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Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2008) Etudes générales F.5 1 14422 1 LA CONSCIENCE DE LA VICTIME : UNE NOUVELLE CONDITION DE LA RÉPARATION DU DOMMAGE? par Isabelle LUTTE Avocat au barreau de Bruxelles Docteur en médecine Steven LAUREYS(*) Chef de clinique au sein du service de neurologie du C.H.U. de Liège Maître de recherches au Fonds national de la recherche scientifique TABLE DES MATIÈRES I. — Introduction II. — La conscience dans tous ses états A. — La définition de la conscience B. — La mort cérébrale C. — Le coma D. — L'état végétatif E. — L'état de conscience minimale F. — Le syndrome locked-in ou la conscience emmurée G. — Evaluation de la conscience III. — La conscience et le droit de la réparation A. — Introduction B. — Les principes 1. — Les conditions de la responsabilité 2. — Le dommage 3. — L'évaluation in concreto et la réparation intégrale du dommage C. — La reconnaissance des préjudices personnels de la victime inconsciente 1. — La thèse subjective 2. — La thèse objective D. — L'étendue de la réparation des préjudices personnels E. — La finalité de l'indemnisation des préjudices personnels IV. — Conclusion I. — INTRODUCTION 1. — L'amélioration des performances dia- gnostiques et thérapeutiques liée au progrès scientifique a incontestablement augmenté la complexité du débat éthique et légal relatif à la prise en charge de patients souffrant d'une lésion cérébrale. Ainsi, les connaissances médicales et tech- nologiques ont permis à de plus en plus de patients cérébro-lésés de survivre. Certains patients se rétablissent rapidement, d'autres présentent, avant de récupérer ou non un état de conscience normal, divers états de conscience altérée. Cinq états ont été cliniquement définis : la mort cérébrale, le coma, l'état végétatif, l'état de conscience minimale et le syndrome de verrouillage. A ce jour, il n'est guère possible d'évaluer directement la conscience. Cette absence d'évaluation directe de la conscience et de ses fluctuations rend le diagnostic et le pro- nostic hasardeux et incertains. - (*) Les auteurs remercient le Service public fédéral Santé publique et la Commission européenne pour le cofinancement de la recherche menée (sous la di- rection de Steven Laureys) au sein du Coma Scien- ce group (www.comascience.org).

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  • Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2008)

    Etudes générales — F.5

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    LA CONSCIENCE DE LA VICTIME : UNE NOUVELLE CONDITION DE LA RÉPARATION DU DOMMAGE?

    par Isabelle LUTTEAvocat au barreau de Bruxelles

    Docteur en médecine

    Steven LAUREYS(*)Chef de clinique au sein du service de neurologie du C.H.U. de LiègeMaître de recherches au Fonds national de la recherche scientifique

    TABLE DES MATIÈRES

    I. — Introduction

    II. — La conscience dans tous ses étatsA. — La définition de la conscienceB. — La mort cérébraleC. — Le comaD. — L'état végétatifE. — L'état de conscience minimaleF. — Le syndrome locked-in ou la conscience emmuréeG. — Evaluation de la conscience

    III. — La conscience et le droit de la réparationA. — IntroductionB. — Les principes

    1. — Les conditions de la responsabilité2. — Le dommage3. — L'évaluation in concreto et la réparation intégrale du dommage

    C. — La reconnaissance des préjudices personnels de la victime inconsciente1. — La thèse subjective2. — La thèse objective

    D. — L'étendue de la réparation des préjudices personnelsE. — La finalité de l'indemnisation des préjudices personnels

    IV. — Conclusion

    I. — INTRODUCTION

    1. — L'amélioration des performances dia-gnostiques et thérapeutiques liée au progrèsscientifique a incontestablement augmentéla complexité du débat éthique et légal relatifà la prise en charge de patients souffrantd'une lésion cérébrale.

    Ainsi, les connaissances médicales et tech-nologiques ont permis à de plus en plus depatients cérébro-lésés de survivre. Certainspat ients se rétabl issent rapidement,d'autres présentent, avant de récupérer ounon un état de conscience normal, diversétats de conscience altérée. Cinq états ontété cliniquement définis : la mort cérébrale,le coma, l'état végétatif, l'état de conscienceminimale et le syndrome de verrouillage.

    A ce jour, il n'est guère possible d'évaluerdirectement la conscience. Cette absenced'évaluation directe de la conscience et deses fluctuations rend le diagnostic et le pro-nostic hasardeux et incertains.

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    (*) Les auteurs remercient le Service public fédéralSanté publique et la Commission européenne pourle cofinancement de la recherche menée (sous la di-rection de Steven Laureys) au sein du Coma Scien-ce group (www.comascience.org).

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  • Cette incertitude médicale n'est pas sansrépercussion sur le droit de la réparation dudommage d'une victime cérébro-lésée (1).Certains considèrent que la victime doitdémontrer tant l'étendue que la prise deconscience de son préjudice corporel. Rai-sonnant de la sorte, la conscience est pré-sentée comme un prérequis indispensableà toute reconnaissance et à toute indemni-sation d'un préjudice corporel, spécialementles préjudices non économiques (2).

    Ce raisonnement pose deux questions l'unede nature médicale, l'autre d'ordre juridique :qu'appelons-nous conscience? Faut-il êtreconscient pour obtenir réparation de son pré-judice?

    II. — LA CONSCIENCE DANS TOUS SES ÉTATS

    A. — La définition de la conscience

    2. — Comprendre et, ensuite, définir la cons-cience est une tâche très complexe et auda-cieuse. Chacun sait ce qu'est la consciencejusqu'au moment où il tente de la définir (3).

    La conscience (4) est un état caractérisépar une conscience de soi — la consciencede ses propres pensées — et par la percep-tion consciente du monde environnant. Unetelle conscience nécessite un prérequisessentiel : la vigilance (5) ou l'éveil. Généra-lement, ces deux aspects sont en étroiterelation. En effet, plus la vigilance diminue

    (par exemple lorsque l'individu est en som-meil profond), plus l'activité consciente dimi-nue.

    3. — Toutefois, dans certaines situations, vi-gilance et activité consciente peuvent réap-paraître de façon dissociée, notammentdans les états végétatifs (voy. graphique ci-dessous).

    Tableau 1 : Les différents niveaux de cons-cience et de vigilance.

    Le clinicien doit toujours être attentif aumoindre comportement reflétant un signede conscience. De tels comportements doi-vent être bien entendus volontaires, repro-ductibles et clairement observés. Signalonségalement que percevoir une modificationde l'état de conscience chez un patientimpose une évaluation clinique systémati-que de jour en jour du patient.

    B. — La mort cérébrale

    4. — La mort cérébrale s'apparente à uncoma irréversible où le patient est apnéique(sans respiration spontanée) et totalementaréactif à son entourage (6).

    Un examen électro-encéphalographique (7)permet d'objectiver un tracé isolectriquesignant l'arrêt de toute activité électriquecérébrale (tracé plat). Avant de pouvoirposer le diagnostic de mort cérébrale, le cli-nicien doit s'assurer qu'aucune substancepharmacologique ou toxique, susceptibled'induire artificiellement un état comparable

    (1) D. de Callataÿ, « L'évaluation et la réparation dupréjudice en dro i t commun (accidents nonmortels) », R.G.A.R., 1994, no 12286, 14.2; M. Van-derweckene, « Nature et évaluation du dommagemoral », in Assurances, roulage, préjudice corporel,C.U.P., 2001, vol. 44, pp. 187-189; J.-L. Fagnart,« Définitions de préjudices non économiques », inPréjudices extrapatrimoniaux : vers une évaluationplus précise et une plus juste indemnisation, actesdu colloque du Jeune barreau de Liège, 16 septem-bre 2004, pp. 40-42; Th. Papart et Th. Ceulemenas,Vade-mecum du tribunal de police, Kluwer 2004,p. 271.(2) Carel J.-J.-M. Stolker, « The unconsciousplaintiff : consciousness as a prerequisite for com-pensation for non pecuniary loss », The internationaland comparative law quarterly, vol. 39, no 1, janvier1990, pp. 82-100.(3) D.A. Adams, M. Victor, A.-H. Roppert, Principlesof neurology, 1997, 6e éd., p. 344 : « Everyoneknows what consciousness is until he attends to de-fine it ».(4) La conscience est définie par la littérature anglo-phone sous le terme de awareness.(5) La notion de vigilance est définie par la littératureanglophone selon les termes suivants : alertness,arousal, vigilance, wakefulness.

    (6) « The Quality Standards Subcommittee of theAmerican Academy of Neurology (1995) : Practiceparameters for determining brain death in adults(summary statement) », Neurology, 1995, 45 (5),pp. 1012-1014.

    (7) Comparable à l'électrocardiogramme (ECG),l'électroencéphalogramme (E.E.G.) est l'enregistre-ment de l'activité électrique du cerveau, recueilliegrâce à des électrodes placées au niveau du cuirchevelu et amplifiée environ 106 fois par des amplifi-cateurs différentiels.

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    à celui de mort cérébrale, n'a été adminis-trée au patient ou ingurgitée par lui. Il doitégalement exclure une hypothermie. Dansde telles conditions, un diagnostic définitifde mort cérébrale pourra être établi lorsd'un second examen répété après unepériode de 6 à 24 h. L'artériographie desvaisseaux du cou (8) auparavant et le dop-pler transcrânien (9) actuellement montrentl'arrêt de perfusion sanguine du cerveau.Sans apport sanguin, le « cerveau » nepeut vivre.

    La mort cérébrale correspond à la destruc-tion irréversible de tout le cerveau et est, surle plan médical, assimilée à la mort de l'indi-vidu. Elle s'accompagne d'une abolition del'état de conscience (10).

    La poursuite de la prise en charge médicalene se justifie que par la perspective de réali-ser le prélèvement d'un ou plusieurs orga-nes en vue d'une transplantation (11).

    C. — Le coma

    5. — Le patient comateux n'ouvre pas lesyeux, ni spontanément, ni après une stimula-tion. Et, même après ouverture manuelle despaupières, aucune poursuite visuelle n'est ob-servée (12). Il n'émet aucun son et n'obéit àaucun ordre verbal. Aucune réponse volontai-

    re et consciente n'est observée. Il ne peut pasêtre éveillé, même à l'aide d'une stimulationdouloureuse. Il n'est pas conscient du mondeextérieur. Seule une activité réflexe persiste.Cet état doit durer au moins une heure pourêtre différencié d'une syncope ou d'un autreétat de conscience transitoirement altérée.

    Un scanner (13) ou, de préférence, unerésonance magnétique nucléaire (14), per-mettra ensuite de définir l'étendue deséventuelles lésions cérébrales. Le tracé del'électro-encéphalogramme est souventralenti de manière globale. Il doit être réa-lisé le plus précocement possible car ilconstitue un outil utile pour suivre l'évolutiondu patient comateux.

    Le coma peut survenir à la suite d'un trau-matisme (accident de la circulation) oud'autres circonstances non traumatiques :une anoxie (15) (pouvant résulter d'un arrêtcardiaque, d'une noyade, d'une pendaison),une intoxication, une infection ou encoreune perturbation métabolique. Les comasd'origine traumatiques sont réputés êtred'un meilleur pronostic que les comasanoxiques (16).

    (8) L'artériographie est l'exploration, du système ar-tériel par un produit de contraste radio-opaque àbase d'iode. Ce produit de contraste véhiculé par lesang permet de visualiser les artères. En cas de mortcérébrale, il n'y pas d'opacification des vaisseaux ducou et cérébraux traduisant l'absence (l'arrêt) d'ap-port sanguin au niveau cérébral.(9) Le doppler transcrânien est une technique utili-sant des ondes sonores de hautes fréquences (ultra-sons) qui permet d'enregistrer le flux ou la vitessedes globules rouges dans les gros troncs artériels in-tracrâniens. L'effet Doppler peut être comparé auxvariations de son que l'on entend quand une voiturepasse à vive allure devant nous. L'analyse de ces va-riations de sons (vers l'aigu, quand la voiture s'ap-proche, puis vers les graves quand la voiture s'éloi-gne) peut permettre de retrouver la vitesse duvéhicule. Voy. à ce sujet : E. Azevedo, J. Teixeira,J.-C. Neves et R. Vaz, « Transcranial Doppler andBrain Death », Transplantation Proceedings, 2000,32, pp. 2579-2581.(10) S. Laureys, « Death, unconsciousness and thebrain », Nature Reviews Neuroscience, 2005, 11,pp. 899-909.(11) I. Lutte, « L'expression de la volonté en périodede fin de vie », in Actualité de droit familial et de droitmédical - Les droits des personnes les plus faibles,UB3, 2007, pp. 48-88.(12) J.-B. Posner, C.-B. Saper, N.-D. Schiff, F. Plum,Plum and Posner's diagnosis of stupor and coma,Oxford Univeristy Press, 2005.

    (13) Un scanner est un appareil d'imagerie médicalequi utilise des rayons X. L'examen réalisé s'appellepar analogie un scanner ou un examen tomodensito-métrique (TDM). L'appareil de scanner comporte unlit d'examen, sur lequel le patient est allongé, et unanneau qui va tourner autour du patient en émettantdes rayons X (RX). Ceux-ci vont traverser la région àétudier. En fonction de leur densité, les tissus vontretenir une portion variable de ces rayons X. Plus ilssont denses, et plus ils retiennent les rayons X. Cequi reste du faisceau de RX initial va être recueilli pardes récepteurs et mesuré. Cette densité est repro-duite point à point selon une échelle de gris allant dublanc au noir sur une console informatique (imagenumérique). On obtient alors une image en coupe dela zone à étudier en fonction de sa densité. Un tissudense comme l'os est blanc, on dit qu'il est hyper-dense. Un tissu peu dense comme la graisse ou l'airest noir, on dit qu'il est hypodense.(14) La résonance magnétique nucléaire est unetechnique d'imagerie médicale plaçant les noyauxd'hydrogène sous l'action d'un champ magnétique.La traduction de la résonance de ces atomes en si-gnaux électromagnétiques permet l'acquisitiond'images d'une excellente résolution. Cette techni-que est très utile pour l'observation du cerveau. Larésolution de cet examen est nettement meilleureque celle du scanner.(15) L'anoxie cérébrale est la privation du cerveauen apport d'oxygène.(16) J. Attia et D. J. Cook, « Prognosis in anoxic andtraumatic coma », Crit. Care Clin., 1998, 14, p. 497-511 et M. Kirsch, P. Boveroux, P. Massion,B. Sadzot, M. Boly, B. Lambermont, M. Lamy,P. Damas, F. Damas, G. Moonen, S. Laureys etD. Ledoux, « Comment prédire l'évolution du coma

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  • « Un patient dans le coma peut recouvrer laconscience, comme si “quelqu'un” avaitallumé la lumière dans le cerveau endormirétablissant le fonctionnement des con-nexions cérébrales » (17)

    Le coma prolongé est rare. Le coma peutdurer de deux à quatre semaines puis évo-luer vers un retour à un état en pleine cons-cience, un état de mort cérébrale, un étatvégétatif ou rarement, un syndrome lockedin (syndrome de verrouillage).

    D. — L'état végétatif

    6. — Le patient en état végétatif est éveillémais inconscient. Il ne répond pas à la com-mande verbale et, s'il peut émettre des gro-gnements, il ne parle pas et ne produitaucun mot. Dans certains cas, des compor-tements tels que cligner des yeux (18), rire,pleurer ou grimacer sans raison apparenteont été observés. Aucun comportementn'est volontaire et dirigé dans un but précis :le patient présente une activité réflexe (19).

    Etablir un pronostic est difficile. Le jeuneâge, une étiologie traumatique, la brièvetéde la durée de l'état végétatif améliorent lepronostic (20).

    7. — Le terme végétatif signifie seulementqu'il y a préservation des fonctions autono-mes (régulation cardio-vasculaire, thermoré-gulation) et du cycle veil le - sommeil(épisodes d'ouverture spontanée des yeux).

    L'état végétatif est qualifié de persistantlorsque le patient reste un mois ou plus

    dans cet état et de permanent après unepériode de trois mois (pour une étiologienon traumatique) à un an (pour une étiolo-gie traumatique). Cependant, ces dernièresappellations sous-entendent une quasi-absence de récupération et peut donner lieuà de graves décisions (comme l'arrêt de touttraitement médical ou de toute alimentation)(21). Il est ainsi préférable de ne préciserque la cause et la durée de l'état végétatifen mo is e t d 'év i te r l es é t ique t tes« persistant » ou « permanent » (22) (voy. legraphique ci-dessous).

    Tableau 2 : Evolution des patients en étatvégétatifs traumatiques (52) et non trauma-tiques (64) sur une période de 12 mois.

    (ECM = Etat de conscience minimale; EV = Etat végétatif)

    E. — L'état de conscience minimale

    8. — L'état de conscience minimale, défini en2002 (23), se caractérise, contrairement àl'état végétatif, par un certain degré de cons-

    post-anoxique », Revue médicale de Liège, 2008,63, pp. 263-268.(17) S. Laureys, M.-E. Faymonville, P. Maquet,« Quelle conscience durant le coma? », Pour lascience, 2002, no 302, p 122.(18) Voy. à ce propos : L. Bonfiglio, M.-C. Carbonci-ni, P. Bongioanni, P. André, F. Minichilli, M. Forni etB. Rossi, « Spontaneous blinking behaviour in per-sistent vegetative and minimally conscious states :relationships with evolution and outcome », BrainResearch Bulletin, 2005,68 : pp. 163-170.(19) « Ethics and humanities subcommitty of theAAN - Position statement : certain aspect of the careand management of profoundly and irreversibly pa-ralysed patients with retained consciousness and thecognition - Report of the Ethics and humanities sub-committee of the American Academy of Neurology »,Neurology, 1993, 43, pp. 222-223.(20) « The Multi-Society Task Force on PVS : Medi-cal Aspects of the persistent vegetative state », NEngl. J. Med., 2005, 330 (21), pp. 1409-1508.

    (21) « ANA Committee on Ethical Affairs : Persistentvegetative state : report of the American Neurologi-cal Association Committee on Ethical Affairs », AnnNeurol, 1993, 33 (4), pp. 386-390.(22) S. Laureys, M.-E. Faymonville et J. Berre,« Permanent vegetative state and persistent vegeta-tive state are not interchangeable terms », BMJ,2000, http://bmj.com/cgi/eletters/321/7266/916#10276.(23) J.-T. Giacino, S. Ashwal, N. Childs, R. Cran-ford, B. Jennett, D.-I. Katz, J.-P. Kelly, J.-H. Rosen-berg, J. Whyte, R.-D. Zafonte et autres, « The mini-mally conscious state : definition and diagnosticcriteria », Neurology, 2002, 58, pp. 349-353.

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    cience. Un patient en état de conscience mi-nimale présente des réponses reproductiblesà la commande ou peut suivre des yeux unobjet de manière soutenue. Ces réponses etces comportements témoignent d'une certai-ne conscience de l'environnement extérieur.Le patient ne peut pas communiquer (verba-lement ou non verbalement) de manière fonc-tionnelle. Il peut manifester des comporte-ments émotionnels adaptés, contrairementaux patients en état végétatif qui pleurent etrient de manière non pertinente.

    9. — Il est important de souligner que ces ré-ponses sont souvent fluctuantes. Elles peu-vent être observées puis absentes d'un jourà l'autre ou selon le moment de la journée.La réponse à une stimulation ou à un ordreverbal peut nécessiter un certain délai : elleest souvent latente. Une sollicitation impor-tante et répétée est parfois indispensable.Cette réponse devra être reproductibleavant de conclure à une action volontaire.

    Une récupération de l'état de conscience vade pair avec des réponses de plus en plusconsistantes. Le patient est sorti de l'état deconscience minimale lorsqu'il est capablede communiquer de manière fonctionnelleou d'utiliser un objet.

    Bien qu'il soit difficile d'émettre un pronosticdans de telles situations, les chances derécupération d'un patient présentant un étatde conscience minimale sont meilleuresque celles d'un patient en état végétatif.Cependant, certains patients ne progres-sent pas ou peu et restent de manière pro-longée dans cet état, incapables de com-muniquer leurs pensées et leurs souhaits.

    F. — Le syndrome locked-in ou la conscience emmurée

    10. — Un patient souffrant d'un syndromelocked-in est un patient emprisonné dansson corps. Il entend, il comprend, il éprouvedes sentiments mais il est incapable de bou-ger. En apparence, et seulement en appa-rence, le patient ayant un syndrome locked-in ressemble à une personne dans le coma,en état végétatif ou en état de conscienceminimale, alors que les patients locked-insont entièrement conscients de leur environ-nement et d'eux-mêmes (24).

    Le syndrome locked-in se caractérise parune tétraplégie, une anarthrie (impossibilitéde parler) et une paralysie du visage àl'exception de certains mouvements desyeux et des paupières. Cet état est, la plu-part du temps, la conséquence d'une throm-bose artérielle (25). Plus rarement, il peuts'agir d'un traumatisme crânien. La lésionsiège au niveau du tronc cérébral, structureassurant la jonction entre le cerveau et lamoelle épinière.

    Classiquement, les patients ayant un syn-drome locked-in sont quasi immobiles. Leurparalysie les empêche de répondre auxordres moteurs que, pourtant, ils entendentet comprennent. Les seuls moyens de com-munication avec l'extérieur sont les mouve-ments des yeux. En effet, les mouvementsverticaux des yeux et les clignements sonthabituellement préservés (26). Dès lors, il ya lieu d'être attentif, lors de leur suivi et deleur prise en charge, à leur incapacité àcommuniquer leur souffrance physique oupsychologique autrement que par des mou-vements oculaires.

    11. — Le patient ayant un syndrome locked-in peut répondre à une série de questionspar un code élémentaire (par exemple leverles yeux pour oui, et baisser les yeux pournon). Ce code peut être établi dès la phaseaiguë. Il doit être instauré au plus tôt et per-

    (24) Le lecteur intéressé pourra trouver une descrip-tion de cet état de syndrome locked-in dans le livre

    Le scaphandre et le papillon de Jean-DominiqueBauby (éditions Robert Laffont, 1997). Le 8 décem-bre 1995, un accident vasculaire brutal a plongéJean-Dominique Bauby, journaliste et père de deuxenfants, dans un coma profond. « Quand il ensortit », toutes ses fonctions motrices étaient détério-rées. Présentant un syndrome locked-in —littéralement : enfermé à l'intérieur de lui-même — ilne pouvait ni bouger, ni parler. Dans ce corps inerte,seul un œil bouge. Cet œil, devient son lien avec lemonde, avec les autres, avec la vie. Il cligne une foispour dire « oui », deux fois pour dire « non ». Avecson œil, il arrête l'attention de son visiteur sur les let-tres de l'alphabet qu'on lui dicte et forme des mots,des phrases, des pages entières. Avec son œil, ilécrit un livre, Le scaphandre et le papillon, dont cha-que matin pendant des semaines, il a mémorisé lesphrases avant de les « dicter ».(25) La thrombose artérielle est l'obstruction de l'ar-tère par un caillot de sang. Un tableau clinique desyndrome locked-in peut résulter d'une thrombosesiégeant au niveau de l'artère (artère basilaire) irri-guant le tronc cérébral.(26) S. Laureys, F. Pellas, P. Van Eeckhout,S. Ghorbel, C. Schnakers, F. Perrin, J. Berre, M.-E.Faymonville, K.-H. Pantke, F. Damas, M. Lamy,G. Moonen et S. Goldman, « The Locked-insyndrome : what is it like to be conscious but paraly-zed and voiceless », Progress in Brain Research,2005 (150), pp. 495-511.

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  • mettre une évaluation des fonctions cogniti-ves et, consécutivement, de sa capacité dedécision (27). D'autres moyens de commu-nication plus élaborés peuvent ensuite êtreemployés, tels qu'un alphabet adapté à leurmode de communication (28) ou à un appa-reil informatisé qui leur permet de communi-quer grâce à une caméra détectant lesmouvements oculaires, lesquels peuventêtre traduits dans un code permettant decommander un ordinateur (29).

    La paralysie est rarement complète. Ainsi,certains patients récupèrent la mobilitéd'une (ou plusieurs) partie(s) du corps(comme la tête ou un doigt). Cette récupé-ration, même minime, est précieuse et cer-taines technologies peuvent être adaptéesen fonction des mouvements préservés (parexemple une chaise roulante téléguidée parle doigt mobile) augmentant ainsi l'autono-mie du patient. En fait, avec l'évolutionactuelle des technologies de pointe, environla moitié de ces patients peuvent retournerà domicile avec des soins adaptés.

    Ces patients peuvent survivre longtemps(30) et regagner une qualité de vie (31). A laquestion « cette vie vaut-elle encore la

    peine d'être vécue? », la plupart des méde-cins répondent par la négative. Ce n'est pasl'avis des patients! Selon une étude menéeen collaboration avec l'Association françaiseALIS (www.alis-asso.fr) (32), 80% de ceux-ci se disent heureux. Et un patient sur centseulement demande l'euthanasie.

    G. — Evaluation de la conscience

    12. — Si les concepts de « coma », d'« étatvégétatif », de « conscience minimale » et le« syndrome locked-in » sont relativementaisés à définir (33), il est en revanche sou-

    (27) C. Schnakers, S. Majerus, S. Goldman,M. Boly, P. Van Eeckhout, S. Gays, F. Pellas,V. Bartsch, P. Peigneux, G. Moonen et S. Laureys,« Cognitive function in the locked in syndrome », J.Neurol., 2008, 255, pp. 323-330; C. Schnakers,A. Vanhaudenhuyse, M.-A. Bruno et S. Laureys,« Evaluation cognitive chez le patient en locked-insyndrome, » in Entretiens de médecine physique etde réadaptation, F. Pellas, C. Kiefer, J.-J. Weiss etJ. Pelisiser, 2008, pp. 136-147.(28) L'alphabet esarine est un alphabet adapté à unetelle situation.(29) M.-A. Bruno, F. Pellas, C. Schnakers, P. VanEeckhout, J. Bernheim, K.-H. Pantke, F. Damas, M.-E. Faymonville, G. Moonen, S. Goldman et S. Lau-reys, « Le locked-in syndrome : la conscience em-murée », Revue neurologique, 2008 (164), pp. 322-335.(30) La survie moyenne est six ans (données de l'As-sociation ALIS). La survie la plus longue est de27 ans. La mortalité est plus élevée au cours de laphase aiguë; M.-A. Bruno, F. Pellas, J. Bernheim,D. Ledoux, S. Goldman, A. Demertzi, S. Majerus, A.Vanhaudenhuyse, V. Blandin, M. Boly, P. Boveroux,G. Moonen, S. Laureys et C. Schnakers, « Quellevie après le locked-in syndrome? », Revue médicalede Liège 2008, 63, pp. 445-451.(31) M.-A. Bruno, J. Bernheim, C. Schnakers etS. Laureys, « Locked-in : don't judge a book by itscover », J neurol Neurosurg Psychiatry, 2008, 79,pp. 2 et 144; M.-A. Bruno, F. Pellas et S. Laureys,« Quality of life in locked-in syndrome survivors », in2008 Yearbook of Intensive Care and EmergencyMedicine, J.-L. Vincent, Springer-Verlag (éd.), Bre-lin, 2008, pp. 881-890.

    (32) M.-A. Bruno, F. Pellas et S. Laureys, « Qualityof life in locked-in syndrome survivors« , in 2008Yearbook of Intensive Care and Emergency Medici-ne Edited by Vincent JL, Springer-Verlag, Berlin,2008 : pp 881-890.

    (33) Une correcte définition de ces différents étatsest essentielle à une approche adaptée du patient.Aussi, il est regrettable que le législateur fasse réfé-rence à un état végétatif persistant (qualificatif à évi-ter) en visant des états de conscience différents (telque état de conscience minimale ou pauci-relation-nel). Ainsi, l'article 3 de l'arrêté royal du 18 novembre2005 déterminant l'intervention de l'assurance soinsde santé obligatoire pour les médicaments, le maté-riel de soins et les auxiliaires pour les patients en étatvégétatif persistant visés à l'article 34, alinéa 1er,14o, de la loi relative à l'assurance obligatoire soinsde santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994(M.B., 30 novembre 2005; entrée en vigueur le1er janvier 2006) livre la définition suivante : « Par“patient en état végétatif persistant” au sens du pré-sent arrêté, il y a lieu d'entendre le patient qui consé-cutivement à un accident aigu (traumatisme crâniensévère, arrêt cardiaque, rupture vasculaire...), suivid'un coma dont les techniques d'éveil n'ont pas puaméliorer la situation : soit est en état neurovégétatifpersistant, à savoir : 1. ne témoigne d'aucune évi-dence de conscience de soi-même ou de l'environ-nement et est dans l'incapacité d'interagir avec lesautres; 2. n'a pas d'évidence de réponse maintenuereproductible dirigée volontaire à des stimuli visuels,auditifs, tactiles ou douloureux; 3. n'a pas d'éviden-ce d'une forme quelconque de langage, que cela soitau niveau de la compréhension ou de l'expression;4. peut avoir une ouverture occasionnelle, sponta-née des yeux, a des mouvements oculaires possi-bles, pas nécessairement en poursuite; 5. peut pré-senter un évei l (vigi lance sans conscience)intermittent démontré par la présence de cycles deveille/sommeil; 6. a des fonctions hypothalamiquesou tronculaires suffisamment préservées pour per-mettre une survie avec des soins médicaux et denursing; 7. n'a pas de réponse émotionnelle en in-jonction verbale; 8. présente une incontinence uri-naire et fécale; 9. présente une relative préservationdes réflexes crâniens et spinaux. Et cela depuis aumoins trois mois; soit est en état pauci relationnel(E.P.R.) lequel diffère de l'état végétatif parce que lesujet manifeste une certaine conscience de lui et deson environnement. Il peut parfois être capable d'ungeste orienté ou de répondre à quelques stimuli pardes pleurs ou des rires, des oui ou non par gestes ouarticulation. La présence constante d'un seul de ces

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    vent délicat et difficile d'évaluer la conscien-ce d'un patient qui ne communique pas. Leserreurs de diagnostic sont évaluées de 30 à40% (34)! Ainsi, dans 30 à 40% des cas, despatients souffrant d'un état de conscienceminimale sont diagnostiqués en état végéta-tif (35).

    13. — En raison de ce taux important d'er-reurs de diagnostic, l'évaluation de l'état deconscience d'un patient nécessite et requiertune évaluation clinique systématique répé-tée de jour en jour, durant des semaines voi-re davantage, par un praticien compétent.Rien n'autorise de faire l'impasse d'un telexamen clinique.

    14. — Outre l'examen clinique précité, lepraticien devra recourir à certaines échellesstandardisées et validées (36). L'échelle laplus connue est certes celle de Glasgow(Glasgow Coma Scale). Cette échelle per-met une évaluation rapide dès l'admissiondu patient. Elle permet également de suivrel'évolution du patient au cours de son coma.Elle comprend une évaluation motrice, ver-bale et visuelle. Seule la meilleure réponseobservée spontanée ou en réponse à unestimulation à chaque sous-échelle est rete-nue pour la cotation. La somme de ces diffé-rentes sous-échelles constitue un score totalsur 15 points.

    Cette échelle a subi une extension permet-tant d'explorer l'évaluation des réflexes et,indirectement, l'intégrité du tronc cérébral(37). Ainsi étendue, l'échelle de Glasgowest appelée échelle de Glasgow-Liège(GLS).

    15. — La « Coma Recovery Scale » (CRS)ou l'échelle de récupération du coma (38)s'adresse à des patients en état végétatif ouen état de conscience minimale. Elle consis-te en trente-cinq items et évalue les fonc-tions auditive, visuelle, motrice, oromotrice,verbale, la communication et l'éveil. Lesitems de chacune de ces parties sont dispo-sés hiérarchiquement du niveau le plus bas,représentant des réponses réflexes, au ni-veau le plus haut, correspondant aux activi-tés corticales. De plus, tandis que le GLSs'intéresse à des réponses hiérarchique-ment plus inférieures, cette échelle évalueles fonctions plus complexes, telles que lacommunication ou encore la prise de déci-sion. Elle permet ainsi de mieux détecter leschangements au niveau de la récupérationdu patient et de mieux prédire la récupéra-tion fonctionnelle. La CRS est la meilleureéchelle, le meilleur outil dans l'état actuel dela science, permettant de différencier un étatvégétatif d'un état de conscience minimale(39).

    16. — La Wessex Head Injury Matrix(WHIM) a été conçue pour évaluer de ma-nière sensible l'évolution du patient, ce dèsla sortie du coma jusqu'à une récupérationrelativement complète de la conscience etdes fonctions cognitives. Elle évalue princi-palement l'éveil et la concentration, la cons-cience visuelle (c'est-à-dire la poursuitevisuelle), la communication, la cognition(mémoire, orientation spatio-temporelle) etles comportements sociaux. La WHIM est

    signes permet de classer le sujet comme E.P.R. Ladépendance reste totale, avec des déficiences corti-cales inexplorables, des déficits sensoriels et mo-teurs massifs. »(34) N.L. Childs, W.N. Mercer et H.W. Childs, « Ac-curacy of diagnosis of persistent vegetative state »,Neurology, 1993, pp. 1465-1467; K. Andrews,L. Murphy, R. Minday et Cl. Littlewood, « Misdiagno-sis of the vegetative state : retrospective study in arehabilitation unit », BMJ, 1996, 313, pp. 13-16.(35) A. Vanhaudenhuyse, C. Schnakers, M. Boly,M.-A. Bruno, O. Gosseries, V. Cologan, P. Bove-roux, D. Ledoux, S. Piret, C. Phillips, G. Moonen,A. Luxen, P. Maquet, S. Bredart et S. Laureys,« Evaluation comportementale et par neuroimageriefonctionnelle des patients en état végétatif », Rev.méd. Liège, 2007; 62, synthèse 2007, p. 8.(36) A. Vanhaudenhuyse, C. Schnakers, M. Boly,M.-A. Bruno, O. Gosseries, V. Cologan, P. Bove-roux, D. Ledoux, S. Piret, C. Phillips, G. Moonen,A. Luxen, P. Maquet, S. Bredart et S. Laureys,« Evaluation comportementale et par neuroimageriefonctionnelle des patients en état végétatif », Rev.méd. Liège, 2007; 62, synthèse 2007, pp. 15-20;A. Vanhaudenhuyse, C. Schnakers, M. Boly,F. Perrin, S. Bredart et S. Laureys, « Détecter les si-gnes de conscience chez le patient en état de cons-cience minimale », Réanimation, 16, 2007, pp. 527-532.

    (37) Le tronc cérébral est la partie assurant la jonc-tion entre le cerveau et la moelle épinière.(38) J.T. Giacino, K. Kalmar et J. Whyte, « The JFKComa Recovery Scale-Revised : measurement cha-racteristics and diagnostic utility », Arch. Phys. Med.Rehabil., 2004, 85(12), pp. 2020-2029.(39) C. Schnackers, S. Majerus, J. Giacino, A. Van-haudenhuyse, M.-A. Bruno, M. Boly, G. Moonen,P. Damas, B. Lambermont, M. Lamy, F. Damas,M. Ventura et S. Laureys, « A French validation stu-dy of the Coma Recovery Scale - Revised (CRS-R) », Brain Injury, sous presse. Un manuel d'utilisa-tion en version française et en version néerlandaiseest disponible à l'adresse http://www.coma.ulg.ac.be/medical/chronic.html.

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  • une échelle principale qui se compose de 62items ordonnés selon une séquence hiérar-chisée et reflétant la séquence moyenne derécupération observée auprès d'une grandepopulation de patients sévèrement cérébro-lésés. Le score représente le rang du com-portement le plus évolué observé. On peutaussi additionner le nombre de comporte-ments observés d'une évaluation à l'autrepour permettre une plus grande précision.Cet outil est particulièrement indiqué chezles patients en état de conscience minimaleet qui ne semblent plus évoluer au niveaud'autres échelles moins sensibles (commela GCS). Il est vrai que la réalisation de cetteéchelle prend plus de temps que celled'autres échelles (quelques minutes à plusde 30 minutes selon l'état de conscience dupatient). Cependant, la WHIM permet d'ob-server tant les déficits que les capacités pré-servées du patient et peut être le point dedépart d'une véritable prise en charge dumalade.

    17. — Un suivi par examen électrophysiolo-gique (comme l'électroencéphalogrammeou les potentiels évoqués) mérite d'être pro-grammé (40).

    18. — Grâce aux techniques d'imagerie mé-dicale, les lésions seront visualisées et dé-terminées très précocement. Ces examensd'imagerie médicale peuvent être répétéslors du suivi du patient. L'imagerie fonction-nelle (41) telle que la tomographie à émis-sion de positrons (PET scan) (42) ou l'IRMf

    (43) permet de fournir des informationsquant au fonctionnement cérébral des pa-tients en état de conscience altérée par rap-port à celui de sujets sains. Ces dernièresannées, plusieurs travaux de recherche ontpermis de montrer l'apport de ces techni-ques dans le suivi et l'adaptation de la priseen charge du patient cérébro-lésé.

    Ainsi, une dépression globale du métabo-l isme cérébral de 40 à 50% chez despatients comateux d'origine traumatique ouhypoxique a été montrée (44). Une telledépression est comparable à la diminutionmétabolique observée lors du sommeil pro-fond. La récupération n'est cependant pastoujours accompagnée d'un rétablissementcomplet de l'activité cérébrale et une dimi-nution de 25% a pu être observée chez despatients ayant récupéré d'un coma post-anoxique. Néanmoins, aucune corrélationn'a encore été trouvée entre la diminutiondu métabolisme et les chances de récupé-ration (45).

    Chez les patients en état végétatif, la dimi-nution du métabolisme est de 50 à 60% etsemble encore s'aggraver (60 à 70%) pourles patients en état végétatif de longuedurée. En outre, on observe une atteintesystématique des cortex associatifs (46)connus pour être impliqués dans les pro-cessus liés à la conscience tels que l'atten-tion, la mémoire et le langage (47). Il estnéanmoins difficile de savoir si cette dimi-nution vient d'une perte irréversible deneurones ou si elle est fonctionnelle et

    (40) A. Vanhaudenhuyse, S. Laureys et F. Perrin,« Cognitive event-related potentials in comatose andpost-comatose states », Neurocritical care, 2008 (8),pp. 262-270.(41) Par opposition aux techniques d'imagerie médi-cale conventionnelle, dites anatomiques (radiologie,scanner, imagerie par résonance magnétique nu-cléaire), les techniques d'imagerie fonctionnelle s'in-téresseront à la fonction des organes, des tissus oudes cellules, c'est-à-dire à leur métabolisme. Lestechniques d'imagerie fonctionnelle sont la scintigra-phie, le petscan, et certaines études d'I.R.M., diteI.R.M. fonctionnelle.(42) La tomographie par émission de positons(T.E.P.) est une technique d'imagerie médicale fonc-tionnelle, également appelée métabolique) fondéesur l'administration d'une substance radioactiveémettrice de photons gamma (le plus souvent du 18Fluoro Deoxy Glucose ou 18 FDG), dont on suit ladistribution dans l'organisme avec un détecteurapproprié : le PET scan. Le cerveau utilise le glucosecomme substrat énergétique. Une zone cérébraleactive consomme plus de glucose qu'une zone céré-brale au repos.

    (43) L'IRMf ou la résonance magnétique nucléairefonctionnelle est une technique d'imagerie par réso-nance magnétique nucléaire (R.M.N.) permettant decartographier les activités fonctionnelles du cerveau.Le principe consiste à mesurer l'oxygénation aug-mentée dans les zones cérébrales actives ou acti-vées.(44) S. Laureys, C. Lemaire, P. Maquet, C. Phillipset G. Franck, « Cerebral metabolism during vegetati-ve state and after recovery to consciousness », J.Neurol. Neurosurg. Psychiatry, 1999, 67, p. 121.(45) S. Laureys, A. Owen et N. Schiff, « Brain func-t ion in coma, vegetat ive state and re la teddisorders », Lancet neurology, 2004, 3, pp. 537-546.(46) Les cortex associatifs correspondent aux zonescérébrales impliquées dans les opérations comple-xes du traitement de l'information tels que les pro-cessus cognitifs (mémoire, langages, attention, pla-nification, ...).(47) S. Laureys, « The neural corre late of(un)awareness : lessons from the vegetative state »,Trends Cogn Sci, 2005, 9, pp. 556-559; S. Laureys,« Eyes open, brain shut : the vegetative state »,Scientific American, 2007, 4, pp. 32-37.

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    potentiellement réversible (48). Chez despatients ayant récupéré, on observe nonseulement un retour à la normale du méta-bolisme dans ces régions, mais surtout unrétablissement de l'interaction de celles-ciavec le thalamus (49). En fait, les régionsactivées à la suite d'une stimulation, parexemple auditive ou douloureuse, n'impli-quent que les régions primaires (50) et nonles régions associatives indispensables àune interprétation plus élaborée du stimu-lus. Cette activité résiduelle suggère uneabsence d'intégration de l ' informationnécessaire à une récupération de la per-ception consciente (51).

    La caractérisation métabolique sembleêtre différente pour le patient en état deconscience minimale. Malgré une dépres-sion métabolique globale de 20 à 40%,l'activité cérébrale est supérieure à celleobservée chez des patients en état végé-tatif (52). En plus, le cor tex associatifnécessaire au traitement de l'informationserait moins atteint.

    Quant aux patients souffrant d'un syndromelocked-in syndrome, les observations faitesau PET scan montrent un métabolisme nor-mal et comparable à celui des sujets sains.Ces résultats confirment ainsi une bonnerécupération de la conscience chez lespatients bloqués dans leur propre corps(53).

    Enfin, soulignons que chacun d'entre nousprésente une dépression du métabolismecérébral global de 40 à 70% durant le som-meil profond (54)!

    III. — LA CONSCIENCE ET LE DROIT DE LA RÉPARATION

    A. — Introduction

    19. — La question de l'impact de l'état d'in-conscience ou de la conscience altérée desvictimes sur les modalités de la réparationde leurs préjudices personnels (non écono-miques) fait régulièrement l'objet de débatsanimés dans nos prétoires. La conscienceest-elle une condition de la réparation dupréjudice subi par la victime? L'altérationde la conscience d'une victime diminue-t-elle son dommage? Autrement dit, la cir-constance qu'une victime souffre d'un étatde conscience altérée permet-elle de justi-fier que l'indemnisation réclamée pour cettevictime en réparation de son dommage mo-ral et de ses souffrances soit refusée ou ré-duite?

    Cette problématique recouvre trois aspectsdistincts :

    — la reconnaissance, dans le chef d'unevictime inconsciente ou souffrant d'une alté-ration de son état de conscience, d'un pré-judice personnel;

    — l'étendue de la réparation de ce préju-dice et

    — la finalité de l'indemnité allouée.

    (48) S. Laureys, M.-E. Faymonville, G. Moonen,A. Luxen et P. Maquet, « PET scanning and neuro-nal loss in acute vegetative state », Lancet, 2000,335, pp. 1285-1286.(49) Le thalamus est un noyau (structure ovoïde) gris(composée principalement des corps cellulaires desneurones) située au centre du cerveau. Les deuxthalamus (droit et gauche) filtrent, modulent et intè-grent les informations (motrices et sensitives) en pro-venance ou à destination du cerveau.S. Laureys, M.-E. Faymonville, A. Luxen, M. Lamy, G. Franck etP. Maquet, « Restoration of thalamocortical connec-tivity after recovery from persistent vegetativestate », Lancet, 2000, 335, pp. 1790-1791.(50) Le cortex primaire ou les régions (cérébrales)primaires sont soit sensorielles, soit motrices. Le cor-tex primaire sensoriel reçoit et assure le traitementinitial des informations sensorielles (visuelles, olfac-tives, somesthésiques). Le cortex primaire moteurcommande directement les motoneurones de lamoelle épinière et, consécutivement, le déclenche-ment du mouvement.(51) S. Laureys, M.-E. Faymonville, P. Peigneux,P. Damas, B. Lambermont, G. Del Fiore, C. Deguel-dre, J. Aerts, A. Luxen, G. Franck, M. Lamy, G. Moo-nen et P. Maquet, « Cortical processing of noxioussomatosensory stimuli in the persistent vegetativestate », Neuroimage, 2002, 7, pp. 732-741; S. Lau-reys et M. Boly, « What is it like to be vegetative orminimally conscious? », Current Opinion in Neurolo-gy, 2007, 20, pp. 609-613.(52) Working party of the Royal college of physi-cians, « The vegetative state : guidance on diagno-sis and management », Clin. Med., 2003, 3, pp. 249-254; N.-D. Schiff, D. Rodriguez-Moreno, A. Kamal etK.H.S. Kim, J.T. Giacino, F. Plum, J. Hirsch, « fMRIreveals large scale network activation in minimallyconscious patients », Neurology, 2005, 64, pp. 514-523.

    (53) O. Gosseries, M.-A. Bruno, A. Vanhaudenhuy-se, S. Laureys et C. Schnakers, « Consciousness inthe locked-in syndrome », in S. Laureys et G. Tononi(éd.), The neurology of consciousness, AcademicPress, NY, 2008, pp. 191-203.

    (54) T.T. Dang-Vu, M. Desseilles, P. Peigneux,S. Laureys et P. Maquet, Sleep, « Definition andDescription : PET activation patterns », in L.R. Squi-re (éd.), New Encyclopaedia of Neuroscience, Else-vier, Oxford (UK), 2008 (in press).

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    RGAR_08_2008.fm Page 9 Thursday, October 23, 2008 1:29 PM

  • B. — Les principes

    1. — Les conditions de la responsabilité

    20. — La responsabilité repose sur la ré-union de trois conditions : le fait générateurou la faute, le dommage et un lien de causeà effet entre la faute et le dommageallégués. Nous limiterons notre propos à laquestion du dommage.

    2. — Le dommage

    21. — Le dommage consiste en la perte d'unavantage ou dans l'atteinte à un intérêt légi-time (55). Ce dommage est souvent pluriel,il peut être matériel (économique) ou moral(non économique), direct ou par répercus-sion, immédiat ou différé. Seul, le dommagenon économique (moral) retiendra notre at-tention.

    Le dommage est aussi désigné commeétant la différence négative entre deuxsituations, celle dans laquelle se trouve lavictime à la suite du fait générateur de sondommage ou de l'acte fautif et celle qui étaitla sienne avant la survenance de ce fait oude cet acte. (56) Toute différence négative,aussi minime soit-elle, donne droit à uneindemnisation.

    22. — La définition du dommage moral n'estpas aisée (57).

    Au sens large, le dommage moral désignetoutes les atteintes aux intérêts autres queprofessionnels ou économiques de la vic-time. « C'est l'essence même de la per-sonne victime corps et âme qui est atteintepar des préjudices que l'on appelle non éco-nomiques, moraux , personne ls ouextrapatrimoniaux ». (58) La définition deM. R. André mentionne, parmi les domma-

    ges extrapatrimoniaux, « la suppressiondes plaisirs, loisirs et satisfactions que peutprocurer la vie lorsqu'on est sain de corps etd'esprit » (59). Nous verrons que cette sup-pression est bien réelle chez une personnesouffrant d'inconscience ou d'une altérationde son état de conscience.

    Au sens strict, le dommage moral est uneexpression qui désigne la souffrance moralede la victime à la suite d'une atteinte à sonintégrité physique et qui éprouve une souf-france mentale inhérente à l'invalidité elle-même (60).

    3. — L'évaluation in concreto et la réparation intégrale du dommage

    23. — L'évaluation du dommage est gouver-née par le principe de la réparation intégraledu dommage subi. Ce principe obligel'auteur du fait dommageable à rétablir lavictime dans l'état dans lequel elle se seraittrouvée si le fait générateur n'était pas sur-venu, si la faute n'avait pas été commise(61).

    Le caractère in concreto de l'évaluation dudommage impose de rechercher concrète-ment la nature des répercussions del'atteinte à l'intégrité corporelle dans lesactivités habituelles de la victime (62).

    Toutefois, dans le domaine du dommagecorporel, le corps endommagé n'est guèreremplaçable et, souvent, n'est pas répara-ble.

    « L'évaluation exacte du préjudice moralrelève de l'utopie. Comment chiffrer, defaçon précise, le préjudice moral résultantde la perte d'un œil, d'une main ou de lapossibilité de procréer? » (63). Commentréparer le dommage moral?

    (55) Cass., 17 juin 1975, Pas. 1975, I, 999.(56) Th. Vansweevelt, La responsabilité civile dumédecin et de l'hôpital, Bruxelles, Bruylant 1996,no 444; L. Cornelis et Y. Vuillard, « Le dommage »,in Responsabilités - Traité théorique et pratique,sous la direction de J.-L. Fagnart, Kluwer, dos. 10,p. 5, no 3; E. Dirix, Het begrip schade, Anvers,Maartin Kluwer, 1984, pp. 15-17; no 5-6; L. Schuer-mans, A. Van Oevelen, Chr. Persyn, Ph. Ernst etJ.R. Schuremans, « Overzicht van rechtspraak(1983-1992) - Onrechtmatige daad, schade enschadeloosstelling », T.P.R., 1984, p. 856, no 1.1.(57) Lire à ce propos : N. Simar, S. Simar etL. Beine, « Le dommage moral », Con. M., 2008,pp. 3-7.(58) Y. Lambert-Faivre, Droit du dommage corporel :systèmes d'indemnisation, 3e éd., Paris, Dalloz,1996, p. 198.

    (59) R. André, La réparation du préjudice corporel,Bruxelles, Story-scientia, 1986, p. 239.(60) J.-L. Fagnart et R. Bogaert, La réparation dudommage corporel en droit commun, Larcier, 1994,p. 113; L. Cornelis, « Actuele tendensen bij de ver-goeding van morele schade », in Problèmes actuelsde la réparation du dommage corporel, J.-L. Fagnartet A. Pire (éd.), actes du colloque tenu à l'U.L.B. le10 février 1993, collection de la Faculté de droit del'Université libre de Bruxelles, Bruxelles, Bruylant,1993, pp. 109 et s.(61) J.-L. Fagnart et M. Deneve, « Responsabilité ci-vile - Examen de jurisprudence 1976-1984-1988 »,J.T., 1998, p. 741, no 132.(62) Th. Papart et B. Ceulemens, Vade-mecum dutribunal de police, Kluwer, 2004, p. 223; Mons,24 avril 1986, cité par J.-L. Fagnart et R. Bogaert, Laréparation du dommage corporel en droit commun,Bruxelles Larcier, 1994, p. 41.

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    Aussi, la « réparation » ne peut s'effectuerque par équivalent en allouant à la victimedes indemnités censées compenser cetteatteinte à son intégrité corporelle (qu'ellesoit physique ou psychique) et, selon cer-tains, à « consoler la victime » (64). Préci-sons qu'il ne peut, en réalité, s'agir deconsolation : celle-ci n'est pas œuvre de lajustice.

    L'octroi d'une indemnisation répond davan-tage à l'objectif de compensation et à larecherche d'un équilibre devant contreba-lancer la « perte » objectivée dans le chefde la victime atteinte dans son corps, cesans prétendre ni à lui restituer son inté-grité physique, ni à lui apporter une conso-lation.

    Même si cet équilibre est difficile à attein-dre, une difficulté de chiffre ou d'évaluationne peut occulter le droit de la victime à obte-nir réparation (même par substitution) deson dommage : qui refuserait d'accorderune prothèse à une victime amputée d'unejambe au motif que cette prothèse, simplesubstitut, ne peut replacer la victime dans lasituation qui eût été la sienne sans l'ampu-tation? Personne.

    C. — La reconnaissance des préjudices personnels de la victime inconsciente

    24. — Face à une victime inconsciente sou-vent décrite comme souffrant d'un coma dé-passé (65), d'un coma irréversible (66) ou,plus rarement, d'un état végétatif, deux thè-ses s'affrontent : la thèse objective et la thè-se subjective.

    1. — La thèse subjective

    25. — Selon la thèse subjective, le préjudiceest attaché à la personne qui le subit. Ainsi,il a été jugé qu'il existait une incongruité d'in-demniser les souffrances physiques d'unepersonne ne sentant plus son corps. (67)Aucune indemnisation n'est due si la victimen'a pas conscience de son état, de son pré-judice.

    Dans un arrêt du 13 octobre 1999, la Courde cassation a décidé que, pour évaluerl'étendue du dommage moral de la victime,le juge peut, par une appréciation qui gît enfait, tenir compte de l'état de consciencediminué de celle-ci résultant de son état desanté mentale (68). Raisonnant de la sortela Cour de cassation paraît approuver lathèse dite subjective.

    Une récente recension des différentes déci-sions prononcées en cette matière nous apermis de constater que l'approche judi-ciaire de la réparation d'une victime incons-ciente est fortement influencée par la thèsesubjective (69) (70).

    (63) J.-L. Fagnart, « Rapport de synthèse », in Pro-blèmes actuels de la réparation du dommage corpo-rel, sous la dir. de J.-L. Fagnart et A. Pire, Bruxelles,Bruylant, 1993, p. 266, no 7; en ce sens G. Viney etP. Jourdain, Traité de droit civil - Les effets de la res-ponsabilité, Paris, L.G.D.J., 2001, p. 272, no 146 :« S'agissant de préjudices qui, par définition, n'ontpas d'incidence économique et qui sont donc intra-duisibles en termes monétaires, prétendre qu'on les“répare” par le paiement d'une somme d'argent estdéjà inexact, mais affirmer que la réparation doit êtremesurée à l'ampleur réelle du préjudice est, à notreavis, vide de sens. De tels préjudices, qui sont, pourla plupart, très difficiles à appréhender et à mesurer,sont à proprement parler inquantifiables en monnaieet se dérobent à toute évaluation concrète. Le seulbut qui puisse être visé ici consiste, semble-t-il, à re-chercher une égalité entre les victimes ».(64) H. Stoll, « Consequences of liability : remedies »,in International encyclopaedia of comparative law,vol. IX, chap. 8, nos 10, 35, 92 et s.(65) La terminologie de coma dépassé n'est pluscorrecte.

    (66) La terminologie de coma irréversible n'est pluscorrecte.(67) C.E. fr., 27 avril 1997, Crts Alix, Rec., p. 167, D.,1997, IR, p. 136.(68) Cass., 13 octobre 1999, Arr. Cass. 1999, 1255;Bull., 1999, 1308; R.W., 2001-2002, p. 1428, note;R.G.D.C., 2002, p. 313; Dr. circ., 2000, p. 54.(69) Liège, 30 juin 1994, inédit, 8e ch. corr., M.P. &De Groote c. Deneffe; en ce sens : Pol. Charleroi,8 mai 2007, C.R.A., 2007, p. 373 : « L'octroi d'undommage ex haerede entre l'accident et le décès estsubordonnée à la conscience par la victime de sa dé-chéance physique. La victime se trouvant dans unétat de coma irréversible, végétatif, et étant incons-ciente dès l'arrivée des verbalisants sur les lieux del'accident, pareil dommage ne peut être alloué »;Pol. Liège, 8 juin 2004, E.P.C., 2006, II.1. Liège,p. 27 : « Les éléments médicaux ne permettent pasd'établir que le blessé a eu conscience de l'imminen-ce de son décès; il semble qu'au contraire il soit de-meuré inconscient »; Corr. Tournai, 7 décembre2001, E.P.C., 2003, suppl. 8, p. 19 : « Qu'aucundommage ex haerede ne peut être alloué dans lamesure où il n'est pas démontré que la victime a puprendre conscience de son état et de sa finprochaine »; Corr. Arlon, 29 juin 2001, E.P.C., 2004,III.2, Arlon, p. 33 : « Attendu que se pose l'indemni-sation du dommage moral d'une victime se trouvantdans le coma (...); que l'état de coma implique l'abo-lition totale de la conscience; que le dommage de lavictime n'est indemnisable que si elle a subi dessouffrances en pleine conscience; qu'en raison deson grave traumatisme crânien, M.G. n'a pu avoirconscience des souffrances qu'il endurait et n'a res-senti aucune douleur physique ou morale pendantdix jours; que le dommage moral réclamé pendantces journées de coma ne sera pas octroyé »; Pol.Tournai, 28 avril 2000, E.P.C., 2003, II.1.Tournai,

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  • Les partisans d'une telle thèse se fondantsur l'obligation de réparer le dommage inconcreto soutiennent le raisonnement selonlequel une diminution de l'état de cons-cience diminue nécessairement le dom-mage de la victime (71). Aussi, se sentent-ils autorisés à réduire la réparation de ladouleur, du dommage moral, du préjudiceesthétique et du préjudice d'agrément detelles victimes.

    Cette jurisprudence est confortée par cer-tains auteurs. MM. Papart et Ceulemansdéfinissent le dommage moral comme étant« une prise de conscience par la victime deson état de déchéance physique, le senti-ment d'inquiétude face à l'avenir, voire laperte de ses espoirs » (72). Aussi, durant laphase comateuse, aucune indemnisationen réparation du dommage moral n'est due,« l'absence de conscience étant évidente ».(73) Seul le dommage conscient existeraitet serait « réparable ».

    26. — Cette thèse appelle trois observa-tions :

    1) L'évidence d'une absence de conscienceainsi soutenue s'apparente davantage à uncolosse aux pieds d'argile qu'à une véritablecertitude. Nous avons rappelé les différentstableaux cliniques d'état de conscience alté-rée. Il convient d'avoir à l'esprit que, mêmesi la littérature scientifique livre un catalo-gue de concepts ou de définitions relatifs à

    ces différents états de conscience altérée,la barrière est non seulement ténue maiségalement fluctuante entre ce qui est consi-déré comme conscient ou non. Un patientdans le coma peut passer rapidement à unétat végétatif puis à l'état de conscienceminimale pour retomber ensuite dans lecoma.

    La conscience n'est pas et ne peut pas êtreenvisagée comme un phénomène de toutou rien : elle se situe plutôt dans un conti-nuum (74). Cette particularité de la cons-cience n'a pas échappé à une partie de lajurisprudence. Ainsi, la cour d'appel deBruxelles précisa dans un arrêt du 15 mai2000 qu'« il n'est pas prouvé scientifique-ment qu'une personne dans le coma esttotalement inconsciente. Le point de départdoit donc être qu'elle subit le même dom-mage qu'une victime qui peut exprimer sasouffrance » (75).

    De nos jours, la seule certitude scientifiqued'absence de conscience est l'état de mortcérébrale, état devant conduire à la consta-tation du décès du patient.

    2) Si la reconnaissance d'un préjudice per-sonnel était dépendant de la conscienceque la victime peut en avoir, il y aurait lieude considérer que le préjudice d'une victimeprésentant, comme chacun, des cycles deveille - sommeil, serait moindre voire inexis-tant durant le sommeil, cet « état d'incons-cience réversible ». Pourquoi accorder uneindemnisation à une victime présentant despériodes journalières « d'inconscienceréversible » et refuser une indemnisation àune victime présentant une altération ouune fluctuation de son état de conscience?

    3) Le dommage non économique d'une vic-time inconsciente résulte de l'altération desa conscience. Ce dommage est un faitobjectif et correspond à la différence néga-tive entre l'état de la victime avant la surve-nance de la lésion cérébrale et celui faisant

    p. 9 : « Etant donné qu'il n'est pas absolument cer-tain que la victime a pu prendre conscience de sonétat et de sa fin prochaine, un dommage ex haeredene peut être retenu »; Corr. Courtrai 23 octobre1992, Bull. ass., 1993, p. 112, note W. Pevernagie;Gand 12 avril 1996, T.A.V.W., 1997, 148, note J.S.;Liège, 25 février 1992, Bull. ass., 1992, p. 537.(70) Voy. aussi Corr. Namur, 15 février 2005,R.G.A.R., 2006, no 14123 : « Si l'altération de laconscience de la victime [au point que toute commu-nication est devenue impossible] diminue son dom-mage, elle majore en revanche au contraire la souf-france de son époux qui en est le témoin impuissant.Soulignons que l'absence de communication n'équi-vaut pas à l'absence de conscience! ». En effet, cen'est pas parce qu'une personne est dans l'incapaci-té de s'exprimer qu'elle ne ressent nécessairementrien. En ce sens, Voy. C. Cormier, « Le préjudice endroit administratif français - Etude sur la responsabi-lité extracontractuelle des personnes publiques »,L.G.D.J., BDP, 2002, tome 228, p. 101.(71) Bruxelles, 29 mars 1988, Bull. ass., 1989,p. 294. Corr. Huy, 21 décembre 1984, Bull. ass.1989, p. 533; Corr. Tournai, 18 décembre 1989, Bull.ass., 1990, p. 195.(72) Th. Papart et B. Ceulemans, Vade-mecum dutribunal de police, Kluwer, Bruxelles, 2004, p. 269.(73) Charleroi, 8 mai 2007, C.R.A., 2007, p. 373.

    (74) Y. Lambert-Faivre, Droit du dommage corporel,Paris, Dalloz, 2000, 228, no 150 : « la conscience desoi avec soi demeure un mystère, même si la com-munication qui est conscience de soi avec autrui pa-raît nulle. Des victimes sorties d'un coma profond auterme de nombreuses semaines ont pu témoigner dece qu'elles avaient entendu et souffert... ».

    (75) Bruxelles, 13e ch., 15 mai 2000, T.A.V.W.,2001, p. 308, note J. Schryvers, « Morele en materi-ele schadeloosstelling van blijvende arbeidsonge-schiktheid »; en ce sens : Corr. Anvers, 20 octobre1992, Bull. ass., 1993, p. 108, note W. Pevernagie,« Morele schade ex haerede ».

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    suite à la lésion cérébrale. Si l'on recourt àla thèse subjective, un tel dommage n'estpas réparé alors que la situation objectivede la victime en est profondément modifiée.Comment expliquer l'absence de réparationde ce dommage?

    2. — La thèse objective

    27. — Pour les partisans de la thèse objecti-ve, la seule constatation du dommage suffità fonder une demande d'indemnisation, cesans égard à l'état de conscience de la victi-me. Une personne même inconsciente n'enest pas moins une personne disposant deses droits.

    Cette thèse est suivie par la Cour de cassa-tion de France. Ainsi, la constatation del'état d'inconscience ou de quasi-incons-cience où se trouve la victime n'est pas ensoi suffisante pour justifier un refus d'indem-nisation du préjudice d'agrément, car« l'indemnisation d'un dommage n'est pasfonction de la représentation que s'en fait lavictime, mais de sa constatation par lesjuges et de son évaluation objective dans lalimite de la demande dont ils sont saisis »(76). L'enseignement de cet arrêt a étéaccueilli de manière contrastée par la doc-trine française (77). Néanmoins, le Conseild'Etat français a, il y a peu, recouru à l'appli-cation de la thèse objective en considérantque « la circonstance qu'un patient setrouve placé dans un coma végétatif chroni-que (78) ne conduit, par elle-même, àexclure aucun chef d'indemnisation ni ne faitobstacle à ce que le préjudice subi par lavictime, soit réparé en tous ses éléments »(79).

    Le droit anglo-saxon considère que l'incons-cience de la victime ne supprime pas sondroit à l'indemnisation. La Chambre desLords a décidé que « unconsciousnessdoes not eliminate the actuality of the depri-vations of the ordinary experiences andmerits of life... » (80). La doctrine abondedans le même sens : « Damages are awar-ded for the fact of deprivation, a substantialloss. The award for loss of amenities mustbe made on the basis of amenities lost; it isirrelevant that the plaintiff is unaware of hisdeprivation. (...) In short, damages underthis head (...) are not reduced because theplaintiff has been rendered unconscious orunable to appreciate his loss » (81).

    D'autres pays européens admettent le pré-judice moral de l'inconscient. Il en est ainside l'Allemagne (82), de l'Autriche (83) et dela Suisse (84).

    La Cour de cassation de Belgique ne s'estpas encore prononcée sur cette question(85).

    Comme le souligne J.-L. Fagnart, « lorsqu'ils'agit de préjudice économique, nul n'ajamais soutenu que sa réalité dépendrait dupsychisme d'une personne vivante. Pour-quoi n'en serait-il pas de même en ce quiconcerne les préjudices non économiques?L'intégrité physique, les plaisirs de la vie, leregard des autres sont des réalités objecti-ves. L'atteinte à l'une de ces valeurs consti-tue en soi une perte objective qui doit êtreindemnisée » (86). Cette réflexion perti-

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    (76) Cass. fr., 3 avril 1978, J.C.P., 1979, II, 19168,note S. Brousseau; R.T.D.C., 1979, 801, noteG. Durry; Cass. fr., 10 décembre 1986, J.C.P., 1987,IV, 62; Cass. fr, 14 juin 1978, Gaz. Pal., p. 1550 etnote L.-H. Thomas; Cass. fr., 5 janvier 1994, J.C.P.(G), 1995, IV, no 862; Cass. fr., 22 février 1995,R.T.D.C., 1995, 629, note P. Jourdain; Dall., 1996, I,69, note Y. Chartier; J.C.P., 1996, II, 22570.(77) Pour les partisans, voy. notamment S. Gromb,« De la conscience dans les états végétatifs etl'indemnisation », Gaz. Pal., 3 juillet 1991, 7; M.-A.Peano, « Victimes en état végétatif chronique : uneétape décisive », Méd. & Dr., novembre 1995, no 15,10; G. Viney, obs. sous Cass. fr., 22 février 1995, op.cit., no 20. Pour les opposants, voy. notamment :D. Mazeaud, obs. sous Cass. fr., 22 février 1995, op.cit., pp. 233-234; Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, Droitde la responsabilité, Dalloz action, 2004, no 1560,p. 370.(78) La terminologie de coma végétatif chronique estincorrecte.

    (79) J. Momas, « Le dernier avatar de la prise encharge du pretium doloris et du préjudice d'agrémentpar les juges administratifs : sa reconnaissance pourles victimes en état végétatif », Méd. & Dr., 2005,pp. 85-88.(80) H. West et son v. Chephard, in W. Van Gerven,Tort law, Oxford, Art publishing, 1999, pp. 103-106.(81) H. Street, The law of torts, Londres, Butter-worths, 1983, p. 211.(82) BGH, 16 décembre 1975, N.J.W., 1976,p. 1147.(83) OGH, 31 août 1992, 8 OB, 581/92.(84) BG, 6 juillet 1982, B.G.E., 108 II, p. 422.(85) L'arrêt du 4 avril 1990 souvent cité en cette ma-tière n'énonce pas que la réparation du dommagemoral est subordonnée à la conscience que la victi-me a de son dommage moral. Elle ne dit pas nonplus le contraire. Elle précise uniquement que le droità la réparation du dommage moral n'est pas subor-donné à la conscience que la victime devrait avoir deson indemnisation (Cass., 4 avril 1990, Arr. Cass.,1989-1990, p. 1025; Bull., 1990 (abrégé), p. 913;J.T., 1992, p. 829, note L. Herve, Pas., 1990, I, 913;R.G.A.R., 1992 (abrégé), no 12.001).(86) J.-L. Fagnart, « Définitions de préjudices nonéconomiques », in Préjudices extrapatrimoniaux :

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  • nente est conforme à la notion de dommagetelle que définie par la Cour de cassation :« le dommage est un élément de pur fait quiconsiste dans une diminution d'avoirs ou laprivation d'un avantage » (87). La perte dela capacité de travail d'une victime est unedonnée objective et tout aussi indépendantede l'état de conscience de ladite victime quela perte de sa capacité à profiter de plaisirsde la vie comme, par exemple, celui de par-tager un repas en t re amis ou ce lu id'embrasser ses enfants.

    28. — A l'instar de Mme Yvonne Lambert-Faivre, nous considérons que « si le principedemeure qu'une victime qui demande répa-ration d'un préjudice doit le prouver, on peutjuridiquement admettre que la gravité mêmede l'état végétatif chronique implique la réa-lité des dommages personnels invoqués. »(88) Leur réalité n'est guère contestable.

    D. — L'étendue de la réparation des préjudices personnels

    29. — Le préjudice personnel des victimesinconscientes ou ayant un état de conscien-ce altérée étant reconnu, se pose inévitable-ment la question de l'étendue de cetteréparation.

    Pour certains, « l'appréciation in concretod'un tel dommage serait même irréaliste.Mesurer la réparation à l'ampleur réelle dupréjudice est vide de sens » (89).

    L'étendue du dommage de la vict imeinconsciente ou ayant une altération de laconscience n'est pourtant guère difficile àappréhender in concreto. Il est certainqu'une telle victime ne pourra plus se ren-dre au cinéma, lire, regarder la télévision,choisir son programme, se rendre au théâ-tre, se promener, choisir ses vêtements,partager un repas avec des amis, partir auxsports d'hiver... Ces privations ne sont

    guère contestables. Les désagréments liésà cette condition d'inconscience ou deconscience altérée sont tout aussi évidents.Pensons aux sondages urinaires, à l'alimen-tation parentérale (par sonde), aux aspira-tions bronchiques, aux escarres... En réa-lité, dans de telles situations, le dommagemoral in concreto est intense : il est à centpour cent.

    C'est probablement en raison du caractèremaximal de ce dommage que certains ontpu penser que l'évaluation du dommagemoral d'une personne inconsciente ou ayantun état de conscience altérée imposait derecourir à une méthode in abstracto, enréférence à ce que devrait ressentir unepersonne en état de s'exprimer (90). Or, lecaractère maximal d'un dommage n'exclutnullement per se son évaluation in concreto.

    E. — La finalité de l'indemnisation des préjudices personnels

    30. — La question de l'étendue du domma-ge est régulièrement confondue avec cellede la finalité de l'indemnisation allouée à lavictime.

    La Cour de cassation reconnaît que le droità la réparation intégrale du dommage moraln'est pas subordonné à la condition que lavictime puisse avoir conscience de ce quel'indemnité est destinée à compenser cedommage (91). La Cour de cassation estainsi en harmonie avec la Chambre desLords. « Damages cannot be refusedbecause the plaintiff will be unable to enjoythe damages in view of the severity of hisinjuries » (92).

    Cependant, certains auteurs et juridictionsde fond sont réticents à indemniser le préju-dice moral des victimes inconscientes. Ilsretiennent aussi comme obstacles l'impos-

    vers une évaluation plus précise et une plus juste in-demnisation, actes du colloque du Jeune barreau deLiège, 16 septembre 2004, p. 40.(87) Cass., 2 mai 1955, Pas., 1955, I, 550; R.W.,1955-1956, p. 935; R.G.A.R., 1956, no 5677 etobs. J. Fonteyne, R.C.J.B., 1957, p. 99 et note deJ. Ronse, Rev. trim. dr. civ.; 1959, p. 202, et note deRenard.(88) Y. Lambert-Faivre, Droit du dommage corporel -Systèmes d'indemnisation, Dalloz, 2000, p. 228,no 150.(89) G. Viney, Traité, t. V, « La responsabilité -Effets », no 140, p. 202.

    (90) Bordeaux, 18 avril 1991, D., 1992, p. 14 et noteS. Gromb. La cour d'appel motiva sa décision com-me il suit : en lui refusant l'indemnisation de sondommage moral, « la personne handicapée seraitamputée d'une partie de ses droits, sans certitudeabsolue pourtant d'une absence totale de souffranceou de sentiment de tout ce qui se rapporte à la dou-leur, aux atteintes à l'aspect esthétique et à l'agré-ment de la vie ».(91) Cass., 4 avril 1990, Arr. Cass., 1989-1990,p. 1025; Bull., 1990 (abrégé), p. 913; J.T., 1992,p. 829, note L. Herve, Pas.1990, I, 913; R.G.A.R.,1992 (abrégé), no 12.001.(92) H. Street, The law of torts, Londres, Butter-worths, 1983, p. 211.

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    sibilité pour la victime ou son représentantde démontrer son dommage et la menaced'un profit indu (93). L'indemnité verséeserait une source d'enrichissement sanscause pour la victime ou, indirectement,pour ses proches.

    En raison de la crainte d'un profit indu, cer-tains ont pensé « qu'en cas de coma pro-longé en état végétatif chronique, l'indemni-sation des préjudices personnels pourraientêtre suspendue : si la victime reprend cons-cience, tous ses droits doivent alors êtrerespectés, y compris la réparation du préju-dice d'agrément subi pendant la périoded'inconscience, en revanche si le coma etl'état végétatif se terminent par la mort,l'intransmissibilité d'un tel chef de réparationdevrait être opposée aux héritiers » (94)Tenir un tel raisonnement implique néces-sairement la reconnaissance de la réalitéd'un tel préjudice et de son étendue mêmeau cours de la période d'inconscience. Laseule crainte de l'auteur de cette propositionest le détournement des indemnités par despersonnes autres que la victime elle-même.Le mécanisme de suspension de l'octroides indemnités au retour de la victime àl'état de conscience apporterait une garan-tie de ce que les fonds reviendraient au bonbénéficiaire.

    Un tel raisonnement devrait en toute logiqueconduire à refuser toute indemnisation auxdébiles mentaux, aux déments et auxenfants (95) « qui seraient exposés à tous

    les dommages sans pouvo i r ê t reindemnisés » (96), et ce sous le prétexteque ceux-ci auraient aussi une moindre per-ception de leur dommage. Dans de telleshypothèses, le détournement des indemni-tés par les proches ou par d'autres tierss'octroyant un profit indu devrait égalementêtre craint.

    Ce raisonnement appelle trois observa-tions :

    1) Raisonner de la sorte revient à fairel'impasse sur les mécanismes de protectiondes plus faibles d'entre nous, tant à l'égardde leur personne qu'à l'égard de leursbiens. Pensons à l'autorité parentale, à lapossibilité de la mise sous tutelle, au statutde la minorité prolongée. Par ailleurs, envertu de l'article 488bis du Code civil, lemajeur, qui en raison de son état de santéest totalement ou partiellement hors d'étatde gérer ses biens, peut être pourvu d'unadministrateur provisoire par le juge de paix(97). En organisant ce régime de l'adminis-tration provisoire du majeur incapable degérer ses biens, le législateur a agi dans leseul intérêt dudit majeur de sor te quel'administrateur provisoire accomplit sa mis-sion sous le contrôle du juge de paix. Ainsi,les ac tes accompl is en v io la t ion del'article 488bis du Code civil et, dès lors,contraires à l'intérêt de la personne proté-gée ou réputés comme tels sont sanction-nés par une nullité relative.2) Sans égard aux régimes de protectiondes plus faibles organisés par le législateur,et dès lors même en l'absence de ceux-ci,la crainte d'un détournement des indemni-tés ou d'un profit indu ne peut en aucunemanière entraîner la méconnaissance dudroit de la victime à la réparation intégralede son dommage.

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    (93) Dans son rapport de l'année 1989, la Cour decassation française avait énoncé : « il est fort dou-teux que les malades en état végétatif chroniquesoient en état de bénéficier personnellement descompensations qu'une récupération pécuniaire estde nature à apporter à la perte d'un certains aspectphysique ou à la possibilité de profiter de certainsagréments de la vie. Les sommes accordées au titredes préjudices esthétiques et d'agrément constitue-raient alors en fait bien souvent des complémentsd'indemnisation pour la famille ». Rapport, Cour decassation, 1989, Doc. fr., p. 69.(94) Y. Lambert-Faivre, Droit du dommage corporel -Systèmes d'indemnisation, Dalloz, 2000, p. 229,no 151.(95) A propos du dommage d'un enfant, voy. Civ.Mons, 19 décembre 2002, EPC, 2003, III.3, Mons,p. 71 : « Attendu que l'enfant est une personne qui,quel que soit son âge, ressent des émotions et estsensible à son environnement; (...) » Qu'à l'âge de deux ans, l'enfant ressent ce qui sepasse autour de lui mais n'est cependant pas encorecapable de verbaliser ses émotions et donc de lesrationaliser; » Que prétendre comme l'a fait le pre-mier juge qu'un enfant de deux ans ne peut ressentirla souffrance de ses parents est une pétition de prin-

    cipe contraire à ce que l'on connaît aujourd'hui duvécu de l'enfant et qui est illustré par la littératurescientifique citée... ».(96) J.-L. Fagnart, « Définitions de préjudices nonéconomiques », in Préjudices extrapatrimoniaux :vers une évaluation plus précise et une plus juste in-demnisation, actes du colloque du Jeune barreau deLiège, 16 septembre 2004, p. 42.(97) A ce sujet, voy. J.-P. Masson, « Le nouveau ré-gime de protection des biens des incapablesmajeurs », Rev. not., 1992, p. 176; E. Vieujean,« Protection du majeur physiquement et mentale-ment inapte à gérer ses biens », R.G.D.C., 1993,pp. 16 et s.; Th. Delahaye, « L'administrateur provi-soire (article 488bis du Code civil) », Les dossiers duJournal des tribunaux, Larcier 1999.

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  • 3) Inféoder la réparation des préjudices nonéconomiques à la conscience de la victimeimplique nécessairement « une discrimina-tion qui résulterait de ce qu'un patient enétat de coma végétatif (...) se verrait refuserune indemnisation alors qu'une victimebeaucoup plus légèrement atteinte se ver-rait indemniser au seul motif qu'elle a con-servé sa conscience au moins en partie »(98).

    Ainsi, une maxime telle que « Je suis cons-cient, donc je suis indemnisable » ne peutêtre retenue.

    Telle est la position de la Cour de cassationqui a, dans un arrêt du 4 avril 1990 (99),énoncé « Que s' i l appar t ient au juged'apprécier souverainement en fait l'exis-tence et l 'étendue du dommage moralcausé par un fait illicite et d'évaluer le mon-tant de l'indemnité destinée à le réparer, lejuge ne saurait sans méconnaître lesnotions légales de dommage moral et delien de causalité ainsi que le principe de laréparation intégrale du dommage subi,apprécier ou limiter l'étendue du droit àréparation du dommage moral en fixant lemontant de l'indemnité destinée à le réparerintégralement en fonction de la consciencequ'aurait ou que n'aurait pas la victime dece que l'indemnité allouée est destinée àcompenser le dommage; que partant, enlimitant au franc symbolique l'indemnitédestinée à réparer le dommage moral dontil constate l'existence dans le chef d'InnezChevalier par suite de la disparition préma-turée de la présence bienveillante de sonpère, et ce au seul motif précité où le droit àla réparation et le montant de l'indemnitédestinée à réparer le dommage sont limitésen raison de « l'absence de perception » dela part de la victime, de la réparation de sondommage par le payement d'une indemnité,l'arrêt méconnaît les notions légales dedommage moral et de lien de causalité ainsique le droit à réparation intégrale du dom-mage subi qui n'est pas subordonné à lacondition que la victime puisse avoir cons-cience que l'indemnité est destinée à répa-rer son dommage ».

    IV. — CONCLUSION

    Même si au pays de la conscience, lesinconnues restent nombreuses, les pro-grès scientifique ont levé quelques incerti-tudes :— sujet complexe, la conscience n'est paset ne peut pas être envisagée comme unphénomène de tout ou rien : elle se situeplutôt dans un continuum. Les patients peu-vent présenter des niveaux de consciencefluctuants parfois au cours d'une mêmejournée;— l'état de mort cérébrale correspond àune abolition totale et définitive de la cons-cience;— chez les patients souffrant d'une altéra-tion de l'état de conscience, les erreurs dia-gnostiques ne sont pas rares. L'évaluationdes victimes inconscientes requiert de larigueur et de la compétence.

    La réparation du dommage personnel (nonéconomique) des patients ayant une altéra-tion de la conscience est nourrie de lacrainte d'un profit indu et souffre de l'affron-tement entre la thèse subjective et la thèseobjective.

    Notre société a veillé à protéger les citoyensles plus faibles par le biais de divers méca-nismes tels que l'autorité parentale, la mino-rité prolongée, la mise sous tutelle... Dèslors, la crainte d'un profit indu ne nous paraitpas fondée.

    La conscience ne peut pas conditionner lareconnaissance de la réalité du dommagenon économique de te l les v ic t imes.L'atteinte à la capacité de la victime à profi-ter des plaisirs de la vie et les désagré-ments qu'elle subit constituent en soi undommage objectif dont la réparation ne peutêtre refusée ou réduite sous le prétexte d'unétat de conscience altérée. Toute autresolution violerait, selon nous, le principefondamental de la réparation intégrale dudommage subi et créerait une discrimina-tion entre les victimes, au détriment desplus démunies d'entre elles et au seul profitdu ... responsable.

    (98) T. Olson, conclusions sur CE, 24 novembre2004, A.D.J.A., 2005, p. 336.(99) Cass., 4 avril 1990, Arr. Cass., 1989-1990,p. 1025; Bull.,1990 (abrégé), p. 913; J.T., 1992,p. 829, note L. Herve, Pas., 1990, I, 913; R.G.A.R.,1992 (abrégé), no 12.001.

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