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La Bolivie : des Andes vers les Orients Disparités spatiales et dynamiques socio-économiques Louis Arreghini Jean-Claude Roux avec la collaboration de : Jorge Córdova C. Ismael Gonzalés T. Berta Gozalvez K. IRD - UMSA - Ordenamiento Territorial

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  • La Bolivie : des Andes����� vers les OrientsDisparités spatiales et dynamiques socio-économiques

    Louis ArreghiniJean-Claude Roux

    avec la collaboration de :Jorge Córdova C.Ismael Gonzalés T.Berta Gozalvez K.

    IRD - UMSA - Ordenamiento Territorial

  • La Bolivie : des Andes vers les Orients

    Disparités spatiales et dynamiques socio-économiques

    Louis ARREGHINI et Jean-Claude ROUX

    Montpellier, 2000

  • La Bolivie : des Andes vers les Orients. Disparités spatiales et dynamiques socio-économi-ques.© IRD 2000 58 cartes, 30 graphiques

    Cet ouvrage a été conçu et rédigé par :Louis ARREGHINI, IRDJean-Claude ROUX, IRD

    avec la collaboration de :Jorge CORDOVA C., UMSAIsmael GONZALES T.Berta GOZALVES K

    Analyse des données : Louis ARREGHINICartographie : Louis ARREGHINI, Ismael GONZALESModèles graphiques : Louis ARREGHINI, Jean-Claude ROUXMaquette et mise en page : Nathalie FINOT

  • Remerciements

    Cet ouvrage est dans le droit fil de travaux engagés au sein de la carrera de géographie de la faculté de géologie de la Universidad Mayor de San Andres (UMSA). Nous remercions particulièrement pour leur amicale collaboration, de 1995 à 1997, l'ingénieur Jorge Córdova, actuel vice-doyen, l'architecte Berta Gozalvés, Professeur de géographie et le licencié Ismael Gonzalés.

    Pierre Gondard, directeur de recherche à l'IRD, a bien voulu assumer la lourde tâche d'une recension amicale de ce texte. Qu'il soit remercié pour cette ingrate mais tonifiante participation à ce travail.

    Louis ARREGHINI et Jean-Claude ROUX

  • Introduction

    Intégration régionale et déséquilibres territoriaux dans les pays andins

    En dépit d’un bilan mitigé après trente années de pratiques, l’intégration régionale apparaît de plus en plus indispensable aux pays andins pour affronter les nouvelles réalités introduites par l’accélération de la globalisation économique. C’est également le cas pour l’ensemble des États d’Amérique Latine, - « Un extrême occident inachevé et un tiers-monde imparfait » selon la formule d’A. Rouquié (DOLFUSS, 1997) - presque tous impliqués maintenant, certes à des degrés divers, dans des processus de construction régionale.

    Dès 1969, la Bolivie, le Chili, la Colombie, l'Équateur et le Pérou - rejoints en 1973 par le Venezuela - souscrivent à l'Accord de Carthagène, scellant ainsi le Pacte Andin. Mais celui-ci souffre de difficultés internes qui aboutissent au retrait du Chili, en 1976, puis à la mise entre parenthèses du Pérou.

    L'entrée en vigueur, en 1995, conséquence du Traité d'Asunción de 1991, d'un marché commun sud-américain, le MERCOSUR, formé par le Brésil, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay et auquel se sont associés le Chili, en 1996 et la Bolivie en 1997, a ravivé l'intérêt pour les constructions régionales en Amérique du Sud. Aussi, depuis 1997, les pays andins tentent de redynamiser l'intégration et la coopération régionale au sein d'une Communauté Andine des Nations (CAN).

    La communauté souhaite faciliter son insertion dans des processus d'intégration plus larges (pour les relations avec le MERCOSUR ou au sein de l'Accord de Libre Commerce des Amériques, ou avec le projet de création d'une Z.E.L.A. - Zone Economique de Libre-échange - appuyée par les États-Unis).

    Par ailleurs, les pays andins ont aussi pris conscience qu'une intégration pan andine ne se ferait pas sans le préalable d’une intégration interrégionale. Dans ce contexte, le développement des infrastructures, l'optimisation des facteurs de production et la consolidation de ce marché commun sont les principaux objectifs économiques visés pour atteindre le degré d'intégration régionale recherché par les pays andins. Ils doivent être complétés par la réalisation d'objectifs sociaux et culturels visant à améliorer les niveaux éducatifs et de qualité de vie des habitants des régions restées les plus marginales.

    Pour le géographe, l'enjeu de l'intégration peut être mis en perspective dans une analyse cartographique combinant un emboîtement d'échelles successives, en jouant aussi bien sur la résolution (taille de la maille) que sur l'espace pris en compte (du finage villageois aux grands ensembles continentaux). C’est avant tout pour chaque pays, connaître ses propres structures, ses atouts et ses déséquilibres.

    Cette évaluation doit assurer donc le passage d'une vision locale à une vision globale dynamique dans ce contexte, seul moyen d'instaurer les indispensables synergies recherchées.

    C'est dans ce cadre qu'un diagnostic des territoires en termes d'analyse spatiale prend tout son intérêt compte tenu du fait que « … l'ouverture des frontières conduit les différentes régions à repenser leur insertion dans un espace économique plus vaste où les effets de position se trouvent modifiés… Il y a donc, dans cette géométrie évolutive, une sorte d'emboîtement des espaces où les signataires du Traité d'Asunción doivent repenser chaque fois leur posture » (BRET, 1998).

    Les réformes impliquées par la politique d'intégration andine risquent sinon de se heurter aux effets des déséquilibres territoriaux comme aux lignes de force nées des dynamiques récentes. Cette

  • évaluation des territoires aura pour objectif de souligner et de caractériser ces tendances comme de susciter des questionnements découlant des simples logiques constatées. Celles-ci doivent inclure le rôle des groupes de pression anciens comme ceux plus récents et plus pesants (avec le narcotrafic) et prendre aussi en compte les problématiques nées des litiges frontaliers.

    En effet, on constate que dans les régions soumises à des contentieux frontaliers, le développement des activités et des échanges est souvent paralysé. Cela entraîne une marginalisation progressive de ces zones frontières litigieuses (frontières Pérou-Équateur, Bolivie-Chili-Pérou, Colombie-Venezuela). Cette marginalisation locale contraste avec le dynamisme d'autres zones frontalières normalisées (Équateur-Colombie, Bolivie-Argentine ou Bolivie-Paraguay) qui crée des frontières interactives.

    Le cas bolivien : une mosaïque aux recompositions complexes

    Dans le processus de recomposition spatiale des pays andins, la Bolivie, avec 1 100 000 km2 et plus de 7 millions d'habitants, occupe une place de choix au point de vue géographique. Elle présente en effet un exemple de gestation d'un nouvel espace en voie d'intégration socio-économique, celui des basses terres de la région orientale à la partie andine du pays.

    Certes, une analyse cartographique comme un bilan de ses ressources démographiques et économiques n'indique pas, à première vue, que la Bolivie soit appelée à jouer un rôle de premier plan dans la nouvelle construction. En effet, en raison de sa position géographique, la Bolivie se trouve comme retranchée sur un ample amphithéâtre andin qui se dresse en faisant barrage au-dessus de la côte du Pacifique comme vers les terres basses orientales. Soumise, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, à de sévères amputations territoriales successives ayant entraîné la perte de la moitié de sa superficie théorique de 1825, date de son indépendance, la Bolivie s'est trouvée confinée derrière ses barrières andines. Elle n'a échappé à l'asphyxie et à une disparition annoncée qu'en s'enracinant dans un solide particularisme tout en se satisfaisant durablement de sa rente minière qui seule a assuré le fonctionnement minimal d'un État faible et instable.

    Cet isolement géographique explique que la Bolivie a accumulé d'importants retards dans son développement socio-économique qui la situent parmi les pays les plus pauvres d'Amérique du Sud. C'est dans cette mesure qu'elle présente, pour le géographe, une des problématiques les plus intéressantes.

    Mais sa position géographique, entre les Andes du Sud et les bassins de l'Amazone et de La Plata, fait aussi de la Bolivie un pays-charnière reposant sur une ancienne plaque géopolitique, réactivée aujourd'hui et constituant une interface de premier ordre pour les échanges continentaux entre les côtes atlantique et pacifique.

    En effet, la plupart des indicateurs socio-économiques montrent l'indigence de la grande majorité d'une population restée, jusqu'en 1950, à dominante rurale et isolée dans ses campagnes, faute de moyens de communication (graphiques 0.1. et 0.2.). Le panorama qui se dégage des recensements est consternant : l’analphabétisme domine (16,4 % de la population adulte contre 8 % pour le Venezuela), la mortalité infantile est très élevée (Bolivie 69 ‰ et Venezuela 21 ‰), l’espérance de vie est courte (61,4 ans contre 72,4 pour le Venezuela) surtout dans le milieu des mineurs et ailleurs les épidémies sont récurrentes. Culturellement, il en résulte aussi la conservation très marquée des langues autochtones - Aymara et Quechua - en contrepartie d'une scolarisation qui ne dépasse guère les quartiers aisés ou de ceux de la classe moyenne urbaine.

    Ces quelques paramètres négatifs, témoins d'un profond abandon de l'État, vont dominer jusqu'aux années 1950, et persister encore, principalement dans les régions marginalisées comme dans les

    6

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    nouveaux ghettos urbains alimentés par les migrations des paysans pauvres si l'on en croit le dernier recensement national, celui de 1992.

    Toutefois, comme l'indique le graphique 0.1, des progrès substantiels ont été réalisés. Ainsi l’espérance de vie passe de 45,8 ans en 1970 à 61, 4 en 1997. De même la mortalité infantile chute de 144 ‰ en 1970 à 69 ‰ en 1997.

    L’évaluation des disparités et des dynamiques des territoires boliviens s’appuie aussi sur le postulat que l’espace est structuré et qu’il existe des outils capables de rendre compte de ses structures. Cet aspect instrumental sera exposé dans un premier chapitre.

    Il est proposé ici, à travers le programme ORELLANA1 et en collaboration avec des partenaires andins2, d'aborder l'enjeu de l'intégration et de la coopération régionale par une démarche qui privilégie l'évaluation des territoires et la modélisation des espaces permettant ainsi d'en comparer

    1. L'acronyme ORELLANA fait référence au nom de l'explorateur espagnol qui, parti des Andes, a descendu le fleuve Amazone jusqu'à son embouchure ; il signifie : Observatoire des Réseaux et des Espaces dans les Llanos, les Andes et l'Amazonie.2. Pour la Bolivie, ont collaboré par conventions au sein d'Orellana la UMSA, el Ministerio de Desarollo Sostenible y Medio Ambiente et l'Orstom.

    Graphique 0.1. Indicateurs démographiques

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    Venezue

    la

    Colombie

    Équateu

    r

    Pérou

    Bolivie

    Mortalité infantile�

    en 1970 (pour 1 000)

    Mortalité infantile�

    en 1997 (pour 1 000)

    Espérance de vie�

    à la naissance en 1970

    Espérance de vie�

    à la naissance en 1997

    Fertilité totale�

    en 1997 (pour 1 000)

    Mortalité maternelle�

    en 1990 (pour 10 000)

    Graphique 0.1 : Indicateurs démographiquessource : PNUD, rapport sur le développement humain

    Graphique 0.2. Indicateurs de niveau de vie

    -5

    0

    5

    10

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    Revenu/h en 1997�

    (x100 $ de 1990)

    Variation de revenu en %

    Analphabétisme chez les adultes�

    en 1997médecins/10 000 en 1997

    Venezu

    ela

    Colomb

    ie

    Équateu

    r

    Pérou

    Bolivie

    Graphique 0.2 : Indicateurs de niveau de viesource : PNUD, rapport sur le développement humain

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    les structures et les dynamiques. Il s'agit donc de tenter de cerner les conséquences envisageables des accords de coopération économique par la connaissance des déséquilibres territoriaux, préalable indispensable à toute analyse sur la question.

    Méthodologie

    Identifier et interpréter les structures et les dynamiques du territoire

    La comparaison des situations des différents pays andins constitue un des objectifs majeurs du programme ORELLANA. Cette confrontation est recherchée à plusieurs niveaux : la définition d'indicateurs communs, la cohésion dans les méthodes et les outils, la recherche de structures spatiales.

    L'identification des structures spatiales constitue aussi un objectif intrinsèque à cet ouvrage et elle est partie prenante du problème de l'évaluation des territoires. Elle justifie la mise en place d'une chaîne de traitement où l'analyse des données, la cartographie statistique et les modèles graphiques constituent un outillage complémentaire.

    Les outils3 : une chaîne de traitement cohérente et complémentaire

    Toute évaluation du territoire doit s'appuyer sur un corpus de données valides et explorées par des méthodes éprouvées. Le recensement de la population bolivienne de 1992 constitue notre principale source de données localisées.

    L'analyse des données

    L’analyse exploratoire des données permet de dégager les structures contenues dans un tableau. Ces outils descriptifs doivent être complétés par un recours à des modèles à base d’analyses statistiques multivariées.

    La cartomatique

    La cartographie constitue un excellent domaine d’application de l’analyse spatiale. La cartographie statistique travaille à la fois avec des modèles statistiques et des variables graphiques.

    3. Programmes informatiques utilisés : Cabral 1 500, cartographeur développé à l’IRD par H. Mazurek (version Windows) et P. Waniez (version Mac Intosh) ; Data Desk de Data Description ; ADE-4 de l’Université de Lyon ; Illustrator de Adobe.

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    Structures spatiales et modèles graphiques : la chorématique

    Les modèles résument les conclusions dégagées du travail en cours et donc synthétisent les analyses développées.

    Afin d'assurer une certaine cohésion méthodologique entre les travaux des différentes équipes de recherche qui composent ORELLANA, le groupe a adopté la chorématique comme méthode de modélisation. Cette option devrait faciliter, à terme, les comparaisons entre les travaux effectués sur les différents pays qui sont parties prenantes du programme ORELLANA.

    Selon R. Brunet (BRUNET, 1986) le chorème est une structure spatiale élémentaire : « Ils sont autant de signes exprimant, en général, des stratégies de domination de la nature et des autres ». L'auteur propose un tableau de 28 structures spatiales élémentaires, issues du croisement entre des variables sémiologiques (le point, la ligne, l'aire et les réseaux) et six formes particulières d'occupation de l'espace (le maillage, le quadrillage, l'attraction, le contact, le tropisme, la dynamique spatiale et la hiérarchie), dérivées de l'hypothèse exprimée plus haut.

    Les structures que nous allons identifier seront confrontées à ce tableau. Nous indiquerons, pour chaque structure opérationnelle, les références se rapportant au tableau proposé par R. Brunet. Il s'agit donc de vérifier la congruence des résultats à la théorie. Un deuxième niveau de vérification réside dans la confrontation des chorèmes avec les résultats issus d'une autre méthode d’analyse.

    Structures anciennes et dynamiques récentes

    Le processus de recomposition régionale propre à la Bolivie, succède à une longue période marquée par des structures sociospatiales figées dans un espace enclavé (DELER, 1991). De fait, l'espace bolivien est conformé de structures spatiales, certaines encore pérennes, mises en place par des étapes historiques successives.L'analyse de la documentation cartographique actuellement disponible (ARREGHINI et al., 1998), fait

    Structure 1�Clivage Andes/Orients

    Structure 2�Interfaces géographiques�

    et aires culturelles

    Structure 3�Tropisme oriental

    Structure 4�Triade urbaine

    Structure 5�Axe de développement

    Structure 6�Réseau urbain secondaire

    Structure 7�Effets régional�

    ouverture/fermeture

    Figure 0.1. : Structures anciennes et dynamiques récentes

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    apparaître deux structures maîtresses, héritées de l'histoire économique et qui pèsent encore sur l'organisation de l'espace bolivien en dépit de ses transformations récentes. Il s'agit, d'une part, de l'opposition fondamentale terres hautes - terres basses et, d'autre part, du rôle d'interface progressif que joue le système altiplano - vallées andines - cordon subandin - piémont, sur lequel se superposent les aires culturelles traditionnelles : Aymara sur l'Altiplano, Quechua dans les vallées andines, Guarani dans les plaines du Chaco.

    Cinq autres structures spatiales relèvent de dynamiques plus récentes (GOZALVEZ et al., 1997) liées à un évident effet anthropique (figure 0.1) :

    1. Il s'agit d'abord d'un tropisme oriental.2. Il est accompagné d'un changement d'axe de développement.3. Celui-ci forme une ossature articulée sur l'émergence d'une triade urbaine.4. Processus anciens et dynamiques récentes se combinent pour créer une spécificité

    nouvelle, celle du réseau urbain secondaire.5. La dernière structure spatiale majeure concerne l'imbrication de la Bolivie dans son

    contexte régional, avec l'apparition d'effets frontières de type ouverture - fermeture, ponctuellement très actifs car attractifs.

    Deux structures héritées du passé

    Le clivage fondamental Andes/Orients

    L'opposition terres hautes - terres basses s'est mise en place très tôt, avant l'avènement de la colonisation espagnole. Elle coïncidait avec une barrière d'altitude plus ancienne reposant aussi sur une coupure ethnique et culturelle entre Collas, nom générique des peuples montagnards de l'Altiplano, et les Cambas habitants semi-nomades des llanos et des plaines du Chaco.

    L'ère coloniale n'a fait que renforcer ce clivage, avec le développement d'une exploitation minière en zone de montagne produisant des enclaves démographiques pérennes alors que l'ensemble des terres basses, sans potentialités autres qu'agricoles, formait une zone-tampon aux densités extrêmement faibles face au Brésil portugais, et qui fut confiée à l'administration des missions jésuites et franciscaines jusqu'en 1767.

    À l'échelle de la Bolivie et de ses assises géographiques actuelles, cette opposition apparaît encore nettement induisant des dynamiques spatiales fort différentes. À une échelle plus grande, la transition entre ces aires de contact n'apparaît pas aussi tranchée. Les vallées andines jouent alors le rôle de zones de transition aux « frontières floues », entre les deux Bolivie, l’une originelle et montagnarde et l’autre des orients.

    Interfaces géographiques et zones de transition

    Le peuplement des Andes obéit à un schéma du type archipel. L'essentiel des établissements humains se concentre, en effet, sur le couloir formé par l'Altiplano, avec des îlots de peuplement dans le réseau des vallées andines. Au Nord de l'Altiplano et dans les Yungas (vallées tièdes en contrebas de La Paz), s'étend l'aire culturelle aymara. Le Sud de l'Altiplano, jusqu'aux piémonts de Cochabamba et de Sucre, est lui le domaine d'extension de la culture quechua.

    Les deux groupes linguistiques partagent en commun une ancienne culture andine fondée sur une agriculture de subsistance (SANCHEZ, 1992). Cependant, la proximité de l'agglomération de La Paz située au cœur du pays aymara, et la présence de certains sites miniers importants a introduit des disparités spatiales dans la dynamique des deux principaux groupes ethniques andins. Aussi des

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    4. Avec la culture de la coca et du soja, l'exploitation du pétrole et maintenant des importants gisements de gaz naturel qui viennent d’être découverts dans le Chaco.

    évolutions divergentes s'observent dans les domaines aussi divers que l'urbanisation, la migration, le développement économique, social et culturel (ROUX, WANIEZ, 1995).

    La double particularité des aires culturelles aymara-quechua (homogénéité ethnique et géographique) ne les apparente toutefois pas à une structure en maillage de type État ou Région. En effet, en dépit de son importance structurante, le maillage administratif de la Bolivie ne repose pas sur les aires culturelles. Bien que disposant d'une forte assise territoriale, ces aires culturelles, constituant l'ossature du complexe Altiplano/Vallées andines, ne sont pas figées du fait des recompositions entraînées depuis cinquante ans au moins par les courants migratoires. Leur évolution récente les apparente aux aires d'extension (ou de récession en fonction du sens de la dynamique) selon la terminologie utilisée par R. Brunet.

    Cinq dynamiques récentes

    Le tropisme oriental

    Longtemps délaissées par manque de volonté politique comme de moyens pour leur mise en valeur, les terres basses, restées presque vides de peuplement, offrent un intérêt nouveau depuis 1950 qui coïncide avec une forte dynamique de croissance. Le déclin du secteur minier andin, la libération des énergies de masses de paysans sans terres par la réforme agraire et l'émergence, avec enfin l'ouverture d'une liaison routière Est-Ouest, d'activités nouvelles dans les llanos4 sont à l'origine d'un tropisme oriental amplifié (ROUX, 1996). Observé à cette échelle, ce glissement progressif des forces vives des Andes vers l'Orient représente une surface de tendance.

    La particularité du système urbain : émergence d'une nouvelle triade urbaine

    Un réseau de communications et d'échanges complémentaires s'est établi entre les trois pôles de développement que sont les agglomérations de La Paz, Cochabamba et Santa Cruz. Elles constituent une triade urbaine, terminologie qui induit l'existence de relations de synergie entre les trois pôles.

    Chacun des trois pôles produit une hiérarchie urbaine régionale en plein essor actuellement. Cette structure correspond donc au semis urbain du tableau théorique de la chorématique.

    Le nouvel axe de développement

    Le tropisme oriental, resté virtuel depuis la conquête coloniale, se manifeste à partir de 1976 (le recensement de cette année-là en porte les prémisses) par une dynamique vigoureuse qui remet en cause le centre de gravité de la Bolivie reposant traditionnellement sur le massif andin.

    Il se manifeste par l'apparition d'un nouvel axe de développement, de direction Nord-Ouest / Sud-Est, qui a supplanté l'axe andin fondé depuis les débuts de la Colonie sur l'exploitation des bassins miniers du centre-sud de l'Altiplano. Il génèrait, jusqu’aux années 1950, un bassin d'activité économique essentiel délimité par les villes de La Paz-Oruro-Potosi et Sucre, et représentant environ 95 % de la valeur économique produite par l'ancienne Bolivie.

    Nouvelle ossature restructurant le pays, l'axe Est-Ouest draine depuis 1976 d'importants flux d'hommes et d'activités entre La Paz et Santa Cruz et, au-delà vers le Brésil où l'Argentine, pays accueillant d'importantes migrations de travailleurs boliviens. Il ne se résume pas uniquement à un axe de propagation, cas théorique prévu par le tableau de la chorématique, car il possède aussi une capacité

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    intrinsèque d'attraction et d'auto reproduction.

    Le développement d'un réseau urbain secondaire

    Une autre caractéristique récente de l'urbanisation en Bolivie réside dans le développement d'un réseau urbain secondaire. Il est concomitant à l'essor récent du tropisme oriental, ce qui explique que l’apparition des nouvelles agglomérations concerne essentiellement l'Est du pays. Beaucoup de ces centres sont des « agro-cités » qui encadrent le développement des nouvelles activités agricoles. Sur la Cordillère, on observe au contraire l'étiolement voire la disparition des centres miniers anciens. Cette structure correspond à un niveau inférieur du semis urbain du tableau théorique de la chorématique.

    Un double effet régional ouverture / fermeture

    La Bolivie est encore caractérisée par l'extraversion d'une grande partie de ses activités économiques. L'argent extrait des mines de Potosi, puis l'étain provenant aussi de sites miniers andins, le quinquina des vallées, enfin le caoutchouc collecté en Amazonie sont autant de produits qui ont été destinés au marché mondial. Aujourd’hui les productions agroalimentaires comme énergétiques ou minières obéissant à la même orientation.

    Le fait nouveau est que, depuis les années 50, les hommes circulent autant que les marchandises faisant redécouvrir à la Bolivie que son contexte régional obéit à des modalités complexes.

    À l'Ouest, et en particulier à la frontière chilienne, l'histoire et les barrières physiques ont imposé une fermeture. De plus, la perte de la façade maritime pacifique, en 1884, a introduit, en renforçant encore les effets d'enfermement, une dimension « autistique » dans la vie nationale. Cependant, à partir des années 60, l'essor d'une forte activité informelle liée à la contrebande a réactivé les échanges interfrontaliers, puis les diplomates ont entériné les nécessités liées aux nouvelles activités économiques. À l'Est, les contentieux territoriaux réglés au détriment de la Bolivie par la guerre du Chaco (1932-1936) ne sont plus aujourd'hui un frein à un effet d'ouverture du pays vers ses voisins (Brésil, Paraguay et Argentine).

    Néanmoins, cette ouverture, si elle n'est pas contrôlée, pourrait devenir une force centrifuge préjudiciable à la cohésion du pays. Ce double effet d'ouverture/fermeture se rapporte clairement au chorème rupture, interface du tableau de la chorématique.

    L'évolution de la maille administrative

    Éléments historiques de la maille administrative de la Bolivie

    Le maillage administratif de la Bolivie trouve son origine dans un double héritage ancien, celui d'abord de la colonisation inca du Collasuyo qui s'est surimposée sur des peuplements autochtones plus anciens, puis dans celui de la colonisation espagnole à partir du XVe siècle.

    Maîtresse de l'ensemble de l'arc andin, l'Espagne a créé en 1534 deux entités administratives. Celle de la Nouvelle Castille comprenait le Bas-Pérou, tandis que la Nouvelle Tolède occupait le Haut-Pérou, c'est-à-dire à l'assiette territoriale de la future Bolivie devenue indépendante.

    En 1542 ce vaste ensemble formait la vice-royauté de Lima qui devait se diviser en deux audiences : le Bas-Pérou ou audience de Los Reyes (capitale Lima) et le Haut Pérou ou audience de Charcas (capitale Sucre). Cette dernière, fondée en 1559, correspondait à la future Bolivie. L'audience de

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    Charcas a été subdivisée en quatre provinces (La Paz et dépendances, Potosi, Sucre et Santa Cruz), tandis que deux vastes territoires orientaux et excentriques, Mojos et Chiquitos, étaient confiés à l'administration des missions religieuses.

    À l'indépendance, en 1825, la Bolivie hérite d'un vaste territoire placé au cœur du continent sud américain. Dotée d'une ingrate façade maritime sur le Pacifique qu'elle n'exploitera pas, ancrée sur l'axe andin et disposant de vastes confins s'étendant jusqu'aux deux artères fluviales majeures de l'Amérique du Sud que sont l'Amazone et le Rio de La Plata, la Bolivie revendique alors environ 2,5 millions de km2 de territoire dont une grande partie inexplorée est en Orient. Une série de mutilations territoriales devait affecter le pays et, après plusieurs conflits, l’amputer de près de la moitié de sa superficie, que se soit dans la périphérie de l’Amazonie, au Chaco ou sur le littoral du Pacifique.

    Depuis 1938 (Traité de paix avec le Paraguay), la Bolivie a trouvé son cadre géographique définitif.

    Aujourd’hui, la Bolivie dispose d'une organisation administrative formée par quatre niveaux. Au sommet de la hiérarchie, on trouve les neuf départements, tous créés après l'indépendance sauf Pando, érigé en 1938, (et épousant les limites de l'ancien Territoire des Colonies du Nord-Ouest). Ces départements sont divisés en 112 provinces qui se subdivisent en sections de provinces, qui elles-mêmes se composent de cantons.

    La création des provinces

    La création des provinces a obéi, jusqu'à nos jours, à un processus permanent répondant parfois à des normes démographiques ou économiques fluctuantes, comme le plus souvent aux préoccupations d'un indéniable clientélisme électoral. Il en a résulté la création de provinces artificielles car sans véritable justification économique, de façon à fabriquer une classe de notables politiques locaux servant aussi d'agents électoraux.

    La création des vrais et faux cantons

    Départements Avant 1850 1851-1900 1901-1950 1951-1998 Total

    Potosi / 8 6 2 16Oruro 1 1 4 10 16Tarija 1 3 2 6Beni / 3 5 8Pando / / 3 2 5Sta Cruz 2 5 5 3 15Chuquisaca / 1 8 1 10La Paz 4 5 6 5 20Cochabamba 2 6 6 2 16

    Total 10 32 45 25 112

    Source INE, recensements de la population

    Tableau 1 : La création des provinces

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    Les cantons ont connu une inflation de leurs créations encore plus sensible, notamment à partir des années 1950. Or, c'est ce niveau cantonal qui pose problème pour mettre en œuvre une cartographie qui tente d'établir une représentation d’indicateurs statistiques à l’échelon administratif le plus fin.

    En effet, l'INE effectue ses recensements sur la base de cantons censaux dont un certain nombre n'a pas d'existence juridique, pas plus que de délimitation officielle. De plus, la variation d'un recensement à l'autre du nombre de cantons, rend complexes les études comparatives entre deux recensements.

    Ainsi, sur le tableau 2, les anciens départements (Chuquisaca, La Paz, Oruro, Potosi et Tarija) ont

    plus de cantons censaux que de cantons légaux. À l'inverse, les départements « neufs », c'est-à-dire ceux des fronts pionniers (Cochabamba, Santa Cruz, Beni et Pando), disposent de plus de cantons légaux que de cantons censaux. Cette distorsion révèle une double logique dans l'évolution de la maille administrative en Bolivie : la logique politico-administrative (comment mailler le territoire pour le contrôler et l'administrer ?) et la logique technique de l'INE (comment réaliser un recensement de la population de façon la plus rationnelle ?).

    Les nouvelles municipalités

    En 1995, le « Ministerio del Desarollo Sostenible y Medio Ambiente » a publié le travail de la commission des limites de sections de provinces qui fait le point sur l'état des lieux en matière de limites administratives cantonales (DORY, 1996).

    Cette restructuration récente, conduite par la Direction de l'Aménagement Territorial (Ordenamiento Territorial), a abouti, après de longues procédures administratives et réglementaires comme à des opérations de délimitation sur le terrain, à la constitution d'une maille de municipalités (municipios) qui quadrillent, avec des étendues et des populations variables, l'ensemble du territoire bolivien. Ces nouvelles unités servent de base, dans le cadre de la Loi de Participation Populaire, à l'attribution

    Tableau 2 : Répartition par département du nombre de provinces et de cantons en 1992

    Départements Provinces Cantons Censaux Cantons légaux

    Chuquisaca 10 116 98La Paz 20 432 405Cochabamba 16 97 146Oruro 16 153 144Potosi 16 256 230Tarija 6 183 79Santa Cruz 15 118 144Beni 8 27 44Pando 5 18 39

    Total 112 1400 1329Source INE, recensements de la population

    5. En 1999 a été publié l’Atlas estadístico de los Municipios qui présente les principaux indicateurs socio-économiques sur la base de cette nouvelle organisation administrative.

  • 15

    Carte de référence : les cantons censaux en 1992

    Limites départementales

    Limites provinciales

    Limites cantonales

    66ϒ

    66ϒ

    16ϒ16ϒ

    © Louis Arreghini, IRD, Ismael Gonzales T., UMSA

  • de budgets de fonctionnement et d'équipement placés sous le contrôle de représentants locaux élus. C'est donc ce nouveau dispositif qui pour les futures opérations de recensement, devrait être la base opératoire de l'INE5.

    Chapitre 1

  • 19

    Grands traits géographiques

    et historiques de la Bolivie

    La Bolivie : une géographie des extrêmes

    La Bolivie occupe une position centrale au cœur du continent sud américain. Avec une superficie de 1 098 377 km2, elle ne dispose que d'une population de 6,4 millions d'habitants au recensement de 1992 (estimée par l'INE à 7,5 millions en 1997) ; le pays est donc nettement sous-peuplé malgré une forte croissance démographique.

    Bien que la Bolivie soit communément considérée comme un pays andin typique, la majeure partie de son territoire (63 %) est occupée par les llanos et les forêts amazoniennes, au nord et au centre, et les plaines à savanes du Chaco, pour sa partie sud.

    Du fait de la position centrale qu'elle occupe au coeur du continent, la Bolivie est située à un carrefour, entre les pays andins côtiers - Pérou et Chili -, un pays amazonien comme le Brésil, ou des États appartenant au cône sud comme l'Argentine et le Paraguay.

    L'originalité profonde du pays réside aussi bien dans sa diversité géologique, à l'origine des ressources minières qui ont fait sa richesse traditionnelle, avec l'or, l'argent et l'étain principalement, que dans la diversité de sa morphologie (CORDOVA-CARDOZO, 1988), de son climat ou de sa faune et de sa flore.

    L'approche géographique de la Bolivie se décline à partir des ensembles physiques homogènes (MONTES de OCA, 1989) représentés d’un côté par le massif andin, les cordillères et les vallées étendant jusqu’aux piémonts, et de l’autre par les plaines de l'Orient, avec le Chaco et les llanos.

    Le massif andin

    La structure physique présentée par le massif andin bolivien est celle d'un emboîtement de types de reliefs formant des enclaves naturelles. Ce compartimentage, compte tenu de son rôle historique et démographique ancien, constitue un facteur explicatif de première importance.

    La caractéristique majeure du massif andin réside d'abord dans ses hautes altitudes, extrêmes comme moyennes. La montagne la plus élevée, le Sajama, atteint 6 550 mètres tandis que l'Altiplano, ou Meseta andine d'altitude, la partie montagnarde la plus anciennement peuplée, se situe en moyenne à 4 000 mètres.

    Cette structure du massif montagnard andin obéit au modèle suivant (MUNOZ REYES, 1991) :- La Cordillère Occidentale- La puna ou plateau de l'Altiplano enserré entre les deux cordillères- La Cordillère Orientale- Les vallées tièdes orientales- Le cordon subandin

    La Cordillère occidentale

  • Elle forme une longue frange, de direction Nord / Sud et servant de limite avec le Chili. Depuis le lac Titicaca jusqu'à la frontière argentine, elle est constituée de cônes volcaniques en fin d'activité. Laves récentes et couches de cendres y forment des dépôts de grands volumes ; une érosion intense a façonné des reliefs acérés donnant à cette chaîne un aspect abrupt et parfois spectaculaire ainsi qu'on peut le noter dans le sud Lipez.

    Sur son revers oriental, cette cordillère, du fait de l’importance des précipitations qu'elle reçoit, présente des vallées entaillées, étroites et abruptes. Le long de cette chaîne, les altitudes des divers massifs qui la constituent sont élevées : on note 6 340 m pour les Payachatas, 6 000 m pour le volcan Uturuncu dans le massif du sud Lipez et 6 550 m pour le Sajama. Des cols ouvrent cette barrière naturelle vers le littoral chilien, tels ceux de Tacora et Ollague empruntés par des voies ferrées

    L'Altiplano ou puna

    Cette meseta d’altitude se développe au sud du lac Titicaca, puis s'amplifie en se dilatant entre les cordillères Orientales et Occidentales tout en se prolongeant jusqu'à la frontière sud du Chili (Atacama).

    L'Altiplano s’étend de 800 km du Nord au Sud, avec une largeur de 100 km dans ses parties les plus étroites et de 200 km au plus large. Il se subdivise en quatre bassins. Celui du lac Titicaca est le plus important et atteint 3 812 m d'altitude ; il est séparé par la sierra de Tiahuanaco du bassin de Jésus de Machaca ; plus au Sud, on trouve les cuvettes d'Oruro avec le lac Poopo et, enfin, le bassin d'Uyuni à 3 660 m. L’Altiplano est à la fois le creuset historique et la matrice culturelle de la Bolivie traditionnelle.

    La Cordillère Royale ou Orientale

    La Cordillère Royale suit une direction N/NO-S/SE. Elle se prolonge, à partir de la limite du département de Cochabamba, en suivant une direction sud et pénètre dans le département de Santa Cruz. Cette longue chaîne se subdivise en plusieurs branches, avec la Cordillère d'Apolobamba, les chaînes de Muñecas, La Paz, Tres Cruces, Santa Vera Cruz et Cochabamba. Par sa hauteur et son envergure, elle forme l'ensemble le plus important de la chaîne orientale ; on y trouve des glaciers élevés tels ceux de Cololo, à 5 915 m.

    Les vallées intertropicales

    Elles sont formées, à l'Est de la Cordillère Royale centrale, à partir d'une ancienne surface plane inclinée vers l'Est et entaillée. C'est une des zones rurales les plus peuplées et les plus actives de la Bolivie (MURRA, 1975) avec les vallées situées dans les départements de Cochabamba, de Chuquisaca, de Potosi ou de Tarija.

    À l’Est de la Cordillère Royale, les Yungas constituent un ensemble physique original. Système de vallées appartenant à un milieu de climat humide et chaud, ils s’étendent entre 1 000 et 2 500 m, constituant un alignement géomorphologique intermédiaire entre les vallées hautes et le front subandin. Le milieu naturel des Yungas s'étend de la frontière péruvienne, au Nord, jusqu'au département de Santa Cruz, au Sud.

    Le front subandin

    Ce système de vallées des piémonts est fermé, à l'approche des llanos, par un cordon montagneux dit du front subandin. Ce bourrelet, d'une altitude de moins de 1 000 m, forme un feston parallèle à la chaîne orientale ; il est traversé par les fleuves descendant des Andes. Son extension en latitude est très importante puisque le bourrelet du subandin traverse la Bolivie de la frontière péruvienne

    20

  • 21

    à l'Argentine. On y rencontre des structures géologiques pétrolifères actuellement en exploitation (Camiri, Camatindi, Bermejo).

    La Bolivie orientale

    Elle comprend deux types de formations physiques représentés par les grandes plaines (llanos et Chaco) et le petit massif de la Chiquitania.

    Les llanos et le Chaco

    Ces plaines basses connaissent une variabilité climatique due à un effet de gradient. Peu accidentées, elles s'étendent depuis le Rio Beni, à l'Ouest, jusqu'à la frontière brésilienne formée par le Rio Itenez, à l'Est. Cette immense savane basse, coupée par des forêts-galeries denses festonnant les berges de ses rivières, reçoit plusieurs noms locaux : plaines du Mamoré, llanos de Mojos ou du Beni. À la saison des pluies, les llanos sont inondés à cause du débordement des cours d’eau qui les traversent.

    Plus au Sud, à hauteur de Santa Cruz, débute le Chaco qui constitue, avec des caractères naturels spécifiques, une extension des pampas argentines.

    Le massif de la Chiquitania

    Il se situe dans la partie orientale de la Bolivie, face au Matto Grosso brésilien. Ce modeste ensemble montagneux, de direction NO/SE, est constitué par un système de chaînons parallèles d'une altitude moyenne de 1 000 m et culminant à 1 445 m au mont Chochis. Ce massif est situé sur le bouclier brésilien, formation géologique pré cambrienne.

    Les milieux naturels

    La situation géographique de la Bolivie explique la grande diversité de ses milieux naturels. Gradients latitudinal et altitudinal se combinent pour offrir une grande variété de types de climats et de végétations.

    Hydrographie

    L'organisation du réseau hydrographique se caractérise par l'importance occupée par les systèmes lacustres et par le rôle de château d'eau du massif andin où naissent des artères fluviales de première importance.

    Un système lacustre d’altitude est formé par les lacs Titicaca et Poopo et une série de lagunes salées. Le lac Titicaca, avec une superficie 8 800 km2, représente un phénomène morphologique majeur. Aux pieds de la Cordillère occidentale existe un réseau de lagunes aux eaux saumâtres chargées de borax, résidus des lessivages effectués par les pluies sur les cendres et les dépôts de laves de la cordillère. Des salars (lacs salés asséchés) de grandes superficies complètent ce système ; le plus célèbre est celui d'Uyuni qui se prolonge plus au Sud par des lagunes de moindre importance. La région du Beni abrite un autre système lacustre, avec les lacs Roguagua et Roguaguado, Huachi, Concepcion, etc. On note enfin, au Sud-Est, proche de la frontière brésilienne, l'existence d'un autre réseau lagunaire (Uberaba, Gaiba, Mandiore et Caceres) parallèle du cours du Rio Paraguay ; dans cette même zone, la Bolivie est riveraine des grands marais du Pentanal.

  • 22

    À côté de ce milieu lacustre, la Bolivie dispose d'un réseau hydrographique étendu partagé en trois bassins. Au Nord, la partie tributaire de l'Amazone est la plus importante ; au Sud, on note un ensemble hydrographique, plus modeste par son développement, structuré par les fleuves Pilcomayo et Paraguay, et qui forme une composante du bassin de La Plata. Enfin, le dernier ensemble est représenté par un réseau fluvial résiduel et endogène au massif andin.

    - Le bassin tributaire de l'Amazone est organisé par quelques grands cours d’eau tels le Madre de Dios, le Beni, le Mamoré et l'Itenez, pour les plus notables ; la plupart naissent dans les Andes péruviennes ou boliviennes. Ce réseau hydrographique est très ramifié, et se compose de nombreux affluents importants (Rios Abuna, Tahuamanu, Manuripi, Yacuma, Piray, Grande). On estime que ce bassin couvre 724 000 km2 du territoire bolivien (MONTES DE OCA, 1989)6.

    - Le bassin hydrographique central constitue un réseau endoréique essentiellement andin. Ses exutoires se situent sur les lacs de l'Altiplano tels le Titicaca avec le Rio Desaguadero, le lac Poopo avec le Rio Corque, ou le lac de Coipasa avec le Rio Barras. Son emprise est de 145 000 km2.

    - Le bassin hydrographique oriental du Sud bolivien est scindé en deux ensembles séparés par les plaines du Chaco central, avec le Rio Pilcomayo, à l'Ouest, et le bassin du Rio Paraguay, à l'Est.

    Au total, le bassin de La Plata étend son emprise hydrographique sur environ 229 000 km2. En volume de ressources hydrologiques, le bassin de l'Amazone prime en collectant 78 % des eaux fluviales, tandis que le bassin de La Plata recueille 21 % du total et que celui du massif andin n’en draine que 1 %.

    Climat

    Il obéit, avec des variantes notables, à la complexité du relief et à un effet important de gradient ; on le classifie en quatre grands ensembles climatiques : de type tropical, sec, tempéré et froid.

    - Le climat tropical caractérise, avec une forte variante humide, le Chapare où les précipitations peuvent atteindre 6 000 mm. Avec une tendance plus modérée et affectée par un hiver sec, il intéresse la majeure partie de la région des llanos du Beni.

    - Les climats secs concernent aussi bien la vaste zone du Chaco au Sud, que le centre du département de Santa Cruz. Leurs caractéristiques sont marquées par des hivers secs, avec une température moyenne de 25-30º, mais ils sont perturbés par l'irruption de fronts venteux venus des pampas du Sud et nommés surasos. Les températures peuvent alors chuter brutalement à 9°, mais avec des pointes extrêmes atteignant 2º. Des tendances du type propre au climat désertique peuvent être détachées aussi pour certains secteurs de l'Altiplano (région de Potosi).

    - Les climats dit tempérés, avec hiver froid, intéressent toute la région du lac Titicaca. Par contre, les vallées disposent d'un climat sec et chaud, tandis que le front subandin connaît un climat humide, avec des hivers secs et chauds. Les températures varient entre 3º et 18º en moyenne.

    - Les climats froids sont de deux types, l'un avec un régime de haute montagne correspond aux cordillères hautes, disposant de glaciers permanents et enneigés une partie de l'année ; le second type est marqué par un climat dit de toundra qui affecte les versants

    6. L'auteur s'appuie aussi sur les travaux de Köppen et Garcia y Viparelli.7. L'auteur utilise le système de Thornthwaite.

  • 23

    Cordillère occidentaleAltiplanoCordillère orientaleSubandinPlaine Beni-ChacoBouclier brésilien

    Cochabamba

    La Paz

    Trinidad

    Cobija

    Santa CruzOruro

    Potosi

    Sucre

    Tarija

    Signes conventionnels

    Chef-lieu de départementAutres centresRoutes principalesSalarsLacsRivières

    Source : d'après la carte de J. Cordova Cardoso, Miranda et M. Quisberth

    Carte 1.1.�Régions physiographiques de Bolivie

    66ϒ�

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    16ϒ�16ϒ�

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    Carte 1.2.�Les grandes zones climatiques Tropical de savane avec hiver sec

    Tropical humideMésothermique à hiver secSteppe à hiver secToundra

    Source : Montes de Oca, 1969

  • 24

  • 25

    des cordillères et une grande partie de l'Altiplano.

    L'homme et le milieu

    Une caractéristique majeure de l'organisation du milieu physique de la Bolivie est un compartimentage en unités physiques fermées (GALOPO, 1998)7. Deux grands types de milieux organisent les paysages naturels boliviens.

    Le milieu tropical humide

    Graphique 1.2. : Contribution des secteurs d'activité au PIB dans les pays de la CAN en 1997source : PNUD, rapport sur le développement humain, 1999

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    Venezu

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    Bolivie

    PIB per capita�

    en 1997 (x100$)Croissance annuelle�

    du PIB per capita (90-94)

    Croissance annuelle�

    du PIB per capita (94-97)

    Sources: CEPAL, anexo estadístico, 1999

    Graphique 1.1 PIB per capita et croissance du PIB des pays de la CAN

    Graphique 1.1. : PIB per capita et croissance du PIB des pays de la CANsource : CEPAL, anexo estadístico, 1999 Graphique 1.2 Contribution des secteurs d'activité au PIB dans les pays de la CAN en 1997

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    Venezuel

    a

    Pérou

    Colombie

    Équateur

    Bolivie

    ServiceIndustrie

    Agriculture

  • 26

    Il concerne la partie nord et amazonienne de la Bolivie, soit 22 % de la superficie nationale. Représenté presque essentiellement par le département de Pando et le Nord du Beni, il est marqué par de très faibles densités humaines - moins de 1 au km2 - et une économie fondée sur l'élevage, la collecte du caoutchouc et de la noix du Brésil.

    Le milieu subtropical

    La zone subtropicale englobe une large partie du département du Beni, le Nord de celui de Santa Cruz, déborde sur les vallées d'altitudes entourant le lac Titicaca et occupe le Nord de l'Altiplano, jusqu'au Sud d'Oruro. Elle se subdivise en quatre types.

    - Subtropical de terres basses, caractéristique du Beni, avec un climat demi-sec, pour les plaines de Mojos et une grande partie de Chiquitos. C'est la zone de prédilection d'un élevage extensif de bovins qui s'est particulièrement développé depuis 40 ans.

    - Le Chaco est caractérisé par un milieu de climat semi-aride.- Subtropical de vallées qui permet, avec les limitations de pentes fortes et une érosion

    marquée, un petit élevage et des cultures tropicales très variées, parmi lesquelles se détache la coca des Yungas.

    - Subtropical andin. Il s'agit de terres souvent situées à 4 000 m et plus. Ce type de milieu a permis l'essor d'une ancienne agriculture andine, techniquement adaptée aux conditions climatiques marginales par l'application de méthodes imposant une stricte protection des sols, avec des travaux du type andenes, des cultures sur camellones et la réalisation de petits réseaux d'irrigation (CONDARCO MORALES, 1970). Ce type d'agriculture est aussi caractérisé par la place occupée par l'élevage des auquinidés (lamas) et des ovidés, et une agriculture qui repose sur la production de plantes andines traditionnelles.

    Éléments de géographie humaine

    L’économie de la Bolivie, jusqu'au milieu de ce siècle, s’est fondée essentiellement sur l'activité minière qui est presque entièrement concentrée sur l'Altiplano et ses cordillères. Néanmoins, l’agriculture de subsistance occupait la grande majorité des actifs.

    Les conditions climatiques limites de l'Altiplano expliquent le caractère aléatoire des productions andines (USSELMANN, 1994). Un des handicaps majeurs du petit paysannat andin réside dans l’obtention de bas rendements malgré l'utilisation de techniques traditionnelles sophistiquées.

    La réforme agraire, débutée en 1953, a permis de mettre fin à l'emprise d'un système de tenure foncière dominé par des haciendas. Elles monopolisaient, en effet, 90 % des terres cultivées qui étaient concentrées par 6 % de propriétaires. Ce régime archaïque, devenu techniquement obsolète, soumettait un prolétariat rural d’origine indienne à des conditions de travail et de vie entachées par des pratiques de dépendance sociale voire de servitude.

    Cette réforme a été, comme au Pérou, un échec général, faute de crédits, de formation technique et de marchés en l'absence de moyens de communication. Mais, psychologiquement, elle a marqué indéniablement un tournant majeur dans la conscience politique et sociale de la société bolivienne en levant une lourde hypothèque historique.

    8. On estime à 1 600 000 les Boliviens installés en Argentine, à 200 000 dans la région de Sao Paulo, et environ 500 000 aux États Unis.

  • 27

    Le secteur minier, qui prédomine depuis la formation de la Colonie, a progressivement perdu son monopole économique exclusif à partir de 1960.

    Les populations des centres miniers et des zones rurales traditionnelles de l'Altiplano, ruinées par une succession de crises (DELER, 1994), se sont dirigées vers les grandes villes dynamiques et dans une moindre mesure, vers les nouvelles terres de colonisation des départements de Cochabamba, Santa Cruz et du Beni.

    Les indices de performances ou de structures économiques (graphiques, 1.1 et 1.2) situent la Bolivie au plus mauvais rang des pays membres de la Communauté Andine des Nations (CAN). Ainsi, en 1997, son PIB per capita était à peine le tiers de celui dont disposait le Venezuela (892 dollars contre 2 681 dollars). Le secteur agricole bolivien contribue pour le quadruple à la formation du PIB par rapport à celui du Venezuela (16 % contre 4 %). De même, les indices démographiques (mortalité infantile, espérance de vie) et sociaux (santé, éducation, logement, emploi) sont pour le pays parmi les plus défavorables du continent.

    Conséquence directe de cette situation, on enregistre de fortes migrations de travail vers les pays voisins ou les États-Unis. Elles impliquent selon les estimations entre 2 et 2,5 millions de personnes8, soit entre 25 et 35 % environ de la population totale recensée en 1992.

    Une analyse des flux de migrations et des taux d'urbanisation confirme ce diagnostic global. Si l'on peut noter, néanmoins, des progrès importants réalisés depuis une trentaine d'années, la Bolivie est loin d’avoir comblé son retard vis-à-vis de ses partenaires de la CAN. Elle reste soumise à de fortes contraintes : le pays est écartelé par les distances, subit les forts contrastes des différences de milieux climatiques et son économie est écartelée en enclaves désarticulées.

    Cette situation a abouti à la constitution, depuis 30 ans, autour des trois plus grandes villes du pays - La Paz, Cochabamba et Santa Cruz - de banlieues étendues. Elles sont affectées d'une croissance spontanée et incontrôlée (9,2 % par an pour El Alto) due à l'installation des migrants ruraux des plus défavorisés, sans emplois stables et aux conditions de vie très médiocres. Les activités induites par l'économie informelle, avec une sensible dérive vers le narcotrafic, sont souvent le lot de cette population déracinée.

    Formation du cadre historique et économique

    Tout aussi importantes que sa diversité géographique, les diverses étapes de l’histoire de la Bolivie jouent un rôle structurant de première importance qui explique les forts contrastes régionaux qui se sont conservés jusqu’à nos jours.

    Les Andes de Bolivie

    Pour la Bolivie andine, il apparaît, dans l'état actuel des connaissances, que les bases historiques et culturelles expliquant l'apparition des premières formes étatiques sont posées avec l'établissement, probablement 1 700 ans avant J.C., de l'empire de Tiahuanaco (Tiwanacu). Mais, des cultures plus rustiques reconnues par les archéologues, telles celles des périodes litho-archaïque et formative,

    9. L'état actuel de la recherche archéologique ne permet pas d'être plus précis géographiquement.10. C'est Nordenskjöld qui fut son initiateur à partir de 1913, suivi par Ryden pour le pays Siriono, Wanda Hanke et J. Riester pour la région de Santa Cruz et W. M. Denevan pour le Beni.

  • 28

    existaient aussi avant l'apparition des premiers États.

    L'État de Tiahuanaco

    Il disposait de liens avec une large façade littorale sur le Pacifique, s'étendant d'Arequipa, au sud du Pérou, jusqu'à la hauteur d'Antofagasta, au Chili. Au Nord, il comprenait le lac Titicaca, proche de sa capitale de Tiahuanaco, et s'étendait jusqu'au Sud, en Argentine septentrionale. À l'Est, il débordait largement sur les vallées des piémonts atteignant l'orée des llanos orientaux de l'actuel Beni et du département de Santa Cruz.

    Disposant de villes et de forteresses, l'empire de Tiahuanaco, de probable organisation confédérale, dont on a détecté cinq séquences historiques, trouve son apogée à partir de 374 ap. JC (Période IV) pour ses formes urbaines et agricoles et entre en décadence à partir de 724 ap. JC, pour disparaître en 1172 ap. JC (Période V).

    Il a laissé, avec le site de l'actuel Tiahuanaco, d'importants vestiges d'un ensemble urbain et cérémoniel qui laisse supposer qu'il disposait d'une forte.base démographique

    La culture Mollo

    À partir du XIIe siècle se développe la culture Mollo (ARELLANO LOPEZ, 1978) qui occupe, grosso modo, l'actuel département de La Paz, soit 100 000 km2. Sa métropole a été la ville-citadelle d'Iskanwaya, située dans la vallée de Llika, province de Muñecas, qui était chargée d'arrêter les incursions des envahisseurs venus des terres chaudes des llanos. Cette civilisation a su développer une importante agriculture marquée par la réalisation de nombreux aménagements du type terrasses et andenes et de systèmes d'irrigation.

    Les Incas : Formation du Collasuyo

    L'invasion inca a été conduite par Tupac Yupanqui qui a constitué, avec la conquête de la partie andine de la Bolivie actuelle, le secteur sud de l'empire Inca ou Collasuyo, approximativement entre 1471 et 1532. Malgré cette bien courte période, les Incas ont apporté de profonds changements. Ils ont développé les formes d'agriculture vivrière, commencé une exploitation minière (avec l'or alluvial de la province de Larecaja), construit des routes et des forts. Leur emprise permanente, sauf des incursions de courtes durées ou tardives vers les piémonts andins et les llanos, s'est cantonnée à la région andine de la Bolivie actuelle, tout en se prolongeant vers les Andes du Nord de l'Argentine.

    Face aux peuples guaranis, l'emprise inca a établi une frontière d'altitude9 qui correspondait à une nette césure ethnique. Elle a ainsi placé en situation de confrontation les peuples montagnards du Nord - les Collas - et les nomades guaranis - les Cambas - en expansion à partir du Rio Paraguay (SAIGNEs et al., 1988).

    On rencontre, là aussi, avec cette césure spatiale durable, une autre des constantes marquantes de l'histoire bolivienne jusqu'à nos jours.

    Beni : une civilisation aquatique

    Le vaste ensemble formé par l'Orient bolivien, qui n’a pas bénéficié jusqu’à présent d’études archéologiques approfondies10, ne permet guère d'être plus précis ainsi que l'indique le stade actuel des recherches (RIESTER, 1981).

    La civilisation hydraulique de Mojos

  • 29

    Un spécialiste des cultures de l'ancien Beni, W. Denevan remarque que : «…la majorité des influences culturelles historiques de Moxos paraissent être amazoniennes résultant probablement de combinaisons culturelles en provenance de l'Amazonie centrale Arawak avec d'autres apports venus du Nord et de l'Est » (DENEVAN, 1980).

    Des travaux récents confirment pour la civilisation de Mojos (Beni) ses caractères originaux de civilisation lacustre, bien qu'ils aient été déjà pressentis par des voyageurs scientifiques tel le naturaliste espagnol Marius Del Castillo vers 1920 (CASTILLO, 1929).

    Il s'agissait, d'après les vestiges rencontrés, d'une importante culture utilisant des techniques hydrauliques perfectionnées marquées notamment par la construction de terre-pleins - les lomas - permettant le repli des populations en saison des pluies et disposant de systèmes d'irrigation et de drainage, avec des digues servant aussi de chemins. Cette civilisation pratiquait l'agriculture à grande échelle car elle disposait d'un potentiel démographique estimé par Denevan à environ 350 000 personnes, donc relativement important dans le contexte démographique de l'époque et surtout en comparaison du peuplement actuel.

    Cette société, reposant sur des bases hiérarchisées, se serait développée entre 300 et 800 de notre ère. Si les étapes historiques de cette marche orientale sont encore très mal connues, de nombreux indices laissent penser qu'elle est contemporaine de la culture de Tiahuanaco.

    L'aire des nomades chiriguanos

    Au Sud de Santa Cruz apparaît une autre aire culturelle importante, celle des Chiriguanos. Selon Métraux (1948) il s’agit de descendants de Guaranis du Sud installés sur les berges du Rio Paraguay et qui, au XVe siècle, ont migré pour pénétrer dans le Sud de l’actuelle Bolivie.

    La conquête espagnole

    Les Espagnols entament la prise de possession de la cordillère andine, avec Pizarro et Almagro qui débarquent à Tumbés, sur la côte nord du Pérou, en 1524. En 1535, ils entrent dans l'Altiplano andin du sud, accompagnés d'alliés indiens ; Diego de Almagro assure ensuite l'occupation du Collasuyo à partir de Cusco, capitale des Incas du sud, qui est prise en 1533 ; puis, il atteint le site actuel de La Paz en 1548.

    Cette même année, guidés par un Indien du cru, les Espagnols découvrent le Cerro Rico de Potosi, une montagne qui se révélera un fabuleux réservoir de minerai d'argent. Cette découverte explique l'importance capitale que prend ensuite l'Altiplano pour l'Espagne comme le destin politique futur d’une région qui, autrement, n’aurait été qu’une marche montagnarde sans intérêt particulier.

    Charcas : un pôle minier

    L'audience de Charcas (LOPEZ BELTRAN, 1988) créée en 1561, avec Sucre la ville aux trois noms (La Plata ou Chuquisaca) comme capitale, bien qu'excentrée de Lima, assure la présence directe de l'autorité de l'Espagne sur les zones minières stratégiques du Potosi. Celles-ci allaient jouer un rôle économique de premier plan, jusqu'à la fin du XIXe siècle, justifié par leur très importante production d'argent qui a bouleversé l'économie européenne, et faire de Potosi une cité opulente (avec 200 000 habitants à son apogée) célèbre en Europe.

    En 1776 l'audience de Charcas est soustraite à l’autorité de la vice-royauté de Lima pour être transférée sous la juridiction de celle de Buenos Aires. En 1782 cette vice-royauté est organisée

  • 30

    en huit intendances, dont celles de Potosi et de La Paz issues de Charcas qui forment les assises géographiques de l'actuel territoire bolivien. Puis, en 1810, à cause de la situation révolutionnaire qui prévaut à Buenos Aires, le territoire de l’ex-audience de Charcas repasse sous la tutelle de la vice-royauté de Lima.

    Cette oscillation administrative indique bien le balancement géopolitique dû à la position centrale de Charcas, qui, faute de poids démographique, est soumis aux attractions contradictoires du Sud, avec Buenos Aires et l'Atlantique, ou du Nord, avec Lima et le Pacifique. À partir de 1810, on peut donc considérer que le cadre physique et administratif qui servira, en 1825, d'assiette géographique à la Bolivie naissante, était administrativement constitué. Le destin instable de la future Bolivie, soumise à un ballottement géopolitique antagoniste entre les influences du Nord et du Sud, était consigné dans ce mouvement pendulaire instauré par l'administration coloniale.

    L'Orient : de l'Eldorado perdu au bouclier missionnaire

    La conquête espagnole de l'Orient (FINOT, 1939), c'est-à-dire de la vaste zone s'étendant depuis les bordures des piémonts andins jusqu'au Rio Madeira, au Nord, comprenant le cours supérieur du Rio Paraguay au Sud-Est, et du Chaco riverain du Rio Pilcomayo au Sud-Ouest, devait obéir à l'antagonisme d'une double poussée. L'une est issue du Nord, avec les têtes de pont de Cusco et Lima, l'autre d'Asunción du Paraguay et de Buenos Aires, au Sud.

    Les Espagnols ont été attirés très tôt vers les régions orientales par les légendes insistantes qui courraient. Elles entretenaient le mythe d'une contrée riche en métaux et en pierres précieuses, aux terres fécondes et disposant d'une population nombreuse et, bien sûr, aux femmes d'une beauté

    66ϒ�

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    16ϒ�16ϒ�

    Carte 1.3.�Distribution des cultures anciennes et pré-incaïques Culture de Tihuanaco

    Zones d'occupation ou d'influence de la culture molloZones d'influence de la culture MoxosLimite du Collasuyu - Inca

    Source : Jean-Claude-Roux, 1998

    11. L'auteur avance le chiffre de 800 000 habitants en 1800.

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    Carte 1.4. Le Haut Pérou ou Audience de Charcas

    Vice Royauté du BrésilViceRoyauté du Pérou

    Parag

    uay

    Reyes

    La Paz

    Santa Curz

    AsuncionReyes

    Santiago

    Cordoba

    Buenos Aires

    Montevideo

    Rio Bermejo

    Rio Pilcomayo

    Carte 1.5.�Les grandes zones de production minière Centres principaux d'exploitation de l'argent

    Zones d'exploitation de l'étainChemin de ferVilles importantes

    Source : Mitre, 1981 et Labouquere, 1933cobija

    Trinidad

    Santa Cruz�de la Sierra

    Cochabamba

    La Paz

    Oruro

    Sucre

    Potosi

    Tarija

    Huanchaca

    Colquechaca

    Santiago�de Machaca

    Berenguela

    vers Arica

    vers Antofagasta

    vers Jujuy

    BRÉSIL

    BRÉSIL

    ARGENTINE

    CHILI

    PÉROU

    PARAGUAY

    66ϒ�

    66ϒ�

    16ϒ�16ϒ�

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    exceptionnelle….

    Les provinces jésuites : Mojos et Chiquitos

    Le déplacement de la ville de Santa Cruz, à 300 km vers l'Ouest, devait entraîner le quasi-abandon de la Chiquitania, ce qui explique le recentrage sur les Andes de l'audience de Charcas, faute de parvenir à posséder une sortie fluviale sur le Rio Paraguay et donc vers l'Atlantique, situation qui, elle aussi, entraînera ensuite un difficile héritage pour la Bolivie naissante.

    À la fin du XVIIe siècle, l'Espagne décide de confier l'administration de l'Orient aux jésuites. Dès 1691, ils fondent San Javier, la première mission. Cette création est suivie par l'établissement d'un réseau de postes missionnaires reliés par des pistes et obéissant à une claire perception de l'organisation du quadrillage géographique d'un territoire.

    Ces missions jésuites, outre l’administration des indigènes, acquièrent une fonction stratégique face aux raids des bandeirantes venus du Brésil et constituant souvent les avant-gardes des troupes portugaises régulières. Aussi, la formation d'un système défensif, connu sous le nom d'écu missionnaire ou de « bouclier de Dieu », constitue une des clés de voûte de la protection, sur 4 000 km environ, de frontières vides de populations.

    Néanmoins, en 1767, l'ordre des jésuites est chassé d'Amérique espagnole. Cette éviction provoque de rapides et néfastes conséquences pour l'Espagne car la frontière avec le Brésil, démantelée de son dispositif de protection, redevient ouverte aux razzias des bandeirantes en quête d'esclaves et de richesses (ROUX, 1997).

    Cette situation de marge contestée explique la décadence durable de l'Orient bolivien à partir de la fin de l’époque coloniale (ROUX, 2000).

    Le Haut Pérou : un axe économique transrégional

    L'audience de Charcas est placée, dès sa création, sous le primat de la mine. L'extraction et l’exportation de l'argent constituent durant la Colonie les piliers d'une économie minière aux implications planétaires.

    Une agriculture de grands domaines pourvoit à l'alimentation des villes et des centres miniers. La culture de la feuille de coca devient indispensable pour ravitailler une main-d’œuvre indienne réquisitionnée dans le cadre de la mita pour l’exploitation minière. La coca est cultivée dans les haciendas des vallées tièdes andines (Yungas) et sans elle, avec le mal de l'altitude et les mauvaises conditions d'hygiène et d'alimentation qui affectent les mineurs indiens, l'exploitation des mines d'altitude - jusqu'à 5 100 m - aurait été impossible.

    L'exploitation des ressources minières de Potosi n'a été rendue possible qu'avec la disposition du mercure qui permet d'obtenir l'amalgamation de l'argent. Or seule la mine de Huancavelica, située dans les Andes centrales du Pérou, fournissait le mercure indispensable. Cette complémentarité économique explique la formation, entre Huancavelica, Potosi et les Yungas de La Paz, d'un système économique important. Il constitue une aire d'intégration transrégionale sur la base des échanges du mercure et de l'argent, de la feuille de coca et de la main-d’œuvre régionale réquisitionnée par la mita.

    C'est dans ce cadre que l'appartenance de Charcas à la vice-royauté du Haut Pérou trouvait, en termes économiques et politico-administratifs, toute sa justification (LOPEZ BELTRAN, 1988).

    Les villes : têtes de pont de l'économie coloniale

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    Sucre, la capitale de l'audience de Charcas, est fondée en 1539, Potosi en 1545, La Paz en 1548, Cochabamba, la capitale des vallées tièdes, en 1571, Tarija en 1574 et Oruro en 1606 (SCHOOP, 1981). En Orient, Santa Cruz, faute de pouvoir disposer d'une route vers le Paraguay ou le Nord argentin, stagne car marginalisée tandis que Trinidad, au cœur du Beni, est fondée plus tardivement en 1675 ; mais elle reste pour longtemps une bourgade sans dynamisme, terminus d'une mauvaise piste dangereuse. Cochabamba devient, après 1776, la capitale du vaste orient, ascension qui consigne bien l'impasse résultant du choix antérieur de Santa Cruz comme capitale de cette marche orientale sans débouchés vers l'extérieur.

    Ce vaste ensemble géographique diversifié formé par la future Bolivie, au moment de l'indépendance, n'est peuplé que de moins d'un million d'habitants (COOK, 1972)11. Rigueurs climatiques de l'Altiplano, épidémies cycliques, malnutrition chronique, abus du travail obligatoire dans les mines, révoltes indiennes et répressions coloniales tout au long du XVIIIè siècle, expliquent cette situation démographique calamiteuse.

    Pour l'Orient, faute de chiffres précis, on peut estimer que la population coloniale représentait moins de 100 000 habitants.

    La claustration de la Bolivie : de l'isolement continental à la mondialisation

    Deux pays d'Amérique du Sud, la Bolivie et le Paraguay, sont placés dans une situation d’enclavement à l'intérieur du continent, sans façade maritime. Néanmoins, le Paraguay est traversé par le grand fleuve éponyme qui lui donne une sortie sur l'océan Atlantique alors que la Bolivie souffre d'une claustration durable depuis 1825.

    Dans ces conditions, la Bolivie avait intérêt à développer un réseau de voies de communications terrestres, tant pour relier les régions entres-elles que pour les insérer dans les échanges avec les pays voisins. On distingue deux périodes de développement des infrastructures de communications terrestres.

    - Après 1880, avec la priorité donnée à la construction d'un réseau ferroviaire, le pays mettait fin à un isolement presque total avec l'extérieur.

    - À partir de 1953 commençait une nouvelle étape, celle de la relance de la construction du réseau routier resté embryonnaire ; elle visait au raccordement de la Bolivie andine à sa vaste partie orientale comme avec les pays voisins.

    Tableau 3. Durée des trajets en nombre de jours entre les principales villes boliviennes.

    Destinations : Oruro Potosi Santa Cruz

    Chuquisaca 13 4 22

    La Paz 8 16 ?

    Cochabamba 12 14 19

    Source Mitre, 1981.

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    De l'isolement à l'ouverture ferroviaire

    « Au Nord et à l’Orient nous entourent des régions dépeuplées, vierges, sans voies de communication... ».

    (J. A. GUTIERREZ, 1903)

    Les contraintes de l'espace : un enclavement dominant

    En 1825, au moment de son indépendance, le pays n’est relié à l’extérieur que par deux routes coloniales. L'une joint La Paz au port d'Arica, sur le littoral du Pacifique. Mais elle emprunte un mauvais sentier muletier qui franchit les cols de la Cordillère Occidentale, à 5 000 m d'altitude, et ne permet pas des étapes de plus de 30 km journaliers. L'autre route, dite impériale du Sud, traverse l'Altiplano andin sur 800 km, du Nord au Sud, et se dirige vers Buenos Aires ; bien que plus longue, elle présente l'avantage de déboucher sur l'Atlantique.

    En 1825, la côte, qui ne dispose que de ports forains peu fréquentés, est vide de population. Elle est de surcroît isolée de l’Altiplano par un désert hostile et la barrière de la Cordillère Occidentale dont certains sommets dépassent les 6 000 m.

    Pourtant, le commerce extérieur bolivien au XIXe siècle, pour 90 % de sa valeur, se réduit à l'exportation de produits miniers bruts extraits de l'Altiplano.

    Le double isolement bolivien

    En ce qui concerne l'état des communications internes du pays, le Consul anglais Pentland signale une situation désastreuse : «Les chemins à l’intérieur de la Bolivie ne sont aptes seulement que pour les mules et lamas ; il n’existe aucune piste pour les charrettes en aucun endroit de la République» (PENTLAND, 1826). Quant aux communications du massif andin avec les régions orientales elles sont des plus aléatoires, aucune piste ou sentier permanent n’existant alors ; seuls les cours d’eau permettent à des radeaux d’atteindre, non sans risques, le Beni. Par contre, Pentland note l’absence de tout transport sur les grands cours d'eau frontaliers avec le Brésil, tels les Rios Madeira et Paraguay.

    Le commerce intérieur bolivien se réduisait alors à l'approvisionnement en coca des zones minières à partir des vallées tièdes des Yungas, en sucre et cacao en provenance de Santa Cruz et au commerce des céréales et tubercules produits dans l'Altiplano. Mis à part ces quelques échanges régionaux, l'autarcie était de règle au sein de l'économie régionale. Faute de voies d’accès, le bétail, pourtant abondant en Orient, n'était pas commercialisé dans les villes de l'Altiplano qui se ravitaillaient en viande d'Argentine.

    Le littoral abandonné

    Bolivar le Libérateur, malgré sa vision géopolitique unitaire, se résigne à la création de la Bolivie et cautionne la partition de la vice-royauté du Pérou jusqu'alors unie par la géographie et l'histoire. Or le port d'Arica, unique exutoire des mines du Haut-Pérou colonial formant alors l'audience de Charcas (la future Bolivie) appartenait administrativement à la vice-royauté de Lima. Aussi le Pérou, devenu indépendant, refuse tout modus vivendi avec son voisin bolivien sur le statut de ce port, tout en lui supprimant les franchises douanières de son unique débouché maritime traditionnel (MENDOZA, 1926). Cette affaire sera la pierre d'achoppement des relations diplomatiques et économiques entre les deux pays pendant près de 50 ans.

    Certes, l'indépendance reconnaît à La Paz sa souveraineté sur le littoral du Pacifique, avec une fenêtre de 400 km de long. Mais cette « côte du Sud » est un repoussoir car elle est affligée d'un climat des

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    plus ingrats. En outre elle est excentrée du centre actif bolivien ; le port forain de Cobija est situé, en effet, à 900 km des bassins miniers d'extraction de l'argent d'Oruro et Potosi. Si Bolivar y dépêche une mission d'inspection (O'CONNOR, 1825) qui recommande d'utiliser Cobija comme port et d'aménager, à peu de frais, la vieille piste conduisant à Potosi, peu y sera entrepris ensuite à cause du manque d’intérêt du grand commerce qui lui préfère le port d’Arica, siège des sociétés de commerce étrangères.

    La naissance de la confédération du Haut-Pérou qui unit les deux pays en 1836 permet d'espérer une solution à la libre utilisation d'Arica, mais cette union éphémère sera dissoute en 1838.

    La Guerre du Pacifique, de 1879 à 1884, entraîne la défaite de la coalition formée par la Bolivie et le Pérou unis contre l'expansionnisme du Chili. La fin du conflit entraîne la perte par la Bolivie de son littoral scellant ainsi son enclavement total.

    En vérité, la cession du littoral bolivien, en 1884, ne devait guère affecter les milieux économiques. En effet, les sites miniers se trouvaient à 31 jours environ de cheminement du littoral et pour un prix du transport supérieur à celui des autres routes internationales, soit 23 pesos pour 100 livres de charge contre 16,4 pour les produits venant de Buenos Aires ou d'Arica (MITRE, 1981). Aussi, les trois quarts des importations boliviennes provenaient de ce dernier port d'autant plus que Rosas, le dictateur argentin, avait imposé l'embargo sur le trafic international avec la Bolivie.

    Passage à l'économie capitaliste : le rail sauve les mines

    À partir de 1880, une crise survient entraînée par la chute des cours mondiaux de l'argent. Elle impose conjointement des économies d'échelle pour le transport et une augmentation de la production pour maintenir la rentabilité de l'exploitation. Or, seul le chemin de fer pouvait répondre à l'augmentation massive du volume d'exportation qui sera atteint entre 1889 et 1899. Sinon, le maintien du charroi traditionnel du minerai aurait nécessité de disposer soit de 60 000 lamas, soit de 24 000 mules ; ce potentiel d’animaux de bât était impossible à réunir comme à entretenir, le plus important transporteur de l'époque ne disposant que de 5 000 lamas pour effectuer le trajet Oruro-Arica.

    Achevé en 1889, le premier chemin de fer bolivien permet, en cinq ans, d'augmenter de 52 % la production minière, tout en assurant la récupération des déchets miniers jusque-là trop onéreuse et qui décuple entre 1890 et 1894.

    Mais le rail produit un autre effet car il favorise l'emballement des importations de produits agricoles qui, de 1884 à 1894, augmentent de 1 000 % en valeur. Cette concurrence soudaine faite aux productions agricoles boliviennes, articulées depuis la Colonie sur les zones minières de Potosi et Oruro, entraîne l'étiolement de l'agriculture régionale.

    À titre d'exemple (MITRE, 1981), en 1890, une unité de blé produite à Cochabamba a un prix égal à ceux pratiqués dans les ports du Pacifique. Mais, transportée à La Paz son prix est de 5 pesos tandis que le blé provenant d'Antofagasta coûte, lui, 3,98 pesos et celui de Mollendo (port du sud péruvien) 4,25. De 1891 à 1893, les importations de farine augmentent de 45 % et celles de blé de 48 %. La même situation prévaut pour la production sucrière de Santa Cruz qui, livrée au prix de 32 pesos le quintal à Potosi, n'est plus compétitive avec l'arrivée du sucre importé par voie ferrée à un prix de 20 pesos le quintal.

    Une situation paradoxale en découle pour la politique des transports car le déclin des productions locales entraîne un dépérissement des économies régionales décourageant la création de nouvelles lignes de communications intérieures.

    Cette ouverture ferroviaire a aussi une autre implication car elle provoque l'abandon du commerce qui s'effectuait jusqu'alors par le port d'Arica au Pérou ou bien par l'Argentine, au profit des ports chiliens. En 1900, ce sont 85 % des importations qui sont réalisées par le port d'Antofagasta et

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    14 % seulement par celui d'Arica devenu aussi chilien. Déjà vainqueur de la Guerre du Pacifique, le Chili monopolise ainsi, avec le chemin de fer construit vers la Bolivie, la majeure partie du commerce bolivien.

    Certes, les gouvernants boliviens ne se sont pas résignés aisément à cette situation. Après 1880, on note la reprise d'un intérêt, datant des années 1850 (ABADIE, 1995), pour encourager l'essor du trafic sur les grands fleuves orientaux. Mais ce sera un échec, faute de réseau routier en Orient et à cause des difficultés du trafic avec les rapides du Madeira (qui, en 1913, sera contourné par le chemin de fer du caoutchouc, le Madeira-Mamoré). Si les espoirs se tournent ensuite vers une sortie par le bassin de La Plata, l'absence d'un accord frontalier avec Asunción, qui seul aurait ouvert à la Bolivie la navigation sur le Rio Paraguay, aboutit à une série d'échecs, de même que les tentatives de navigation sur le Pilcomayo, cours d’eau capricieux qui traverse le Chaco resté inexploré et hostile.

    La politique libérale : apogée du chemin de fer andin

    Avec l'arrivée au pouvoir des Libéraux, en 1904, la Bolivie entame une politique d'extension accélérée de son réseau ferroviaire. Celui-ci emporte d'autant mieux la préférence sur la construction de routes qu'il bénéficie d'emprunts de consortiums internationaux qui sont en concurrence aiguë. La Bolivie reçoit aussi des indemnités pour les cessions de territoires faites - faute de communications pour les mettre en valeur - en 1903 (Acre) et 1904 (Littoral), respectivement au Brésil et au Chili, afin de construire des voies ferrées d'intérêt commun avec ces pays voisins !

    Cette politique est supportée par un nouvel enjeu économique, celui des exportations du minerai d'étain dont la Bolivie devient un des plus grands producteurs mondiaux. Les nouvelles mines sont aussi situées sur l'Altiplano andin donc bénéficient des infrastructures ferroviaires déjà existantes tout en justifiant l'extension du réseau. Ainsi, après le règne des « patriarches de l'argent », l'économie du pays passe sous la coupe durable des « rois de l'étain ».

    De 1900 à 1925, il se construit sur l'Altiplano la moitié du réseau ferroviaire bolivien actuel tandis que l'Orient bolivien, privé de toute construction de voie ferrée, souffre d'un isolement aggravé. La valeur des exportations de minerai quadruple, entre les périodes 1901-1905 et 1926-1930, et les importations suivent le même rythme ; des ventes d'importance secondaires d'antimoine, de cuivre et d'argent, accentuent le caractère économique minier des Andes qui monopolisent l'essentiel de l'économie bolivienne après la débâcle définitive des ventes du caoutchouc amazonien, à partir de 1923.

    L'échec de l'intégration régionale et l'attraction sur le littoral

    Si un réseau de 1 196 km de chemins de fer existe en 1912 (WALLE, 1913), il obéit d'abord au strict intérêt des mineurs et des importateurs.

    À partir de 1915 débute une seconde étape dans la politique d'extension du réseau ferré (CONTRERAS, 1995). Elle vise à l'intégration dans le cadre national des marchés régionaux ruinés par la politique d'importation. Mais son déroulement sera marqué par des échecs financiers comme par des surenchères désordonnées entre notables régionaux.

    Les échecs de l’extension des voies ferrées vers l’Orient conduisent à privilégier la côte pacifique comme unique exutoire renforçant la dépendance commerciale avec le Chili qui concentre 81 % du commerce extérieur bolivien sur ses ports en 1921.

    Années 1950 : fin du monopole ferroviaire

    En 1950, cette politique ferroviaire reste inachevée à cause de la banqueroute qui suit la désastreuse

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    guerre du Chaco. Plus grave, si la Bolivie dispose d'un réseau important, en comparaison avec les autres pays andins, il reste tronqué.

    En effet, l'achèvement, en 1954, de la ligne de Santa Cruz à Corumba (750 km) au Brésil commencée en 1938, puis de celle de Santa Cruz à Yacuiba (600 km) et l'Argentine, débutée en 1942, n'est pas suivi de leur connexion, soit avec Cochabamba, soit avec Sucre et le réseau andin. Précisons que ces deux nouvelles lignes, construites avec l'appui financier et technique du Brésil et de l'Argentine, ont répondu principalement aux nécessités de l'exportation vers ces deux pays du pétrole découvert dans les années 1920 dans l'Orient bolivien et qui est à l'origine de la Guerre du Chaco, de 1932 à 1936. Cette situation durable n'a fait qu'approfondir la rupture géographique et économique existant entre le massif andin, riche de ses mines, et l'Orient, redevenu inerte économiquement depuis la fin du boum du caoutchouc en 1912 car coupé du reste du pays comme de l'extérieur (FIFER, 1976).

    Le réseau ferré n'a plus évolué depuis 1955. Il atteint alors une extension de 3 641 km, partagée entre celui de l'Orient, avec 1 414 km, et le réseau occidental andin, avec 2 227 km.

    Le réseau routier : un oublié

    Carte 1.6.�Le réseau terrestre bolivien en 1898

    LégendeRoutes principalesCheminsVoies ferréesCentres peuplésPertes territoriales

    Brésil

    Brésil

    Paraguay

    Argentine

    Chili

    Pérou

    Source : Carte de L. Garcia Mesa, 1898

    Carte 1.6bis�Le réseau terrestre bolivien en 1950

    LégendeRoutes principalesCheminsVoies ferréesCentres peuplésPertes territoriales

    Cochabamba

    La Paz

    Trinidad

    Coroico

    San Jose

    Pto Suarez

    GuayaramerinCobija

    Santa CruzOruro

    Potosi

    Sucre

    Tarija

    Source : Carte de René Camacho L.

    YacuibaVillazon

    Brésil

    Brésil

    Paraguay

    Argentine

    Chili

    Pérou

    Camargo

    Challapata

    Pto Villaroel

    Carte 1.6ter�Le réseau terrestre bolivien : 1992

    LégendeRoutes principalesCheminsVoies ferréesCentres peuplésPertes territoriales

    Cochabamba

    La Paz

    TrinidadSan Borja

    San Jose

    Pto Suarez

    Chimore

    GuayaramerinCobija

    Santa CruzOruro

    Potosi

    Sucre

    Tarija

    YacubaVillazon

    Brésil

    Brésil

    Paraguay

    Argentine

    Chili

    Pérou

    Camargo

    Challapata

    Pto Villaroel

    Source : Carte IGM, 1997, Atlas national

  • En 1851, un géographe-statisticien (DALENCE, 1975) reconnaissait sans ambages la gravité de la situation du réseau routier : « On ne peut nier que la majorité de nos chemins est impraticable ».