la chute de rome fin d’une civilisation bryan ward- … · 2017-01-30 · il s'agissait...
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EXTRAITS DE PRESSE
La chute de Rome Fin d’une civilisation, Bryan Ward-
Perkins
Presse écrite
Le Figaro Histoire, décembre 2015
Dans le monde des spécialistes de l'Antiquité tardive la parution de ce petit livre en Grande-
Bretagne, en 2005, a fait I’effet d’une bombe. Adossé sur une maitrise exceptionnelle des
données archéologiques Bryan Ward Perkins y prenait à contre-pied les deux convictions les
plus établies de l'historiographie contemporaine. Non, les invasions barbares ne relevaient pas
seulement d'un mythe néoromantique, cachant une transition relativement pacifique entre
l'Empire romain finissant et les royaumes romano-barbares. Oui la disparition des structures
politiques de l'empire d'Occident s’est bel et bien traduite par une rupture de civilisation. Au
terme d’une démonstration où éclatent tout à la fois la science de l'historien, I’humour du
polémiste et la liberté d’esprit du chercheur, il y rappelait cette évidence que la disparition du
bien-être, le resserrement de la culture lettrée aux élites religieuses et le cantonnement des arts
au cercle étroit de quelques privilégies n'avaient pas été sans conséquences.
Michel de Jaeghere
Conflits, octobre – décembre 2014
Toute ressemblance ne serait que pure coïncidence...
En nous parlant de la chute de Rome Bryan Ward Perkins nous parle de nous. Il part en guerre
contre les interprétations récentes qui minimisent la catastrophe que fut la fin de l’Empire
romain Parler de « déclin» d’ « effondrement de « catastrophe » devient presque incorrect
pour certains historiens. Place à la «transformation », à la « transition » a « l’intégration» des
Barbares que l’on se refuse maintenant à diaboliser – tous ces termes sont de l’auteur.
Bryan Ward Perkins en rend responsables les historiens allemands et anglo saxons qui
finalement n’aimeraient guère l’ancienne Rome. On pourrait aussi y voir une transposition
anachronique de thèses à la mode aujourd’hui en présentant les Germains comme des «
immigrants pacifiques respectueux des populations» (toujours selon les termes de l’auteur) ne
veut-on pas nous faire croire qu'ils constituaient une chance pour Rome ?
Ward Perkins n’a pas de mal à tailler en pièces ces thèses. Il le fait à partir d’éléments
d’autant plus indiscutables qu’ils sont simples et mesurables : la taille des villes et des
maisons, la masse de pièces de monnaie retrouvées dans le sol la quantité et la qualité des
poteries et des tuiles conservées le nombre de graffitis et d’inscriptions qui témoignent de
l’alphabétisation.
Tout concourt : la fin de l’Empire romain a provoqué une régression matérielle qui ramène
l’Europe occidentale plusieurs siècles en arrière et qui ne sera comblée qu’aux XII ou au
XIIIe siècle, dans le meilleur des cas.
L’ouvrage comporte bien d’autres considérations intéressantes sur le degré d’assimilation des
Barbares (moins grand qu’on ne le dit souvent) et sur la nature de leur domination (moins
douce qu’on le croit généralement). L’essentiel est résumé par la phrase finale : « Les
Romains avant la chute étaient aussi convaincus que nous le sommes aujourd'hui que leur
monde resterait pour l’essentiel tel qu’il était. » En un mot les civilisations sont mortelles et
leur mort se fait toujours dans la douleur.
P. G.
Le Point, 14 août 2014
La bataille des historiens
Il y a des livres qui sont des machines de guerre. Le dernier de l'historien anglais Bryan Ward
Perkins, « La chute de Rome », en est une. Elle vise Peter Brown, grand spécialiste de
l'Antiquité, et ses acolytes. Qu'ont-ils fait de mal, ces scientifiques ? Ils ont créé le concept
d'Antiquité tardive (250-800). Pis : ils nient le déclin de l'Empire romain au profit d'un «
transformisme », une adaptation harmonieuse de peuples barbares et romains les uns aux
autres.
Le crime est grave. Pour réfuter Brown, Ward-Perkins s'appuie sur les « horreurs de la guerre
». Il remet au centre l'impact des invasions, mais aussi des guerres civiles, de la violence
sociale, qui précipitèrent le déclin économique de l'Empire. Car il y eut un vrai déclin de
Rome avant sa chute. Écartant le facteur religieux - une éventuelle influence néfaste du
christianisme -, il reproche à Brown de considérer cette Antiquité tardive comme un monde
spirituel et mental et d'en exclure la dimension matérielle. Car Ward-Perkins est un
archéologue. Il s'appuie sur du concret, l'examen des poteries.
Il en déduit qu'avec l'arrivée des Barbares il y eut, en même temps qu'un effondrement
démographique, la disparition du bien-être, de produits manufacturés, d'une alimentation
raffinée, de constructions monumentales. Bref, la mise en place d'un monde bien plus
rudimentaire, inculte, où même les gouvernants ne savaient pas écrire. Tout en contredisant
Brown, Ward-Perkins tente d'expliquer le succès de ces nouvelles thèses. Il constate d'abord
qu'il s'agit d'historiens du nord de l'Europe, allemands ou anglo-saxons. Il leur oppose la
lecture française de l'après-guerre. Les Allemands venaient de détruire la France et l'Europe et
nous n'avions aucun mal à barbariser leurs ancêtres. Ces nouveaux historiens, eux, ont fait
irruption dans les années 60 : l'Allemagne redevenait un pilier européen, il fallait raconter une
union harmonieuse entre les Germaniques et les Romains. Il s'agissait d'écarter le modèle
encombrant de l'Empire romain tout-puissant, de repenser le christianisme comme un héritage
positif et d'encenser une Europe postromaine (Ve-VIIIe siècle), dont le centre de gravité s'était
déplacé vers un triangle Strasbourg-Francfort-Bruxelles, qui correspondait comme par hasard
au centre de l'Europe actuelle. Ward-Perkins, un Anglais qui a grandi à Rome, reconnaît lui-
même son tropisme italien, lui qui ne peut faire le deuil de la primauté de la civilisation
romaine. Et il repeint en noir ce que ses collègues avaient tiré récemment vers le clair. Preuve
que jamais peut-être une même période n'a donné lieu à lectures plus radicalement différentes
• F.-G. L.
Histoire National Geographic, juillet 2014
COMMENT s'effondre un Empire qui se croyait éternel ?
À rebours des visions « iréniques », le mot est de l'auteur, évoquant une lente transition, ce
dernier démontre, grâce aux travaux d'archéologues, que la chute de Rome fut brutale et
spectaculaire.
L’archéologue, juin-août 2014
À Ravenne, le 4 septembre 476, le jeune empereur Romulus Augustule est contraint
d'abdiquer par Odoacre, roi des Hérules. L'empire d'Occident disparaît Faut-il parler d'un
soudain basculement dans les « âges sombres » ou ne voir, au contraire, dans l'Antiquité
tardive qu'une turbulente période de mutation.
Se fondant sur ses travaux novateurs d'archéologue, l'auteur démontre que les invasions
« barbares » provoquèrent un effondrement spectaculaire touchant tous les domaines
politiques, économie, religion et vie quotidienne. Il conteste l'idée – dominante chez les
historiens d'aujourd'hui - d'une transition entre l'Antiquité et le Moyen Âge. De façon concrète
et frappante, il montre la fin violente et le soudain décrochage d'une culture, dont l'économie
et la technique retombèrent parfois au niveau de l'âge du fer.
Tandis que l'empire d'Orient conservait une haute sophistication économique et politique,
l'Occident mit plusieurs siècles pour retrouver le niveau de vie et les capacités d'innovation
qui avaient été balayées en quelques décennies.
Mémoire des arts, mai-juin 2014
Fin d'une civilisation, par Bryan Ward-Perkins, né à Rome, archéologue comme son père,
spécialiste de la fin de l'Empire romain et des prémices du Moyen Âge, et professeur à I
université d'Oxford.
Il reçut en 2006 le prix Hessell Tiltman pour cet ouvrage. L'auteur établit comment les
invasions barbares (les Goths, les Vandales, les Wisigoths, les Suèves, les Alains, etc.)
provoquèrent l'effondrement spectaculaire de tout ce qui faisait la gloire de Rome dans
l'univers de la politique, de l'économie, de la religion, et de la vie quotidienne. Toute l'épopée
de la fin de la civilisation romaine, jusqu'au triomphe de Charlemagne, couronné empereur à
Rome, en l'an 800.
Sciences et avenir, mai 2014
Archéologue et historien ayant grandi à Rome, l’auteur est un des meilleurs spécialistes de la
fin de l’Empire romain.
Dans ce livre il montre que les invasions barbares ont provoqué l’effondrement spectaculaire
du monde romain supposant en cela à la thèse d une transition entre Antiquité tardive et
Moyen âge défendue par certains historiens.
Bernadette Arnaud
Le Figaro Histoire, avril-mai 2014
Entretien avec Bryan Ward-Perkins
Propos recueillis par Michel De Jaeghere
Le jour d'Après
La chute de Rome se traduisit, pour l'Occident, par un déclin d'une ampleur dont l'histoire
offre peu d'exemples. Un essai à contre-courant remet en cause le nouveau consensus sur
l'innocuité des grandes invasions germaniques.
Le Figaro Littéraire, 24 avril 2014
La chute de l'Empire romain
ANTIQUITÉ Bryan Ward-Perkins analyse l'effondrement d'un monde qui se croyait éternel
COMME cela aurait pu être rassurant de se dire que la civilisation romaine n'avait pas sombré
sous les assauts des hordes « barbares » au Ve siècle. Depuis les années 1980, certains
historiens ont suggéré l'idée qu'il n'y aurait pas eu de confrontation violente entre la
« romanité » et la « germanité » mais une « transition » plus ou moins en douceur. Des
spécialistes, comme l'historien Peter Brown, qui fit école, ont imposé le terme rassurant
d'« Antiquité tardive » pour désigner les siècles qui suivirent la destitution en 476 du dernier
empereur d'Occident, le jeune Romulus Augustule. C'en était fini désormais de la vision
« sombre » de Montesquieu, de Robertson ou de Gibbons sur la chute de Rome. Dans le
monde académique, on mit l'accent sur l'acculturation des « foederati » (fédérés)
germaniques, insérés dans le monde romain et souvent liés aux élites locales. Il y aurait eu, au
Ve siècle, fusion de deux civilisations dont les royaumes romano-barbares, comme celui des
Francs de Clovis, seraient le témoignage.
Le prix de la construction européenne
Un historien, Patrick J. Geary, se hasarda même à écrire que « le monde germanique fut la
plus grande et la plus durable œuvre du génie politique et militaire de Rome ». Personne ne
l'avoua jamais ouvertement à l'époque, mais le contexte des années post-guerre froide ne fut
peut-être pas totalement étranger à cette nouvelle lecture rassurante. Nos amis allemands,
avec lesquels on construisait l'Europe, pouvaient se convaincre que toute la barbarie ne venait
pas toujours d'outre-Rhin. Bref, la thèse de l’« Antiquité tardive » s'imposa.
C'est contre ce « renouveau » historique que s'insurge dans ce petit essai vif, bien écrit et très
stimulant le chercheur britannique Bryan Ward-Perkins. Né à Rome et enseignant à Oxford,
l'auteur, bien qu'archéologue, se montre aussi à l’aise dans l'examen des fonds archéologiques
(notamment les céramiques) que dans l'interprétation des sources écrites pour défendre la
thèse selon laquelle il y eut bien un effondrement de la civilisation après la disparition de
l'empire. L'auteur ne parle pas d'invasions (aujourd'hui on sait que le processus fut beaucoup
plus complexe) mais il refuse la vision irénique proposée par ses prédécesseurs selon laquelle
il y aurait eu un maintien de la civilisation après l'arrivée des guerriers germaniques.
Fragile universalisme
Il insiste sur l'opposition persistante entre les principes de la romanité et du germanisme, ce
qui fut aussi contesté, alors même que les textes juridiques attestent de cette distinction entre
les minorités dominantes qui vivaient selon les lois barbares et le reste de la population
soumise aux leges romanorum. L'interprétation que l'auteur donne de cette cécité académique
est très intéressante : la chute de l'Empire romain est aussi celle d'un universalisme
mondialisé ; le même sort nous menace-t-il ? « Une civilisation complète fut détruite, écrit
l'auteur, ramenant ses habitants à des manières de vivre telles qu'aux temps préhistoriques.
Les Romains avant la chute étaient aussi convaincus que nous le sommes nous aujourd'hui
que le monde resterait pour l'essentiel tel qu'il était. Ils avaient tort. »
Nous préférons l'oublier peut-être pour nous bercer d'illusions sur l'avenir de moins en moins
radieux de la mondialisation. Avec cette Chute de Rome, le débat académique et politique ne
fait que commencer.
Jacques de Saint Victor
Lire, avril 2014
Violence de la chute
Brillant historien, le Britannique remet les pendules de la fin de la civilisation romaine à
l'heure dans cet essai désopilant.
L’Histoire se révise en permanence. L’intelligence du mouvement historique dépend en effet
des sources dont l’inventaire n’est jamais épuisé et des marges d’interprétation qui sont
infimes. Que la lecture des grands événements du passé soit subite à variations est donc tout
simplement normal et le plus souvent bienvenu. Encore faut-il rester raisonnable. Or on y
manque lorsque le politiquement correct du moment exerce son empire à un point tel que
l'Histoire ainsi relue en devient proprement imaginaire.
Prenons deux exemples. Il est aujourd’hui de bon ton de présenter l’Espagne musulmane
comme une sorte de jardin d’Eden ou dans l'ombre fraîche des patios, juifs chrétiens et
musulmans auraient discuté paisiblement de leurs credos respectifs en se transmettant les
sagesses antiques. Évidemment si d’aventure, vous osez discuter cette manière « enchantée »
de faire de l'histoire, l'accusation d’« islamophobie » vous guette.
Autre exemple plus près de nous. Le président de la mission du centenaire de la Première
Guerre mondiale n'a pas craint de déclarer que celle-ci n’avait fait « ni vainqueurs ni
vaincus » ! Ah l’amitié franco-allemande ! Que de niaiseries ne commet-on pas en ton nom !
On a compris la nouvelle méthode historique : aller à rebours des évidences pourvu que cela
aille dans le sens de l’amitié entre les peuples !
Connaissez-vous, dans cet ordre d’idées, la dernière billevesée ? Contrairement à ce que vous
pourriez croire, l’Empire romain ne s’est pas effondré sous les coups des Barbares et
d’ailleurs il ne s’est pas effondré du tout ! Mais alors que s’est-il passé ? Tout simplement une
« transition douce » faite de riches échanges interculturels entre des Romains vieux et sages et
des Ostrogoths bons bougres pleins de vitalité ! Autant dire que Saint Augustin, Edward
Gibbon et des centaines d’historiens après eux n'avaient rien compris lorsqu'ils décrivaient les
invasions barbares, la destruction des institutions, l’effondrement de l’économie, bref le grand
cataclysme, la fin d’un monde et le crépuscule d’une civilisation.
Dans un essai aussi brillant que désopilant le professeur Ward-Perkins d’Oxford remet les
choses en place : la chute de Rome, en 476, sonne bien le glas d’une civilisation. II nous
rappelle que comme en littérature on ne tait pas de la bonne histoire avec de bons sentiments.
Marc Riglet
Valeurs actuelles, 17 avril 2014
Depuis quelques années se propage l'idée, venue des États-Unis, que la chute de Rome n'a été
qu'un doux assoupissement et que la venue des Barbares a été une chance pour l'empire. Avec
ce petit livre tout à fait accessible, est mise à mal l'image d'une transition entre l'Antiquité et
le haut Moyen Âge.
Une rupture, affirme cet historien, la destruction d'une civilisation complexe. Avec un souci,
celui de ne pas répéter l'erreur des Romains de se bercer de l'illusion rassurante que le monde
est immuable.
Frédéric Valloire
Les affiches de Normandie, 16 avril 2014
On sait que, depuis quelques décennies, cette vision catastrophiste des derniers temps de
l'Empire a laissé place, chez la plupart des historiens, à une manière de conception soft. Il ne
s'agit plus de diaboliser les Barbares, mais de souligner combien lesdites « invasions » se sont
déroulées bien doucettement, sans heurts notables, jusqu'à ce que le dernier empereur,
Romulus Augustulus - « le petit Auguste », à Ravenne, le 4 septembre 476, rendit son tablier.
Dans un ouvrage subtil, La chute de Rome. Fin d'une civilisation, le grand historien et
archéologue Bryan Ward-Perkins, professeur à l'université d'Oxford, s'inscrit en faux contre
cette vision molle et, pièces en main, démonte avec finesse les mécanismes qui ont conduit à
un effondrement. La pénétration des populations germaniques, hormis quelques coups de
boutoir qui ont laissé des traces dans les mémoires, s'est faite sur le long temps. Mais, l'impact
culturel aura été décisif. L'implantation des Goths peut faire figure d'exemple. Loin de toute
idéologie, ils adoptent les structures politiques romaines. Beaucoup conservent leur langue, ils
se sont les Latins qui vont adopter la leur, pour mener leurs affaires On assiste, dans tout
l'Empire, à l'abandon des productions élaborées, au profit d'échanges locaux. La monnaie, peu
à peu, disparaît du paysage quotidien.
L'écrit se réfugie bientôt dans le registre officiel des lois, traités ou registres fiscaux. Le
décrochage est tout est tout à la fois politique, économique et religieux. Si, en Orient, l'Empire
conservera pendant plusieurs siècles sa sophistication économique et politique, en Occident,
on verra certaines régions ravalées au niveau de l'âge du fer.
Cet ouvrage percutant, très dense mais conduit parfois avec humour, fait le constat d'un
désastre. Les nouveaux venus ont sapé les fondements d'une civilisation « sans
préméditation », certes. La faillite demeure. Et ce remodelage radical n'est pas sans nous
concerner, au moment où notre monde s'interroge sur son propre déclin. Un grand-livre,
fascinant.
Pierre Aubé
Books, mars 2014
CESSONS D'EXCUSER LES BARBARES !
Non, la chute de l'Empire romain ne s'est pas faite en douceur.
Quoi qu'en dise la nouvelle doxa, les invasions germaniques ont infligé à l'Europe une
régression culturelle et économique inouïe.
Sciences Humaines, mars 2014
Livre du mois
Rome : la fin d'un monde
La chute de Rome et de son Empire a-t-elle marqué l'effondrement d'une civilisation antique
avancée ? Après un demi-siècle de sérieux doutes, le constat d'une rupture radicale est établi
par un archéologue de talent.
En août 410, Rome est prise par les Wisigoths, menés par leur roi Alaric. Durant trois jours, la
ville est pillée et dévastée. Par-delà les siècles, la chute de Rome a marqué les esprits,
symbole du caractère mortel des civilisations, y compris celle qu'incarnait cette ville réputée
éternelle. La secousse fut telle dans l'Empire qu'on l'interpréta comme le signe avant-coureur
de la fin du monde. « Avec une ville et une seule est mort le monde entier », écrivit saint
Jérôme de Palestine. Les barbares submergeaient le cœur de la civilisation. Pourtant révisant
cette vision d'apocalypse, certains historiens dont l'Anglo-Irlandais Peter Brown en sont venus
à partir des années 1960 à l'idée d'une « Antiquité tardive », qui niait qu'une fin brutale de la
romanité eût suivi l'arrivée des peuples germaniques. Le terme même d'« invasions barbares »
fut donc remis en cause. Les Allemands, quant à eux, ont toujours parlé de « migration des
peuples » (Volkerwanderung). Les populations d’outre Rhin, pressées par l'arrivée des Huns
venus de l'Est, auraient peu à peu débordé le limes (la frontière), et se virent alors octroyer des
territoires en échange de leur participation à la défense de l'Empire contre plus barbares
qu'eux. Avec le temps, ces populations variées se seraient accommodées les unes des autres.
Les Romains, les Goths les Burgondes, les Francs les Daces et les Vandales se seraient fondus
dans un nouveau peuple. À partir du IVe siècle, et malgré quelques conflits violents, les
barbares auraient donc régénéré l'Empire en lui apportant du sang neuf.
Certes les mœurs n'étaient plus les mêmes, la religion non plus. Le Nord et l'Est de la Gaule
ont été particulièrement ravagés par les Suèves et les Alains. À Andrinople, en 378, les Goths
écrasent l’armée de Valens, l'empereur d'Orient, et le tuent. Mais ces envahisseurs, somme
toute se seraient souvent comportés en alliés. On ne devrait donc plus parler de la « fin de la
civilisation gréco-romaine », mais de sa transformation Ce n'était pas une chute mais une
évolution, étalée sur plusieurs siècles, reliant l'Antiquité classique au Moyen Âge.
Or, pour l'historien Bryan Ward-Perkins, cette vision irénique de l'histoire ancienne est tout
simplement fausse. Dans La Chute de Rome, il entreprend de montrer à quel point la fin de
l’Empire romain a marqué le début d'une période de déclin civilisationnel durable. Dans
certaines régions, le déclin fut tel qu'il ramena les populations à un niveau de développement
proche des temps préhistoriques. On voit que le propos est tranché. Sa démonstration est-elle
convaincante ?
L'auteur revient tout d'abord sur l'idée selon laquelle les territoires cédés aux peuples
germaniques auraient été accordés par des traités passés entre le pouvoir romain et eux-
mêmes. Mais les traités retrouvés sont fort rares et les territoires concernés bien petits par
rapport aux portions occupées dans les faits par les nouveaux arrivants. Il semble que la
violence et le chantage aient présidé à l'implantation des Germains davantage que la
négociation. Le droit, en l'occurrence était souvent celui du plus fort. Des alliances forcées
entre alliés eurent bien lieu, des mariages également entre familles aristocratiques, romaines
et germaniques. Mais pour le peuple, le commun des mortels de l'époque, celui auquel
s'intéresse plus particulièrement Bryan Ward-Perkins, c'est l'invasion qui domine, avec ce que
cela comporte de vols, de rapines, d’expropriations... Reflets de ces temps troublés : les
inquiétudes angoissées des penseurs chrétiens. L'Empire avait supprimé les cultes publics
païens en 391. Pourquoi Dieu laissait-il ses fidèles souffrir ainsi, autant que les non-croyants ?
Pour Saint Augustin, il fallait désormais distinguer entre le plan terrestre et celui du Ciel.
Ainsi écrivit-il La Cité de Dieu. Longtemps, pourtant, Rome avait dominé militairement les
peuples germaniques. Meilleure organisation, meilleure discipline, meilleure qualité
d'armement, meilleure logistique, réseau de routes sans pareil. Ceci compensait la faiblesse
numérique des Romains.
Sous la pression, Rome était allée jusqu'à recruter des esclaves pour qu'ils se battent en
échange d'une solde et de leur affranchissement. Mais, comme l'écrit B. Ward-Perkins : « La
chute de l'Occident n'est pas une histoire faite de grandes batailles rangées (...) Elle est plus
hasardeuse, comme une série de fuites impossibles à colmater ». Les victoires marquantes,
comme celle des champs Catalauniques en 451, étaient désormais conditionnées par l'aide des
alliés germains.
Avec une armée professionnelle de 600 000 hommes, nourris, logés, équipes et payés, la
puissance militaire romaine dépendait directement de ses capacités financières, donc fiscales.
Pour certains historiens, le déclin économique de Rome avait débuté dès le IIIe siècle,
conséquence d'un effondrement démographique. Mais B. Ward-Perkins pose la question :
« Les envahisseurs poussèrent-ils un peu rudement les portes d'un édifice branlant, ou firent-
ils éruption dans une structure vénérable, certes, mais encore solide ? » La situation n'était
pas uniforme dans tout l'Empire. Pour certaines régions de la Gaule ou de l'Italie, le contexte
était tendu. Mais pour ce qui concerne l'Afrique du Nord, le niveau de vie serait resté
équivalent à celui du Ier siècle. C'est la partie occidentale de l'Empire qui eut le plus à
souffrir. Une série d'événements précipita les choses au tout début du Ve siècle : la traversée
du Rhin par les Vandales, Suèves et Alains en 406 ; un empereur usurpateur (Constantin III)
en 407 ; le retour des Goths en Italie en 408. Plus encore que les invasions, les luttes de
pouvoir ont miné la puissance de Rome. L'Empereur Flavius Honorius dut faire face, entre
407 et 413, à cinq usurpateurs différents, face auxquels il lui fallut guerroyer tandis que les
barbares débordaient les frontières. À cela s'ajoutaient les bagaudes, révoltes antifiscales ou
anti-impériales de déclassés, qui accentuaient encore l'insécurité à l'intérieur des frontières.
Pour autant, les envahisseurs n'avaient pas dépossédé tout le monde et certains Romains
continuèrent à prospérer, les structures de base de la société perdurant sous domination
germanique. L'émiettement de l'Empire en territoires rendait l'accès aux lieux de pouvoir plus
aisé qu'au temps de la centralisation romaine, même si la violence était toujours proche.
Même si les différents peuples finirent par se mêler, le constat de B. Ward-Perkins est sans
appel : « J'affirme que les siècles postromains connurent un déclin spectaculaire de la
prospérité économique et de modèles élaborés, et que ce déclin frappa l'ensemble de la
société, de la production agricole à la haute culture, et des paysans jusqu'aux rois. »
Les peuples germaniques n'étant habités par aucune idéologie, « ils abattirent Rome sans
préméditation ». On peut donc bien parler, avec la chute de Rome, de la fin d'une civilisation.
Il fallut plusieurs siècles pour retrouver un niveau de vie et de culture comparable à celui de
l'Empire.
Thierry Jobard
Le Monde des Livres, 14 mars 2014
À Rome, les Barbares n'étaient pas des hôtes faciles
L'historien Bryan Ward-Perkins expose les conséquences, brutales, de la chute de l'Empire
romain.
Il n'est pas fréquent qu'un tenant de disciplines parfois austères comme l’archéologie et
l'histoire romaine sache offrir au public un livre aussi enlevé pour ferrailler avec la tendance
majoritaire dans sa discipline depuis les années 1940. Dans La Chute de Rome Fin d'une
civilisation, Bryan Ward-Perkins, professeur à Oxford, manie l'ironie pour donner raison au
sens commun sur l'interprétation de la chute de l'empire des Césars.
Les amateurs que nous sommes avons coutume, depuis Edward Gibbon (1737-1794) et son
Histoire du déclin et de la chute de l'Empire romain (Robert Laffont, 2010), traduit par
Guizot, de considérer les invasions barbares et la chute de l'empire d’Occident, amorcée au
Ve siècle de notre ère, comme une période de régression et même de profondes décadences.
Mais auprès des spécialistes, il règne une tout autre musique. On y refuse, certes avec des
nuances et des accents, l'idée que le Ve siècle et ceux qui suivent puissent être interprétés
exclusivement comme une plongée dans des « âges sombres », prodromes cruels du Moyen
âge. En dépit des invasions barbares et de la déposition du dernier empereur d’Occident,
Romulus Augustule, en 476, la période ne céderait guère en grandeur aux siècles précédents.
Les conquêtes des Vandales, des Goths et des Francs se seraient faites en partie
pacifiquement, par fusion et intégration, en somme. L'expression « Antiquité tardive »,
désormais banalisée dans la recherche, résumerait cette manière de voir.
Son plus célèbre héraut n'est autre que le biographe de Saint Augustin, l’historien né a Dublin
et Professeur à Princeton Peter Brown. Il réaffirme ses thèses dans un livre de 700 pages non
encore traduit en français Through the Eye of a Needle (« À travers le chas d’une aiguille »,
2012), consacré à « la richesse, la chute de Rome et la formation de la chrétienté entre 350 et
550 ».
Les moyens que la civilisation latine a mobilisés pour subsister sont selon lui plus significatifs
que les signes d'érosion. Si le fait qu’une partie de cette culture a pu conserver de son allant
ne suscite guère les commentaires, c’est que la survie est moins « glamour », dit-il, que
l'effondrement.
Des temps bel et bien durs
C'est contre cette vision trop irénique des « siècles obscurs » que s'élève Bryan Ward-Perkins.
Pour lui, à force de se concentrer sur la riche inventivité religieuse chrétienne qu'incarne
l’évêque d'Hippone, Saint Augustin, les chercheurs délaissent les indices économiques,
démographiques et archéologiques qui ne plaident nullement en faveur de la thèse d'une
« Antiquité tardive » relativement brillante.
Tant le recul de la technique des poteries que l’affaiblissement du tissu urbain montrent que
ces temps étaient bel et bien durs. La population de l'Europe occidentale n'y fut-elle pas en
chute aussi libre que spectaculaire ? Certes, suggère-t-il, une historiographie actuelle -
allemande, mais pas seulement - a tout intérêt à présenter les tribus germaniques d'autrefois
comme autant d'invités bien élevés au banquet européen.
Bien des textes d'époque dévoilent néanmoins la brutalité de cette irruption. L'idée de la
formation d'une Europe pacifiée qui inspire ces historiens est certainement un bel objectif.
Pourtant, bien qu'il soit difficile de déchausser les lunettes du présent pour lire le passé, ce
petit ouvrage nous avertit de façon convaincante de prendre garde aux anachronismes.
Nicolas Weill
Ouest France, 11 mars 2014
La violence des changements barbares
À Ravenne le 4 septembre 476, le jeune empereur Romulus Augustule, « le petit Auguste »,
est contraint d'abdiquer par Odoacre, roi des Hérules, peuple germanique venu de Scandinavie
s'installer sur les bords de la mer Noire.
L'empire d'Occident disparaît, ce qui est vécu comme une fin du monde par les habitants de
l'aire culturelle et politique romaine. Quinze siècles plus tard ce tournant capital de l'Histoire
reste fascinant et mal connu. Faut-il parler d'un soudain basculement dans les « âges
sombres » ou ne voir, au contraire, dans les temps troublés de l'Antiquité tardive, qu'une
turbulente période de mutation ? Bryan Ward-Perkins montre que les invasions barbares
provoquèrent un effondrement spectaculaire touchant tous les domaines politique, économie,
religion, vie quotidienne. Avec humour, érudition et passion, il conteste l'idée, dominante
chez les historiens d'aujourd'hui, d'une transition entre l'Antiquité et le Moyen Âge. Il montre
au contraire la fin violente et le soudain décrochage d'une culture.
Le Nouvel Observateur, 27 février 2014
* * * On imagine que Rome, dans sa chute, a annoncé une période de transition entre
l'Antiquité et le Moyen âge. Dans cet essai enlevé, ce grand archéologue d'Oxford s'appuie sur
les textes et les poteries pour montrer, au contraire, que les envahisseurs se sont emparés
violemment du pouvoir et des richesses, traumatisant la population et provoquant une crise
militaire, politique, économique et culturelle profonde. Un décrochage plutôt qu'un déclin.
Laurent Lemire
L’Histoire, 20 février 2014
Rome, assassinée - sans préméditation
Un essai polémique de Bryan Ward-Perkins montre que la chute de Rome s'est aussi
accompagnée de massacres et de violences. Le débat est réouvert.
Depuis un demi-siècle environ, depuis les travaux essentiels de Peter Brown en particulier, le
Bas- Empire romain a laissé la place à l'Antiquité tardive, la chute de Rome à un âge de
mutations, les invasions barbares à l'installation des peuples germaniques. Bref, à une vision
décliniste et violente du IVe-VIIe siècle de notre ère a succédé ce que Bryan Ward-Perkins
juge une conception irénique injustifiée de ces siècles troublés.
Dans cet essai polémique, l'enseignant à Trinity College, à Oxford, entend donc redresser la
barre, et, sans nier les mutations profondes qui affectent l'Occident (car l'Orient vit, de fait, à
un autre rythme, et l'Empire romain s'y maintient jusqu'en 1453), il rappelle que les invasions
germaniques s'accompagnèrent partout de massacres, de pillages, de violences et d'insécurité
pour les populations. Certes, des élites romaines se mirent au service des nouveaux royaumes
qui avaient besoin de ces hommes cultivés et habiles à administrer, et les nouveaux rois ne
tardèrent pas à adopter certaines formes de l'ancien pouvoir impérial. Mais les mœurs
« barbares » s'imposèrent largement pendant une longue période.
Plus grave sans doute, Bryan Ward-Perkins souligne vigoureusement combien les invasions
germaniques s'accompagnèrent à terme d'une incroyable perte des savoirs et des savoir-faire ;
ainsi, estime-t-il, la Grande-Bretagne se retrouve au niveau matériel de l'Age du bronze, avec
la disparition de la monnaie, du tour de potier et de l'architecture de pierre et de tuiles !
Malgré des variations locales, le recul fut considérable. La quasi-interruption des échanges à
longue distance réduisit la consommation aux produits locaux, souvent médiocres, car « la
sophistication de la période romaine, en diffusant à grande échelle des biens de consommation
d'excellente qualité, avait détruit les savoir faire et les réseaux locaux ».
Bryan Ward-Perkins n'est pas loin de rejoindre le point de vue exprimé autrefois (en
août 1945 !) par André Piganiol : « La civilisation romaine n'est pas morte de sa belle mort,
elle a été assassinée » (et il dénonçait là clairement les hordes germaniques) mais, admet
Bryan Ward-Perkins, « sans préméditation ». Haro donc sur l'Antiquité tardive et ses apôtres,
qui préféreraient disserter sur les spéculations religieuses de clercs inconnus et sans influence
réelle que d'affronter les dures réalités politiques, économiques ou militaires de ces temps
difficiles. Ce livre polémique est bienvenu, même si d'autres avant lui ont dénoncé cet
angélisme que la réintégration dans une Europe pacifiée d'une Allemagne redevenue
fréquentable a aidé à émerger. Il faut lire Bryan Ward-Perkins pour mieux comprendre
combien, une fois encore, il n'est d'histoire que contemporaine. Le débat est réouvert.
Maurice Sartre
L’Express, 19 février 2014
Rome, grand-peur et décadence
Comment s'effondre un monde qui se croyait éternel. L’essai de Bryan Ward Perkins sur la fin
de l'Empire sonne comme un avertissement sur notre propre déclin.
Depuis une trentaine d'années, des historiens remettent en question la thèse, en vogue depuis
le XVIIIe siècle, du déclin continu de l'Empire romain suivi d'une capitulation face aux
barbares, scellant la fin d'un monde. Mieux vaudrait parler, à les en croire, d'un gentleman's
agreement, eût-il parfois été contraint, entre Goths, Vandales, Burgondes... et Rome. La
nature de cet échange ? La paix contre des territoires et des espèces sonnantes et trébuchantes.
Bryan Ward-Perkins, archéologue et professeur à Oxford, s'insurge contre cette vision
irénique. Il démontre que les envahisseurs germaniques se sont emparés par la force de vastes
terres, sans aucun accord sur le partage des ressources avec les Romains, devenus leurs sujets.
Qu'importé, ensuite, que la conquête adopte des formes rapides (l'Afrique du Nord, envahie
par les Vandales en dix ans) ou lentes (la Gaule, que se disputent Romains, Bretons d'outre-
Manche, Saxons, Francs, Burgondes Alains, Goths... tout au long du Ve siècle). Que les
nouveaux maîtres n'aient de cesse de parler et d'écrire le meilleur latin et de se fondre dans les
institutions impériales.
Que l'empire d'Orient, Byzance, servi par la géographie (le Bosphore), ait pu se prémunir des
invasions jusqu'au XVe siècle. Querelle d'historiens ? Pas seulement. Bryan Ward Perkins,
récompensé par le prestigieux prix Hessell-Tiltman pour l'Histoire, réagit en homme du
XXIe siècle : « Les Romains, avant la chute, étaient aussi convaincus que leur monde
resterait, pour l'essentiel, tel qu'il était, que nous le sommes, nous, aujourd'hui. Ils avaient tort.
À nous de ne pas répéter leur erreur et de ne pas nous bercer d'une fallacieuse assurance. »
Cet essai sur l’antiquité tardive est donc à lire comme une sévère mise en garde, en forme de
récit scrupuleux, sur un effondrement provoqué par des « fuites impossibles à colmater »,
dans un climat de guerre civile et de violence sociale, dopées par une crise de l'autorité. Bryan
Ward Perkins n'est pas un idéologue. Son inspirateur serait plutôt Sherlock Holmes. Fin
limier, il est toujours en quête de preuves, dégotées dans les restes de poterie, la vitesse de
circulation de la monnaie et l'essoufflement de la démographie.
C'est peu de dire que le diagnostic de ce médecin légiste tenace et sombre est convaincant.
Emmanuel Hecht
Page des libraires, hiver 2014
Figurez-vous qu'il y a du nouveau sur la chute de Rome ! L'Histoire telle qu'elle se faisait
depuis quelques décennies vacille sous un coup de bélier donné par un historien anglais né... à
Rome ! Antiquité pour Antiquité, CATHERINE CLÉMENT, elle, revisite les dieux...
Des dieux et des hommes
DEPUIS DES ANNÉES le champ historique frémissait d'une sorte de bien-pensance autour
de ce choc historique. Selon cette idéologie, la chute de l'Empire se serait faite en douceur par
intégration des Barbares dans l'Empire, en une sorte de transition. Comme si les guerres les
massacres avaient été peu de chose. D'autres arguent d'une certaine mollesse et d un déclin
économique. L'ouvrage de Bryan Ward Perkins va à l’encontre de ces thèses : « l'Empire était
encore très puissant à la fin du IVe siècle ». Il ramène cet événement historique non plus
seulement à un déclin en quelque sorte négocié, mais bien a une chute brutale, violente, un
véritable choc culturel, géopolitique, économique et scientifique, dont l'Occident (au moins
lui, puisque le livre s’occupe davantage de lui que de l'Empire d’Orient) mit plusieurs siècles
a s’en remettre, c’est-à-dire à revenir à un certain niveau de sophistication et de savoir vivre.
L'Empire, victime d'une « succession de désastres [qui] allaient tout bouleverser ».
S'ensuivent des pages passionnantes sur la civilisation romaine, le niveau de vie élevé, le
confort des diverses classes sociales, analysé à travers notamment, l’art de la poterie et
l'importance de la tuile romaine aussi belle que résistante et pratique, qui recouvrait presque
toutes les habitations y compris les granges et simples abris. Idem pour les constructions
d'habitations. Un niveau de vie que l'Europe mit des siècles à retrouver. Est-ce un hasard si la
thèse de la « transformation » de l'Empire est défendue en Europe du Nord et en Amérique du
Nord surtout depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ? Ça n’est pas un hasard si la
Communauté européenne se fonde sur l’amitié franco-allemande, comme si Goths et Francs
étaient les fondateurs de l'unité européenne ? Comme si l'Empire romain, méditerranéen
gênait…
Olivier Renault
Internet
Herodote.net, 20 octobre 2014
Inventé en 1971, le concept d'Antiquité tardive a donné lieu à beaucoup d'avatars. Jusqu'à
quel point la chute de Rome a-t-elle été une catastrophe ? Dans quelle mesure les Barbares
ont-ils une part dans le déclin de l'empire d'Occident ? Cet empire a-t-il véritablement
décliné ? Ne s'est-il pas plutôt métamorphosé pour donner le jour à un élan spirituel sans égal,
avec le christianisme et l'islam ?
Dans cet essai palpitant et très personnel, l'archéologue britannique Bryan Ward-Perkins
remet les pendules à l'heure... et les Barbares à leur place. « Jusqu'à une date récente, on
considérait que l'économie de l'Empire avait fortement décliné au cours des IIIe et IVe
siècles, note-t-il. Cependant, le travail archéologique effectué après la Deuxième Guerre
mondiale a mis en cause cette analyse. Dans la majeure partie de l'Orient méditerranéen et
dans certaines parties de l'Occident, des fouilles et des prospections ont permis de conclure à
l'existence d'une économie florissante de l'Empire tardif, accompagnée d'une prospérité
rurale et urbaine réelle, fort étendue ». Cette prospérité permet d'entretenir une armée
professionnelle qui comprend pas moins de 600.000 soldats.
Bryan Ward-Perkins, qui ne dissimule pas sa sympathie pour la Rome impériale, observe
aussi la très grande diffusion de l'écrit aux premiers siècles de notre ère : « l'écrit était d'une
utilisation commune sur un mode parfaitement éphémère et quotidien. Pompéi nous en
fournit, sans surprise, de nombreuses preuves. Plus de onze mille inscriptions en tous genres
y ont été relevées... ». Mais les conditions relativement clémentes de la vie en Occident au
IVe siècle se dégradent considérablement au cours de la première décennie du Ve. « Du fait
des invasions, c'est évident », souligne Bryan Ward-Perkins, qui a beau jeu de rappeler les
chroniques du Ve siècle, celui d'Alaric, de Saint Augustin, d'Attila et de Clovis. Elles mettent
en évidence la violence des rapports entre Barbares et Romains dans la partie occidentale de
l'Empire.
L'archéologie témoigne d'après Bryan Ward-Perkins d'« un déclin saisissant du niveau de vie
en Occident tout au long des Ve, VIe et VIIe siècles », l'époque des Huns et des Francs. « Tout
le monde en fut frappé : des paysans aux rois ».C'en est à peu près fini des circuits
commerciaux d'une extrémité à l'autre du monde romain. Ils favorisaient la production à
grande échelle de biens de très haute qualité et donc l'optimisation des savoir-faire. Cela est
visible par exemple en matière de poteries avec des sites de production industrielle tel celui de
la Graufesenque, près de Millau.
Désormais, chaque territoire est réduit à ses seules ressources, avec de piètres résultats. «
Cela peut sembler de prime abord incroyable : la Grande-Bretagne post-romaine tomba à un
niveau très inférieur à celui de l'âge de fer pré-romain ». Quant à l'alphabétisation, elle finit
par se cantonner au clergé. Il faudra attendre d'une manière générale le XIIIe siècle médiéval,
soit près d'un millénaire, pour retrouver les précédents niveaux de production et de bien-être.
Ces considérations sont confortées par l'archéologie funéraire. Les tombes mérovingiennes
révèlent des individus chétifs, précocement décédés, affaiblis par la maladie et la malnutrition,
signe d'une baisse certaine des niveaux de vie. Cela se voit même à la taille des bovins qui
revint à la norme des temps préhistoriques ! L'Orient romain échappe à ce mauvais sort,
malgré la sévère défaite de l'empereur Valens face aux Goths, devant Andrinople, en 378. «
Question de chance... et peut-être aussi de meilleure gestion politique ». Il est vrai que les
territoires les plus riches d'Orient, ceux qui assurent à Constantinople l'essentiel de ses
ressources fiscales, sont en Asie, protégées par le détroit du Bosphore des attaques
germaniques.
Sur le plan politique, toutefois, les notables romains d'Occident ne perdent pas au change en
troquant l'autorité de l'empereur contre celle des roitelets barbares. Ceux-ci, par manque de
cadres, doivent s'appuyer sur eux pour gouverner en toute quiétude. « La désintégration de
l'Empire, remplacé par une mosaïque de cours germaniques, donna paradoxalement aux
Romains vivant dans les provinces une meilleure situation qu'au IVe siècle, où il n'existait
qu'une seule cour impériale, souvent lointaine. ».
Et l'archéologue de conclure : « Les Romains, avant la chute, étaient aussi convaincus que
nous le sommes, nous aujourd'hui, que leur monde resterait pour l'essentiel, tel qu'il était. Ils
avaient tort. À nous de ne pas répéter leur erreur et de ne pas nous bercer d'une fallacieuse
assurance ».
Delitdimages.org, 20 octobre 2014
Lisez d'urgence La chute de Rome, fin d'une civilisation, de Bryan Ward-Perkins, traduit de
l'anglais chez Alma Éditeur. Cet ouvrage de l'historien, universitaire et archéologue
britannique, est un pavé dans le jardin de l'idéologie dominante. La thèse défendue, avec
toutes les précautions de langage d'un éminent professeur à Oxford, au rebours de toute
l'historiographie bien pensante contemporaine, est que la chute de l'Empire romain, de la
romanité, fut un recul de civilisation, une régression qu'il faudra plus de dix siècles pour
rattraper. Et encore…
La thèse de Ward-Perkins renoue avec le sentiment d'admiration qu'on avait pour l'Antiquité
grécoromaine, pensée comme supérieure, du Moyen-Âge nostalgique au XIXème siècle.
Selon l'auteur la « post-romanité », à partir du catastrophique Vème siècle, c'est-à-dire le
début du Moyen-Âge, fut une régression de la civilisation dans pratiquement tous les
domaines. Voire même, dans certaines régions, comme la Grande-Bretagne, un retour à l'âge
de fer… Les conclusions de Ward-Perkins, essentiellement fondées sur les plus récentes
recherches archéologiques, mais aussi sur l'épigraphie et le décryptage des textes du Bas-
Empire, ont de quoi choquer. On les croyait oubliées, tant l'idéologie pollue la recherche
historique. Les historiens médiévistes (“la grande clarté du Moyen-Âge”) essaient de nous
persuader que leur période fut la naissance d'une “autre” civilisation, qu'il n'y eut pas recul et
déclin, mais transition progressive. Non, pour l'historien d'Oxford, il y eut un effondrement
dans tous les domaines, dont on mettra plus de dix siècles à se remettre.
En réalité, le haut Moyen-Âge fut pour lui une période de régression de civilisation dans
pratiquement tous les secteurs : technique, économique, démographique, sanitaire, culturel …
Le niveau de vie et de confort de la “bourgeoisie” de l'Empire romain, de la cour impériale
aux casses moyennes, (par exemple, chauffage central, égouts et eau courante) ne sera
retrouvé qu'à l'aube des temps modernes. En l'an 100, 50% de la population des Gaules savait
lire et écrire, même imparfaitement ; en l'an Mil, à peine 1%. Les techniques architecturale,
sculpturale, picturale de l'Empire ne furent retrouvées progressivement qu'entre le XIIème et
le XVIème siècle. Les infrastructures routières et les vitesses de transports terrestres du IIe
siècle ne seront égalées qu'au XVIIIème siècle. Il fallut attendre le début du XIXème siècle
pour que des villes, comme Londres, dépassent le million d'habitant, alors que Rome et
Alexandrie atteignaient les deux millions à l'apogée de l'Empire, au IIème siècle.
Même Charlemagne, auteur de la ”renaissance carolingienne”, qui voulut succéder aux
Empereurs romains en se faisant couronner en 800 dans une Rome en ruine et dépeuplée, et
rétablir l'éducation de la jeunesse, était un semi-illettré. Le Moyen-Âge (du Vème au XVème
siècles, mille ans) fut, pour l'historien et archéologue, un âge de déclin brutal et de très lente
renaissance. Les causes de cette chute de l'Empire romain, c'est-à-dire d'une civilisation
supérieure, furent provoquée non pas tant par des facteurs endogènes (crise économique,
christianisation et abandon du paganisme) que par les invasions barbares, notamment
germaniques, qui désorganisèrent et ravagèrent la complexe organisation de l'immense
Empire, qui s'étendait des marches de l'Écosse au Moyen-Orient. Dans la partie occidentale de
l'Empire, ce furent les invasions germaniques qui s'avérèrent responsables de la régression, et
dans la partie orientale, un peu plus tard, les invasions arabo-musulmanes. La catastrophe
s'étala du IVème au VIIIème siècle.
À notre époque où la notion de progrès est intouchable, quoi qu'on en dise, Ward-Perkins se
demande pourquoi la notion de déclin est rejetée. Pour lui, c'est le signe d'un aveuglement et
d'un optimisme obtus. Le mérite de l'historien anglais est aussi de réhabiliter la notion de
”civilisation” face à celle de barbarie, ce qui est un scandale face à l'idéologie actuelle,
égalitariste, ”ethnopluraliste”, pour laquelle toutes les ”cultures” se valent. En cela, Ward-
Perkins conteste donc le concept germanique et égalitaire de kultur, selon lequel tous les
peuples sont égaux dans leurs productions historiques, pour lui opposer le concept de
civilisation, fondamentalement gréco-romain, selon quoi les peuples sont inégaux. Vaste
débat. Bien sûr, l'essai de Ward-Perkins peut choquer parce qu'il réhabilite l'image de ”la
grande nuit du Moyen-Âge”, qui n'est pas acceptée par les historiens actuels. Il peut aussi
inspirer les auteurs d'uchronie qui pourraient penser que si l'Empire romain ne s'était pas
effondré, au Vème siècle, Louis XIV aurait surfé sur Internet. On ne refait pas l'histoire. Si la
civilisation antique gréco-romaine ne s'était pas écroulée du IVème au VIIème siècles sous le
double choc des invasions germaniques et arabes, le niveau technologique des XXème et
XXIème siècles aurait peut-être été atteint dès l'an Mil.
Citons, pour conclure, sans commentaires, le diagnostic de l'historien britannique : « J'affirme
que les siècles post-romains connurent un déclin spectaculaire de la prospérité économique
et de modèles élaborés, et que ce déclin frappa l'ensemble de la société, de la production
agricole à la haute culture et des paysans jusqu'aux rois. Un effondrement démographique se
produisit très probablement, et l'ample circulation des marchandises de qualité cessa tout à
fait. Des outils culturels de haut niveau, tels que l'écrit, disparurent de certaines régions et se
restreignirent dans toutes les autres. » Pour l'auteur, « l'hypertrophie que prennent les
thématiques religieuses » participent du déclin intellectuel de l'Antiquité tardive et du haut
Moyen-Âge.
Il lui semble très nocif « d'éliminer toute notion de crise grave et de déclin dans la vision que
l'on a du passé. Cela me semble dangereux, aujourd'hui et maintenant ». Il s'en prend en ces
termes à l'aveuglement des élites contemporaines : « La fin de l'Occident romain
s'accompagna d'un grand nombre d'horreurs et d'un processus de dislocation tel que j'espère
sincèrement ne jamais m'y trouver confronté dans ma vie présente. Une civilisation complexe
fut détruite, ramenant les habitants de l'Occident à des manières de vivre telles qu'aux temps
préhistoriques. Les Romains, avant la chute, étaient aussi convaincus que nous le sommes,
nous aujourd'hui, que leur monde resterait, pour l'essentiel, tel qu'il était. Ils avaient tort. À
nous de ne pas répéter leur erreur et de ne pas nous bercer d'une fallacieuse assurance. »
Acropolis, septembre 2014
Contrairement aux historiens qui pensent qu’il y eut une transition entre le monde antique et
le Moyen-âge, Bryan Ward-Perkins, archéologue et professeur à Oxford, démontre que les
invasions barbares marquèrent de façon violente et soudaine la fin de l’empire romain dans
tous les domaines et la culture régressa soudainement.
Des « fuites impossibles à colmater » survinrent dans un climat de guerre civile et de violence
sociale ainsi qu’une crise de l'autorité. Il dit : « Les Romains, avant la chute, étaient aussi
convaincus que leur monde resterait, pour l'essentiel, tel qu'il était, que nous le sommes,
nous, aujourd'hui. Ils avaient tort. À nous de ne pas répéter leur erreur et de ne pas nous
bercer d'une fallacieuse assurance.»
Salonlitteraire.com, 7 août 2014
'La chute de Rome', tout empire périra
La chute demeure un sujet de débats historiographiques pour les spécialistes. Gibbon, en son
temps, avait écrit une somme, déclin et chute de l'empire romain, qui impressionna des
générations de lecteurs, avec cependant des partis pris sur la décadence et à l'influence
pernicieuse du christianisme qui, aujourd'hui, choquent. Plus près nous, on peut résumer le
débat entre deux thèses, à rebours de celles de Gibbon : d'un côté, ceux qui à l'instar d'André
Chastagnol, grand romanisant de l'après-guerre, voient dans le bas-empire une civilisation
florissante, riche culturellement, n'ayant rien à voir avec l'ensemble déclinant décrit autrefois
par Gibbon, et qui estiment que les barbares germaniques ont assassiné le monde romain ;d'un
autre côté ceux qui, à la suite de Peter Brown et des idées qu'il a développé dans Génèse de
l'antiquité tardive (1983), défendent l'hypothèse selon laquelle les barbares ont été largement
et rapidement romanisés par les sociétés conquises et donc que les continuités l'emportent sur
les ruptures dans la marche vers le Moyen-Âge. Le livre de Bryan Ward-Perkins, professeur à
Oxford, vient violemment remettre en cause cette dernière thèse, actuellement majoritaire
dans le monde universitaire.
Les chemins divergents de l'Occident et de l'Orient
Pour autant, Ward-Perkins ne remet pas en cause toute l'hypothèse de Brown qui reste valable
selon lui pour l'Empire romain d'Orient (rappelons qu'en 395, l'empereur Théodose a partagé
l'Empire entre ses deux fils : à Honorius l'Occident et à Arcadius l'Orient). Son grand sujet,
c'est l'Occident. Or, notre auteur s'appuie sur des textes et des inscriptions. Il rappelle la
violence de la conquête barbare vis-à-vis des populations civiles, les exactions contre les
femmes et insiste aussi sur l'écroulement progressif de l'appareil administratif impérial. Le
tournant de la conquête selon lui fut la conquête de l'Afrique (l'actuelle Tunisie) en 429-430,
province riche et rapportant à l'État romain de fortes rentrées fiscales à un moment où l'Italie
et la Gaule, ravagées par les Goths, bénéficiaient de dégrèvements. À partir de ces années,
l'Empire est centré sur l'Italie et la Gaule du Sud et ne reprendra que rarement la main, se
montrant aussi incapable d'entretenir l'armée et in fine de payer les soldes.
L'effondrement économique et culturel
Le point fort du livre, qui sera contesté par les spécialistes, est de proposer une mesure de
l'effondrement économique entre le début du VIème siècle via la poterie et le nombre
d'amphores produites. Car un des points communs entre l'Empire romain et l'Union
Européenne d'aujourd'hui était d'avoir instauré un marché commun à l'échelle
méditerranéenne avec une monnaie unique, ce qui avait comme conséquence de favoriser les
échanges, en particulier d'amphores, de vaisselle, de poterie. Or ces échanges s'effondrent en
un siècle dans la partie occidentale. Des flux subsistent, une production résiduelle se maintient
en Italie mais sans commune mesure avec la période impériale. Quant à la monnaie, elle
disparaît de certaines régions, comme l'Angleterre, qui reviennent au troc. La connaissance de
l'alphabet et l'apprentissage de la lecture sont difficiles à mesurer à l'époque romaine. On peut
cependant déduire des graffitis retrouvés, en particulier à Pompéi, qu'elle pouvait toucher des
milieux modestes et populaires. Dans la période suivant l'effondrement, selon Bryan Ward
Perkins, la maîtrise de la langue écrite ne concerne plus qu'une minorité, principalement des
clercs. De ces deux observations, portant sur l'espace occidental romain, Ward-Perkins
conclut à un effondrement rapide et sans précédent de la civilisation. Brillant, contestable, on
attend de ce livre qu'il suscite maintenant le débat au sein des historiens (et chez les lecteurs).
Novopress.info, 8 juin 2014
PARIS (via le blog de Guillaume Faye)
Lisez d’urgence La chute de Rome, fin d’une civilisation, de Bryan Ward-Perkins, traduit de
l’anglais chez Alma Éditeur. Cet ouvrage de l’historien, universitaire et archéologue
britannique, est un pavé dans le jardin de l’idéologie dominante. La thèse défendue, avec
toutes les précautions de langage d’un éminent professeur à Oxford, au rebours de toute
l’historiographie bien pensante contemporaine, est que la chute de l’Empire romain, de la
romanité, fut un recul de civilisation, une régression qu’il faudra plus de dix siècles pour
rattraper. Et encore…
La thèse de Ward-Perkins renoue avec le sentiment d’admiration qu’on avait pour l’Antiquité
gréco-romaine, pensée comme supérieure, du Moyen Âge nostalgique au XIXe siècle. Selon
l’auteur la « post-romanité », à partir du catastrophique Ve siècle, c’est-à-dire le début du
Moyen Âge, fut une régression de la civilisation dans pratiquement tous les domaines. Voire
même, dans certaines régions, comme la Grande-Bretagne, un retour à l’âge de fer… Les
conclusions de Ward-Perkins, essentiellement fondées sur les plus récentes recherches
archéologiques, mais aussi sur l’épigraphie et le décryptage des textes du Bas-Empire, ont de
quoi choquer. On les croyait oubliées, tant l’idéologie pollue la recherche historique. Les
historiens médiévistes (“la grande clarté du Moyen Âge”) essaient de nous persuader que leur
période fut la naissance d’une “autre” civilisation, qu’il n’y eut pas recul et déclin, mais
transition progressive. Non, pour l’historien d’Oxford, il y eut un effondrement dans tous les
domaines, dont on mettra plus de dix siècles à se remettre. En réalité, le haut Moyen Âge fut
pour lui une période de régression de civilisation dans pratiquement tous les secteurs :
technique, économique, démographique, sanitaire, culturel … Le niveau de vie et de confort
de la “bourgeoisie” de l’Empire romain, de la cour impériale aux casses moyennes, (par
exemple, chauffage central, égouts et eau courante) ne sera retrouvé qu’à l’aube des temps
modernes. En l’an 100, 50 % de la population des Gaules savait lire et écrire, même
imparfaitement ; en l’an Mil, à peine 1 %. Les techniques architecturale, sculpturale, picturale
de l’Empire ne furent retrouvées progressivement qu’entre le XIIème et le XVIe siècle. Les
infrastructures routières et les vitesses de transports terrestres du IIe siècle ne seront égalées
qu’au XVIIIe siècle. Il fallut attendre le début du XIXe siècle pour que des villes, comme
Londres, dépassent le million d’habitant, alors que Rome et Alexandrie atteignaient les deux
millions à l’apogée de l’Empire, au IIe siècle. Même Charlemagne, auteur de la” renaissance
carolingienne”, qui voulut succéder aux Empereurs romains en se faisant couronner en 800
dans une Rome en ruine et dépeuplée, et rétablir l’éducation de la jeunesse, était un semi-
illettré. Le Moyen Âge (du Vème au XVe siècles, mille ans) fut, pour l’historien et
archéologue, un âge de déclin brutal et de très lente renaissance.
Les causes de cette chute de l’Empire romain, c’est-à-dire d’une civilisation supérieure, furent
provoquées non pas tant par des facteurs endogènes (crise économique, christianisation et
abandon du paganisme) que par les invasions barbares, notamment germaniques, qui
désorganisèrent et ravagèrent la complexe organisation de l’immense Empire, qui s’étendait
des marches de l’Écosse au Moyen-Orient. Dans la partie occidentale de l’Empire, ce furent
les invasions germaniques qui s’avérèrent responsables de la régression, et dans la partie
orientale, un peu plus tard, les invasions arabo-musulmanes. La catastrophe s’étala du IVème
au VIIIe siècle. À notre époque où la notion de progrès est intouchable, quoi qu’on en dise,
Ward-Perkins se demande pourquoi la notion de déclin est rejetée. Pour lui, c’est le signe d’un
aveuglement et d’un optimisme obtus. Le mérite de l’historien anglais est aussi de réhabiliter
la notion de” civilisation” face à celle de barbarie, ce qui est un scandale face à l’idéologie
actuelle, égalitariste, « ethnopluraliste », pour laquelle toutes les” cultures” se valent. En cela,
Ward-Perkins conteste donc le concept germanique et égalitaire de kultur, selon lequel tous
les peuples sont égaux dans leurs productions historiques, pour lui opposer le concept de
civilisation, fondamentalement gréco-romain, selon quoi les peuples sont inégaux. Vaste
débat.
Bien sûr, l’essai de Ward-Perkins peut choquer parce qu’il réhabilite l’image de ”la grande
nuit du Moyen Âge”, qui n’est pas acceptée par les historiens actuels. Il peut aussi inspirer les
auteurs d’uchronie qui pourraient penser que si l’Empire romain ne s’était pas effondré, au
Ve siècle, Louis XIV aurait surfé sur Internet. On ne refait pas l’histoire. Si la civilisation
antique gréco-romaine ne s’était pas écroulée du IVème au VIIe siècles sous le double choc
des invasions germaniques et arabes, le niveau technologique des XXème et XXIe siècles
aurait peut-être été atteint dès l’an Mil.
Citons, pour conclure, sans commentaires, le diagnostic de l’historien britannique :
« J’affirme que les siècles post-romains connurent un déclin spectaculaire de la prospérité
économique et de modèles élaborés, et que ce déclin frappa l’ensemble de la société, de la
production agricole à la haute culture et des paysans jusqu’aux rois. Un effondrement
démographique se produisit très probablement, et l’ample circulation des marchandises de
qualité cessa tout à fait. Des outils culturels de haut niveau, tels que l’écrit, disparurent de
certaines régions et se restreignirent dans toutes les autres. » Pour l’auteur, « l’hypertrophie
que prennent les thématiques religieuses » participent du déclin intellectuel de l’Antiquité
tardive et du haut Moyen Âge. Il lui semble très nocif « d’éliminer toute notion de crise grave
et de déclin dans la vision que l’on a du passé. Cela me semble dangereux, aujourd’hui et
maintenant ».
Il s’en prend en ces termes à l’aveuglement des élites contemporaines : « La fin de l’Occident
romain s’accompagna d’un grand nombre d’horreurs et d’un processus de dislocation tel que
j’espère sincèrement ne jamais m’y trouver confronté dans ma vie présente. Une civilisation
complexe fut détruite, ramenant les habitants de l’Occident à des manières de vivre telles
qu’aux temps préhistoriques. Les Romains, avant la chute, étaient aussi convaincus que nous
le sommes, nous aujourd’hui, que leur monde resterait, pour l’essentiel, tel qu’il était. Ils
avaient tort. À nous de ne pas répéter leur erreur et de ne pas nous bercer d’une fallacieuse
assurance. »
Sefarad.org, 16 mai 2014
En l’an 476, Odoacre le chef germanique Odoacre contraint le jeune empereur romain
Romulus Augustule à l’abdication, ce qui marquait - nous enseignait-on autrefois - la fin de
l’empire romain d’Occident et le début du sombre moyen âge, le triomphe de ces peuplades
germaniques que l’on dénommait les Barbares. Mais à cette vision cataclysmique des choses
s’est substituée de nos jours une autre perception des choses : on n’évoque plus la chute d’une
civilisation mais plutôt le début d’une ère turbulente de mutations, voire même d’une
« Antiquité tardive ».
L’archéologue et historien Bryan Ward-Perkins rejette cette description lénifiante : il y eut
bien, démontre-t-il - notamment à l’aide de quantité d’indices archéologiques - un
effondrement spectaculaire de la société occidentale, la fin d’une civilisation, déclin qui a
touché tous les domaines de la vie sociale à la suite des invasions barbares. Et l’Europe
occidentale mettra de longs siècles à retrouver le niveau de vie et les capacités d’innovations
acquises antérieurement et balayées en quelques décennies. Il nous rappelle aussi que
l’Empire romain d’Orient fut relativement épargné, au cours de la période des invasions, par
les guerres civiles et les troubles intérieurs, ce qui permit en grande partie sa survie et de
demeurer plus riche et plus puissante que jamais jusqu’à la conquête de Constantinople à sa
chute en 1453 sous les coups de boutoir des Ottomans. Alors que les provinces romaines
d’Occident ont amorcé leur déclin dès l’an 400, le Levant et l’Égypte sont parvenus à
maintenir leur éclat durent de nombreux siècles encore, en dépit de la conquête arabe.
La régression de la civilisation en Occident est perceptible sur plusieurs plans : le recul de
l’écriture en fournit un bel exemple : d’une utilisation commune auparavant, comme
l’attestent, par exemple les graffitis ornant les murs de Pompéi alors le biographe de
l’empereur Charlemagne nous révèle qu’il avait le plus grand mal à griffonner quelques mots.
L’architecture comme la poterie témoignent du même déclin (la moindre cabane romaine était
recouverte de tuiles, technique qui se perd ensuite…). Alors pourquoi cette volonté de nier
l’évidence ? Ne serait-ce pas parce qu’en reconnaissant le recul intervenu après
l’effondrement de l’empire romain, on craint de donner l’impression de soutenir un
impérialisme qui évoque celui de notre époque ?
Nathan Weinstoc
Transversalles.com, 30 avril 2014
L’Empire contre-attaque
Un essai percutant sur la chute de l’Empire romain.
En 476, le jeune Romulus Augustule est déposé par le chef barbare Odoacre. Cet acte passé
inaperçu à l'époque a pourtant marqué l'histoire de l'humanité. Il a, en effet, mis un terme à
l'Empire romain d'Occident et n'a eu de cesse d'agiter la communauté scientifique avec cette
question : comment en est-on arrivé là ?
« Tous les empires, tôt ou tard, finissent par mourir. L'Empire romain aurait chu ou se serait
défait de toute façon. Mais il n'est pas inéluctable que ce fut au cours du Ve siècle » écrit
Bryan Ward-Perkins, spécialiste de la Rome antique et enseignant à Oxford dans cet essai
percutant sur les causes de l'effondrement de l'Empire romain. Selon lui, Rome n'est pas
morte faute de Romains, dans cette lente capitulation quotidienne devant la poussée militaire
et démographique des barbares qui poussaient aux frontières sur les limes du Rhin et du
Danube. Après avoir troqué le glaive de la légion contre les sesterces de la corruption, Rome
n'avait fait que retarder l'inévitable tandis que les Barbares s'acculturaient jusqu'à devenir de
parfaits Romains et à supplanter au fil des générations leurs anciens ennemis. Les figures de
Ricimer et Stilicon, généraux romains d'origine barbare, étaient à ce titre, emblématiques
d'une intégration réussie et surtout naturelle.
Bryan Ward-Perkins ne partage pas complètement cette analyse. Se fondant sur les récentes
découvertes archéologiques, l'auteur insiste sur le fait que la chute de Rome s'est effectuée
brutalement, dans la violence. Il remet en question de nombreuses théories considérées
comme établies comme par exemple le consensus autour des traités conclus entre Romains et
Barbares, ces foedus, autorisant ces derniers à s'établir dans des parties de l'Empire avec la
bénédiction des populations. De plus, Bryan Ward-Perkins tempère également l'argument de
la crise économique généralisée à l'ensemble de l'Empire. Enfin, lors de cette mutation
brutale, chacun y trouva son compte : une grande partie des élites s’empressa de travailler
avec leurs nouveaux maîtres tandis que ces derniers se coulèrent facilement dans le moule de
cette société qu’ils avaient voulu abattre.
À la manière d'un Jared Diamond, la démonstration historique de Bryan Ward-Perkins permet
également à l’auteur de délivrer son message sur l'évolution des empires et des civilisations,
et inévitablement leur fin. En pointant du doigt la guerre civile et la violence sociale comme
maux principaux, l'universitaire adresse une mise en garde aux gouvernants de nos sociétés
actuelles : n'opposez pas les catégories sociales entre elles, ne jouez pas sur les peurs de
l'autre car c’est la société dans sa globalité que vous mettez en péril. Enfin, en affirmant que
« le destin de Rome tenait au bien-être économique de ses contribuables », l'auteur touche du
doigt la clef de voûte de toute société. Car sitôt ce bien-être entamé, le sort de toute société est
scellé. La révolution tunisienne en est le parfait exemple. Ne dit-on pas que l'histoire est un
éternel recommencement ?
Laurent Pfaadt
Livres critiques, 31 mars 2014
"Les siècles post-romains ont connu un extraordinaire et fascinant déclin qui marque le
basculement d'un monde à l'autre et qui est une réalité complexe, fascinante par les questions
qu'elle pose."(...) Une civilisation complexe fut détruite ramenant les habitants de l'Occident
à des manières de vivre telles qu'aux temps préhistoriques".
Dans ce livre documenté, Bryan Ward-Perkins dresse le tableau des nombreuses prouesses
techniques du monde romain : construction de ponts et de routes, invention du mortier et des
tuiles, mise en œuvre de stratégies commerciales complexes au sein et à l'extérieur de
l'empire, structuration de l'État centralisateur, levée, pour ce faire, d'impôts en tous genres,
création d'entreprises diversifiées, etc. Il établit ensuite un parallèle frappant avec la période
actuelle : nous serions, redoute-t-il, parvenus dans une période historique peu ou prou
similaire. " À nous de ne pas répéter l'erreur des Romains et de ne pas nous bercer d'une
fallacieuse assurance", conclut-il.
Le grand mérite de cette étude est d'échapper à sa spécialité : l'analyse est à la fois
économique, culturelle et archéologique. Des questions restent cependant ouvertes : est-on si
sûr que la civilisation romaine était "civilisée" (cf. l'esclavage, les jeux du cirque, etc.) ?
Comme le laisse pressentir l'auteur, les barbares germains n'étaient pas caricaturaux et ils
adoptèrent rapidement les mœurs de leurs prédécesseurs. Leur mode de vie était-il si
socialement régressif, à l'heure où on nous parle de plus en plus de la supériorité du local et
des communautés ? Quoi qu'il en soit, Bryan Ward-Perkins réouvre un débat nécessaire.
Comme l'assurait Winston Churchill : "Celui qui n'étudie pas son histoire finit toujours par la
revivre".
http://livrescritique.blog4ever.com/la-chute-de-rome-fin-d-une-
civilisation#.UzmZUtjVJLY.email
Mediapart, 12 mars 2014
http://blogs.mediapart.fr/blog/andre-burguiere/120314/qui-tue-l-empire-romain
Qui a tué l’Empire romain ?
PAR ANDRÉ BURGUIÈRE
Qui a tué l’Empire romain ? La décadence morale des élites ? Le christianisme ? Les
invasions barbares ? Le saturnisme dû au plomb présent dans la vaisselle d’étain ? Depuis
Montesquieu, Gibbon et d’autres, on a trouvé un nombre incalculable de coupables. La
tendance dominante aujourd’hui serait de supprimer la question faute de pouvoir y répondre :
l’Empire romain ne se serait pas effondré. Mais par l’intégration des apports barbares à la
population romanisée, par la fusion de l’héritage païen et de la spiritualité chrétienne, il se
serait progressivement transformé en quelque chose d’autre qu’on nomme « l’Antiquité
tardive ».
Quitte à passer pour un rustre, insensible aux subtilités des transferts culturels, Bryan Ward-
Perkins réagit contre cette vision aseptisée des invasions barbares. Elle tient selon lui à la
tendance actuelle à privilégier les textes et à négliger les vestiges matériels. La nouvelle du
sac de Rome par les Goths d’Alaric en 410, n’arracha pas la moindre larme à Saint Augustin,
posté de l’autre côté de la Méditerranée. À ses yeux, ce tas d’orgueil et de corruption avait
mérité son sort. Certes, le meilleur de la culture gréco-romaine, grâce à l’évêque d’Hippone,
passera dans le christianisme et survivra. Mais le destin des sociétés ne se joue pas
uniquement dans leurs textes. Car c’est une toute autre histoire que nous donne à voir Bryan
Ward-Perkins, en nous faisant circuler, d’un site archéologique à l’autre, à travers le monde
romain : Jusqu’à la fin du IV° siècle après J-C, des régions périphériques de l’Empire comme
le nord la Gaule ou les Îles britanniques recevaient en masse de la vaisselle fine de Campanie
ou des amphores fabriquées dans le sud de l’Espagne. Quelques décennies plus tard, sur les
mêmes sites, on ne trouve plus la moindre trace d’importations lointaines, mais seulement des
objets frustes, produits sur place, comme si ces régions étaient soudain revenues à l’âge du
bronze.
Que s’est-il passé ? Les Barbares venus de l’Est qui ont déferlé sur les Balkans et l’Italie par
vagues successives, d’abord les Goths poussés par les Huns, ensuite les Vandales, les Suèves
etc., n’ont pas toujours défait les armées romaines. Vainqueurs ou vaincus, ils se sont peu ou
prou romanisés. Mais leurs pillages et leur installation ont fini par désorganiser l’Empire. Or
comme tous les mondes connectés, l’Empire romain constituait un ensemble superbement
intégré mais fragile. Durant quatre siècles, la Méditerranée était devenue un lac romain sur
lequel on pouvait naviguer en toute sécurité et les cités avaient abattu leurs murailles. Il
faudra attendre le XIX° siècle pour retrouver une telle liberté de circulation. Ce climat de
sécurité, assuré par un maillage administratif bien rodé, avait conduit chaque région à se
spécialiser. Produits de bases, produits de luxe, œuvres d’art, idées, religions : tout
s’échangeait et circulait d’un bout à l’autre de l’Empire, provoquant à la fois des
enrichissements fulgurants et une gigantesque consommation d’esclaves.
La désorganisation de l’administration impériale dans les régions inondées par les barbares a
eu un effet de court-circuit sur l’ensemble de l’Empire. L’Orient a mieux tenu, quitte à payer
aux Huns un tribut pharaonique en or pour protéger Byzance. Son réseau urbain a résisté.
Mais en Occident, il s’est effondré et la civilisation romaine, on le constate au déclin de la
production artistique, s’est affaissée comme un soufflé. Bryan Ward-Perkins décrit cet
effondrement avec un art du suspense, sans lamentation inutile sur la chute de Rome. Au lieu
de réveiller les vieilles déclamations à la Spengler sur la grandeur et la décadence des
Empires, sa vision de la décomposition du monde romain, nous parle d’aujourd'hui et peut-
être aussi de demain. Le monde globalisé dans lequel nous sommes plongés, pour le meilleur
et pour le pire, n’est pas le premier du genre. Le monde romain des quatre premiers siècles de
notre ère, fut déjà à sa manière un monde globalisé. On y trouvait déjà le même défaut : un
renforcement des inégalités entre le centre et la périphérie, entre l’enrichissement fulgurant
pour quelques uns et l’appauvrissement, voire l’esclavage pour le grand nombre. Mais aussi
avec les mêmes avantages : une poussée civilisationnelle prodigieuse, portée hier par l’énergie
bâtisseuse, le maillage administratif et militaire du pouvoir impérial qui faisait régner la "Pax
romana" propice à une circulation généralisée des biens matériels et immatériels.
Ce système fortement intégré était fragile parce qu’il avait supprimé toutes les défenses
locales rendant le monde romain aussi vulnérable qu'une langouste sans carapace. Le fait que
la globalisation actuelle soit fondée, non plus sur l’administration et la présence militaire d’un
pouvoir impérial mais sur la puissance immatérielle d’internet qui régule les flux d'idées
comme les marchés, ne la rend pas plus juste ni plus invulnérable. Et sa vulnérabilité, comme
dans l’Empire romain, tient justement à sa criante injustice.
Toute la culture.com, 3 mars 2014
« La Chute de Rome » de Bryan Ward-Perkins : la fin d’une civilisation…
À Ravenne, le 4 septembre 476, le jeune empereur Romulus Augustule – « le petit Auguste »
– est contraint d’abdiquer par Odoacre, roi des Hérules – un peuple germanique venu de
Scandinavie s’installer sur les bords de la mer Noire. L’empire d’Occident disparaît, ce qui est
vécu comme une fin du monde par les habitants de l ère culturelle et politique romaine.
Quinze siècles plus tard ce tournant capital de l’Histoire reste fascinant et mal connu. Parler
de la chute de Rome, des grandes invasions et du remodelage tumultueux de l’Europe par les
royaumes barbares, c’est aussi s’interroger sur notre propre culture, sur les identités nationales
et sur la hantise du déclin. Faut-il parler d’un soudain basculement dans les « âges sombres »
ou ne voir, au contraire, dans les temps troublés de l’Antiquité tardive, qu’une turbulente
période de mutation ? Se fondant sur ses travaux novateurs d’archéologue, notamment dans
l’étude de la céramique sigillée, Bryan Ward-Perkins démontre, preuves à l’appui, que les
invasions barbares provoquèrent un effondrement spectaculaire touchant tous les domaines :
politique, économie, religion, vie quotidienne. Avec humour, érudition et passion, il conteste
l’idée, dominante chez les historiens d’aujourd’hui, d’une transition entre l’Antiquité et le
Moyen Âge. Il montre au contraire la fin violente et le soudain décrochage d’une culture. Il
fait aussi revivre, de façon concrète et frappante, cette civilisation dont les innovations et le
niveau de vie furent balayés en quelques décennies pour n’être retrouvés qu’au terme de
plusieurs siècles. Avec La Chute de Rome il relance le débat sur les origines de
l’effondrement d’une civilisation. Ce livre, excellent et équilibré, pour reprendre les mots de
Paul Veyne, fait écho à notre civilisation occidentale en crise. Effondrement des prélèvements
fiscaux, danger de la spécialisation des techniques de production de masse, dépendance des
consommateurs, et fragilité des réseaux de distribution, ont rendu un système complexe
extrêmement vulnérable aux crises. Les invasions barbares ont fait exploser les fondements
même de l’économie romaine. Ce livre comporte aussi en germe les prémices d’une société
féodale qui doit s’en remettre aux chefs de guerre locaux pour sa défense et sa survie. Une
comparaison avec le monde contemporain s’impose. L’économie de l’antiquité, certes, était
loin d’approcher les niveaux de complexité du monde développé de ce début du XXIe siècle.
Nous occupons chacun de petites niches de production, et nos contributions à l’économie
globale sont infimes, ultra-spécialisées. Nous dépendons pour chaque chose qui nous est
nécessaire de milliers d’autres personnes répandues à travers le monde […] Le monde romain
antique n’avait pas emprunté à ce point le chemin de la spécialisation et de la vulnérabilité,
mais s’y était en partie engagé.
La fin de l’Occident romain s’accompagne d’un grand nombre d’horreurs et d’un processus
de dislocation tels que j’espère sincèrement ne jamais m’y trouver confronté dans ma vie
présente. Une civilisation complète fut détruite, ramenant ses habitants à des manières de
vivre telles qu’aux temps préhistoriques. Les romains avant la chute étaient eux aussi
convaincus que nous le sommes nous aujourd’hui, que le monde resterait, pour l’essentiel, tel
qu’il était. Ils avaient tort. À nous de ne pas répéter leur erreur et de ne pas nous bercer d’une
fallacieuse assurance.
Guerres et conflits, 20 février 2014
Une fin violente
La période de la disparition de l'empire romain (d'Occident) est sujette à différentes
interprétations et les "écoles" historiographiques s'affrontent sur ce thème vigoureusement.
Bryan Ward-Perkins défend clairement l'idée selon laquelle le changement fut brutal et
violent : "Étant convaincu pour ma part du caractère traumatisant pour la population romaine
de l'irruption des peuples germaniques, et non moins convaincu d caractère dramatique à long
terme de la dissolution de l'empire, je m'attache ici à critiquer les conceptions par trop
rassurantes que l'on veut imposer sur la chute de Rome". Son propos est organisé autour de
deux grandes parties qui développent ces deux idées. Dans un premier temps, passant
alternativement de 'Rome-ville' à 'Rome-empire', il évoque directement la chute de la capitale
impériale (bien diminuée à cette époque), les dernières campagnes militaires, la place prise
par les contingents barbares dans l'armée, les guerres civiles et les causes financières : "En
fait, le destin de Rome tenait au bien-être économique de ses contribuables. L'empire
déléguait sa sécurité à une armée professionnelle, ce qui imposait un lourd financement".
Lorsque les ressources vinrent à manquer, les "Alliés" (dont il relativise la puissance réelle) se
servirent. Dans un tel contexte, la chute de Carthage et la création du royaume Vandale
d'Afrique du Nord sont à ses yeux des événements essentiels. Dans la deuxième partie, il
aborde la question du transfert (souvent contraint) des terres à de nouveaux propriétaires. Si
une certaine sérénité revient après l'installation des royaumes germaniques, il rappelle que
"cette paix était celle d'un empire agonisant, ou d'un empire mort, et que les conditions de vie
étaient effroyables". Si les deux civilisations s'interpénètrent peu à peu, "il est difficile de
percer l'écran de fumée de la culture latine", et c'est surtout dans le "déclin saisissant du
niveau de vie en Occident au long des Ve, VIe et VIIe siècles" que l'auteur voit la marque, et
la preuve, "de la fin d'une civilisation". Il appuie sa démonstration sur une étude des capacités
de production et de transport des marchandises ("Quiconque a travaillé sur un site post-
romain le sait très bien : au lieu des montagnes de débris romains, il faut se satisfaire de
quelques boîtes, intéressantes certes, mais fort modestes, de débris de vaisselles post-
romaines") et multiplie les exemples à travers les différentes provinces. Il appelle également à
la barre des témoins le déclin démographique et parle d'une "baisse massive de la population"
comme d'une preuve de cette brutale rupture et de la "brutale dislocation d'une société
complexe".
En résumé, un ouvrage qui aborde la question de la chute de Rome sous un angle
pluridisciplinaire pour défendre une thèse. À ce titre, et au regard des très nombreuses
références fournies, il est passionnant, ... même s'il n'est pas toujours absolument convaincant.
Sans doute la "vérité" (quel mot !) est-elle quelque part entre les deux écoles ?
Rémy Porte
http://guerres-et-conflits.over-blog.com/2014/02/une-fin-violente.html