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LA CONSÉCRATION DU LIEU DE CULTE ET SES TRADUCTIONS GRAPHIQUES : INSCRIPTIONS ET MARQUES LAPIDAIRES DANS LA PROVENCE DES XI e -XII e SIÈCLES 1 YANN CODOU C ette étude sur les traces de la dédicace s’appuie sur un dossier volontaire- ment circonscrit à l’espace provençal. Les motivations de ce choix sont de deux ordres : d’une part, la commodité d’un corpus composé sur la base d’une documentation que j’ai recueillie dans les édifices médiévaux provençaux 2 ; d’autre part, la conviction que le point de vue régional permet mieux que tout autre de saisir les diversités de situations et les lacunes de la documentation qui risqueraient d’être masquées par une approche à partir d’un espace plus vaste, supposant une sélection documentaire au sein d’un corpus dense. La recherche des marques matérielles ainsi que des traces épigraphiques liées à la sacralisation de l’édifice cultuel et postérieures à la dédicace conduit inévitablement à manipuler une documentation composite restée visible dans le monument 3 . J’élargirai mon corpus à d’autres témoins matériels relatifs à la mémoire de la consécration : les témoins de la construction. L’importance progressivement acquise par le monument sacralisé, vécu comme un espace de transition, a incité les hommes à manifester leur action en ce lieu en y inscrivant leur nom, ce qui leur permet d’être « connus » de Dieu. 1. Je remercie Cécile Caby et Michel Lauwers pour leurs relectures motivantes. 2. C’est au total cinq départements qui sont retenus comme sujet d’étude : les Alpes-Maritimes, les Alpes- de-Haute-Provence, les Bouches-du-Rhône, le Var et le Vaucluse. 3. Les inscriptions médiévales de ces départements ont été publiées dans le Corpus des inscriptions de la France médiévale, dir., R. FAVREAU, J. MICHAUD, B. MORA (désormais CIFM), vol. 13. Gard, Lozère, Vaucluse, Paris, CNRS, 1988 ; vol. 14. Bouches-du-Rhône, Var, Paris, CNRS, 1989 ; vol. 16. Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Ardèche, Drôme, Paris, CNRS, 1992. Sans m’attarder, je soulignerai que cette publication est très lacunaire, qu’elle comporte un certain nombre d’erreurs et que les datations sont très souvent sujettes à caution, dans certains cas clairement erronées. Sur les divers défauts, problèmes et erreurs, on se reportera au bulletin critique qu’en ont livré Noël Coulet et Jean Guyon, dans Provence historique, t. 42, fasc. 170, 1992, p. 645-653, en se limitant au t. 14 qui concerne les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône et le Var. Lors de la préparation de ce bulletin critique, nous avions dressé un bilan pour le Vaucluse (publié dans le t. 13) où les oublis et erreurs se révélaient tout aussi nombreux. Il en est de même pour le département des Alpes-de-Haute-Provence (t. 16) pour lequel, comme simple exemple, nous signalerons que le dépôt lapidaire de Riez, où se trouvent plusieurs inscriptions, est totalement ignoré.

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Page 1: La consécration du lieu de culte et ses traductions graphiques- inscriptions et marques lapidaires dans la Provence des xie-xiie siècles

la consécration du lieu de culte et ses traductions graPHiQues :

inscriPtions et MarQues laPidaires dans la Provence des Xie-Xiie siècles1

yann Codou

cette étude sur les traces de la dédicace s’appuie sur un dossier volontaire-ment circonscrit à l’espace provençal. les motivations de ce choix sont de

deux ordres : d’une part, la commodité d’un corpus composé sur la base d’une documentation que j’ai recueillie dans les édifices médiévaux provençaux2 ; d’autre part, la conviction que le point de vue régional permet mieux que tout autre de saisir les diversités de situations et les lacunes de la documentation qui risqueraient d’être masquées par une approche à partir d’un espace plus vaste, supposant une sélection documentaire au sein d’un corpus dense.

la recherche des marques matérielles ainsi que des traces épigraphiques liées à la sacralisation de l’édifice cultuel et postérieures à la dédicace conduit inévitablement à manipuler une documentation composite restée visible dans le monument3.

J’élargirai mon corpus à d’autres témoins matériels relatifs à la mémoire de la consécration : les témoins de la construction. l’importance progressivement acquise par le monument sacralisé, vécu comme un espace de transition, a incité les hommes à manifester leur action en ce lieu en y inscrivant leur nom, ce qui leur permet d’être « connus » de dieu.

1. Je remercie cécile caby et Michel lauwers pour leurs relectures motivantes.2. c’est au total cinq départements qui sont retenus comme sujet d’étude : les alpes-Maritimes, les alpes-

de-Haute-Provence, les Bouches-du-rhône, le var et le vaucluse.3. les inscriptions médiévales de ces départements ont été publiées dans le Corpus des inscriptions de

la France médiévale, dir., r. favreau, J. MiChaud, B. Mora (désormais CIFM), vol. 13. Gard, Lozère, Vaucluse, Paris, cnrs, 1988 ; vol. 14. Bouches­du­Rhône, Var, Paris, cnrs, 1989 ; vol. 16. Alpes­de­Haute­Provence, Hautes­Alpes, Ardèche, Drôme, Paris, cnrs, 1992. sans m’attarder, je soulignerai que cette publication est très lacunaire, qu’elle comporte un certain nombre d’erreurs et que les datations sont très souvent sujettes à caution, dans certains cas clairement erronées. sur les divers défauts, problèmes et erreurs, on se reportera au bulletin critique qu’en ont livré noël coulet et Jean guyon, dans Provence historique, t. 42, fasc. 170, 1992, p. 645-653, en se limitant au t. 14 qui concerne les alpes-Maritimes, les Bouches-du-rhône et le var. lors de la préparation de ce bulletin critique, nous avions dressé un bilan pour le Vaucluse (publié dans le t. 13) où les oublis et erreurs se révélaient tout aussi nombreux. il en est de même pour le département des alpes-de-Haute-Provence (t. 16) pour lequel, comme simple exemple, nous signalerons que le dépôt lapidaire de Riez, où se trouvent plusieurs inscriptions, est totalement ignoré.

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sur la base de ce corpus, je n’entends pas dresser un inventaire mais plutôt présenter quelques réflexions et mises en relation. Je m’attarderai sur des exem-ples qui pourront apparaître comme des cas d’exceptions. ils sont, selon moi, les témoins d’une réflexion sur la représentation de l’église à une époque où la perception du lieu de culte et sa signification évoluent.

Les dédiCaCes d’égLises en ProvenCe, Les traCes MatérieLLes

Les inscriptions de dédicace

le corpus des inscriptions de dédicace démontre d’emblée les limites de la documentation et échappe à toute forme d’analyse sérielle de type chrono logique ou autre. en somme, il semble inutile de tenter de proposer des pourcentages, par périodes ou par types de monuments. la répartition spatiale donne des résultats plus évocateurs4 : des déséquilibres apparaissent entre dépar tements5, qui permet-tent d’opposer la Provence occidentale à la Provence centrale et orientale. on pourrait objecter que ces résultats ne sont que le reflet de l’état provisoire de l’enquête, mais l’art roman provençal étant bien étudié, rares sont les inscriptions qui restent méconnues.

Les inscriptions, bien que difficiles à dater, appartiennent pour l’essentiel aux xie-xiie siècles, le xiie siècle fournissant le plus grand nombre de cas, ce qui n’est en rien révélateur dans la mesure où ce résultat reflète surtout une phase d’intense activité architecturale dans l’espace provençal6. la majorité des dédicaces inven-toriées se résume à un contenu très classique : l’acte dédicatoire, le patronage de l’église et le quantième selon le calendrier romain.

4. on peut enrichir le CIFM par d’autres inscriptions de dédicaces qui n’y figurent pas : à Apt (Vaucluse), on conserve une copie de l’inscription de dédicace de l’église saint-lazare. Parmi les inscriptions d’exception et ignorées du CIFM, je signalerai l’inscription de dédicace de la porte de l’église du fort de Buoux (vaucluse) qui appartient aux inscriptions de portes étudiées par robert Favreau, compa-rable à celle de saint-Marcel-lès-sauzet (drôme). une autre inscription de Buoux (site dit de saint-germain), sans évoquer directement la dédicace, mentionne les vocables de la dédicace et l’année. À Brue-auriac (var), l’église sainte-Marie possède deux inscriptions de dédicace. À Mane (alpes-de-Haute-Provence), on peut encore lire l’inscription de dédicace de l’église saint-laurent, aujourd’hui transformée en habitation. au total, on comptabilise 39 inscriptions de dédicaces, aucune dans les alpes-Maritimes, 6 dans les alpes de Haute-Provence, 11 dans les Bouches-du-rhône, 2 dans le var, 20 dans le vaucluse.

5. la répartition des dédicaces peut aussi être liée à des raisons matérielles, leur nombre plus réduit dans la Provence orientale s’expliquant par la qualité de la pierre, un calcaire froid où la gravure est difficile. néanmoins, cela ne me semble pas être une explication totalement satisfaisante.

6. les datations proposées par le CIFM sont souvent contredites par la datation de l’architecture du monument et il est avéré qu’il ne s’agit pas de réemplois.

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ce ne sont pas les monuments majeurs – abbayes ou cathédrales – qui sont les plus représentés dans le corpus mais au contraire les édifices ruraux. On remarquera que les grands monastères et les cathédrales, s’ils fournissent diver-ses inscriptions, ne portent pas ou rarement de traces de la dédicace7. la grande majorité des inscriptions provient d’édifices ruraux sans que l’on puisse faire de distinctions significatives entre les monuments dépendants du monde régulier ou du monde séculier.

le premier constat qui s’impose est la rareté de ces inscriptions8. loin d’être un phénomène banalisé, leur présence doit autant interpeller que leur absence. du fait de cette rareté, elles sont à interroger en détail, chaque terme, chaque spécificité dans le formulaire est sans doute porteur d’un message, d’une certaine conception ecclésiologique.

d’autres témoignages matériels renvoient à des étapes du rituel de consé-cration. les autels dans le cas provençal offrent peu d’informations. nous n’avons pas d’inscription de consécration9. on peut en revanche souligner que le dépôt de reliques est bien attesté par l’aménagement de loculi dans les supports d’autel10.

7. nous pouvons simplement retenir pour les églises cathédrales les cas de dédicaces d’avignon et d’apt (bien que, dans ce dernier cas, l’interprétation ne soit pas certaine) et, pour les abbayes, le cas de l’abbatiale cistercienne de sénanque et de la chapelle sainte-croix qui est un lieu de culte secondaire du monastère de Montmajour, CIFM, t. 13, p. 107-108, 126-127, 160-162 ; t. 14, p. 80-81. il faut faire quelques kilomètres hors de la zone d’enquête pour trouver une dédicace à la cathédrale de valence (drôme), à l’extérieur de l’église, sur le linteau en bâtière d’une porte, qui rappelle la dédicace de ce lieu par le pape urbain ii.

8. Il suffit de comparer la liste des inscriptions de dédicaces conservées en Provence aux cartes des édifi-ces romans encore en élévation : P. de MaLène, Atlas de la France romane, la Pierre-qui-vire, 1995 ; J.-M. rouquette, Provence romane, 1, la Pierre-qui-vire, 1974, p. 25-26 ; g. BarruoL, Provence romane, 2, la Pierre-qui-vire, 1977, p. 28-31 ; J. thirion, Alpes romanes, la Pierre-qui-vire, 1980, p. 42-45. Bien sûr, on ne peut pas exclure des inscriptions de dédicaces peintes, il reste qu’aucune ne nous est parvenue, alors que nous conservons des croix de dédicaces médiévales peintes.

9. certaines tables médiévales comportent des croix de dédicaces, mais il est probable que ces croix sont des ajouts postérieurs. les croix sur les autels ne sont pas assurées pour la période médiévale, ce qui paraît plutôt général, c’est leur absence.

10. ces loculi en général ont été trouvés vides, à quelques exceptions près, comme le cas de saint-Pons de Bonnieux (Vaucluse) où, lors de dégagements, fut découvert un petit coffret calcaire contenant trois enveloppes de plomb, g. BarruoL, Provence romane, cit., p. 409 ; Art roman de Provence, les alpes de lumière, 60, 1977, p. 40. on peut aussi évoquer un coffret reliquaire mis au jour à la cathédrale de senez (alpes-de-Haute-Provence), disparu aujourd’hui. il portait un chrisme accosté de l’alpha et de l’oméga, g. BarruoL, P. MarteL, Sites et monuments de Haute­Provence, les monuments du haut Moyen Âge, alpes de lumière, 34, 1965, p. 49. un coffret en pierre, provenant de simiane-la-rotonde (alpes-de-Haute-Provence), portant sur ses faces des croix, dont des croix hampées, évidé dans sa partie supérieure, considéré comme un chapiteau transformé en bénitier, peut tout aussi bien être interprété comme un coffret à reliques, g. BarruoL, P. MarteL, Sites et monuments, cit., p. 39 ; Art roman de Provence, cit., p. 46. en dernier lieu, j’évoquerai le support de la table d’autel de l’église de saint-raphaël (var). il s’agit d’une base maçonnée, ornée en son centre d’une croix, qui a été mas-quée postérieurement. lors de la fouille, un petit loculus a été découvert ; il contenait des fragments de lamelles de bronze. un autre reliquaire en plomb comportant les reliques et des fragments d’encens a été retrouvé dans un support dégagé dans l’abside nord ; ce dépôt n’a pas encore été étudié. il n’est pas

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Les croix

La chrismation des murs de l’édifice est un des temps forts de la dédicace dont on va conserver, dans certains cas, la trace sous forme de croix peintes ou gravées. Les représentations de croix sur les édifices médiévaux sont multiples et peuvent renvoyer à diverses interprétations11. les croix de dédicace présentes sur les murs intérieurs de l’église sont attestées. les témoins les plus anciens offrent des images disparates et posent la question de leur contenu. dans plusieurs cas, on rencontre dans la nef des croix simplement incisées qui peuvent renvoyer à des actes de consécration. c’est par exemple le cas d’une croix monogrammatique de Fontaine-de-Vaucluse (fig. 1), ou des trois croix incisées sur la chaîne d’angle de la petite église saint-Michel d’albiana (commune de saignon, vaucluse). dans ce dernier cas, les trois croix peuvent correspondre aux croix tracées symboli-quement par l’évêque étienne d’apt lors de son triple circuit autour du monu-ment durant la consécration réalisée en 103212 (fig. 2). Plus aisément attribuables à la consécration sont les croix symétriques gravées sur les piédroits de part et d’autre de la porte sud de la cathédrale de Vaison (Vaucluse) (fig. 3). Ce type de

possible d’affirmer, dans l’état actuel, qu’il s’agit d’un dépôt médiéval. Ces découvertes donneront lieu à une analyse détaillée.

11. on rencontre parfois à la base des murs, en particulier au chevet, des croix qui peuvent signaler la présence de sépultures.

12. y. Codou, M. Jannet, « le territoire de saignon, ses églises et ses pôles d’occupation à la période médiévale », dans y. Codou, g. BarruoL, dir., L’abbaye Saint­Eusèbe de Saignon (Vaucluse) et ses dépendances. Histoire et archéologie, les alpes de lumière, 2006, p. 286-288.

fig. 1. croix chrismatique gravée sur une pile de l’église saint-véran (Fontaine-de-vaucluse, vaucluse) (cliché Y. codou).

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croix hampée se rattache par son aspect à la consécration et évoque précisément le rite présent dans l’ordo de la dédicace par lequel le consécrateur fiche en terre une croix13. des séries de croix identiques, peintes ou sculptées, disposées de manière organisée sur le parement interne des monuments apparaissent entre la fin du xiie et le début du xiiie siècle. on les rencontre plus particulièrement dans des édifices d’ordres réguliers, telles les églises cisterciennes du Thoronet (Var)14 et de sénanque (vaucluse)15, l’église chalaisienne de valbonne (alpes-Maritimes) et celle de saint-Jean de comps (var), construction des Hospitaliers qui reçoi-vent ce lieu en 123316. elles se présentent selon un schéma de répartition struc-turé et appartiennent à des édifices d’ordres réguliers érigés à l’extrême fin du xiie siècle et le plus souvent au xiiie siècle. l’église de valbonne, élevée au début

13. l’acte de planter la croix est attesté dès l’antiquité tardive, on le retrouve dans les capitulaires carolin-giens, M. Lauwers, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médié­val, Paris, 2005, p. 143. Parfois la croix peut être dressée là où doit être élevée une église. C’est le cas de l’église saint-nicolas de tarascon dont le terrain a été béni par le pape urbain ii qui y érigea une croix : […] et manu sua propria benedicens locum et absolvens benefactores et adjutores, corobo­rans omnia aqua consecrata, signum dominice crucis, presente populo et abbate Ricardo, solenniter in eodem loco affligens erecsit, éd. M. guérard, Cartulaire de l’abbaye Saint­Victor de Marseille, Paris, 1857, acte 220.

14. au thoronet sont conservées des croix peintes, par groupe de trois, de part et d’autre de la nef.15. t. n. Kinder, L’Europe cistercienne, la Pierre-qui-vire, 1998, p. 220.16. dans le cas des abbatiales cisterciennes, les consécrations pouvaient toucher des espaces autres que

l’église abbatiale monastique. ainsi, on pourra remarquer que l’on trouve aussi des croix dans la salle capitulaire du Thoronet, sans que l’on puisse affirmer qu’elles sont contemporaines des croix présentes dans l’église abbatiale. À sénanque, les inscriptions conservées montrent que la dédicace dure deux jours.

fig. 3. croix hampée sur le piédroit de la porte méridionale de la cathédrale de vaison (vaucluse) (cliché Y. codou).

fig. 2. croix triples sur la chaîne d’angle de l’église saint-Michel d’albiana (saignon, vaucluse) (cliché Y. codou).

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a

fig. 4. croix de consécration sculptée sur le parement de la nef, abbaye de valbonne (alpes-Maritimes) (clichés Y. codou).

b

fig. 6. croix de bornage du domaine templier de cagnosc (entrecasteaux, var) (cliché Y. codou).

fig. 5. croix peinte, église hospitalière saint-Jean de comps (var) (cliché Y. codou).

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du xiiie siècle17, offre un ensemble complet de grande qualité. les croix sont en taille de réserve et sculptées sur le parement en place à une certaine hauteur (fig. 4). au total, on comptabilise douze croix, réparties par groupe de trois : trois dans le mur oriental de l’abside, trois sur le mur de la façade occidentale et trois sur les murs gouttereaux sud et nord18. ces croix, qu’elles soient peintes ou sculptées, sont stéréotypées, composées de croix grecques pattées comprises dans un cercle (fig. 5). On retrouve le même type de croix sculptée sur un rocher servant de croix de « bornage » dans le domaine ecclésiastique de cagnosc (commune d’entre casteaux, var), possession remise aux templiers du ruou dans la dernière décennie du xiie siècle (fig. 6)19.

L’alphabet

un autre témoignage de la dédicace, qui reste exceptionnel, est représenté par les alphabets gravés sur le monument. À l’inverse des croix, ils sont placés à l’extérieur. un premier cas est fourni par l’église saint-Blaise de Bauzon (Vaucluse), édifice de belle facture du second âge roman20. À la porte principale, ménagée dans le mur gouttereau sud, a été tracé un alphabet réparti sur plusieurs blocs du piédroit oriental (fig. 7)21. le cas le plus remarquable est visible à l’église du saint-sépulcre à Beaumont-du-ventoux (vaucluse). il s’agit d’une dépendance de saint-victor de Marseille, située à proximité de carrières exploitées pendant l’Antiquité et le Moyen Âge. L’édifice est de petites dimensions, composé d’une nef unique divisée en trois travées et terminée par une abside semi-circulaire22. on soulignera la facture de qualité de son moyen appareil, en particulier dans sa partie orientale. Plusieurs marques lapidaires ainsi que des « signatures » entières de personnages connus sur d’autres chantiers, tels Stephanus, Ugo et Pontius, sont conservées à l’intérieur comme à l’extérieur. À côté de ces marques lapidaires composées d’une lettre isolée ou de noms complets, on peut suivre sur le pourtour extérieur de l’église un triple alphabet. il débute au piédroit oriental de la porte sud et se déroule dans le sens inverse des aiguilles d’une montre en remontant vers le chevet pour revenir vers la façade occidentale et se termine à la porte par la lettre Z, présente au piédroit est (fig. 8). Seules les lettres C et D sont absentes, absence

17. collectif, « l’ordre de chalais et l’abbaye de valbonne, histoire et archéologie », dans Provence histo­rique, t. 51, fasc. 205, 2001, p. 355-356.

18. Ibid., p. 364, 372-374.19. sur les liens entre consécration et bornage des biens ecclésiastiques, on peut se reporter à d. iogna-

Prat, La Maison Dieu, une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris, 2006, p. 386-387.20. Jean-Maurice rouquette a consacré une brève notice à ce monument, J.-M. rouquette, Provence

romane, cit., p. 50.21. la graphie de l’alphabet est différente des lettres utilisées dans les marques lapidaires présentes sur

plusieurs blocs de moyen appareil du monument.22. g. BarruoL, Provence romane, cit., p. 422-423.

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fig. 8. saint-sépulcre (Beaumont-de-ventoux, vaucluse), triple alphabet de part et d’autre de la porte (cliché Y. codou).

fig. 7. alphabet gravé sur le piédroit de l’église saint-Blaise-de-Bauzon (vaucluse) (clichés Y. codou).

a b

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fig. 9. saint-sépulcre (Beaumont-de-ventoux, vaucluse), alphabet au chevet de l’église (cliché Y. codou).

qui s’explique par la reconstruction de cette zone du parement23. le rythme est variable, bien qu’assez régulier (fig. 9) ; il y a quelques interférences sur le mur gouttereau nord24. les lettres se répètent trois fois, comme cela est bien lisible à la porte ou aux chaînes d’angles (fig. 10). Cet alphabet se distingue des marques ou « signatures » par la différence de facture. les lettres sont amples, elles occupent l’essentiel du bloc et sont gravées profondément25. cette différence de traitement par rapport à des marques lapidaires classiques s’explique par la volonté d’offrir des marques lisibles durablement, qui traversent les siècles et s’imposent aux regards de tous. Pour ce qui est de la datation, je proposerai de manière large la seconde moitié du xiie siècle, voire le dernier quart du xiie siècle26.

23. le mur sud, à l’est de la porte, a été reconstruit sans doute du fait de bouleversements importants, peut-être liés à un tremblement de terre.

24. cela peut s’expliquer, mais j’en doute, par une reprise du parement qui aurait entraîné un déplacement des blocs, ou encore par un rythme différent dans la circumambulatio lors du triple circuit, ce qui sous-entendrait que l’alphabet ait été gravé au moment même de la dédicace à l’emplacement précis qui avait reçu la bénédiction du consécrateur.

25. on peut différencier les premières lettres – les a – qui sont simplement incisées.26. le cas de Beaumont-de-ventoux s’avère une exception. rares sont les exemples comparables.

l’alphabet autour de l’église est évoqué dans la thèse de troisième cycle de Jean MiChaud, Les inscrip­tions de consécration d’autels et de dédicaces d’églises en France du viiie au xiiie siècle. Épigraphie et liturgie, thèse de 3e cycle, université de Poitiers, 1978, dactyl., p. 93 : il signale comme seuls exemples chauvigny et asnières en Poitou. un cas d’alphabet présent sur le pourtour des murs extérieurs de l’église se retrouve à l’église saint-geniès à uzès. on ne conserve que le chevet, le reste étant ruiné. on peut y lire les lettres de l à P : C. treffort, « inscrire son nom dans l’espace liturgique à l’époque

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ces témoins archéologiques des alphabets attestent clairement une distorsion entre l’organisation de la dédicace rapportée par les sources liturgiques des ordines de consé-cration, où l’alphabet est tracé sur une croix en X composée de cendre disposée sur le sol du lieu de culte. néanmoins, ce triple alphabet monu-mental fait écho à un rituel décrit dans un sermon de dédicace d’adhémar de chabannes, du début du xie siècle27. les prélats participant à la cérémo-nie de dédicace auraient fait trois fois le tour de l’église, à l’extérieur, en chantant des psaumes, et auraient alors gravé sur les murs de l’église des caractères dans les trois langues : Terque ecclesiam cum psalmo circu­meuntes extrinsecus, trium lingua­rum caracteres in parietibus sculpere curarunt. selon ce texte, la gravure de l’alphabet en trois langues, hébreu, grec, latin, est réalisée sur les murs

lors de la cérémonie, sans doute en suivant le clerc consécrateur au moment de la triple circumambulation autour de l’église.

alors que classiquement, selon les rituels, l’alphabet était tracé sur le sol de l’église et représentait l’enseignement et la formation dans les écritures, sa dispo-sition circulaire sur les murs extérieurs de l’église peut développer un autre sens symbolique ou plutôt enrichir son contenu symbolique. ainsi, les a et les Z se rejoignant renvoient au christ en se référant à l’alpha et à l’oméga28.

romane », dans Les Cahiers de Saint­Michel de Cuxa, 34, 2003, p. 150-151. sur les alphabets, on peut se reporter dans ce volume à la contribution de cécile treffort.

27. l’extrait du sermon de dédicace d’adémar de chabannes (v. 1029-1031) dans lequel il est question de l’inscription monumentale de l’alphabet figure dans le recueil de v. Mortet et P. desChaMPs, Recueil de textes relatifs à l’histoire de l’architecture et à la condition des architectes en France au Moyen Âge, t. 1, p. 80-82, réédit. Paris, 1995, p. 166-168. le rite de l’inscription de l’alphabet sur les murs extérieurs se retrouve dans un ordo de consécration de narbonne connu par des manuscrits du xie siècle, M. gros, « el ordo romano-hispánico de narbona para la consagración de iglesias », dans Hispania Sacra, 19/2, no 38, 1966, p. 344-345.

28. cette idée se trouve par exemple chez isidore de séville : Etymologiarium, […] : dicens : Ego sum alpha et w : concurrentibus enim in seinvicem alpha ad w usque devolvitur, et rusus w ad alpha replicatur : ut ostenderet in se Dominus, et initii decursum ad finem, et finis decursum ad initium, éd. J.-P. Migne, PL, 82, lib. i, col. 7.

fig. 10. saint-sépulcre (Beaumont-de-ventoux, vaucluse), lettre Y triple et marque lapidaire r (cliché Y. codou).

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L’iconographie de la dédicace

la représentation iconographique de la dédicace apparaît dans certains cas. on la trouve dans l’inscription de dédicace de l’église sainte-Marthe de tarascon29. l’inscription évoque la consécration en 1197 de la nouvelle église reconstruite à la suite de cette invention du corps de sainte Marthe en 1187. trois scènes décorent la partie supérieure. la scène de droite présente la découverte de la dépouille de la sainte. au centre se lit l’ascension au ciel de son âme portée par des anges, tandis que la scène de droite évoque la consécration de l’église par les deux prélats mentionnés dans l’inscription imbert d’aiguières, archevêque d’aix assisté de rostang Marguerite, évêque d’aix, qui se tiennent de part et d’autre de l’autel (fig. 11). Dans le cas du Saint-Sépulcre de Beaumont-de-Ventoux, l’inscription monumentale de la consécration, saisissable par l’alphabet, incite une nouvelle lecture du décor sculpté qui orne le linteau en bâtière du tympan de la porte sud (fig. 12). Cette représentation, attribuable au dernier quart du xiie siècle, est une sculpture en méplat assez fruste, en particulier pour ce qui est du personnage. elle est sans nul doute contemporaine du reste de la construction30. on y voit représenté

29. CIFM, t. 14, p. 140-142.30. l’aspect fruste, inachevé, de cette sculpture, l’originalité de son discours et les réminiscences

perceptibles de décors antiques ont pu faire penser à un réemploi. il s’agit plus simplement d’une œuvre réalisée par un des tailleurs de pierre présent sur le site peu habitué à ce type de figuration, ce qui explique cette facture gauche. on pourra remarquer la présence d’un autre bloc de facture approchante, réemployé dans le parement du mur.

fig. 11. sainte-Marthe de tarascon, inscription de dédicace, détail : consécration de l’autel par deux prélats (cliché Y. codou).

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au centre, compris dans une arcature soutenue par des colonnettes, un personnage bénissant de la main droite, accosté de croix pattées sur des hampes et aux extré-mités du linteau, en symétrie, ce qui paraît être la représentation de sarcophages aux couvercles en bâtière. c’est une œuvre romane qui est marquée par des rémi-niscences de décors antiques, tels des décors de sarcophages. on peut bien sûr y voir une image du christ victorieux. Pour ma part, je proposerai une lecture qui renvoie aussi à la consécration en y distinguant un clerc (évêque) bénissant ou consacrant un espace, ce qu’attesteraient les croix hampées, « plantées » selon les recommandations canoniques. l’espace consacré serait alors l’église, représentée par l’arcade où se trouvent placés le personnage et le cimetière figuré par les sarcophages31. l’image du personnage bénissant n’est toutefois pas accompagnée des attributs épiscopaux classiquement attendus tels que la crosse ou la mitre. aussi, peut-on proposer de voir dans cette image un christ consécrateur ou un évêque traité iconographiquement comme le christ. il en est de même des croix qui évoquent les croix de la consécration et la croix du christ victorieux32. cette image double va prendre sa source dans les textes qui comparent la dédicace de l’église aux noces du christ et assimilent l’évêque consécrateur au christ, comme le souligne par exemple Honorius d’autun (vers 1130) : Ecclesiae dedicatio est

31. L’identification de ces représentations comme étant des sarcophages me semble la plus cohérente. Il est vrai que l’image du tombeau peut aussi renvoyer à l’autel, divers textes évoquant l’autel-tombeau, le sepulcrum, du fait des reliques qui y sont déposées. on aurait dans ce cas l’image de deux autels. on pourrait imaginer aussi des reliquaires, voire des représentations réduites d’églises. sans exclure totalement ces lectures, je reste attaché à l’hypothèse de représentations de tombeaux. cette lecture est d’ailleurs soutenue par le vocable du lieu de culte lui-même : le saint-sépulcre, qui renvoie à la tombe sacralisée.

32. Sur la croix, on peut se reporter dans ce volume à la contribution de Didier Méhu où il souligne l’im-portance de la croix lors de la consécration lue comme un véritable exorcisme.

fig. 12. tympan sculpté de l’église du saint-sépulcre, Beaumont-de-ventoux (cliché Y. codou).

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Ecclesiae et Christi nuptialis copulatio. Episcopus qui eam consecrat est Christus qui Ecclesiam desponsaverat33. si l’alphabet gravé sur le pourtour de l’église témoigne de la sacralité de l’édifice, le tympan élargit cette sacralité aux abords, notamment à l’espace cimétérial. il illustre l’acte de consécration du cimetière qui entourait l’église ou rappelle qu’au-delà de l’église, consacrée par l’alphabet, les tombes qui entourent le monument sont elles aussi comprises dans un espace consacré, ou au moins saint34.

cette mise en scène monumentale de l’acte de consécration représente donc un témoin d’exception, un hapax, difficile à contextualiser35.

un autre type de représentation renvoie à la dédicace et se relie à la repré-sentation du personnage central du tympan du saint-sépulcre. il s’agit de mains bénissantes isolées, le plus souvent comprises dans une couronne. cette main bénissante évoque, là encore, une image double de la main du christ et de l’action de l’évêque lors de la consécration. on rencontre ce motif en général aux portes des lieux de culte : tels les cas de l’église du thor (vaucluse)36, de clermont (commune d’apt, vaucluse)37 et de saint-apollinaire (commune de Puimoisson, alpes-de-Haute-Provence)38. le cas le plus évocateur est celui de l’église notre-Dame de Clermont où la main surmonte l’inscription de dédicace (fig. 13). Ce motif se retrouve sur une dalle correspondant sans nul doute à un devant d’autel (commune de Reillanne, Alpes-de-Haute-Provence). Au centre est figurée la main bénissante, sur son pourtour sont ménagées quatre ouvertures circulaires, ayant sans doute pour fonction de mettre en contact les fidèles avec les reliques conservées sous l’autel ; aux extrémités sont représentés saint Jacques et saint Martin (fig. 14).

À l’issue de cette première approche, le constat qui s’impose est la rareté des traces matérielles de la dédicace lisibles sur les monuments. les alphabets, en particulier celui de Beaumont-de-Ventoux, sont remarquables et font figures d’exceptions, au moins dans l’état actuel de l’enquête. on ne conserve que quelques croix de consécrations attribuables à la période médiévale, gravées ou peintes sur des enduits. Plus encore, les inscriptions de dédicaces, que l’on pour-rait considérer comme les plus représentatives de la conservation de la mémoire de l’acte, sont finalement en faible nombre.

33. J. MiChaud, Les inscriptions de consécration, cit., p. 34-35, 40-41, cette image est présente chez d’autres auteurs qui sont évoqués dans le travail de Jean Michaud.

34. sur les différences entre espace sacré et espace saint, se reporter à M. Lauwers, Naissance du cime­tière, cit., p. 98-99.

35. Il resterait à définir si le décor sur le tympan est en place avant la consécration ou si la sculpture a été réalisée après construction. l’étude des modes de tailles pourrait permettre de préciser si la sculpture a été exécutée alors que le linteau était déjà en place.

36. J.-M. rouquette, Provence romane, cit., p. 54.37. g. BarruoL, Provence romane, cit., p. 81.38. J. thirion, « À propos des découvertes de Puimoisson. Quelques exemples de la diversité des églises

des ordres militaires », dans La sauvegarde de l’art français, 4, 1987, p. 19-20.

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la pluralité des cas montre que les traces matérielles ne sont pas précisément codifiées. La consécration apparaît comme un acte fugace pour lequel il n’est pas essentiel de laisser une trace. dans le rituel, dominent des actes de lustrations, d’onctions, l’alphabet est inscrit sur la cendre, les croix sont tracées avec de l’eau bénite. le rituel est aussi un temps de la parole. seul le dépôt des reliques est un événement durable. ce temps majeur qui entraîne la métamorphose du monument reste un temps de l’éphémère.

fig. 13. Main bénissante, tympan de l’église notre-dame de clermont (apt, vaucluse) (cliché g. Barruol).

fig. 14. devant d’autel (reillanne, alpes-de-Haute-Provence) (cliché Y. codou).

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ConséCration et MéMoire des « fondateurs »

la place des fondateurs et consécrateurs évolue durant la période considérée. Je m’attacherai à ce propos à un dossier original qui est le témoin des concep-tions ecclésiastiques qui s’imposent au cours du xie siècle. il s’agit de l’ensem-ble épigraphique de Saint-Saturnin d’Apt (Vaucluse) où se trouvent étroitement associées la mémoire de la consécration et la mémoire des hommes.

Église, patronage laïque et pouvoir épiscopal

l’église saint-saturnin est une chapelle castrale liée directement à un vaste donjon (fig. 15)39. l’ensemble, bien que remanié, appartient au xie siècle40.

les inscriptions se concentrent dans l’abside. il s’agit tout d’abord de l’inscription de dédicace, présente dans le piédroit nord de l’arc triomphal (fig. 16) :

Haec . doMus . santi . saturnini . est . consecrata . triuM ePiscoPoruM . Personis . raiMBaldi . arelaten

39. y. Codou, « l’habitat au Moyen Âge : le cas de la vallée d’apt », dans Provence historique, t. 38, fasc. 152, 1988, p. 156 ; g. BarruoL, Provence romane, cit., p. 86-87.

40. l’hagiotoponyme de saint-saturnin est utilisé dès le xe siècle pour désigner la villa. une seconde église dédiée à Étienne faisait office d’église paroissiale, y. Codou, « l’habitat au Moyen Âge », cit., p. 156-157.

fig. 15. saint-saturnin d’apt (vaucluse), vue générale du château et de l’église castrale (cliché Y. codou).

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sis . arcHiePiscoPi . et . ugonis sanaciencis . ePiscoPi . etalFani . usaPtensis . ePiscoPi. Mense . Ma[dii] die . Kalendario . iiiano . doMini . M . l . vi41

lié à l’inscription de dédicace, on conserve un cippe support de table d’autel, comportant dans sa partie supérieure le loculus. ce cippe est orné de moulu rations, dans ses parties inférieure et supérieure, et de cannelures ornées d’oves sur les côtés ; cela délimite un champ épigraphique étroit où a été insérée l’inscription42 (fig. 17) :

41. traduction : « cette demeure de saint-saturnin a été consacrée par les personnes de trois évêques : raimbaud, archevêque d’arles, Hugues, évêque de senez et alfant, évêque d’apt, au mois de mai, le 3e jour des calendes [29 avril], l’an du seigneur 1056 », CIFM, t. 13, p. 192.

42. il n’est pas exclu que le cippe lui-même corresponde à un réemploi antique.

fig. 16. saint-saturnin d’apt, inscription de dédicace (cliché Y. codou).

fig. 17. saint-saturnin d’apt, support de la table d’autel (cliché Y. codou).

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i n onoresantisaturniniMartiri43.

Faisant face à l’inscription de dédicace, de manière symétrique, sur le piédroit sud de l’arc triomphal sont scellés deux obits (fig. 18) :

nonos . noveMBrisHoBiit . arBaldus44

iii . nonos . Mad . ii . oBiit . Poncius . Polverellus .45

43. « en l’honneur de saint saturnin, martyr », CIFM, t. 13, p. 195. les « restaurations » malheureuses de ces inscriptions, en particulier une restitution de lettres à la peinture noire, faussent la lecture. ainsi, on lit aujourd’hui in onos, alors que l’étude détaillée montre que l’on a sous la peinture in onore.

44. « aux nones de novembre [5 novembre], mourut arbald », CIFM, t. 13, p. 193.45. « le 3 des nones de mai [5 mai], mourut Pons Pulverel », CIFM, t. 13, p. 194.

fig. 18. saint-saturnin d’apt, obits (cliché Y. codou).

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ces inscriptions sont réalisées par la même personne, comme l’atteste la graphie spécifique de certaines lettres, tels les M aux jambages très écartés ou les s en forme de Z retourné. cela démontre que ces inscriptions forment un tout et doivent être considérées dans leur ensemble.

les divers personnages qui apparaissent dans ces inscriptions sont bien connus et sont issus des grands lignages provençaux de la période. l’archevêque d’arles, raimbaud de reillane46, est accompagné de deux évêques : l’évêque diocésain, alphant, et l’évêque de senez. alphant est un neveu de raimbaud et apparaît fréquemment à son côté dans divers actes conservés, tandis que Hugues, évêque de senez, du lignage des castellane, est le frère d’arbald et de Pons Pulverel, seigneurs de saint-saturnin47.

la date de 1056 placée à la base de l’inscription est un rajout postérieur48. dans son ouvrage Chorographie de la Provence, Honoré Bouche, en 1664, retranscrit l’inscription sans mentionner l’existence d’un millésime et propose alors la date de 105649. c’est sans doute à la suite de cette suggestion que le millésime de 1056 a été ajouté au bas de l’inscription de dédicace. cette propo-sition de date était fondée sur la mise en relation de l’inscription avec la tenue du concile de toulouse cette même année. si cette hypothèse, comme nous le verrons par la suite, semble logique50, il reste que l’on doit plutôt proposer la date de 1057, dès lors que le concile s’est déroulé en septembre et que la dédi-cace a été réalisée en avril.

c’est dans le contexte du concile de toulouse que cet ensemble épigraphique prend tout son sens51. en effet, lors de ce concile, présidé par raimbaud d’arles et Pons archevêque d’aix, on condamne précisément le droit de patronage des laïcs sur les églises et l’on édicte des canons sur la défense des biens d’églises face aux laïcs. Ces mesures concernent directement l’église de Saint-Saturnin d’Apt que l’on peut qualifier d’église castrale en raison de sa dépendance directe du château. Par la consécration, raimbaud démontre que même ce lieu de culte, réservé à la familia du seigneur résidant dans la fortification, dépendait du pou-voir ecclésiastique. La consécration, dans ce cas, ne coïncide sans doute pas

46. archevêque d’arles de 1030 à 1069.47. e. Magnani soares-Christen, Monastères et aristocratie en Provence, milieu xe­début xiie siècle,

Münster, 1999, p. 503.48. les variations de graphie entre la date et le reste de l’inscription ainsi que l’absence de réglure permet-

tent déjà à l’observation d’envisager le rajout.49. h. BouChe, Chorographie ou description de la Provence et histoire chronologique du même pays,

aix-en-Provence, 1664, t. i, p. 225.50. si nous prenons l’épiscopat des trois évêques ainsi que les dernières mentions d’arbald et Pons

Pulverel, la date de 1056, placée sur l’inscription, est tout à fait acceptable. e. Magnani soares Christen, Monastères et aristocratie, cit., p. 503.

51. voir dans ce volume le développement de Michel lauwers sur le personnage de raimbaud d’arles et le concile de toulouse. on peut se reporter aussi à o. PontaL, Les conciles de la France capétienne jusqu’en 1215, Paris, 1995, p. 167-168, et à e. Magnani soares-Christen, Monastères et aristo­cratie, cit., p. 259-260.

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avec la construction du monument, mais elle inscrit dans la pierre les décisions du concile de Toulouse. La justification de la dédicace repose sur le fait que l’on a alors déposé dans le support d’autel des reliques de saint saturnin, rappor-tées de toulouse sans doute par raimbaud ou alphant. cet acte de consécration participe donc à une remise en ordre des prérogatives des pouvoirs ecclésias-tiques et laïques, qui est également illustrée par un acte du cartulaire de la cathé-drale d’apt. la mainmise du lignage sur les possessions ecclésiastiques du territoire de saint-saturnin avait dû être à l’origine des tensions entre l’évêque alphant et Pons Pulverel, qui se traduisent dans un acte de 1053. cette charte fait état d’un accord passé entre ces deux personnages, par lequel alphant renou-velle un contrat de précaire qui avait été conclu entre l’aïeul de Pons Pulverel et l’évêque nartold. la nouvelle précaire précise que Pons Pulverel détient les dîmes des villae de saint-saturnin, agnane et antignane avec les églises saint-étienne, saint-sulpice et saint-Filibert, mais il doit verser en échange plusieurs redevances à l’évêque et reconnaît que les clercs qui desservent les églises seront nommés par l’évêque52.

le dossier des inscriptions de saint-saturnin porte la marque de raimbaud d’arles. elles sont les témoins matériels d’évolutions dans la perception du lieu de culte et dans les relations entre les seigneurs laïques et l’Église, des conceptions largement développées par raimbaud d’arles et relayées localement par l’évêque alphant53. Par la dédicace, comme par la précaire de 1053, les clercs essayent de faire reconnaître – voire d’imposer – leur autorité sur les biens d’église, tout en faisant des concessions aux membres des lignages considérés comme les « bien-faiteurs » de l’église en leur réservant une place éminente dans le lieu de culte, ce qu’attestent leurs obits placés auprès de l’autel, faisant pendant à l’inscription de dédicace. l’aristocratie ne se proclame plus fondatrice, mais elle est associée au monument sous la forme des obits. c’est là une sorte de compensation à la dispa-rition d’inscriptions évoquant leur action fondatrice qui pouvait donner l’image d’une mise en dépendance du monument par rapport aux puissants laïques. De fait,

52. n. didier, J. BarruoL, h. duBLed, Cartulaire de l’Eglise d’Apt (835­1130 ?), Paris, 1967, acte 99. l’église dédiée à saint saturnin existe sans doute déjà mais n’est pas évoquée dans l’acte car elle n’assume pas les fonctions paroissiales.

53. Les termes mêmes de l’inscription de dédicace portent l’influence de Raimbaud. Cette petite église est désignée par le mot domus, mot auquel est attaché raimbaud ainsi que cela est exprimé dans la charte de dédicace de l’église de la Motte qu’il réalise : utroque Testamento decrevit hedificari sibi domum, ut pote ad suum nomen invocandum suumque verbum audiendum, M. guérard, Cartulaire de l’abbaye Saint­Victor de Marseille, cit., acte 553, de 1052. l’idée est énoncée peu de temps auparavant, en 1049, par Pons, archevêque d’aix, autre personnage majeur du concile de toulouse, dans une charte concernant le terroir de tourves (var). dans cet acte, l’archevêque précise que ces maisons que l’on élève à Dieu sont fréquemment appelées églises par les fidèles : que domus ob frequentia fideliumque convenentiam ecclesiarum vocabulum sortite sunt, M. guérard, Cartulaire de l’abbaye Saint­Victor de Marseille, cit., acte 325. on retrouve cela aussi dans l’acte de consécration de l’église sainte-Marie de la celle par l’archevêque Pons en 1056. le terme d’ecclesia est peu utilisé en particulier dans les dédicaces du xie siècle, ce n’est sans doute pas un hasard.

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on peut remarquer la raréfaction du nom du constructeur, du fon-dateur laïque, après le xie siècle dans les inscriptions de dédicace provençales54.

saint-saturnin pose aussi la question du rôle et de la fonction du nom du consécrateur dans les inscriptions de dédicaces. il est révélateur que le nom n’est pas un élément indispensable : seules certaines inscriptions comportent cette précision. on peut retenir que ce sont surtout les inscriptions du xie siècle qui éprouvent le besoin de mention-ner le nom du consécrateur, en général l’évêque diocésain55, telle cette inscription de dédi-cace de l’évêque étienne d’apt : doMnu[s] steFanu[s]ePiscoPus sacr[a]vit ECCLESIA (fig. 19)56. Par de telles inscriptions, l’évêque affirme son autorité sur le lieu

de culte. il se signale face aux autres pouvoirs en place, que ce soit les seigneurs laïques ou les ordres réguliers, et il inscrit son autorité spatialement à une période où le diocèse connaît une véritable territorialisation. Si les laïques peuvent être les bâtisseurs, le monument ne peut recevoir sa sacralité que de l’évêque, qui en fait la « Maison de dieu »57.

54. cette remarque n’est fondée que sur les quelques cas provençaux et demanderait à être étayée par une enquête élargie.

55. Michaud remarque lui aussi que la mention du prélat consécrateur va être fréquente à partir du xie siè-cle, « les inscriptions de consécration », cit., p. 72, 84.

56. CIFM, t. 13, p. 186-187. À propos de cette inscription, la mention d’étienne est un moyen pour lui de marquer son pouvoir sur un terroir détenu par le lignage des castellane avec lequel il connaît des tensions, y. Codou, « les évêques d’apt et l’abbaye saint-eusèbe : remarques sur le cartulaire d’apt », dans g. BarruoL, y. Codou, dir., L’abbaye Saint­Eusèbe de Saignon (Vaucluse) et ses dépendances. Histoire et archéologie, les cahiers de Haute-Provence, les alpes de lumière, 2006, p. 55.

57. M. Lauwers, Naissance du cimetière, cit., p. 67-79 ; d. iogna-Prat, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris, 2006, p. 48-62, 275-277.

fig. 19. inscription de dédicace de saint-Michel d’albiana (saignon, vaucluse) (cliché Y. codou).

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« CeLui dont dieu Connaît Le noM »

Hors du temps de la dédicace, mais en relation étroite avec cet événement qui confère sa sacralité au monument, les hommes ont éprouvé le besoin de laisser leur nom dans l’église58. il importe de comprendre ces actions comme des consé-quences de la sacralité qui est conférée à l’édifice par la dédicace.

Inscrire son action dans le lieu de culte

Je voudrais m’attacher, à partir de quelques cas exemplaires, aux « signa tures » de constructeurs. ces « signatures » sont bien représentées dans les monuments du second âge roman de l’espace provençal, tel le nom d’Ugo souvent évoqué59 : on débat sur l’interprétation de ces « signatures », que l’on peut difficilement nommer marques lapidaires. remarquables sont les inscriptions comportant la revendication de la réalisation60. dans la chaîne d’angle de l’abside de la petite église saint-Blaise de la Martre (var), sur un des blocs en moyen appareil se lisait ugo Me Fecit (fig. 20)61. de même, sur le tympan de la porte d’accès à la crypte d’apt (vaucluse) le nom d’ugo est gravé profondément alors qu’à la suite sont incisées les lettres MF, qui renvoient à me fecit (fig. 21)62. une inscription comparable se trouve à l’entrée de l’arc triomphal de l’abside de l’église saint-raphaël de solérieux

58. Je retiens ici l’inscription du vivant de la personne et laisse de côté les obits ou les listes de noms gravées sur les autels ou sur les ambons.

59. h. révoiL, Architecture romane du midi de la France, Paris, 1873, t. i, appendice, pl. ii-vii ; L.-h. LaBande, « la cathédrale de vaison », dans Bulletin monumental, 69, 1905, p. 274, 297 ; e. Lefevre-PortaLis, « répertoire des architectes, maçons, sculpteurs, charpentiers et ouvriers fran-çais au xie et au xiie siècle », dans Bulletin monumental, 75, 1911, p. 422-468 ; J. vaLLery-radot, « le domaine de l’école romane de Provence », dans Bulletin monumental, t. 103, Paris, 1945, p. 28 ; g. tournier, « sur les traces d’ugo », dans Archéologia, no 1, 1964, p. 36-37 ; g. BarruoL, Provence romane, cit., p. 361-362 ; y. esquieu, « sur les traces des tailleurs de pierre au Moyen Âge : pour une lecture plus attentive des marques de tâcherons », dans Mélanges offerts à George Duby, aix-en-Provence, 1992, p. 119 ; n. reveyron, « le chantier de construction à l’époque romane », dans Initiation à l’art roman, a. PraChe, dir., Paris, 2002, p. 32. s. CLaude, Le château de Gréoux­les­Bains (Alpes­de­Haute­Provence). Une résidence seigneuriale, du Moyen Âge à l’époque moderne, Paris, 2000, p. 80, 91.

60. À propos de ce type de formule et de son interprétation, on trouvera des remarques dans P. a. Mariaux, « Quelques hypothèses à propos de l’artiste roman », dans Médiévales, 44, 2003, p. 203-208. on peut se reporter aussi à : J. CaMPs i soria, i. Lorés i otZet, « le patronage dans l’art roman catalan », dans Les Cahiers de Saint­Michel de Cuxa, 26, 2005, p. 211, et à r. favreau, « Fonctions des inscrip-tions au Moyen Âge », dans Études d’épigraphie médiévale, limoges, 1995, p. 179-182.

61. cette inscription a été prélevée dans les années 1960 par Paul-albert Février et raymond Boyer qui redoutaient un vol, elle est aujourd’hui conservée au centre archéologique du var à draguignan.

62. À apt, Ugo est là imposant à l’entrée d’un lieu saint, ainsi qu’en témoigne une inscription circu-laire qui se développe sur le mur du déambulatoire proclamant la sainteté du lieu : Hanc criPtaM sanctaM, CIFM, t. 13, p. 108.

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fig. 20. inscription de la Martre (var) en place dans la chaîne d’angle de l’église (cliché r. Boyer-P. a. Février).

fig. 21. signature vgo MF, tympan de la porte d’accès à la crypte d’apt (vaucluse) (cliché Y. codou).

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(Drôme) : BARBARINI ME FECIT (fig. 22)63. ces inscriptions sont attribuables à la seconde moitié du xiie siècle et plus probablement au dernier quart.

on peut aussi évoquer des séries de noms associés. dans la coupole du chœur de la cathédrale d’apt (vaucluse) plusieurs noms complets, tel Ugo, ou abrégés – AR, BE – sont gravés sur les blocs formant une même assise (fig. 23)64. une situation comparable est observable dans l’église saint-Honorat des alyscamps à arles. au sommet de la voûte en cul-de-four de l’abside, sur une nervure qui vient encadrer la clef de voûte portant une croix, sont tracées des marques lapidaires de grand format, formées de plusieurs lettres associées, qui sont les signatures d’artisans qui ont travaillé dans le monument (fig. 24). Dans ces deux exemples, ces inscriptions de noms, abrégés ou complets, qui se développent sur les voûtes, se trouvent dans deux espaces très spécifiques. Dans le cas arlésien, ils figurent sur le sommet de la voûte au-dessus de l’autel, espace de la célébration eucha-ristique, qui surplombe la crypte où reposent les dépouilles des saints évêques arlésiens. À apt, leur localisation dans la coupole est symbolique par elle-même, mais là aussi l’importance de l’espace choisi est renforcée par le fait que cette coupole surmonte la crypte où reposent les corps des saints aptésiens.

un autre exemple, un peu différent, peut être évoqué. sur le couvercle en bâtière de l’évêque Hilaire d’Arles, se lit l’inscription, ou plutôt le graffito : GHISELEBERTUS FECI… (fig. 25). Le Corpus Inscriptionum Latinarum proposait une lecture plus développée : gHiseleBertus Fecit Hv… s65. cette inscription est assez irrégulière et de petites dimensions. si le couvercle et l’inscription funéraire qui l’accompagne sont de l’antiquité tardive (vers 449), cette signature est postérieure66. la localisation de cette formule, que l’on attri-buera de manière large au Moyen Âge, montre qu’elle s’adresse au saint dont les restes gisent dans la tombe. si nous en restons aux constats des signatures précédentes, il peut s’agir d’un personnage qui a réalisé des travaux auprès de la tombe et qui a signé sur le couvercle, liant ainsi directement son nom au saint67.

63. g. BarruoL, Dauphiné roman, la Pierre-qui-vire, 1992, p. 331. M. Bois, H. desaye et J.-c. Mège, proposent d’identifier ce personnage avec un clerc commanditaire de la construction et non avec un maître d’ouvrage. M. Bois, h. desaye, J.-C. Mège, « Quelques inscriptions médiévales de la drôme », dans Hommage à Robert Saint­Jean, Art et histoire dans le Midi languedocien et rhodanien (xe­xixe s.), Mémoires de la Société archéologique de Montpellier, 21, université Paul-valéry, 1993, p. 82-83.

64. du fait de la localisation des ces lettres, même en utilisant des jumelles, il n’est pas possible de dresser une liste vraiment satisfaisante de ces « signatures ». dans un avenir proche, la mise en place d’écha-faudages par les Monuments historiques devrait permettre de préciser les lectures. des auteurs anté-rieurs avaient proposé une lecture, sans nul doute incomplète et fautive : c. BearuBo PerFecit, g. BarruoL, Provence romane, cit., p. 354. Ubo renvoie sans doute à Ugo. on retiendra la lecture possible de fecit, qui reste à confirmer.

65. Corpus Inscriptionum Latinarum, vol. 11, 1888-1901, Berlin, p. 122, no 949. cette inscription est absente du corpus des inscriptions médiévales.

66. le cil proposait de la dater du xe siècle.67. on remarquera que le nom n’a subi aucune dégradation alors que le fecit a été bûché, ce qui semble

témoigner d’un problème posé par une telle revendication apposée sur la tombe du saint.

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fig. 22. signature BarBarini Me Fecit, église saint-raphaël de solérieux (drôme)

(cliché g. Barruol).

fig. 23. noms, complets et abrégés, sur la coupole de la cathédrale d’apt (vaucluse) (cliché Y. codou).

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fig. 24. noms abrégés sur la voûte en cul-de-four de saint-Honorat d’arles (Bouches-du-rhône) (cliché Y. codou).

fig. 25. Graffito présent sur le couvercle du tombeau d’Hilaire d’Arles (clichés Y. Codou).

a

b

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Mais cette interprétation reste fragile : il peut aussi s’agir d’un vœu ou d’un don au saint68. Ce cas, assez différent des exemples précédents, montre la difficulté d’interpréter de façon univoque ces signatures accompagnées de la formule me fecit et témoigne d’évolutions du contenu de cette formule.

le développement des signatures de personnages qui sont sans doute des maîtres d’œuvre témoigne de diverses évolutions. il s’agit d’une part du résultat de l’importance accrue accordée à la matérialité du lieu de culte. celui-ci s’impose comme un espace sacré et son édification va bien au-delà de la seule construc-tion matérielle. la présence des signatures « d’artisans » ou « d’artistes » en ce dernier quart du xiie siècle pose d’autre part la question de l’importance du maître d’ouvrage dans le chantier, de son poids, de son « autorité » au sein de l’équipe et aussi de ses relations, notamment de sa liberté avec le commanditaire. ces signatures témoignent de la place nouvelle qu’assument les constructeurs et les maîtres d’œuvre69. elles dévoilent un nouveau regard sur le travail70. dès lors, maître d’ouvrage et maître d’œuvre vont vouloir et pouvoir revendiquer une réalisation71.

68. on possède un exemple comparable à vagnas, ardèche. sur un fragment de couvercle de sarcophage se lit une inscription incomplète se terminant par ME FECIT. l’inscription est datée du xe siècle, CIFM, t. 16, p. 94-95, fig. 58.

69. Plus largement, elles sont un jalon dans l’approche de l’individu dans le monde de la création archi-tecturale. on peut se reporter aux remarques récentes de daniel russo : « le nom de l’artiste, entre appartenance au groupe et écriture personnelle », dans B. Bedos-reZaK, d. iogna-Prat, dir., L’individu au Moyen Âge, individualisation et individu avant la modernité, Paris, 2005, p. 235-246. selon, daniel russo : « l’artiste ou l’artisan se voit tout entier absorbé par le corps social, avec lequel il ne fait qu’un, parce qu’il ne peut en être distingué. au mieux, les traces laissées dans la pierre, les signes portés sur les inscriptions, ne sont pas des marquages identitaires ou, s’ils en sont, ils renvoient à l’illustration du maître d’ouvrage, à son patronage, à son auctoritas… » il rejoint certaines de mes considérations pour ce qui est des liens avec le divin : « il s’agit, d’une façon ou d’une autre, de mettre sous le regard de dieu l’œuvre accomplie et l’humble rappel de l’exécutant. » il évoque les évolu-tions perceptibles au xiie siècle, en particulier en italie, et souligne « l’émergence d’une individualité particulière, celle d’un artiste qui est, tout ensemble, un réalisateur manuel et le protagoniste d’un travail propre à l’inscrire dans la mémoire civile ». on peut aussi se reporter à e. CasteLnuovo, « l’artiste », J. Le goff, dir., dans L’Homme médiéval, Paris, 1989, p. 233-266. il met en exergue l’abondance des signatures d’artistes conservées en italie mais aussi en France et en allemagne pour le xiie siècle et y voit un témoignage de l’importance que va prendre l’architecte dans l’organisation et le déroulement du chantier au cours du xiiie siècle. sur les marques lapidaires comme témoignages d’une prise de conscience de l’identité individuelle du tailleur de pierre, on trouvera aussi des remar-ques dans J.-L. van BeLLe, « les marques de tailleurs de pierre. Pour une problématique régionale et internationale », dans Artistes, artisans et productions artistiques au Moyen Âge, x. BarraL i aLtet dir., Paris, 1987, vol. ii, p. 519-524.

70. voir à ce propos les remarques de robert Fossier sur « le travail maudit » et « le travail sauvé », Le travail au Moyen Âge, Paris, 2000, p. 18-25.

71. c’est ce que l’on trouve sur l’inscription d’un bas-relief de l’église saint-raphaël (var), datée de 1261, où l’évêque revendique la commande alors que le magister revendique la réalisation. CIFM, t. 14, p. 170-171 ; Y. Codou, M. PisKorZ, s. rouCouLe, « l’église saint-raphaël (var) », dans Paul­Albert Février de l’Antiquité au Moyen Âge, M. fixot, dir., Publications de l’université de Provence, 2004, p. 48-49.

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Les « pierres vivantes »

ces signatures, que l’on intègre dans une désignation très générique de marques lapidaires, ont souvent été interprétées comme la signature d’une action très maté-rielle et la revendication d’une réalisation architecturale majeure. les variations dans les graphies ont poussé divers auteurs à voir dans ces noms, non pas la signa-ture propre à une personne, mais un nom qui désignerait un atelier ou une équipe, qui inscrirait sa marque de fabrique, comme une sorte « d’encart publicitaire »72. cette idée peut être confortée par le fait que l’on trouve ces noms en des lieux où les travaux sont complexes et demandent une technicité accomplie tels les voûtements, les coupoles, et que l’on peut observer des variations dans la facture des noms. toutefois, l’interprétation de ces noms comme témoins de réalisations purement matérielles n’est pas totalement satisfaisante73. si, dans l’exemple de la crypte d’apt, on peut soutenir que la signature reven dique des réalisations archi-tecturales complexes, l’exemple de la petite église de La Martre, simple édifice du second âge roman qui ne se distingue en rien de centaines d’autres monuments d’une grande banalité, vient contredire ce schéma d’interprétation74. Quant aux variantes graphiques, comme celles bien lisibles à Apt où on trouve Ugo avec un g faucille sur le tympan de la crypte et Ugo avec un g majuscule dans la coupole, elles ne me paraissent pas pouvoir témoigner de personnages différents75. en somme, les noms inscrits ne peuvent être lus comme des revendications de réalisations matérielles précises (tel voûtement, telle porte ou telle chaîne d’angle).

72. on a pu aussi voir dans Ugo un simple lapicide : P. a. Mariaux, « Quelques hypothèses à propos de l’artiste roman », dans Médiévales, 44, 2003, p. 212. lorsque l’on perçoit la place qu’il va se réserver à l’entrée de la crypte d’apt, une telle interprétation est peu vraisemblable.

73. on a sans doute des situations multiples et des sens multiples, même pour un nom identique. ainsi, on peut trouver des blocs portant le nom d’Ugo à l’envers qui ne recherchent pas une réelle signature et qui se relient à l’interprétation de marques lapidaires qui peuvent avoir des raisons utilitaires.

74. Ce monument porte même des signes d’archaïsmes pour la période, telle sa nef simplement charpentée. on retrouve deux signatures d’ugo dans une église du second âge roman intégrée dans le château de Gréoux-les-Bains (04), édifice lui aussi très simple comportant une nef charpentée, s. CLaude, Le château de Gréoux­les­Bains, cit., p. 91.

75. c’est ce que souligne nicolas reveyron : « les variations dans les graphies d’un même nom montrent que ces hommes possédaient les rudiments de l’écriture, sinon davantage : un graveur expérimenté reproduit toujours un dessin à l’identique, prenant soin de n’y rien changer ; si les graphies d’un même nom varient, c’est que l’assemblage de lettres est considéré non pas comme un dessin intangible, mais bien comme un nom, dont la forme matérielle est par nature instable », n. reveyron, « le chantier de construction à l’époque romane », cit., p. 32. dans certains cas, le nom peut être abrégé, ou, c’est fréquent dans le cas de Stephanus, présenté sous la forme d’un monogramme complexe. révélateur de l’inscription d’un nom est le cas de Poncius à Saint-Trophime d’Arles où l’inscription de son nom incomplet est accompagnée d’un tilde. Bien sûr, l’existence de personnages portant le même nom n’est pas à exclure, mais on peut aussi envisager que le personnage a une telle importance sur le chantier qu’il a pu commander ou déléguer l’inscription de son nom. Précisons toutefois que rien ne dit que les signatures sont de la main des « auteurs ». on aborde là le problème de l’individualisation de l’artiste, sculpteur, architecte à la période médiévale : P. a. Mariaux, « Quelques hypothèses à propos de l’artiste roman », cit., p. 206.

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Mis à part celle de la Martre sur la chaîne d’angle76, ces inscriptions se trouvent dans des situations clés, des espaces de transitus à la porte de la crypte, à l’entrée de l’abside – comme des inscriptions de dédicaces – où dans des zones de voû-tement : coupole, cul-de-four d’abside, autant d’espaces du sacré. on soulignera d’ailleurs que, dans le cas des signatures de la coupole d’apt, elles ne devai-ent pas être aisées à déchiffrer, ce qui démontre qu’elles ne s’adressent pas aux hommes77. les signatures d’Ugo dans la crypte d’apt et plus encore sur la chaîne d’angle de l’église de La Martre, où la pierre était soumise aux intem péries, sont gravées profondément. À la Martre, l’inscription est mise en valeur par un ample cartouche (fig. 26). Comme dans le cas de l’alphabet de Beaumont-de-Ventoux, ces noms sont là pour défier le temps, ils aspirent à l’éternité.

ces revendications sont liées à l’action plus qu’à la qualité de la réalisation. « l’artiste » – ou les « artistes » dans le cas de signatures multiples – veut lier son nom au monument et aux parties les plus sacrées de celui-ci. travailler à la construction de lieux de culte, c’est travailler pour dieu78. revendiquer la

76. une signature ugo comprise dans un cartouche se retrouve dans la chaîne d’angle nord-ouest de l’église de gréoux, s. CLaude, Le château de Gréoux­les­Bains, cit., p. 91.

77. Encore aujourd’hui, elles sont difficiles à lire, même en utilisant des jumelles et des moyens d’éclairage modernes. il faut aussi prendre en compte le fait que certaines inscriptions devaient être totalement invisibles, ne serait-ce que parce qu’elles étaient recouvertes d’enduits. on peut se reporter dans ce volume à l’article de Cécile Treffort où elle insiste sur l’aspect invisible de plusieurs inscriptions et leur fonction eschatologique.

78. cela est explicité dans le récit Les Quatre Fils Aymon : lorsque renaud décide de s’attacher au chantier de la cathédrale de cologne : « avec l’aide de dieu, notre Père céleste, je pourrai vivre et travailler ici. assurément, qui veut se donner du mal pour l’amour du tout-Puissant acquerra plus de mérites aux yeux de ce juste Juge en s’activant ainsi qu’en restant dans la forêt à bêcher la terre pour se nourrir. l’important n’est pas l’argent à gagner mais le salut de son âme qu’on a de bonnes chances de s’assu-rer. » Les Quatre Fils Aymon ou Renaud de Montauban, M. de CoMBarieu du grés, J. suBrenat, éd., Paris, 1983, p. 281. Pour ce qui est d’une approche plus large de ce récit et de son contexte, se reporter à d. iogna-Prat, La Maison Dieu, cit., p. 495-498.

fig. 26. inscription vgo Me Fecit, provenant de l’église de la Martre (var) (cliché Y. codou).

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construction, c’est revendiquer une œuvre pour dieu, une offrande, c’est une profession de foi pour l’au-delà79. on doit donc lire ces inscriptions à la lumière des récentes problématiques sur le don dans la société médiévale80. le don est divers, on donne des biens, des objets, des réalisations matérielles mais aussi des actions. si ici le maître d’œuvre fait un don, il ne peut prétendre donner le monu-ment, mais offre à dieu son labeur, sa créativité.

ainsi, ces noms qui occupent l’intégralité des blocs évoquent à n’en pas douter les « pierres vivantes »81 de l’ecclesia, pierres qui sont ici personnifiées.

des situations hétérogènes en Constante évoLution

la consécration est un acte fort, mais fugace, qui va d’abord et surtout garder sa trace, son souvenir et sa portée à travers les parchemins et en particulier les actes de consécrations82. on peut se demander à quoi va renvoyer la volonté d’inscrire le souvenir de la consécration dans la pierre. si cela est bien attesté, on ne doit pas en faire un fait courant. l’inscription de la dédicace prend place dans des contex-tes précis83. Plus rares encore sont les marques symboliques telles que les croix et plus encore les alphabets. nous sommes confrontés à une documentation hétéro-gène qui est en soi significative. La disparité et la diversité des situations montrent qu’il ne convient pas de voir dans la cérémonie de dédicace des xie-xiie siècles un rituel codifié au point d’offrir désormais une image monolithique. Il subsiste des distorsions entre les textes normatifs et les pratiques, et ce n’est que dans le courant des xiie et xiiie siècles que cela est de plus en plus codifié. Nous sommes en un temps de mutation dans la perception du lieu de culte, des évolutions ont lieu durant la période. les inscriptions prennent tout leur sens lorsqu’elles sont replacées dans leur contexte spécifique, comme en témoigne la mise en relation entre les inscriptions de saint-saturnin et le contenu des décisions prises au concile de toulouse.

l’inscription de son nom dans le lieu de culte présente là encore des cas divers, de l’obit à la « signature » d’artisans sur le monument où ils ont œuvré. Dans le cas de saint-saturnin, la mémoire des morts est intégrée par les inscriptions à

79. e CasteLnuovo, « l’artiste », cit., p. 233-266.80. Eliana Magnani, qui développe une réflexion d’ensemble sur le don, aborde la question des inscriptions

« fecit » ou « me fecit » dans un article général sur le don à la période médiévale, e. Magnani, « o dom entre história e antropologia. Figuras, mediévais do doador », dans Signum, 5, 2003, p. 169-193.

81. c’est là une image classique que l’on trouve par exemple chez guillaume durand de Mende : « car l’église matérielle dans laquelle le peuple se rassemble pour louer dieu représente la sainte église qui est construite dans les cieux de pierres vivantes. »

82. on se reportera dans ce volume à la contribution de Michel lauwers.83. Si c’est d’abord un constat qui s’impose à partir de l’étude des édifices romans de Provence, ce constat

peut être élargi à bien d’autres régions.

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l’acte de consécration et au dépôt de reliques dans l’autel. l’obit va remplacer la revendication de la fondation ou de la « possession » de l’église par les laïcs ; leur mémoire est associée à la mémoire de la sacralisation du lieu de culte. l’analyse des « signatures », noms de personnages œuvrant dans ces monuments, montre qu’il faut dépasser, pour certaines « marques lapidaires », les inter prétations purement matérielles liées au déroulement du chantier. les inscriptions de noms renvoient, sans doute possible, à la réalisation d’actes terrestres, qui sont de véritables dons à dieu et qui permettent au personnage d’obtenir des biens célestes. ce discours, ou plus simplement ce nom, écrit pour dieu, montre alors la sacralité dont est chargé le monument84.

université de nice – sophia antipolis

84. ainsi que le souligne Paul-albert Février, la volonté d’inscrire son nom témoigne aussi d’évolutions spirituelles : « on pensera à l’importance de ces formules du type « celui dont dieu connaît le nom ». l’anonymat est une des formes d’une spiritualité chrétienne, tant pour la construction que pour la tombe », P.-a. février, « Qui construit et le dit ? », dans Artistes, artisans et productions artistiques au Moyen Âge, x. BarraL i aLtet, dir., Paris, 1987, vol. 2, p. 11.

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