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La Face cachée de l’E.M.I. À la recherche du sens d’une expérience de mort imminente terrifiante Jean-Gérard Dubois

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La Face cachée de l’E.M.I.

À la recherche du sens d’une expérience de mort

imminente terrifiante

Jean-Gérard Dubois

35.18 666526

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 474 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 35.18 ----------------------------------------------------------------------------

La Face cachée de l’E.M.I. À la recherche du sens d’une expérience de mort imminente terrifiante

Jean-Gérard Dubois

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« En pleine rue, tout à coup saisi par le “mystère” du Temps, je me suis dit que saint Augustin a eu bien raison d’aborder un tel thème en s’adressant carrément à Dieu : avec qui d’autre en débattre ? » 1

LES PAVÉS DE LA VOIE ROMAINE

n 1852 et 1863 furent découverts à 30 km au nord de Rome, à Vicarello, quatre gobelets d’argent du 1er siècle après J.-C., lesquels sont

actuellement conservés au musée des Thermes de Dioclétien, musée national romain. Objets votifs, précieux pour l’histoire antique, ceux-ci, gravés sur toute leur surface, énumèrent tous les relais routiers avec les distances les séparant, sur l’itinéraire allant de la Rome antique à la ville de Gadès, actuellement Cadix dans le sud de l’Espagne.

Cet itinéraire reliant le cœur administratif de l’Empire romain à la lointaine province d’Hispania

1 E.M. Cioran. Œuvres. Aveux et Anathèmes. Quarto Gallimard 1995. p.1678

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Baetica, ce trait d’union entre trois de nos grands pays européens, l’Italie, la France et l’Espagne, cette grande voie de circulation préfigurant nos modernes autoroutes, se trouve composé de plusieurs parties bien distinctes et bien individualisées. En Italie, au départ de Rome, nous avons la Via Flaminia et la Via Aemilia, continuées en France par la Via Domitia, prolongée au-delà des Pyrénées, en Espagne, par la Via Augusta (ou Via Herculea) et la Ruta Baetica qui nous emmène jusqu’à Cadix.

Entre Rome et la Provence, une autre voie était possible par la côte, avec la Via Aurelia, passant par Livourne, Gènes, Vintimille, Nice, Fréjus, Aix-en-Provence, Arles et Marseille.

Partant de Rome pour se rendre à Cadix, un voyageur imaginaire avait donc tout le loisir de suivre un itinéraire bien défini, parfaitement tracé, admirablement pavé aux abords et dans la traversée des grandes agglomérations, simplement empierré et tassé la plupart du temps en d’autres lieux. En ce faisant, ce voyageur traversait au gré de son périple des contrées extrêmement différentes les unes des autres. En effet, les collines verdoyantes du Latium ne préfigurent en rien des neiges du col de Montgenèvre, passage le plus fréquenté entre la France et l’Italie depuis les temps immémoriaux, et rien ne ressemble moins aux forêts de mimosas et d’eucalyptus de Provence que les terres dénudées et arides du désert de Murcia en Espagne.

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Rien n’interdisait de plus à ce même voyageur de prendre à l’occasion une route différente, celle avec vue sur mer, par exemple du côté de Forum Julii (Fréjus), ni de faire à Nemausus (Nîmes) une étape prolongée sous une allée de micocouliers déjà centenaires, comme il en existait un peu partout dans cette région.

Les parcours sont variés, semés d’imprévu, de bonheurs et d’embûches, et de temps en temps, une borne milliaire rappelle au passant le chemin parcouru. Pour notre voyageur imaginaire, deux points de repère plus que d’autres sont importants, ce sont les points de départ et d’arrivée, et s’il sait pertinemment qu’il est bien un jour parti de la cité fondée par Romulus et Remus, il ignore bien sûr le jour et l’heure de son arrivée aux abords des Colonnes d’Hercule.

Pourquoi commencer une histoire récente par un long périple sur des voies romaines ! L’idée s’est imposée un jour, mais mon intérêt pour l’histoire ancienne et mon affection pour notre Mare nostrum, cette mer au milieu des terres, cette Méditerranée qui a vu tant de brassages de civilisations, ne sont pas en cause ici.

À cette halte sur le parcours, à ce point du récit, je me dois de m’expliquer, et il me faut parler de moi, ce qui n’est pas chose facile. Il me faut dire ce qui m’amène à parcourir ainsi des voies antiques que je n’emprunte que rarement. La raison en est assez simple.

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Jusqu’à ce jour, ma vie ressemble un peu au parcours de ce voyageur parti de Rome et encore sur le chemin de Cadix. Ce ne sont pas des routes et des paysages différents qui se succèdent sur cet itinéraire, mais des tranches de vie qui, comme les contrées traversées, m’apparaissent si différentes les unes des autres qu’elles semblent être indépendantes, avoir chacune leur propre individualité et leur propre trajectoire.

Tout a commencé… Non ! il n’est pas utile de planter en ce lieu la

première borne milliaire, attendons d’avoir fait quelques pas, attendons le premier trou entre les pavés et la première chute.

Jusqu’à l’âge de vingt ans, tout s’était bien passé. Arrivée sur cette planète Terre alors que grondait l’orage, en 1937, enfance heureuse, premiers souvenirs aussi délicieux qu’inoubliables d’une vie paisible à la campagne, puis arrivée à Lyon avec mes parents vers ma huitième année. Éducation religieuse à l’école dite libre, premiers principes moraux, première communion, première confession, premières questions, premiers doutes.

Un goût prononcé pour l’histoire, pour les arts en général et le dessin en particulier. Études interrompues à dix-sept ans, aucun diplôme en poche, sinon un bien modeste certificat d’études primaires, papier sans aucune valeur perdu peu de temps après.

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Je savais ce que je voulais exercer comme métier, je voulais dessiner, et je suis entré dans un atelier de dessin en soieries de Lyon, en ce temps important centre de fabrication textile.

Choisir la voie qui vous convenait, trouver à se faire employer, apprendre un métier était relativement facile en 1954. D’apprenti, je suis devenu perfectionnant puis compositeur, c’est ainsi que nous étions nommés. Ce travail consistait à créer et à peindre sur papier des motifs décoratifs, sujets figuratifs, fleurs, géométriques, styles divers, abstraits ou autres, destinés à être imprimés sur les soieries et textiles de toutes sortes, modèles originaux, uniques, exclusifs, qui étaient proposés et vendus aux couturiers et aux fabricants soyeux lyonnais ou étrangers.

À l’âge de vingt ans, je décidai de voler de mes propres ailes et m’installai à mon compte comme dessinateur artiste libre, ainsi nous qualifiait l’Administration fiscale, ne sachant pas où nous caser ceux qui comme moi exerçaient ce genre d’activité aussi méconnue qu’étrange à ses yeux.

« Vous n’êtes pas artisan, vous n’êtes pas vraiment commerçant, dans quelle catégorie pourrions-nous bien vous classer. ! Allons pour artiste libre ! Ça vous convient ? »

C’est à peu près de cette façon que j’ai vraiment débuté dans la vie professionnelle. Artiste libre me plaisait assez, surtout le mot libre, pour lequel toute ma vie j’ai eu de l’affection et pour lequel je me suis

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constamment battu, un des plus beaux de notre langue, un des plus importants. Et cette liberté accordée un jour comme par défaut dans un bureau de l’Administration, j’en ai encore conscience en l’écrivant ici, sonnait bien à mon oreille et m’était agréable à entendre.

Et c’est là, peu de temps après, que le vol de l’oiseau en quête de liberté s’est brutalement interrompu, c’est là que s’est trouvé sous mes pas ce maudit trou entre les pavés de ma voie romaine personnelle !

Ce trou, ce premier gouffre dirais-je, avait un nom : « Botulisme aigu ». Pour qui n’en a jamais entendu parler, ce qui est compréhensible, la maladie étant si rare, il s’agit d’une intoxication alimentaire causée par la toxine botulique d’origine bactérienne, extrêmement puissante, le plus puissant et le plus dangereux de tous les poisons connus.

J’avais consommé une tranche de jambon conservée sous vide, achetée pour moi par mes parents qui s’étaient absentés quelques jours, m’ayant laissé seul à la maison. À l’âge de vingt ans et en pleine jeunesse, on ne peut qu’apprécier cette solitude momentanée, vacances et détente, je me trouvais alors dans cet état d’esprit, profitant quelque peu d’une liberté dont je n’ai par ailleurs jamais manqué.

Grace à l’intervention de ma sœur Liliane venue frapper à ma porte quelques jours plus tard et m’ayant trouvé dans un triste état, puis de notre médecin de

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famille qui vit tout de suite que le problème était sérieux, je fus transporté de toute urgence à l’hôpital de Grande-Blanche à Lyon. On envoya chercher dans notre frigo le reste de ce jambon que je n’avais pas consommé, on l’analysa, on en injecta ou on en fit manger à une souris, je ne sais pas exactement, n’ayant pas assisté à ce triste repas, laquelle pauvre souris en mourut sans tarder. Le botulisme avait été assez vite diagnostiqué. L’hôpital fit immédiatement venir par avion spécial un sérum anti-botulique de l’Institut Pasteur de Paris, lequel sérum d’une efficacité toute aléatoire compte tenu de l’urgence me fut administré le plus rapidement possible sans beaucoup d’espoir des médecins, il faut bien le dire.

L’affaire était grave, du botulisme, je l’ai appris plus tard, on en meurt très souvent. C’est d’ailleurs ce qu’un médecin très fin psychologue a eu le bon goût de dire à ma mère appelée d’urgence et terriblement inquiète à mon sujet. Il paraît que les choses sont mieux maintenant, et que les médecins savent faire preuve de plus de tact, je ne peux que m’en réjouir. Il n’y a pas que ce médecin-là d’ailleurs dont la délicatesse était remarquable, on en verra un autre cas significatif plus avant. De ceux qui se sont occupés de moi, je dirai quelques mots plus loin, il m’ont permis d’être encore là cinquante-cinq ans plus tard et de pouvoir évoquer ce souvenir douloureux, je ne saurais trop les remercier.

Cette toxine botulique a pour effets d’amener très

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vite une paralysie musculaire, une détresse respiratoire pouvant aller jusqu’à la paralysie respiratoire, un blocage de tout le système digestif, une incapacité locomotrice, l’impossibilité d’avaler, de déglutir, d’aller à la selle, elle procure aussi des diarrhées, des vomissements, des douleurs abdominales. De plus, se manifeste une paralysie des muscles oculaires amenant une vision dédoublée, le tout nécessitant une hospitalisation d’urgence dans un service de réanimation équipé d’un poumon d’acier. Pendant deux ou trois semaines, je me suis ainsi trouvé dans l’impossibilité totale d’avaler quoi que ce soit, et c’est le seul goutte-à-goutte qui m’a alimenté à mon corps défendant.

Brutalement, je me suis donc trouvé dans une très inconfortable situation. Me revient particulièrement ce jour où, étouffant subitement, je sonnais désespérément le personnel, appelant à l’aide en ne le voyant pas arriver. Ce n’était que l’affaire de quelques secondes, mais celles-ci sont interminables lorsque vous sentez que vous allez mourir. Soudain, tous sont arrivés en courant, se sont précipités sur moi, m’ont soulevé, tenu la tête en bas et les pieds en l’air, l’un d’eux m’a alors enfoncé brutalement la main dans la gorge pour en extraire une sorte de boule sèche comme un bouchon de paille, ce qui restait de mon dernier repas, qui remontait de l’estomac en m’étouffant littéralement. Ce fut pour moi épouvantable, et avec les lavages gastriques qui suivirent, les lavements répétés,

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ce souvenir me reste autrement plus que les dizaines de piqûres et de perfusions que j’ai dû subir pendant le temps qu’a duré mon hospitalisation, plus d’un mois et demi, il me semble.

Ce jour-là, j’ai failli mourir, je me voyais mourir, je mourais étouffé !

Ce jour-là, le personnel hospitalier, envers qui je resterai toujours reconnaissant, m’a sauvé la vie.

C’est au cours de cette hospitalisation que j’ai eu, comme l’a dit Andy Warhol, « mon quart d’heure de gloire ». Le botulisme était, et le reste heureusement, une maladie très rare. On avance actuellement en France l’incidence annuelle de 0,5 cas par million d’habitants. À cette époque, vers la fin des années cinquante, aucun cas de botulisme n’avait été signalé dans la région lyonnaise depuis la fin de la guerre, c’est ce qu’on m’a dit à l’époque. Le mien devint alors un sujet d’étude et plus encore de curiosité dans le milieu hospitalier. C’est ainsi qu’en plus d’un mois je vis défiler au pied de mon lit quantité de médecins, infirmières et infirmiers, curieux en tous genres venus en groupe ou individuellement de toute la région pour voir le cas. On venait me visiter comme à Paris on prend plaisir à visiter les catacombes ou le cimetière du Père Lachaise. Jamais encore je ne m’étais senti important comme à ce moment-là et ce souvenir me fait encore sourire intérieurement de temps à autre. Être devenu un objet de curiosité en ayant déjà un pied dans la tombe pourrait tourner la

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tête et séduire plus d’un aspirant à la notoriété. La gloire va se nicher où elle peut !

C’est ainsi que j’ai vu arriver aussi le prêtre aumônier de l’hôpital venu me donner les derniers sacrements, l’extrême-onction. Vous savez ? C’est le sacrement qu’on administre aux mourants lorsque le cas est désespéré, lorsqu’il n’y a plus rien à faire qu’à prier. Un genre de réconfort, en somme. Même pas une bouée de sauvetage, non ! plutôt un coup de grâce, de grâce divine. Diable, on ne peut pas laisser mourir un garçon de vingt ans sans lui porter secours et encouragement, sans l’assurer d’une vie éternelle au-delà du cercueil déjà ouvert et prêt à le recevoir en douceur dans son beau capiton violet. Là encore, un tantinet de psychologie aurait été le bienvenu, il n’y avait effectivement rien de mieux dans l’état où je me trouvais pour me remonter le moral !

Heureusement pour moi, j’avais vingt ans et de l’élan dans le cœur, j’étais persuadé que j’allais m’en sortir. Je n’en doutais pas un seul instant, j’avais un avenir à assurer, il me semblait chaque jour reprendre vie alors que, sans que je puisse m’en rendre compte cette vie me quittait.

Il était aimable, il n’a pas trop insisté, je lui ai simplement dit : « Je vous remercie, mon Père, mais si j’ai besoin de vous, je vous ferai signe. » N’y voyant déjà plus beaucoup à ce moment-là, j’aurais eu bien de la peine à remarquer le moindre signe de contrariété sur son visage à la suite de mon refus, la

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moindre marque de contentement de sa part d’ailleurs non plus de me trouver encore en vie alors que ma pauvre souris en était déjà morte de chagrin.

Nous avons échangé quelques propos badins et nous nous sommes quittés bons amis malgré tout ! Lorsque, après une demi-heure, il est sorti de ma chambre, je l’ai rassuré en lui soutenant contre toute apparence que tout allait bien. Lorsque je repense à lui, il me semble aujourd’hui que j’aurais dû à l’époque l’assurer de mon réconfort et lui dire d’espérer, j’aurais dû lui expliquer plus encore que tout n’était pas perdu et qu’il faut toujours croire en une bonne étoile, même si cela ne veut pas dire grand-chose, même si cela, de toute évidence, ne veut rien dire du tout.

Conséquence inattendue de cette intoxication : peu de temps après ma sortie de l’hôpital, j’étais appelé devant le conseil de révision en vue d’effectuer mon service militaire comme tout bon citoyen à l’époque. Je précise que déjà je m’étais présenté l’année précédente et avait été ajourné pour un petit dysfonctionnement du cœur, lequel cœur tient encore le coup cinquante-cinq ans après. Les médecins militaires se sont trompés, ils m’avaient vu plus mal portant que je ne l’étais, je n’en suis pas mort pour autant, je ne peux pas décemment leur en vouloir pour ça !

Ayant toujours été exact dans mes rendez-vous, je m’y suis donc présenté à nouveau à l’heure dite, comme convenu dans ma convocation.

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Ombre de moi-même, venu en taxi et soutenu par le chauffeur, ayant partiellement perdu la vue, les yeux cachés sous d’énormes lunettes noires fermées hermétiquement sur les côtés ressemblant plutôt à un masque de plongée, marchant avec deux béquilles, pâle, ayant perdu une quinzaine de kilos, il est évident que j’ai dû faire mon petit effet et que, pour effectuer le parcours du combattant dans les meilleures conditions, il allait falloir trouver quelqu’un d’autre.

« Eh bien ! Que vous arrive-t-il ? » me dit l’un des cinq ou six médecins militaires assis derrière la grande table devant laquelle j’étais appelé à me présenter. Normalement, c’est en tenue d’Adam que je me devais d’apparaître, mais ce jour-là, ces messieurs ont cru bon de m’excuser.

J’expliquai mon cas. Étonnés, tous me regardèrent avec curiosité, et l’un

d’eux me dit alors, paroles que je n’oublierai jamais : « Eh bien, mon cher ami, vous en avez assez vu

comme ça ! Vous pouvez rentrer dans vos foyers ! » Et d’un trait de crayon, il confirma sur ses

papiers : « Réformé » ! Je suis sorti sous leurs regards insistants, comme

j’étais entré, lentement, sans bruit ! Le parcours du combattant ne sera vraiment pas pour moi cette année, il ne l’a jamais été.

Je me devais de rapporter des faits précis concernant ce botulisme, ils ont une réelle importance dans la suite du récit, nous le verrons plus loin.

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À L’OMBRE DES CYPRÈS DE TOSCANE

C’est au soleil que je désire continuer le parcours, à travers les vignes du Chianti et les collines de Toscane chères à notre ami Léo Ferré dont j’évoquerai plus avant le souvenir, le long des berges de la Durance, et dans les riches terres de la province narbonnaise. Ces chemins sont parfois herbeux, sableux ou rocailleux. On y trouve parfois quelques ronces, mais aussi tant de lieux paisibles où il fait bon s’arrêter le soir venu. C’est de mille embûches et de mille bonheurs qu’est aussi faite la vie, ce sont ces embûches qui nous forment le caractère, et lorsque ce ne sont pas les malheurs, ce sont ces bonheurs qui nous relient aux autres, et c’est bon, et c’est bien.

Cette activité de dessinateur dont j’ai parlé, je l’ai exercée de nombreuses années, je dessine toujours d’ailleurs, maintenant pour mon plaisir, uniquement pour mon plaisir. Jamais d’ailleurs je n’ai pensé exercer un travail, je n’ai connu que le plaisir de dessiner, de créer. Seul mon contrôleur des impôts voyait les choses autrement et je crois bien n’avoir jamais réussi à lui faire admettre que se rendre à son ouvrage chaque matin pouvait aussi être un bonheur. Mais ce n’était pas important, chacun voit le monde avec ses propres lunettes, et peut-être d’ailleurs avait-il raison. J’étais « artiste libre », et heureux de l’être, il ne pouvait en être autrement, mais lui avait son salaire assuré, ce qui n’est pas mal non plus en fin de mois.

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Maison Dior, prestige du luxe et de la Haute-couture française, un lieu où mes dessins étaient appréciés2

« Monsieur, Comme chaque année, monsieur… sélectionnera,

début septembre, des maquettes, des carrés et des écharpes longues. Nous vous contacterons en temps utile en vous précisant une date exacte pour que vous veniez présenter votre collection, mais nous vous indiquons à l’avance que nous avons besoin cette année d’un grand nombre de maquettes. De ce fait, nous vous demandons de nous proposer le plus possible de vos créations. Si vous aviez des carrés ou des écharpes longues prêts pour la deuxième quinzaine de juillet, nous pourrions déjà faire un premier choix… »

Nombre de mes dessins pour foulards, écharpes et carrés de soie se sont ainsi retrouvés pendant plusieurs années dans les collections de Christian Dior, de Jeanne Lanvin, Jacques Fath, ou autres couturiers de renom, et cette belle époque de ma trentaine, où je fréquentais les bureaux d’achat et les stylistes de ces célèbres maisons, reste pour moi inoubliable. Et puis il y avait les autres, il y avait tous ceux avec lesquels je collaborais régulièrement, tous ces fabricants lyonnais, parisiens, italiens, allemands ou espagnols, dont les noms étaient moins prestigieux 2 Lettre datée du 3 juillet 1970, reçue de la Maison Christian Dior, division Accessoires.

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mais dont la confiance m’honorait et dont le choix qu’ils faisaient de mes dessins me faisait vivre. Certains venaient d’Amsterdam, d’Osaka ou d’Honolulu pour trouver l’artiste libre et ses créations dans son petit atelier lyonnais. C’était le temps des envies, des envols, du tout possible.

C’était le temps de la jeunesse, c’était un bon temps, ceux qui suivirent aussi.

C’était aussi le temps des débuts de quelques amitiés durables, de celles qui sont toujours là, fidèles, précieuses et indéfectibles.

Un des bonheurs de la vie, ne parlons pas ici de l’amour qui trouvera sa place ailleurs, un des plus grands des bonheurs, est bien sûr l’amitié, comme c’est banal de le dire, mais comme c’est enrichissant de le vivre. Ce fut mon amitié avec un grand Monsieur, qui marquera aussi ces années de jeunesse. J’avais trente-deux ans lorsque nous nous sommes rencontrés, une rencontre exceptionnelle, comme on a peu l’occasion d’en faire dans la vie, il en avait alors soixante-six. Il était grand et fort, une force de la nature. Un critique d’art3 avait dit de lui :

« À 68 ans, il a une gueule, comme disent les gens de cinéma. Quelque chose à mi-chemin entre Joseph Kessel, Malraux et Jean Giono. Il est habité par le

3 Luc Trassoudaine. Article paru dans la revue Reflets de la vie lyonnaise. No 225, 24 septembre 1970

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besoin de convaincre pour convaincre, pas pour charmer. Il est du côté de ceux qui donnent, qui partagent, qui ne sont jamais ménagés de leur envie de donner. Depuis un demi-siècle, son monde est fait de feu et de fer qu’on plie sous la main : il est ferronnier d’art. Il s’appelle Michel Zadounaisky.4 »

Il ajoutait à la fin de son article : « Finalement, même s’il joue parfois les amers, il est heureux. Et il a cette chance sur beaucoup de se savoir heureux. Être heureux, ça se mérite. Son bonheur, à 68 ans, est fait de ce qui lui reste à faire. » Effectivement, mon ami Zadou avait une « gueule », il pouvait et il savait impressionner son monde par sa haute stature et son physique à prendre la vie à pleines mains. Mais dans une de ses dernières lettres de décembre 1982, il s’en expliquait en ces termes :

« Cher Gérard, Merci pour votre bonne lettre, elle m’a ému aux larmes. Si Dieu m’a donné un visage de reître (par Durer), c’est une armure que j’entretiens du reste avec soin. Vous êtes une des très rares personnes qui savent que ce n’est qu’une armure. »

Cette rare amitié, qui s’est prolongée pendant une quinzaine d’années, ne fut interrompue que par sa disparition survenue en 1983. L’amitié ne tient pas compte de l’âge, Zadou et moi en étions l’exemple parfait.

4 Michel Zadounaisky, né à Odessa en 1903, décédé à Hauteville en 1983.

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Il était un artiste d’une grande culture, amateur d’antiquités, passionné comme moi d’archéologie, sculpteur et ferronnier d’art, devenu avec le temps un des grands noms de l’art décoratif des années trente. Décédé dans une maison de convalescence à Hauteville, malade, abattu et dans le plus grand dénuement, ses œuvres s’arrachent maintenant à prix d’or dans les salles des ventes.

Et pourtant…

« Cher Gérard », m’écrivait-il peu de temps avant sa disparition, dans une lettre datée du 5 mai 1983 :

« … merci pour votre lettre reçue ce matin. Pour moi, les choses ne s’arrangent pas. J’ai subi un traitement dit « de choc » pendant assez longtemps et je suis d’une faiblesse extrême, une très grande difficulté à écrire, lettres, mots, doigts et main ne font pas cause commune.

Je passe mon temps, assis sans pouvoir rien faire, ni lire, ni écrire, ni me promener. Je roupillonne, je n’ai aucun appétit et pèse 63 kg. J’ai compris que je n’aurai jamais plus la force, et, ce qui est plus grave, l’envie, de m’occuper de « Temps Heureux » (son magasin-galerie à Lyon).

Pour mon arrêt, la Chambre de Commerce et celle des Métiers me donneront un petit viatique de départ, c’est bien, mais un gros problème se pose : il faut vider le magasin, et tous mes placards qui sont pleins, c’est la quadrature du cercle ! J’ai donc un moral assez bas – et

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puis j’ai aussi 80 ans passés ! Je vais essayer de trouver un musée pour léguer ma ferraille – Je ne demande pas un sou, mais qu’ils viennent, démontent et emportent, Hop ! bonne chose (…) j’ai un tel butin ! et suis tellement fatigué… incapable de prendre une décision ferme… et cohérente – Bien des choses à Éveline et à la famille. Je vous embrasse. »

Ce fut sa dernière lettre. Maintenant encore, je vis avec le remords de ne pas être allé le voir une dernière fois à Hauteville. J’aurais pu probablement, mais je n’avais pas pris encore la pleine mesure de son mal, et connaissant sa forte constitution je pensais bien entendu que, sans qu’il puisse cependant retrouver son activité professionnelle habituelle, son état de santé ne pouvait que s’améliorer. J’ai sous-estimé ce mal qui l’a emporté, lui, Zadou, cette force de la nature que je ne connaissais qu’en bonne forme physique, que je savais fatigué et diminué, mais dont j’attendais avec impatience le rétablissement.

Ce fut par une lettre de sa sœur, que je ne connaissais pas, que j’appris avec une grande tristesse la disparition de ce grand Monsieur, qui m’honorait de son amitié depuis près de 15 ans.

Et il m’arrive souvent de penser à lui, l’occasion m’en est parfois donnée par l’actualité des ventes publiques dans lesquelles passent de temps à autres un de ses chefs-d’œuvre de fer forgé, de ces pièces exceptionnelles sorties de ses mains et qui font