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  • LA FINANCE ISLAMIQUE LA CROISE DES CHEMINS

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    UNE MISE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE

    DfinitionLa raison dtre dun systme financier islamique, tout comme celle

    dun systme financier classique , est la mobilisation de ressourcesfinancires et leur allocation entre diffrents projets dinvestissement.Toutefois, si les objectifs convergent, les principes qui rgissent lefonctionnement du systme financier islamique sont fondamen-talement diffrents de lesprit de la finance conventionnelle .Un systme financier islamique sorganise autour de mcanismes,dinstitutions et de produits qui doivent respecter lensemble desprincipes philosophiques dicts par le Coran.

    Du point de vue de la finance moderne, linterdiction du riba (tauxdintrt) est, sur le papier, la principale diffrence entre la financeislamique et la finance traditionnelle. Mais ce nest pas lunique point dedivergence.

    Les acteurs de la finance islamique ont une vision diffrente dupartage du risque et du rendement entre les diffrentes parties prenantesdans une transaction financire. La charia prconise ainsi un partagequitable des gains et des risques entre le crancier et le dbiteur. Or,lutilisation de taux dintrt prdtermins transfre lensemble desrisques associs un projet dinvestissement sur le seul dbiteur.Linterdiction du riba est, ainsi, une condition sine qua non pour la miseen uvre de cette philosophie.

    * Professeur luniversit Paris VIII.** Doctorante luniversit Paris IX.

    LA FINANCE ISLAMIQUE LA CROISE DES CHEMINS

    OLIVIER PASTR *KRASSIMIRA GECHEVA **

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  • REVUE D'CONOMIE FINANCIRE

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    Par ailleurs, les principes de la charia acceptent la prise de risquemais interdisent lincertitude dans les termes dune relation contrac-tuelle. La spculation est, par consquent, condamne. De mme, enpartant de lide que largent doit tre utilis afin de crer de la valeurrelle et ne doit pas tre considr comme objet dchange en soi, toutetransaction financire doit tre adosse sur un actif tangible. La financeislamique interdit, enfin, linvestissement dans certaines activitsconomiques spcifiques (lindustrie du jeu dargent, de larmement,de lalcool...).

    Si ces principes fondamentaux sont universellement partags partous les acteurs de la finance islamique, il nen reste pas moins que, dansla pratique, leur interprtation et leur mise en uvre sont loin dtrehomognes. Depuis les annes 1970, les institutions financiresislamiques se sont dotes dun conseil spcialis, le sharia board,compos de spcialistes en loi islamique qui valident la conformit auxrgles du Coran des produits financiers proposs. Le caractre plus oumoins islamique dun mcanisme financier nest donc pas dfini pardes rgles prcises et immuables mais est dtermin par lapprciationde ces sharia scholars.

    Il y a des diffrences dinterprtation des rgles de la charia entre lespays. Ainsi, globalement, lArabie Saoudite se montre moins libraleque les pays dAsie du Sud-Est ; le sultanat dOman interdit la financeislamique tandis que luniversit dAl-Azhar en gypte a mis unefatwa autorisant les taux dintrt. Les frontires entre ces diversespositions sont, par ailleurs, instables. La cration dinstrumentsislamiques de type obligataire (au cours des annes 1980 en Malaisie) at dabord condamne, puis copie par les pays du Moyen-Orient.

    Cette htrognit explique la diversit des instruments financiersproposs par les institutions islamiques. Toutefois, la majorit desfinancements intermdis par ces organismes sappuient sur deuxprincipaux mcanismes : la murabaha et la musharakah. On peutcomparer, de manire trs imparfaite, ces deux techniques aux deuxmodes de financement qui existent dans la finance traditionnelle : ladette et le financement en fonds propres.

    Dans un contrat murabaha, le crancier (la banque) achte unactif quil revend par la suite au dbiteur moyennant des paiementschelonns sur une priode donne. Mme si cette relation contractuellerappelle singulirement un contrat de dette classique, elle sen distinguesur, au moins, deux points importants. Dun ct, la banque est, audpart, le propritaire effectif de lactif que le dbiteur souhaite acqurir.De lautre ct, il ny a pas de rfrence explicite un taux dintrt : lecrancier se rmunre par le biais dune commission (une majorationsur le prix dachat du bien).

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    La musharakah de son ct est une technique de financementcompare, parfois, une joint-venture . Les acteurs qui sengagentdans ce type de relation contractuelle partagent autant les profits queles pertes potentielles du projet dinvestissement au prorata de leurparticipation. Si cette deuxime technique est plus fidle la philo-sophie de la loi coranique, elle reste, pourtant, beaucoup moinsutilise.

    Graphique 1Rpartition de lactivit selon le type de produit (2005)

    Source : Vernimmen.net.

    Deux phases de dveloppementSi le concept de finance islamique a une longue histoire (on peut

    tracer ses origines au VIIe sicle), le renouveau dintrt pour cetteforme particulire de finance est, lui, relativement rcent. La financeislamique moderne est vritablement ne dans les annes 1960 et aconnu, depuis, un dveloppement aussi spectaculaire quhtrogne.Lvolution de la nature et des objectifs de la finance islamique permetde distinguer deux grandes tapes dans son volution :

    Les annes 1960 - 1970 : la naissance

    Ds les annes 1950, un petit nombre drudits et de scientifiquesmusulmans thorisent la possibilit de crer un systme financieralternatif la finance traditionnelle et conforme aux enseignements duCoran. Quelques annes plus tard, cette ide va se matrialiser concr-tement en inspirant la cration du Pilgrims Administration and Fund(Tabung Haji) en Malaisie (1956) et lexprience de Mit Ghamr engypte (1963). Ces deux premires expriences illustrent, dores et dj,une spcificit qui marquera la finance islamique tout au long de sonhistoire : son htrognit profonde.

    Murabaha59 %

    Autres24 %

    Musharaka/Mudharaba

    17 %

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    En effet, si lobjectif affich par les crateurs de Tabung Haji et deMit Ghamr tait le mme (mettre en place des circuits financiers quipermettent de rduire lexclusion bancaire et favorisent le dvelop-pement des populations dfavorises tout en respectant la philosophiede la loi coranique), les deux expriences revtirent des formes trsdiffrentes. Le Tabung Haji, impuls et financ par les autoritspubliques malaisiennes, tait vou investir les ressources collectesauprs dun grand nombre de petits pargnants dans des grandsprojets industriels, agricoles ou de construction. Le dveloppement decette institution a t largement favoris par la mise en uvre dunerglementation spcifique, mme si elle a gard une grande autonomiedcisionnelle par rapport aux pouvoirs publics. linverse, le MitGhamr, qui relevait dune initiative entirement prive, tait composde petites coopratives dpargne/investissement qui opraient dans lesrgions agricoles du nord de lgypte. Lobjectif de leur fondateur,Ahmed al Najjar, tait dassurer lintermdiation des ressourcesfinancires entre pargnants et petits investisseurs locaux.

    Ainsi, les premires institutions islamiques taient caractrises parune grande diversit dorigines (locales, nationales et, dans certainscas, internationales) et de structures, mais aussi par une convergencedobjectifs et de philosophie. Les rsultats obtenus par ces premiresbanques islamiques ont t mitigs. Si certaines, comme le TabungHaji ou lIDB (Islamic Development Bank), cre en 1974, ont russi sinstaller durablement, dautres furent phmres (les cooprativesislamiques dgypte, qui ont toutes disparu en 1967, ou bien la BCCI,Bank of Credit and Commerce International, liquide en 1991). Eneffet, ni les infrastructures existantes, ni la culture ne favorisaient, cestade, lmergence dune finance exclusivement base sur le principe de profit-and-loss-sharing .

    De la fin des annes 1970 la fin des annes 1990 : le renouveau dela finance islamique

    Malgr le succs tout relatif des premires expriences, la financeislamique a connu, au cours des deux dcennies suivantes une poussede croissance remarquable. Le renouveau religieux et les dboires desinstitutions financires classiques dans les annes 1980 ont ressuscitlintrt pour cette forme de finance thique . Certaines volutionsdans lenvironnement conomique ont galement favoris la prolif-ration de ces instruments financiers :- la structure des revenus des grands tablissements de crdit sestmodifie, le dclin des revenus dintermdiation laissant une place deplus en plus grande aux commissions et autres types de revenus ;- le mouvement de libralisation et de drglementation a t accom-

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    pagn par une acclration de linnovation financire. Les progrsraliss dans le domaine de lingnierie financire ont facilitllaboration de produits financiers qui intgrent les exigences de lafinance islamique.

    Plusieurs facteurs semblent ainsi favoriser non seulement le dvelop-pement de la finance islamique mais aussi linterpntration de plusen plus pousse entre la finance traditionnelle et la finance islamique.

    Cette deuxime phase dans le dveloppement de la finance islamiqueest marque par des mutations profondes dans le fonctionnement etlorganisation de ces institutions financires : elles se dveloppent demanire plus diversifie et plus dcentralise, limage du mondemusulman. Si la jeunesse de la finance islamique a t domine parun petit nombre de pays (essentiellement lArabie Saoudite, lgypteet le Pakistan), au cours des annes 1980-1990, de nouveaux centresde finance islamique apparaissent, notamment dans certains pays delAsie du Sud-Est, mais aussi au sein des communauts m