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Université Paris XIII UFR des Sciences de la Communications CFA com' de Bagnolet La cartographie de l'information : archiver, naviguer, imaginer. Mémoire de Loup Cellard - Licence « Scénariste nouveaux médias » Soutenance le 01/07/2013 devant le jury de la formation. 1

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Université Paris XIIIUFR des Sciences de la Communications

CFA com' de Bagnolet

La cartographie de l'information :archiver, naviguer, imaginer.

Mémoire de Loup Cellard - Licence « Scénariste nouveaux médias »Soutenance le 01/07/2013 devant le jury de la formation.

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Remerciements

Je remercie chaleureusement Pierre Barboza pour m'avoir guidé tout au long de ce mémoire, Caroline Bougourd, Robin de Mourat et Thiago Máximo pour m'avoir ouvert à des littératures qui m'étaient inconnues, ainsi que Jean-Pierre Cellard, Mireille Chabert et Tony Côme pour leurs conseils précieux.

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Sommaire

Introduction

I) Aux origines de la cartographie de l’information.

A. Imaginaire cartographique et système d'information.

B. Du biologique au numérique et inversement : la boucle des réseaux.

C. L'analogie entre carte géographique et graphe du web.

II) Inscrire dans une image, capitaliser pour se souvenir.

A. Techniques d'inscription et diffusion des connaissances.

B. Traçabilité et politique du mémoriel.

III) Arrêter le mouvement, chercher le sens des figures.

A. Dessiner des trajectoires.

B. Inscrire la visualisation dans un espace, une expérience, un usage.

C. Pour une politique du visible.

IV) Naviguer dans la connaissance, réduire la complexité.

A.Un graphe pour convaincre, agir ou transmettre ?

B.Cartographie et données : de nouveaux domaines d'applications.

Conclusion

Annexe - “La balade au Merlan, une ballade mémorielle ? Ou la controverse patrimoniale d’un quartier à l’épreuve d’une carte interactive“, article soumis aux Presses Universitaires Blaise Pascal pour les actes du colloque « Comment cartographier les récits documentaires et fictionnels ? », MSH Clermont-Ferrand, Novembre 2012. Article relatif à mon projet de diplôme, un webdocumentaire sur la Cité du Merlan à Noisy-le-sec (93).

Bibliographie

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Introduction

La cartographie de l'information, aussi appelée cartographie des réseaux ou graphe du web, est une

forme de visualisation de données numériques, née du croisement entre les théories mathématiques

des graphes, la science des réseaux (Network science) et le design d'information. La cartographie

des réseaux numériques est apparue avec le web 2.0 (2005) et la massification des pratiques

numériques : cette visualisation se situe à mi chemin entre l'art, la science et le design. Elle est

devenue une pratique artistique où la recherche esthétique est permise par le maniement du code, de

l'algorithmie autant que par les outils de design graphique. La cartographie des réseaux a une

longue tradition dans l'histoire des sciences (de l'arbre de connaissances jusqu'aux visualisations de

cellules) et nous verrons par l'analyse de cette généalogie, les traits communs qui permettront de

mieux cerner notre objet d'étude. Chaque graphe du web a une utilité, une fonction relative à un

usage et à une sphère d'inscription (époque, contexte, support...). Un détour par le design

d'information nous permettra de mieux appréhender l'évolution de cette technique.

À mesure, que le volume de données circulant sur le réseau Internet augmente, il est devenu

obligatoire de trouver des outils et technologies pour réceptionner, traiter, et rendre visible les

échanges économiques, sociaux ou culturels. La cartographie de l'information est alors une forme

particulièrement pertinente de visualisation car elle permet de relier des éléments extrêmement

hétérogènes. Dès lors, la cartographie de l'information nous permet-elle de faire face aux enjeux

contemporains de l'Internet que sont l'archivage des informations (mémoire, traçabilité), la

réduction de la complexité (science, acculturation) et la co-construction d'un monde

commun (démocratie, co-conception) ?

Dans notre analyse, l'accent sera particulièrement mis sur les relations entre la cartographie des

réseaux et la constitution d'une société du commun (politique du mémoriel et du visible) ainsi que le

potentiel de communication des graphes du web dans le design d'information et l'innovation

numérique.

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Méthodologie de recherche

Dans un premier temps notre entreprise peut se rapporter à une sociologie de l'imaginaire

(Maffesoli, Hugon) ou à l'anthropologie du savoir (Foucault, Doueihi, Latour). Dans une démarche

d'analyse de la généalogie des réseaux numériques, il s'agit de mettre en perspective une histoire, de

la confronter aux enjeux contemporains de l'Internet, et de la projeter dans l'avenir des usages. Dans

un second temps, notre étude s'oriente vers une analyse prospective de la cartographie de

l'information : que peut-on espérer ou vouloir de l'évolution de cette technique ? Quelles forces en

présence influencent les manières de faire et de voir ? Ensuite, afin d'aborder un spectre plus large

d'expertise, des éléments de ce qui pourrait s'apparenter à de la critique en design ont permis de

mettre en évidence le graphisme et l'usage des graphes du web.

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Sommaire

I)Aux origines de la cartographie de l’information

A.Imaginaire cartographique et système d'information.1.Archiver et cartographier les connaissances (le monde?)2.Cartographier et mettre en réseau les connaissances (la vie?)

B.Du biologique au numérique et inversement : la boucle des réseaux.1.Cybernétique et diffusion de l'information.2.L'énergie, prochaine étape de la mise en réseau.

C.L'analogie entre carte géographique et graphe du web.

1.Obtenir des visualisations, vues et visions.

2.L'activité du cartographe : représenter, naviguer, analyser.

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I) Aux origines de la cartographie de l’information.

A.Imaginaire cartographique et système d'information.

Il est souvent plus facile d'analyser l'environnement numérique en termes de grandes

transformations, de ruptures, ou de pertes, cependant nombre d'éléments constitutifs de notre

quotidien numérique ne sont pas si nouveaux. Il nous faut alors tisser les continuités entre l'avant,

les prémisses et notre présent en ligne. Dans cette partie, l'attention sera alors portée sur des projets

qui par une forme de spatialisation des informations ont permis de construire l'architecture de

l'Internet ou de fortifier son imaginaire et ses valeurs. Il ne s'agit pas nécessairement de cartes, mais

ces projets cumulent différentes caractéristiques qu'il est important de rappeler au début de notre

analyse : une conception de l'organisation ou de l'archivage d'informations (ou savoirs), des moyens

d'accès à ces informations, une forme de mise en espace et ou de mise en réseau de celles-ci.

1.Archiver et cartographier les connaissances (le monde?)

L'évolution récente de l'Internet montre comment la collecte, le traitement puis la

visualisation de données constitue un enjeu colossal, tant sur le plan géopolitique, économique,

social qu'artistique1. Ce travail de la donnée a des prémisses notamment dans les institutions

habituées à en gérer une quantité considérable, comme les bibliothèques par exemple. Il est alors

intéressant de comparer l'histoire de l'Internet à l'aune de celle de l'économie du document : le web

s'apparente à une vaste base de données où les documents sont liés entre eux par des liens

hypertextes. On entend par document « une leçon, un enseignement, un acte écrit qui sert de

preuve » (Salaün, 2012), c'est à la fois un exposé, une forme d’inscription et de transmission.

Comme le rappelle Jean-Michel Salaün, à l'échelle de l'individu, la bibliothèque est « la mémoire

externe permanente dans laquelle il pourra puiser », pour la société, il s'agit de « la part

documentaire de la civilisation concernée ». Comment ne pas voir le web comme une

externalisation de notre mémoire ? Comme une ressource inépuisable à consulter ? « La

représentation commune du monde n'est plus construite à partir des objets analysés par la science,

qui garantissait par ses règles objectives notre rapport au monde, comme le suggérait Paul Otlet,

mais sur la base d'une multiplicité de documents existants auxquels chacun peut se référer

1 Pour des analyses sur la géopolitique des données, voir Stéphane Grumbach. Pour un panorama des grands enjeux du big data, voir le texte de Danah Boyd et Kate Crawford, Six Provocations For Big Data (traduction française via Internetactu.net). Pour l'utilisation du big data en art et Digital Humanities, voir Lev Manovich.

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maintenant. » (Salaün, 2012). De plus, la bibliothèque cumule trois valeurs propres au web : la

mutualisation (le web est par essence un espace agrégatif), l'opportunité (sérendipité inhérente à la

navigation web), et l'option (partout sur Internet nous devons faire des choix, administrer,

configurer, personnaliser...).

Paul Otlet, inventeur et théoricien de la bibliothèque moderne, a crée en 1920, le Mundaneum, un

immense répertoire de toutes les connaissances humaines, où chaque ressource était inscrite dans

une fiche en papier et classée dans les tiroirs d'un monumental meuble en bois. L'ambition était de

« cataloguer intégralement la production bibliographique de tous les temps, de tous les lieux, sur

toutes matières » (Peeters, 2012). Dans ce véritable musée universel encyclopédique, Paul Otlet et

son collaborateur Henri La Fontaine, n'agrégeaient pas seulement les formes de documents

(journaux, affiches, dessins, photographies, etc) mais également des objets venus du monde entier :

graines de plantes du Brésil, défenses de phacochère, revolvers de la Fabrique nationale de

Herstal...et ce avec une ambition pacifiste : « La bibliographie apparaît en effet aux deux hommes

comme un outil idéal pour favoriser la diffusion du savoir et la fraternité entre les peuples »

(Peeters, 2012).

Le Mundaneum a été matérialisé dans un espace physique d'abord à Bruxelles puis à Mons en

Belgique, où un musée lui est maintenant dédié. Paul Otlet était très renseigné sur les avancées

technologiques (radio, télévision) et l'évolution des industries culturelles (il participa activement à

la promotion du micro-film). Ce n'est pas anodin s’il projeta ses désirs de diffusion du savoir vers

les futures formes de communication. L'extrait qui suit, tiré de son Traité de documentation ne peut

qu'évoquer le fonctionnement de l'Internet :

« Ici, la table de travail n'est plus chargée d'aucun livre. À leur place se dresse un écran et à portée

un téléphone. Là-bas, au loin, dans un édifice immense, sont tous les livres et tous les

renseignements...De là, on fait apparaître sur l'écran la page à lire pour connaître la réponse aux

questions posées par téléphone, avec ou sans fil. Un écran serait double, quadruple ou décuple s'il

s'agissait de multiplier les textes et les documents à confronter simultanément ; il y aurait un haut-

parleur si la vue devait être aidée par une donnée ouïe, si la vision devait être complétée par une

audition. Utopie aujourd'hui, parce qu'elle n'existe encore nulle part, mais elle pourrait bien devenir

la réalité pourvu que se perfectionnent encore nos méthodes et notre instrumentation. Et ce

perfectionnement pourrait aller jusqu'à rendre automatique l'appel des documents sur l'écran,

automatique aussi la projection consécutive. » (Otlet, 1934).

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Outre une cartographie/photographie de l'ensemble des connaissances humaines (un instantané du

savoir à réactualiser ?) dans l'esprit d'Otlet le Mundaneum deviendrait un dispositif d'échange et de

partage : l'aboutissement consisterait à « relier les uns aux autres les centres producteurs,

distributeurs, utilisateurs, de toute spécialisation et de tout lieu.»

En 1912, avant la réelle création du Mundaneum, Otlet imagine une spatialisation de tous les

savoirs du monde dans une ville : la “Cité mondiale “. Otlet pousse le sculpteur Christian Andersen

et l'architecte Ernest Hébrard à publier un livre au sujet de la « Création d'un centre mondial de la

communication » : le projet est une application architecturale des ambitions universalistes d'Otlet et

du Mundaneum. Si Andersen et Hébard abandonnent le projet, Paul Otlet, qui ne recule devant

aucune utopie, confie le dessin des plans à Le Corbusier, le plus progressiste de tous les architectes.

Toujours dans son Traité de documentation, Otlet parle du projet en ces termes :

« La Cité mondiale, observatoire et miroir de la vie nouvelle du monde, serait établie en un lieu

exterritorialisé. Elle serait pour les affaires temporelles ce que sont la Cité Vaticane et les cités

religieuses de La Mecque, Jérusalem et Bénarès pour les affaires spirituelles. La Cité mondiale sera

un livre colossal, dont les édifices et leurs dispositions – et non seulement leur contenu – se liront à

la manière dont les pierres des cathédrales se “lisaient“ par le peuple au Moyen Âge. Et ainsi

vraiment une édification immense s'élèverait avec le temps : de la fiche à la “Cité mondiale“.

(Otlet, 1934).

Un vaste complexe de plusieurs hectares consacré au temps et à l'inscription de la mémoire, une

architecture à lire et déchiffrer, Otlet et Le Corbusier ont établi une relation entre la création d'un

système d'information, le Mundaneum, et sa spatialisation dans un espace ou du moins dans des

cartes et plans (le projet, trop ambitieux, n'a jamais été réalisé, faute de moyens). Ce passage entre

un dispositif de circulation d'information et une volonté de disposition de ces informations dans un

cadre bâti, n'est pas sans rappeler les édifices imaginaires de « palais de la mémoire » que l'on

utilisait au XVI ème siècle. Dans l'enseignement de la rhétorique, on poussait les élèves à se

représenter dans des lieux (souvent les églises) les listes de mots qu'ils souhaitaient mémoriser.

Cette technique mnémotechnique qui existe depuis l'antiquité peut s'apparenter à l'ambition qu'avait

Otlet avec ce projet de « Cité Mondiale » : une ville dédiée à la mémorisation et au souvenir, un

« palais de la mémoire ».

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Jusque dans la construction de l'espace numérique, ce passage entre organisation de l'information et

spatialisation va s’opérer. Rappelons les premières conceptions de ce que sera le cyberespace :

« une visualisation complètement spatialisée de toutes les informations dans des systèmes

mondiaux de traitement de l'information » (Novak, 1991) . Dans Le langage des nouveaux médias,

Lev Manovich évoque également les motivations des concepteurs du premier langage de

programmation de 3D, le VRML : « Ils voyaient dans le VRML, une étape naturelle de l'évolution

du Net passant d'un réseau abstrait de données à un “Internet perceptualisé“ où les données auront

été rendues sensibles , c'est-à-dire représentées en trois dimensions. » (Manovich, 2001).

Le Mundaneum, bien plus qu'une bibliothèque, représentait au yeux d'Otlet et de La Fontaine « une

véritable grille de compréhension du monde » (Peeters, 2012) . On voit alors l'utilité d'une telle

entreprise : un objet de synthèse d'informations centralisées, une facilité d'accès et un moyen

d'échange de connaissances. Une “grille“ pas si loin des autres images pionnières de l'Internet : “la

matrice“ dont parle l'écrivain cyberpunk William Gibson, ou du “maillage“ (mesh), le premier nom

que donna Tim Berners-Lee au projet de réseau documentaire, avant de le renommer World Wide

Web.

Dans la partie qui suit, on s'attachera à développer les idées de mise en réseau (d'informations, de

personnes, de ressources) grâce à la cartographie avec l'exemple de deux projets issus de la contre-

culture américaine.

2.Cartographier et mettre en réseau les connaissances (la vie?)

Dans l’Amérique des années 1960, alors que la guerre du Vietnam bat son plein, la jeunesse

contestataire cherche des lieux, des outils et des ressources pour mener à bien son action de

transformation de la société. La contre-culture va alors être l'objet d'une scission, entre d'un côté la

“Nouvelle Gauche“ tournée vers l'action politique (refus de la guerre du Vietnam, de la bureaucratie

et de son autorité, lutte pour l'égalité des sexes et des races...) et les “Communalistes“ qui tournent

le dos à l'action politique considérant la révolution, avant tout d'un point de vue individuel et

intérieur, avant d'être un levier de bouleversement sociétal. Diplômé en biologie de Standford, féru

de cybernétique, membre de plusieurs communautés artistiques et hippies, Stewart Brand va créer

en 1968, Le Whole Earth Catalog, un almanach regroupant l'ensemble des outils, lectures ou

processus à utiliser lorsque l'on veut faire-soi-même, trouver de l'inspiration pour ses créations

(artistiques, intellectuelles, technologiques), ou encore transformer son environnement.

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Suivant le départ de nombreuses communautés au Nouveau-Mexique, Brand va avoir l'idée de créer

« un système à haut rendement, autosuffisant, critique, et nécessitant peu de maintenance » (Brand,

1971) , un système de circulation des outils et connaissances qui prend d'abord la forme d'une liste

de six pages présentant 120 outils à vendre. En très peu de temps, Brand perfectionne le Catalog et

sort une première version en 1968 : il est composé de 133 articles sélectionnés uniquement par

Brand, 61 pages, édité à 1000 exemplaires et vendus 5$ aux membres des communautés que Brand

fréquentait.

L'objet s'inspire du catalogue d'outils et d'équipements de plein air L.L. Bean. Ce n'est ni un livre, ni

un catalogue de vente à distance, mais un événement éditorial inédit « entre le journal à sensation et

le magazine illustré » (Turner, 2006). Il étonne tant par la diversité de ses contenus (présentations

de livres scientifiques, abonnement à des magazines, guides de conseil de vie, guides spirituels,

répertoires de technique de bricolage, manuels environnementalistes et recettes végétariennes) que

par son organisation apparemment anarchique.

Il est composé de sept chapitres thématiques déroulés dans cet ordre : Comprendre les systèmes

globaux, Abri et travail de la terre, industrie et artisanat, Communications, Communauté,

Nomadisme, Apprentissages. En 1969, Brand publie un Supplement, un document de témoignage de

nombreux membres de communautés. Dès lors, et jusqu'en 1971, dernière année de publication, le

Whole Earth Catalog va s'organiser à deux niveaux : d'un côté le catalogue d'outils, de l'autre le

Supplement qui va permettre d'échanger les bonnes pratiques, les expériences, et surtout qui va

mettre en lien les quatre communautés qui se retrouvent dans cette publication : les chercheurs et

entrepreneurs du monde des sciences et technologies (Stanford, MIT, entreprises de la Silicon

Valley...), la scène artistique de New York, la communauté psychédélique de la Baie de San

Francisco, et les communautés qui fleurissent un peu partout aux États-Unis.

Imprimés en noir et blanc, les textes et images du Catalog sont composés sans aucune logique

explicite. Il n'y a pas de chemin de fer qui permettrait une hiérarchisation des contenus, ni même un

sens de lecture. Les éléments sont donnés en vrac, chacun recomposant sa lecture suivant sa

posture, ses besoins ou son contexte. Le Catalog peut même être ouvert et lu au hasard. Malgré

tout, en creux, dans la composition de certaines pages, des messages implicites apparaissent. En

témoigne cette double page au début du premier Whole Earth Catalog, la suite des images de la

terre depuis l'espace, de paysage vue du ciel, de cellule du corps humain ou encore de nus en action,

nous fait entrevoir la synthèse de l'homme, de l'univers et de la nature à laquelle devait aider ce

Catalog.

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On peut aisément qualifier l'objet Catalog de carte ou d'encyclopédie. Comme une carte, il aiguillait

les communalistes sur, d'une part ce qu'il fallait faire pour reprendre en main sa vie, d'autre part sur

comment il fallait le faire, ce qu'il était bon de lire, et où trouver ces outils et lectures, qui

contacter ? À quelle adresse écrire? Etc. Le Catalog reprenait des caractéristiques de la carte avec

sa volonté de synthèse et de mise à plat des connaissances. Comme une boussole le Whole Earth

Catalog était un outil d'aide à la navigation d'abord dans son propre monde intérieur (désir

d'authenticité, autonomie, communion avec la nature...), puis dans le réseau même de la contre-

culture.

Whole Earth Catalog Fall 1968, p6-7

Pour Stewart Brand, l'objectif du Catalog était d'accompagner et d'aider ces communautés à « bâtir

leur propre civilisation çà et là dans la cambrousse » (Brand)2. Par l'échange, ces

communautés produiraient de « nouveaux cadres intellectuels et de nouveaux réseaux sociaux »

(Turner, 2006). Les communalistes se voyaient comme des pionniers et des sauveurs de l’Amérique,

ils occuperaient les terres des Indiens pour se transformer intérieurement et changer la société. La

simple activité de couper du bois devenait méditation, les outils et les technologies promus par le

Catalog étaient des moyens de s'accomplir, de faire partie d'une communauté et de sentir son action

sur le monde.

2- Stewart Brand, Last whole Earth Catalog, p439, 1971.

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Le Whole Earth Catalog sera le livre de chevet d'une nouvelle élite intellectuelle, l'élite nomade,

flexible, masculine et individualiste de la société de l'information, du capitalisme cognitif et de la

Nouvelle Économie (le boom de la croissance grâce aux NTIC, fin des années 90). De Steve Jobs à

Douglas Engelbart (inventeur du premier ordinateur-personnel, du premier réseau ethernet, et des

premières interfaces graphiques) tous ont été influencés par cet objet éditorial. Il sera la source

d'inspiration du célèbre magazine américain sur les nouvelles technologies, Wired.

En s'inspirant de la recherche cybernétique, les communalistes ont importé les idées de partage et

d’organisation horizontale. Avec la lecture de Buckminster Fuller (designer et architecte) et la prise

de LSD, ils adoptent de nouvelles techniques de construction d'habitat et affichent un goût prononcé

pour le transcendantalisme (tout est lié, l'information est le liant, il nous faut naviguer dans la vie

comme dans un vaste hypertexte). Face à la peur de la bombe atomique et au carcan idéologique de

la guerre froide, les communalistes souhaitent se recentrer sur eux-même dans une optique

d'autoformation, de créativité et de partage. Comme une encyclopédie, le Whole Earth Catalog était

nourri d'universalité, d'une volonté d'émancipation intellectuelle et sociale : une « préfiguration sur

papier de ce que sera l'Internet des pionniers » (Cardon, 2012) . Il va marquer les imaginaires de par

les compétences qu'il va mettre en avant, des compétences qui seront au cœur de la culture

numérique : savoir chercher/trouver, savoir être créatif, savoir co-construire.

En 1985, presque vingt ans après la création du Catalog, celui ci donna lieu au Whole Earth

'Lectronic Link (WELL), un des premiers réseaux d'échange numérique : "Un système de

téléconférence au sein duquel les abonnés peuvent se connecter à un ordinateur central et échanger

des messages, soit sur un mode conversationnel en temps réel, soit de manière asynchrone" (Turner,

2006). Le premier projet de Stewart Brand anticipe la création d'un réseau décentralisé de partage

d'informations et de mise en contact, des caractéristiques qui seront au cœur de l'Internet.

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B. Du biologique au numérique et inversement : la boucle des réseaux.

1.Cybernétique et diffusion de l'information.

Nous avons vu avec le Whole Earth Catalog, que la cybernétique avait ancré dans l'esprit

des pionniers de l'Internet une idée d'interconnexion entre la nature, l'homme et la technologie. En

construisant le système d'information Whole Earth, Brand a lié des ressources à une ambition

d'autonomie, de retour à la terre, et d'inscription dans un territoire (l'exil des communautés dans le

désert). La plus flagrante réussite d'appropriations du Catalog sont les dômes géodésiques3 créés par

Buckminster Fuller. Ce designer fut d'une inspiration déterminante pour les idées des

communalistes. En 1969, un an après la première publication du Whole Earth, Buckminster Fuller

expérimente le World Game, un jeu de diffusion des ressources naturelles à l'échelle mondiale :

« À force d’imaginer que l’humanité est comme embarquée sur notre planète, le Spaceship Earth, et

à force de jouer le World Game, je me suis passionné pour la question : “Comment transporter de

l’énergie d’un point à un autre de manière à s’aider les uns les autres ? “. Si vous regardez une carte

du monde vous voyez, pas besoin de traverser les fuseaux horaires ou d’aller jusqu’en Alaska, les

eaux septentrionales où les Russes installent leurs barrages, leurs barrages hydroélectriques. Je me

suis soudain aperçu qu’il serait possible de se raccorder au réseau russe – à 2500 km. » (Fuller,

2012).

L'ambition de Buckminster Fuller était de mettre au point un inventaire des ressources mondiales,

mis en évidence sur une immense carte rendant ainsi possible un jeu de logistique planétaire.

Alimentée en informations par des ordinateurs, la carte affichera aussi bien la situation

météorologique à chaque endroit de la planète que l’emplacement des troupeaux ou encore la

production de nourriture, le tout perpétuellement mis à jour. Pour cristalliser dans une

représentation ce projet utopique, Fuller développa un type de projection particulier pour sa carte :

la carte Dymaxion4. En 1941, Fuller avait besoin d'une carte plus exacte que la carte communément

utilisée : le planisphère avec une projection Mercator. Ce type de projection a été majoritairement

adopté, car même si elle produit des déformations d'échelle « elle conservait les angles et donc les

3 - Les dômes géodésiques sont des maisons de taille moyenne, leur structure est faite d'une imbrication complexe de

triangles formant un dôme. Le vaste espace intérieur permet une répartition égale de la chaleur et donc de l'énergie. Ils étaient des lieux d'échanges et d'exploration inédits, pour étendre sa conscience loin de la terre (les dômes ressemblaient à des vaisseaux spatiaux) on y consommait du LSD. Les premiers dômes datent de la fin des années 40, Fuller en conçu un pour lui-même en 1963 (avant le Catalog) puis plusieurs en furent construits à partir de 1967 dans les communautés Drop City, Libre et la Lama Foundation.4 - « Dymaxion » mot inventé par Fuller, un mélange de « dynamic », « maximum » et «ion » qui signifie selon le designer : « faire le plus avec le moins ».

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positions avec précision dans toutes les parties de la carte. Les routes d'un bateau pouvaient ainsi

être tracées par une ligne droite sur la surface plane de la carte, instrument essentiel pour la

navigation. » (Black, 2004). Le désir de Fuller en se détachant de la projection Mercator était

d'obtenir une image globale de la Terre qui permettait d'en observer la totalité en un seul coup d'œil.

Dans la carte Dymaxion, les continents sont alors reliés entre eux par un seul océan, le pôle sud et le

pôle nord se fond face au centre de la carte, on peut la lire depuis n'importe quel point de vue, sous

tous les angles sans privilégier une orientation particulière.

Reproduction en image vectorielle d'une projection Dymaxion (1941) de Buckminster Fuller (1895-1983).

« R.Buckminster Fuller a créé un genre d'écriture et une cartographie originale qui sont non

seulement pragmatiques et pratiques, mais en plus surprenantes et tératologiques. Sa projection

Dymaxion et sa carte de l'énergie mondiale sont une Cosmographie qui corrobore l'observation de

Ptolémée disant que "personne ne présente cela correctement sauf un artiste".» (Smithson, 1993)

Dans l'esprit de Fuller, cette conviction écologique de diffusion de ressources à l'échelle mondiale,

devait être poussée par la puissance des ordinateurs à diffuser de l'information. N'oublions pas que

ces deux aspirations écologique et technologique, n'étaient en 1968, que des projections utopiques

de Fuller : ni le web, ni l'échange pair-à-pair n'existait. On s'aperçoit alors que les visions des

artistes/designers ont besoin d'images pour fixer un idéal. La carte Dymaxion est révélatrice d'une

configuration particulière de carte : mêler le ludique et l'intuition artistique à des préoccupations

prospectivistes et scientifiques. Elle est à la fois pure contemplation renversante de l'espace terrestre

(pôle nord et sud se fond face) et terrain d'une future mise en réseau de ressources.

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2. L'énergie, prochaine étape de la mise en réseau.

L'idéal de Fuller est toujours d'actualité et continue d'alimenter débat et désir d'avenir. Le

prospectiviste américain Jeremy Rifkin en appelle dans son dernier livre à l'utilisation d'Internet

comme réseau de partage d'énergie :

« Nous sommes aujourd’hui à la veille d’une nouvelle convergence entre technologie des

communications et régime énergétique. La jonction de la communication par Internet et des

énergies renouvelables engendre une troisième révolution industrielle. Au XXIe siècle, des

centaines de millions d’êtres humains vont produire leur propre énergie verte dans leurs maisons,

leurs bureaux et leurs usines et la partager entre eux sur des réseaux intelligents d’électricité

distribuée, exactement comme ils créent aujourd’hui leur propre information et la partagent sur

Internet. (Rifkin, 2011). »

Pour mener à bien ce projet, Rifkin détaille cinq étapes clés :

• Le passage aux énergies renouvelables.

• La transformation du parc immobilier de tous les continents en ensemble de microcentrales

énergétiques qui collectent sur site des énergies renouvelables.

• Le déploiement de la technologie de l’hydrogène et d’autres techniques de stockage dans

chaque immeuble et dans l’ensemble de l’infrastructure, pour stocker les énergies

intermittentes.

• L’utilisation de la technologie d’Internet pour transformer le réseau électrique de tous les

continents en inter-réseau de partage de l’énergie fonctionnant exactement comme Internet.

• Le changement de moyens de transport par le passage aux véhicules électriques branchables

ou à pile à combustible, capables d’acheter et de vendre de l’électricité sur un réseau

électrique interactif continental intelligent.5

Ce n'est pas anodin si le projet du World Game de Fuller ou les prescriptions de changement de

modèle industriel de Rifkin concernent l'énergie, comme il le rappelle lui même : «les régimes

énergétiques déterminent la nature des civilisations – leur façon de s’organiser, de répartir les fruits

de l’activité économique et des échanges, d’exercer le pouvoir politique et de structurer les relations

sociales » (Rifkin, 2011).

5 - Pour aller plus loin, voir Hubert Guillaud, « Nous avons à nouveau un futur » , Internetactu.net, 27/03/12, consulté le

21/04/13.

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Du Mundaneum aux réseaux énergétiques distribués de Rifkin, les différents projets présentés

portent tous en leur sein une vision singulière de l'avenir, faite d'émancipations intellectuelle,

sociale, ou économique facilitées par la technologie. Pour être acceptable, véhiculable, et transmise

cette vision se devait d'être inscrite dans une image, et plus spécialement dans une carte : la carte

comme système constructif, à la fois outil de recherche et support de médiation d'un récit d'avenir.

Si certains projets restent utopiques et irréalisables, il ne faut pas sous-estimer la performativité du

récit : il travaille les imaginaires et constitue une ressource pour la création. Et les innovations ne

sont d'abord que des images, des visions dans l'esprit des concepteurs.

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C) L'analogie entre carte géographique et graphe du web.

1.Obtenir des visualisations, vues et visions.

Afin de rentrer plus en détails dans l'analyse des potentiels de communication de la carte

dans l'environnement numérique, dans cette partie seront abordées les analogies fécondes entre

carte géographique et graphe du web (aussi appelé “cartographie des réseaux“ ou “cartographie de

l'information“). Des ressemblances et dissemblances en terme d'organisation de l'information,

d'usages ou de postures de créations sont importantes à retracer afin de replacer l'actualité des

graphes du web dans l'histoire de la représentation visuelle des idées. « Les graphes dont il sera

question ici regroupent des sites web par des liens hypertextuels : leur réalisation passe par

l’utilisation d’un crawler, un robot qui explore et indexe les sites web en laissant le chercheur guider

la navigation (comme pour le plugin Firefox navicrawler) ou en indexant automatiquement les

pages (telle l’application en ligne Issuecrawler) ; le tout est ensuite visualisé par un logiciel de

graphe (par exemple le logiciel Gephi). » (Plantin, 2012).

Nous envisagerons alors la carte et le graphe « à la charnière de la science et de l'art », entre

« entendement » et « intuition », à la fois mise en œuvre d'un « savoir analytique des régions du

monde » et visualisation d'un « imaginaire figuratif » (Tiberghien, 2007). La constitution d'une carte

géographique et d'un graphe obéissent aux mêmes étapes. D'abord un temps de collecte et

d'indexation de données, vient ensuite le temps de la mise en forme, du nettoyage, de la

rationalisation de ces données, puis enfin, un temps de “mise en image “ et de visualisation.

Que permettent alors ces deux types d'images ? L'obtention de visualisations, de vues et de visions,

par le travail de la donnée (qualitative ou quantitative). En effet, une carte permet de visualiser une

information, elle a une fonction de mise en lumière, de révélation du sens caché d'un territoire, d'un

phénomène, d'une controverse. On parle de mise en exergue des insights (révélation/vérification des

intuitions grâce à la carte). Avec l'accroissement exponentiel du nombre de données et

d'informations, les graphes du web semblent être les artefacts les plus pertinents pour révéler,

construire un propos objectif, s'orienter dans un sujet ou dans un espace numérique. Une carte

permet également la fixation d'une vue dans une image, elle est alors un instantané, un état des

lieux, une mise à plat. Ici, la carte a une fonction plus exhaustive de capitalisation. De par le choix

des données à visualiser (mettre de côté ou prendre en considération tels ou tels jeux de données) et

de par sa composition (graphisme, sens de lecture, contexte et espace de publication), la carte et le

graphe véhiculent une vision. Vision qui est à la fois révélatrice de la sphère culturelle et

18

idéologique du cartographe, mais aussi prise de position, énoncé subjectif pour convaincre et

support à narration.

2.L'activité du cartographe : représenter, naviguer, analyser.

Pour le dire autrement, trois actions sont communes aux cartes et graphes : représenter,

naviguer et analyser (Plantin, 2012). Représenter un espace complexe ou un territoire jusqu'alors

inconnu, en connaître l'organisation spatiale ou temporelle, établir les liens, observer avant de

naviguer à l'intérieur du contenu, établir une synthèse actionnable en cas de besoin, le graphe est

alors une ressource documentaire. « À l’évidence, on la parcourt [la cartographie de

l'information] comme un modèle possible d’intelligibilité du web, de son architecture distribuée

sous forme d’une topologie documentaire et des flux informationnels qui l’irriguent. » (Ghitalla,

2008).

Puis, dans l'environnement numérique, la carte devient lieu même de la navigation, elle permet de

varier les échelles, d'abolir les frontières et l'horizon, de mettre en liens l'hétérogène. On réalise une

lecture-parcours dans un espace “vectorisé” et navigable par bonds successifs et sans retour en

arrière.6

Enfin, la carte et le graphe sont des outils d'analyse et de prise de décision : quel sera le prochain

champ de bataille, qui est le locuteur le plus influent dans ce réseau, quelle thématique est la plus

commentée dans ce service web...? Telles sont quelques unes des questions auxquelles les cartes

peuvent répondre, ou du moins, des problématiques stratégiques que les cartes permettent de faire

émerger. Nous pouvons alors dire que cartes et graphes sont des systèmes constructifs, à la fois

schématiques, sélectifs, conventionnels, condensés et uniformes (Goodman, 1972). Schématiques

car sans respect de la mimésis, sélectifs car forcement perfectibles, conventionnels et uniformes

pour toucher un large public, et condensé par souci de synthèse.

Les limites de cette analogie tiennent dans plusieurs évolutions ; cartes et graphes ne visualisent pas

les mêmes données. Celles-ci ne sont pas forcement spatialisées (il y a toujours territoire mais il

peut être immatériel). Si il n'y a plus de problème de projection ou d’échelle, seule reste la

sémiologie graphique. La carte géographique a pour référent le monde physique, alors que le web

est un archivage immatériel de documents. Si la carte est fixe, le graphe apporte de l’interactivité,

de la circulation dans un espace et donc une expérience utilisateur avec sa temporalité propre. Fixité

contre mobilité : le graphe est actualisable. Lev Manovich parlait de la « réinscriptibilité des

6- Pour aller plus loin, voir Franck Ghitalla, « L’atelier de cartographie. Pratique et enjeux des cartographies thématiques de documents web », Ibid.

19

écrans »7 comme d'un trait constitutif de la culture numérique. Ainsi des données peuvent être

ajoutées automatiquement au premier graphe, la géographie n'a pas cette souplesse et cette rapidité

de changement.

Enfin, les graphes du web sont des cartographies d'espaces de reliance, de liens de connectivité

entre acteurs, sites web ou idées. Les cartes du web sont constituées de points, ou nœuds, joints par

des liens, ou arcs, ce sont des cartographies de réseaux. Les liens créent la carte : «Ils attirent,

repoussent, concentrent les URL et les lois de leur distribution constituent manifestement une des

propriétés essentielles du web comme architecture documentaire » (Ghitalla, 2008). L’important

n’est pas la place de l’URL dans l’espace mais sa place par rapport aux autres; ceci est dû à

l'architecture même du réseau Internet : un ensemble de ressources reliées par un système

hypertextuel. Ces liens de connectivité, d'appartenance à un groupe (clustering) mis en évidence par

les arcs sont autant d'indices des trajets des internautes. Dans la partie suivante, nous nous

intéresserons aux représentations et conceptions de ces trajets et nœuds, car comme le dit Paul

Virilio : « Le design a une légitimité à s’occuper de territoire à condition de faire entrer la notion de

trajet et pas seulement la signalétique. En philosophie, entre l’objet et le sujet, il manque le trajet.

Quelque part, la notion de territoire réfère au continuum, à l’espace-temps, donc au trajet. Il me

semble qu’il y a là un terrain extraordinaire pour le designer, le terrain de la trajectographie. La

question du mouvement et de son accélération amène la nécessité du passage de la géographie à la

trajectographie.»8

Il est bien question ici de mouvement, d'accélération de la circulation des signes, il devient alors

nécessaire de produire des images/ressources, surfaces d'inscription des hypothèses/potentialités

que sont les graphes du web. Et le designer en tant que metteur en scène de dispositifs, expert de la

couleur, créateur de motifs et de formes a sa légitimité dans la production de ces artefacts. « Il est

toutefois à noter qu’une sémiotique des cartes de sites web aussi efficace que celle des cartes

géographiques (Bertin 1967) est toujours à créer : l’exploration graphique autour du web revêt un

caractère “manifestement expérimental et singulier“ (Ghitalla 2008), principalement du fait de la

relative jeunesse de ce territoire.» (Plantin, 2012).

Notre attention se portera alors sur les relations entre les deux types de trajets : celui de l'internaute

que l'on enregistre puis représente (traçabilité, graphisme des liens), et celui de l'internaute

7- Lev Manovich, Le langage des Nouveaux Médias, Presses du réel, 2010 pour la traduction française. 1ère édition, MIT Press, 2001.

8- Paul Virilio, dans Azimuts, Design, recherche et enseignement, n°33 Saint-Etienne, Cité du Design Éditions, 2009.

20

traversant le graphe (le spectateur de la visualisation de données). Enfin, il nous faudra également

relier ces graphes à des usages, des publics et des enjeux de l'évolution de la connaissance et de

l'Internet.

21

Sommaire

II) Inscrire dans une image, capitaliser pour se souvenir

A.Techniques d'inscriptions et diffusion des connaissances.

B. Traçabilité et politique du mémorielle.

22

II) Inscrire dans une image, capitaliser pour se souvenir.

A.Techniques d'inscriptions et diffusion des connaissances.

« Comment est-il possible de capitaliser quoi que ce soit ». L'interrogation qui introduit

cette partie provient de Bruno Latour qui, en 1985, s'interrogeait sur les images produites par les

chercheurs, leurs utilités dans l'évolution du progrès scientifique, dans une démarche de

« rassembler les études qui expliquent les vastes effets des sciences par des pratiques simples

d'inscription, d'enregistrement, de visualisation » (Latour, 1985). Pour lui, les sciences se sont

considérablement développées grâce à la production d'images, parce qu'elles sont tour à tour, outils

de synthèse et d'analyse, de projection d'intuition, des prises de positions, ou des formulations

d'hypothèses qui seront vérifiées par une étude de terrain. « Le phénomène à étudier n'est pas tant

celui des images scientifiques que celle d'une cascade d'images toujours plus simples afin de

mobiliser en un point le plus grand nombre d'alliés.» (Latour, 1985).

Il est question d'inscription en vue de la construction d'une mémoire, mais il est aussi question de la

diffusion et dissémination de la connaissances dans la société. Bruno Latour rappelle qu'à mesure

que les techniques de productions d'images se simplifient et à mesure que la connaissance est de

plus en plus disponible (Wikipédia, mouvement de l'Open Access9...) l'écart entre pensée

scientifique et pensée quotidienne s'amenuise, le chercheur est alors un homme anodin, ainsi

«oublier ce travail d'enregistrement, de sommation, de compilation, de rassemblement, oublier cette

mise en scène c'est croire aux géants.» (Latour, 1985). La société de l'information milite dans tous

les domaines de la connaissance pour plus d'ouverture et de partage. Il faut alors analyser les images

(et non pas seulement la pensée, le contexte, la discipline qui les motivent) produites par la science :

« les explications matérialistes ressemblent tellement aux explications intellectualistes : dans les

deux cas, le chercheur (historien, philosophe, ethnologue ou économiste) demeure caché et nous

n'apprenons rien sur les pratiques artisanales qui lui permettent d'expliquer ce savoir.» (Latour,

1985)

Dans notre objet d'étude, ce travail de « cascades d'images » passe par différentes phases, plusieurs

variations ou typologies d'images qu'il nous faudra étudier : l'image de pensée (image originelle,

fulgurance de l'idée, image programmatique), les arbre de connaissances, les diagrammes et

organigrammes, puis enfin les cartographies de réseaux et d'informations. Nous verrons alors le legs

de ces différentes représentations aux graphes du web.

9 Mouvement pour le libre accès à la connaissance, voir le Guerilla Open Access Manifesto.

23

Comme bien souvent, les résultats scientifiques ou les projets de grande envergure ne sont avant

leur concrétisation, que pure imagination, intuition fine que le créateur/innovateur formule, seul,

dans sa salle de travail. Il dessine alors des potentialités au contour incertain : plans, schémas, notes

éparpillées, cartes de figuration de l'inconnu, dessin d'un désir de connaissance.... « Le roman, le

concept, le théorème, le bâtiment, l'institution, l'œuvre, en un mot, ce qui émerge au bout de ce

travail, n'est rien que la mise en ordre de ce qui a précédé, suite de choses éparses, irrégulières,

partielles, contradictoires, que l'auteur a tenté de tenir, de circonscrire, de sortir des limbes de

l'esprit. » (Caraës, Marchand-Zanartu, 2011).

Mark Lombardi (1951-2000), First United, 1994.

À partir de la lecture de nombreux journaux, l'artiste américain Mark Lombardi (1951-2000) a tracé

la carte des scandales politico-financiers internationaux de son époque (la dynastie Bush, le Vatican,

la mafia, Ben Laden...). « J’appelle [ces compositions] “structures narratives“ parce que chacune

consiste en un réseau de lignes et de notes qui sont là pour raconter une histoire récente, qui

présente pour moi un intérêt comme la déroute d'une grande banque internationale, celle d'une

compagnie d'exportation ou une banque d'investissement. Un de mes buts est de cartographier

l'interaction des forces politiques, sociales, économiques dans les affaires contemporaines. »

(Lombardi, 2000).

24

Theodor H.Nelson (1937), sans titre, 1965.

Autre exemple, entre le schéma et l'image de pensée, ce document est une des premières

représentations de ce que l'on appelle maintenant “l'architecture de l'information“, son inventeur,

Ted Nelson, est un pionnier de la gestion des données numériques.

Ce schéma de travail originel (il a été diffusé une version plus “technique“ de ce dessin) préfigure

l'organisation hypertextuelle encore balbutiante à l'époque. Le schéma « devait montrer la

complexité des liens à laquelle l'utilisateur d'un ordinateur devait faire face. Elle présente les

interconnexions qui concernent un usager typique et académique – disons un historien (l'illustration

prédit également la forme de l'email) » (Nelson, 1998). L'image est alors une préfiguration du web,

l'instantané d'un futur possible, un exemple de la dimension visionnaire de l'image de pensée.

On est frappé par la difficulté de lisibilité de l'ensemble du schéma, comme si, finalement il n'avait

pas de centre. À la fin des années 90, Nelson disait-lui même que personne n'avait compris ce

schéma, et que si les personnes l'avaient compris, il ne serait pas aussi difficile de naviguer dans le

monde informatique (ni Google, ni Wikipedia n'existaient à l'époque). Curieuse ambivalence d'une

représentation illisible créée dans le but de présenter un système de recherche documentaire : un

système permettant de maintenir de l'ordre. Bien avant la réelle manifestation de l'Internet (1990,

25

Tim-Berners Lee, CERN), la réalité de notre quotidien numérique avait été « modélisée, réélaborée,

anticipée, et surtout miniaturisée » (Lauxerois, 2011) par cette image de Ted Nelson.

Le principal antécédent visuel de ce type de schéma de réseaux est l'arbre de connaissances. Le

motif de l'arbre est très ancien, il existait avant la chrétienté, et reste encore aujourd'hui une des

inspirations des graphes du web. Sa principale utilité est de pouvoir à la fois représenter la

multiplicité (les branches et feuilles) et l'unité (le tronc), il permet alors de retranscrire des

descendances ou ascendances, des liaisons logiques ou thématiques. De l'agriculture sumérienne

jusqu'au système d'exploitation, en passant par l'encyclopédisme, l'évolution humaine de Darwin,

les mathématiques de Leibniz, la philosophie de Descartes, le rhizome (Deleuze et Guattari) et les

graphes du web, le motif de l'arbre est omniprésent.

Il existe deux modèles de l'arbre de connaissance : « la généalogie (dans son sens large, c'est à dire

le suivi du développement des idées, des personnes et des sociétés dans l'histoire) et la classification

d'une taxonomie (système de valeurs et sous-valeurs) » (Lima, 2011). La longue influence du motif

de l'arbre dans la culture encyclopédique montre que la capitalisation des connaissances est affaire

de sélection, d'écartement et de synthèse, c'est un travail de mémoire qui met en œuvre une pensée

progressiste : que doit-on laisser de notre science pour un avenir meilleur ? Pour un avenir tourné

vers la raison et l'émancipation sociale ? Comme le dit Bruno Latour : « Un intermédiaire est

devenu la seule chose digne d'être capitalisée».

Chrétien Frédérique Guillaume Roth, Essai d'une distribution généalogiquedes sciences et des arts principaux, d'après Didedot et d'Alembert, Encyclopédie,1780.

26

Le motif de l'arbre est de moins en moins utilisé depuis la fin du XIXème, il est alors considéré

comme trop autoritaire. Un nœud central et de départ ne permet par de montrer la multiplicité des

éléments dans un même espace sémantique ou géographique, il ne peut y avoir qu'un seul sens de

lecture de l'arbre.

L'arbre de connaissances a posé les bases des motifs visuels de la cartographie de l'information.

Auparavant, on parlait de troncs, de branches et de feuilles, il est maintenant question de liens,

d'arcs, et de nœuds. Comme nous l'avons vu dans la partie précédente avec l’influence de la

cybernétique sur la construction de l'Internet, la nature est toujours un puits de ressources visuelles.

Ce n'est pas notre entreprise ici, mais il serait intéressant d'analyser les écarts entre tous ces

éléments unificateurs, les motifs de la circulation de l'information qui formulent un dessin du

partage (échanges de connaissances et de pratiques, co-construction, voyage aller/retour vers

l'autre).

David Bihanic, Thomas Polacsek, Trois grandes familles de techniques de représentation des données, 2012.De gauche à droite, l'arbre, la carte, le paysage.

Pour ramener la généalogie précédente à notre objet d'étude, trois grandes familles de techniques de

représentation des données sont utilisées de nos jours : les arbres, les cartes et les paysages de

données (voir image ci-dessus). L'arbre figure une représentation hiérarchique des données -

relations d’héritage - la carte, une représentation réticulaire des données - relations sémantiques - et

le paysage, une représentation planaire des données - séquences logico-temporelles - (Bihanic,

Polacsek, 2012). Le choix de l'une ou l'autre de ces représentations doit être déterminé par

différentes motivations. Par exemple, veut-on retracer l'histoire d'une idée (arbre), explorer les

thématiques liées à une discipline (la carte), ou explorer la diffusion de cette idée dans le temps (le

paysage). Bien entendu, ces cadres de structuration de la carte sont souvent mêlés, mais ils induisent

différents niveaux de lecture et de réception de l'information.

27

Afin de répondre aux enjeux contemporains de l'accroissement du volume de données à traiter, il nous

faut alors « inventer des objets qui soient mobiles, immuables, présentables, lisibles et combinables»

(Latour, 1985), qui nous permettent alors de « documenter, clarifier, révéler, étendre et imaginer »

(Lima, 2011). Les technologies du numérique et les techniques du web sémantique (API, web de

données, traçabilité...) nous permettent d'observer des communautés et de capitaliser des

informations comme jamais auparavant. Le chercheur, l'entrepreneur, le militant s'en voient

transformés : « l'esprit du savant ne quitte à aucun moment ses yeux et ses mains, mais ce qu'il voit

a changé en effet. Il ne regarde pas les étoiles, mais l'image en couleur artificielle que l'ordinateur a

recomposée à partir de l'image optique ; il ne regarde pas les économies, mais les statistiques de

l'INSEE.» (Latour, 1985). La compréhension des méthodologies de collectes de données (la

programmation des algorithmes, la mise aux normes des formats) et la maîtrise des outils de

visualisation de données sont alors des enjeux politiques forts, puisque l'on est capable de modéliser

et de maîtriser la complexité du monde.

Les trois étapes de la science moderne selon le mathématicien Warren Weaver, comme discuté dans son livre « Science et complexité » (1948).10

10 Tiré du livre de Manuel Lima, Cartographie des réseaux. L'art de représenter la complexité. Ibid

28

B. Traçabilité et politique du mémorielle.

Le web 2.0 a maintenant cinq ans. Les dynamiques de plateformes, la folksonomie,

l'échange pair à pair n'a eu de cesse d'augmenter. Les changements de structuration de l'information

du web sémantique (web de donnée, web 3.0) permettent aux applications de communiquer entre

elles (via des API par exemple). Nous avons maintenant accès au cœur de la construction de

l'information : la donnée. Terme relativement abstrait, c'est à la racine, un chiffre. La donnée a

souvent plusieurs indicateurs, par exemple une situation dans le temps (date) et dans l'espace (lieu)

ou un identifiant (adresse ip). Elle est relative aussi à un contexte d'inscription : propriétaire, date de

publication, erreur ou oubli dans la constitution du jeu de données etc, c'est ce que l'on appelle les

métadonnées. La donnée est transformée en informations, voir en connaissances. Ces informations

peuvent être à leurs tours collectées pour créer d'autres données, puis de nouvelles informations et

connaissances.

Finalement, chaque donnée est une trace. Trace d'une connexion/action d'un internaute. Trace et

emplacement d'une idée/ressource dans un territoire géographique ou documentaire. Par exemple, la

fréquence d'un concept dans plusieurs publications scientifiques ou les flux d'informations sur un

service web, sont traces d'un savoir à redécouvrir. Par un effet de réversibilité tout peut être donnée,

la donnée est tout, “le nouvel or noir “ de la gestion de l'information ? Encore faut-il pouvoir

manipuler, faire parler et rendre sensible ces traces…

« Manifestement observable d'un impensé, c'est parce que la trace est laissée à son insu par l'animal

ou par l'homme qu'elle appelle un art interprétatif comme celui du chasseur, du critique d'art, du

psychanalyste ou du devin pour faire sens. Plus la trace sera involontaire, plus elle aura valeur de

preuve, de symptôme ou d'attestation .» (Merzeau, 2013). La collecte/stockage des données est une

étape rigoureuse dans la création d'une visualisation, mais elle est insuffisante pour permettre de

construire un discours à partir d'elle. « La réappropriation va consister à transformer cette logique

du stockage en écriture mémorielle. » (Merzeau, 2013). Il semblerait que les services web comme

Gmail ou Facebook se transforment en d’immenses institutions de stockage et de lecture du

souvenir. De ce fait, les problèmes de traçabilité et de droit à l'oubli n'ont jamais été aussi vifs.

« Alors que trace et mémoire ont toujours été entrelacées par la philosophie, l'art et l'anthropologie,

la dimension mémorielle des traces est singulièrement absente des considérations sur la présence

numérique. » (Merzeau 2013)

29

Le profilage et la collecte de données personnelles sont le nouveau moteur des grandes entreprises

de l'Internet (Google, Facebook, Youtube mais aussi et Linked-in, Dailymotion), la donnée devient

une nouvelle monnaie d'innovation. « Plus encore que sur leur accessibilité et leur propriété, c'est

sur les dispositifs qui servent à légitimer, prescrire et cadrer nos données que l'exigence de

réappropriation devrait se concentrer. » (Merzeau, 2013).

Outre le fait que ces collectes de données sont souvent réalisées à notre insu, elles ne retranscrivent

pas la complexité de notre identité, de nos motivations et stratégies, de nos positionnements

d'opinion, de consommation, d'utilisation de services ou de postures face à la liberté de circulation

de l'information. « L'évaluation du mérite et du besoin, des aptitudes et des faiblesses des individus,

voire de leurs intentions, tâche délicate s'il en est et que l'on sait rarement exempte de préjugés, est

rendue progressivement redondante par la grâce du profilage qui évite de devoir s'intéresser aux

individus en tant qu'individus. » (Rouvroy, Berns, 2010).

Il est important de comprendre ces mécanismes pour notre objet d'étude, puisque le mouvement des

internautes semble constituer la donnée la plus précieuse : le moteur de la dynamique Big Data, et

c'est également ce qu'il manque à l'Open Data (la libération des données des administrations

publiques). Les entreprises recherchent de la donnée plus “micro“ à corréler avec de la donnée

“macro“. Les visualisations pertinentes sont celles qui agrègent les données les plus hétérogènes.

« Le gouvernement statistique, ignorant tout des motivations psychologiques des sujets, des

mécanismes favorables ou défavorables à l'obéissance, transfigure les sujets moraux en simple

coordonnées dans des tables statistiques de calcul actuariel, et gouverne en se passant par exemple

des catégories juridiques du dommage, de la faute, du lien causal. » (Rouvroy, Berns, 2010).

Ce qui est important, ce n'est plus l'individu en lui-même, mais les corrélations de celui-ci avec les

autres internautes, ainsi que les corrélations des services web entre eux. Les nouvelles formulations

d'hypothèses sur le comportement de telle ou telle personne, ne se basent que sur des agissements

passés, dont finalement on ignore beaucoup. « Le gouvernement statistique vise non plus à maîtriser

l'actuel, à dompter la sauvagerie des faits, mais à structurer le possible, à éradiquer le virtuel, cette

dimension de possibilité ou de potentialité d'où provient que l'actuel tremble toujours un peu d'un

devenir “autre“ qui constitue, justement, sa singularité et sa puissance, alors même qu'il n'est pas

empiriquement connu (et qu'il ne peut, par définition, jamais l'être).» (Rouvroy, Berns, 2010). Nos

prochains agissements seraient alors déterminés par nos actions antérieures, comme l'explique

30

Antoinette Rouvroy et Thomas Berns, le profilage ne prend pas en compte les changements de

stratégies, les tactiques de consommation, que réalise chaque usager.

Face à cette « réduction du spontané » et à « l'éradication de l'intempestif » (Rouvroy, Berns, 2010),

il s'agit de tenter de reconstruire des lieux de partage, espaces communs de connaissance et de

mémoire où les traces puissent être restituées puis réappropriées. Des visualisations qui nous

permettent de « revenir des traces au monde » (Latour, 1985), de remonter la chaîne de constitution

de ce qui nous est présenté. Cela veut dire aussi, par l'interactivité, pouvoir manipuler les données et

la visualisation dans le même temps. Fixer insensiblement les traces dans une visualisation ne

permet que difficilement d'avoir une évolution dans le temps d'un phénomène, ou de pouvoir

revenir sur ces choix après une erreur. Ainsi, serait-il possible de créer des visualisations pour le

long terme ? Une agrégation de données sur cinq ou dix ans ?

31

Sommaire

III)Arrêter le mouvement, chercher le sens des figures.

A. Dessiner des trajectoires

B. Inscrire la visualisation dans un espace, une expérience, un usage.

C. Pour une politique du visible.

32

III) Arrêter le mouvement, chercher le sens des figures.

A. Dessiner des trajectoires

Comme nous l'avons évoqué précédemment, l'évolution de la cartographie de l'information

amène de plus en plus les visualisations à représenter des corrélations, interconnexions, des

trajectoires d'éléments hétérogènes plus que des instantanés d'éléments dans un milieu “M“ ou à un

instant “T“. Dans cette partie, nous nous intéresserons plus précisément au graphisme qui est à

l'œuvre dans les graphes du web, nous montrerons également que la visualisation de données

s'inscrit toujours dans un contexte de production (usages, dispositifs, publics, contextes de

production...), enfin, nous mettrons en exergue la fonction politique du designer d'information.

La cartographie de l'information se rattache à différentes traditions de créations d'images :

l'iconographie scientifique, l'universalisme, la représentation des réseaux sociaux et des réseaux de

transports, et donc logiquement l'histoire de l'art et du design. Alors, il est assez symptomatique de

constater que les ambitions qui animaient les précurseurs du design de l'information, l'Isotype

(International System for Typographic Picture Education) d'Otto Neurath, par exemple, ne sont pas

si éloignées de celles qui animent les acteurs de la cartographie de l'information aujourd'hui : un

souci de neutralité, le désir de retrouver une certaine objectivité, révéler l'inconnu et réduire la

complexité d'un problème économique, culturel ou sociétal.

Dans les années 1920, le philosophe Otto Neurath forma autour de lui un groupe de personnes qui

travaillèrent à la visualisations de données économiques, anthropologiques, avec une visée

universaliste (parler au plus grand monde) et humaniste (aider à la compréhension et à la paix entre

les peuples).

33

Groupe Isotype. Cartes-Diagrammes des villes de Péking, Damas, Rome et New York. Tirées de l'ouvrage, Gesellschaft und Wirtschaft, Leipzig: Bibliographisches Institut, 1930).

« D'une certaine façon, nous avions également le sentiment de faire partie d'une même famille, dans

une lutte pour la communication internationale : que l'on souhaite aider quelqu'un visitant un pays

étranger à trouver son chemin, ou bien à poser les bases d'un savoir partagé » (Neurath, 2013).

La technique de l'Isotype est basée sur la création d'un système cohérent, où chaque couleur a un

sens bien défini, par exemple nombres de séries retrouvent les mêmes caractéristiques : rouge pour

l'industrie, bleu pour les formes de travail anciennes, vert pour les activités primitives. Chaque

entité correspond à une figure symbolique : un pictogramme extrêmement reconnaissable. « Les

symboles devinrent véritablement modulaires, c'est-à-dire quand ils purent être répétés, combinés,

séparés (ou fractionnés) et quand ils purent coexister en harmonie avec d'autres symboles. »

(Kinross, 2013). Toute l'ambition de l'Isotype était d'arriver à un niveau de rationalisation qui

permettait que le diagramme soit compris par le plus grand nombre d’individu, de l'enfant jusqu'à

l'historien. « L'information est exprimée dans sa forme la plus concrète et la plus directe, en évitant

les unités abstraites telles que les pourcentages. Les autres individus qui se sont intéressés à la

statistique par l'image ne semblent pas aussi sensibles à cette question. » (Kinross, 2013)

Pour Otto Neurath et son équipe (statisticiens, historiens d'art, dessinateurs, économistes...) c'est le

sens du contenu qui détermine la forme. Si Neurath restait le maître à bord (l'analyste), sa femme

34

(Marie Neurath) et d'autre assuraient le rôle de « transformateur » : de la compréhension de la

donnée à la définition de son organisation, jusqu'au dessin précis des pictogrammes et aux choix des

couleurs, dans un aller-retour incessant avec les nombreux spécialistes sollicités. « Le principe

fondamental qui consiste à répéter les unités plutôt que les agrandir fut appliqué dès le

commencement, au début de l'année 1925. » (Kinross, 2013). Gênée par aucune fioriture, aucune

gratuité esthétique, cette répétition permettait également de pouvoir comparer les éléments entre

eux.

Si l'ambition universaliste (cartographier l'activité entière d'un réseau planétaire) qui anime les

acteurs de la cartographie de l'information a des résonances avec le projet Isotype, quand est-il de

la création d'un système graphique reproductible ? Mathieu Jacomy, spécialiste de la cartographie

de l'information affirmait déjà en 2009 : « la difficulté pour parler d’une nouvelle esthétique de la

carte est qu’il existe un seuil en dessous duquel la lecture fait tellement consensus, qu’on ne voit

plus le travail sémiotique d’écriture permettant de faire la carte.»11

La rationalisation de l'Isotype inspirera dans le même temps, Harry Beck, concepteur du plan du

métro de Londres, forme de représentation encore aujourd'hui utilisée pour toutes représentations de

l'information voyageurs des réseaux urbains. La méthode innovante d'Harry Beck a été de ne pas

respecter la géographie du territoire (le parcours du train et la distance entre deux stations) pour

privilégier le tracé le plus simple d'une station à une autre. L'orientation des lignes est schématique,

l'écart entre deux stations est le même partout afin de privilégier une rapidité de lecture.

11- Mathieu Jacomy , « La carte comme système complexe » Entretien avec Jean-Christophe Plantin pour ludigo.net. 15/12/2009 consulté le 01/06/13.

35

Harry Beck, La première version publiée de la carte du métro de Londres.Imprimé dans Short Guide to London, Findlay Muirhead, 1933.

« Ce qu'il montre ne correspond pas tant à des relations géographiques qu'à des interconnexions. On

se déplace sous la surface de la terre, sans la moindre référence à un contexte, ou au paysage qui

défile, et ce qu'il faut avant tout connaître, ce sont les connexions, les correspondances » (Kinross,

2013). Cette réflexion du théoricien du design, Robin Kinross, s'applique totalement aux

cartographies de l 'information contemporaine. Le principal objectif de ces visualisations est de

découvrir et d'analyser des relations entre des données hétérogènes (données issues du web croisées

avec données de l'activité économique d'un territoire, une base de données scientifiques croisée

avec la récurrence d'un mot, d'un corpus de site web...).

Si cette nouvelle forme de visualisation permet de cartographier des relations jusqu'alors inconnues,

elle ne nous permet pas forcement de comprendre les causes de la connexion entre deux éléments.

On saura par exemple que telle idée est beaucoup exprimée dans tel réseau, mais on ne comprendra

pas forcement pourquoi. Ce problème de compréhension vient du fait que les graphes du web

introduisent une confusion entre causalité et corrélation. C'est une des conséquences du Big Data (la

manipulation de grands ensembles de données), et de la « gouvernementalité algorithmique »

décrite par Rouvroy et Berns (voir partie précédente).

36

Dans un entretien pour CBC Radio, Viktor Mayer-Schönberger », auteur en 2013 d'un livre sur le

Big Data12 affirmait :

« Google Flu, le service qui prédit l’éclosion de la grippe sur un territoire donné, ne fait que

remarquer la corrélation entre les recherches en ligne et les cas déclarés de la grippe. Il n’y a aucune

indication de causalité. Pourtant, notre cerveau ne peut s’empêcher de faire des liens de causalité...

Les problèmes commencent quand on mélange les deux, quand on utilise la corrélation pour deviner

la cause. On risque de faire de mauvaises connexions. On risque de faire du profilage, de ficher les

gens pour des corrélations qui n’ont rien à voir avec la véritable cause. » (Mayer-Schönberger,

2013).

D'où vient alors cette incompréhension ? Au delà des moyens techniques (collecte, choix de

l'algorithme), comment s'inscrit-t-elle ? Selon le principe de la proximité de la Gestaltpsychologie,

l’œil a tendance à grouper les éléments qui sont proches. C’est la distance relative entre les

éléments qui détermine les groupements. Cette loi reste valide dans notre analyse, on parlera alors

d'effet de clustering : la corrélation entre des liens de contenus à l’intérieur des nœuds (deux articles

citant beaucoup le même auteur) et des liens de proximité hypertextuelle (ces deux articles se citant

entre eux) produit des groupements dans les graphes, des clusters.

12- Viktor Mayer-Schönberger et Kenneth Cukier, Big Data: A Revolution That Will Transform How We Live, Work, and Think. Édité par Eamon Dolan/Houghton Mifflin Harcourt, 2013. En français à propos de ce livre, lire la critique de Hubert Guillaud sur Internet Actu.net : http://www.Internetactu.net/2013/05/14/big-data-nouvelle-etape

37

Matthew Hurst, The Hyperbolic Blogosphere. 2007

Martin Rosvall et Carl Bergstrom. Map of Science, 2007. Publié dans le Journal Citation Reports. Il s'agit d'une carte de 6 Millions de citations publics dans 6 128 journaux scientifiques américains, collectées sur la base de données de Thomson Reuters, agence de presse canadienne.

38

Comparons par exemple, deux graphes produits la même année 2007 qui mettent en évidence des

effets de regroupement (voir les deux figures ci-dessus).

Le premier graphe de Matthew Hurst montre les parties les plus actives et les plus connectées de la

blogosphère sur la base de liens recueillis sur six semaines. En vert, il s'agit des liens « one link »

(de A vers B) et en violet, les liens réciproques (le lien B retourne aussi vers A). À première vue, la

cartographie ne nous permet absolument pas de comprendre les réseaux d'influence des

groupements de blogueurs. De par le choix des couleurs (tons clairs et brillants sur fond noir) on

visualise l'effervescence du format de publication blog, mais la visualisation ne nous informe pas

beaucoup car elle a besoin d'être explicitée par une légende, elle mériterait également d'être

interactif. À la suite de Jacques Bertin, on pourrait dire que ce graphe produit alors un système

polysémique (la signification succède à l'observation et se déduit de l'assemblage des signes) qui

tend même vers un système pansémique : la visualisation tend vers l'abstraction, le nombre très

important de nœuds ne nous permet pas d'observer les liens pertinents entre ceux-ci. Le travail de

lecture ne se situe pas entre les significations des signes mais entre les corrélations qui y sont

associées. À l'inverse d'un diagramme, cette forme de visualisation ne nous permet pas de comparer

des éléments et de comprendre la cause du phénomène en présence (ici la blogosphère américaine

en 2007), mais elle nous permet d'avoir une vue d'ensemble du sujet d'étude.

Après des recherches, on apprend que le nœud le plus volumineux au centre est DailyKos, blog

politique proche du parti démocrate américain, et le suivant en terme d'influence (à sa gauche) est

BoingBoing, célèbre blog américain sur la culture numérique. Tout en haut, une communauté de

blogs sur la pornographie est éloignée, ainsi que dans le même axe, tout en bas, des sites de sportifs

amateurs sont aussi relégués à la marge du graphe. Cette lecture du graphe est totalement

impossible à formuler sans avoir un paratexte qui nous expliquerait le motif et la circulation des

informations13. On est face à des représentations qui stimulent une forme de contemplation du

potentiel de communication de l'Internet, des images démonstratives plus qu'analytiques. On se

demandera alors : Est-ce que cette cartographie est reliée à un usage ? Est-ce de la science, de l'art,

du journalisme ? Que faire alors des cartographies sans légende ? Qui porte le discours sur le

graphe ? Doit-on inscrire le nom des nœuds, le fonctionnement des arcs, la signification des

couleurs sur la carte, ou dans une annexe ?

13- J'ai pour ma part, consulté le site de référence sur le sujet, visualcomplexity.com.

39

Ces choix de communication déterminent pour partie les modes d'appropriation et de rejet que vont

subir ces cartes. « Cette difficulté [de lecture] vient d'abord du fait qu'elles incluent dans leur

périmètre des champs à priori hétérogènes : des acteurs et des organisations (scientifiques,

industrielles ou issues de la société civile), certes, mais aussi des concepts, des arguments ou des

faits documentés, ou encore des artefacts matériels sans oublier des valeurs qui gouvernent

axiologiquement des points de vue et des visions du monde. » (Ghitalla, 2009)

À l'inverse, la cartographie de Rosvall et Bergstrom permet de comprendre les connexions

thématiques reliées aux disciplines les plus citées dans la littérature scientifique américaine. Ici, les

connexions sont bien mises en évidence. On pourra alors comprendre des phénomènes plus fins, par

exemple, le fait que l'anthropologie de la physique (physical anthropology, au centre droit du

graphe) est autant citée par la psychologie que par l'anthropologie culturelle.

La possibilité d'interagir et de modifier en temps réel le graphe amène des possibilités d'exploration

et de compréhension jusqu'alors impensables seulement avec une cartographie statique. Les

fonctionnalités de zoom qui offrent la possibilité de passer d'un graphe global à un graphe local

permettent d'orienter les recherches de sens de différentes manières, de la formulation/vérification

d'intuition, jusqu'à l'élucidation d'une question pointue.

« Le graphe global est utile pour déterminer la constitution de groupes ou certaines propriétés

propres au réseau… Il permet aussi de déclencher chez les spectateurs un effet “wow”. C’est-à-dire

capter leur attention par l’illustration de la complexité des relations au sein d’un réseau. Ensuite, le

conférencier peut attaquer un discours sans véritable rapport avec l’image du graphe ! Problème,

ces visualisations globales sont souvent peu parlantes, surtout lorsque les graphes sont riches. Bien

souvent, on ne perçoit qu’un gros nuage. […] En général mieux vaut recourir au global lorsqu’on

cherche à analyser l’ensemble des données et à produire des hypothèses, et opter pour le local pour

trouver une information précise. » (Sussan, 2013)

L'image montre encore une fois sa performativité et son utilité pour produire des discours. C'est un

outil de reliance, comme le rappelait Latour : «le médiateur obligé est un langage visuel, un

protocole de description des couches et azimuts, un ensemble de conventions de couleurs et de

tracés.» Alors que son langage visuel n'est pas défini, la cartographie de l'information, nous

permettra-t-elle d'arrêter pour un temps le flux et re-flux des connexions, la rapidité des

publications, la démultiplication des réseaux, des communautés qui fleurissent chaque jour ? Dans

40

5, 10 ou 15 ans, pourra-t-on dire : « Grâce à des inventions graphiques et géométriques (le

quadrillage, le point-de-fuite, la projection Mercator, l'eau-forte), la forme des choses a survécu aux

déplacements continuels » ? (Latour 1985)

Nous avons alors montré que la cartographie de l'information est un moyen pertinent de représenter

les mouvements et trajets des internautes et la vitesse de circulation des informations. Le numérique

permet donc de nouvelles modalités de production de sens : l'alternance entre “vue locale“ et “vue

globale“, la manipulation de données par l'interactivité, la possibilité d'atteindre des informations

jusque là inconnues.

41

B. Inscrire la visualisation dans un espace, une expérience, un usage.

Pour être correctement appropriée, une cartographie de l'information doit faire coïncider un

contenu (le choix des données que l'on transforme en information ou savoir), une méthode (un type

de visualisation, un algorithme de spatialisation, l'utilisation de tel ou tel outil) et un contexte de

publication (son support, sa place dans un dispositif éditorial et interactif). Ces trois éléments vont

définir le degré de pertinence de la visualisation. Ils vont être les conditions d'une bonne

compréhension, assimilation et vont permettre la prise de décision à la suite de sa lecture.

On rappellera que tout concepteur – pas seulement le concepteur d'interface numérique - a recours à

des stratégies, et que les usagers emploient des tactiques (Manovich, 2001, d'après De Certeau,

1980). Dès lors, l'appropriation d'un savoir par la simple consultation d'une cartographie de

l'information est assez difficile à vérifier. L'interactivité même si elle est fortement encouragée, ne

permet pas toujours une réappropriation. Tactiques et stratégies peuvent diverger, voir rentrer en

conflit. Le designer Gisueppe Attoma, pionnier du design d'information en France, invite à une

certaine prudence : " Dans l'univers de l'information, le numérique et la donnée ont été, ces

dernières années, riches de promesses. Certaines se sont concrétisées, d'autres pas. Il est temps

aujourd'hui de passer ces espoirs au crible de la réalité des usages et de sortir des formules

magiques […] Il est important de prendre en considération les enjeux cognitifs et la question du

seuil d'engagement : les gens vont vers ce qu'ils perçoivent comme étant le plus simple, même si

cela ne correspond pas toujours, objectivement, à la solution la plus efficiente."14

N'oublions pas qu'une visualisation est inscrite dans une politique éditoriale, pour le datajournaliste,

elle va être par exemple le point de départ, la synthèse d'un article de presse exprimant un point de

vue sur un sujet d'actualité, ou simplement, l'illustration de cet article. Sur Internet, elle va toujours

être visible avant et après une autre page web. Dans l'économie de l'attention qui règne désormais,

les stratégies d'accès pour atteindre cette visualisation vont alors être multiples. Inutile de rappeler,

qu'une visualisation a toujours un public cible, avec ses attentes et ses motivations propres, face à

cette diversité d'usager on parlera d'accessibilité ou d'inclusion. Comme l'explique Giuseppe

Attoma : « nous insistons beaucoup auprès de nos clients sur la question de l'inclusivité, qui nous

semble plus structurante et plus universelle que celle d'accessibilité. L'inclusivité, au sens anglo-

saxon du terme - inclusive design -, a pour objectif le design de produits et/ou de services courants,

accessibles et utilisables par le plus grand nombre, sans nécessiter d'adaptation spécifique ou de

design spécialisé. »

14 - Giuseppe Attoma, fondateur de l'agence de design de services et expérience utilisateurs Attoma, Entretien réalisé par Caroline de Francqueville pour Chronos, 07/04/13 consulté le 06/06/13.

42

C. Pour une politique du visible.

Il en va alors d'une politique du visible, condition d'exercice d'appropriation et de partage des

informations/connaissances tirées des visualisations. Dans les images et les mots qui font une

cartographie sont inscrits des potentiels d'émergence de la subjectivité du spectateur, potentiels

d'énonciation déterminés par des conditions de conception et des sphères de légitimité.

« Le partage du sensible fait voir qui peut avoir part au commun en fonction de ce qu'il fait, du

temps et de l'espace dans lesquels cette activité s'exerce. Avoir telle ou telle “occupation“ définit

ainsi des compétences ou des incompétences au commun. Cela définit le fait d'être ou non visible

dans un espace commun, doué d'une parole commune. » (Rancière, 2000)

Chaque concepteur, artiste, designer, va inscrire dans sa production un « système des formes à

priori déterminant ce qui se donne à ressentir » (Rancière, 2000). Et la palette des émotions est

vaste, d'une visualisation qui provoque surprise et excitation, à la vérification d'une intuition, la

production d'une hypothèse, simplement l'ajout d'un surplus d'informations ou la découverte d'un

mécanisme caché...

On finira alors cette partie en évoquant la responsabilité qui est alors accordée au designer

graphique : « Se pose alors frontalement la fonction politique du design graphique. J'entends par

politique, le pouvoir de transformation des regards que toute action, toute production de signes, tout

dispositif détiennent potentiellement. En d'autres termes : “Qu'est-ce que voir ? Qu'est-ce que dire

ce que l'on voit ? Qu'est-ce que faire voir ? Qui dit ce qu'il faut voir ?“(Mondzain, 2003). Les

enjeux auxquels doit se confronter le designer graphique sont ceux portant sur les conditions de la

construction de la parole et du regard des individus en interaction avec les collectifs » (Lantenois,

2010).

Ainsi, les difficultés de lecture des cartographies de l'information viennent peut être du fait que

leurs graphismes ne sont figés et qu'aucun designer n'a réussi à imposer une méthodologie de travail

assurant une lisibilité par tous. La cartographie de l'information n'est pas encore un système

cohérent et reproductible comme a pu l'être l'Isotype. Afin de permettre une diffusion et une

réappropriation plus large de cette technique, le designer/cartographe doit se questionner sur la

réception de ses images : Qui les rejettent et qui y adhèrent ? Comment inscrire dans un graphisme

des possibilités d'expression d'une parole ? Qu'est ce que rendre public une information complexe ?

La visualisation n'est donc pas une fin en soi, elle doit être utile pour un usager. Dans la partie

suivante nous nous intéresserons alors aux usages de cette technique : la prise de position, l'aide à la

43

décision et les moyens pour l'action. Nous verrons également si cette technique est appropriée pour

visualiser des données dans différents domaines de l'innovation numérique.

44

Sommaire

IV) Naviguer dans la connaissance, réduire la complexité

A.Un graphe pour convaincre, agir ou transmettre ?

B.Cartographie et données : de nouveaux domaines d'applications.

1.Open Data : transparence et participation démocratique.2.Données et entreprise : profilage et prospective.3.Journalisme de données : objectivité vs subjectivité ?4.Humanités Numériques : Explorer les controverses scientifiques et sociétales.

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IV) Naviguer dans la connaissance, réduire la complexité.

A.Un graphe pour convaincre, agir ou transmettre ?

Au regard, des parties précédentes, nous pouvons alors catégoriser les effets de la cartographie de

l'information suivant trois variables (qui peuvent se superposer suivant les contextes et les acteurs) :

• La cartographie comme outil de formulation de l'opinion. La visualisation est une preuve qui

atteste d'un phénomène, « l'objecteur se trouve dominé par le nombre de choses dont parle

l'orateur […] les inscriptions par elles-mêmes ne suffisent pas à expliquer le développement

des sciences et des techniques ; elles le peuvent seulement lorsqu'elles améliorent d'une

façon ou d'une autre la position du locuteur dans ses efforts pour convaincre».

(Latour,1985). Le graphe participe alors à une « politique d’occupation des territoires

numériques » (Ghitalla, 2010). Il ne s'agit plus seulement d'occuper le territoire, pour

convaincre, il faut faire partie de la carte.

• En conséquence la cartographie est un levier pour l'action, de la définition d'une nouvelle

orientation stratégique pour une entreprise à la réorganisation d'une infrastructure pour une

collectivité, en passant par la modification d'une habitude de consommation ou

d'alimentation15. Les graphes nous aident à capitaliser, à mobiliser le monde en une image et

à agir à distance.

• La carte est donc un outil de médiation qui rend visible l'invisible des réseaux, objet de

discussion et de confrontation, elle est « code-commun » (Ghitalla, 2010).

Le statut de la carte est maintenant démultiplié, elle est à la fois un service, un bien-commun, un

divertissement, une méthodologie (un système).

15- Sur ce sujet, voir les multiples applications qui se développent autour du mouvement Quantified self (la métrique de soi).

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B.Cartographie et données : de nouveaux domaines d'applications.

La cartographie de l'information et les données géolocalisées sont utilisées dans plusieurs

secteurs émergents de l'innovation numérique. On discutera ici de différents projets d'Open Data

(ouverture des données publiques), de datajournalisme, l'utilisation des données massives en

entreprise (business intelligence, social media analysis, prospective) ainsi que des utilisations des

graphes du web dans des projets de recherches scientifiques (UTC Compiègne, Médialab de

Science-Po).

1. Open Data : transparence et participation démocratique.

L'ouverture des données publiques est maintenant une obligation légale de toute administration

publique.16 Celle ci doit publier sur un portail, l'ensemble des données dont elle dispose sur un

territoire. La principale utilité de l'Open Data (les enjeux auxquels vont répondre les visualisations)

est une plus grande transparence dans l'action publique, afin que les citoyens, entreprises et

associations comprennent mieux l'efficacité de l'action publique. Une association va par exemple

pouvoir réutiliser des données pour montrer l’efficacité d'une politique ou la mauvaise gestion d'une

infrastructure. L'Open Data peut donc être un outil de contre-expertise. Les données permettent

alors une forme d'empowerment (capacitation citoyenne), si l'association a les mêmes données que

la collectivité, elle peut produire des analyses et agir dans un débat public. La deuxième utilité est la

production de dispositifs de participation citoyenne, de co-conception de services, et la production

pour une collectivité d'indicateurs de dynamique du territoire. Ci-dessous deux exemples

d'initiatives françaises : le projet ATTLAS porté par l'ANACT (L’Agence Nationale pour

l’Amélioration des Conditions de Travail) et le portail datalocale.fr (portail Open Data du Conseil

Général de la Gironde).

L’ANACT a pour vocation d’aider les organisations à développer des projets innovants touchant au

travail, dans le cadre d’un dialogue social constructif, pour améliorer à la fois la situation des

salariés et l’efficacité des entreprises.

16 - Les grands principes juridiques de l'Open Data sont définit par la loi CADA du 17 Juillet 1978. Cette loi a été modifiée suite à la transposition en 2005 d'une directive européenne sur concernant la réutilisation des informations du secteur public. En 2011, le CNNum a publié dans un avis 11 propositions pour l'évolution du secteur.

47

Le travail de médiation que réalisent ces groupes d’acteurs consiste en la mise en scène et l’analyse

de données de statistiques publiques, articulées à des savoirs d’expériences, des connaissances de

terrain. Le positionnement de l’agence est de ne pas livrer de corrélations statistiques toutes faites,

mais de proposer des cadres de travail mettant les acteurs en capacité de formuler des “corrélations

délibératives“ grâce à des formes d’enquêtes collaboratives, de partage d’expériences et d’expertise

collective. Le projet ATTLAS17 se base sur la réutilisation des données publiques géolocalisées et

propose une lecture nouvelle des contextes de travail dans les territoires, complémentaire aux

approches sectorielles traditionnelles.

ANACT, Répartition par secteur d'activités de femmes salariées dans le Beaujolais (ville de Morgon).

Ces visualisations deviennent alors des “appuis à la problématisation”. L'ANACT apporte auprès

des entreprises et administration une “expertise de facilitation” et un “cadre d'usage“ facilitant le

partage d'expériences, la mutualisation des ressources pour renouveler les capacités d’agir sur les

phénomènes.Toutes les données représentées font ainsi l’objet de discussions et de corrélations

commentées.18

Autre exemple, le portail datalocale.fr (image page suivante) lancé en Mars 2013 par le Conseil

Général de la Gironde, utilise les données publiques du territoire pour produire des indices de

gouvernance par département. Les sept indices permettent de comprendre comment sont répartis les

actions de la collectivité sur les thèmes de la mise en capacité des personnes, de la démocratie

locale, de la citoyenneté et des droits civiques, les instances d'actions participatives, les projets

17- Projet porté par l'ANACT, et par les associations AlterCarto, et Cité Publique.18- Pour aller plus loin, voir l'article d'Amandine Brugière de la FING : http://amandineb.tumblr.com/post/50427477023/infolab-mettre-les-donnees-en-debat-via-des-cartes

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territoriaux, l'administration et les services, et le secteur économique. Pour chaque département, le

citoyen peut également émettre un avis : suis-je entendu par les politiques ? Dois-je faire confiance

aux politiques publiques pour améliorer le bien de tous ? Je manque d'informations, je veux

davantage participer à la vie de la cité, comment faire ? Ces avis sont ensuite remontés dans les

services concernés de l'administrateur via le service du portail Open Data.

Plateforme Datalocale.fr, portail open data du CG Gironde, Mars 2013.

Exemple de l'indice de gouvernance pour le département de l'Ain.

49

2.Données et entreprise : profilage et prospective.

Les données sont maintenant une ressource puissante pour les entreprises, au delà des discours sur

la “data-déluge“, le “data nouvel or noir“ (etc) on peut affirmer que la donnée est utilisée pour :

• La traçabilité des internautes à des fins de profilage : une meilleure compréhension des

attentes des consommateurs, l'adaptation constante aux secteurs d'activité, l'analyse de la

concurrence, l'identification d'ambassadeurs qui vont être les relais en ligne d'une

entreprise... La donnée comme ressource pour le marketing.

• La cartographie des tendances, des nouveaux marchés à conquérir, de nouvelles

compétences à acquérir en interne. Ici, la donnée est outil de prospective.

• Une meilleur compréhension de son entreprise, le guidage et le management des ses équipes

et de la logistique. La donnée comme outil de management.

Dans ces trois items, la visualisation est un levier pour l'action, un outil d'aide à la décision. La

visualisation n'est pas une fin en soi, elle doit être accompagnée, contextualisée, analysée par le

discours et l'expertise. La visualisation est elle même inscrite dans un espace éditorial, une

application ou un tableau de bord, à l'image de l'utilisation qu'en fait le géant américain de la

consommation courante, Procter & Gamble.

La salle de conférence de Procter&Gamble . Photo de Tom Davenport (HBR, 2013).19

19 Image tiré de l'article How P&G Presents Data to Decision-Makers, Tom Davenport, Harvard Business Review

50

« Procter & Gamble a institutionnalisé la visualisation de données comme principal outil de gestion

sur les postes de travail de quelque 50 000 employés qui ont accès à un “cockpit de décision”. Le

but de ces tableaux de bord est d’aider les décideurs à comprendre rapidement ce qu’il se passe dans

l’entreprise. Ici, la visualisation de données doit refléter la stratégie d’une entreprise tout en restant

simple et commune à toute l’organisation, c’est-à-dire que les formats d’analyses doivent être

communs, même si les données peuvent être différentes d’un pays à l’autre ou d’un secteur à l’autre

par exemple. » (Guillaud, 2013).

La carte des produits de P&G qui montre les marchés sur lesquels les produits

sont plus ou moins en concurrence. Image de Tom Davenport (HBR, 2013)20.

« Parmi les outils mis en place par P&G, figure ainsi une visualisation qui montre les marchés sur

lesquels les produits de P&G sont plus ou moins en concurrence (la couleur rouge indique que la

part de marché est faible, la couleur verte qu’elle est forte). » (Guillaud, 2013)

Blog Network, 04/04/13, consulté le 12/06/13.

20- Image tiré de l'article How P&G Presents Data to Decision-Makers, Tom Davenport, Ibid

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3.Journalisme de données : objectivité vs subjectivité ?

Les ambivalences du journalisme de données portent sur la relation entre objectivité et

subjectivité. Alors qu'un journaliste serait censé apporter un point de vue sur un sujet, l'argument de

la visualisation de données est toujours un retour vers plus d'objectivité (par l'analyse quantitative

puis qualitative)...La donnée est une ressource intéressante pour les datajournalistes car elle est

supposée plus objective qu'une information qui a été travaillée par une agence de presse ou de

communication, par une source ou par un relais d’influence.

Les données ne transforment pas grandement l'activité du journaliste. Il s'agit toujours de

« recueillir, vérifier, analyser et rapporter des faits » pas seulement en allant sur le terrain ou par

téléphone mais en utilisant le web lui-même, « en jouant avec des informations qui sont de fait plus

structurées » (Léchenet, 2013). Le croisement entre journalisme et données est aussi simplement le

croisement entre un média récent (Internet) et un média plus ancien (la presse écrite). Ainsi le

datajournaliste ne fait que récupérer des éléments de la culture numérique : le mélange de médias

(mettre sur le même plan, texte, carte, chronologie, visualisation interactive), la co-construction

(participation à distance, crowdsourcing, démarche de street-democracy21), une personnalisation des

contenus (granularité des données, réappropriation, rendre visible l'internaute à une échelle

mondiale). Journalisme++, le réseau européen de data-journalistes (Paris, Berlin, Stockholm)

formule alors son positionnement dans un manifeste de dix items, dont voici un extrait :

« Nous croyons que la présentation de l’information peut-être améliorée significativement en

sortant de la narration traditionnelle utilisée dans la presse, la radio et la télévision.[…]

Nous croyons au journalisme. Nous ne pensons pas que l’automatisation et les algorithmes peuvent

remplacer les journalistes. Nous croyons que les êtres humains sont les meilleurs des narrateurs.

Mais leur travail peut être amélioré et enrichi grâce aux nouvelles technologies.[…]

Nous croyons que le journalisme s’est échappé des rédactions. C’est pourquoi nous œuvrons à

produire un journalisme de qualité en collaboration avec des institutions, des entreprises et d’autres

organisations non médiatiques. »

De quelle narration parle-t-on dans le datajournalisme ? Le journaliste comme “narrateur“ ? Un

21- Voir des services comme fixmystreet ou beecitiz, des outils de requêtes et de remontées d'informations du citoyen vers l'élu.

52

mélange de textes, visualisations, présentations de sources (les données) où la signature de l'article

est partagée avec l'internaute ? Un journalisme indépendant et hors des rédactions, n'est ce pas ce

que font les blogueurs spécialisés ? On ne sait pas exactement où se place ce nouveau format de

publication, il est, comme la cartographie de l'information, en pleine gestation, peu institutionnalisé,

plein de bonnes pratiques mais sans méthodologie précis (du moins en France).

Après avoir observé l'utilisation de carte dans l'univers de l'Open Data, de l'entreprise et du data-

journalisme, on peut s'interroger quant à la non-utilisation des graphes du web dans ces secteurs.

Encore réservé aux scientifiques (en biologie, médecine, sociologie, astronomie, humanités

numériques) ou aux analystes spécialisés (social média monitoring, business intelligence...) cette

forme de visualisation n'a pas encore percé tous les secteurs de l'innovation numérique, même parmi

les formes de visualisation de données elle est souvent minoritaire. Un travail d'acculturation à la

donnée et à ses usages permettrait certainement de tirer davantage des potentiels de la cartographie

de l'information.

4.Humanités Numériques : Explorer les controverses scientifiques et sociétales.

En 2010, dans une vidéo22 présentant MASCOPOL (Mapping controverses in science and

technology) Bruno Latour proposait par ce projet de « réinventer le journal », c'est à dire de

réarticuler des positions controversées, dans le but de naviguer dans les opinions, les confronter

pour pouvoir se former la sienne. Dans un contexte informationnel où toutes les thématiques sont

documentées, discutées en temps réels, où des experts existent sur n'importe quels sujets de

connaissance tant pratiques que théoriques, l'enjeux pour le citoyen/journaliste/scientifique est de

pouvoir se repérer dans ces avis divergents. Ce postulat n'est pas si loin des considérations d'Henry

Jenkins sur le “transmédia“ : à mesure que la diversification des médias est appropriée par la société

et du fait de l'hétérogénéité des canaux d'information, l'internaute est de plus en plus capable de

formuler une opinion sur un sujet complexe.

L'objectif du croisement entre cartographie de l'information et cartographie des controverses est de

documenter le social, de considérer les visualisations « comme des territoires numériques peuplés

de contenus, de liens, de connexions, de flux et de transactions (de tous types) qui peuvent être

analysés comme des traces d'usages à partir desquelles il devient possible de “lire“ le social,

notamment sous son aspect le plus dynamique. » (Ghitalla, 2009). Il s'agit en même temps de se

22- MACOSPOL Teaser French Version, par medialab Science Po, 2010. https://vimeo.com/10037198

53

repérer dans des thématiques, et de documenter les controverses elles-mêmes, de manière à

comprendre les positionnements des acteurs, leurs motivations, les pistes d'analyses et de

prospectives. La cartographie devient alors un véritable espace de représentation et d'investigation.

Le croisement entre cartographie de l'information et cartographie des controverse questionne

l'évolution de la notion “d'espace public“, les possibilités de formation du jugement et la réduction

de la complexité.

Les thématiques de connaissances et de problèmes (les controverses) deviennent les lieux mêmes de

la cartographie, l'orientation dans l'espace thématique se fera avec l'identification de pattern, un

invariant présent et identifiable, une redondance dans les corpus d'analyse qui se manifeste par un

motif graphique. La classification des données sera possible grâce à la définition d'indicateurs, de

mots, liens hypertextes, dates, flux d'informations définis en amont par une hypothèse ou un modèle

théorique. La spatialisation du graphe se constitue en liant les indicateurs de similarité textuelle (tel

mot est présent dans tel et tel article) et de proximité hypertextuelle (tel site web renvoie beaucoup

vers tel autre et inversement).

Le concept de controverse n'est pas réductible à des sujets difficiles ou polémiques. Plus largement

les cartographies permettront de comprendre les phénomènes de « coopération, dialogue,

construction commune des connaissances ou encore ignorance réciproque des acteurs, voire

“silence“ » (Ghitalla, 2009). La visualisation n'est pas une fin en soi, elle est à la fois une étape de

synthèse puis de manipulation de données si bien que pour un même objectif de recherche, l'on

produira plusieurs cartes avant d'arriver à un résultat satisfaisant. « Ce que nous appelons "pensée

rigoureuse" est probablement cette aptitude à construire des images qui peuvent être retravaillées au

deuxième degré. En partant d'elles, d'autres choses sont découvertes si bien que les représentations

finissent par avoir tout le pouvoir.» (Latour, 1985)

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Franck Ghitalla, Schéma de la construction d'une visualisation, 2009.

L'avenir de cette forme de visualisation n'est pas figée et même les publics technophiles, ne se la

sont encore très appropriée. à terme les cartographies de l'information permettront de « repérer des

phénomènes informationnels émergents à titre “d'indicateurs d'alerte“ et à titre prospectif ».

(Ghitalla, 2009). Ainsi, le fait de poser à plat un espace documentaire aussi complexe que le web

permettra de se l'approprier culturellement.

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Conclusion

Nous pouvons maintenant relier la cartographie de l'information avec les problématiques23 de fonds que pose un Internet régit par le travail de la donnée :

• Le leurre de l’objectivité. Les visualisations d'informations produites par des données quantitatives - supposées fiables et sans idéologie - nous induisent à penser que les informations qui nous sont présentées sont plus objectives que (par exemple) une enquête de terrain, un sondage classique ou un entretien téléphonique. De plus, ce n'est pas parce que l'on a une masse énorme de données que la visualisation sera plus pertinente, la récurrence du terme “Big Data“ dans les discours médiatiques vient ici jeter un certain flou.

• Le pouvoir de l’évidence visuelle. L'image a un pouvoir de conviction et de persuasion très important. Ceci ne fait que confirmer la célèbre phrase d'Otto Neurath : « Les mots divisent, les images unissent ». Cependant Neurath orientait son graphisme dans une ambition démocratique et pacifiste, ce qui n'est certainement pas le cas de tous les producteurs de visualisation de données. Un discours porté sur une visualisation peut avoir un sens tout autre que ce que révèle l'exploration de cette visualisation. Malgré tout, la matérialité de l'image reste un outil très important de sensibilisation aux enjeux de la donnée chez les publics non sensibilisés à ce tournant de l'innovation numérique.

• L’effet boîte noire. Les mécanismes de création des visualisations nous sont souvent cachées du fait qu'ils rassemblent des compétences très spécialisées et diverses : statistique, algorithmie, programmation, design d'information. L'apprentissage de la manipulation de donnée devra également passer par une bonne compréhension de la culture numérique, domaine qui n'est pas non-plus si bien compris dans le large public touché par l'utilisation des données publiques, privées ou personnelles.

• Les perturbations institutionnelles. La donnée devenue une ressource très importante, introduit alors de nouveaux conflits entre les pouvoirs publics, les entreprises et la société civile. Du contrôle de ses données personnelles par l'usager d'un service web, au désir de transparence dans l'action publique souhaité par le citoyen, nombre de nouvelles revendications émergent pour préserver liberté et justice.

• La quête d’universalisme. La cartographie de l'information marque une nouvelle étape dans la quête de l'homme pour comprendre son environnement en ligne, ses interactions sociales, les connaissances qui s'échangent...Le croisement d'immenses données hétérogènes en vue de répondre à une question précise introduit de fait, une dimension totalisante dans la constitution d'un savoir.

23 Problématiques tirées de l'article « Digital Methods : Five Challenges » de Bernhard Rieder et Theo Röhle in David M. Berry (ed.), Understanding Digital Humanities, Palgrave Macmillan, 2012.

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Bien souvent, une visualisation seule, sans contextualisation, ne suffit pas à en exploiter tout le

potentiel. Il devient alors nécessaire de créer des légendes, des discours, des rencontres et des lieux

de médiation à la donnée. La moyen le plus efficace pour créer une dynamique de réappropriation

de la donnée, serait d'arriver à ce que chacun crée des visualisations pour soi ; rendre visible

l'interaction avec ses amis Facebook grâce à un graphe, modéliser un diagramme de sa

consommation d’électricité, cartographier sa mobilité quotidienne ou encore surveiller son poids

grâce à un tableau de bord journalier : créer une dynamique de “données centrées utilisateurs“.

L'imaginaire spatial d'Internet est si fort qu'il continue d'insuffler çà et là, promesses et innovations.

La cartographie de l'information en est un exemple, tout comme le sont les nouveaux domaines de

création de l'Internet des objets et la fabrication numérique personnelle. La phase d'expansion du

numérique ne fait que continuer, “from bits to atomes“ dirait Neil Gershenfeld (professeur au MIT,

source d'inspiration du mouvement maker). Ainsi, pourquoi ne pourrait-on pas fixer nos

interactions, fixer nos réseaux dans des représentations en trois dimensions ? Une manière de

sauvegarder matériellement notre temps numérique dans un objet, une moyen aussi de formaliser et

de rendre visible nos interactions quotidiennes, c'est à dire de sédimenter notre mémoire.

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Annexe – Article issu du colloque “Cartographier les récits documentaires et fictionnels“, Maison des sciences de L'Homme, Clermont-Ferrand, Novembre 2012.

LA BALADE AU MERLAN, UNE BALLADE MÉMORIELLE ? OU LA CONTROVERSE PATRIMONIALE D’UN QUARTIER À L’ÉPREUVE D’UNE CARTE INTERACTIVE.

Caroline Bougourd (1), Loup Cellard (2), Robin de Mourat (3)

(1) CREDE, Université Paris 1 - La Sorbonne, UMR ACTE, Paris, France ([email protected])(2) UFR Communications, Université Paris 13, Paris, France ([email protected])(3) École Normale Supérieure de Cachan, Cachan, France ([email protected])

Résumé

La cité d’expériences de Noisy-le-Sec, chantier expérimental de maisons préfabriquées créée à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, est aujourd’hui l’objet d’une controverse patrimoniale. Le quartier a été inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 2000, posant de réelles questions concernant son avenir. En parallèle d’une recherche universitaire, une équipe pluridisciplinaire (un designer, un scénariste multimédia et une doctorante) s’est constituée afin de raconter cette polémique au travers d’un récit interactif mettant en œuvre une forme de cartographie numérique. Cet article est l’occasion d’un retour réflexif sur une expérience de recherche collective innovante questionnant l’usage numérique de la cartographie.

Introduction

Certains quartiers semblent déconnectés du tissu urbain alentour. Parfois en raison de leur homogénéité architecturale, d’autres fois par rapport à une rupture dans le dessin urbain ou encore vis-à-vis de leur projet. Le quartier de Merlan, où une cité expérimentale de maisons préfabriquées a été installée après la Seconde Guerre mondiale, condense diverses caractéristiques qui en font un fragment urbain original et pour lequel le découpage cartographique fournit un éclairage intéressant.

Partant d’une recherche dans le cadre de la thèse en design de Caroline Bougourd, un projet de webdocumentaire s’est peu à peu construit avec l’aide de Robin de Mourat et Loup Cellard. Ce projet s’appuie notamment sur un questionnement autour de la représentation cartographique du quartier.C’est donc un parcours, de la recherche universitaire à sa diffusion sous une forme numérique que nous allons vous présenter. En interrogeant les différents emplois de la carte dans l’histoire de la cité d’expériences comme dans notre projet, nous essayerons de mettre en lumière, à notre échelle, l’apport de la culture numérique à la cartographie.

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La cité d’expériences du Merlan

Commençons par un bref aperçu de l’histoire du Merlan.La ville de Noisy-le-Sec s’est construite autour de son importante gare de triage. Son activité ferroviaire en a fait une cible militaire stratégique lors de la Seconde Guerre mondiale et les bombardements ont détruits des îlots entiers de construction. Ces dommages de guerre viennent s’ajouter à une crise du logement qui s’éternise : le besoin tant pratique que symbolique de construction de logements prend des proportions inconnues jusqu’alors.C’est dans ce contexte qu’un projet de reconstruction et d’aménagement déclaré d’utilité publique va être mis au point par le MRU - Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme en 1945.

À la Libération, le tout nouveau Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme va, pour la première fois, prendre en charge une reconstruction centralisée du pays et s’atteler à la question du logement des classes populaires. Le MRU proposera des chantiers d’expériences afin de mettre à l’épreuve différents modèles. Un des objectifs est de parvenir à une modernisation du secteur du bâtiment par une production industrielle de logement en recourant à la préfabrication (Voldman, 1997).

La cité d’expériences est née avec le dessin d’un quartier. Non-loin de l’évocation de la cité-jardin, le quartier s’est construit autour d’un dessin urbain spécifique qui confère un caractère homogène à la cité en contraste avec la très grande variété des constructions. Tout est parfaitement ordonnancé dans un souci de qualité du tracé et une place primordiale est accordée aux espaces verts. Nous y reviendrons.

Ensuite, ce sont de petites maisons individuelles. Les cinquante-cinq maisons construites au Merlan témoignent d’une grande diversité, l’objectif étant de sélectionner des standards reproductibles d’habitat.Diversité d’abord au niveau de leur origine : l’initiative ayant donné lieu à une participation internationale, vingt-six des maisons sont issues de pays étrangers (Angleterre, Canada, États-Unis, Finlande, Suède, Suisse).Diversité ensuite concernant leur mode de fabrication : préfabriquées en série et livrées en kit ou prototypes à peine mis au point, en passant par des maisons montées en usine et livrées en tranches.Diversité enfin sur le plan de leur programme. Certaines constructions sont simples, d’autres jumelées, elles peuvent comprendre entre deux et cinq pièces principales, être de plain-pied ou comporter des étages et être proposées plus ou moins meublées. Les équipements intérieurs sont sujets à comparaison, les cuisines comme les salles de bain constituant un élément clé de l’expérimentation (Caroux, 2012).

Mais le Merlan est aussi une expérience sociale. Celle-ci se traduit d’une part par le processus d’attribution des logements. Destinées aux familles de condition modeste sinistrées de la commune, les maisons sont proposées à la location sous certaines conditions, à des familles triées sur le volet suivant une enquête d’honorabilité effectuée par une assistante sociale.D’autre part, les locataires retenus devaient rendre compte de l’impact du plan de leur logement sur leurs modes de vie. Les enjeux principaux concernaient la cuisine et l’hygiène. Les fonctionnaires du MRU espéraient que le logement amènerait une transformation sociale en améliorant la vie familiale des classes populaires.

Du début du chantier en 1945 jusqu’en 1951, la cité fut aussi un parc d’exposition.En effet, les locataires devaient laisser visiter leur maison, deux fois par semaine, à des publics extrêmement divers. Le MRU organisa ces visites dans une volonté de communication, mais aussi

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en vue de recueillir l’avis des visiteurs, au travers de comptes-rendus, questionnaires et autres enquêtes aujourd’hui en dépôt aux Archives nationales.

À la fois lieu de vie et d’exposition, le quartier prend toute sa dimension dramatique quand on le confronte au temps qui passe : du projet des constructeurs à la vie réelle, le quartier a évolué pour s’émanciper de son statut premier, modifié et banalisé par les habitants successifs. Depuis 2000, le site est inscrit à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques.

Lors de la création du quartier comme aujourd’hui, la constitution des plans a joué un rôle majeur. En effet, la cité a été dessinée sur une table rase, le terrain étant au préalable occupé par des jardins potagers, sans tracé de voirie officielle. Il y a eu, tout d’abord, la création d’un axe qui va délimiter deux îlots urbains et paysagers. Au centre, sont aménagés deux squares, accessibles depuis des cheminements piétons publics ou par l’arrière des maisons. Chaque habitant bénéficie d’un terrain relativement grand bordé de troènes, comprenant jardin potager, jardin d’agrément et poulailler, parfois même un clapier.

Dès lors, la plupart des documents présentent le quartier comme un lieu en soi, séparé du reste de la ville. Les cartographes de l’époque ont systématiquement découpé le plan de façon à ne présenter que le terrain occupé par la cité, en l’excluant totalement de son environnement immédiat. Dans une logique d’exposition, c’est la localisation du quartier qui compte dans les cartes à grande échelle afin que les visiteurs puissent arriver jusqu’au lieu. Les cartes centrées sur le quartier le montrent comme un fragment urbain, son insertion dans l’existant n’a alors pas de sens puisqu’il est censé représenter l’environnement résidentiel du futur, en contraste avec un bâti contemporain en ruines ou obsolète. Sa déconnexion du reste de la trame urbaine est, d’une certaine façon, idéologique.

En 2008, dans la brochure réalisée pour les Journées du Patrimoine, la cité était à nouveau représentée comme un fragment. Ainsi, en regardant le plan, on ne pouvait imaginer l’autoroute qui passe sur un pont à quelques centaines de mètres, ni le grand centre commercial à proximité, pas plus que l’imposant complexe scolaire qui longe la cité.En bref, la cité a toujours été considérée comme un objet urbain à part, déconnecté de la ville.

Prémices du projet

Une cartographie sonore du quartier

Dans le cadre d’une démarche de recherche empirique, Caroline Bougourd a réalisé une première proposition tournée vers la création d’un portrait polyphonique du quartier. Celle-ci a pris la forme d’une cartographie sonore accessible via un site Internet.

La démarche adoptée est celle des parcours commentés, proche de la méthode des itinéraires du sociologue Jean-Yves Petiteau (Grosjean et Thibaud, 2008). Différents visiteurs ont été enregistrés dans la cité d'expériences du Merlan avec pour seule demande de décrire ce qu’ils voyaient avec le plus de précision possible. Tout le contraire d’une visite guidée : la visite est ici intuitive, totalement subjective et énoncée comme telle dès le départ. Il s’agit non pas d’une carte appréhendable immédiatement, visuellement d’un seul coup d’œil, mais d’un espace qui se donne à imaginer, qui se laisse découvrir progressivement. Il est donc question du temps, ou plutôt des temps : celui de la

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marche, celui de la parole et celui de l’écoute. Le registre de la carte et de l’attention portée à l’espace est ici volontairement sensible et totalement subjectif.Souhaitant se détacher d’un dessin urbain trop prégnant, l’idée était de faire oublier la carte du quartier. C’est pourquoi la représentation visuelle est ici remplacée par une description orale, par un ensemble de trajectoires à écouter. Le pari est de faire appel à un autre régime de perception de l’espace pour offrir une nouvelle appréhension du territoire.

Cette expérimentation, si elle a permis de renouveler le regard sur un terrain déjà connu et de proposer un portrait polyphonique du quartier, restait insuffisante. Ancrée uniquement dans le présent, totalement subjective et trop peu problématique.

Comment donner d’avantage la parole au lieu lui-même ? Et surtout, comment rendre compte de la controverse patrimoniale inhérente à l’histoire du quartier ?

Des trajets sonores

Dans un second temps et après le lancement du projet, une deuxième expérimentation nous a permis de réfléchir sur la forme médiatique à adopter pour éclairer au mieux l’histoire du quartier.C’est à l’occasion d’un cours de quelques semaines réalisé au CNAM avec Cécile Le Prado, compositrice et chercheuse dans le domaine des paysages sonores, que Robin de Mourat a eu l’occasion de travailler sur le projet d’une nouvelle version du portrait polyphonique du quartier du Merlan, laissant cette fois une place plus importante au lien entre visualité, son et interactions de l’utilisateur. Ce second projet se fonde sur la figure du flâneur : un personnage qui en se baladant dans une vue aérienne du quartier, déclenche des contenus sonores au fur et à mesure de sa marche.Au cours de sa route, l'internaute/flâneur déclenche plusieurs types d’objets sonores qui tissent progressivement une représentation de l’histoire et des différents thèmes narratifs et « ambiances » du site.

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Ces objets sonores sont des enregistrements réalistes pris sur place, lesquels coexistent avec des extraits de bande-son à valeur historique tels que des extraits radiophoniques ou encore des témoignages de personnages fictifs venant à la rencontre de l’utilisateur pour lui raconter leur histoire. Outre ces objets sonores figuratifs, le workshop a été l’occasion d’expérimenter d’autres moyens, plus suggestifs, d’utiliser le son. En effet, Robin de Mourat a pu travailler sur la caractérisation sonore des maisons, éléments centraux dans l’histoire du quartier, et également ce que nous avons appelé des « bouffées de souvenirs ressentis », compositions plus ou moins suggestives ponctuant les moments du récit en en soulignant les différentes « couleurs » et temps forts de l’histoire de la cité d’expériences.L’ensemble de ces objets sonores et autres « bouffées de souvenirs » sont accessibles à travers différents modes de déclenchement, qui dépendent de critères relatifs aux choix et comportements de l’utilisateur.

À travers cette seconde expérimentation, la cartographie du quartier du Merlan est donc abordée comme production active de la part de l’utilisateur : ce dernier dévoile progressivement une image du quartier par flânerie dans un espace recomposé numériquement. La construction d’une « image » du quartier, avant tout sonore, est donc construite par le spectateur lui-même au moyen de ses choix de déambulation successifs. Ce portrait se compose d’une juxtaposition d’impressions sonores associées à divers lieux remarquables de la cité d’expériences.

Le projet comme moyen de recherche : diffusion et modélisation

En dialoguant avec le service Patrimoine du Conseil Général de Seine-Saint-Denis, déjà impliqué dans le quartier depuis quelques années, l’idée est apparue d’une « visite virtuelle » du Merlan. Mais le terme semblait assez peu approprié et la construction du projet a successivement porté le nom de « parcours commentés », plus récemment de « webdocumentaire », voire « web-docu-fiction », sans qu’aucun terme ne soit satisfaisant. La rédaction du projet se précise depuis qu’une équipe de travail s’est constituée : Robin de Mourat, un designer orienté interaction, Loup Cellard, en formation de scénariste nouveau média et Caroline Bougourd, doctorante en design. L’objectif est d’exposer une forme alternative de recherche, à la fois théorique et pratique, à destination d’un public élargi.Pour le moment, nous qualifions le projet de « récit interactif » et le titre est : « Une balade au Merlan, une ballade mémorielle », jouant sur les deux sens de bal(l)ade : promenade et pièce vocale.

Notre projet de récit interactif

Avec ce projet nous entendons rendre compte de la controverse patrimoniale autour de la cité du Merlan pour la mettre en lien avec le vécu des différentes générations qui s’y sont succédées. Le débat autour de la conservation ou non-conservation du patrimoine architectural du quartier constituera le fil rouge de ce récit interactif.Différentes questions découlent de cette problématique : Faut-il sauvegarder religieusement la cité ou la laisser évoluer ? Comment négocier l’avenir du quartier : quel choix d’avenir préférer entre conserver, détruire, rénover, restaurer ou réhabiliter ? Où situer la marge de manœuvre entre une muséification étouffante et une dénaturation condamnable ?Au-delà du bâti qui témoigne d’un passé, le récit interactif mettra en scène le patrimoine immatériel, les traces de mémoire des hommes et femmes qui ont parcouru ces maisons. Notre volonté est davantage de dresser un portrait polyphonique précis du quartier que de trancher

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définitivement sur l’enjeu de la patrimonialisation de la cité du merlan.

Le dispositif

« Une balade au Merlan » se fonde sur la figure du flâneur, figure emblématique de l’expérience urbaine moderne.Le spectateur/utilisateur qui en fait l’expérience est confronté à une interface numérique qui lui présente une vue aérienne du quartier de la cité du Merlan, dans lequel il dirige un petit personnage représentant un promeneur anonyme. L’internaute est ce flâneur. Il suggère alors au personnage de se rendre à tel ou tel endroit du quartier, et observe le résultat. Au fur et à mesure des déplacements sur l’écran, des contenus se débloquent et viennent troubler la vue aérienne. Des vidéos et images venues du passé ou du présent apparaissent en filigrane ou s’imposent à la vue, qui elle-même change d’aspect en fonction de l’époque correspondant aux évènements relatés.

L’environnement sonore donne à sentir toute la densité et la présence du fond historique de la cité, invisible quand on la parcourt au premier abord.Tous ces souvenirs ne sont pas programmés de manière prévisible et stricte : une grande part est laissée à l’aléatoire de manière à ne pas fournir la même expérience à deux spectateurs distincts et à ne jamais révéler toute la richesse des contenus proposés.

Les éléments du scénario : les conteurs

Des « conteurs » accompagneront le flâneur dans la compréhension du quartier et dans cette controverse patrimoniale. Les propos d’anciens occupants côtoieront la parole des nouveaux, des personnages d’historiens et d’urbanistes viendront éclairer certaines séquences, les expériences de divers acteurs locaux seront retranscrites...L’entrepreneur, l’ouvrier, l’assistante sociale, l’habitant, le maire, l’historien, l’architecte des bâtiments de France présenteront les différents enjeux propres au Merlan.

Les maisons

L’histoire des maisons et leur état aujourd’hui permettent d’imaginer des moments clés du récit qui rendent compte de la controverse patrimoniale. Quatre maisons ont été choisies comme témoins des différentes situations face à la conservation, la destruction, la réhabilitation et la dénaturation du patrimoine bâti.

Le rôle de la carte dans notre projet

L’interface, telle qu’elle est conçue à ce jour, peut être assimilée à une carte dans le sens où elle distribue spatialement et en deux dimensions (sur la surface de l’écran) des informations complexes. Le choix de la carte comme interface apparaît à la fois comme évident (l’objet d’étude est spatial) et problématique, car la « cartographie » devient un véritable lieu commun de la représentation, et un terme aux usages de plus en plus vagues. La carte permet de structurer des informations dans l’espace, d’assembler et de partager des savoirs.D’autre part, notre « carte » ne va pas être unique puisque qu’elle va être travaillée par un style graphique spécifique pour chaque moment du récit et donc évoluer pendant le parcours de l’internaute. Elle va davantage créer un espace sensible que dessiner des frontières. L’animation du flâneur et des autres évènements vont permettre à la carte d’être vivante et en mouvement. Chaque internaute aura finalement sa propre carte puisque seule sa flânerie va construire l’espace du récit. Le quartier sera vu selon un point de vue en plongée, quasiment une vue aérienne : mais alors peut-on parler encore de carte ? On peut s’interroger sur la manière dont ce choix esthétique va

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déterminer la place de l’internaute : avec une vue aérienne ce spectateur aura à la fois un aperçu global du quartier et une certaine distance quant à celui ci. L’immersion est d’une certaine manière limitée pour favoriser la contemplation, propre à la dérive du flâneur.

Est-on en train de construire une cartographie de cette controverse ?

Notre but n’est pas réellement de spatialiser définitivement les personnages, institutions ou lieux de la controverse patrimoniale du quartier. On ne cherche pas non plus à constituer un inventaire exhaustif des débats et acteurs de la controverse. L’objectif est plutôt de donner à l’internaute des fragments de l’histoire du lieu, des clés de compréhension afin qu’il puisse en saisir différents enjeux et poursuivre plus en profondeur sa recherche s’il le souhaite. Et ainsi de se forger une idée sur l’avenir à souhaiter au quartier.Différentes questions demeurent : une vue aérienne est-elle toujours une carte ? Ne pourrait-on pas parler de panorama ? Comment traduire les strates temporelles par une représentation spatiale ? Comment travailler dans l’épaisseur de la carte pour y organiser un contenu complexe ? Côté concepteurs, en quoi la cartographie et l’utilisation de cartes peut-elle être un outil de représentation et d’organisation de ce contenu complexe destiné à l’interactivité ? Côté spectateur, quel équilibre trouver entre image de pensée et navigation ? Comment lier l’espace et le discours ?

Vers une nouvelle cartographie par le numérique

Récit et espace

Face à ces questions, nous voulions enfin revenir sur le rapport qu’entretiennent la carte et le récit dans le cadre des médias numériques, question centrale dans la conception de notre projet.

Dans le chapitre « récit et espace » de L’Invention du quotidien, Michel De Certeau met à jour les mécanismes des récits spatiaux que nous faisons pour nous représenter nos espaces de vie : y cohabitent deux figures qu’on pourrait définir comme celle de la « carte » et celle du « parcours » : la carte décrit un ordre des lieux et est associée à un ensemble d’opérations (« comment entrer dans chaque pièce »). Elle relève de la vue, alors que les parcours sont un ensemble de « chemins » qui tissent des vecteurs pour décrire l’espace. Ce sont donc des actions qui relèvent du déplacement ou plutôt de la possibilité de déplacement et des conséquences de ce déplacement.

De Certeau montre par ailleurs comment ces deux formes (carte et itinéraire) sont inextricablement liées pour construire nos représentations de l’espace à travers des récits qui associent ces deux modes d’appréhensions spatiales. Les espaces sont toujours tissés par des récits et les récits toujours liés à une forme plus ou moins littérale de rapport à l’espace.

Dans cette relation entre récit et espace, on peut se demander quelles mutations entraînent l’avènement de la carte numérique. La réinscriptibilité des écrans d’une part et l’extrême plasticité des données numériques d’autre part, font de la carte numérique une figure actualisable, qui peut évoluer en fonction du récit qu’elle porte, ou à l’inverse être une figure actionnable quand elle devient l’instrument de la construction d’un récit qu’elle permet par son interactivité.

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Navigation et espace numérique

Pour comprendre les formes de récit que nous autorisent ces nouvelles propriétés de la carte, il serait peut-être intéressant de s’intéresser à la relation entre carte et récit dans le jeu vidéo.Parmi les différentes facettes de la production d’un jeu vidéo, le « level design » est un métier particulièrement intéressant qui consiste à concevoir les « niveaux » (levels) des jeux vidéos : c'est-à-dire, à connecter dans un même geste de conception le travail du scénario (un récit), du gameplay (des principes d’interaction) et du dessin du « niveau » (un espace).Cette synergie opérée par le level design se voit particulièrement dans les jeux vidéos proposant une vue aérienne en deux dimensions, tels certains jeux d’aventure des années 1980 comme « The legend of Zelda ».Le level design consiste donc, par la construction d’une « carte » ou tout du moins par un travail cartographique, à conjuguer les actions possibles pour le joueur, le récit qui motive la partie, et une expérience esthétiquement riche du parcours d’un espace.Dans la plupart des jeux vidéos, c’est une forme de navigation dans l’espace qui conditionne et motive l’évolution du récit, mais on pourrait également penser aux multiples métaphores spatiales et maritimes qui peuplent le vocabulaire d’Internet : la navigation est une figure majeure de la pratique des nouveaux médias.Dans Le langage des nouveaux médias, Lev Manovich montre comment l’espace navigable est une forme dominante des nouveaux médias, depuis les dioramas du XIXème siècle jusqu’à nos jeux vidéos contemporains.

Par ailleurs, la spatialisation des ensembles de données numériques est un projet récurrent du web : on peut remonter au projet jamais réalisé du cyberespace – un « Internet perceptualisé où les données auraient été rendues sensibles » (Manovich, 2010, p. 441) par des simulations virtuelles d’espaces tridimensionnels –, ou encore au projet geocities, qui comparait explicitement son réseau de pages personnelles à une ville virtuelle et dont le designer Richard Vijgen propose aujourd’hui une carte interactive (https://vimeo.com/55431868 ).

Ce besoin de « spatialiser » l’expérience et les représentations des espaces de données, se heurte cependant souvent à la complexité de celles-ci, ce qui les rend irreprésentables par un simple espace visuel statique. Face au succès mitigé de ces différentes entreprises de spatialisation, on peut supposer que c’est plus l’expérience et les opérations de navigation que la représentation spatiale elle-même qui font sens vis-à-vis de la conception d’espaces numériques.

Manovich avance ainsi que « l’espace fonctionne dans la culture informatique comme quelque chose qui est traversé par un sujet, comme trajectoire plutôt que comme étendue vide. » (Manovich, 2010, p. 480)Et de conclure que « la caractéristique essentielle de l’espace informatique est sa navigabilité » (Manovich, 2010, p. 452), faisant de la carte numérique quelque chose qui prend davantage son sens comme « espace navigable » que comme espace servant de support ou d’aide à une navigation.

Les limites de la notion de cartographie dans l'espace numérique

Cela nous permet de conclure sur la question de la dimension cartographique de notre projet : au fil de la préparation de cette contribution, nous nous sommes questionnés de manière croissante sur l’appartenance de notre dispositif au registre de la cartographie. Outre le fait que notre interface n’est pas une carte à proprement parlé mais une vue aérienne, on peut tout de même avancer que les principes d’interaction du documentaire sont articulés avec une distribution spatiale des contenus sonores et visuels dans l’espace virtuel du quartier. Cela dit, le récit dont il est l’objet se construira

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plus sur la trajectoire et les actions de l’utilisateur que sur une vision globale et cartographique des contenus qui seraient « mis à sa disposition » de manière claire et exhaustive : nous nous plaçons donc au cœur de l’interaction problématique entre carte et récit, oscillant entre la cartographie d’un sujet d’étude et le récit progressif et incertain que nous proposons pour permettre son exploration.

Bibliographie

Caroux H. (dir.), 2012. Réinventer la maison individuelle en 1945 : La cité expérimentale de Noisy-le-Sec, Éditions d’Art Somogy, Département de la Seine-Saint-Denis, France, 168 p.

de Certeau M., Giard L., Mayol P., 1990. L’Invention du quotidien, tome 1 : Arts de faire, Éditions Gallimard, Collection Folio essais, Paris, France, 347 p.

Grosjean M., Thibaud J.-P. (dir.), 2008. L’espace urbain en méthodes, Éditions Parenthèses, Collection eupalinos, série Architecture et Urbanisme, Marseille, France, 214 p.La Cité expérimentale de Merlan, Noisy-le-Sec, brochure réalisée par la Ville de Noisy-le-Sec, le Conseil Général de Seine-Saint-Denis et le CAUE 93, pour les Journées du Patrimoine 2008, 64 p.

Manovich L., 2010. Le langage des nouveaux médias, Éditions Les presses du réel, Collection Perceptions, Saint-Étienne, France, 605 p.

Voldman D., 1997. La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954. Histoire d'une politique, Éditions L'Harmattan, Paris, France, 487 p.

Notice biographique

Caroline Bougourd.Enseignante agrégée d’Arts Appliqués en disponibilité sur un poste de doctorante contractuelle à l’Université Paris 1 - La Sorbonne, UFR Arts et Sciences de l’Art, UMR ACTE. Doctorante contractuelle en Design à Paris 1 - La Sorbonne sous la direction de Pierre-Damien Huyghe. Thèse en cours : Constitution et délimitation de la notion de patrimoine architectural au travers de la traduction patrimoniale de la cité du Merlan.Membre fondatrice de l’équipe éditoriale, de la rédaction et du comité de lecture de la revue numérique Strabic, qui a pour objectif de porter un autre regard sur le design.

Loup CellardÉtudiant en Licence Scénariste Nouveaux Médias à l'Université Paris 13, il travaille comme Assistant chef de projet à la FING – Fondation Internet Nouvelle Génération – sur les sujets d'Open Data, d'entrepreneuriat et de démocratie numérique. Diplômé de l'INA en BTS Production Audiovisuelle, il s'intéresse aux nouvelles formes de médiations et scénarisations apportées par les technologies numériques. Il est également chargé de rédaction, membre de l’équipe éditoriale de Strabic, revue numérique critique sur le design.

Robin de MouratDesigner et élève de l’École Normale Supérieure de Cachan, département design. Après l’obtention d’un Diplôme Supérieur d’Arts Appliqués en design de produits obtenu à l’école Boulle en 2011, et d’un Master en Informatique spécialité « Design et Développement des Objets, Médias et Espaces Numériques » délivré par le CNAM en 2012, il oriente sa pratique vers les usages et les formes

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engendrés par les mutations sociétales et esthétiques liées aux technologies numériques. Il travaille plus particulièrement sur la relation entre design et recherches en sciences humaines dans le cadre du mouvement des digital humanities.

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Bibliographie générale :

Sciences Humaines et sociales

Paul Otlet, Traité de documentation. Le livre sur le livre, Bruxelles, Ediciones Mundaneum, 1934. Cité par Benoit Peeters, Ibid.

Benoît Peeters, Paul Otlet, Le bibliographe rêveur, Revue de la BNF n°42 – 2012.

Jacques Rancière, Le partage du sensible, Editions La Fabrique, 2000

Jérémy Rifkin, La troisième révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer l'énergie, l'économie et le monde , Éditions Les Liens qui libèrent, 2012. 1ère édition, Palgrave Macmillian, 2011.

Humanités numériques :

David BIHANIC, Thomas POLACSEK. Visualisation of Complex Information Systems, (FR) “Visualisation de Systèmes d’Informations Complexes“, Studia Informatica Universalis, Hermann editions, Paris, Vol. 10, Special issue: “Computer and Mathematical Modelling for Complex Systems: methodological advances”/”Modélisation informatique et mathématique des systèmes complexes : avancées méthodologiques”, June 2012

Dominique Cardon dans la préface à l'édition française du livre de Fred Turner, Aux sources de l'utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture, Stewart Brand, un homme d’influence. C&F éditions, 2012.

Franck Ghitalla, « L’atelier de cartographie. Pratique et enjeux des cartographies thématiques de documents web », 2008, article en ligne. http://ateliercartographie.com/ateliercartographie.pdf

Lev Manovich dans Le langage des Nouveaux Médias, Presses du réel, 2010 pour la traduction française. 1ère édition, MIT Press, 2001.

Louise Merzeau, L'intelligence des traces. 2013. Publié sur hypothèses.org. http://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/888/files/2013/02/Merzeau_intelligence-des-tracesBAT.pdf

Tel Nelson. What's on my mind, The First Wearable Computer Conference, Fairfax VA, May 12-13, 1998, <www.xanadu.com.au/ted/zigzag/xybrap.html>.

Jean-Christophe Plantin. D’une carte à l’autre : le potentiel heuristique de la comparaison entre graphe du web et carte géographique in Analyser le web en Sciences Humaines et Sociales , Barats C (dir.), 2012, Armand Colin.

Bernhard Rieder et Theo Röhle « Digital Methods : Five Challenges » in Understanding Digital Humanities, David M. Berry (ed.), Palgrave Macmillan, 2012.

Antoinette Rouvroy et Thomas Berns, Le nouveau pouvoir statistique in Multitudes, N°40, 2010/1. Disponible en ligne : http://www.cairn.info/article.php?

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REVUE=multitudes&ANNEE=2010&NUMERO=1&PP=88

Jean-Michel Salaün, Vu, Lu, Su, Les architectes de l'information face à l'oligopole du Web. La Découverte, février 2012.

Fred Turner, Aux sources de l'utopie numérique,C&F Editions, traduit par Laurent Vannini, supervision éditoriale : Hervé Le Crosnier, 2012. 1er édition : From counterculture to cyberculture. Stewart Brand, The Whole Earth network, and the rise of digital utopianism. University of Chicago Press, 2006.

Design d'information et culture visuelle :

Jacques Bertin, Sémiologie graphique, Paris, Mouton/Gauthier-Villars, 1967.

Jeremy Black, Regards sur le monde Une histoire des cartes, trad. Christine Chareyre, Paris, Octopus-Hachette Littérature, 2004, p.48. Cité par Gilles A.Tiberghien, Finis terrae. Imaginaires et imaginations cartographiques. Collection « Le rayon des curiosités ». Bayard, 2007.

Stewart Brand, Last Whole Earth Catalog, 1971.

Richard Buckminster Fuller in E3 – Energy, Earth and Everyone. Une stratégie énergétique globale pour le vaisseau spatial terre ? World game, 1969-1977, Richard Buckminster Fuller, Gene Youngblood et Medard Gabel, Éditions B2, octobre 2012. Cité par Caroline Bougourd sur strabic.fr.

Marie-Haude Caraës , Nicole Marchand-Zanartu, Images de pensée, Postface de Jean Lauxerois. Editions de la Réunion des musées nationaux, 2011.

Nelson Goodman, Problems and Projects, Indianapolis, Hackett Publishing Co, 1972.

Annick Lantenois, Le vertige du funambule. Le design graphique entre économie et morale. Éditions B42, 2010.

Manuel Lima, « Cartographies des réseaux. L'art de représenter la complexité. », Éditions Eyrolles, 2013.

Mark Lombardi, The Recent Drawings:An Overview, manuscrit inédit, 2000, archives Mark Lombardi, galerie Pierogi, Brooklyn, New York. Cité par Marie-Haude Caraës , Nicole Marchand-Zanartu, Images de pensée, Editions de la Réunion des musées nationaux, 2011.

Marie Neurath et Robin Kinross, Le Transformateur, Principes de création des diagrammes Isotype.Editions B42, 2013, traduit de l'anglais par Damien Suboticki. 1ère édition: The Transformer : Principles of making Isotype Charts, Hyphen press, Londres, 2009.

Markos Novak, « Liquid Architecture in Cyberespace », in Michael Benedikt (dir.), Cyberespace : Five Steps, Cambridge, Mass, MIT Press, 1991, p225-254. Cité par Lev Manovich dans Le langage des Nouveaux Médias, Les presses du réel, 2010 pour la traduction française. 1ère édition, MIT Press, 2001.

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Robert Smithson : Une rétrospective, Le paysage entropique, 1960-1973, RMN Editions, 1993. Cité par Gilles A.Tiberghien, Finis terrae. Imaginaires et imaginations cartographiques. Collection « Le rayon des curiosités ». Bayard, 2007

Gilles A.Tiberghien, Finis terrae. Imaginaires et imaginations cartographiques. Collection « Le rayon des curiosités ». Bayard, 2007.

Paul Virilio, Azimuts, Design, recherche et enseignement, n°33 Saint-Etienne, Cité du Design Éditions, 2009.

Webographie :

Giuseppe Attoma, fondateur de l'agence de design de services et expérience utilisateurs Attoma, Entretien réalisé par Caroline de Francqueville pour Chronos, 07/04/13 consulté le 06/06/13. http://www.groupechronos.org/themas/entretiens/entretien-avec-giuseppe-attoma-fondateur-de-l-agence-de-design-de-services-et-experience-utilisateurs-attoma

Amandine Brugière, #INFOLAB METTRE LES DONNÉES EN DÉBAT, VIA DES CARTES DÉLIBÉRATIVES, 14/05/13 consulté le 07/06/13. http://amandineb.tumblr.com/post/50427477023/infolab-mettre-les-donnees-en-debat-via-des-cartes

Hubert Guillaud, Les nouveaux risques (et opportunités) des entreprises, Internetactu.net, 18/04/13 consulté le 07/06/13. http://www.Internetactu.net/2013/04/18/les-nouveaux-risques-et-opportunites-des-entreprises/

Mathieu Jacomy , « La carte comme système complexe » Entretien avec Jean-Christophe Plantin pour ludigo.net. 15/12/2009 consulté le 01/06/13.http://www.ludigo.net/index.php?rub=4&dossier=3&focus=212864&doc=212866&fsize=2

Journalisme++, Le manifeste de Journalisme ++, 2011, http://jplusplus.org

Alexandre Léchenet (datajournaliste, Lemonde.fr) alphoeni.net, 01/05/13 consulté le 07/06/13. https://www.evernote.com/shard/s61/sh/6790c6d9-38fb-4491-ac70-e74f399eee6f/a9f4c0d039e487837c3167ad9f132aea

Viktor Mayer-Schönberger. Entretien réalisé par Nora Young pour CBC Radio, 01/05/13. Cité par Martin Lessard in "Big Data : les mauvaises connexions", Blogues radio Canada. 23/05/13 consulté le 06/06/13. http://blogues.radio-canada.ca/triplex/2013/05/23/big-data-les-mauvaises-connexions

Rémi Sussan, De la "Data Science" à l'infovisualisation (1/2) : qu'est ce qu'un data scientist ? , Internetactu.net, 06/03/13 consulté le 12/05/13. http://www.internetactu.net/2013/03/06/de-la-data-science-a-linfovisualisation-12-quest-ce-quun-data-scientist/

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