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La géopolitique du printemps arabe 6 e séminaire à Bruxelles 3 juillet 2014 • Breydel 2

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5La geopolitiquedu printemps arabe

7Bilan du printemps arabe et islam politiqueAmbassadeur Denis BauchardFlavien BourratProfesseur Docteur Luis SimónGerald Oualid

Présidence : Ambassadeur Nicolas Normand (IHEDN)

Bilan duprintemps arabeDenis Bauchard

Quel bilan de l’islamisme politique au pouvoir ? Flavien Bourrat

19L’action des puissances extérieuresDocteur Ian O. Lesser, Professeur Docteur Gerd NonnemanPhilippe Migault

Présidence : Professeur Docteur Sven Biscop

La Russie,puissance méditerranéenne ? Philippe Migault

27Quelle stratégie européenne ? Patrice BergaminiProfesseur Haizam Amirah FernandezAmbassadeur Marc Franco

Présidence : Alexander Mattelear

The geopoliticsof the arab spring Marc Franco

Sommaire

AVERTISSEMENT

Les textes publiés dans le présent ouvrage n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Ils n’engagent ni l’IHEDN, ni les services du Premier ministre. Les idées ou opinions émises ne peuvent être considérées comme l’expression d’une position officielle.

Tous droits réservés. La diffusion et la reproduction de tout ou partie de cet ouvrage sont soumises à l’autorisation du directeur de l’IHEDN.

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La géopolitique du Printemps arabe

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La géopolitiquedu printemps arabeLe Printemps arabe, porteur de l’espoir d’une génération rejetant l’autoritarisme ou la corruption de régimes qui leur étaient imposés, a affecté, à des degrés divers l’ensemble des pays arabes.

Les recompositions politiques internes, qui ont donné aux partis religieux un pouvoir nouveau mais de pérennité incertaine ont des conséquences qui dépassent les frontières nationales. Une région naguère caractérisée par un certain immobilisme est rentrée au moins en partie dans une zone de turbulences, parfois de guerre civile : les répercussions internationales se déclinent au niveau régional (arabe et proche-oriental), euro-méditerranéen, et global dans la mesure où l’implication des puis-sances (États-Unis, Russie et Chine) doit s’adapter et répondre à des défis nouveaux.

Les régimes apparus pouvant générer de nouvelles alliances mais aussi de nouveaux antagonismes, ces recompositions ne sont évidemment pas sans impact pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne. Qu’en est-il de son agenda et de son analyse géopolitique pour la région ? Ce séminaire a pour objet de dresser un bilan de la situation politique actuelle et de stimuler à cette occa-sion la réflexion stratégique européenne, s’agissant des politiques étrangères et de sécurité d’acteurs-clés pour cette région.

• La première table ronde évaluera la situation politique issue du Printemps arabe, pour identifier les défis à relever, pour ces pays eux-mêmes et leurs voisins immé-diats comme pour l’Europe.

• La deuxième table ronde tentera d’évaluer le rôle des puissances extérieures, régio-nales ou globales, qu’il s’agisse des États-Unis en pleine réorientation stratégique vers l’Asie, mais aussi de la Chine, de la Russie ou des États du Golfe.

• Une troisième table ronde enfin abordera la question de la stratégie de l’Union européenne pour cette région, en matière de politique de sécurité et de défense commune, de développement et d’aide à la reconstruction.

Ce séminaire est coorganisé par l’Institut des hautes études de défense nationale et l’Institut Egmont – Institut royal pour les relations internationales –, avec l’aimable soutien du Collège européen de sécurité et de défense (CESD).

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Bilan du Printemps arabeet islam politique

Ambassadeur Denis BauchardInstitut français des relations internationales (Ifri), conseiller pour le Moyen-Orient

Flavien BourratInstitut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem),

responsable de programme sur la région Afrique du Nord Moyen-Orient

Professeur Docteur Luis SimónInstitute for European Studies, Vrije Universiteit Brussel (VUB)

Gerald OualidChargé du développement de l'activité de securité chez Alcatel-Lucent

Présidence : ambassadeur Nicolas Normand (IHEDN)Directeur adjoint des activités internationales

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Bilan du printemps arabe

Denis BauchardInstitut Français des Relations Internationales (IFRI), conseiller pour le Moyen-Orient

Après avoir suscité de grands espoirs, le mal nommé Printemps arabe apparait comme un échec. Son éclosion en Tunisie début 2011 puis en Égypte avait, au départ, suscité l'euphorie : les pays arabes, par un effet domino à partir de ces deux pays, allaient tous devenir démocratiques, démentant ainsi une exception dans le monde d'aujourd'hui. Puis la prise de pouvoir par des partis islamistes et le chaos qui s'est développé tant en Libye qu'en Syrie ont modifié l'état d'esprit des opinions publiques en Occident. Ce Printemps est apparu comme une menace à ses intérêts politiques et économiques comme à sa sécurité. La méfiance et l'inquiétude ont succédé à la sympathie. Dans les pays concernés les populations ont été affectées par les conséquences des troubles qui ont suivi. Avec le recul, quel bilan peut-on établir maintenant de ces mouvements qui ont touché la quasi-totalité des pays arabes ?

L'échec du Printemps arabe

D'une façon générale, ce fut un échec. À deux exceptions près, les mouvements révolutionnaires n'ont pas débouché sur l'instauration de véritables démocraties, ni même amorcé un processus démocra-tique. Cependant, il faut se garder de toute appréciation globale. En effet ces mouvements se sont développés dans des conditions très variables d'un État à l'autre et dans des contextes tout à fait différents. En fait, il y a autant de scénarios d'évolution qu'il y a de pays, soit 22. Cependant, on peut les regrouper autour de sept scénarios de base.

Des pays sans Printemps

Dans un certain nombre de cas, il n'y a pas eu de Printemps dans la mesure où il s'agissait de pays qui connaissaient déjà des éléments de démocratie. Telle est la situation dans des pays comme le Liban, seule démocratie arabe pendant longtemps, de l'Irak après les élections de 2005 et de la Palestine après celles de 2006. Certes ces pays connaissent troubles et violences, mais pour des raisons spé-cifiques, non liées au Printemps arabe.

Le printemps tourne court

Dans le Golfe, à l'exception de Bahreïn, les mouvements furent modestes et la reprise en mains immé-diate. Compte tenu des moyens financiers à leur disposition, les familles au pouvoir achetèrent la paix sociale et politique, sans réformer les régimes féodaux qu'elles incarnent.

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Un Printemps désamorcé

Au Maroc, en Algérie, mais également en Jordanie, les mouvements ont pris une certaine ampleur. Ils furent désamorcés par la combinaison d'une ferme reprise en main et des mesures de réformes, habilement présentées mais largement cosmétiques. À cet égard, le cas du Maroc est intéressant. Des élections "libres" donnèrent une majorité relative au Parti islamiste modéré, le PJD, à qui fut confiée la direction d'un gouvernement de coalition, la nouvelle constitution donnant un pouvoir élargi au premier ministre. Dans les faits le Maghzen contrôle l'action gouvernementale, notamment sur les dossiers les plus sensibles : chaque ministre est doublé par un conseiller du roi qui continue à conserver le pouvoir. On reste loin d'une monarchie constitutionnelle.

Le Printemps vire au chaos non maitrisable

À cet égard, le cas de la Libye est révélateur. Des chefs de milices autoproclamés et des chefs tradi-tionnels de tribus détiennent un pouvoir émietté et qui ne dépasse pas une ville, voire un quartier ou sa zone d'influence, dans un pays à l'unité artificielle et aux structures administratives et politiques quasi inexistantes.

Le Printemps débouche sur une guerre civile

Le cas de la Syrie illustre cette évolution. Outre l’affrontement entre un régime autocratique et une opposition démocratique, elle réunit des acteurs nombreux, aux objectifs variés et contradictoires. Ainsi, six catégories d'acteurs aux motivations différentes et aux intérêts divergents s'affrontent vio-lemment : le régime de Bachar al-Assad, soutenu par des combattants du Hezbollah libanais et des volontaires iraniens, la Coalition nationale syrienne appuyée par l'Armée syrienne libre, les mouve-ments islamistes, les groupes jihadistes, des groupes mafieux qui rackettent la population. Mais la discorde règne à l'intérieur de chacune de ces catégories, y compris au sein même du régime.

La révolution suscite une contrerévolution

Tel est le cas de l'Égypte : après le départ du président Moubarak, s'est mis en place un processus démocratique, ponctué d'une élection législative, de l'élection d'un président et d'une nouvelle consti-tution. Les erreurs du président Morsi, auxquelles s'ajoutent la résistance de la justice et de la police qui ont exploité les maladresses d'une gouvernance calamiteuse et la volonté de l'armée de préserver les intérêts supérieurs du pays comme ses propres intérêts, devaient conduire à une brutale reprise en mains et à la destitution du président élu démocratiquement. De fait, il s'est agi d'un véritable coup d'État d'une armée qui ne pouvait accepter un pouvoir contrôlé par la confrérie des Frères musulmans et qui habilement a exploité le mécontentement suscité par les errements de ce pouvoir. Le retour de balancier a conduit à la restauration d'un pouvoir autocratique, qui, malgré l'onction de l’élection présidentielle, s'est effectuée dans des conditions plus dures que celles qui existaient avec Moubarak : répression massive visant non seulement les Frères musulmans mais également certains éléments de

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l'opposition démocratique, atteinte à la liberté de la presse, mise en cause des libertés fondamentales, renforcement des privilèges des forces armées. On peut s'interroger sur l'efficacité d'une politique qui a peu de chance d'éradiquer un mouvement enraciné dans une partie de la société égyptienne et qui risque de déboucher sur un nouveau type de terrorisme alimenté par la frange la plus radicale des Frères musulmans, condamnés à la clandestinité. Le Printemps enclenche un processus démocratique

Deux pays seulement sont dans ce cas, la Tunisie et, dans une moindre mesure, le Yémen. La Tunisie a été l'initiatrice des Printemps arabes. Après des mois de turbulences, ponctuées notamment par deux assassinats politiques et deux gouvernements à majorité islamiste, on assiste à la mise en place progres-sive d'institutions démocratiques. La constitution finalement adoptée est certainement la plus démocra-tique de toutes celles qui existent dans les pays arabes et même musulmans. Les élections législatives puis présidentielles prévues avant la fin de l'année devraient confirmer cette voie vers la démocratie. Il est vrai que la Tunisie dispose de nombreux atouts : tradition d'un islam ouvert et tolérant, attachement à la laïcité, importance de la classe moyenne, généralisation de l'éducation, existence d'une élite de qualité, rôle actif des femmes dans la société, émergence d'une société civile responsable. On rappellera que c'est cette société civile qui a en quelque sorte imposé aux partis politiques qui s'affrontaient, en particulier Ennahda d'un côté et Nidaa Tounes de l'autre, une "feuille de route" de sortie de crise, rédigée conjointement par le syndicat UGTT, l'ordre des avocats, la Ligue des droits de l'homme et le syndicat regroupant les milieux d'affaires. La Tunisie qui pourrait être un modèle reste pour l'instant une exception. La voie vers la démocratie du Yémen paraît encore très aléatoire. Si le "dialogue national" se poursuit, le pays se trouve aux prises avec des violences venant de multiples côtés : tribus houthistes du Nord qui défient le pouvoir central, menées sécessionnistes et actions d'Al Qaïda dans le Sud.

Au total, le bilan, certes provisoire, permet de parler d'un échec des Printemps arabes.

Un échec programmé ?

Cet échec résulte de la conjonction de causes propres à chaque pays mais également de raisons plus générales qui relèvent du comportement des principaux acteurs des mouvements qui se sont développés depuis trois ans et demi.

Des mouvements inorganisés

S'agissant des révolutionnaires, ils sont apparus sans leader, sans programme, sans relais dans l'opi-nion. Les rares partis existants étaient soit compromis avec les pouvoirs en place, soit sans assise territoriale. Les principaux opposants se trouvaient en exil parfois depuis plusieurs décennies et lar-gement déconnectés de leur pays d'origine. Ainsi les multiples partis qui se sont mis en place lorsque des élections ont pu être organisés n'avaient guère d'audience et encore moins de militants: les

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dizaines de partis qui se sont brusquement créés à l'initiative de personnalités souvent inconnues, notamment en Égypte ou en Tunisie, étaient sans assise locale et sans véritable programme de gou-vernement. Les jeunes qui ont joué un rôle important dans ces mouvements n'avaient qu'un seul but, le départ de Moubarak et un slogan "Dégage !". Seuls les mouvements islamistes, qui ne sont pas à, proprement parler des partis, étaient structurés : ceci permet de comprendre pourquoi, dans les pays où des élections libres ont été organisées, ils sont arrivés en tête et ont pris le pouvoir, comme en Égypte avec les Frères musulmans, en Tunisie avec Ennahda et au Maroc avec le PJD. Cependant, comme la suite des évènements allait le démontrer, ils ont accumulé, faute d'expérience du pouvoir, et de programme politique crédible, des maladresses qui les ont rapidement largement disqualifiés.

La capacité de résilience des pouvoirs en place

D'un autre côté, les pouvoirs en place, ont démontré, une fois l'effet de surprise dissipé, une capacité de résistance plus forte que prévu. Dans certains cas leur légitimité tribale ou féodale, comme dans les pays du Golfe, explique cette résilience. Dans d'autres cas, cette légitimité a des fondements à caractère religieux, comme en Jordanie ou au Maroc, où les souverains revendiquent leur descen-dance du Prophète et leur leadership religieux. Le rôle des armées, et des services de renseignement, les moukhabarates, sur lesquels s'appuient nombre de régimes, a eu un également un caractère déterminant. Ces mouvements spontanés et anarchiques aux aspirations démocratiques quelque peu confuses, ont été analysés comme présentant des menaces à un ordre dont ils étaient les principaux bénéficiaires. En Algérie, en Égypte, en Syrie les forces armées ont vu dans ces mouvements un risque que leurs intérêts, y compris économiques, voire leurs prébendes, ne soient remis en cause. Seule force organisée dans le pays, mis à part les islamistes, ils ont exclu tout partage du pouvoir et, à plus forte raison, toute alternance, considérés comme inacceptables.

Des opinions versatiles

Cependant les opinions publiques arabes par leur action de mobilisation, leur indifférence ou leur hostilité ont joué un rôle important dans le succès ou l'échec des mouvements révolutionnaires. Ces opinions se caracté-risent par leurs profondes divisions : divisions entre les partisans des pouvoirs en place et ceux en faveur des opposants. Mais un autre clivage s'ajoute au précédent, entre ceux que l'on a qualifiés d'"islamo-conser-vateurs" et, ceux qui, faute de mieux, apparaissent comme "libéraux-progressistes". De fait, au lendemain du renversement des régimes autocratiques, ces deux forces se sont affrontées aussi bien en Tunisie qu'en Égypte. De même cet antagonisme a contribué à diviser et donc à affaiblir l'opposition, incapable, comme en Syrie, de montrer un front uni face au pouvoir. A ces divisions se superposent les structures traditionnelles, ethniques, tribales ou religieuses. Enfin il est clair que les mouvements se développant, les tenants de l'ordre et de la stabilité et ceux qui privilégient les aspirations démocratiques s'opposent. La frontière entre ces différents courants a été dès le début, très fluctuant. Les opinions publiques arabes apparaissent comme spécialement versatiles : à deux ans d'intervalle, la population égyptienne a élu en juin 2012 le président Morsi avec près de 52 % des voix, puis, en mai 2014, le maréchal Al-Sissi représentant des forces armées et de la restauration d'un pouvoir autocratique, avec plus de 96 % des voix.

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Des effets pervers

Ce bilan ne serait pas complet sans évoquer les effets pervers des Printemps arabes, tant sur le plan politique qu'économique, sociale ou sécuritaire.

D'un point de vue politique, les Printemps se sont traduits dans de nombreux cas par la polarisation de la vie politique entre ordre islamiste et pouvoir autocratique appuyé par les forces armées. L'apparition d'une troisième force modérée de même que la mise en place de gouvernements de coalition sont apparus, sauf en Tunisie, comme impossibles. Le concept d'alternance, inhérent à tout régime démo-cratique ou de cohabitation, est récusé. L'idée de majorité de compromis entre des forces opposées n'appartient pas encore à la culture des pays arabes. Les oppositions préexistantes se sont transfor-mées, notamment dans le cas de l'Égypte en affrontements violents: il est clair que dans ce pays, ni l'armée qui depuis 1952 joue un rôle essentiel dans la vie politique, ni la Confrérie créée en 1928 et solidement ancrée dans la société égyptienne, n'acceptent de cohabiter. Or aucune de ces deux forces ne peut l'emporter sur l’autre, à plus forte raison ne pourra éradiquer l'autre: la politique actuelle de répression brutale menée par les autorités égyptiennes ne peut que déboucher sur une impasse. Une intolérance aggravée apparait ainsi comme le premier effet pervers de ces révolutions. D'une façon générale, elles se sont traduites par un affaiblissement des structures étatiques. L'État voit son rôle contesté, notamment lorsque de nouvelles autorités ont pris le pouvoir. Les structures traditionnelles, la police comme la justice, n'acceptent de suivre les directives des nouveaux gouvernements qu'avec réti-cence lorsqu'elles ne sabotent pas leurs instructions, comme on a pu le voir en particulier en Égypte lorsque le président Morsi a été élu. Quant aux pouvoirs qui ont réussi à résister aux mouvements révolutionnaires, leur autorité est également contestée, voire inexistante sur une large partie du territoire comme en Syrie

Cette évolution est d'autant plus marquée que la plupart des États arabes avaient déjà, dans la plupart des cas, des structures administratives faibles ou corrompues : l’exemple le plus évident est celui de la Libye où les structures étatiques se sont littéralement effondrées. Il en résulte plusieurs consé-quences. Sur le plan intérieur, on assiste à un risque de fragmentation ou d'implosion des États aux frontières souvent artificielles. C'est ce que l'on constate en Libye, au Yémen, au Liban ou en Syrie. Une évolution comparable est observée, pour d'autres raisons, en Irak où se développe clairement une fragmentation entre un Kurdistan quasi indépendant, un triangle sunnite sous domination des jihadistes de l'État islamique, seuls Bagdad et le Sud chiite étant encore sous un contrôle, d'ailleurs affaibli, du gouvernement légal. On peut craindre que ces évolutions soient irréversibles. Cet affaiblis-sement des États a également des conséquences sur le plan extérieur : des pays comme la Syrie, la Libye, l'Irak qui étaient des acteurs importants au Moyen-Orient voient leur rôle géopolitique s'amoin-drir voire disparaître. Il en est de même, mais dans une moindre mesure, de l'Égypte qui a perdu son rôle de leader naturel du monde arabe.

Sur le plan économique, les mouvements révolutionnaires, lorsqu'ils ont pris de l'ampleur ont eu bien évidemment des conséquences négatives. La désorganisation de l'économie qui s'en est suivie, les

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troubles sociaux – grèves, occupations d'usines, revendications salariales – qui inévitablement les ont accompagnés, l'allergie des milieux d'affaires à tout désordre ont eu un impact sur l'économie des pays concernés. Celui-ci a été d'autant plus important qu'il s'agit de pays à l'économie déjà fragile et affecté par la crise mondiale et que le pouvoir, nouveau ou ancien, à la gouvernance incertaine, était désorganisé ou que le processus de décision paralysé. Ces événements ont affecté une crois-sance négative dans plusieurs pays, dans l'industrie comme dans les services, notamment pour le tourisme durement touché. Le taux de chômage, déjà élevé en particulier chez les jeunes, a cru de façon préoccupante. Le budget de l'État connait un accroissement spectaculaire de son déficit, les recettes se ralentissant alors que les dépenses s'accroissent. Les comptes extérieurs, souvent déjà négatifs, voient leur solde largement déficitaire. Les investisseurs, tant nationaux qu'étrangers, sont dans l'attentisme, touchant ainsi les capacités de production future. La Syrie présente le cas extrême d'une économie de guerre, avec toutes ses conséquences dont la paralysie de secteurs entiers, et l'extension du marché noir…

Dans le domaine sécuritaire, les révolutions ont conduit à des situations de vide politique dans lequel se sont engouffrés des mouvements violents, notamment de groupes se réclamant d'Al Qaïda. Si Ben Laden est mort, des groupes revendiquant la même idéologie, pratiquant un terrorisme de même nature caractérisé par sa brutalité, et développant les mêmes méthodes de communication se sont multipliés. Ces groupes occupent des territoires de plus en plus étendus, d'où ils sont difficilement expugnables. En Libye, dans le Sinaï, au Yémen, au Liban, en Syrie, en Irak de tels groupes prolifèrent, avec des effectifs de plus en plus nombreux et des armements de plus en plus sophistiqués. La guerre civile en Syrie est à cet égard "exemplaire". Les groupes jihadistes, notamment le Front al-Nosra et son rival, l'État islamique, profitant du vide politique et instrumentalisé, tout au moins au départ par le régime de Bachar Al-Assad, ont créé un "jihadistan" qui, depuis juin dernier, déborde en Irak. De nombreux combattants étrangers, venant de pays arabes mais également d'Asie centrale, de Russie et d'Europe ont rejoint leurs rangs. L'effondrement de la Libye et le pillage des arsenaux du régime de Khadaffi, ont donné à l'Aqmi un nouvel élan au Sahara comme au Sahel, menaçant la stabilité de plusieurs pays africains. Ainsi cette évolution constitue une menace tout autant pour les pouvoirs en place dans les pays arabes que pour l'Europe et l'Afrique.

Ce bilan ne peut être que provisoire. Le monde arabe est entré dans une phase de de transition dont on ne connaît ni quand, ni comment elle se terminera. Cette période risque de se prolonger encore long-temps car ces hautes turbulences ne sont pas dues qu'au seul Printemps arabe: elles se nourrissent aussi de l'affrontement entre sunnites et chiites qu'il a contribué à relancer et de la guerre larvée qui oppose l'Arabie saoudite et l'Iran pour faire prévaloir leur leadership. Elles tiennent également à la bombe à retardement que représente la question palestinienne non résolue.

Une seule certitude existe cependant, c'est que rien ne sera comme avant et que le monde arabe est à un tournant de son histoire. Ces révolutions ont déjà eu et auront encore des conséquences majeures pour l'avenir et contribueront à faire apparaître une nouvelle donne dans cette région éminemment stratégique.

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Quel bilan de l’islamisme politique au pouvoir ?

Flavien BOURRATResponsable de programmes "Afrique du Nord Moyen-Orient" à l’Institut d’études stratégiques de l’École militaire (Irsem, Paris)

Avant de tenter d’esquisser un premier bilan de l’expérience du pouvoir par des mouvements islamistes dans le contexte créé par les révolutions arabes, il convient de revenir rapidement sur la distinction entre les divers courants qui s’inscrivent sur toute l’étendue du spectre de cette mouvance politico-religieuse.

Rappel des différentes composantes de la mouvance islamiste

Ce qui distingue les différents courants de l’islamisme entre eux se situe moins au niveau des réfé-rents de base, qui sont le plus souvent communs : conception totalisante de la religion, celle-ci ayant vocation à encadrer et codifier l’ensemble des aspects de la vie publique et privée ; référence à un âge d’or situé dans les premiers temps de l’islam (le référentiel salafiste, commun à l’ensemble des courants, renvoie au modèle incarné par les "pieux ancêtres"), invocation en faveur de l’établissement d’un califat tenu comme le paradigme indépassable du mode de gouvernance, rejet des formes de religiosité traditionnelles mais considérées comme déviantes telles que le soufisme et l’islam populaire (en particulier le culte des saints).

Au-delà de ce corpus commun, de profondes divergences existent quant à l’organisation et au fonc-tionnement de la société comme de l’État, mais aussi quant aux modes d’actions préconisés pour par-venir aux objectifs fixés, même si les divers courants ne sont pas complètement étanches et peuvent, le cas échéant, s’interpénétrer ou s’influencer. À une extrémité du spectre, on retrouve le salafisme-jihadiste, forme la plus radicale de l’islamisme sur le plan des concepts comme sur celui de l’action. Ce courant se réfère à un projet millénariste : l’avènement du royaume de Dieu sur terre. Il rejette pour cela la modernité politique structurée autour de l’État et de la nation, et privilégie l’usage de la vio-lence, au besoin épuratrice (le takfir) pour aboutir à son objectif. À l’autre extrémité se situe l’islamisme politique – ou légaliste –, courant sur lequel nous allons nous pencher aujourd’hui. Contrairement au précédent, il reconnait plus ou moins bien la modernité politique incarnée par l’État-Nation, tout en critiquant ou en rejetant certains fondements et référents. Il accepte de ce fait de participer au jeu politique et à la gouvernance, en ayant parallèlement renoncé l’usage de la violence. Entre les deux, on trouve le salafisme prédicatif (ou néo salafisme wahhabite). Ce dernier se distingue fortement de l’islamisme politique par son refus de s’insérer dans le jeu et le débat politique, mais plus encore,

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de contester le pouvoir en place. Son objectif est l’épuration du dogme en délégitimant l’ensemble des patrimoines religieux, afin de devenir le seul référent légitime de l’islam au détriment de tous les autres.

L’islamisme politique au défi de la gouvernance :limites et échec d’une expérimentation

Comme tout un chacun, les islamistes du monde arabe ont été pris de cours par l’irruption des révoltes arabes qu’ils n’avaient pas anticipé et dans le déclenchement desquelles ils n’avaient joué aucun rôle. Pour autant, une fois renversés les pouvoirs autoritaires en place depuis des décennies, et complètement libéralisé le champ politique, ils sont naturellement apparus comme le courant politique dominant, qu’ils étaient virtuellement auparavant malgré l’interdiction qui les frappaient, et ont, sans surprise, remporté les premières vraie élections libres organisées dans le monde arabe (si l’on excepte le scrutin législatif de 2006 dans les Territoires palestiniens, qui avaient d’ailleurs vu la victoire d’une formation islamiste : le Hamas). L’année 2011 a pu en conséquence apparaitre comme ayant scellé la fin de "L’échec de l’islam politique" (pour reprendre le titre d’un ouvrage d’Olivier Roy paru en 1992), celui-ci étant compris comme l’impossibilité des formations se réclamant de ce courant d’accéder au pouvoir par des moyens légaux ou non. Le fait que des formations politiques islamistes comme les Frères musulmans en Égypte, En Nahdha en Tunisie, le Parti de la Justice et du développement (PJD) au Maroc, aient été conduits par les urnes à prendre les rênes du gouvernement est apparu de ce fait comme un des éléments clefs de l’expérimentation de transitions post-autoritaires dans le monde arabe. Cette expérimentation pose deux questions fondamentales : les islamistes politiques, d’une part, une fois passés du statu d’opposant à celui de gouvernant, sont-ils capables de gérer les affaires publiques, et d’autre part, il y a t-il compatibilité entre leur vision, pratiques et objectif politiques et la démocratie ?

Le premier bilan de cette expérience, si l’on en juge aux réactions qu’elles ont provoquées – renver-sement du gouvernement Frère musulman par l’armée égyptienne avec l’assentiment d’une partie majoritaire de la population, retrait contraint d’Ennahdha en Tunisie sous la pression notamment de la société civile – incite à répondre par la négative.

Au départ, les islamistes, même si leur projet inquiétait une partie de la population, disposait d’atouts majeurs en comparaison de leurs rivaux politiques. Ils bénéficiaient ainsi d’une virginité politique, n’ayant pour ainsi dire jamais été associés à la mauvaise gouvernance et à la corruption décriées des précédents régimes autoritaires. Ces derniers avaient en outre pratiqué à leur encontre une répression brutale et indiscriminée qu’ils avaient endurée plus que tout autre courant politique. L’action sociale et caritative qu’ils avaient pu développer en compensation les gratifiait d’une aura et d’un respect supplémentaires, notamment auprès des couches les plus démunies de la société. Enfin, la dimension religieuse dont ils se prévalaient leur valait à priori respect et considération auprès de populations pour qui l’islam constitue in fine le référentiel de base, et qui pouvaient en cela facilement s’identifier à leurs discours.

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En fin de compte, les formations islamistes concernées se sont vite heurtées à la rude réalité de la gestion sécuritaire, économique et sociale, dans des contextes d’instabilité chronique, alors même que les attentes dans ces domaines étaient particulièrement fortes de la part de ceux qui les avaient portés au pouvoir. Le flou caractérisant leur programme économique et social, couplé à la reproduction des pratiques les plus contestables des pouvoirs précédents telles que la corruption et le népotisme leur été rapidement reproché. Plus grave, leur objectif de mise en place d’un État à référent religieux, avec en particulier la volonté de mettre les lois et les institutions en conformité avec la charia (celle-ci désignant les normes contenues dans le corpus islamique constitué par le Coran et la Sunna), est apparu comme une volonté de s’attaquer aux fondamentaux institutionnels, nationaux et socié-taux qui constituent, en dépit de tout, le socle commun de chacun de ces pays. La sincérité de leur conversion au pluralisme et à la démocratie en a été d’autant plus affectée qu’ils n’ont pas hésité parfois à franchir – avec notamment la "déclaration constitutionnelle" du président égyptien Morsi en novembre 2012 – la ligne séparant l’état de droit de la dictature S’est ajouté à cela un jeu ambigu vis-à-vis de la mouvance islamiste radicale ou jihadiste, dans l’espoir de bénéficier du soutien de leurs sympathisants, favorisant la montée des actes de violence et d’intolérance de la part de ces derniers.

En fin de compte, cette stratégie du Tamkin, visant à la prise de contrôle progressive mais totale de l’appareil d’État, s’est heurtée à différentes formes de résistances, que les islamistes, probablement enivrés par un sentiment de supériorité, n’avaient visiblement pas anticipé. Le premier de ces pôles de résistance est constitué par les structures de l’"État profond", à savoir en premier lieu les forces ar-mées, les services de sécurité, mais aussi la justice. A raison, de plus, s’ils estiment que les islamistes franchissent des lignes rouges (concernant notamment l’intégrité territoriale et l’unité nationale), ces corps sont traditionnellement méfiants sinon hostiles à leur encontre et veillent à empêcher toute tentative de contrôle ou de pénétration de leur part. En Égypte, ils se sont ainsi heurtés à plus forts qu’eux, à savoir l’armée, structure incontournable de l’État. Au Maroc, où il n’y a pas eu de révolution, le pouvoir monarchique est resté maître du jeu politique et institutionnel, et contrôle étroitement les structures de l’"État profond". Dans ce cas, le PJD, en dépit d’une réforme constitutionnelle sensée renforcer les pouvoirs du gouvernement, s’est vu à la fois instrumentalisé par le palais et « doublé » par des conseillers royaux conservant la haute main sur les dossiers sensibles. Enfin, en Tunisie, le parti Ennahdha, en outre échaudé par le précédent égyptien de juillet 2013, a du tenir compte d’une société civile s’appuyant sur une administration compétente et de puissants contre-pouvoir, en parti-culier syndicaux, qui est, davantage que dans les autre pays arabes, une réalité.

Quelles perspectives pour l’islamisme politique,entre répression et concurrence ?

Doit-on, notamment au regard des expériences en Tunisie et surtout en Égypte, conclure à un "deu-xième échec" de l’islam politique, et quelles pourraient en être, le cas échéant, les conséquences dans le monde arabe et au-delà ? Si la dynamique qui avait profité aux mouvements de type Frères musul-mans dans la foulée des soulèvements de 2011 semble bel et bien stoppée – encore faut-il attendre le résultat des prochaines élections législatives en Tunisie pour en juger définitivement –, on ne peut

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cependant conclure à la disparition de cette mouvance. Celle-ci reste malgré tout le courant politique le mieux structuré et le plus cohérent face à une offre politique restante divisée, éclatée, et peu consis-tante sur le plan des idées comme des programmes. Une chose est certaine, les islamistes politiques conserveront une assise électorale conséquente, à défaut d’être dominante, et une importante implan-tation sociale. À partir de là, l’avenir de formations comme Ennahdha ou le PJD, qui sont amenées de gré ou de force à adopter une démarche graduelle et de compromis dans leur démarche politique, parait mieux assuré que celui des Frères musulmans égyptiens, dont l’attitude jusqu’au-boutiste leur ont aliéné la majorité de la population. Ce pragmatisme ne signifie pas pour autant, en tout cas pour le gros des appareils politiques et militants, un aggiornamento idéologique, mais peut évoluer vers une attitude plus conciliatrice et moins partisane, sachant que le clivage autour de la place de la religion dans l’État et la société reste fort au sein des opinions, et cela est particulièrement vrai en Tunisie.

Néanmoins, une attitude davantage conciliatrice de leur part apparait comme une arme à double tranchant, en ce sens qu’elle peut les priver du soutien d’éléments plus radicaux tels que les sala-fistes-jihadistes, ou bien favoriser d’autres concurrents présents dans le champ politico-religieux tels que les salafistes prédicatifs ou des organisations comme le parti Al Nour en Égypte, à condition que ces derniers ne rééditent pas les erreurs des islamistes politiques.

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L’action des puissances extérieures

Docteur Ian O. Lesser, German Marshall Fund (GMF) of the U.SDirecteur exécutif du Centre transatlantique, Bruxelles

Professeur Docteur Gerd NonnemanDoyen de la School of Foreign Service in Qatar, Georgetown University

Philippe MigaultDirecteur de recherche à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris)

Présidence : professeur docteur Sven BiscopEgmont

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La Russie, puissance méditerranéenne ?

Philippe MigaultDirecteur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS)

L’opposition déterminée du Kremlin à toute intervention armée de la "communauté inter-nationale" en Syrie, afin de soutenir la rébellion au régime de Bashar el-Assad, a été l’élément précipitant l’émergence d’un nouveau paradigme international en gestation lente depuis 2003(1), caractérisé par une tension croissante entre la Russie d’une part, les États-Unis et leurs alliés les plus fidèles de l’autre. S’il est exagéré de parler d’une

nouvelle guerre froide, les paramètres géopolitiques et idéologiques différant très sensiblement de ceux qui prévalaient avant 1989, l’expression n’en fait pas moins florès dans la presse occidentale et, notamment, lorsqu’il s’agit d’évoquer la diplomatie russe en Méditerranée. Cette zone géographique, pourtant, n’est pas considérée par les autorités russes comme la plus cruciale du point de vue des intérêts vitaux de la Russie et, à ce titre, se prête moins que l’Europe orientale à un affrontement larvé avec les États-Unis et l’Union européenne.

Certes la Méditerranée, dans l’inconscient collectif russe, est un espace chargé de symboles histo-riques forts. Ceux-ci ne sont pas à négliger dans le cadre de la politique intérieure russe, caractérisée par une montée en puissance, une exaltation du patriotisme, transcendant toutes les orientations politiques. Espace traditionnel de projection de la puissance russe sous les tsars, la Méditerranée est considérée, compte tenu de ce "glorieux" passé, comme une aire dans laquelle la voix de la Russie doit être entendue. Du point de vue de la religion en premier lieu. Depuis la chute de Constantinople en 1453, Moscou a toujours prétendu à la succession spirituelle de l’empire byzantin et, à ce titre, s’est érigée en protec-trice des communautés chrétiennes d’Orient. Prétendant régner sur la "troisième Rome" les tsars ont, en conséquence, multiplié les guerres de conquête contre l’Empire ottoman au nom de la défense des communautés chrétiennes des Balkans. La guerre de Crimée, rappelons-le, prend sa source dans la volonté russe de réaffirmer le primat orthodoxe sur les Lieux-saints de Palestine. Cette vision, toujours vivace au sein d’une opinion publique russe qui, depuis la chute de l’URSS, a opéré un important retour vers la religion, n’est pas à négliger alors que, sur le pourtour méditerranéen, les chrétiens sont aujourd’hui persécutés, que ce soit sur le théâtre syro-irakien, en Égypte ou, précédemment, au Liban.

(1 C’est à l’occasion du déclenchement des opérations de guerre en Irak par les États-Unis, offensive déclenchée unilatéralement par Washington et suscitant l’opposition de la Russie, de l’Allemagne et de la France, que la courte embellie des relations russo-américaines, survenue dans la foulée des évènements du 11 septembre 2001, prend fin. Ce changement de paradigme se vérifie à l’occasion du discours de Vladimir Poutine à Munich en 2007 et lors de la guerre russo-géorgienne de 2008.

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Du point de vue stratégique ensuite. Menées au nom de la religion, les guerres livrées par la Russie tsariste en Méditerranée n’avaient pourtant rien de croisades. Plus que la défense de la foi chrétienne, simple prétexte visant à obtenir l’adhésion de la population russe, le véritable objectif a toujours été d’obtenir l’accès aux mers chaudes qui faisait défaut à la Russie, en reconquérant Constantinople et en prenant le contrôle des Dardanelles et du Bosphore. Cet objectif géopolitique et les guerres qu’il a provoqué se sont traduits par quelques-unes des plus belles victoires militaires russes. C’est à Tchesmé, Patras, Navarin, en Méditerranée, que la flotte russe a remporté ses plus grands triomphes. La Russie a renoncé depuis longtemps à s’assurer le contrôle des détroits. Mais elle entend bien, si nécessaire, défendre ses positions dans la région à l’aide de ses forces armées.

Pour autant la Méditerranée n’est pas considérée par les autorités russes comme une zone relevant de leurs intérêts vitaux.

Le débouché de Suez n’est pas aussi indispensable à la Russie qu’aux économies occidentales. Figu-rant parmi les premiers producteurs mondiaux de pétrole et de gaz, la fédération de Russie n’a pas besoin de garantir un accès permanent et rapide aux sources d’hydrocarbures du golfe Persique.

Certes le port de Novorossiïsk, en mer Noire, est le plus important de Russie pour le trafic containers. Installé en eaux profondes (les fonds de la baie Tsemes oscillent entre 21 et 27 mètres), il peut ac-cueillir les plus grands navires. Débouché du Caspian Pipeline Consortium, acheminant en mer Noire le pétrole kazakh du gisement de Tengiz, il joue un rôle important dans la politique russe de l’énergie. Port privilégié pour l’importation des produits d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, notamment les produits agricoles, il retrouve aussi depuis 2003 une importance militaire relative, 300 millions d’euros d’investissements ayant été consentis pour les infrastructures de la base navale depuis 2007.

Mais il ne faut pas oublier que ce potentiel ne peut être exploité à plein. L’activité commerciale de Novorossiïsk est nécessairement limitée compte tenu des règles de navigation du Bosphore, limitant le transit à des bâtiments d’un tonnage maximal de 100 000 tonnes. Incapable d’accueillir, par exemple, les plus grands super-tankers, jaugeant 250 000 tonnes, Novorossiïsk est de surcroît enclavée, mal desservie par route et par rail, ce qui restreint son rôle dans le cadre de l’économie russe. Et les autres ports russes en mer Noire sont nettement moins aptes encore au grand commerce maritime. Taganrog et Azov sont situés en eaux peu profondes (respectivement 5 et 8 mètres). Le trafic est faible à Touapsé. Il existait un grand projet portuaire à Taman, à l’extrémité de la péninsule éponyme, avec notamment la volonté d’en faire le principal port russe dédié à l’exportation d’ammoniaque. Mais l’annexion de la Crimée semble avoir interrompu le projet, les infrastructures portuaires de cette der-nière dotant la Russie de nouveaux et précieux atouts maritimes.

L’apport de la Crimée est de nature à accroître très sensiblement les capacités navales russes en mer Noire, donc, dans une certaine mesure, en Méditerranée. Les ports et chantiers navals de Sébas-topol, Eupatoria, Féodosia, Kertch, le site d’entraînement pour avions de combat embarqués Nitka de Novofedorivka, additionnés aux capacités navales et aéronavales de Novorossiïsk et de Yeysk, offrent

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à la Russie la possibilité théorique d’accélérer la modernisation de la flotte de la mer Noire. Celle-ci, vieillissante, devrait recevoir six nouveaux sous-marins et six nouvelles frégates d’ici 2020, ce qui lui permettrait de demeurer la flotte la plus puissante de la région hors Turquie.

Il convient cependant de relativiser le potentiel de croissance qu’offrira la Crimée à la politique russe en Méditerranée, du moins à moyen terme.

En premier lieu parce qu’en dépit de la volonté réitérée à de multiples reprises par les autorités russes de moderniser le secteur de la construction navale, celui-ci ne parvient pas à atteindre les objectifs assignés malgré les investissements consentis. Alors que Moscou a concentré 70% des capacités du pays en la matière au sein d’une holding publique, OSK(2), les programmes d’armement engagés prennent tous du retard, que ce soit sur le segment des escorteurs (destroyers, frégates, corvettes) ou sur celui des submersibles (SNA, nouveaux bâtiments à propulsion anaérobie). L’amirauté russe est aujourd’hui contrainte de faire du neuf avec du vieux, en "rétrofitant" d’anciens bâtiments aux qualités éprouvées, ou en présentant comme des unités d’un nouveau type des navires qui ne sont que les ultimes versions modernisées de classes développées dans les années 80. Il convient d’apprécier à cette aune l’annonce d’un déploiement permanent de la flotte russe en Méditerranée, qui n’est pos-sible qu’en concentrant sur zone des moyens provenant des flottes du Pacifique, de la Baltique et du Nord. Bien loin de ressusciter la fameuse 5e Eskadra soviétique, évoquée par la presse occidentale à la moindre incursion d’un croiseur ou d’un porte-aéronefs russe hors d’âge en Méditerranée orientale, cette présence russe, suivant les déclarations mêmes de Moscou, doit d’ailleurs se concevoir comme une "réserve opérationnelle" de bâtiments, vouée aussi bien à l’action en Méditerranée que dans l’océan Indien, dans le cadre notamment de la lutte anti-piraterie.

Au-delà de l’actuelle faiblesse des moyens industriels et navals, la Russie ne peut guère envisager de mener une politique agressive en Méditerranée pour des raisons géostratégiques évidentes. D’une part en raison de la barrière que continue de représenter le goulet des détroits, dont les deux rives sont contrôlées par la Turquie, État membre de l’Otan. D’autre part parce que la flotte russe est sans doute condamnée à long terme à évoluer en Méditerranée en situation d’infériorité quantitative face aux marines de l’Alliance atlantique, cette dernière ayant la capacité, de surcroît, d’assurer très facile-ment sa supériorité aérienne dans l’ensemble du bassin Méditerranéen. Enfin parce que la Russie, en dehors du point d’appui de Tartous(3), ne dispose d’aucune base navale d’importance sur ce théâtre.

Acteur de second rang comparativement aux puissances riveraines et aux États-Unis, la Russie effec-tue cependant un retour sur la scène méditerranéenne, dont elle s’était retirée depuis la dislocation de l’Union soviétique. Les autorités russes profitent de circonstances favorables, endogènes et exogènes, les autorisant de nouveau à mener une politique aux ambitions raisonnables.

(2) Pour Объединённая судостроительная корпорация, ou corporation unifiée de la construction navale.*(3) Qui ne peut accueillir que des bâtiments de taille modeste.

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Endogènes en premier lieu : fortes de près de quinze années de croissance, la Russie a désormais les moyens économiques d’apporter son soutien financier aux États de la région, d’acheter amitiés et alliances.

Exogènes ensuite : alors qu’une désaffection certaine se manifeste en Grèce, à Chypre et dans les Balkans vis-à-vis du modèle européen, compte tenu de la crise affectant l’Union européenne, la Russie trouve une occasion d’accroître son influence au sein de ces États proches par la culture, qu’elle soit slave et/ou orthodoxe. La cacophonie constatée dans le cadre du projet de gazoduc South Stream, de nombreux États européens ayant choisi de transgresser les directives de Bruxelles pour s’entendre directement avec la Russie, en atteste. Au-delà de ces aspects énergétiques, rappelons que la possi-bilité pour les forces russes de se voir octroyer des facilités à Chypre, sur la base aérienne de Paphos et dans le port de Limassol, a été évoquée. Membres de l’Union européenne, Grèce et Chypre n’ont également pas hésité à acquérir des armes russes.

Les exportations d’armement sont d’ailleurs l’un des principaux vecteurs permettant à la diplomatie russe de renforcer son influence en Méditerranée. Parce qu’elle a très tôt dénoncé les conséquences des "Printemps arabes" – arrivée au pouvoir de l’islamisme radical (Égypte, Tunisie), guerres civiles (Syrie), États faillis (Libye) – la Russie est considérée par les pays menacés de troubles similaires comme un allié précieux, en mesure de leur fournir les armements susceptibles de maintenir l’ordre en interne et de les protéger d’une éventuelle intervention occidentale.

Réédition du syndrome du barrage d’Assouan, la Russie n’aurait peut-être jamais repris pied en Égypte si les États-Unis et leurs alliés occidentaux n’avaient dénoncé avec une telle véhémence la répression de la confrérie des Frères musulmans par le régime du maréchal al-Sissi. Aujourd’hui ce dernier négocie des contrats d’armement avec Moscou représentant un montant total de plus de deux milliards de dollars, discute d’une aide russe permettant à l’Égypte d’élargir le dispositif du Canal de Suez, tandis que les denrées agricoles égyptiennes sont venues remplacer sur les étals russes les marchandises européennes sur lesquelles Moscou a décrété l’embargo.

Le partenariat militaro-industriel avec l’Algérie s’est encore renforcé malgré les mésententes surve-nues en 2007 lors d’un contrat portant sur la livraison de Mig-29 défectueux.

Alors que l’on pensait la Russie définitivement hors-jeu sur les marchés de l’armement libyen et ira-kien, Rosoboronexport(4) négocie de nouveau des contrats à hauteur de plusieurs milliards de dollars. Quant à l’alliance russe avec la Syrie, alors qu’on évoque timidement la nécessité de rechercher la coopération de Bachar al-Assad pour combattre les islamistes radicaux de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), elle n’a jamais été aussi solide, tant la pertinence des mises en garde russes contre la chute des régimes Baasistes a été démontrée par l’absurde et l’horreur.

(4) Rosoboronexport est l’organisme d’État russe détenant (hormis quelques exceptions pour un nombre limité d’entreprises) le monopole des ventes d’armes russes et négociant à ce titre les marchés d’armement à l’international.

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Et cette influence russe n’est pas spécifique aux États arabes. Israël, où vivent aujourd’hui plus d’un million de russophones, entretient également des liens de plus en plus étroits avec la Fédération de Russie, dans le domaine notamment du renseignement antiterroriste. Tel-Aviv s’est abstenu de voter la résolution des Nations Unies condamnant l’intervention russe en Crimée. L’État hébreu, qui a annexé ouvertement (Golan) ou de facto (colonies de Cisjordanie) des territoires étrangers, pouvait il est vrai difficilement fustiger la Russie sur ce point alors que Moscou dispose de solides capacités de nuisance à son égard à travers, notamment, les matériels militaires qu’elle peut fournir à la Syrie ou à l’Iran.

La Russie, au total, ne pèse pas en Méditerranée du même poids qu’une des principales puissances riveraines. Elle n’en renforce pas moins méthodiquement ses positions, notamment depuis le début des "Printemps arabes".

Cette influence croissante est susceptible d’être perçue comme une menace, l’expression d’une vo-lonté expansionniste. Alors que les forces séparatistes du Donbass, soutenues par le Kremlin, sont, à l’heure où nous écrivons ces lignes(5), en mesure de s’emparer de Marioupol et, peut-être, d’établir une connexion terrestre directe entre la Crimée et le territoire russe le long du littoral nord de la mer d’Azov, il n’est pas exclu que l’Ukraine se trouve demain privée de la majeure partie de son littoral, celle-ci passant, directement ou indirectement, sous le contrôle russe. Plus encore, on ne peut écarter la possibilité d’une extension de la guerre civile à l’ensemble de l’Ukraine du sud et de l’est, l’écono-mie du pays s’effondrant de plus en plus vite à l’approche de l’hiver. Dans ce cadre l’Ukraine pourrait parfaitement se voir bloquer tout accès à la mer Noire, les villes portuaires d’Odessa, Nikolaïev…ayant hissé le drapeau russe sur leur hôtel de ville au printemps dernier avant que Kiev ne rétablisse l’ordre. Ce scénario, qui signifierait la prise de contrôle par la Russie de la majeure partie du littoral de la Mer Noire, des confins de l’Abkhazie à la Transnistrie, n’est pas le plus probable. Vladimir Poutine entend certes défendre les intérêts russes dans la région mais ne souhaite nullement rompre définitivement avec les Occidentaux, qui n’accepteraient sans doute pas le fait accompli. Il doit cependant être envi-sagé avec toutes les conséquences envisageables, tant du point de vue régional que global.

Il est aussi possible de considérer différemment le rôle croissant de la Russie en Méditerranée. Avant tout soucieux de mener à bien son projet d’Union eurasiatique et de fédérer son "étranger proche" sans rompre les liens avec les Européens, le Kremlin cherche lui aussi une porte de sortie à la crise ukrainienne. Dans cette optique il suit, il est vrai, une logique diplomatique radicalement différente de celle de l’Union européenne. Cependant chacun est conscient qu’il est souhaitable de parvenir au compromis dans les semaines qui viennent.

(5) 1er septembre 2014.

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En premier lieu parce que la crise ukrainienne a déjà fait trop de victimes et est susceptible de s’aggra-ver dans des proportions dramatiques, qui ne profiteraient à aucun de ses protagonistes.

Ensuite parce que la Russie et les Européens ont trop d’intérêts en commun, tant du point de vue éco-nomique que sécuritaire et notamment, sur ce dernier point, en Méditerranée. Alors que Londres vient d’annoncer que le risque d’attentats islamistes au Royaume-Uni était passé de "grave" à "hautement probable", que l’EIIL multiplie les atrocités sur le front syro-irakien, que la Libye et la bande sahelo-saharienne sombrent dans l’anarchie et le terrorisme, chacun est conscient que la véritable menace n’est pas la Russie, mais les mouvements wahhabites armés.

Dans ce cadre la coopération avec Moscou, qui mène depuis 1994 une guerre sans trêve à ces groupes fondamentalistes, est un atout dont il serait absurde et dangereux de se passer. La France ne serait pas capable d’intervenir au Mali et en République centrafricaine sans les avions gros porteurs Antonov-124 d’une entreprise détenue à 50% par des actionnaires russes, Volga-Dnepr, compagnie qu’un contrat lie par ailleurs toujours avec l’Otan. Les services de renseignement russes livrent régu-lièrement des informations à leurs homologues américains, britanniques, français sur les mouvements terroristes islamistes et réciproquement. Parallèlement les Russes et les Iraniens ont été les premiers, par leur aide matérielle, à soutenir les régimes de Damas et Bagdad qui, pour être autoritaires, n’en sont pas moins jugés préférables aujourd’hui aux partisans d’Abou Bakr al-Baghdadi par les chancel-leries occidentales. Russes et Européens, nous avons le même ennemi, le fanatisme sunnite, mena-çant dans l’ensemble de la Méditerranée, quelle que soit la rive considérée. Le plus grand péril, dans l’immédiat, est celui-là. Il faut déterminer en conséquence notre politique de défense et de sécurité et nos relations avec la Russie.

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Quelle stratégieeuropéenne ?

Patrice BergaminiService européen pour l’action extérieure/SEAE,

chef de la division des politiques régionales pour la Méditerranée méridionale

Professeur Haizam Amirah FernandezProfesseur associé et analyste senior pour la Méditerranée et le monde arabe

à l'Institut royal Elcanon

Ambassadeur Marc FrancoSenior associate fello, Egmont

Présidence : Alexander Mattelear

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The geopolitics of the arab spring

Marc FrancoSenior associate fello, Egmont

In previous sessions we have been discussing aspects of the Arab Spring, the issues at stake and the interests of various actors in the region. Of course the Arab Spring has not brought these issues and interests into being, but it put them in a different context, domestically, regionally and internationally, thereby creating for the European Union (EU) (a newcomer in the geopolitical games) the opportunity to make its mark. I will argue that basically the EU policy in the region is

correct but that, unfortunately, the EU missed this opportunity, because of the economic crisis and the political malaise in the Union and because of intrinsic weaknesses of the EU foreign policy.

Background on EU South Mediterranean Relations

Before analyzing the EU strategy in the region (or the lack of it) and formulating “what to do” recommen-dations, it is useful to take a small step back in history. South and North of the Mediterranean are divided by a common history. Dramatic historic events left their mark until on the relations between Europe and the South Mediterranean countries up till today. It is impossible to underestimate the damage done a thousand years ago by the Crusades on the relations between Christians and Muslims (as well as between Christians and Jews); or five hundred years ago by the Ottoman occupation of the Balkans and of parts of Central and Eastern Europe; or two hundred years ago, when European colonization of North African countries started; or hundred years ago, when colonial relations were in full swing and the bor-ders of countries were determined to suit the interests of European Powers; or about half a century ago, when they were transformed in a neocolonial variant, the state of Israel was created, the Suez crisis broke out and a "anti-imperialist" movement inspired Arab nationalism in Egypt and in the Baath party countries. These events are part of the collective memory of the Arab nations as well as of the European countries concerned. However the European Union as such has no history and no memory and Arab countries have no collective memory about the EU. This can be an advantage but in the way the policy has been developing over the past decades it turned out to have been rather a handicap, as the Arab domestic and regional political context is often badly understood and its importance underestimated, leading to false perceptions, unfulfilled expectations and irrelevant or incomplete policies.

EU external relations with the South Mediterranean Region

The foreign policy of the European Community/European Union is a reflection of its internal develop-ment rather than of a response to geopolitical changes and challenges. The gestation period of the European Economic Community (negotiation of the Treaty of Rome and the setting up of the Customs

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Union) coincided with important changes in North Africa and the Middle East. As a Customs Union, the EEC replaces Member States in international trade negotiation and in the conclusion of trade agreements and a series of ad hoc agreements were concluded with several Mediterranean countries. It is however only in 1972 that the basis for a more Global Approach to Mediterranean countries was defined. This approach provided the framework for a series of bilateral cooperation agreements with South Mediterranean Countries. In these agreements, the emphasis was put on trade development, not surprising as the European Community (EC) had realized its Customs Union at the end of the 60s. In line with the policy vis a vis the former African colonies, some financial resources (Financial Proto-cols) were made available. However, the reluctant attitude of South European Member States and the accession of Greece, Spain and Portugal in the 90s hindered the development of trade relations as the (agricultural and light industrial) exports of the South Mediterranean countries were in competition with the products of the Member States and community preference, one of the basic principles of the Customs Union. The Renovated Global Approach (1992) further strengthened the approach and increased the level of available financial resources.(1)

A comprehensive approach to EU-South Mediterranean relations:the Barcelona Declaration

The real change of policy came in 1995 with the Barcelona Declaration (EUROMED Cooperation)(2). This reflects the fact that the EC had become EU and had graduated from a Customs Union to a Common Market (Single Market - 1993). At the same moment, the Maastricht Treaty founded the Economic and Monetary Union as well as the start of a political union (with Justice and Home Affairs as well as Com-mon Foreign and Security Policy). The disappearance of the Soviet Union and COMECON and the start of the preparation of accession of the Central and Eastern European Countries convinced the South European Member States that the EU needed to develop its southern dimension in order to avoid a shift of political and economic priorities to issues important for Northern and Eastern European countries. The three pillars of the Barcelona Declaration (i.e. economic and trade, political and security aspects, social and cultural partnerships) reflect this graduation of EU from Customs Union to an Economic and Monetary Union/Political Union. Later a Justice and Home Affairs component will be added to the EUROMED Cooperation. The emphasis in this approach lies on the development of the South Mediter-ranean countries in a regional context. In the following years, bilateral Association Agreements were negotiated, translating the general principles of the approach in a country specific manner.

With the experience of accession negotiations, a new dimension is gradually added to the relationship between the EU and third countries: the European Neighbourhood Policy. Over and beyond tariff dis-

(1) For an overview of the development of EU external relations see e.g. S. Keukeleire and T. Delreux, The Foreign Policy of the European Union, Palgrave Macmillan, 2014. in particular chapter 2. For an historical overview of relations between the EU and South Mediterranean countries see e.g. A. Tovias, “The EU and the Mediterranean countries”, in F. Bindi, The Foreign Policy of the European Union, Brookings Institution Press, Washington, 2010.

(2) http://www.eeas.europa.eu/euromed/barcelona_en.htm

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mantlement, legal approximation becomes the key instrument for developing trade relations with third countries. In particular in the East the emergence of new neighbors calls for the development of new relationships. Southern Neighborhood is merged with the (new) Eastern Neighborhood and the same approach is being put into place, inspired by the exercise of transposition of the acquis communautaire by the candidate countries, as a condition for their accession(3). The setting up of the Union for the Mediterranean complicates the institutional functioning of the EUROMED cooperation but does not fundamentally change the approach. Neither the realization of the political objectives (reflected in the co-Presidency of the Union for the Mediterranean) nor of the opera-tional objectives have made much progress since the start of the Union for the Mediterranean in 2008.

Arab countries on the eve of the Arab Spring

It has often been argued that the EU policy vis a vis Arab countries has not given the desired results.(4)

Blame for this has been laid on the EU doorstep: not sufficiently generous trade arrangements, lack of European investment in the region etc. Although it is true that e.g. agricultural trade could have been more liberal, many countries with less liberal trade and investment provisions did much better in deve-loping their economic relations with the EU. Despite the generous trade arrangements for industrialized products, investment in that sector (whether domestic of foreign) and export to the EU market did not develop as expected. The main reason for this shortcoming was not the EU policy but the domestic situation in the South Mediterranean countries that was not conducive to investment in modernization and industrial production. Political factors did play a role but the authoritarian nature of the countries was not in itself the main negative factor. On the contrary, they can provide stability and in their parts of the world rapid economic growth has been realized in countries with authoritarian regimes. The main obstacle in South Mediterranean countries was the bad business climate and the lack of effective governance: authoritarian regimes supported and protected a monopolistic or oligopolistic economic middle and upper class. Legal and de facto restriction to market access consolidated the grip on the economy by those in power. Various forms of small and big corruption allowed the various levels of government and administration to share in the benefits of the status quo. Large parts of the popula-tions were excluded from the fruits of development and the emergence of new entrepreneurship was hindered by the multitude of legal, bureaucratic and de facto obstacles. EU was at least implicitly aware of this situation – although the diagnostic was never explicitly spelled out. The European Neighborhood Policy pointed in the right direction with its focus on the introduction of the legal framework for modern market economy and the creation of a conducive business climate.

(3) Communication from the Commission , European Neighbourhood Policy – Strategy Paper, COM(2004) 373, of 12 May 2004, and Communication from the Commission to the Council and the European Parliament: On Strengthening the Euro-pean Neighbourhood Policy - COM (2006)726 final of 4 December 2006.

(4) See e.g. FEMISE, The Euro-Mediterranean Partnership, 10 years after Barcelona: Achievements and Perspectives, 2005

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The Arab Spring came as a surprise: it shook the Arab world from Morocco to Yemen. It overturned authoritarian regimes that had guaranteed the political status quo and kept the economic elites in place. It seemed that all of sudden the conditions for a transition of the Arab countries to a modern 20th century political and economic regime were being created. It was as if a layer of concrete that had stunted the development of these societies had been removed and that all social and political movements that had been simmering under the surface came in the open.

The removal of the autocratic "extractive" ruling elites(5) created the conditions for the opportunities of-fered in the Euro-Mediterranean Partnership to be fully used: democratization of the political systems, strengthening of the rule of law, development of trade and investment etc. A new young educated elite had manifested itself and they seemed ready and eager to take their future in their own hands. The reaction of the EU could have been a crucial factor in stimulating, consolidating and guiding the new political and economic dynamism. Unfortunately this was not the case. The response of the EU was well intended, correctly focused but deplorably timid and lacking of vision.

Response of the European Union

EU and Member States were taken aback by the events but very quickly and without reserve enthu-siastically welcomed the Arab Spring. The enthusiasm was genuine and not inspired by self-interest. A noria of visitors from national and Union institutions (Ministers, Commissioners, MPs, high level officials etc.) visited the countries concerned and strongly supported the new regimes, criticizing the former authoritarian allies – however without too much of a mea culpa for former unconditional sup-port to these regimes.

In its response to the Arab Spring(6) the EU implicitly recognized the shortcomings of its earlier policy that had put into place a framework of economic and political cooperation but ignored the nature of the partner regimes. The new policy stressed the importance of civil society and the need to develop a strong dialogue with societal organizations beyond the official government to government relations. The new Neighbourhood Policy also introduced the concept of "deep democracy" as a conditions for intensifying relationships.

Although well-intentioned and well-focused, the new approach was timid and missed vision. In its more substantive parts (mobility, financing and trade) it presented nothing new and it missed the opportunity for developing a real partnership by the catchphrase "more for more".

(5) D. Acemogly and J.A. Robinson, The Origin of Power, Prosperity and Poverty, Profile Books, London 2012(6) European Commission and European External Action Service, A New Response to a changing Neighbourhood, Brussels, 25

May 2011 (COM (2011) 303. and European Commission-High Representative of the EU for Foreign Affairs and Security Policy: European Neighbourhood Policy: Working towards a stronger Partnership, Brussels March 2011

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The proposed improved mobility

On the mobility side, the EU offered to negotiate "Mobility Partnerships", the operational translation of the Global Approach to Mobility and Migration launched in 2005 and aiming at promoting legal migration, combatting illegal migration, developing a common asylum policy and promoting the deve-lopment impact of migration in countries of origin. Mobility Partnerships were launched in 2007 and the first one was concluded in 2008 with Cap Verde. In 2013 a first Mobility Partnership in the South-Mediterranean region was concluded with Morocco. These Partnerships are to be backed up with Visa Facilitation and Re-admission Agreements. Nothing new under the sun, nothing that had not been on the menu of EU cooperation instruments. Moreover, despite the development orientation of the wording of the proposals, in reality the main EU interest lies in mobilizing the support of emigration countries to assist in limiting outflow of people...

The financial offer

On the financial side European support has been promised, but the additional resources on the budget are fairly limited. Most of the support mentioned is financing by International Financial Institutions (IFI).(7) This concerns the European Investment Bank (EIB) and the European Bank for Reconstruction and Development (EBRD) whose geographical mandate has been enlarged from 2008 to four South Mediterranean counties: Morocco, Tunisia, Egypt and Jordan. This is a positive step but the Banks concerned provide project funding, i.e. they require well prepared profitable projects. This does not remedy the main short term need of the Arab Spring countries: direct support to fill the gap of their worsening balance of payments, result of the political turmoil (drop in tourism income, capital flight, stop of Foreign Direct Investment (FDI) etc.).

Both on the mobility as on the financial side the proposed measures go in the right direction but stop short of making a qualitative difference in the relations between the EU and the South Mediterranean countries. The modesty of EU’s offer can be explained by its political and economic situation. One of the main socio-political problems that countries have to face at the moment is the flow of (illegal) migration. A more generous offer on the mobility side could have resulted in an extreme right wing backlash in the public opinion. The economic crisis that EU is facing since 2008, the protracted (secu-lar?) stagnation, the increase in public indebtedness, made it politically difficult to free more additional resources in support of the Arab Spring countries.

(7) In the figures given by the EU there is often a confusion between grants (financed by the budget) and loans (financed by IFIs), between money already programmed and additional resources and sometimes between resources provided by the EU as such or by EU plus member states. To quote one figure: the additional funding for South Mediterranean countries (SPRING Progamme) totals 540 million Euro for a three year period i.e. an average of 160 million euro per year. The total GDP of the 4 beneficiary countries is about 400 billion euro. Additional EU support in the framework of the SPRING pregame is therefore roughly 0.04 % of the GDP of the countries concerned.

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The Deep and Comprehensive Free Trade Agreement (DCFTA)

The flagship proposal of the New Neighbourhood Policy was the possibility to negotiate a "Deep and Com-prehensive Free Trade Area" (DCFTA). The DCFTA offers a framework for modernizing its trade relations and for economic development by the opening of markets via the progressive removal of customs tariffs and quotas, and by an extensive harmonization of laws, norms and regulations in various trade-related sectors, creating the conditions for aligning key sectors of the economy of the partner countries to EU standards. It includes provisions on market access, trade regimes, technical barriers to trade, sanitary and phyto-sanitary measures, customs and trade facilitation, current payments and movement of capital, public procurement, intellectual property, competition, energy, sustainable development.

The DCFTA is not a new concept. It has been formulated and negotiated in other contexts. It can be considered as an improved, structured combination of the ideas contained in the Barcelona Declara-tion (Free Trade Agreement) and in the Neighborhood policy (alignment of legislation, participating in the internal market).

The agreements that are being negotiated – judging from the agreements already concluded with Eastern Partners (Ukraine, Moldova, Georgia)(8) – cover the whole range of internal market regulations and closely follow the example of the conditions imposed on candidate member states in mid 90s. It has been argued that the situation in the South Mediterranean countries showed similarities with the situation in Central and Eastern Europe Countries (CEEC) in the early 1990s. The overthrow of totali-tarian regimes in the CEEC created the opportunity for introducing parliamentary democracy, respect of human rights and development of a modern market economy. In the CEEC the starting point was a plan economy, in the South Mediterranean countries, it was an immature quasi market economy that can be called "crony capitalism". In both cases the challenge was (and is) the transformation of extractive political and economic institutions into inclusive ones(9). This concretely means that the ruling political and economic elite has to abandon its privileged oligopolistic or even monopolistic positions and accept to abandon or share economic and political power. In Central and Eastern Europe, this was accomplished by the destruction of the power structure of the Communist Party. Once this relatively monolithically structure was removed by popular will, the introduction of parliamentary democracy and market economy was a complex but relatively straightforward process. This is not the case in the South Mediterranean countries where the situation was and still is much more diverse and the power structure in not monolithical. Authoritarian regimes do tolerate some elements of democracy and the economy mixes elements of market economy with entrenched oligopolies and a powerful public sector, in a corrupt overall environment. Whereas the transformation of the Central and Eastern Europe was to a large extent in principle a black and white affair, the transformation South Mediterranean countries is moving between shades of grey.

(8) See e.g. EU Ukraine Association Agreement, http://eeas.europa.eu/ukraine/assoagreement/assoagreement-2013_en.htm (9) See D. Acemogly and J.A. Robinson, The Origin of power, prosperity and poverty, Profile Books, London 2012.

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Moreover, the economic reform not only implies a profound change in the economic power structure, it also implies in the short run a cost for the population at large. Indeed, reforms bring about the closure of inefficient enterprises, loss of employment, elimination of subsidies etc. In Central and Eastern Europe, countries witnessed a loss of standards of living of the order of 40 % and it took these countries about 10 years to regain their standards of living of before the fall of Communism. Despite some popular discontent (illustrated by the political shifts in the 90s), the popular will to drastically change the old economic and political regime was strong enough to maintain the course of fundamen-tal reform. The short term economic impact of reforms contained in the DCFTA in South Mediterranean countries are also fairly drastic: introduction of European norms and standards will lead to the closure of many enterprises, liberalizing of e.g. the financial sector will lead to take-overs by European compa-nies, elimination of subsidies (30 % of the Egyptian budget) will have a direct impact on standards of living of large sections of the population etc. This impact of the economic adjustment on the standard of living is an unavoidable corollary of the reform process, necessary for creating in the medium and longer term the conditions for effective growth and development. The question is however how much decrease in standards of living the already impoverished populations of the South Mediterranean countries are able to take and how rapidly social turmoil will slow down and undermine the reform efforts prescribed by the DCFTA.

What does this mean for the EU approach to the South Mediterranean countries? It means that the proposed DCFTA is being negotiated in a kind of a political vacuum. It is naïve to assume that the ruling political and economic elites will without hesitation comply with the EU conditions and abandon their privileged position, allowing democracy in the political sphere and real competition (free entry/exit) in the economic sphere. It is naïve to assume that the population will easily accept short term reductions in their standard of living – already at a low or very low level - with the argument that this is necessary to create the conditions for a sustainable economic development in the medium and long run. What is the difference with the situation in Central and Eastern Europe in the 90s? In the first place the rejection of the previous regime and the determination to carry through a complete regime change was much stronger in the CEEC. Most importantly: the EU offered membership at the end of the transition process, if and when the countries concerned had successfully carried out the required reforms. This prize at the end of the hardship contributed to the determination to persevere with the reforms.

In South Mediterranean countries, we are looking not at a regime change but more at a "circulation of the elites". It is unlikely that the elites remaining, after removal of the ruling autocrat and his hangers-on, would spontaneously abandon their privileged positions and not try to seize the political and econo-mic positions of power left by those that were removed(10). The popular forces that succeeded in remo-ving the autocrats were too weak and too badly organized to maintain the momentum for real change. Another important factor was that EU membership was (is) not an option. The DCFTA requires that the partner countries in the South Mediterranean commit themselves to "costly" economic reforms with

(10) D. Acemogly and J.A. Robinson refer to R. Michels’ "iron law of oligarchy"

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the argument that this is what is good for their economic long-term development with the perspective of benefiting from future exports to the European markets and increased European investments.

What could have been done?

This is not an easy question and a simplistic "il n’y a qu’a" approach is to be avoided.

Although basically the EU approach is correct, in practice it requires unrealistically strong commitments on the side of the partner countries vis a vis weak and theoretical benefits. Either the requirements should have been more modest or, better, the benefits should have been spelled out more clearly.

The offer made on the financial and on the mobility side could have been more generous and more precise, providing e.g. specific measures to promote Foreign Direct Investment in the region (invest-ment guarantees, arrangements for co-financing between International Financial Institutions and Foreign Direct Investment etc.) and to improve visa policy. However, the financial and political situation of the EU left no scope for major innovative and ambitious proposals. As a major incentive for change, membership is not an option. Nevertheless, a new type of relationships, reflecting a new political vision, should have been put on tracks based on the following principles. In order to develop a real partner-ship, the relationship should become more "symmetrical" and less unilaterally determined by the Brus-sels agenda. The "more for more" approach is in this context a step backwards; it is patronizing and has a strong connotation of conditionality. A new regime, eager to change the economic and political status-quo and effectively modernize and democratize society, would have merited something better. Appropriate new symmetrical (co-managed) institutions to steer and manage these relations, taking some inspiration of the principles of the Union for the Mediterranean could have been developed.

Economically, an institutionalized and closer relationship between de EU and the South Mediterranean countries should be developed, taking inspiration from the European Economic Area, but based on symmetrical joint decision making.

The Arab Spring did not fulfil its ambitious and optimistic goals. In most countries it turned into a return to the status-quo-ante if not into bloody civil war. Tunisia seems to have been able to maintain the momentum of the reform process; countries like Morocco or Jordan seem to continue on their less ambitious and more gradual economic and political reform process. Would a different approach of the EU have made a difference? Possibly not, but it is clear that the policy the EU adopted did not have any impact on the course of events as it did not offer any clear external guidance and support for the reform processes that have to be undertaken and sustained at the domestic – and regional - level