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collection L’esprit libre

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CHRISTIAN GODIN

La fin de l’humanité

CHAMP VALLON

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© 2003, Éditions Champ Vallon 01420 Seyssel

ISBN 2 87673 368 4

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Présentation

L’EXTINCTION DE L’HUMANITÉ

Les meilleurs prophètes démentis. – C’est de la mort physique de l’humanité qu’il sera question dans cet essai. – La population mondiale existe. – Le paradoxe populationnel : la tendance à la di­minution puis à l’extinction est aux antipodes de l’évidence pré­sente. – L’extinction ne concerne pas seulement les populations de la France et de l’Occident. – Une fois encore, les philosophes au­ront manqué de jugement. – Les rares lucides. – La démographie oubliée. – Le déni de réalité : la psychose surpopulationniste et la névrose antipopulationniste. – Comment il convient de com­prendre la mort de l’homme.

Il arrive que la réalité démente les meilleurs prophètes. « L’humanité ne connaît pas le suicide », disait Victor Hugo1. Dans un aphorisme du Gai savoir intitulé « Les doctrinaires du but de la vie », Nietzsche écrivait : « J’ai beau regarder les hommes, soit avec un regard bienveillant, soit avec le mauvais œil, je les trouve toujours occupés, tous et chacun en particu­lier, à une même tâche : à faire ce qui est utile à la conserva­tion de l’espèce. Et ce n’est certes pas à cause d’un sentiment d’amour pour cette espèce, mais simplement parce que, en

1. V. Hugo, Actes et Paroles, II, Œuvres complètes IX, Club français du livre, 1968, p. 566.

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eux, rien n’est plus ancien, plus fort, plus inexorable, plus in­vincible que cet instinct – puisque cet instinct est précisément l’essence de notre espèce et de notre troupeau »1. Pour une fois le don divinatoire de Nietzsche et le sens de la formule de Victor Hugo auront été pris en défaut.

C’est bien au sens de terme et de mort qu’il convient de comprendre ce titre de « fin de l’humanité », et non au sens de but. Une aventure vieille déjà de plusieurs millions d’années et que l’on peut considérer, si on ne recourt pas à l’hypothèse lourde d’un Dieu créateur et justicier, comme le produit d’un pur hasard, est sur le point de s’achever. Déjà, aux États-Unis, ceux qui prennent le phénomène à sa juste mesure catastro­phique parlent de sui genocide, d’autogénocide. Ce n’est pas seulement la civilisation qui, comme le croyait Paul Valéry, est mortelle, mais l’humanité physique prise comme un tout. Et cette fin pourrait bien arriver plus tôt qu’on ne pense.

Contrairement à ce que l’on croirait, l’idée de population totale ne va pas de soi. Avant que les mathématiques ne four­nissent le moyen d’en donner une traduction statistique, les penseurs en étaient réduits à des intuitions vagues et à des dé­ductions imprudentes toutes les fois qu’ils réfléchissaient sur le nombre des hommes. Le concept même de population est récent. Ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle que la population devient une donnée en même temps qu’un problème et il fau­dra attendre au moins encore cent ans pour que ce concept s’applique à l’humanité dans sa totalité et non pas seulement à tel ou tel pays. La chose d’ailleurs n’est pas allée sans diffi­cultés. Certains, partisans de ce que l’on appellera l’individua­lisme méthodologique, qui considère que seules les réalités singulières existent et que les grandes notions sont des entités

1. F. Nietzsche, Le Gai savoir, I § 1, trad. H. Albert, Œuvres, II, Robert Laf­font, 1993, p. 49.

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sans réalité effective, estimaient encore, jusqu’à une date ré­cente, que la population mondiale n’existe pas. De même que « l’opinion publique » est la résultante statistique d’un grand nombre de réalités individuelles (l’opinion de tel et de tel in­dividu) mais qu’elle ne constitue pas une réalité substantielle, de même la population mondiale, si l’on suit le point de vue de ces chercheurs, ne serait qu’un terme commode pour dési­gner la simple addition de populations particulières. Selon ce point de vue, tous ceux qui traiteraient de questions en termes de « population mondiale » seraient victimes de cette illusion bien connue en philosophie et critiquée par les empiristes et les nominalistes et qui consiste à attribuer une réalité substan­tielle, quasi physique, à des notions et termes abstraits. Alfred Sauvy disait que la population mondiale n’existe pas parce qu’il n’est pas scientifiquement pertinent d’additionner des populations de pays différents.

Ce point de vue, défendu, il est vrai, par un nombre de plus en plus restreint de spécialistes, peut être récusé par deux ar­guments. D’abord il n’y a aucune raison de penser que la po­pulation d’un seul pays, disons de l’Inde, échappe à l’abstrac­tion dont serait affligé le concept de population mondiale car par définition la population est un concept (jamais on n’ob­serve directement « une population ») et non un phénomène physique. En un sens, la « population de l’Inde » n’existe pas plus que celle du monde. Mais alors, où arrêtera-t-on le mou­vement de particularisation ? Le second argument contre la thèse qui veut que la population mondiale n’existe pas est plus circonstanciel : il prend appui sur le fait actuel de la mon­dialisation qui, sous l’impulsion d’un système techno-écono­mique universel particulièrement efficace, tend à unifier la Terre et l’humanité qui y habite. L’idée selon laquelle il est parfaitement arbitraire de placer dans un même ensemble des

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populations qui non seulement n’ont rien à faire les unes avec les autres mais également s’ignorent, est concevable et légi­time dans le monde d’avant les grandes découvertes : s’il n’y a pas de monde, il n’y a pas de population du monde et ajouter le nombre des Mayas à celui des Chinois n’a qu’une valeur de connaissance toute relative. Mais, à partir du moment où le monde a été rassemblé par la technique et par les échanges commerciaux, et donc aussi par la conscience, la notion de population du monde prend toute sa valeur. Et l’on pourrait dire même qu’à partir du moment où elle se trouve validée, elle s’autolégitime rétrospectivement : c’est parce que la no­tion de population mondiale finit par avoir un sens à la fin du XVe siècle, au moment où Christophe Colomb pose le pied sur une île du Nouveau Monde, qu’elle lui en donne un pour le début de ce siècle et pour l’ensemble de l’histoire humaine passée.

Nous sommes de plus en plus accoutumés aux statistiques globales et celles-ci peuvent être considérées à la fois comme un signe important et comme un facteur actif de la mondiali­sation en cours. Le Fonds des Nations unies pour la popula­tion (FNUAP) et le Population Reference Bureau publient régu­lièrement des rapports où figure l’ensemble des données démographiques pour le monde et pour chaque pays – ainsi que les projections à court et à moyen terme. Non seulement la coexistence et la succession dans le temps historique de so­ciétés et de cultures incomparables entre elles n’ont pas ruiné l’idée d’une unité du genre humain, mais elles l’ont fondée et lui ont donné son contenu. Aucun bouleversement dans le passé n’a été tel qu’il pouvait remettre en question cette continuité idéale qui, dans l’Esprit du monde, pour reprendre l’expression de Hegel, faisait se joindre le Grec au Chinois et l’Africain à l’Hindou.

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La population mondiale existe donc et l’on doit pouvoir en dégager les grandes dynamiques. Du strict point de vue quan­titatif (le nombre des hommes peuplant la terre), trois stades de longueur fort inégale ponctuent l’histoire de la démogra­phie planétaire : des origines au XIXe siècle, soit sur un laps de temps immense de plusieurs centaines de milliers d’années, d’abord une progression extrêmement lente et discontinue, avec des phases de retour en arrière et de stagnation ; puis, à partir du XIXe siècle, une progression accélérée que l’on a pu dire à juste titre exponentielle ; c’est ce stade très court qui est en train d’amorcer sa fin et de laisser enfin la place à un troi­sième et dernier stade caractérisé par une inexorable extinc­tion.

Mais parler dès aujourd’hui, en ce début du XXIe siècle, d’extinction alors même que la population mondiale est sur la voie de son doublement voire triplement imminent peut pa­raître un paradoxe insoutenable. L’ONU prévoit que la popula­tion mondiale augmentera de plus de 50 % dans le demi-siècle à venir, passant de 6,1 milliards à 9,3 milliards d’habitants. L’Essai sur la population de Malthus date de 1798. À cette époque déjà, alors qu’il y avait moins de un milliard d’hommes sur terre, le pasteur anglican, hanté par l’idée que le développement économique et social n’aurait pour effet que d’encourager les gens à avoir encore plus d’enfants, était convaincu qu’il y en avait déjà trop ! Or, dans la seule décen­nie qui s’est écoulée de 1980 à 1990, la population mondiale a augmenté d’autant… En 1950, A. Myrdal et P. Vincent se po­saient déjà la question en ces termes : « Sommes-nous trop nombreux ? » (tel est le titre de leur ouvrage). Toutes les pré­visions antérieures à 1945 avaient considérablement sous-es­timé l’explosion démographique qui eut lieu dans les années 1950-1970. Aussi, dans les années 1960, la grande majorité des

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démographes considérèrent-ils, par réaction, cette explosion comme un phénomène de longue, voire de très longue durée, de l’ordre de plusieurs siècles. D’où une panique qui a fini par gagner le monde entier. En 1974, lors de la conférence inter­nationale organisée par l’ONU à Bucarest, réunie sous la pres­sion des pays riches inquiets de la croissance démographique des pays pauvres, la surpopulation était pour la première fois dénoncée comme un problème prioritaire à résoudre. Mais les pays du tiers-monde, décelant, non sans raison, dans ces in­quiétudes des réflexes de nantis, préférèrent alors mettre l’ac­cent sur le développement économique. Dix ans plus tard, c’est sous la demande cette fois des pays en développement désireux d’obtenir des aides en matière de planification des naissances, que les Nations unies convoquèrent une nouvelle conférence mondiale à Mexico.

On comprend que la menace d’une dépopulation puis d’une extinction totale de l’humanité apparaisse absurde dans un contexte qui est encore celui d’un accroissement insuppor­table du triple point de vue économique, écologique et psy­chologique du nombre des hommes sur terre. Mais dans le do­maine démographique plus encore qu’ailleurs sans doute, certains résultats sont en trompe-l’œil. L’augmentation consi­dérable de l’espérance de vie masque pour un temps assez long la diminution non moins considérable de la natalité. Durant la période dite de transition démographique1, l’ac­croissement accéléré de la population est dû au fait que la première phase (la chute de la mortalité) précède de plusieurs décennies la seconde – la baisse de la fécondité2. À cela

1. On appelle ainsi le passage d’un régime à natalité et à mortalité fortes, à un régime à natalité et à mortalité faibles.

2. On appelle indice synthétique de fécondité le nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer. Alors que le taux de natalité comme celui de mortalité

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s’ajoutent certaines distorsions locales qui tendent à rendre peu crédible la thèse de la dépopulation. Certes, il se fabrique encore en France plus de berceaux que de cercueils mais cela n’est pas seulement redevable à l’inertie démographique posi­tive ; ce sont les classes creuses qui meurent aujourd’hui, alors que ce sont les classes nombreuses qui ont des enfants (pas assez toutefois pour les remplacer). Dans certains pays en voie de développement, comme le Bangladesh, la population augmente plus vite que la production et empêche la transition démographique (l’élévation du niveau de vie provoque une réduction des naissances) observée dans d’autres pays, conduisant finalement à ce que King appelle le « piège démo­graphique » (demographic trap). Un cinquième de l’humanité totale depuis les origines est actuellement en vie. Certes, la formule célèbre d’Auguste Comte selon laquelle humanité est composée de plus de morts que de vivants reste vraie mais elle tend à l’être de moins en moins : la proportion des vivants actuels par rapport à l’ensemble de l’humanité depuis les ori­gines croîtra encore pendant un bon siècle. Mais le renverse­ment de tendance que l’on peut prévoir dès aujourd’hui (une baisse très sensible du taux global de natalité moyen) infirme les extrapolations catastrophistes à long terme et rendent sans objet les cris d’alarme qui ont pu les accompagner.

Si catastrophe il doit y avoir, elle se fera dans l’autre sens. Arsène Dumont en 1890 parlait d’une « oliganthropie » fran­çaise. C’est d’une oliganthropie mondiale qu’il faudra bientôt parler, et pour donner à ce « bientôt » son contenu, deux ou trois siècles, peut-être beaucoup moins, suffiront. « Jamais en France, écrit Jean-Claude Barreau, la part du PNB consacrée

se rapporte à la population totale, le taux de fécondité se rapporte au nombre des femmes en âge de procréer.

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aux enfants n’a été aussi faible. Partout on ferme des écoles pour ouvrir des maisons de retraite »1. En 1976, Pierre Chaunu et Georges Suffert avertissaient leurs contemporains en publiant un livre à deux voix, La Peste blanche. Mais leur avertissement ne concernait que l’Occident (« Comment évi­ter le suicide de l’Occident ? » était le sous-titre de leur ou­vrage). En 1995, Jean-Claude Chesnais publie une étude sous le titre de Le Crépuscule de l’Occident. Mais là encore, il n’est question que d’une partie du monde.

En matière de démographie comme en tant d’autres, la France et l’Occident auront été l’avant-garde du monde ; leur dépopulation, déjà annoncée, précède la sienne, qui est à venir. C’est la chute brutale de la mortalité et non pas la hausse de la natalité qui, entre 1950 et 1970, a été la cause di­recte de l’explosion démographique du tiers-monde. La baisse actuelle du taux de natalité que celui-ci connaît avait été aussi peu prévue que celle de sa mortalité. Toutes les projections faites par les Nations unies il y a vingt ou trente ans seulement ont été fortement revues à la baisse. On constate à ce sujet un aveuglement général des experts, tous surpris par la rapidité de la baisse de la fécondité. Selon des études récentes de l’ONU, la population mondiale compterait 9,4 milliards d’habi­tants en 2050 avant de se stabiliser aux environs de 10 à 12 milliards à la fin du siècle2. On est loin, très loin, des 30 mil­liards et davantage couramment promis dans les années 70. Mais il y a plus. Il suffirait que le monde entier atteignît et conservât durablement le taux de fécondité actuel d’une par­tie de l’Occident en 1980 (1,4) pour que l’espèce humaine dis­

1. J.-C. Barreau, La France va-t-elle disparaître ?, Grasset, 1997, p. 39. 2. Il convient de préciser que cette estimation moyenne s’inscrit entre deux

hypothèses extrêmes défendues par certains chercheurs – 21 milliards au maxi­mum et 5 milliards (et même moins) au minimum. La fourchette est colossale.

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parût tout à fait vers 2400. Or, pour des raisons qui tiennent à la mondialisation, et que nous analyserons, cette homogénéi­sation apparaît comme très probable, beaucoup plus probable en tout cas que le maintien du différentiel. Roland Hureaux conclut par ces mots son article intitulé « La fin de l’humanité en 2400 ? » : « Le terme d’explosion démographique, dont on a usé et abusé depuis cinquante ans, risque ainsi de s’avérer exact dans sa littéralité : après la dilatation brutale, l’effondre­ment, voire la disparition. L’humanité pourrait, selon ce schéma, connaître le destin de ces étoiles en fin de course qui, avant de disparaître, jettent une dernière lueur, plus fulgu­rante que jamais, sous la forme de ce que les astronomes ap­pellent une supernova »1.

Aucun philosophe, aucun penseur jadis n’avait envisagé une telle fin. Dans son texte sur l’ouvrage de Herder, Idées pour une philosophie de l’histoire de l’humanité, Kant définis­sait l’humanité comme « la totalité d’une lignée de généra­tions s’étendant à l’infini (dans l’indéterminable) ». Quelques années plus tard, Guillaume de Humbolt disait que l’huma­nité n’a pas de fin, en aucun des deux sens du terme, tout en reconnaissant que chaque époque a une fin, dans les mêmes deux sens du terme. Et lorsque « l’insensé » de Nietzsche an­nonce ainsi la mort de Dieu : « Le soleil se lève. Regardez-le : ne dirait-on point qu’il est mort ? Tout est mort, il n’y a par­tout que des morts. L’homme est seul, autour de lui tout fait silence, voilà ce que c’est que la terre », c’est encore d’une mort métaphorique qu’il parle et non pas d’une mort phy­sique2. Très rares ont été ceux qui ont fait preuve en la ma­

1. R. Hureaux, « La fin de l’humanité en 2400 ? », L’Histoire, décembre 2000. 2. Partisan de la stérilisation et de l’euthanasie, alors que ces méthodes

n’étaient pas encore mises en pratique, Nietzsche voulait réserver l’enfantement au surhomme. Ainsi parlait Zarathoustra : « Tu es jeune et tu désires femme et

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tière de lucidité. En 1989, dans L’Homme stable, Jean-Marie Poursin écrit qu’« à rebours d’un savoir très largement dif­fusé, contre toutes les opinions reçues, nous pouvons désor­mais affirmer que le taux de croissance de la population mon­diale, loin de s’accélérer, est en baisse depuis des années »1. Mais qui le lit, qui l’entend ? Des romanciers aussi ont fait partie de ces rares lucides, tel Jean Dutourd, qui en 1974 pu­blia un récit intitulé 2024 où il décrivait un Paris sans enfants, peuplé de vieillards, et un monde réduit à 3 ou 400 millions d’habitants : « Moi-même, jusqu’au mois dernier, je croyais absolument à la fin du monde. J’y croyais d’autant plus qu’elle se produisait d’une façon que nul n’avait prévue : ce n’était point l’Apocalypse. Ce n’était pas la planète qui craquait comme une noix sous l’effet des bombes atomiques. Non : nous mourions de vieillesse. Nous nous éteignions dans l’eu­thanasie. L’espèce humaine n’avait plus envie de vivre »2. « Ce qui est frappant quand on examine le mécanisme de la stérili­sation du globe terrestre, c’est qu’aucun pays n’a été victime d’une cause extérieure, naturelle ou humaine. Il n’y a pas eu de massacres, pas de génocide d’un peuple par un autre, pas d’épidémie, pas de refroidissement subit de la température, pas de séismes, pas de volcan soudain réveillé et ensevelissant de nouveaux Pompéi. Partout la vie s’est tarie à partir du

enfant. Mais je te demande : es-tu un homme qui ait le droit de désirer un en­fant ? Es-tu le victorieux, vainqueur de lui-même, souverain des sens, maître de ses vertus ? C’est ce que je te demande. Ou bien ton vœu est-il le cri de la bête et de l’indigence ? Ou la peur de la solitude ? Ou la discorde avec toi-même ? Je veux que ta victoire et ta liberté aspirent à se perpétuer par l’enfant. Tu dois construire des monuments vivants à ta victoire et à ta délivrance ». F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, I, « De l’enfant et du mariage », trad. H. Albert, Œuvres, II, op. cit., p. 336.

1. J.-M. Poursin, L’Homme stable, Gallimard, 1989, p. 16. 2. J. Dutourd, Œuvres romanesques, II, Flammarion, 1984, p. 359.

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