la constitution europeenne : pour ou contre ?

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La Constitution européenne : pour ou contre ? Guide pratique pour comprendre les enjeux du projet de Constitution européenne et adopter une position syndicale de combat Les Cahiers du Militant n°2 mars 2005

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Page 1: La constitution europeenne : pour ou contre ?

La Constitution européenne:pour ou contre?Guide pratique pour comprendre les enjeux

du projet de Constitution européenne et

adopter une position syndicale de combat

L e s C a h i e r s d u M i l i t a n t n ° 2 • m a r s 2 0 0 5

Page 2: La constitution europeenne : pour ou contre ?

FGTB de Bruxelles34 boulevard de l’Empereur

1000 Bruxelles

Tél. 02 552 03 30

Centrale Culturelle Bruxelloise34 boulevard de l’Empereur

1000 Bruxelles

Tél. 02 512 66 66

Avec le soutien du Centre d’Education Populaire André Genot

et du Service de l’Education permanente du Ministère de la Communauté française

Depôt légal : D/2005/10.441/1

Page 3: La constitution europeenne : pour ou contre ?

Table des matières

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

I. Eléments d'histoire de la construction européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

II. Architecture de l'Union européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

III. Une Constitution ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

IV. Les objectifs économiques et sociaux de l'Union : de bonnes intentions... . . . . . . . . . . 13

V. Services publics : le statu quo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

VI. Droits fondamentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

VII. Dialogue social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

VIII. Droit de grève . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

IX. Des institutions plus démocratiques ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

X. Un système de prise de décision plus efficace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

XI. La laïcité en péril? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

XII. L'Union européenne : plus forte sur la scène internationale ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

XIII. Quel positionnement syndical ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

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CES, afin de déterminer une positionpropre.

La FGTB de Bruxelles est ainsi invitée àse positionner dans ce large débat quianime le monde politique et la sociétécivile, et à se prononcer en faveur ou endéfaveur de la ratification du projet deConstitution européenne.

Après un rappel de l’évolution de laconstruction européenne et de l’organi-sation institutionnelle de l’Union euro-péenne, nous analyserons neuf thèmesfondamentaux, tout en soulignant lesapports positifs ou négatifs du projet deConstitution européenne : la notion deConstitution, les objectifs de l’Unioneuropéenne, la question des servicespublics, les droits fondamentaux, ledroit de grève, le dialogue social, ladémocratie européenne, la laïcité et lesrelations internationales.

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Le 18 juin 2004, les Chefs d’Etat et de

Gouvernement des 25 Etats membres

de l’Union européenne ont adopté de

commun accord le traité établissant

une Constitution pour l’Europe, dési-

gné plus communément comme le

Projet de Constitution européenne.

Le 29 octobre 2004, s’est ouverte la

phase des ratifications nationales :

chaque Etat devra soumettre le projet

de Constitution à l’approbation de ses

citoyens, soit par l’organisation d’un

référendum, soit par un débat et un

vote au Parlement. Le projet de Consti-

tution sera définitivement adopté

lorsque tous les Etats auront ainsi rati-

fié le texte proposé. Attention : le texte

est définitif et ne peut pas être modifié

au cours des ratifications. Il est évidem-

ment à prendre ou à laisser.

Les 13 et 14 octobre 2004, le Comité

exécutif de la Confédération Européen-

ne des Syndicats (CES) a adopté une

résolution en faveur du projet de Consti-

tution européenne.

Le 26 octobre 2004, le Bureau fédéral

de la FGTB a néanmoins décidé d’ouvrir

le débat au sein de notre organisation,

indépendamment de la résolution de la

Introduction

Page 5: La constitution europeenne : pour ou contre ?

I – Eléments d’histoire de la construction européenne

Après le chaos des deux guerres mon-diales, des hommes politiques commeJean Monnet, Robert Schuman et Konrad Adenauer ont travaillé ensembleautour d’un projet européen.

L’objectif : la paix. La méthode :la solidarité, la coopération et l’interdépendance des économies nationales

La CECA (Communauté économique ducharbon et de l’acier) et la CEE (Commu-nauté économique européenne) s’ins-crivent dans cet esprit.

En 1953, l’Allemagne de l’Ouest, laFrance, l’Italie, la Belgique, les Pays-Baset le Luxembourg décident de gérer encommun leurs productions de charbonet d’acier.

L’enjeu premier est le “réarmementindustriel” des ennemis d’hier, face à la menace nouvelle de l’URSS. Afind’éviter d’être à nouveau opposés l’un àl’autre, ces six états confient la gestionde leur appareil industriel à une autori-té supérieure (supranationale), la CECA,dont les décisions s’imposent désor-mais à eux.

L’objectif politique est bien la paix ; lemoyen pour y parvenir, c’est la dépen-dance des Etats entre eux dans ledomaine de la production et de la gestion de matériaux indispensables àl’armement.

Rapidement, la CECA est remplacée parla CEE, afin de couvrir les autresdomaines d’activités économiques. Enconcluant en 1957 le traité de Rome,les six Etats fondateurs de cette Unioneuropéenne se donnent pour objectif decréer un grand marché commun desbiens et des travailleurs.

Par la suite, la CEE va s’élargir progres-sivement à d’autres Etats, pour formerl’Union européenne composée aujour-d’hui de 25 Etats.

Depuis 1957 se sont mises en place,peu à peu, la libre circulation des capi-taux et des marchandises et la libre cir-culation des travailleurs. Le traité deMaastricht (1992) consacre l’émergencede l’individu dans la construction euro-péenne, avec la reconnaissance de lacitoyenneté européenne. Le processuseuropéen ne s’arrête pas à l’économie etva progressivement concerner de plus en

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Page 6: La constitution europeenne : pour ou contre ?

plus de domaines : la politique extérieu-re, la police, la justice, la défense, lacoopération, la non-discrimination,…

Les différentes étapes de la construc-tion européenne ont fait l’objet de trai-tés successifs : le traité de Rome, l’Acteunique européen, les traités de Maas-tricht, d’Amsterdam et de Nice.

Le projet de Constitution européennereprend, en les retouchant ça et là et enles complétant par de nouvelles disposi-tions, ces différents textes. Il est né dusouci de fixer le cap de l’Union euro-péenne pour les années à venir ; il est le fruit d’un long débat sur les finalités et sur l’efficacité de son action. Par rapport au Traité du Nice, qui, sous lapression notamment des nouveauxmembres, a sérieusement bloqué laconstruction européenne, le projet deConstitution constitue une réelle avan-cée, en dotant l’Europe d’un système de décision plus efficace.

Dès la fin des années 70, la spécula-tion sur les monnaies devient un fac-teur déstabilisant de nos économies.Les variations soudaines du taux dechange entre les différentes monnaieseuropéennes handicapent grandementles échanges commerciaux entre lesEtats membres.

La réponse européenne sera la créationdu SME (Système monétaire européen)en 1979, qui permettra une relative stabi-lité des changes monétaires. Cette stabi-lité tant souhaitée se réalisera pleine-ment avec la création, par le traité deMaastricht, de la monnaie unique: l’euro.

Mais la mise en place de l’euro s’estaccompagnée de deux grandescontraintes, qui marquent le début d’unengrenage libéral :

☛ la création d’une Banque centraleeuropéenne indépendante, quireçoit comme objectif essentiel d’assurer la stabilité des prix.

Elle ne poursuit aucun but de crois-sance ou d’emploi. Son indépendan-ce signifie qu’elle est libre de menerla politique qu’elle souhaite, sansavoir à rendre des comptes auxcitoyens européens ;

☛ la limitation à 3% du PIB des déficitspublics et la limitation de l’endette-ment des pouvoirs publics : lesEtats ne sont plus libres de déciderde leurs politiques budgétaires.

A cause de ces contraintes, les Etats sevoient désormais privés des outils tradi-tionnels de soutien à leur économie. Adéfaut d’investissements publics, lesEtats sont contraints d’attirer les inves-tissements privés.

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Page 7: La constitution europeenne : pour ou contre ?

Pour y arriver, les gouvernements n’ontsouvent plus d’autres choix que d’allégerle coût fiscal et social du travail etd’“assouplir” les contraintes légalespesant sur la durée et les conditions detravail.

Cette évolution éloigne manifestementl’Europe des aspirations sociales et poli-tiques des organisations qui défendentles intérêts des travailleurs et qui n’ontde cesse, depuis dix ans, d’appeler à lacréation d’une Europe sociale et poli-tique, c’est-à-dire à la mise en placed’outils qui permettent de maîtriser la

concurrence, de contrôler les mouve-ments de capitaux, de s’opposer auxlicenciements visant le seul confortfinancier des actionnaires, d’empêcherle dumping social et fiscal…

A la lumière de l’histoire de la construc-tion européenne et du contexte actuelde son développement, essayons devoir ce qu’apporte ou n’apporte pas leprojet de Constitution pour l’Europe.Mais avant cela, il est nécessaire d’exa-miner brièvement les institutions quiconstituent l’Union européenne.

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L’Union européenne (UE) n’est pas unefédération comme les États-Unis. Ellen’est pas non plus une organisation decoopération entre gouvernementscomme les Nations unies.

Elle est autre chose : les pays qui la for-ment (les “États membres”), exercentleur souveraineté en commun pouracquérir sur la scène mondiale unepuissance et une influence qu’aucund’entre eux ne saurait posséder seul.

Cela signifie, dans la pratique, que lesÉtats membres délèguent une partie deleurs pouvoirs de décision, de leur sou-veraineté, aux institutions communesqu’ils ont mises en place.

Ainsi, les décisions sur certains thèmesd’intérêt commun peuvent être prisespar un processus législatif européen.

Les directives et les règlements adoptéspar l’UE ont la même force que nos lois.Les pouvoirs publics nationaux et tousles citoyens européens sont dans l’obli-gation de les respecter sous peine desanctions devant les tribunaux natio-naux et européens.

Le système décisionnel européen

associe trois grandes institutions :

☛ La Commission européenne: elle a

pour mission de défendre les inté-

rêts de l’Union européenne dans son

ensemble. Elle est le moteur du sys-

tème institutionnel européen : elle

propose la législation, les politiques

et les programmes d’action et elle

est responsable de la mise en

œuvre des décisions du Parlement

et du Conseil.

☛ Le Conseil de l’Union européenne:

il représente les États membres. Il

adopte, à l’unanimité ou à la majori-

té qualifiée selon les matières, la

législation européenne.

☛ Le Parlement européen: il repré-

sente les citoyens européens. Ses

membres sont élus au suffrage

direct. Pour certaines matières, il

participe, avec le Conseil, à l’adop-

tion de la législation européenne : on

parle alors de codécision.

Ce “triangle institutionnel” définit les

politiques et arrête les actes législatifs

(directives, règlements et décisions) qui

s’appliquent dans toute l’UE.

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II – Architecture de l’Union européenne

Page 9: La constitution europeenne : pour ou contre ?

On voit qu’en règle générale, il appar-

tient à la Commission de proposer de

nouveaux actes législatifs européens, et

au Conseil, et parfois au Parlement, de

les adopter.

Deux autres institutions jouent un rôle

essentiel : la Cour de Justice, qui veille

au respect du droit européen et la Cour

des Comptes, qui contrôle le finance-

ment des activités de l’Union. Ce sont

de véritables tribunaux européens qui

peuvent prendre des sanctions à l’égard

des Etats et de leurs citoyens.

Ces institutions ont été créées par les

traités, qui sont la base de tous les

actes de l’UE. Les traités sont adoptés

par les chefs d’État et de gouvernement

des États membres et ratifiés par leurs

parlements. Ils définissent notamment

les règles et les procédures que les ins-

titutions de l’UE doivent observer pour

exercer leurs compétences.

Outre ces institutions, l’Union européen-

ne compte plusieurs autres organes

dont le rôle est spécialisé :

☛ les Fonds structurels (FSE, FEDER,…)

qui redistribuent une “petite” partie

de la richesse produite au niveau

européen en faveur notamment

de projets de formation des tra-

vailleurs, de développement des

régions en reconversion industrielle

ou en retard de développement, d’ai-de à l’agriculture,…

☛ la Banque centrale européenne quigère l’Euro ;

☛ la Banque européenne d’investis-sement ;

☛ le Fonds européen d’investisse-ment ;

☛ le médiateur européen ;

☛ le contrôleur européen de la pro-tection des données ;

☛ …

L’UE se compose aussi d’une série d’or-ganes consultatifs (c’est-à-dire d’organesqui donnent des avis non contraignants) :le Comité économique et social euro-péen et le Comité des Régions.

Enfin, l’UE rassemble les citoyens euro-péens, c’est-à-dire les individus qui ont lanationalité d’un des Etats membres. Cescitoyens ont, en principe, le droit de circu-ler et de résider librement sur l’ensembledu territoire de l’UE, le droit de vote etd’éligibilité aux élections européennes etcommunales, le droit de pétition auprèsdu Parlement, le droit de recourir auprèsdu Défenseur du Peuple Européen et ledroit de communiquer avec les institu-tions et organismes européens dans unedes langues de la Constitution.

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Page 10: La constitution europeenne : pour ou contre ?

Le texte proposé s’appelle “Traité établis-

sant une Constitution pour l’Europe”.

La première question qui vient à l’esprit

est bien sûr la suivante : qu’est-ce

qu’une Constitution ?

On entend par Constitution un texte fon-

dateur qui définit les grands principes

d’organisation et de fonctionnement

d’une collectivité et les droits et libertés

de ses membres.

Ces grands principes forment un cadre,

à l’intérieur duquel les gouvernements

mènent leurs politiques.

Une Constitution est donc ordinaire-

ment un texte assez court, qui n’entre

pas dans les détails : il définit des

grands principes que tous, citoyens,

acteurs politiques, juges et administra-

tions devront respecter. Ainsi, par

exemple, une loi votée par la majorité

d’un Parlement d’un Etat n’est valable

que si elle est conforme à la Constitu-

tion de cet Etat.

Le projet de Constitution européenne

ne ressemble assurément pas à ce

modèle. Il comporte 453 articles, 36

protocoles, 2 annexes et 39 déclara-

tions, qui règlent dans les détails des

questions politiques habituellement

tranchées par les gouvernements. A

priori, il semble donc que ce texte se

donne un nom (“Constitution pour l’Eu-

rope”) qui ne correspond pas vraiment à

ce qu’il est en réalité. Il s’agit plutôt d’un

traité international, qui reprend et

retouche les 5 traités précédents : le

traité de Rome, l’Acte unique européen,

les traités de Maastricht, d’Amsterdam

et de Nice.

Cependant, on l’a vu, le texte se présen-

te bien lui-même comme une Constitu-

tion. Ainsi l’article I-6 précise-t-il que “la

Constitution et le droit adopté par les

institutions de l’Union, dans l’exercice

des compétences qui sont attribuées à

celle-ci, priment sur le droit des Etats

membres”.

On doit alors se demander quelle impor-

tance cette appellation, légèrement

abusive, peut bien avoir.

Alors qu’une Constitution fixe un cadre

institutionnel permettant aux citoyens

de choisir entre des politiques diffé-

rentes, voire contradictoires, le projet

de Constitution européenne contient,

en plus d’un tel cadre institutionnel, des

orientations politiques libérales.

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III – Une Constitution ?

Page 11: La constitution europeenne : pour ou contre ?

Des choix idéologiques, qui ne corres-

pondent pas nécessairement et pour

toujours à la volonté de la majorité de la

population européenne, sont ainsi éle-

vés au rang de normes fondamentales :

de normes “constitutionnelles”.

Cela signifie donc que:

☛ la primauté de la “concurrence

libre et non faussée” sur toute

autre norme,

☛ la subordination des services

publics à cette concurrence,

☛ l’interdiction de toute restriction

aux mouvements de capitaux,

☛ l’indépendance de la Banque cen-

trale européenne,

☛ le libre-échange comme partie

intégrante de l’intérêt commun

ne sont pas considérés comme des

options politiques laissées au choix

des futures majorités gouvernemen-

tales, mais comme les principes fon-

dateurs de l’Union européenne, au

même titre que la recherche de la paix

ou de la promotion du progrès.

C’est principalement la partie III du

texte qui détaille les “politiques de

l’Union” – et les options idéologiques

qui les sous-tendent. On peut regretter

que cette partie III ne soit pas soumise

à des procédures de révision plussouples et plus susceptibles de traduireles évolutions des sensibilités politiquesdes citoyens et des Etats.

Le fait de donner une valeur constitu-tionnelle à des choix politiques et éco-nomiques néolibéraux marque la prisede position dominante très forte desidées et des partis de droite.

Une modification du choix de ces optionspolitiques néolibérales devra passer parla procédure, très lourde, de révision dela Constitution: il faudra l’accord des 25 Etats pour remettre en question leschoix inscrits dans le texte.

On se souviendra ici qu’en Belgique,pour modifier la Constitution, il faut unemajorité des deux tiers à la Chambre etau Sénat, et non l’unanimité.

Il est difficile de prédire aujourd’hui lesconséquences de la “constitutionnalisa-tion” sur le plan juridique : en effet,c’est très certainement la Cour euro-péenne de Justice qui sera amenée àpréciser progressivement toute la por-tée du nouveau régime.

Demain plus encore qu’aujourd’hui, ilappartiendra aux juges de définir lavaleur relative des différents principesinscrits dans le texte, c’est-à-dire dedécider ce qui l’emporte entre la libertéde circulation et le droit de grève, entre la

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Page 12: La constitution europeenne : pour ou contre ?

concurrence libre et non faussée et lesservices d’intérêt économique général…

On aurait pu souhaiter que ce type dedébat, qui concerne directement lesconditions de vie et de travail descitoyens, se déroule dans l’enceintepolitique (dans les parlements, dans

les lieux de concertation sociale, dansles discussions gouvernementales,…)plutôt que dans des lieux judiciaires.

Il est en effet plus facile pour le mondedu travail de faire entendre ses revendi-cations auprès des représentants poli-tiques que des juges.

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Dans son article I-3, le projet de Consti-tution définit les objectifs de l’Unioneuropéenne, c’est-à-dire ses raisonsd’exister et d’agir. On y trouve les objec-tifs “traditionnels” : assurer un “marchéintérieur où la concurrence est libre etnon faussée”, “promouvoir la paix”,créer un “espace de liberté, de sécuritéet de justice”,…

Mais la Constitution apporte iciquelques nouveautés.

L’Union européenne a aussi pour objec-tifs, désormais, d’œuvrer pour “uneéconomie sociale de marché haute-ment compétitive qui tend au pleinemploi et au progrès social”, pour “unniveau élevé de protection et d’amélio-ration de l’environnement” et pour lapromotion de la “justice et la protec-tion sociales”. Dans ses relations avecle reste du monde, l’Union entend aussicontribuer au “commerce libre et équi-table”. Des objectifs dans lesquelsnotre organisation syndicale peut assu-rément se retrouver.

Cependant, quand on y regarde d’unpeu plus près, les choses sont peut-êtremoins séduisantes.

D’abord, cette déclaration de bonnesintentions de l’article I-3 rassembledes objectifs difficilement compa-tibles : comment concilier une écono-mie “sociale” et une économie “haute-ment compétitive” ? Comment uncommerce “libre” pourra-t-il aussi être“équitable” ?

La Constitution ne donne pas de répon-se à ces questions importantes : elle necrée aucun instrument permettant deréaliser les objectifs sociaux que sedonne l’Union européenne.

Il n’y a aucune trace de la mise en placede mécanismes qui permettraient demaîtriser la concurrence, de contrôlerles mouvements de capitaux, de s’oppo-ser aux licenciements visant le seulconfort financier des actionnaires…

Le meilleur exemple de ce fossé entreles déclarations et les actes, c’est lemaintien de la règle de l’unanimité dansles matières de la fiscalité (y compris la fraude, l’évasion et le dumping fis-caux), de la sécurité sociale et de la pro-tection sociale des travailleurs. Seloncette règle, pour harmoniser la fiscali-té européenne et ainsi éviter une com-

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IV – Les objectifs économiques et sociaux de l’Union: de bonnes intentions…

Page 14: La constitution europeenne : pour ou contre ?

pétition entre Etats, dans laquellegagne celui qui taxe le moins (et donccelui qui vide ses caisses), pour impo-ser à tous les Etats l’obligation d’assu-rer une protection sociale minimale àleurs membres et empêcher ainsi ledétricotage des systèmes sociaux despays les plus avancés socialement, ilfaut l’accord de tous les Etats.

Ce qui, dans les faits, est parfaitementimpossible ! C’est pourquoi, dans uncommuniqué de presse commun du 17 juin 2003, la FGTB, la CSC et laCGSLB rejetaient le projet de Constitu-tion estimant que “tant que les déci-sions sur le plan social et fiscal devrontêtre prises à l’unanimité, aucun progrèssensible ne pourra être réalisé. Dansces circonstances, il ne sera pas nonplus possible de dynamiser le dialoguesocial”.

Aujourd’hui, l’unanimité reste la règledans les matières sociales et fiscales.On doit tout de même noter ceci : dansl’état actuel des choses, alors que lamajorité des gouvernements européenspenche plus à droite qu’à gauche, il estpeut-être préférable que l’unanimitésoit requise pour toucher aux systèmessociaux et fiscaux…

On voit donc que l’inscription d’ambi-tions sociales dans le traité est surtoutsymbolique: on n’en trouve aucun pro-longement substantiel et juridiquementcontraignant dans la suite du texte.Ainsi, si l’économie est qualifiée desociale dans cet article introductif, on netrouve dans le texte aucune définitiondes minima sociaux que les Etats etl’Union européenne devraient respecter.

Si, dans l’article I-3, il est questiond’économie “sociale” de marché, l’ad-jectif “social” disparaît dans le reste dutexte, où il n’est plus question qued’“économie de marché”...

Face à ces constats, on est en sommetenté d’affirmer, avec Robert Badinter,que l’Europe sociale ne progresse pas,sauf dans les déclarations 1. Ce n’estprobablement pas rien. Mais c’est fortloin de satisfaire les travailleurs !

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Page 15: La constitution europeenne : pour ou contre ?

Selon les uns, la Constitution signifie la

mort des services publics ; selon les

autres, elle représente une garantie

importante de leur maintien. Si l’on exa-

mine ce que dit le texte, on se rend

compte qu’il n’y a aucun grand change-

ment – sauf la valeur désormais

“constitutionnelle” du régime de libéra-

lisation (voir Une Constitution ?) et la

libéralisation en matière d’énergie.

Le processus de libéralisation reste

bien inscrit dans le traité (articles III –

147 et 148). Les services publics sont

tolérés comme une exception au princi-

pe de la concurrence : ils ne sont pas

considérés comme un principe essen-

tiel de la société.

L’initiative de libéraliser reste à la Com-

mission. Il ne faut probablement pas

trop lui faire confiance en ce qui concer-

ne la protection des services publics.

Ainsi, la Commissaire à la concurrence,

Neelie Kroes, a déclaré, lors de son

audition devant le Parlement européen,

que les services publics “ne constituent

pas des intérêts en eux-mêmes” 2.

Le mode décisionnel reste la majorité

qualifiée : cela signifie que pour privati-

ser un service public, il suffit qu’une

majorité qualifiée (majorité d’Etatsmembres et majorité de la populationeuropéenne) d’Etats soit d’accord. Alorsque pour mettre en œuvre une harmoni-sation fiscale ou définir des minimasociaux, il faut l’unanimité.

Il est vrai que la Constitution prévoit lapossibilité d’adopter une loi-cadre euro-péenne (nouveau nom de la “directiveeuropéenne”) qui réglementerait lesservices publics et, éventuellement, lesprotégerait. Cette innovation doit êtrerelativisée : outre le fait que la Commis-sion n’a manifestement pas commesouci premier de garantir les servicespublics, il faut savoir que rien n’empê-chait légalement, jusqu’à ce jour,d’adopter une directive européenne pro-tectrice des services publics.

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V – Services publics : le statu quo

Page 16: La constitution europeenne : pour ou contre ?

Pour comprendre ce que dit la Constitu-tion des droits fondamentaux, il faut sepencher sur ce qui existe déjà aujour-d’hui en la matière.

Les Etats de l’Union européenne sont,pour la plus grande majorité d’entre eux,déjà tenus de respecter une série detextes juridiques européens et interna-tionaux de protection des droits fonda-mentaux, tant pour les droits civils etpolitiques (la liberté d’expression, d’as-sociation, de manifestation, le droit à lavie, le droit à un procès équitable,…) quepour les droits économiques et sociaux(le droit au logement, le droit à la sécuri-té sociale, le droit à l’éducation,…).

Le projet de Constitution reprend lesdroits civils et politiques consacrés parla Convention européenne des droits del’homme et qui s’imposent aux Etatseuropéens depuis bien longtemps.

Il prévoit que l’étendue de ces droitsdoit être définie en référence à laConvention européenne des droits del’homme et à la jurisprudence – sou-vent progressiste – de la Cour euro-péenne des Droits de l’Homme.

L’Union européenne, qui au départ nese préoccupait pas des droits de l’hom-

me, reconnaît aujourd’hui officielle-

ment, dans son texte de base, leur

importance. Certains articles de la

Constitution consacrent même dans

leur texte des évolutions de la jurispru-

dence de la Cour européenne des droits

de l’homme – comme l’interdiction faite

aux Etats d’expulser vers des pays où il

y a un risque sérieux d’être soumis à la

peine de mort, à la torture ou à des trai-

tements inhumains ou dégradants.

C’est important !

En revanche, pour ce qui concerne les

droits économiques et sociaux, l’en-

thousiasme n’est pas de mise. Voici

pourquoi.

La Charte des droits fondamentaux de

l’Union européenne telle qu’elle est

intégrée dans le projet de Constitution

n’atteint pas, à bien des égards, le

niveau de protection des droits et des

ambitions de nombreuses constitutions

nationales et des grands textes juri-

diques internationaux (Pacte internatio-

nal relatif aux droits économiques,

sociaux et culturels) et européens

(Charte sociale européenne et Charte

sociale révisée), relatifs aux droits éco-

nomiques et sociaux.

Les Cah ier s du Mi l i tant n°2 FGTB de Bruxe l les16

VI – Droits fondamentaux

Page 17: La constitution europeenne : pour ou contre ?

Contrairement au Pacte international

(en vigueur dans l’ensemble des Etats

européens), selon lequel “chacun des

Etat s’engage à agir en vue d’assurer

progressivement le plein exercice des

droits reconnus dans le présent Pacte

par tous les moyens appropriés, y com-

pris en particulier l’adoption de

mesures législatives”, les droits écono-

miques et sociaux tels qu’ils sont

conçus par la Constitution n’impliquent

pas systématiquement une obligation

positive de l’Etat, c’est-à-dire l’obligation

pour un Etat de dégager les moyens

nécessaires (qui sont souvent des

moyens financiers) pour assurer la

jouissance concrète des droits.

La plupart des articles de la Charte des

droits fondamentaux ne donnent pas

lieu à des droits immédiats à une action

positive de la part des institutions de

l’Union ou des autorités des Etats

membres. Concrètement : les Etats ne

sont donc pas contraints de mettre en

œuvre les droits économiques et

sociaux inscrits dans la Charte des

droits fondamentaux.

En matière de sécurité sociale et d’ai-

de sociale, la Constitution prévoit que

la référence à des services sociaux

assurant une protection (dans des cas

tels que la maternité, la maladie, les

accidents du travail, la dépendance ou

la vieillesse, ainsi qu’en cas de perted’emploi) vise les cas dans lesquels detels services ont été instaurés, maisn’implique aucunement que de telsservices doivent être créés quand iln’en existe pas. Concrètement : lesEtats qui ont des systèmes sociauxavancés, et donc qui prélèvent desimpôts pour les financer, vont se trou-ver en concurrence avec des Etatsmoins protecteurs qui ne sont pas obli-gés de mettre en place des systèmesde protection sociale.

Le risque est grand alors que les Etatsplus sociaux diminuent les prélève-ments obligatoires et, donc, affaiblissentleurs systèmes de protection sociale.

Par ailleurs, ces droits sociaux ne sontreconnus que “dans les conditions etlimites” des autres articles de laConstitution (article II-111-112). Quellessont ces conditions et limites ? Le pré-ambule de la Charte des droits fonda-mentaux nous les rappelle : l’Unioneuropéenne “assure la libre circulationdes personnes, des services, des mar-chandises et des capitaux ainsi que laliberté d’établissement”.

Voici donc une Charte sociale qui subor-donne explicitement le respect desdroits fondamentaux aux impératifs dela libre circulation du capital et du libre-échange…

FGTB de Bruxe l les La Const i tu t ion européenne : pour ou cont re ? 17

Page 18: La constitution europeenne : pour ou contre ?

Enfin, il faut toujours garder à l’espritque les droits fondamentaux consacréspar la Constitution n’entrent en jeu quelorsque l’action politique touche une

matière communautaire : lorsque l’UEadopte un acte législatif ou réglementai-re ou lorsqu’un Etat met en œuvre uneobligation communautaire.

Les Cah ier s du Mi l i tant n°2 FGTB de Bruxe l les18

© FGTB Bruxelles

Page 19: La constitution europeenne : pour ou contre ?

Article I-48 : “l’Union reconnaît et pro-meut le rôle des partenaires sociaux àson niveau, en prenant en compte ladiversité des systèmes nationaux. Ellefacilite le dialogue entre eux, dans lerespect de leur autonomie. Le sommetsocial tripartite pour la croissance etl’emploi contribue au dialogue social”.

A noter: la légitimité des partenairessociaux est établie depuis longtemps auniveau européen – en témoigne le déjàvieux Comité économique et social euro-péen (CESE).

FGTB de Bruxe l les La Const i tu t ion européenne : pour ou cont re ? 19

VII – Dialogue social

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Page 20: La constitution europeenne : pour ou contre ?

Les Cah ier s du Mi l i tant n°2 FGTB de Bruxe l les20

VIII – Droit de grève

Le projet de Constitution reconnaît leprincipe du droit de grève. C’est une pre-mière dans un traité européen. Toute-fois, l’Europe s’interdit toute faculté d’in-tervention en soutien et en complément àl’action des Etats. Cette disposition n’estpas forcément mauvaise : en effet, légifé-rer sur le droit de grève reste potentielle-ment très dangereux… Pour rappel, laFGTB s’est toujours opposée, en Bel-gique, à toute loi sur le droit de grève.

Le traité d’Amsterdam excluait toute légis-lation européenne concernant le droitd’association et le droit de grève, empê-chant par la même une protection dudroit de grève au niveau transnational.

L’article II-88 du projet de Constitution,reprenant les dispositions de la chartedes droits fondamentaux, reconnaîtaux travailleurs et aux employeurs undroit de négociation et d’actions col-lectives aux niveaux appropriés et derecourir, en cas de conflits, à desactions collectives pour la défense deleurs intérêts, y compris par la grève.

Pour donner du contenu à ce droit degrève, l’article renvoie aux pratiques etlégislations nationales et au droit com-munautaire. Du côté des législationsnationales, les situations peuvent forte-

ment différer d’un pays à l’autre. Dansplusieurs pays, comme en Belgique, ledroit de grève ne fait l’objet d’aucuneréglementation. Dans d’autres, lesgrèves de solidarité sont tout simple-ment interdites. Du côté du droit com-munautaire, l’Europe s’interdit doncd’arbitrer ces différences nationales.

Mais le droit communautaire, c’est l’en-semble des textes juridiques de l’Unioneuropéenne, dont notamment le princi-pe de la libre circulation des biens et desservices qui reçoit également la forced’une disposition “constitutionnelle”.

Certains ne manqueront pas d’utiliser,devant les tribunaux, ce droit à la librecirculation des biens et des servicespour empêcher toute grève transnatio-nale et même nationale, en parlant d’en-trave à la libre circulation. Il est en toutcas fort probable qu’on assiste à l’avenirà des actions judiciaires reposant sur cetype d’argumentation. Ceci étant, tellequ’inscrite noir sur blanc dans le textede la Constitution, la grève ne pourraplus être jugée contraire au droit euro-péen et aux règles du libre échange.

Quoi qu’il en soit, ce droit fondamentaltrouvera sa meilleure défense, au niveaunational et transnational, dans les luttes

Page 21: La constitution europeenne : pour ou contre ?

sociales menées par les travailleursdans les entreprises et dans la rue.Reste une inquiétude : en matière d’ac-tions collectives de défense de leursintérêts, le projet met sur pied d’égalité

les travailleurs… et leurs employeurs.Est-ce à dire que serait désormaisreconnu un droit nouveau : le droit aulock-out 3? Ce serait, bien sûr, totale-ment inacceptable.

FGTB de Bruxe l les La Const i tu t ion européenne : pour ou cont re ? 21

IX – Des institutions plus démocratiques?

La Constitution introduit trois types deréformes, souvent présentées commeun approfondissement de la démocratieeuropéenne.

D’abord, elle crée le droit, pour un mil-lion de citoyens, de soumettre une pro-position de texte à la Commission. Cettenouveauté démocratique doit être rela-tivisée : la Commission reste totalementlibre de donner suite ou non à la propo-sition ; elle n’est pas non plus obligéede justifier le rejet de celle-ci.

D’autre part, les matières soumises à lacodécision sont plus nombreuses. Lacodécision, c’est la procédure par laquel-le il faut, pour qu’un texte proposé par laCommission devienne obligatoire, unaccord du Conseil et du Parlement.

Le Parlement, seul organe élu directe-ment de l’Union européenne, voit ainsises pouvoirs élargis. C’est évidemmentpositif.

Enfin, la Constitution prévoit explicite-ment la possibilité, pour chaque Etat,de se retirer de l’Union européenne.

A côté de ces améliorations, on noteraque la Commission européenne, dontde nombreuses études établissent latrès grande proximité avec les lobbyspatronaux européens, reste le moteurexclusif de l’initiative législative : elleseule peut prendre l’initiative de propo-ser qu’un texte devienne, après accordsdes organes compétents, une règle juri-dique européenne. A contrario, des par-lementaires ne peuvent pas faire de“proposition de loi”.

Page 22: La constitution europeenne : pour ou contre ?

Les Cah ier s du Mi l i tant n°2 FGTB de Bruxe l les22

La grande nouveauté de la Constitutionconcerne le mode de prise de décisionau sein du Conseil de l’Union européen-ne, qui est le principal décideur auniveau européen (voir Architecture del’Union européenne). C’est un peu tech-nique, mais c’est important.

Rappelons-nous que pour que leConseil approuve un texte, il faut soitl’unanimité en son sein (c’est-à-dire l’ac-cord de tous les Etats membres), soit lamajorité qualifiée, en fonction de lamatière concernée par la décision 4.

Pour atteindre la majorité qualifiée, ilfaut aujourd’hui que soient réuniestrois conditions : un seuil de votes pon-dérés (chaque Etat a un nombre de voixqui correspond à son importance démo-graphique : les grands Etats pèsent plusque les petits), une majorité d’Etats et62% de la population européenne.

Ce système est paralysant et il l’estd’autant plus que l’Union est aujour-d’hui élargie à 25 Etats. Il suppose queles Etats trouvent un accord sur lenombre de voix revenant à chaque Etat.

La Constitution supprime le critère desvotes pondérés : chaque Etat a désor-mais une voix. On évitera ainsi les inter-minables négociations relatives à l’attri-bution des votes, notamment lors desfuturs élargissements.

La Constitution retient deux critèrespour que soit atteinte la majorité quali-fiée : la majorité des Etats membres etla majorité de la population de l’Union.L’égalité entre les Etats membres estrespectée (un Etat = un vote), en mêmetemps que sont pris en compte les diffé-rents poids démographiques des Etats.

Ce nouveau système reflète la doublenature de l’Union européenne : uniond’Etats et union de peuples. Il facilite-ra à coup sûr la prise de décision etdonc l’efficacité de l’action de l’Unioneuropéenne.

Par rapport au système existant, figépar le Traité de Nice, c’est une avan-cée en termes d’efficacité.

X – Un système de prise de décisions plus efficace

Page 23: La constitution europeenne : pour ou contre ?

L’article I-52 du projet de Constitutioncontredit le principe de séparation entreinstitutions publiques et institutions reli-gieuses : il oblige en effet l’Union euro-péenne à entretenir un dialogue régu-lier avec les églises et les organisationsnon confessionnelles. Il légitime ainsiun droit d’ingérence des institutionsreligieuses dans l’exercice des pou-voirs publics européens.

Que les Eglises puissent dire ce qu’ellespensent sur des questions de société,rien de plus normal : cela relève de laliberté d’expression, qui est garantiepar la Constitution européenne. Enoutre, les libertés d’organisation et d’ac-tion des organisations confessionnellessont déjà garanties par l’article II-70,relatif à la liberté de pensée, deconscience et de religion, qui impliquela liberté de manifester sa religion ou saconviction individuellement ou collecti-vement, en public ou en privé, par leculte, l’enseignement, les pratiques etl’accomplissement des rites.

Que les Eglises soient invitées par lesautorités européennes à s’exprimer entant que membre de la “société civile”,pourquoi pas ? C’est ce que permet l’article I-47, qui contient l’obligationpour les institutions européennes dedialoguer avec les associations repré-sentatives de la société civile.

Mais rien ne justifie que les Eglises sevoient octroyer une place privilégiée, parrapport à tous les autres groupes quicomposent la société civile, dans le dia-logue avec les institutions européennes !

FGTB de Bruxe l les La Const i tu t ion européenne : pour ou cont re ? 23

XI – La laïcité en péril?

Page 24: La constitution europeenne : pour ou contre ?

Les Cah ier s du Mi l i tant n°2 FGTB de Bruxe l les24

Nul n’est besoin de s’étendre sur l’absen-ce de cohérence de la politique extérieurede l’Union européenne lorsque celle-ci estconfrontée aux dossiers internationauxde première importance : chacun se sou-vient des profondes divergences de vueentre les différents gouvernements euro-péens sur la question d’une interventionarmée en Irak, aux côtés des Etats-Unis. Ilsemble bien qu’en ce qui concerne la poli-tique étrangère, chaque Etat a sespropres priorités, ses propres intérêts,son propre agenda. L’Union européenne,de ce fait, ne pèse pas bien lourd dans lapolitique internationale…

Le projet de Constitution permettra-t-ilde remédier à cette situation, et de don-ner à l’action extérieure de l’Union euro-péenne plus de cohérence et de visibili-té ? De faire enfin de l’Europe un acteurde premier plan sur la scène internatio-nale, qui soit capable d’opposer sa voixà la toute-puissance américaine ? Cen’est pas sûr. En fait, la faiblesse del’Union européenne en matière de poli-tique internationale s’explique, du pointde vue institutionnel, par le fait que lesquestions de politique étrangère, dediplomatie et de sécurité ne constituent

pas une matière ‘communautaire’ : lesEtats restent totalement libres demener les politiques qu’ils veulent, puis-qu’une action européenne en la matiè-re nécessite l’accord de tous.

On dit de ces matières qu’elles sont inter-gouvernementales ; elles sont de la seulecompétence du Conseil. Seule la coopé-ration au développement constitue unevéritable matière communautaire, puis-qu’elle est, quant à elle, une compétencede la Commission. La réforme la plusimportante et la plus médiatisée qu’intro-duit la Constitution est la création d’unposte de Ministre des Affaires étrangères(MAE), chargé de mettre de l’ordre dans lelabyrinthe institutionnel qui régit l’actionextérieure de l’Union. Ce MAE s’occuperaà la fois des questions de coopération etdes questions de politique étrangère, dediplomatie et de sécurité. Cependant, leproblème reste entier : le Ministre, lors-qu’il interviendra sur ces trois dernièresmatières, sera un mandataire du Conseil,et devra donc recueillir l’assentiment… dechacun des Etats. Ceux-ci demeurerontdonc aussi souverains qu’ils le sontaujourd’hui pour agir selon leurs agendaset leurs priorités respectives.

XII – L’Union européenne : plus forte sur la scène internationale ?

Page 25: La constitution europeenne : pour ou contre ?

Quelle que soit la position adoptée par

la FGTB, qu’elle soit “pour” ou “contre”

le projet de Constitution, il faudra assu-

rément que les travailleurs se mobili-

sent s’ils veulent que l’Europe prenne

en compte leurs aspirations à la justice

sociale. C’est pour cela que notre “oui”

ou notre “non” à la Constitution ne sau-

rait être que “de combat”.

Un OUI de combat

Le projet peut être appréhendé comme

une étape du processus d’intégration

européenne, qui est le fruit d’une négo-

ciation entre élus des Etats membres. Il

ne s’agit ni du premier, ni du dernier trai-

té du genre. A tout le moins, il corrige

incontestablement certains éléments

désastreux du précédent traité de Nice.

En outre, il consacre soixante années de

paix en Europe et un projet d’Union euro-

péenne intégrant, à terme, l’ensemble

des anciens pays de l’est et la Turquie.

Qu’importe finalement le libellé, “consti-

tution”, “traité” ou “traité constitution-

nel”. Au moment de l’ouverture aux

pays de l’est, qui ne sont pas vraiment

réputés comme acquis aux mérites de

notre modèle social, il traduit un com-

promis historique, entre :

☛ ceux qui défendent une Europe poli-tique qui, par ce traité, verrouillentune série d’acquis communautaireset d’avancées sociales qui, autre-ment, seraient susceptibles d’êtreremis en cause dans une Europe à30 : renforcement du rôle politiquedu parlement, inclusion des droitsfondamentaux, affirmation d’uneéconomie sociale,… ;

☛ et ceux qui promeuvent une Europeéconomique, qui se sont assurésd’un approfondissement du marchéunique et d’un processus d’intégra-tion économique et social.

Comme tout compromis, il laisse unepart belle à l’interprétation. C’est enpremier lieu à la Cour de justice euro-péenne et aux prochains conseils euro-péens qu’il reviendra de préciser leschoses.

Il restera alors aux forces sociales à semobiliser pour corriger les dérives libé-rales de ce texte et pour forcer de nou-velles réformes. Certains, à gauche,pensent qu’il sera plus aisé de défendreune Europe politique et sociale avec cenouveau traité, qui consacre notam-ment le renforcement du pouvoir duParlement.

FGTB de Bruxe l les La Const i tu t ion européenne : pour ou cont re ? 25

XIII – Quel positionnement syndical ?

Page 26: La constitution europeenne : pour ou contre ?

Si la Constitution européenne est uneétape et non un aboutissement, et puis-qu’il s’agit d’un accord politique établis-sant un équilibre entre pouvoirs politiquesdémocratiquement élus, la FGTB pourraitapporter un soutien de combat, en forçantles partis progressistes qui l’ont négocié àrelancer le processus des réformes et à enfixer dès à présent l’agenda.

Un NON de combat

Dans la mesure où il se présente commeune Constitution et où sa procédure derévision nécessite l’unanimité, ce traitéconstitue bien une sorte d’aboutisse-ment du processus de réformes du traitéde Rome, initié par l’Acte unique et le trai-té de Maastricht. Il ne se traduit pas parde nouvelles avancées politiques etsociales significatives. Au contraire, enles élevant au rang constitutionnel, leprojet sanctifie les dogmes néolibérauxdu marché intérieur.

Fruit d’un compromis tortueux, ce projetde traité est illisible pour le commundes mortels et conforte la gestion tech-nocratique de l’Europe, dans laquelleles travailleurs peuvent difficilement sereconnaître et s’impliquer.

Dès lors que l’adhésion du corps socialest sollicitée et que cette réforme doitêtre considérée comme un aboutisse-ment, la FGTB ne peut en approuver

la ratification. Cohérente avec sespropres valeurs et principes, ellemarque ainsi la désapprobation dumonde du travail à l’égard de la sacrali-sation des politiques de dérégulation dumarché du travail et des servicespublics qui sont menées depuis plu-sieurs années par les institutions euro-péennes. Dans ce scénario, la FGTBpourrait assumer qu’il est temps dedire “STOP” à cette évolution libéraledu processus européen.

En réalité, notre problème est debien préciser la question à laquel-le nous avons à répondre.

S’il s’agit de comparer le projet deconstitution européenne à notreidéal de société, le “non” s’impo-sera à coup sûr.

S’il s’agit, en revanche, de vérifier laprésence, dans ce projet de constitu-tion, d’avancées réelles, suscep-tibles de mieux armer les travailleurssur la scène socio-économique d’uneEurope à 25, la réponse sera moinssimple à formuler.

L’unique ambition de cette publica-tion est de nous mettre, les uns etles autres, en position de mener,sur ce projet, un débat aussi large,instruit et ouvert que possible.

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Page 27: La constitution europeenne : pour ou contre ?

Notes

1 Le Nouvel Observateur, 19 juin 2003.

2 Le Figaro, 29 septembre 2004.

3 Lock-out : décision par laquelle un employeur interdit aux salariés l’accès de l’entreprise à l’occasion d’un conflit collectif du travail.

4 Pour les questions de fonctionnement interne, la majorité simple suffit.

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Page 28: La constitution europeenne : pour ou contre ?

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Edité par la FGTB de Bruxelles et la

Centrale Culturelle Bruxelloise

Avec le soutien du Centre d’Education Populaire André Genot et du Service de l’Education permanente du Ministère de la Communauté française

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