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Apparue récemment dans la littérature managériale portant sur les nouvelles formes d’organisation du travail, la notion de déspatialisation souffre d’un manque de clarté conceptuelle que cette contribution entend combler. L’intérêt de cette notion est double: d’une part, elle permet d’identifier les situations critiques appelant une forme de gestion adaptée au travail à distance en fonction de son intensité, du degré de dispersion des travailleurs, de leur autonomie et de l’usage des TIC; d’autre part, elle permet de considérer simultanément les enjeux de gestion posés par de nouvelles formes d’organisation du travail étudiées de manière distinctes jusqu’ici dans la littérature: les équipes virtuelles, le travail mobile ou le télétravail. LAURENT TASKIN Louvain School of Management, FUCaM La déspatialisation Enjeu de gestion DOI:10.3166/RFG.202.61-76 © 2010 Lavoisier, Paris TRAVAIL Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-rfg.revuesonline.com

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Page 1: La déspatialisation€¦ · Dans ce contexte, les technologies de l’in-formation et de la communication (TIC) apparaissent constituer un v ecteur majeur de changement, tant sur

Apparue récemment dans la littérature managériale portantsur les nouvelles formes d’organisation du travail, la notion dedéspatialisation souffre d’un manque de clarté conceptuelleque cette contribution entend combler. L’intérêt de cettenotion est double: d’une part, elle permet d’identifier lessituations critiques appelant une forme de gestion adaptée autravail à distance en fonction de son intensité, du degré dedispersion des travailleurs, de leur autonomie et de l’usagedes TIC ; d’autre part, elle permet de considérersimultanément les enjeux de gestion posés par de nouvellesformes d’organisation du travail étudiées de manièredistinctes jusqu’ici dans la littérature: les équipes virtuelles, letravail mobile ou le télétravail.

LAURENT TASKIN

Louvain School of Management, FUCaM

La déspatialisationEnjeu de gestion

DOI:10.3166/RFG.202.61-76 © 2010 Lavoisier, Paris

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Depuis plus de vingt ans, le mondedu travail et les modes de gestion setransforment, sous l’impulsion de

certaines tendances de fond telles que laflexibilité, les technologies, la globalisationou l’individualisation (Edwards, 2007).Dans ce contexte, les technologies de l’in-formation et de la communication (TIC)apparaissent constituer un vecteur majeur dechangement, tant sur le plan organisationnelque socio-économique. En permettant derompre avec l’unité de temps, de lieu etd’action qui caractérise l’organisation tradi-tionnelle du travail (Perin, 1998 ; Lallé,1999), les TIC permettent le développementde nouvelles formes de travail déspatialisé(telles que le (télé)travail à domicile, le tra-vail mobile ou les équipes virtuelles) quisemblent appeler d’autres modes de gestion.De nos jours, la littérature en managementaborde ces nouvelles formes d’organisationdu travail essentiellement sous un angle des-criptif, leur prêtant des vertus en matière deflexibilité du travail, de productivité, deconciliation des rôles ou soulignant l’auto-nomie accrue des travailleurs qu’elles géné-reraient (voir Baruch et Nicholson, 1997;Neufeld et Fang, 2005 ; de Beer, 2006). Ilapparaît cependant que ces nouvellesformes d’organisation (NFOT) interrogentdirectement les politiques et pratiques degestion : comment gérer des individus à dis-tance et, surtout, comment gérer cette dis-tance qui est à la fois physique et psychoso-ciologique? C’est cette double perte deproximité et la capacité de la gérer que nousavons nommé « déspatialisation » il yquelques années (voir Taskin, 2003). Cettenotion a, depuis, été reprise ailleurs sansautre précision conceptuelle, désignant tan-tôt un objet (une forme de travail à dis-tance), tantôt un phénomène (la distance) et

tantôt un processus. Cet article propose uneclarification conceptuelle aussi importanteque nécessaire pour permettre l’étude de cephénomène en gestion mais aussi le déve-loppement de pratiques gestionnaires adap-tées à ces situations de travail.Notre contribution est, dès lors, double. Ils’agit, d’une part, de conceptualiser la notionde déspatialisation en proposant une défini-tion, mais également en identifiant les dimen-sions sur lesquelles ce construit repose. Cettedémarche permet de comprendre les enjeuxde gestion posés par différentes formes detravail à distance traitées séparément dans lalittérature jusqu’à aujourd’hui. C’est ce quijustifie, d’autre part, la seconde contributionde cet article qui consiste à proposer, suite àl’argumentation théorique développée, unoutil de diagnostic permettant d’évaluerl’acuité avec laquelle une situation de déspa-tialisation nécessite l’adaptation des pra-tiques de gestion existantes.Cette contribution s’articule en trois temps:premièrement, la notion de déspatialisationest définie en prenant soin de la distinguerd’autres notions proches comme la délocali-sation, par exemple; deuxièmement, en iden-tifiant les dimensions qui caractérisent ladéspatialisation du travail, nous expliquonsen quoi et sous quelles conditions elle consti-tue un enjeu de gestion. Troisièmement, nousévoquons différentes formes de travaildéspatialisé en veillant à préciser, dans unedémarche diagnostique, leurs enjeux poten-tiels en matière de management.

I – INTÉRÊT, CHAMP ET DÉFINITION DE LA NOTION

DE DÉSPATIALISATION

Apparue au début des années 2000 dans lecontexte du développement du travail à dis-

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tance, et des premières recherches analy-sant les enjeux organisationnels liés à cettenouvelle forme d’organisation du travail, lanotion de déspatialisation se démarqued’autres notions telles que celle de délocali-sation, voire celle de respatialisation appa-rue plus récemment dans la littérature.La notion de délocalisation, parfois utiliséepour décrire ce type de reconfiguration spa-tiale du travail, du management et des orga-nisations ne s’inscrit pas dans une relationd’emploi existante mais, la plupart dutemps, contribue à en créer une nouvelle end’autres lieux. Ainsi, d’après le Larousse, ladélocalisation désigne « l’action d’implan-ter une entreprise dans une nouvelle zone,notamment pour réduire les coûts de pro-duction ». Il s’agit donc souvent de modifier,voire de rompre, le lien contractuel entre lessalariés et l’employeur : lorsqu’une entre-prise délocalise ses activités, cela se traduitsouvent par l’embauche de nouveauxemployés, ailleurs. De plus, la notion dedélocalisation s’entend à un niveau global :c’est une organisation qui délocalise sesactivités et, plus rarement, sa main-d’œuvre.La déspatialisation, elle, fait référence à unepratique plus locale de flexibilité et s’attacheaux acteurs impliqués dans celle-ci.En outre, s’il est ici fait mention du proces-sus de « dé-spatialisation » et non de « re-spatialisation » (Halford, 2005), c’est parceque notre analyse prend place dans ledomaine de la gestion. D’un point de vuemanagérial, en effet, le travail à distancesoustrait le travailleur au lieu de travail et,au moins physiquement, à la relation mana-gériale. La colonisation supposée d’autresespaces professionnels voire privés consti-tue un champ de recherche distinct et enémergence, qui mobilise notamment lessociologies de la famille et des temps

sociaux et qui justifie l’usage de la notionde re-spatialisation (voir par exemple Tietzeet Musson, 2005).Le travail déspatialisé implique le « décou-plage de l’exercice de l’activité profession-nelle d’avec un lieu physique comme le“bureau” (…) mais aussi d’avec des heuresde travail, des horaires, des pratiques et desprocess prescrits » (Tietze, 2002, p. 385). Àce titre, la déspatialisation introduit unchangement fondamental pour le manage-ment et les travailleurs, en rompant avec lesfondements traditionnels des pratiques degestion et d’organisation du travail que sontla visibilité (la possibilité d’observer direc-tement le travailleur) et la présence (lacapacité pour un travailleur d’interagirdirectement avec ses collègues) des tra-vailleurs (Felstead et al., 2003).Au-delà de la prise en compte de la distancephysique (ou géographique) du travailleur,la déspatialisation fait donc référence à ladistance psychosociologique, liée à l’éloi-gnement du travailleur par rapport à sonenvironnement de travail au sens large (col-lègues, espaces communs, échanges infor-mels et formels, culture, etc.). Cette notionse réfère à des situations de travail qui s’ins-crivent dans une relation d’emploi spéci-fique et qui adressent, comme nous le mon-trons plus loin, des enjeux très convergentsen matière de contrôle tout en nécessitantdes pratiques de gestion adaptées à chaqueforme de travail déspatialisé et à chaquecontexte organisationnel. Par souci d’intelli-gibilité et de concision, nous proposons ladéfinition suivante : la déspatialisation faitréférence à la perte d’une proximité phy-sique et psychosociologique et désigne, end’autres mots, les effets psychosociolo-giques liés à l’éloignement physique des tra-vailleurs, dans le cadre d’une relation d’em-

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ploi – donc d’un lien de subordination oud’une relation de contrôle.

II – DEGRÉ DE DÉSPATIALISATIONET EFFETS MULTIPLES

Il apparaît, même intuitivement, que ladéspatialisation peut avoir une intensité dif-férente, ce qui nous amène à caractériser ledegré de déspatialisation, c’est-à-dire l’in-tensité avec laquelle la distance – physiqueet psychosociologique – constitue un enjeutant pour le management que pour le tra-vailleur. Le degré de déspatialisation quenous définissons au terme de cette sectionpeut, dès lors, constituer un outil de dia-gnostic pour le management.

1. Fréquence de l’arrangement

La fréquence est certainement l’élément leplus déterminant dans la définition du degréde déspatialisation. La fréquence, c’est-à-dire la proportion du temps de travail totalpassé à travailler à distance, détermine l’am-pleur des conséquences de la déspatialisa-tion sur les variables de la relation d’emploi(telles que l’implication, la loyauté, la satis-faction, etc.). Au plus un individu travaille àdistance, au plus il se sentira isolé (Kurlandet Cooper, 2002). Cette dimension est d’au-tant plus critique que l’on sait que le télétra-vail permanent est marginal. En effet, dansles enquêtes actuelles, l’hybridité ou le télé-travail pendulaire (c’est-à-dire l’alternanceentre des temps de télétravail et de non-télé-travail) sont les configurations les plusobservées (ESWC, 2008; Sibis, 2003).Ce n’est que depuis le milieu des annéesquatre-vingt-dix que la fréquence est consi-dérée comme un facteur critique dansl’étude du travail à distance. Avant cela, lalittérature envisageait ces nouvelles formes

d’organisation du travail comme des arrange-ments permanents (Bailey et Kurland, 2002).Cependant, certaines formes de travail déspa-tialisé ne sont souvent pratiquées qu’à tempspartiel (Mannering et Mokhtarian, 1995 ;Feldman et Gainey, 1997). La mesure de lafréquence permet, dès lors, une analysebeaucoup plus fine des effets du travaildéspatialisé (Allen et al., 2003 ; Peters et al.,2004 ; Halford, 2005). Les enquêtes empi-riques européennes distinguent les arrange-ments occasionnels (moins de 20 % dutemps de travail total) des arrangementsconsidérés comme réguliers (où le travail àdistance concerne 20 % ou plus du temps detravail total) (SIBIS, 2003).

2. Degré d’isolement du travailleur

L’autre élément que nous avons identifiépour composer le degré de déspatialisationest le degré d’isolement du travailleur. L’onconsidère, en effet, que le travail déspatia-lisé convient mieux aux travailleurs isolés,c’est-à-dire n’ayant pas besoin de beaucoupd’interactions en face-à-face (voir parexemple Baruch et Nicholson, 1997). Cetisolement peut à la fois faire référence àl’insertion dans un collectif de travail et à laplace de la fonction dans le processus deproduction.Comme exposé précédemment, la notion dedéspatialisation recouvre une dimensionobjective (la distance physique, liée à lavisibilité du travailleur) mais aussi unedimension psychosociologique qui faitréférence à des dimensions subjectives de larelation d’emploi : le sentiment d’implica-tion, les valeurs ou encore les interactions.L’on peut donc distinguer un isolement phy-sique, lié à l’absence de contacts physiquesavec l’environnement de travail et les col-lègues, et un isolement social, lié à l’ab-

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sence de soutien, de compréhension et des

autres aspects sociaux et émotionnels liés

aux interactions (Taha et Caldwell, 1993).

Dans la littérature en sociologie et en psy-

chologie, l’isolement social n’est pas spé-

cialement lié à un éloignement physique,

même s’il est admis que celui-ci peut

accentuer la perte de relations sociales. Or,

une caractéristique essentielle du degré de

déspatialisation est la simultanéité de ces

deux formes d’isolement (social et phy-

sique). Naturellement, l’on peut imaginer

qu’un isolement physique n’entraîne qu’en-

suite un isolement social, en fonction de la

manière dont le premier sera vécu, tout

comme l’inverse est vrai également : un iso-

lement social vécu sur le lieu de travail peut

mener à un certain isolement physique

(éloignement du lieu de travail pour causes

de maladie, dépression, etc.).

C’est donc l’isolement social, consécutif de

l’éloignement du travailleur (c’est-à-dire

d’un isolement physique) qui caractérise le

travail déspatialisé. Selon Taha et Caldwell

(1993, p. 278), l’isolement social dépend du

degré d’interaction sociale, lui-même fonc-

tion de cinq variables distinctes : 1) les

déterminants situationnels de l’environne-

ment organisationnel ; 2) les caractéris-

tiques du groupe considéré (taille, normes

sociales, leadership) ; 3) les caractéristiques

de la tâche (réactivité, structure et durée,

type et nombre d’informations partagées) ;

4) la technologie du médium de communi-

cation (facilité d’usage et performance) ; et

5) les caractéristiques individuelles (per-

sonnalité, statut, motivations). Si ces élé-

ments peuvent contribuer à définir le carac-

tère de « travaillabilité à distance » d’un

individu, selon Vega et Brennan (2000),

leur opérationnalisation peut s’avérer

lourde et supposer l’accès à de nombreuses

informations rarement disponibles et diffi-

cilement interprétables (personnalité, type

de leadership, etc.).

C’est la raison pour laquelle ces auteurs

identifient une série de facteurs organisation-

nels associés à différents éléments de l’isole-

ment social, selon deux catégories distinctes

qui semblent déterminer le degré d’interac-

tion: des facteurs organisationnels externes

aux travailleurs (c’est-à-dire sur lesquels le

travailleur n’a pas directement prise) et des

facteurs internes au fonctionnement du

groupe (Vega et Brennan, 2000, p. 473-476,

cf. tableau 1).

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Tableau 1 – Facteurs organisationnels et isolement social

Source : Vega et Brennan (2000).

Facteurs externes

Intégration communautaire : le degré de ce

type d’intégration dépend de la structure

organisationnelle (ex. : hiérarchie) et peut varier

de la déconnexion à la communauté totale

Interactions collégiales : ces interactions

(activités de socialisation, réunions, etc.)

réduisent le sentiment d’isolement

Facteurs internes

Normes et valeurs groupales : l’existence de

normes de groupes de même que l’acceptation et

l’implication aux valeurs du groupe sont associés

avec un risque moindre d’isolement social

Interactions en face-à-face : cette variable

désigne les opportunités d’avoir des échanges

en face-à-face (informels, principalement)

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Selon Vega et Brennan (2000), lorsque lestravailleurs partagent le même lieu de tra-vail au même moment, ces opportunitéssont supérieures et garantissent une faibleperception d’isolement social. Le sentimentd’isolement social est un construit quicaractérise la déspatialisation : un tra-vailleur ressent d’autant plus la distance sila fréquence de l’arrangement est impor-tante et s’il se sent isolé par rapport à sonenvironnement de travail1 (voir par exempleGolden et Veiga, 2005). C’est la raison pourlaquelle, en liant certains facteurs organisa-tionnels au sentiment d’isolement, nousidentifions le degré d’isolement d’un tra-vailleur à distance (cf. tableau 2).Le lien entre déspatialisation et isolement aété identifié dans la littérature. Sans fairedirectement référence à la notion de déspa-tialisation, Rokach (1997) montrait ainsique la mobilité et les relocalisations des tra-vailleurs affectent directement le sentimentd’isolement en réduisant les relations inter-

personnelles, ces dernières jouant, selonSchein (1990), un rôle fondamental dans lacréation et le partage d’une culture organi-sationnelle. D’autres études en comporte-ment organisationnel ont identifié des effetsnégatifs du télétravail sur l’identité sociale,le support organisationnel perçu ou l’impli-cation organisationnelle (Bélanger, 1999 ;Harris, 2003), autant de variables qui carac-térisent le sentiment d’isolement tel quenous l’avons défini.Par ailleurs, l’isolement contribue à distin-guer les profils des travailleurs à distance.L’on sait, par exemple, que des travailleursmobiles (contrôleurs, installateurs, consul-tants ou encore représentants commerciaux)ressentiront moins le sentiment d’isolementque des télétravailleurs à domicile, à fré-quence comparable, parce que les premierssont moins insérés dans des collectifs de tra-vail stables mais plutôt dans des réseaux orga-nisés autour de projets limités dans le temps(voir Daniels et al., 2001; Vendramin, 2004).

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1. Notons que les différentes dimensions identifiées par Vega et Brennan peuvent être plus facilement opérationnali-sées et servir, dès lors, d’outil de diagnostic. Un questionnaire de quelques items permettrait d’interroger ces dimen-sions d’implication (connaissance des valeurs), d’interactions (fréquence des échanges en face-à-face avec les col-lègues et supérieurs) et de socialisation (tactiques mises en place). Les échelles éprouvées et développées par Chaoet al. (1994), Kanungo (1982) et Parasuraman et Simmers (2001) pouvant convenir à cette opérationnalisation.

Tableau 2 – Lien entre les facteurs organisationnels et l’isolement social

Source : Vega et Brennan (2000).

État objectif État subjectif d’isolement social

d’isolement social Probabilité réduite Probabilité accrue

Intégration communautaire Communauté intégrée Séparation et déconnexion

Collégialité des interactions Accès aux collègues Pas d’accès aux collègues

Identifiables, Pas de sens de normesNormes et valeurs du groupe comprises collectives, incompréhension

et implication et/ou rejet des valeurs

Interaction en face-à-face Coprésence Séparation totale

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De plus, parce que l’isolement social restel’inconvénient le plus souvent cité par lestravailleurs à distance (principalement àdomicile, voir par exemple Bailey et Kurland, 2002), ce qui témoigne certaine-ment de la prégnance de cet enjeu pour lagestion : l’isolement est un problème pourle travailleur mais aussi pour l’organisationcar il peut affecter négativement certainescomposantes de la relation d’emploi,comme l’implication organisationnellevoire le processus de transfert des connais-sances (Taskin, 2006 ; Pontier, 2004).Il y a cependant deux limites majeures à lamobilisation de cette notion d’isolementsocial. Premièrement, une importante partde la littérature consacrée à l’étude de l’iso-lement considère celui-ci comme étantimposé au travailleur (Diekema, 1992), cequi explique l’intensité des effets négatifsidentifiés, comme l’aliénation par exemple.Or, dans le cas du travail déspatialisé sala-rié, le choix de travailler à distance est sou-vent volontaire, comme dans le cas du télé-travail à domicile alterné. L’isolement peutdonc être choisi délibérément pour des rai-sons diverses telles que le désir d’échapperau collectif de travail. Néanmoins, dans lessituations de travail mobile et virtuel (cf.infra), la déspatialisation semble bien être

imposée. Deuxièmement, comme l’illustrele tableau 2, cette littérature ne considèreque le passage définitif d’un état à un autre,où ce lien social est mis à mal. Dans le casde la déspatialisation, l’isolement peut êtrerelatif, en fonction de la fréquence de l’ar-rangement.

III – UN INDICE DE DIAGNOSTIC

L’intensité avec laquelle les effets subjectifsde l’isolement social se font ressentir estfonction de la fréquence de l’arrangement(Kurland et Cooper, 2002), ce qui justifie ladéfinition donnée au degré de déspatialisa-tion. Ce dernier est fonction de la fréquencede l’arrangement considéré et du degré d’iso-lement associé à la fonction et donc au tra-vailleur. Avec une fréquence élevée et un iso-lement social associé à la fonction faible (cequi témoigne d’une forte insertion dans uncollectif de travail et de nombreuses interac-tions), l’impact de la déspatialisation sur l’or-ganisation et le travailleur sera important et,donc, la nécessité d’adapter les pratiques degestion sera forte. Le degré de déspatialisa-tion est donc une fonction positive de la fré-quence et négative de l’isolement, en réfé-rence aux corrélations entre le degré dedéspatialisation et ses deux composants. En

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Tableau 3 – Degré de déspatialisation

Note : 0 : nul, - : faible ; -/+ : modéré ; + : élevé.

FréquenceIsolement social de la fonction

Faible Fort

Moins d’1 jour/semaine - 0

1 à 3 jours/semaine -/+ -

Interaction en face-à-face + -/+

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croisant ces deux facteurs, l’on obtient desgrandeurs qui caractérisent le degré de déspa-tialisation, comme illustré dans le tableau 3.Ces grandeurs sont des prospectives baséessur les développements théoriques précé-dents et sur la littérature existante.En conclusion, le degré de déspatialisationconstitue un indicateur de l’acuité aveclaquelle la déspatialisation peut affecterl’organisation (employés et management).Il s’utilise tel un outil de diagnostic etcaractérise l’effet potentiel de la déspatiali-sation pour l’organisation.

IV – FORMES DE TRAVAILDÉSPATIALISÉ

Le degré de déspatialisation nous permetd’appréhender l’intensité avec laquelle leschangements organisationnels et de gestionvont se poser pour les travailleurs et lemanagement. Néanmoins, ces enjeux peu-vent aussi être influencés par d’autres élé-ments qui structurent les formes de travaildéspatialisé. Comme évoqué précédem-ment, l’expérience de la déspatialisation nesera pas la même pour un travailleur àdomicile permanent et pour un consultantdu secteur IT qui combine différents lieuxde travail, par exemple. Au-delà du degré dedéspatialisation, c’est le type de travaildéspatialisé qui diffère.

1. Un cadre multidimensionnel

Les formes de travail déspatialisé sont fonc-tion de quatre dimensions principales : 1) le degré de déspatialisation qui intègreles éléments de fréquence et d’isolement ; 2) le degré de dispersion, qui fait référenceau(x) lieu(x) de travail ;

3) le degré d’autonomie du travailleur ; et 4) le degré d’usage des TIC.

Le degré de déspatialisation

Il désigne l’intensité avec laquelle la déspa-tialisation remet en cause les pratiques exis-tantes, tant pour le travailleur que pour lemanagement. Ce degré est fonction de lafréquence de l’arrangement de travaildéspatialisé et du degré d’isolement socialde la fonction considérée.

Le degré de dispersion

Les lieux depuis lesquels le travail déspa-tialisé est réalisé peuvent varier : il peutaussi bien s’agir du domicile, d’un bureausatellite, des locaux des clients ou desmoyens de transport. Ces différents lieuxpeuvent naturellement se combiner entreeux (Hilsop et Axtell, 2007), donnant lieu àun degré de dispersion élevé si le tra-vailleur est amené à partager son tempsentre plusieurs lieux de travail différents dubureau traditionnel. Ces différents espacesont pourtant des effets différents sur lesdimensions de la relation d’emploi que l’onpeut considérer2. Le lieu de travail contri-bue également à définir les frontières entrevie professionnelle et vie familiale, demême que le contrôle discrétionnaire oupersonnel que le télétravailleur peut avoiren matière de gestion du temps et de l’es-pace de travail.

Le degré d’autonomie

Le degré d’autonomie du travailleur faitdirectement référence au contrôle qu’il peutexercer sur l’organisation de son travail. Parexemple, la flexibilité dans la capacité defixer les horaires de travail est une caracté-

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2. Par exemple, en comparant le télétravail à domicile et en télécentre, Walrave et De Bie (2005) ont illustré que lepremier avait un impact largement supérieur sur le sentiment d’isolement que le second.

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ristique importante des arrangements detravail à distance.

Le degré d’usage des TIC

Cette dernière catégorie fait référence àl’intensité du recours aux TIC, où un faibleusage des TIC correspond à l’accès à dis-tance au réseau de l’organisation (e-mail etapplications) alors qu’un usage importantdes TIC dans le cadre du travail à distanceinclut les facilités telles que les logiciels detravail collaboratif et la panoplie des outilsde communication portables tels que lesordinateurs portables, et autres combinés.D’autres facteurs contextuels et personnelssont parfois mobilisés pour caractériser lesformes de travail déspatialisé, auxquellesnous faisons référence dans la section sui-vante, tels que le degré de formalisation del’arrangement de travail à distance, la flexibi-lité des horaires ou la situation hiérarchique(Allen et al., 2003; Feldman et Gainey,1997). Toutefois, ces facteurs restent margi-naux, caractérisent davantage le contexteorganisationnel ou le salarié que la forme detravail déspatialisé (la formalisation de l’ar-rangement est ainsi souvent fonction de lastructure organisationnelle alors que la situa-tion hiérarchique s’attache à l’individu) etapparaissent corrélés avec les quatre élé-ments que nous avons pris en compte (parexemple, la dimension de la flexibilité deshoraires est prise en compte dans ce que nousappelons le degré d’autonomie).

2. Présentation des formes de travaildéspatialisé

L’acuité des enjeux posés par le travail à dis-tance en matière de management sera doncfonction de la forme du travail déspatialisé,défini selon les dimensions présentées ci-dessus et illustré par la figure 1. La distinc-

tion conceptuelle opérée dans les lignes sui-vantes paraît particulièrement utile alors queces formes de travail à distance ont parfoistendance à être confondues (Hilsop et Axtell,2007; Thomsin et Tremblay, 2007).

Le travail à domicile

Le travail à domicile désigne une forme detravail effectué au foyer soit pour l’industriemanufacturière, soit pour celle des services.Il entre dans la catégorie des emplois sala-riés, dans laquelle le travailleur est en réa-lité subordonné à un employeur, même s’iléchappe à son contrôle direct (Commissioneuropéenne, 1995). Ce travail peut êtremanuel ou intellectuel, mais ne nécessitepas le recours aux TIC.À maints égards, le travail à domicile est laforme historique de toutes les autres catégo-ries de travail déspatialisé. Avant que la révo-lution industrielle n’amène le travail dansdes usines, l’artisan réalisait son activité àdomicile. C’était notamment le cas dans lesecteur textile où les canuts travaillaient chezeux pour leurs patrons soyeux qui, sanscontrôler le processus de production, ache-taient les pièces tissées en fonction de leurqualité (Seltzer, 1997). Ce type de travail à lapièce est moins observable de nos jours,même si certains prestataires de servicecomme les gardiennes d’enfants ou les cou-turières peuvent s’y retrouver. Il est cepen-dant important de noter qu’il ne s’agit alorspas, la plupart du temps, de travail salarié.Le travail à domicile se caractérise dès lorspar un recours nul aux TIC, le plus souventpar une fréquence élevée (le travail à domi-cile constitue le mode d’exercice principal del’activité professionnelle), par un degré d’iso-lement élevé s’agissant la plupart du tempsd’un travail solitaire et individuel requérantpeu de communication avec l’entourage pro-

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fessionnel au-delà des quantités à fournir etdes délais, par un degré d’autonomie relative-ment faible dans la mesure où la cadence detravail ne laisse que peu de latitude quant àl’organisation du travail et finalement, ce typede travail déspatialisé est exclusivement loca-lisé au domicile du travailleur.

Les équipes virtuelles

Les équipes virtuelles se caractérisent par ladispersion spatiale et temporelle de leursmembres ainsi que par un cycle de vielimité (Bell et Kozlowski, 2002). Première-ment, les membres d’une équipe virtuellepeuvent travailler ensemble même s’ils

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Figure 1 – Formes de travail déspatialisé

Note : * + correspond à une situation où il y a plus d’un lieu de travail déspatialisé.** - - correspond à une situation où les TIC ne sont pas utilisées.

Forme de travail Degré de Degré Degré de Degrédéspatialisé déspatialisat. d’autonomie mobilité* usage TIC**

Travail à domicile + - - - -

Équipes virtuelles + + + + +

Télétravail mobile + + + +

Télétravail à domicile -/+ -/+ - -/+

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appartiennent à différentes organisations,différents lieux et fuseaux horaires. Leséchanges entre les travailleurs sont réalisésau-delà de l’espace, du temps et de la cul-ture (DeSanctis et al., 1999) réduisantmême les frontières et la forme des organi-sations à l’accès aux TIC (Cascio, 1999 ;Davidow et Malone, 1992). Deuxièmement,les équipes virtuelles sont considéréescomme des systèmes temporaires c’est-à-dire « un ensemble d’individus compétentset travaillant ensemble pour l’exécutiond’une tâche complexe et durant une périodelimitée » (Meyerson et al., 1996, p. 169).En ce sens, une équipe virtuelle peut êtreconstituée par des membres qui travaillentet collaborent ensemble sans se rencontrerjusqu’à la fin de la tâche qui leur est assi-gnée et qui détermine sa durée de vie(Jarvenpaa et al., 1998 ; Kanawattanachai etYoo, 2002).Ces travailleurs déspatialisés se caractéri-sent par leur polyvalence, leur flexibilité etleur indépendance (Stanworth, 1998, p. 52).Cette forme de travail déspatialisé est dèslors fortement liée au secteur des serviceset, plus précisément, aux métiers de laconnaissance. Il s’agit d’une sorte de miseen réseau de spécialistes travaillant à larésolution de problèmes spécifiques pou-vant prendre la forme de communautés depratiques, à un niveau international.Les équipes virtuelles se caractérisent parun recours important aux TIC qui sont lemédia presque exclusif utilisé par les tra-vailleurs. Ainsi, outre les applications clas-siques que sont la messagerie électroniqueet l’intranet, les équipes virtuelles tra-vaillent en temps réel sur des projets locali-sés sur un même réseau et ont recours à deslogiciels de travail adaptés au travail colla-boratif à distance ainsi que des outils de

communication plus développés (visiocon-férence, agenda partagé). Le travail peuts’effectuer depuis plusieurs endroits (télé-centre, domicile, entreprise tierce, parexemple), mais la multilocalisation tientsurtout au fait de la dispersion géogra-phique liée aux pays impliqués. Le travailse structurant très fortement autour de pro-jets spécifiques, les travailleurs virtuelsjouissent d’une très large autonomie dans lamanière d’organiser le travail, tant que lesdélais sont respectés. Du point de vue del’entreprise coordinatrice du projet, la fré-quence de l’arrangement est permanente,proportionnellement au temps alloué auprojet et à la durée de vie de celui-ci. Ledegré d’isolement est fort, c’est la logiqueréseau qui prévaut : les travailleurs sontinterreliés entre eux par les projets sur les-quels ils travaillent, mais ces collectifs detravail restent temporaires et virtuels. Lesentiment d’autonomie est fort, tout commele sentiment d’indépendance.

Le (télé)travail mobile

Dans le cas du (télé)travail mobile, le travailest effectué par des individus amenés àvoyager et à travailler en différents endroits.On parle de télétravail mobile lorsque ceux-ci ont recours aux TIC dans l’exercice deleur travail mobile (Gray et al., 1993). Dansle cas du télétravail mobile, les TIC sont uti-lisées intensivement, tout d’abord pour per-mettre et augmenter la flexibilité spatialedes travailleurs (où – et par conséquent –quand ils travaillent) et ensuite pouraccroître leur productivité en autorisant, parexemple, un accès à distance aux bases dedonnées lors de visites chez des clients. Letravail et les communications peuvent ainsiavoir lieu depuis des endroits divers commeles bureaux des clients, les transports, les

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logements (hôtel) et tout autre endroit l’au-torisant. Cette multiplicité des lieux de tra-vail est propre à cette catégorie de travaildéspatialisé.L’usage des TIC différencie donc les télétra-vailleurs mobiles des travailleurs mobilesou nomades, comme les représentants decommerce. D’après Gareis (2003), cettedistinction ne tient pas seulement dansl’usage mobile des TIC mais aussi et sur-tout dans l’intégration permanente des tra-vailleurs dans la transmission de l’informa-tion au sein de l’organisation, y comprislors de déplacements. Le télétravail mobileest le plus souvent pratiqué par des cadres-experts (ce qui correspond à la catégorieanglo-saxonne des « professionnels »,c’est-à-dire des consultants et responsablesde projets) alors que le personnel techniqueconstitue l’essentiel des travailleursmobiles (Thomsin et Tremblay, 2007). Cesderniers réalisent leur travail depuis deslieux multiples, et ce y compris les contrô-leurs ou les services techniques intervenantauprès de clients sans pour autant avoirrecours aux TIC. Notons toutefois que cettedistinction est appelée à s’effacer dans lamesure où l’on observe un recours croissantà ces technologies, même dans le cadre deces métiers (agenda partagé, facturation àdistance et transmission de rapports ou dedonnées). Enfin, notons qu’il est parfois faitréférence au travail mobile pour désignerl’ensemble des formes de télétravail, à l’ex-ception du domicile, dans une acceptiontrop large.Le télétravail mobile se caractérise donc parun recours important aux TIC, permettantde garder le contact avec l’entreprise, entout lieu et à tout moment. Travaillant demanière indépendante et individuelle, ledegré d’isolement des travailleurs est en

général élevé, proportionnellement à la fré-quence du temps alloué à cette mobilité. Ledegré de déspatialisation est donc élevé. Encorollaire, l’autonomie en matière d’organi-sation du travail est importante, même sides objectifs quantitatifs précis et des dead-lines peuvent être fixés par jour, semaine oumois. Ce sera le cas des techniciens qui doi-vent respecter un certain nombre de visitespar jour, par exemple. Dans ce dernier cas,l’autonomie est très relative. Finalement, ledegré de dispersion apparaît élevé, les lieuxde travail différents pouvant se succéder.

Le télétravail à domicile

Le télétravail à domicile désigne l’exerciced’une activité professionnelle, en tout ou enpartie, à domicile et au moyen des TIC. Enfonction de la fréquence de temps passé audomicile, le télétravail peut être occasionnel(moins d’un jour par semaine), alterné(entre 1 et 4 jours) et permanent (plus de 4jours). Cette dernière forme n’est cepen-dant pas significative (cf. enquêtes SIBIS,2003 ; Cefrio, 2001 ; ECaTT, 2000), ce quiexplique qu’elle n’est pas représentée sur lafigure 2 (elle se trouverait intercalée entre letravail à domicile et le centre d’appels).Cette forme de télétravail reste la pluspopulaire et la plus étudiée à l’image desétudes d’envergure et des monographiesréalisées par le Cefrio.Le télétravail à domicile se caractérise parun recours aux TIC directement proportion-nel au degré de déspatialisation : dans unesituation où il est pratiqué occasionnelle-ment, seul le recours à la messagerie élec-tronique est le plus souvent prévu ; lorsquela fréquence est égale ou supérieure à unjour par semaine, le matériel informatiqueest fourni par l’employeur et, outre l’usagedu mail, des accès à distance au réseau de

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l’organisation sont prévus de même quel’usage de programmes informatiques spé-cifiques, comme le recours à des espacesréseaux ou au téléphone via internet.

CONCLUSION

Présentée comme l’enjeu central des trans-formations des modes de gestion en situa-tion de travail à distance, la déspatialisationdésigne les effets psychosociologiques liésà l’éloignement physique du travailleur,dans le cadre d’une relation d’emploi,c’est-à-dire d’une relation de subordina-tion. Cette notion permet d’étudier simulta-nément les enjeux de gestion liés à diffé-rentes formes de travail déspatialisé,considérées indépendamment les unes desautres jusqu’ici. En effet, et au-delà deleurs caractéristiques propres qui ont étéprésentées précédemment, une conver-gence forte semble apparaître lorsque l’onse concentre sur les enjeux de gestion liés àces formes d’organisation du travail et,principalement, en matière de gestion de ladistance. La prise en compte de ces effetspsychosociologiques, tels que le sentiment

d’isolement social, amène le managementà adopter des politiques de gestion des res-sources humaines adaptées au travaildéspatialisé en agissant sur certains leviers,notamment en matière de socialisationorganisationnelle, de gestion des carrièreset de communication. Ces stratégies nesont pas l’objet de cette contribution, ellescaractérisent les recherches récentesmenées sur le sujet qui soulignent l’impor-tance de repenser la relation d’emploi et lerôle du management dans ces situationsparticulières (voir, par exemple, Taskin etEdwards, 2007 ; Thatcher et Zhu, 2006 ;Dambrin, 2004 ; Deffayet, 2002).L’apport majeur de cette contribution résidedans la conceptualisation de la déspatialisa-tion, notion qui cristallise les enjeux ges-tionnaires liés au travail à distance. À cetitre, elle ouvre de nouvelles pistes derecherche et d’intervention d’autant plusriches et prometteuses que plusieurs littéra-tures jusqu’ici distinctes pourraient à pré-sent se rencontrer. Car cette perception de ladistance par les acteurs semble bien se réfé-rer à un processus universel dans le cas dutravail à distance, quelle que soit sa forme.

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