Tous droits réservés © Éditions Biscuit Chinois, 2009 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 20 juin 2022 21:38

Biscuit ChinoisLittérature pop

La fille en sucreSylvain Martet

MoustachesNuméro 11, 2009

URI : https://id.erudit.org/iderudit/81ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Éditions Biscuit Chinois

ISSN1718-9578 (imprimé)1920-7840 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleMartet, S. (2009). La fille en sucre. Biscuit Chinois, (11), 22–29.

La fille en sucre

Sylvain Martet écrit comme il respire : un peu mal à cause d'une cloison nasale légèrement déviée. Mais c'est charmant comme tout, parce que ça fait un petit bruit, comme un sifflement, comme un sifflement éner­vant et permanent et les filles adorent ça. Enfin, avec les années, il essaie de s'en persuader. C'est la deuxième fois que Biscuit chinois le publie, ça fait qu'on vient de gagner l'exclusivité de ses textes jusqu'à janvier 2017, bravo à nous.

[23]

A H A H RIEN À FOUTRE, je prends l'avion je paie même pas, rien à battre, papa revient en ville. Pas de bonjour pas de merci ouais ouais je pose mes fesses dans le taxi et j'appelle la fille en sucre, principale moti­vation en France since l'an 2000. Cette fille est cool, super bien roulée et elle danse super bien. Bravo. C'est important la danse, une fille qui sait pas danser c'est nul au lit, faut checker ça ouais, sinon c'est nul après genre la fille gigote n'importe comment ou reste immobile et attend. Je préfère les immobiles à la limite, parce que celles qui bougent n'importe comment c'est juste l'enfer. Je me rappelle d'une particulièrement dégueu, très jolies fesses mais un côté hippie sale genre « je contrôle pas mon sexe parce que c'est naturel tu vois et si c'est naturel c'est beau tu vois ». Elle faisait des bruits à gerber, ayoye, sale affaire mon caporal. Une fois, on fourrait, et là elle passe sur moi, je dis bingo parce que comme ça je peux me reposer - je fatigue vite. Et là enfer : elle se met à se secouer comme un poulet, même affaire que ce que tu vois quand t'as sept ans et que tu cours après les poulets chez ta même. Sauf qu'à sept ans tu trouves ça le fun les poulets qui se secouent. Mais à 23 ans, à poil, en train de fourrer, t'as aucune envie de voir une fille mettre ses bras dans son dos et shaker en faisant « bouueiin beuck beuck beuckk beuck bouuueiiin ». Une des pires expériences de ma vie. J'avais envie de rire et de mourir en même temps mais en fait j'avais surtout peur. Depuis, je suis super tatillon sur la danse chez les filles. C'est mon critère numéro un. Bref. J'appelle la fille en sucre et je lui hurle que

Scoop: je ne suis pas ton vrai papa.

[24 ]

je me ramène chez elle, quelle va m'héberger et qu'on va boire du gin ce soir. C'est décidé comme ça. Elle se marre et elle a bien raison. J'appelle d'autres amis, je gueule dans le taxi, c'est survoltage connasse, je discute avec le chauffeur, un Malien super sympa, comme quoi y'a des gens cools partout, même au Mali, et puis d'un coup, par la fenêtre, je revois le Paris. « Pariiiiiis qu'on voit danser le long des golfes claiiirs » attends merde non c'est « La mer qu'on voit danser » dans la chanson, pas le Paris, ah merde. On arrive je sonne je presse le pas dans les escaliers je frappe elle sort je l'attrape dans mes bras SMOUCK je la bise et ohoh. Oh oh. Oh ooooh. Envie de vomir. Bleuargh dans les toilettes immaculées de la fille en sucre. Pas classe, pas classe du tout ça. C'est le whisky dans l'avion. Alcool à volonté sur Air Canada, rate pas le coche la prochaine fois. Je nettoie la moustache je rafraichis le bonhomme et j 'an­nonce la couleur : ce soir on clubbe à l'ancienne, demain j'ai rendez vous avec l'éditeur, si j'arrive dégueulasse et encore saoul ça fera artiste, il me sucera encore plus et il allongera la monnaie. Après ça, deux semaines de chill-out au vieux pays, deux ans que j 'y avais pas remis les pieds, j'ai du monde à visiter et des tas de trucs à manger et à boire. La fille en sucre est dans mon plan. Je lui dis « toi t'es dans mon plan : dans le Paris qui vit, le Paris qui chante, tu m'héberges, tu me drives dans la province, loin loin loin par le train, tu m'accompagnes, tu me tiens la main, tu sais mon petit cœur, j'ai peur des gens ». Elle valide, je me la colle en pelotant peinard le bas de son dos, miam miam c'est vraiment magique les fesses d'une nana. La fille en sucre complimente la moustache et elle a raison, la moustache c'est ma réserve de mana, c'est la cause de mon retour. Avant

tJj^mBSmm&

[ 25 ]

la moustache c'était zéro la vie, peau de bite le futur, j'errais mec, comme l'Indien zarbi à moitié à poil de Waynes World 2. Sauf que j'ai rien d'un Indien et que Montréal ça ressemble pas au désert où ils retrouvent Jim Morrison. Merde faut que je revoie ce film, c'était super, ma sœur m'avait effacé la K7, j'avais vraiment eu la rage.

Montréal donc. Super ville, franchement bravo, c'est la dolce vita : il fait beau, il fait froid, les amis sont chouettes, les filles jolies, l'alcool est cher mais pas les loyers alors je m'en fous, c'est super, c'est extra. Mais à force je faisais rien. Pas de boulot, pas d'études, tout ça parce que j'ai de l'argent d'un appartement que papi mort m'a donné et que j'ai vendu bonne affaire, bon business. Plus besoin de travailler, mais plus besoin de se lever non plus, ça fait que mon dos s'est bloqué à force de passer 14 heures par jour couché. La mas­seuse que je suis allé voir m'a dit « il faudrait faire de la rééducation » mais je l'écoutais pas, elle avait des yeux trop bleus. J'étais couché principalement pour regarder des Simpson's en mangeant desTwizzlers. Que des trucs comme ça toute la journée. J'arrivais même à pas manger de la vraie nourriture, tout ça parce que j'avais la flemme de me lever. Bon dieu. Alors un jour, paf, mois de novembre, déprime. Et puis une cochonne de déprime ! Je me dis « merde je fais rien, je suis en train de crever doucement, ça alors, c'est la CRISE ». Et là soudain coup de fouet, clac, grâce à une histoire classique de jalousie de mâle et de territoire. Je recons­titue : sur internet, couché dans mon lit queen size toi même t'en rêves, je discute avec mon pote Millénaire dont c'est pas le vrai nom et le type me lance à la face que la fille en sucre s'en donne à cœur joie avec un

Je perds pas mes cheveux, je les sème.

[26]

type inconnu au bataillon, un beau pénible. Or, sans aucune raison valable, j'ai toujours considéré qu'elle, je la gardais au chaud sous mon aisselle pour plus tard, un jour, quand j'aurais décidé, quand je reviendrais, blabla. Me voilà doublé, me voilà face au mur, je suis tristesse et je suis question : suis je un raté ? Doute ! Ni une ni deux, je sors, j'enfile mes jeans je vais dans la salle de bains, je regarde l'état du Sylvain. Oula y'a du boulot, y'a des gros cernes, y'a la barbe rousse qu'a poussé en tabarnack, y'a des cheveux gras... J'attaque : douche, je prends le savon gommage je sais pas quoi de ma coloc - elle me vole mon dentifrice je peux lui prendre ça - je geldouche, je shampouine le monsieur, antipelli­culaire, crème de soin, revitalisant tout le merdier, puis je sors pour le rasage et là l'éclair de génie, aucune idée d'où j'attrape cette révélation mais j'enlève la barbe et je garde la moustache. C'a fait un gros alléluia dans ma salle de bains, avec l'orgue et le halo de lumière et le chœur d'enfants qui chantent en robes. Le style le plus cool du monde était sous mon nez, le ramasse meuf, le ramasse classe, le ramasse-miettes, juste là, en même pas deux cents poils bien placés. Depuis la vie c'est caviar petite, exemple : je sors acheter du salami et des carottes à l'épicerie, un sourire, une blague, bam, le soir je couche avec la fille de la caisse. Exemple : je vais danser, je repère une fille douée, je lui souris deux fois, bim, elle m'attrape par la main et on fond ensemble sur de la bonne vieille funk, puis on glisse chez moi, magique. Exemple: j'écris une merde de cent vingt pages, l'histoire d'une actrice porno qui finit par mettre en scène à l'aide d'objets et de filles de petite vertu les fantasmes d'un type nul en échange de grosse monnaie avant de s'enfuir à Houston pour faire du hip-hop,je

iïStMutepop w w w . b i s c u i t c h i n o i s . c o m

[ 27 ]

l'envoie avec ma photo en grand sur le manuscrit à un sombre éditeur français et le type dit « OUI, je te Us, je t'aime, je te paie l'avion, vient signer des trucs, viens m'aimer, viens récolter le gros argent ». Que ça.

La théorie du mana c'est mon ami Penalty qui l'a sortie le premier. On foutait rien de spécial de nos vies en coloc et une fois on a quitté notre Super- Nintendo et puis on est sortis boire des bières dans un club pour assurer le minimum de vie sociale, quoi, et soudain, alors qu'on sentait tous les deux aussi mauvais à cause d'une hygiène déplorable et de l'échec qui collait à notre peau, le gars a ramassé large les nanas dans le club. Du frot­tage soft au plus dégueulasse dans les toilettes. Le bon respect pour lui. Le lendemain, on discute autour d'un McDonald's de lendemain de brosse et il sort l'idée du mana. Le mana c'est pas le karma connasse. Le mana c'est un truc que t'as en toi mais qui est donné par les autres, les autres étant celles et ceux susceptibles de fourrer ou frencher avec toi. C'est comme si les regards qui mouillent que tu reçois devenaient visibles pour toutes les filles de la salle. Et ceux des gays aussi. Et des lesbiennes qui doutent. Et c'est exponentiel : si tu plais à deux filles en début de soirée, tu peux compter sur un choix de quatre ou cinq à la fin sans faire aucun effort. Le mana c'est pas un truc que tu contrôles, tu sais pas quand tu commences à l'avoir, tu sais pas quand, com­ment et pourquoi tu le perds, faut accepter ça petit, ça fait partie du côté cool de la vie. Mais ça se cultive : en plein mana, si t'as l'occasion, dit non à une ou deux filles, toujours très bon ça le côté « j'ai le choix je me régale ». Pour le reste, il suffit de travailler son hygiène, ses sorties et ses blagues et tout roule. Et puis surtout, il faut une incarnation concrète à ton mana, je parle pas

À chaque jour son ami, aujourd'hui c'est le jour des Michel , bravo à eux.

[28]

d'amulette ou de gri-gri bonhomme, je parle d'un truc à toi qui prouve à tout le monde que les choses sont vraies et que t'es sur le podium de la vie. Ma moustache c'est ma meilleure incarnation, mieux que ma boucle de ceinture Superman. Incarne, profite, régale.

La fille en sucre est collée contre moi, sauf son bassin qui ondule comme un ver de terre à trois centimètres d'Elvis mon pelvis. On est dans un bar nul, je crois que c'est Shakira qui joue et la piste de danse est surchargée de gars vilains et saouls : bienvenue en France. Au fond je m'en fous, la moustache est là, mes mains sont sur un rêve, elle m'attrape la nuque, colle sa bouche sur mon oreille, l'embrasse pas mais je crois que si et ça la fait marrer. J'essaie de faire le type à l'aise, c'est dur, puis elle me dit des trucs fondants genre « est ce que t'es revenu pour moi ? » ou « est ce que je suis la femme de ta vie ? » J'ai envie de crever tellement c'est parfait, s'il était sept heures du soir sur la côte Atlantique je lui répondrais ma meilleure punchline ever: « Tous les deux face à la mer, tous les deux main dans la main, le soleil va disparaître, sois ma femme, au moins jusqu'à demain » et on plierait tout ça. Là je m'arrange comme je peux, j'improvise une réplique pas à la hauteur mais ça passe, le mana bonhomme, le mana. Ses lèvres sur les miennes, je tremble tellement qu'on peut croire que je danse dans le rythme, smouick smouick, on se casse. Mille points de plus pour cette soirée.

Je sais bien que ça ne durera pas, parce que je décrisse bientôt du vieux pays et parce que le mana va se barrer. Techniquement, c'est pas éternel. Un jour, tu restes collé sur une fille et un mois plus tard tu te demandes pourquoi, du coup tu la quittes mais plus

Jjjsïfe.im,, pop. w w w . b i s c u i t c h i n o i s . c o m

[ 29 ]

personne te veux parce que ton mana est passé date. Un autre, tu fais tourner les filles jusqu'à ce que t'aies envie d'être seul, puis très seul, puis tout seul, puis tu peux toujours chercher ton mana, si t'arrêtes de l'entretenir, paf, c'est fini. Et puis une fois tu sais que t'as atteint un gros sommet et que c'est bien beau de faire le malin avec les filles devant tes potes, mais quand t'es in love d'une fille trop belle pour toi, ton mana il brûle comme un petit soldat en plastique dans le grand feu de la vie. Rien à y faire. Je raserai ma moustache en revenant à Montréal, je mettrai la fille en sucre dans mon placard mental, tiroir « meilleurs moments » et je reviendrai aux Simpson's et aux Twizzlers. Je m'en fous Montréal c'est cool, les filles sont les plus belles au monde et le hockey a repris.

Aimer c'esf plus fort que fout, sauf peut être qu'un Monster truck.