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LA COMTESSE

DE CASTIGLIONE

COLLECTION

Les Belles Amoureuses

RENÉ SINN

LA COMTESSE DE

CASTIGLIONE

AGENCE PARISIENNE DE DISTRIBUTION 2 à 12, rue de Bellevue

PARIS XIX

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L A C O M T E S S E D E C A S T I G L I O N E

A paraître :

Guy de Bel/et

G A B Y D E S L Y S

EN GUISE DE PRÉLUDE

Cent ans : c'est beaucoup et c'est peu. Beaucoup, si l'on considère la masse des événements

en un siècle accumulés, mais comme c'est peu si l'on songe que de la fin du Second Empire dont on vient de célébrer le centenaire nous restent tant de témoignages, de documents, de souvenirs de toutes sortes et que nom- breux encore sont les gens qui ont entendu parler en leur enfance de cette époque par des témoins directs.

Il est de mode aujourd'hui de vilipender le règne de Napoléon I I I — son aveuglement, sa légèreté, son insou- ciance — et de ne retenir de ses vingt années que celle du désastre.

Pourtant tout ne fut pas mauvais en cette période, pas plus mauvais en tout cas que dans la nôtre dont on ne sait, à quoi en fin de compte elle aboutira. Et il en reste, qu'on le veuille ou non, le souvenir d'un certain art de vivre, d'une certaine splendeur qui marqua l'ultime règne de notre histoire et où Virginia de Cas- tiglione fit brièvement figure de favorite — la dernière d'une lignée qui s'est éteinte faute de monarques à satisfaire.

On trouve encore dans les bibliothèques de vieux albums de photographies prises par Nadar — le pho- tographe aéronaute — et commentées par Baudelaire, où l'on peut admirer, prises sur le vif, maintes beautés en crinoline telles quelles furent réellement et non pas

telles qu'un peintre aurait pu les représenter : Cora Pearl, Hortense Schneider, Anna Deslions, la Païva et, bien sûr, la Castiglione.

Le type idéal de la grâce féminine a certes, bien évolué depuis lors. L'art d'habiller et de déshabiller les femmes n'est plus le même, et s'il revenait sur les Champs-Ely- sées, le duc de Morny dont on vient de démolir l'hôtel particulier pour le transporter ailleurs serait proba- blement moins stupéfait du flot des automobiles que de l'allure et de la vêture des passantes. Mais en dépit de tant de métamorphoses, Virginia de Castiglione conserve le privilège de paraître en images toujours aussi belle, aussi désirable qu'elle le fut aux yeux de nos arrière-grands-pères.

On comprend qu'elle ait pu être le caprice d'un empe- reur et que l'on ait songé à elle pour mener à bien sous le couvert des divertissements galants les secrets desseins de la politique. Par là, Virginia ne fut pas totalement de celles qui ont justifié le reproche si souvent fait au Second Empire de s'être trop amusé, d'avoir traité trop légèrement les choses sérieuses et trop sérieusement les choses légères. Au moment où un siècle révolu depuis la guerre de 1870 remet en mémoire les tragiques cir- constances qui préludèrent à la naissance de la Troi- sième République, pourquoi ne pas rappeler que Vir- ginia de Castiglione se targua sur la fin de ses jours d'avoir joué après la débâcle un certain rôle en faveur de sa patrie d'adoption, de sorte que son nom est associé de façon inattendue à ceux de Gambetta et de Thiers.

C'est ce que l'on verra à l'épilogue de ce récit. Mais auparavant que le rideau se lève sur un décor à l'italienne...

CHAPITRE PREMIER

DE FLORENCE A LA MER LIGURE

Au seuil d'un vieux palais de Florence, la ville des fleurs où le génie des artistes a fait épanouir les pierres, un jeune homme à la moustache effi- lée caresse une mignonne fillette assise sur ses genoux.

— Sais-tu, Nicchia, que tu es la plus jolie petite fille de toute l'Italie ?

L'enfant le sait ; elle sourit, heureuse, d'enten- dre répéter le compliment par celui qui pourrait être son grand frère, bien plus âgé qu'elle.

Elle s'appelle Virginia Oldoïni ; lui, Louis-Napo- léon Bonaparte.

Quand, plus tard, les événements imprévisibles auront de nouveau infléchi l'un vers l 'autre leur destin dont c'était alors le premier point de ren- contre ce ne sera plus à Florence mais à Paris qu'ils se retrouveront. Ce ne sera plus un prince en exil mais l 'Empereur des Français que reverra Virginia de Castiglione et elle sera devenue l'étoile la plus brillante de cette constellation que fut la cour du second Empire, la plus admirable des altières beautés dignes de poser parmi les dames d'honneur de l'impératrice devant le chevalet de Winterhalter.

...Après Florence, Londres, 1853. Bal chez la duchesse d'Inverness.

Un jeune Piémontais, le comte François Verasis de Castiglione, attarde ses regards sur les épaules nues des belles invitées. L'une d'elles, Marianne Walewska, a remarqué que ce veuf parfaitement consolé considère les femmes « comme un collé- gien en quête d'amour ». Et c'est exact. Cédant soudain à un besoin de confidence, Castiglione dit au comte Walewski :

— Sans doute, ne savez-vous pas le vrai motif de mon séjour ici ? Je suis venu me marier.

— Charmante intention. Serait-ce indiscret de savoir qui est l 'heureuse élue ?

— Hélas ! je la cherche ! L'ambassadeur de France considère, surpris, le

séduisant Italien.

— Vous la cherchez ? En ce cas, mon cher, retour- nez vite à Florence. Présentez-vous chez la marquise Oldoïni et faites-vous agréer par sa fille.

— Qu'a-t-elle d'extraordinaire ?

— Vous êtes impardonnable de l'ignorer : c'est la plus jolie femme d'Europe !

Les accents d'une valse couvrent la conversation. Castiglione demeure songeur, regardant sans les voir les couples tournoyer.

Virginia Oldoïni ! que n'y a-t-il pensé plus tôt ? Et quelle erreur de s 'attarder sur les rives de la Tamise au risque de ne rencontrer que quelque fade Anglaise, alors que, sur les bords de l'Arno, une fille de sa race, belle, et par surcroît riche, n'attend sans doute que sa déclaration ?

François Verasis de Castiglione abrégea son séjour dans la brumeuse Albion. Et ce fut ainsi que le prince charmant entra dans la vie de Virginia.

Le prince charmant ? Il se croyait tel, et il igno- rait qu'il ne serait jamais que sa doublure.

Fille du marquis Oldoïni, premier député de La Spezia en 1848 au parlement du roi de Sardaigne et plus tard ambassadeur d'Italie à Lisbonne, Virginia appartenait par sa mère à l'antique famille des Lam- porecchi dont le chef était alors son grand-père, le célèbre avocat et jurisconsulte. Il vivait à Florence dans un palais sévère comme la Loi, ce qui permet- tait à Virginia de noter dans son journal, avec une exagération romantique :

« Dès mon enfance je fus sans bonheur en ce som- bre palais prédestiné. »

Prédestiné ? Peut-être. Près de cette auguste demeure habitait la famille Bonaparte dont les mem- bres l'appelaient Nini, et ce fut au hasard de l'exil que la future comtesse de Castiglione dut de ren- contrer pour la première fois ce Louis-Napoléon dont elle deviendrait la maîtresse.

Son enfance et son adolescence s'étaient partagées entre Florence et La Spezia.

La vieille cité maritime de la côte Ligure, avant de devenir le Toulon italien, n'était encore qu'une bour- gade de pêcheurs, aux ruelles ombreuses, aux mai- sons colorées comme des voiles où s'élevait le palais Oldoïni, une demeure seigneuriale dans le style italien le plus caractéristique : abondance de mar- bres, plafonds peints, jardins en terrases hérissés de cactus et embaumés de roses.

Ecrin digne de la perle naissante. Mais l'âme enfan- tine de Virginia se complaisait moins aux charmes du vieux palazzo qu'à la robuste beauté d'Il Toretto, une tour de guet qui semblait posée sur l'eau, une de ces tours gênoises, rousses et trapues, qui jalon- nent les côtes de la mer Ligure, de Livourne à la Pro- vence.. Dans ce festonnement des caps et des baies où les jeunes mariés cherchent à fixer l'image de leur bonheur, elles rappellent les anciens âges des pira- tes barbaresques.

Là, souvent, Virginia aimait rêver, le regard perdu vers le large bleu et doré, sans se douter que le grand événement de sa vie ne viendrait pas de ces eaux d'azur mais de la terre ferme — la terre piémontaise qu'un roi aux allures de reître s'efforcerait de fondre dans un ensemble plus vaste : le royaume d'Italie.

A moins de quinze ans, on l'avait plusieurs fois demandée en mariage. Dès sa douzième année, en ce pays où les fruits sont précoces, elle avait déjà les grâces de la femme, et le renom de sa beauté com- mençait d'intéresser les hommes — et aussi les riva- les impatientes de découvrir quelque défaut à ce qui n'en avait pas.

A Florence, elle attirait tous les regards, soit qu'elle passât sous les feuillages nouveaux des cas- cines — la célèbre promenade où se pavanaient les jeunes beaux — soit qu'elle parût à la Pergola, le théâtre où elle avait sa loge, mitraillée par mille œillades admiratives.

A La Spezia, les jeunes officiers de marine s'empres- saient autour de ses robes améthyste ou lavande. Elle écrirait plus tard. au gré de ses souvenirs : « Tous rivalisaient auprès de cette couleur chaude, difficile à supporter pour les teints jeunes. »

Sur cette galante émulation, la marquise Oldoïni veillait avec la vigilance d'une mère qui avait cons- cience d'avoir engendré une merveille et la souve- nance de ses propres péchés de jeunesse. Certains, se disant bien informés, n'insinuaient-ils pas que Nicchia ne devait au marquis qu'une paternité de façade ?

— Ne touchez pas à ma fille, décrétait en souriant le cerbère maternel. Je n'y vois rien mais je « sens clair », quand elle est en violet. Vous y incendieriez vos galons, messieurs les aspirants, les soupirants et les hors combat !

Virginia n'était encore qu'une très jeune fille, pres- que une enfant, ignorant qu'un jour viendrait où elle

entrerait dans l'histoire par les alcôves royales et impériales.

Pour l'instant, elle ne pouvait imaginer son destin que comme celui des jeunes personnes de son rang : elle épouserait un homme riche, noble, et elle mène- rait la vie brillante de son monde.

C'était cet avenir sans imprévu qui s'annonçait en la personne de François Verasis de Castiglione.

Ce 9 janvier 1854 fut un jour de faste à faire rêver les jeunes mariés les plus ambitieux. Le vieux palais Lamporecchi s'emplit d'une foule nombreuse, bril- lante, volubile, dont l'animation rappelait celle des fêtes du temps des Médicis et de Laurent le Magni- fique.

Comment alors imaginer une petite mariée maus- sade au millieu de cette allégresse, et ne consentant à ce mariage que comme à un holocauste, n'accep- tant qu'à contrecœur de lier sa vie à un mari abhorré dès avant la nuit de noces ? La légende de ce « sacri- fice » s'est accréditée peut-être parce qu'elle fut conçue et entretenue par la principale intéressée pour « dévaloriser » rétroactivement la personnalité du mari trompé.

On a rapporté des propos aigres-doux qu'auraient échangés les futurs époux au moment où François de Castiglione venait faire une cour assidue à Vir- ginia.

— Je vous en supplie, mon cher comte, cessez de demander ma main. Je n'ai pour vous aucune affec- tion, aucune sympathie. Je sais que vous serez tou- jours pour moi l'homme le plus indifférent. Aimez ailleurs, pensez à d'autres...

Et lui de répondre par ce défi : — Que m'importe ! Vous ne m'aimerez jamais,

soit. Mais j 'aurai l'orgueil d'avoir la plus belle parmi les femmes de mon temps.

CHAPITRE II

COMME UN CONTE DE FÉE

Dans son palais de Turin, François Verasis de Castiglione avait fait aménager une chambre nup- tiale dont l 'apparat nous paraîtrait aujourd'hui exces- sif. Mais il cadrait avec l'époque et le goût italien. Murs rouge vif, sculptures, dorures. Salle de bains à l'antique avec baignoire en forme de bassin, vas- tes miroirs. Ce fut dans un lit de pourpre et d'or que Virginia connut l 'amour de son jeune époux.

A lui l'honneur d'ouvrir les voies impériales. « Vous voilà, à dix-sept ans, comtesse de Casti-

glione, ayant tout pour être heureuse. Soyez-le large- ment », écrivait à sa fille la marquise Oldoïni.

En Italienne superstitieuse, l'excellente mamma n'avait rien négligé pour le bonheur de Virginia. Lors des fiançailles n'avait-elle pas jeté à la mer une croix de diamants, le premier cadeau reçu, auquel elle attribuait l'influence maléfique d'on ne savait quelle jettatura ?

En dépit de ces précautions Virginia eut très vite des querelles avec son époux — brefs orages qui écla- tent sans masquer complètement le soleil — mou- vements d'humeur provoqués par les caprices d'une femme-enfant trop adulée.

On ne pouvait les attribuer à d'autres motifs que

l'extrême jeunesse — car Virginia n'était pas suffi- samment experte pour s'apercevoir que François avait plus d'apparence que de fond, plus de brillant que de valeur.

S'efforçant de conjurer à distance tout ce qui pou- vait compromettre une union honorifique et bénéfi- que pour la famille, la marquise répétait à Virginia :

« Sois bien bonne pour Castiglione... Sois aimable avec tout le monde et très bonne pour Castiglione... Dis-moi que tu es très bonne pour lui. »

Jamais belle-mère ne s'occupa avec tant de solli- citude du bonheur de son gendre.

Virginia n'avait guère eu le loisir d'étudier à tête reposée le caractère de son mari et, dès le « oui » sacramentel, elle avait été entraînée dans un tour- billon.

Le voyage de noces avait commencé à Turin par une présentation à la cour. Sa beauté fut remarquée, moins toutefois qu'elle ne devait l'être aux Tuileries où, cependant, les jolies femmes étaient aussi nom- breuses que les vertus y étaient rares. Si François avait cherché dans le mariage une satisfaction de son orgueil masculin il était comblé au-delà de ses désirs — mais à quel prix !

Dans sa fureur d'être heureux il s'ingéniait à multiplier les merveilles autour de sa femme.

— Voyez, ma chérie, tout cela est pour vous, tout cela est à vous.

François montre à Virginia au détour de la route le château de Costigliole qui vient d'apparaître au flanc du coteau — un château de Walter Scott trans- porté aux environs de Turin, parmi les pins et les oliviers.

Comme Il Toretto il possède remparts, créneaux, mâchicoulis, pont-levis.

— Mais qu'est cela ?

— Ce sont les gens de Costigliole qui vous accueil- lent. Imaginez que vous êtes une reine entrant dans son royaume.

Un royaume de légende. Elle peut imaginer, en effet, qu'ayant ouvert un livre de contes de fée, les personnages se sont échappés d'entre les pages. Et elle est elle-même un de ces personnages, l'héroïne de la fête.

La lourde voiture tirée par cinq chevaux et conduite par des postillons en livrée, n'était peut- être au départ qu'une citrouille métamorphosée par une baguette magique. Des piqueurs sonnent de la trompe à pleins poumons. De chaque côté de la route, enjambée par des arcs de verdure, des villageois en liesse battent des mains, brandissent leur chapeau, jettent des fleurs et crient d'une voix chantante :

— Evviva la contessa! Evviva la contessina!

Au sommet de la plus haute tour l 'étendard des Verasis allume dans le ciel sa flamme rouge et bleue.

François n'a pas voulu que Virginia trouve trop sévères ces murailles faites pour la guerre. En son honneur il a entrepris de les rajeunir, de les parer, de les faire sourire à force de peinture, de décoration, de tentures, de tapis, de meubles luxueux.

Au pied des remparts on a tracé un jardin dont les plantes exotiques lui rappelleront celles du jardin de son enfance à La Spezia ; on a aménagé un lac arti- ficiel où des cygnes mirent leur blanche majesté comme ces voiles que Virginia, du haut d'Il Toretto, voyait s'incliner sur les flots de la mer Ligure.

Autre merveille : un théâtre est niché dans le gre- nier — on jouera la comédie — une comédie qui ne sera peut-être pas celle que prévoit François.

A Turin, Virginia a appris l 'amour conjugal ; ici dans le château de son époux, elle va s'initier aux jeux de l'adultère.