

triade Europe, Japon et Etats-Unis,qui prélèvent de la plus-value dans lesespaces périphériques. L’URSS avaitcréé un espace homogène: «lessalaires et les prix étaient rigoureuse-ment identiques de Moscou à Bakouou Taschkent» (ibidem). Cette avan-cée culturelle explique pourquoi laRévolution d’Octobre, comme, lors deson bicentenaire, la Révolution fran-çaise, mobilise l’hostilité du «clergémédiatique» (p. 5), terme cocasse quivise notamment François Furet. Il esttriste que Samir Amin ne puisse pasvoir que le centenaire de la Révolu-tion d’Octobre n’a heureusement pro-voqué que de bien médiocres extrava-gances anticommunistes, sans

impact: la bourgeoisie n’a pas trouvéde second François Furet !

Marxisme made in USADans sa conclusion, Samir Amin passeen revue les divers espaces politiquesqui pourraient – vu leurs expériencespassées – reprendre le flambeau de lalutte pour plus de justice économiqueinternationale, un peu comme onpouvait l’imaginer à la suite de Tinber-gen (p. 18), dont la théorie d’une pro-bable convergence entre capitalisme etéconomie socialiste était à l’époque trèspertinente. Oui, le capitalisme actuel aéliminé toute velléité de réforme éco-nomique. Samir Amin cite à cet égardles naufrages des politiques de l’Eu-

rope du Nord, trop dépendantes ducharisme d’Olaf Palme. Il termine sontexte sur une note désabusée, car pourlui, derrière la façade très négative desEtats-Unis «il y a quand même unpeuple, en dépit de ses faiblesses poli-tiques» (p.46). J’aurais aimé pouvoir lecontredire, car, paradoxalement, c’estprécisément aux Etats-Unis qu’il y aune importante mouvance marxiste,qui partage le jugement de SamirAmin sur l’URSS et sur la nécessité dedéconstruire, sur un modèle sem-blable, le lien capitaliste centre – péri-phérie (p.41 et ss, notamment 44).Cette mouvance est essentiellementuniversitaire, mais nullement décon-nectée: on en retrouve des échos dans

les milieux proches de Bernard San-ders. Mais qui nous dit qu’il est incon-cevable que le parti démocrate, tirantles leçons de l’impossible candidaturede Hillary Clinton, propose au peupleaméricain, que nous aimons tous, uncandidat de gauche, appuyé par lessyndicats et les universitaires? n

Martin SchwartzSamir Amin, Le centenaire de la révolutiond’octobre 1917, Delga, 2017, 78p.P.S. Relire tout Samir Amin s’impose enthéorie, mais est impossible; il est conseilléde consulter la brève et excellentebibliographie qui se trouve dans ce livre.Pour Tinbergen, voir Shaping the WorldEconomy / Suggestions for an InternationalEconomic Policy, N-Y 1962, accessible enligne : http://repub.eur.nl/16926.

La triade Europe, Japon, Etats-Unis contre les capitalismes périphériquesLIVRE • Avec son dernier ouvrage, Samir Amin revenait sur la spécificité de l’Etat plurinational soviétique face à l’impérialisme de l’Occident.

«L a Suisse ne reconnaît pas les droitssociaux comme des droits de l’Homme àpart entière. Que ce soit sur le plan juri-

dique ou politique, les droits sociaux semblentmanifestement relégués au second plan. La pau-vreté de la Constitution à cet égard est très pré-occupante», souligne Marc Morel du comité dela Ligue suisse des droits de l'Homme (LSDH-Genève). «Un des principaux enjeux réside dansla reconnaissance par le Tribunal fédéral desdroits sociaux comme de véritables droits sub-jectifs et justiciables plutôt que comme desobjectifs généraux à valeur simplement pro-grammatique desquels le législateur devrait tenircompte». C'est fort de ce constat que la Liguesuisse des droits de l'homme organise, à l'occa-sion de la célébration de ses 90 ans, un colloquede deux jours pour croiser les regards du mondedu travail social, des associations et du milieujuridique sur les droits sociaux et ce afin d’ap-préhender de manière globale et concrète lesenjeux en présence et proposer des solutionscohérentes. En parallèle de ce colloque qui a lieules 17, 18 janvier et 9 février à la Haute école detravail social de Genève (HETS), Jérome Richermet en scène «Si les pauvres n’existaient pas,Faudrait les inventer» au Théâtre du Grütli. Unepièce qui explore avec intelligence le rapportcontrarié du corps social à la pauvreté, le vécudes personnes qui y sont exposées (en particu-lier les artistes), ainsi que les sérieux manque-ments des dispositifs censés les combattre.

«Toute expression artistique dans l’espacepublic est politique, par conscience ou pardéfaut», souligne Jérome Richer. L’auteur et met-teur en scène est bien connu des plateauxromands. Il jouit également d’un rayonnement àl’international. Ainsi s’est-il notamment déjà faitremarquer pour son traitement original et auda-cieux de thèmes complexes et délicats comme lamisère morale dans la société capitaliste (Haute-Autriche), la place des Roms dans l’imaginairesocial (Tout ira bien), l’industrie de la pornogra-phie (Nous sommes tous des pornstars) ou lesconséquences de la décolonisation (Une histoirede Comores).

Démocratiser la cultureJérôme Richer se revendique d’un engagementpour la démocratisation de l’accès à la culture. Ilpuise directement aux origines du théâtre en pro-longeant la tradition de l’agora grecque qui per-mettait aux citoyens de se rassembler pour déli-bérer au sujet des problèmes de la polis en assu-mant ainsi au mieux leurs responsabilités vis-à-vis d’elle. Issu d’un milieu ouvrier et populaire, leparcours de Richer lui a insufflé le désir de luttercontre l’inégalité culturelle. «Je souhaite donner àceux qui en ont été privés les outils pour penser etdébattre à propos du monde dans lequel on vit».L’auteur en a été personnellement témoin avec sapropre mère. Il a longuement réfléchi à l’impactde l’inégalité d’accès à la culture classique au sein

des classes défavorisées, celle si précisément ana-lysée en son temps par Pierre Bourdieu. A ce titreet comme nombre d’amoureux du théâtre enRomandie, il se réjouit particulièrement de pou-voir assister en juin prochain à l’adaptation par lemetteur en scène Thomas Ostermeier de Retour àReims, l’oeuvre du sociologue Didier Eribon, élèvede Bourdieu, au Théâtre de Vidy. Comme il lerelève à juste titre, «Retour à Reims est un texted’une intelligence et d’une force rares. Eribonréussit à mettre des mots justes sur ces stigmatesliés aux antagonismes de classe qui subsistentdans nos sociétés libérales».

Déjouer les pièges de la honteA l’instar de cinéastes comme Ken Loach ouMike Leigh habitués à effectuer un patient tra-vail d’immersion avant d’actionner la caméra età confier la distribution à des comédiens non-professionnels incarnant «pour ainsi dire» leurspropres rôles, Jérôme Richer puise souvent soninspiration dans le matériau brut du réel. Pour Siles pauvres n’existaient pas, Faudrait les inventer,il a passé un temps précieux – notamment avecles cinq comédiens de la pièce, à rencontrer despersonnes connues et inconnues, à se question-ner et à débattre avec eux des implications de lapauvreté à Genève. Les artistes - et en particulierles intermittents du spectacle travaillant au borddu Léman – peuvent être à la fois témoins et vic-

times de la pauvreté. Cette démarche collectiveoriginale a abouti à un travail d’écriture et deréécriture du texte sur le plateau, auquel lescomédiens ont été très étroitement associés (voirinterview d’Aude Bourrier et Cédric Simon surwww.gauchebdo.ch).

Résistance et émancipationL’expérience concrète de la pauvreté pendant l’en-fance, en tant qu’adulte, à l’âge de la retraite; lesstratégies d’évitement, les expédients pour sur-vivre; le rapport à l’injustice, l’indifférence,l’égoïsme, voire le sadisme des plus puissants oudes plus nantis; les impasses structurelles du sys-tème des assurances sociales (chômage et aidesociale). Ces situations sont évoquées frontale-ment par des comédiens usant à la fois du dis-cours rapporté, de l’interprétation en situation etde l’adresse, souvent provocatrice, au public. Enthématisant les carences de la lutte contre la pau-vreté ainsi qu’une tendance inquiétante préva-lante aujourd’hui en Suisse à la stigmatisation despauvres, Richer voit juste. Sur le plateau, un mon-ceau d’habits bariolé évoque l’inconfort extrêmedes sans-abri. Les pauvres apparaissent commenoyés dans un tsumani de vêtements, victimesd’une économie post-industrielle de masse qui lesexclut durablement en les reléguant au rang desuperflu ou de déchet. Si les pauvres n’existaientpas, Faudrait les inventer est habitée par un

humour grinçant au service d’un propos. La piècene néglige cependant pas le comique de situation.Un rythme enlevé permet de passer d’une situa-tion à une autre, propice à pointer et à interrogerdes problématiques ou injustices sociales particu-lières. L’écueil du manichéisme est évité ainsi parexemple dans le traitement du personnage de laconseillère de l’Office régional de placement ren-due profondément malheureuse par sa propreimpuissance et les pressions au rendement insup-portables d’une responsable hiérarchique hysté-rique et perverse. Le vécu émotionnel n’est pasnégligé au profit d’un trop-plein didactique.Ainsi, la confrontation avec l’angoisse, la gêneet/ou la honte de recourir à l’aide sociale sont trai-tés avec doigté tout comme la nécessité de sebattre pour maintenir sa dignité, ses valeurs etfaire valoir ses droits face aux dérives potentielleset à l’arbitraire de la bureaucratie. Une pièce quiatteint donc avec force ses objectifs en donnant àpenser sur et à panser la pauvreté. n

Emmanuel Deonna

Colloque de la LSDH Genève sur les droits sociaux à laHETS Genève, 17-18 janvier - 9 févrierhttp://lsdh.ch/downloads/PROGRAMME_LSDH-90.pdf. Si les pauvres n'existaient pas, Faudrait les inventer deJérôme Richer, jusqu'au 26 janvier 2019, Théâtre duGrütli, ré[email protected] ou 022 888 44 88

Toute lumière braquée sur la pauvretéTHÉÂTRE •Au Grütli, «Si les pauvres n'existaient pas, Faudrait les inventer» de Jérôme Richer résonne avec force et acuité aux questionsposées par un colloque sur les droits sociaux, organisé à l'occasion des 90 ans de la section genevoise de Ligue suisse des droits de l'Homme.

La pièce «Si les pauvres n’existaient pas, Faudrait les inventer» est habitée par un humour grinçant au service d’un propos fustigeant l’injustice et l’indifférence. Dorothée Thébert Filliger

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CULTURE • 8N° 3 • 18 JANVIER 2019

L a présence de professeurs allemands dansles universités helvétiques n’est pas nou-velle. Depuis les années 1830, ils jouèrent

un rôle déterminant dans la mise sur pied dusystème académique suisse. C’étaient alors deslibéraux, voire des révolutionnaires, poursuivisdans les Etats allemands comme opposants auxrégimes monarchiques réactionnaires. Depuisl’unité allemande en 1871, la position politiquedes enseignants allemands vira au nationalisme.Il faut ajouter que l’obtention d’une chaire uni-versitaire en Suisse constituait un tremplin pourobtenir ultérieurement un poste en Allemagne,ceux-ci étant rares et convoités. C’est pourquoi,sous le régime hitlérien, beaucoup de profes-seurs allemands (et d’étudiants) s’inscrivirent auparti national-socialiste. La plupart le firent paropportunisme, sans nécessairement adhérerprofondément aux idées du IIIe Reich. Maisquelques-uns d’entre eux furent de véritablesthuriféraires de l’hitlérisme. On peut citer parexemple le cas du Prof. Willy Freitag à Zurich,qui avait des fonctions politiques dans le parti.Ce qui provoqua les critiques du journal socia-liste, le Volksrecht. Même la Neue Zürcher Zei-tung, peu suspecte de sympathies de gauche,publia les lignes suivantes: «comment unhomme qui se reconnaît dans un parti antidé-mocratique, impérialiste-belliciste, intolérant,opprimant la liberté d’esprit et de pensée, peut-ilêtre professeur de pédagogie et de philosophiedans une haute école de notre pays?» Il faut dire

que l’opinion publique alémanique, dans sagrande majorité, craignait les visées expansion-nistes du IIIe Reich, et que l’engagement nazi deces professeurs allemands était très mal vu. Ilrégnait aussi la crainte d’une «cinquièmecolonne» qui agirait en cas d’invasion alle-mande. Mais la NZZ n’alla pas jusqu’à exiger lelicenciement de ce nazi très actif... Ajoutons àcela que, de 1933 à 1945, l’université de Zurichn’engagea pas un seul enseignant juif ! On peutdonc relever une certaine complaisance envers lenazisme au sein des autorités académiques ducanton, où la tradition antisémite était forte. Lesjuifs n’étaient pas non plus admis dans les cor-porations (les Zünfte) qui jouèrent longtempsun rôle important dans la vie de la cité des bordsde la Limmat.

Le Conseil fédéral interdit le parti nazi en 1945Autre exemple, celui du Prof. Hubert Erhard àl’Université de Fribourg. Lui aussi fut l’objet decritiques, en tant que partisan des théories géné-tiques et du matérialisme biologique, commedéfenseur des lois de stérilisation du régimenational-socialiste et pour avoir exprimé desopinions racistes et antisémites. Sa situationdevenant de plus en plus intenable, il démis-sionna en 1937 et quitta la Suisse.

Mais le cas qui provoqua le plus de bruit futcelui du Prof. Walter Porzig à l’Université deBerne. Il n’hésitait pas à écrire  «Je suis fierd’avoir dû prêter serment à Hitler». Il refusa de

renoncer à ses fonctions de chef local du partinazi à Berne, comme l’exigeait le gouvernementcantonal. Le Conseil d’Etat bernois fut d’ailleursle seul en Suisse qui montra quelque couragedans la défense des libertés démocratiques. Lesautres se signalèrent plutôt par leur pusillani-mité... Porzig fut finalement licencié, malgré lespressions et menaces de l’ambassadeur d’Alle-magne Ernst von Weizsäcker. Les sociaux-démocrates bernois ne se montrèrent cependantpas satisfaits, car d’autres professeurs nazis res-taient en place dans l’université du canton. Leurprésence créait par ailleurs un climat assezdétestable, car enseignants et étudiants alle-mands s’espionnaient mutuellement, dénonçantà leur ambassade ceux qui émettaient des cri-tiques envers le régime hitlérien.

Ce n’est que quelques jours avant la capitula-tion allemande que le Conseil fédéral interdit leparti nazi en Suisse! Cela pour complaire auxAlliés, et alors qu’il n’y avait évidemment plus àcraindre une réaction de la part de l’Allemagne.De nombreux professeurs nazis furent licen-ciés...en 1945, même ceux qui ne s’étaient pasvraiment engagés aux côtés du IIIe Reich.Comme le reconnaît Stephan Schwarz, pourtanttrès mesuré dans ses jugements, ni les autoritésfédérales ni les rectorats des universités aléma-niques ne firent, dans toute cette affaire, preuved’un grand courage.

Cette étude ne prend pas en compte les uni-versités romandes où, certes, la présence de pro-

fesseurs allemands était marginale. En revanche,on pourrait mener une enquête sur les sympa-thies fascistes dans le corps enseignant de laSuisse francophone. En témoigne l’octroi indé-cent du doctorat honoris causa à Mussolini, parl’université de Lausanne en 1937. Le dictateurainsi honoré venait de conquérir l’Ethiopie enn’hésitant pas à utiliser les gaz asphyxiants... Ilest vrai que la remise de cette distinction hono-rifique suscita alors de vives réactions critiques,dans une partie du corps enseignant universi-taire, dans l’opinion publique et dans les partisde gauche. Mais c’est une autre histoire... n

Pierre JeanneretSource : Stephan Schwarz, «NationalsozialistischeDozenten an Schweizer Universitäten (1933-1945)»,Revue Suisse d’Histoire, Vol. 68/3, 2018, pp. 502-525.

Quand des nazis enseignaient dans les universités suissesLIVRE • L’historien Stephan Schwarz s’est penché sur le cas de ces partisans du IIIe Reich et sur la réaction des autorités politiques etacadémiques.

E n Chine du Nord, une citéindustrielle sinistrée est immer-gée dans le smog. Ses habitants y

sont enlisés. Le casting évolue dans lesillage d’enjeux sentimentaux, écono-miques et éthiques. Ainsi dans unmontage parallèle digne d’un filmchoral., plusieurs destins s’entrecroi-sent. Parmi eux, un gangster taraudépar la culpabilité face au suicide d’unami, un adolescent harcelé qui envoieson bourreau à l’hôpital et un grand-père est éjecté de sa famille. Pour AnElephant Sitting Still signé Hu Bo,tous sont sous le joug de mesquine-ries familiales et d’embrouilles minus-cules dans une vie travaillée par unebrutalité sociale qui affleure. Un adoconstate: «Le monde est un terrainvague». L’éléphant du titre tient del’univers des contes ouvrant sur uneimprobable issue face à la chape deplomb ambiante.

Réalités incertainesUne caméra enveloppante à courtefocale colle au réel de ces êtres, quitombent comme sous narcose, touten s’en extrayant par de brusquesfuites. Tiré d’un roman de son réalisa-teur, Hu Bo, le film se fait parfois bal-lade sur une guitare rock atmosphé-rique. Pour investiguer par anticipa-tion le suicide du cinéaste survenu à28 ans, une fois le montage achevé.Les plans-séquences et travellings quirythment ce testament hypnotique etrépétitif sont empreints d’une sidé-rante douceur avec des arrière-plansflous et évanescents. La vie météo-rique du réalisateur et son seul filmsemblent rejoindre les intuitions del’écrivain français Édouard Levé: «Tonsuicide rend plus intense la vie deceux qui t’ont survécu.» (Suicide).

Léopard d’or inattendu au dernier

Festival de Locarno, le déroutant ALand Imagined, du Singapourien YeoSiew Hua, s’inspire de la structuredramaturgique de Lost Highway dû àDavid Lynch, qui superpose lesniveaux de lecture. Soit une rupturedu point de vue. De celui d’un poli-cier atteint d’insomnies chroniquesenquêtant sur l’évaporation dans lepaysage d’un travailleur migrant chi-nois à la prise en charge du récit parla subjectivité du disparu au coursd’un long flash-back. Les séquencesnocturnes se cristallisent autour d’uncybercafé situé dans le Chinatownsingapourien. Ce lieu aux solitudes

additionnées ouvre en creux et demanière retenue sur la démultiplica-tion des images, intrigues et dimen-sions parallèles.

Ancien étudiant en philosophie, lecinéaste arpente contreforts psy-chiques et liens somatiques entreenquêteur et sujet de son investiga-tion. Le spectateur est ainsi amené àreconsidérer les notions de réalité etde vérité. L’ensemble se déploie aucœur d’une île-Etat et d’une industrievisant à consolider la topographie dulittoral avec des sables dépeintscomme provenant de nombreux sitesasiatiques. A l’image des employés

immigrés pakistanais, bengalis et chi-nois. Sans toujours emporter l’adhé-sion par une approche elliptique, leréalisateur s’efforce, non sans perti-nence, de subvertir les codes etfigures obligées du thriller.

Taxis insurrectionnelsBlockbuster au Pays de Matin calme,A Taxi Driver est réalisé par JangHun. Ce dernier a longtemps œuvrécomme assistant et monteur de l’undes cinéastes coréens historiques lesplus en vue, Kim Ki-Duk. Inspiré parLa Bataille d’Alger réalisé par GilloPontecorvo (1966) et de témoignages

d’habitants, le film est emblématiquede l’une des principales forces ducinéma sud-coréen, cette aptitudescénaristique à moduler dans le ton etles genres (de la comédie à la tragé-die), tout en préservant une factured’ensemble pertinente. Mai 1980. LaCorée du Sud est ébranlée par desprotestations populaires, qui dénon-cent la loi martiale proclamée par ledictateur Chun Doo-hwan ayant prisle pouvoir après l’assassinat du prési-dent Park Chung-hee.

Traversé de couleurs pop saturées,l’opus revient sur l’oublié soulèvementpopulaire, syndical et étudiant contreun régime autoritaire. Il fut impitoya-blement réprimé, causant plusieursmilliers de morts selon des organisa-tions de défense des droits humains.Le pitch? Un journaliste tv allemandayant réellement existé, Jürgen Hinz-peter (Thomas Kretschmann, sidéré),apprend qu’il se passe des événementssuspects dans la ville de Gwangju, enCorée du Sud. On parle d’affronte-ments entre l’armée et la population.Pour cela, il engage un chauffeur detaxi de Séoul (la star Song Kang-Hoen mode récit initiatique).

Son périple passe du feel goodmovie au drame. S’en dégage unlyrisme diffus flirtant parfois avec lesproductions de Steven Spielberg etOliver Stone, notamment dans sesmanifestants anti-dictature s’écrou-lant au ralenti sous la mitraille d’unesoldatesque anonyme. De factureclassique, la réalisation est aussi unhommage aux chauffeurs de taxi deGwangju, qui ont notamment ache-miné les blessés dans les hôpitaux. n

Bertrand Tappolet

Festival Black Movie, du 18 au 27 janvier,Genève. Rens.: blackmovie.ch

Vies en sursis au Festival Black MovieCINÉMA • Des horizons gris de la Chine du Nord à un soulèvement populaire contre la dictature en Corée du Sud (mai 1980), l’histoire arendez-vous avec le quotidien au Festival Black Movie.

Le Parti suisse du Travail-POP a appris avectristesse le décès, survenu le 11 janvier, de

Heidi Dellberg-Meiermilitante de gauche et épouse de CharlesDellberg, fondateur du PS Valais et sympathi-sant du Parti du Travail.Il présente ses condoléances à toute safamille, amis et alliés.

MORTUAIRE

Blockbuster au Pays de Matin calme, «A Taxi Driver» est réalisé par Jang Hun, avec la star sud-coréenne Song Kang-Ho. DR