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La bibliothèque en concurrence Les bibliothèques au cinéma : différentes représentations à l’œuvre BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 4 bbf : Juillet 2012

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C’est l’histoire d’un petit épicier qui voit s’ouvrir, juste à côté de son petit magasin, une grande surface. Du jour au lendemain, il perd 50 % de son chiffre d’affaires. Une semaine après, c’est une autre grande surface qui s’ouvre, juste de l’autre côté de son petit magasin. Il perd à nouveau, du jour au lendemain, 50 % de son chiffre d’affaires. Et puis, il a une idée. Il met au-dessus de son petit magasin un grand panneau, sur lequel il y a écrit : « Entrée principale ». Est-ce la solution, pour les bibliothèques, cernées par la concurrence ?

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La bibliothèque en concurrence

Les bibliothèques au cinéma : différentes représentations à l’œuvre

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DOSSIER

La bibliothèque en concurrence

1 – FrictionsPenser la bibliothèque en concurrenceDominique Lahary

Le projet pierresvives : bibliothèque en concurrence ?Mélanie Villenet-Hamel

Le NBD Biblion : partenaire, fournisseur ou concurrent des bibliothèques néerlandaises ?Amandine Jacquet

La médiathèque d’AlhóndigaBilbao : un modèle de partenariat de gestion publique-privéeAlasne Martin Goikoetxea

2 – ConfrontationsLes médiathèques, quelle place dans l’économie des films ?Marianne Palesse et Jean-Yves de Lépinay

Dans la brume électronique : des inquiétudes autour du marché du livre électronique aux États-Unis et de sa présence en bibliothèqueSébastien Respingue-Perrin

Un printemps à la BPI : du mode « concurrence » au mode « inclusif »Hélène Deleuze

Usagers et bibliothécaires : concurrence ou co-création ?Xavier Galaup

3 – MixtionsBibliothèques universitaires et concurrence ou comment la communication devrait venir aux bibliothèquesViolaine Appel et Lylette Lacôte-Gabrysiak

La numérisation à la Bibliothèque nationale de France et les investissements d’avenir : un partenariat public-privé en actesDenis Bruckmann et Nathalie Thouny

Les « cafés mangas » : une concurrence riche d’enseignementsNicolas Beudon

À PROPOSLes bibliothèques au cinéma : différentes représentations à l’œuvreHoël Fioretti

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BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 6BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 6

BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 6BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 6

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Juillet 2012

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: 2012/Numéro 4

Le Bulletin des bibliothèques de France paraît tous les deux mois et est publié par l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des biblio­thèques (Enssib).

Directrice de la publicationAnne­Marie Bertrand

Rédaction17­21 bd du 11 novembre 1918 69623 Villeurbanne Cedextél. 04 72 44 75 90fax 04 72 11 44 57

Rédacteur en chef Yves Desrichard tél. 04 72 44 43 00mél [email protected]

Rédactrice en chef adjointeClaire Roche­Moigne tél. 04 72 44 75 93 mél claire.roche­[email protected]

Mise en pages, publicité et mise en ligneCelestino Avelartél. 04 72 44 75 94mél [email protected]

Traduction des résumésVictor Morante, Vera Neaud, Susan Pickford

Comité de rédactionThierry Ermakoff, Anne Kupiec, Christophe Pérales, François Rouyer­Gayette, Laurence Tarin, Sarah Toulouse, Benoît Tuleu

L’adversaire (2001)Film de Nicole Garciaavec Daniel Auteuil, Emmanuelle Devos, François Cluzet

Correspondants étrangersJean­Philippe Accart (Suisse)

Gernot U. Gabel (Allemagne)

Anna Galluzzi (Italie)

Alain Jacquesson (Suisse)

Jack Kessler (États­Unis)

Marie D. Martel (Canada)

Elmar Mittler (Allemagne)

Amadeu Pons y Serra (Canada, Québec)

Réjean Savard (Canada, Québec)

Catharina Stenberg (Suède et pays

scandinaves)

Sarah Sussman (États­Unis)

AbonnementsEnssibService abonnements17­21 boulevard du 11 novembre 191869623 Villeurbanne Cedextél. 04 72 44 43 05

Tarifs 2012AbonnementsL’abonnement est annuel, par année civile.• France : 85 € Tarif dégressif dès le deuxième abonnement souscrit dans un même établissement : 68 €• 40 € pour les étudiants en filière bibliothèques et métiers du livre• Étranger : 95 €

Vente au numéro : 17 € (tarif étudiant : 10 €)par correspondance à l’Enssibou sur place à la rédaction.

FabricationCréation graphique Bialec sas, Nancy (France).

ImprimeurImprimerie Bialec54001 Nancy – FranceDépôt légal : no 78525 juillet 2012

Commission paritaireno 1115 B 08114

Issn 0006­2006

Le Bulletin des bibliothèques de France est dépouillé dans les bases Pascal de l’Inist et Lisa (Library Information Science Abstracts).

Protocole de rédactionLe Bulletin des bibliothèques de France publie des articles portant sur les biblio thèques, le livre, la lec­ture, la documentation, et tout sujet s’y rapportant.

Présentation des textesLes manuscrits (saisis avec le logi­ciel Word ou enregistrés au format RTF) peuvent nous être adressés par courrier électronique. La frappe au kilomètre, sans enrichissement, est impérative.

Les graphiques et schémas doivent être accompagnés de leurs données chiffrées (par ex. courbes avec don­nées sur Excel) afin de pouvoir être réalisés dans la mise en pages.

Les illustrations et les photogra­phies peuvent être fournies enregis­trées en EPS binaire, JPEG qualité maximale ou TIFF, avec une résolu­tion de 300 dpi.

L’institution à laquelle est affilié l’auteur est précisée à la suite de son nom, ainsi que l’adresse élec­tronique de l’auteur.

Les articles peuvent être rédigés en français, en anglais, en allemand ou en espagnol. Ils seront accompa­gnés d’un résumé d’auteur (environ 100 mots) indiquant rapidement le contenu et les principales conclu­sions.

Présentation des notesLes notes infrapaginales, signalées dans le texte en appel de notes, doi­vent être placées en bas de page où se trouvent les appels respectifs et numérotées de façon continue.

Les références bibliographiques fi­gurent en fin d’article : les appels dans le texte sont mis entre cro­chets.

Sigles et abréviationsLes sigles et acronymes seront suivis du nom complet de l’organisation ou du système qu’ils représentent.

Les opinions émises dans les arti­cles n’engagent que leurs auteurs.

Le Bulletin des bibliothèques de France est consultable gratuitement sur internet à l’adresse suivante : http://bbf.enssib.fr

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É D I T O R I A L

L’adversaireC’est l’histoire d’un petit épicier qui voit s’ouvrir, juste à côté de son petit magasin, une grande surface. Du jour au lendemain, il perd 50 % de son chiffre d’affaires. Une semaine après, c’est une autre grande surface qui s’ouvre, juste de l’autre côté de son petit magasin. Il perd à nouveau, du jour au lendemain, 50 % de son chiffre d’affaires. Et puis, il a une idée. Il met au-dessus de son petit magasin un grand panneau, sur lequel il y a écrit : « Entrée principale ». Est-ce la solution, pour les bibliothèques, cernées par la concurrence ?

Commençons par une bonne nouvelle : si les bibliothèques sont en concurrence, eh bien, c’est qu’elles existent encore ! Car, dans notre bienheureuse société où, je vous le rappelle, il faut s’adapter ou mourir, il n’y a que deux solutions (on vient de les dire). On peut mourir : ceux qui le souhaitent ou l’anticipent peuvent arrêter là la lecture de cet éditorial, et du dossier par la même occasion.

Les autres auront déjà fait un constat lucide, et continué à avancer : les collections, qui étaient notre grande force, sont ailleurs, en tout cas ailleurs aussi. Les services, anciens ou nouveaux, traditionnels ou innovants, sont battus en brèche. Et, de toute façon, le public a bien d’autres choses à faire que lire, écouter, voir (des livres, de la musique, des films) en bibliothèque.

Mais, comme à la fin de la première partie d’Autant en emporte le vent, tout n’est pas perdu – qu’on aime, ou pas, les navets. Et, pour reprendre la bataille, il y a, finalement, des tas de possibilités, que ce numéro ne fera qu’esquisser (mais c’est son plan).

Les frictions sont indéniables, la bibliothèque est concurrencée de toutes parts. Mais n’est-ce pas, avant tout, en termes d’image ? Dans ce cas, tout n’est pas perdu pour elle. À l’heure de la domination de l’illusion, elle peut, aussi, affirmer et affermir son existence, si elle trouve l’équilibre entre sincérités et cynismes.

Les confrontations, elles, sont plus douloureuses, mais, là encore, il faut garder courage. Pas franchement comme Rhett Butler, qui rejoint les troupes sudistes en déroute. Plutôt comme Scarlett O’Hara, qui transforme un rideau en robe (on me fera la grâce de ne pas considérer la comparaison comme sexiste).

Et puis, plus fascinant encore, il y a les mixtions. Adopter les méthodes du privé, pour le meilleur (pour le pire, c’est déjà fait). Et se laisser contaminer, jusqu’à un certain point, où nous serons, c’est sûr, plus proches de David Cronenberg que de Victor Fleming.

Et, puisque nous avons commencé par une petite histoire, finissons de même. À une petite fille qu’elle n’aime pas, dans la cour de la maternelle, une autre petite fille demande : « Tu sais ce qui t’arrivera plus tard ? » Et de répondre : « Rien. » C’est, au fond, l’ennui qui nous guetterait si nous n’étions au temps de la bibliothèque en concurrence.

Yves Desrichard

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2 bbf : 2012 Paris, t. 57, no 4

sommaire : 2012/Numéro 4

01 Dossier

La bibliothèque en concurrence

1 – FrictionsPenser la bibliothèque en concurrence 6Dominique Lahary

Le projet pierresvives : bibliothèque en concurrence ? 11Mélanie Villenet-Hamel

Le NBD Biblion : partenaire, fournisseur ou concurrent des bibliothèques néerlandaises ? 15Amandine Jacquet

La médiathèque d’AlhóndigaBilbao : un modèle de partenariat de gestion publique-privée 19Alasne Martin Goikoetxea

2 – ConfrontationsLes médiathèques, quelle place dans l’économie des films ? 24Marianne Palesse et Jean-Yves de Lépinay

Dans la brume électronique : des inquiétudes autour du marché du livre électronique aux États-Unis et de sa présence en bibliothèque 29Sébastien Respingue-Perrin

Un printemps à la BPI : du mode « concurrence » au mode « inclusif » 35Hélène Deleuze

Usagers et bibliothécaires : concurrence ou co-création ? 40Xavier Galaup

3 – MixtionsBibliothèques universitaires et concurrence ou comment la communication devrait venir aux bibliothèques 44Violaine Appel et Lylette Lacôte-Gabrysiak

La numérisation à la Bibliothèque nationale de France et les investissements d’avenir : un partenariat public-privé en actes 49Denis Bruckmann et Nathalie Thouny

Les « cafés mangas » : une concurrence riche d’enseignements 54Nicolas Beudon

02 À proposLes bibliothèques au cinéma : différentes représentations à l’œuvre 60Hoël Fioretti

03 Tour d’horizonLes bibliothécaires italiens s’interrogent sur le rôle des bibliothèques et des bibliothécaires 67Anna Galluzzi

Salon du livre de Paris 2012

– La bibliothèque, dernier service public culturel de proximité ? 69 Yves Desrichard

– Concevoir aujourd’hui une bibliothèque pour demain 70 Yves Desrichard

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– Doit-on encore chercher à désacraliser les bibliothèques ? 71 Yves Desrichard

– La bibliothèque dans le nuage numérique 72 Yves Desrichard

– « Faut-il encore des bibliothécaires ? » 73 Cécile Fauconnet

Les bibliothécaires face aux problématiques de médiation : une nécessité pour valoriser les ressources numériques 74Yves Desrichard

« Quel avenir pour la librairie en Europe ? » 75Anaïs Andreetta, Pauline Bosset, Blandine Chicaud et Julie Lemarchand

Les Journées numériques, Jnum 77Émilie Barthet

Usages et pratiques documentaires des jeunes à l’ère du numérique 78Cécile Mirland

04 CritiquesDenise Dupont-Escarpit Née en 1920 : journal 81Fabien Vélasquez

Chris Hedges L’empire de l’illusion : la mort de la culture et le triomphe du spectacle 82Yves Desrichard

Jean Perrot Du jeu, des enfants et des livres à l’heure de la mondialisation 83Claudine Hervouët

Christian Robin Les livres dans l’univers numérique 83Yves Desrichard

Jirina Smejkalova Cold War Books in the “Other” Europe and What Came After 84Martine Poulain

Créer des services innovants. Stratégies et répertoire d’actions pour les bibliothèques Sous la direction de Marie-Christine Jacquinet 85Joëlle Muller

Mener un projet international : bibliothèques françaises et coopération internationale Sous la direction de Raphaëlle Bats 86Marie-Noëlle Andissac

Mutations de l’enseignement supérieur et internationalisation : Change in Higher Education and Globalization Sous la direction d’Imelda Elliott, Michael Murphy, Alain Payeur, Raymond Duval 87Daniel Renoult

Résumés des articles 90

Annonceurs Éditions en Lecture publique du ministère de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles (p. 65) Électre (p. 4 et 3e de couverture) InterCDI (p. 96) Presses de l’enssib (p. 53 et 89)

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Bibliothèques 2.0à l’heure des médiassociauxSous la direction de Muriel Amar et Véronique MesguichOptimisez les nouveaux usages. L’évolution du Web 2.0 est si rapide qu’après deux ans seulement, une publication entièrement nouvelle s’est avérée indispensable. Les usages « sociaux » du Web (Google Plus, Facebook, Twitter), l’importance du numérique dans la publication et la diffusion des ouvrages — sans oublier la banalisation des smartphones et tablettes — engendrent un modèle économique caractérisé par la surabondance, la mobilité et le temps réel. Il convient donc de travailler et d’échanger à travers des outils ouverts et collaboratifs. Catalogues 2.0 et 3.0, portails de fl ux d’informations ciblées, blogs… permettent à de nombreuses bibliothèques d’élargir et de fi déliser leurs publics. Quels types de contenus partager ? Avec qui ? Comment organiser des données hétérogènes ? Assurer la protection du droit d’auteur ? Comment valoriser ses ressources grâce à son identité numérique ?L’éclatement des fonctions est-il inéluctable ? Autant de questions auxquelles ce manuel apporte, notamment à travers des exemples, les réponses de vingt-quatre auteurs, professionnels des bibliothèques ou du livre, sociologues, chercheurs et enseignants.

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Concurrence ! Qu’ont donc à faire les bibliothèques avec ce concept cardinal de la société

marchande, elles qui sont précisé-ment hors marché ? J’ai, sur ce sujet, trouvé mon chemin de Damas, grâce à l’Observatoire de lecture publique qui m’invita à intervenir, le 24 juin 2004, lors d’une mémorable journée d’étude organisée à la Bibliothèque na-tionale de France sur le thème : « Pu-blics, quelles attentes ? Bibliothèques, quelles concurrences ? 1 » Je ne l’ai pas quitté depuis. Ce fut pour moi une découverte, au sens propre : c’était déjà là, mais je ne le voyais pas, ou de façon confuse.

Ce n’est pas pour rien que cette journée associait les notions de public et de concurrence. Car ce n’est qu’en se plaçant du point de vue du public que l’on peut sortir du splendide iso-lement mental qui, positionnant la bibliothèque en dehors du monde des échanges marchands, la fait reine d’un monopole, fût-il borné dans le cercle de l’action publique. Juxtaposé, en quelque sorte, à l’univers de la mar-chandise.

Car le public, nous le savons tous, ne serait-ce que parce que nous en faisons partie, utilise la bibliothèque comme une source d’approvisionne-ment parmi d’autres, et ne la choisit à titre principal ou occasionnel que pour autant qu’il y a vu son intérêt. C’est-à-dire qu’il agit très précisément en tant qu’agent économique, même

1. Dominique Lahary, Bibliothèque et concurrence : par quel(s) bout(s) prendre la question ?, 2004 : www.lahary.fr/pro/2005/concurrence-lahary.htm et Publics : quelles attentes ? Bibliothèques : quelles concurrences ?, Éd. de la BPI, 2005, téléchargeable en ligne : http://editionsdelabibliotheque.bpi.fr/livre/?GCOI=84240100544540

si, en cette qualité même, il ne fait pas preuve d’une rationalité pure 2.

Qui sont les concurrents de la bibliothèque ? Le commerce, bien sûr. Mais aussi le prêt ou le don entre per-sonnes qui se connaissent. Et, s’agis-sant des fichiers électroniques, tous les moyens gratuits ou non, légaux ou non, de se les procurer. Enfin, les bibliothèques peuvent être mises en concurrence entre elles.

Éléments de concurrence

Le coût

Le coût est évidemment un clas-sique de la concurrence, et l’on pour-rait penser que les bibliothèques y occupent une position déloyale, ou du moins avantageuse, puisqu’elles ne vendent pas. Or, dès qu’il y a tari-fication de l’inscription, est induit chez l’usager potentiel un raisonne-ment économique : pour le prix an-nuel qu’on me demande, ou que j’ai acquitté, en aurais-je, en ai-je eu pour mon argent ? Ce calcul prospectif ou rétrospectif met bien en concurrence directe, sur le seul critère du prix, la bibliothèque forfaitaire avec les ser-vices commerciaux de vente ou de location.

Et la gratuité totale ? D’une part, elle n’épuise pas la question du coût, puisqu’il y a celui du transport dès lors qu’on ne vient pas à pied ou à bicyclette. D’autre part, la gratuité est devenue un modèle économique mar-chand puissant. Après la radio et la

2. On lira avec profit, pour une approche économique applicable aux biens culturels, L’économie des singularités de Lucien Karpik, Gallimard, 2007, coll. « Bibliothèque des sciences humaines ».

Dominique LaharyBibliothèque départementale du Val-d’[email protected]

Dominique Lahary est directeur adjoint de la bibliothèque départementale du Val-d’Oise. Titulaire du CAFB après avoir obtenu une licence et une maîtrise d’histoire, il est l’auteur de nombreux articles professionnels, notamment dans le BBF et le Bulletin d’informations de l’ABF ou BIBLIOthèque(s), qui sont consignés sur son site professionnel www.lahary.fr/pro. Il tient également le blog Dlog (http://lahary.wordpress.com). Il est vice-président de l’ABF et président de l’IABD…

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Penser la bibliothèque en concurrence :

télévision, le numérique a largement diffusé ce modèle qui sait être lucratif. Voilà la bibliothèque concurrencée sur sa gratuité même.

L’exhaustivité

Il ne s’agit pas d’une exhaustivité réelle, mais d’une exhaustivité qui à chaque moment est souhaitée par un usager, soit qu’il sache exactement ce qu’il cherche, soit qu’il fouine, furète, découvre. Où trouver ce qu’on cherche, où chercher ce qu’on va être satisfait de trouver, en fonction de son besoin du moment, de ses goûts, de sa curiosité ? Telle est la question.

La qualité

La qualité est l’inverse de l’exhaus-tivité, puisqu’elle implique la sélec-tion, appréciée par chaque utilisateur en fonction de ce qu’il est, aime et souhaite à chaque instant.

La rapidité

Combien de temps vais-je mettre pour me rendre à la bibliothèque puis y trouver ce que je cherche ? C’est toute une chaîne qui combine le temps de marche ou de transport, l’agencement interne des locaux, l’ef-ficacité du catalogue, du personnel ou de la signalisation. Plus la biblio-thèque est vue comme un service de prêt où l’on ne séjourne pas, ce qui n’épuise évidemment pas sa fonction, plus le critère de rapidité est impé-rieux.

La commodité

Au-delà de la rapidité, c’est la facilité d’usage qui peut faire la diffé-rence. Est-ce que je trouve facilement ce que je cherche ? Est-ce que je dois m’organiser en fonction de l’établis-sement ou celui-ci est-il adapté à mes propres rythmes ?

La réutilisation

Quand on parle de réutilisation, il s’agit essentiellement de la copie pri-vée, qui peut être une des motivations de l’emprunt. Prenons l’exemple parti-culièrement frappant de l’écoute musi-cale. C’est devenu une pratique répé-titive et nomade dès les années 1980 grâce à l’invention du walkman. Les discothèques de prêt furent alors une aubaine, permettant d’emprunter des CD pour les copier sur sa mini-bande magnétique. Au tournant du siècle, in-ternet est devenu la nouvelle aubaine, les formats et techniques de copie ont changé. La même logique d’usage per-dure, mais la source d’approvisionne-ment a changé.

La bibliothèque comme aubaine empêtrée

La bibliothèque représente un effet d’aubaine. Pouvoir disposer d’un choix plus ou moins large et ne pas payer, ou du moins payer un for-fait, en voilà une bonne affaire ! Les enquêtes de public reposant sur des entretiens se font l’écho de cet effet. Certes, on ne garde pas les docu-ments. Mais, comme l’a brillamment prédit Jeremy Rifkin, nous sommes à l’âge de l’accès 3. Les bibliothèques ont largement précédé le mouvement : l’usage n’implique pas toujours la pro-priété.

Oui mais… La bibliothèque contra-rie l’aubaine qu’elle représente par une collection impressionnante de contraintes. Contraintes temporelles bien sûr : ce sont les heures d’ouver-ture, globalement trop restreintes dans les bibliothèques publiques françaises 4, et qui de toute façon ne peuvent atteindre les fameux 24 heures sur 24 et 365 jours par an. Seules les boîtes de retour, qui heureu-sement se multiplient, offrent la com-modité de cette permanence.

3. Jeremy Rifkin, L’âge de l’accès : la vérité sur la nouvelle économie, la Découverte, 2000.4. Les bibliothèques universitaires sont dans l’ensemble bien plus ouvertes que les bibliothèques municipales ou intercommunales.

Les fonds des bibliothèques sont limités. On ne trouve pas forcément ce qu’on veut. Ou bien « c’est sorti », ou perdu. On peut bien suggérer des achats, mais la réponse n’est pas cer-taine. Et il faut du temps pour que le document soit disponible. Il y a les limites des règlements de prêt, en nombre de documents et en durée, même si ça et là on tente l’illimité, sur le premier critère plus souvent que sur le second.

Face au web qui fait croire à la promesse du « tout, tout de suite », et au commerce qui, s’agissant des nou-veautés, met en pile les exemplaires d’un même titre, les bibliothèques, machines à découvertes, sont aussi machines à décevoir.

C’est précisément leur statut d’au-baine empêtrée par toutes ces limi-tations qui les légitime, aux yeux des acteurs économiques de la chaîne du livre et autres supports, comme non-concurrentes. La concurrence frontale que la bibliothèque gratuite ferait au commerce des œuvres de l’esprit n’a jamais pu être vraiment établie, tandis que leur pouvoir d’achat, si marginal soit-il, fait que leur clientèle est recher-chée 5. Cette aubaine empêtrée permet la coexistence pacifique entre diffusion publique et commerce. Concurrence du point de vue de la demande, oui. Concurrence du point de vue de l’offre, pas vraiment, pas tout à fait.

Penser le service public en concurrence

Comment penser le rapport à la concurrence de la bibliothèque en tant que service public ? On est là bien loin de la problématique, si prégnante à l’échelle européenne, de la mise en concurrences des services de base et de la dissolution des monopoles publics dans le libéralisme économique. C’est que les bibliothèques ne détiennent

5. Voir notamment « Les bibliothèques, acteurs de l’économie du livre : l’articulation achat/emprunt – synthèse », Bulletin d’informations de l’ABF, no 166, 1995. En ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/revues/document-brut-44090 Cette étude a été menée dans le cadre de la préparation de la législation sur le droit de prêt.

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8 bbf : 2012 t. 57, no 4

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aucun monopole initial : la concur-rence était déjà là. Même l’audiovi-suel public s’analyse différemment puisque, coexistant aujourd’hui avec le secteur privé, il partait bien d’une situation de monopole des ondes.

Le fait que les usagers mettent objectivement les bibliothèques en concurrence avec d’autres sources d’approvisionnement ne signifie pas que le service public soit à pen-ser, à définir et à mettre en œuvre en concurrence avec la diffusion marchande ou non, qui lui échappe, comme s’il lui fallait conquérir des parts de marché contre les autres. Là encore, la concurrence constatée du point de vue de la demande n’im-plique pas la mise en concurrence du point de vue de l’offre.

Ce n’est que dans une perspective d’intérêt public que le service public peut définir et déployer sa stratégie dans un contexte concurrentiel, afin de remplir des objectifs culturels, éducatifs, informationnels, sociaux. Parce que des besoins, sans lui, ne seraient pas couverts, ou moins bien. Mais aussi parce qu’il contribue à faire connaître et mettre en valeur des œuvres, quitte à ce que le commerce en bénéficie. Il n’y a pas à rechercher de retour sur investissement direct et exclusif en termes d’emprunt, et ce n’est pas enrichir la concurrence que de susciter l’achat ou l’échange non marchand.

Ainsi la bibliothèque peut-elle être pensée non comme absolue mais comme relative, actrice parmi d’autres du paysage de la diffusion culturelle, informationnelle et scien-tifique, y jouant un rôle spécifique et n’ayant pas prétention à couvrir tous les besoins. Si certains sont plus com-modément couverts par d’autres voies, tant mieux ! Cela revient à remettre en cause l’idéal encyclopédique : avoir de tout, fût-ce, pour les petites biblio-thèques, avoir de tout un tout petit peu. L’essentiel est que les besoins encyclopédiques soient couverts, par les bibliothèques ou par d’autres voies.

Cette relativité de son offre n’im-plique nullement que la bibliothèque comme service public ait à se penser comme relative du point de vue des usagers, n’étant tenue par exemple que de servir une demande non sol-

vable, en quelque sorte de jouer un rôle d’épicerie sociale culturelle. Le principe même du service public im-plique l’égalité d’accès, même si par ailleurs, dans le cadre d’une politique publique, elle peut prêter attention à telle ou telle catégorie d’usagers, en particulier pour éviter que la pente naturelle de son fonctionnement ne privilégie de fait toujours les mêmes couches sociales.

On peut également récuser l’idée de concurrence de l’offre entre les bi-bliothèques. Celles-ci, réparties sur un territoire et entre les institutions (col-lectivités territoriales, établissements d’enseignement, établissements natio-naux), forment objectivement un seul et même maillage de services com-plémentaires. Le collégien qui quitte la bibliothèque de son village pour le CDI ou la bibliothèque publique proche de son collège n’est pas perdu, même s’il va ailleurs. Les multifré-quentants qui mettent en concurrence les divers établissements à portée de leur propre mobilité ne font que réa-liser, d’en bas, la mise en réseau que, d’en haut, il serait vertueux d’organi-ser et d’optimiser.

La seule limite qui peut être ap-portée à cette analyse réside dans les stratégies des entités dont relèvent les bibliothèques. Une collectivité territo-riale, un établissement d’enseignement supérieur, peuvent très bien conduire une démarche concurrentielle vis-à-vis de leurs homologues, et la bibliothèque peut être utilisée comme outil au ser-vice de cette démarche.

Quelle concurrence dans une économie d’abondance ?

Le numérique en réseau a pour partie provoqué une rupture radi-cale de modèle économique. Il était convenu que la rareté était le fonde-ment même de l’économie : à partir du moment où un bien est dit rival (si je l’ai, tu ne l’as pas, si je te le donne, le prête ou le vends, je ne l’ai plus), les transactions économiques peuvent se mettre en place, même sur des objets existant en grand nombre.

Parce que le numérique peut rendre possible la dissémination par

copie illimitée, chaque clone étant rigoureusement identique à son mo-dèle, apparaît ce qui était auparavant rigoureusement impensable : une éco-nomie de l’abondance. Certes, celle-ci n’est que partielle : l’énergie, l’eau, les matières premières ne sont hélas pas illimitées, et leur finitude repré-sente un défi croissant. L’abondance numérique elle-même repose sur ces biens rivaux que sont les ordinateurs et autres terminaux mobiles, et sur la bande passante.

Mais on voit bien que la logique du numérique en réseau est celle de la dissémination illimitée. Cette lo-gique d’usage perturbe l’ensemble de la chaîne de rémunération des ayants droit. Au point que les contre-feux ac-tuels, tels que les DRM (Digital Rights Management) ou le streaming sans téléchargement, s’analysent comme des dispositifs techniques de transfor-mation de l’abondance en rareté.

La messe n’est pas dite, et nous sommes en coexistence, mais on peut avec Chris Anderson 6 et Olivier Bom-sel 7 admettre que la gratuité, loin d’être l’apanage de l’échange non mar-chand, est devenue un modèle écono-mique : celui qui paye n’est pas celui qui consomme, comme l’avait déjà es-quissé Émile de Girardin en inventant dans les années 1830 la presse bon marché grâce à la publicité. Même si l’on peut, avec Kevin Kelly 8, énumé-rer à quelles conditions le payant peut être « mieux que le gratuit » : l’immé-diateté, la personnalisation, l’interpré-tation, l’authenticité, l’accessibilité, l’incarnation, le mécénat, la trouvabi-lité.

Reste que, désormais, le web peut globalement être considéré comme une bibliothèque globale, répondant aux fonctions de base que sont la recherche, l’identification et la fourni-ture, et qu’il revient aux bibliothèques institutionnelles de trouver leur place relative dans ce nouveau paysage, sans

6. Chris Anderson, Free ! : entrez dans l’économie du gratuit, Pearson Education, 2009.7. Olivier Bomsel, Gratuit : du déploiement de l’économie numérique, Gallimard, 2007, coll. « Folio actuel ».8. Kevin Kelly, Better than free, 2008 : www.kk.org/thetechnium/archives/2008/01/better_than_fre.php

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Penser la bibliothèque en concurrence :

avoir à se soucier d’une « concurrence d’internet », quand celui-ci n’est que le cadre dans lequel il convient pour par-tie de se repositionner.

Mais si les ressources sont plus ou moins accessibles suivant la logique d’usage (accès illimité, réutilisation, portabilité, gratuité ou faible coût de préférence forfaitaire plutôt qu’à l’unité), que deviendrait la spécificité de la bibliothèque ? En quoi représen-terait-elle une aubaine, qui permettrait au service public de s’appuyer sur un avantage concurrentiel pour exis-ter dans le paysage ? Et en quoi cette aubaine pourrait-elle être empêtrée, garantissant ainsi la coexistence paci-fique qui cahin-caha perdure dans le domaine des biens physiques rivaux ?

L’auteur de ces lignes, qui a na-guère esquissé ce thème 9, a conscience

9. Dominique Lahary, « Entre sélection et abondance : l’offre numérique aux/des bibliothèques », in Les BDP et l’accès à la culture et à l’information à l’heure d’Internet,

d’aboutir ici à une aporie : après l’au-baine empêchée, quoi ? C’est que ce qu’on ne nomme plus guère le « cyber-espace » est un nouveau monde. Far West où ne se feront une place que ceux qui y sont arrivés avec leur cara-vane de pionnier. Les pendules sont re-mises à zéro et tout est à renégocier. En témoigne ces propos d’Arnaud Nourry, PDG du groupe Hachette Livres, tenus en mars 2012 en marge du Salon du livre à Paris, et qui réduisent bien les bibliothèques à un rôle d’épicerie so-ciale : « [Les bibliothèques] ont pour vo-cation d’offrir à des gens qui n’ont pas les moyens financiers un accès subventionné par la collectivité au livre. Nous sommes très attachés aux bibliothèques, qui sont des clients très importants pour nos édi-teurs, particulièrement en littérature. Alors, il faut vous retourner la question : est-ce que les acheteurs d’iPad ont besoin

journées d’étude de l’ADBDP, Périgueux, 1er septembre 2008 : www.adbdp.asso.fr/spip.php?article991

qu’on les aide à se procurer des livres nu-mériques gratuitement ? Je ne suis pas cer-tain que cela corresponde à la mission des bibliothèques 10. » Mais quittons l’aporie numérique et redescendons sur terre.

En deçà de la concurrence, le lieu. Le service ?

Il est bienvenu que, par la grâce d’un mémoire du diplôme de conser-vateur de bibliothèque datant de 2009 11, puis d’un article dans cette

10. Arnaud Nourry, « L’heure n’est pas venue pour les éditeurs d’enlever les DRM », ActuaLitté, 2012 : www.actualitte.com/actualite/lecture-numerique/acteurs-numeriques/l-heure-n-est-pas-venue-pour-les-editeurs-d-enlever-les-drm-a-nourry-32801.htm11. Mathilde Servet, Les bibliothèques troisième lieu, mémoire DCB, 2009 : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notice-21206

Détail du bâtiment de pierresvives à Montpellier. Architecte : Zaha Hadid. Photo : département de l’Hérault.

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revue en 2010 12, la notion de « biblio-thèque troisième lieu » se soit répan-due comme la poudre chez les biblio-thécaires, et au-delà. Ce n’est pas une ruse, même si cela peut en tenir… lieu.

La bibliothèque n’est pas qu’un dispositif de diffusion, sur place (la consultation, l’écran) ou à distance (le prêt, l’écran), d’œuvres, d’infor-mations, de connaissance, fonction à laquelle nous avons jusqu’à ce point du présent article cantonné notre rai-sonnement. C’est aussi un espace public, qui en tant que tel satisfait des besoins, assume des fonctions, bien au-delà du cadre traditionnel de la bi-bliothéconomie et du cercle des com-pétences habituellement attendues des bibliothécaires.

Cela ne date évidemment pas de 2009. D’autres expressions ont pu en rendre compte auparavant : rôle social, lien social, etc. Mais le « troi-sième lieu » a cristallisé une réflexion qui ne demandait qu’à mûrir, et qu’avait préparée la constatation frap-pante du Crédoc, dans son enquête réalisée en 2005 13 : alors que parmi les fréquentants, on comptait, en 1989, pour 100 inscrits, 35 non-ins-crits, on en dénombrait 70 en 2005. Il est depuis banal de constater que chaque jour d’ouverture, les emprun-teurs n’ont constitué qu’une partie du public, et impérieux désormais de compter partout les entrées, comme font les théâtres ou les stades.

Or, ces fonctions multiformes du lieu, éminemment politiques car fai-sant de la bibliothèque un outil au ser-vice de politiques croisées (culturelles, éducatives, sociales), éminemment po-litiques car constituant pour les indivi-dus et les groupes des lieux de liberté, sont à la fois locales (contrairement au web global) et peu concurrentielles.

Certes, d’une localité ou d’un cam-pus à l’autre, le séjourneur trouve ici ou là d’autres lieux pour demeu-

12. Mathilde Servet, « Les bibliothèques troisième lieu », BBF, 2010, no 4, p. 57-63. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-04-0057-00113. Bruno Maresca, avec Françoise Gaudet et Christophe Evans, Les Bibliothèques municipales en France après le tournant Internet : attractivité, fréquentation et devenir, Paris, Éditions de la Bibliothèque publique d’information, 2007.

rer seul ou en groupe, et le troisième lieu n’est d’ailleurs absolument pas un monopole de la bibliothèque. Le sociologue américain qui a produit le concept n’y songeait d’ailleurs pas pré-cisément. Certes également, des lieux culturels marchands sont aussi des espaces de déambulation et de décou-verte répondant objectivement à une fonction bibliothèque. Il n’en reste pas moins que partout où manque une bi-bliothèque adaptée à sa fonction d’es-pace public, soit qu’il n’en existe tout simplement pas, soit que l’exiguïté de ses locaux et de ses horaires la réduise à la fonction de guichet de prêt, il manque quelque chose.

Mais la bibliothèque peut aussi être un lieu de mise en valeur et de production de contenus 14, un lieu d’expériences, de rencontres, bref d’une bonne partie de tout ce que Kevin Kelly qualifiait de « mieux que le gratuit »… et qui, pourtant, en ce cas, l’est. De l’originalité, de l’exclusivité, qui ne soit pas celle de la fourniture mais tout simplement d’un service.

Conclusion

Penser la bibliothèque en concur-rence, avons-nous titré. Reformu-lons : comment penser un service public comme celui-là dans un uni-vers de concurrence ? Nous n’avons trouvé qu’un fil, solide : la politique publique. Concurrent et concurrencé du point de vue de la demande, le service public peut s’affirmer sans stratégie de concurrence du point de vue de l’offre pour peu qu’il se fonde sur des objectifs d’intérêt public. Il importe peu que le périmètre des ser-vices rendus se modifie et, pour partie, s’agissant de fourniture documentaire, se réduise, si l’intérêt public n’est pas menacé. Ce critère définit le cadre mouvant d’une contribution relative, et cependant irremplaçable. Mais il est vrai que tout ce qui ne bouge pas est mort. Poursuivons ! •

Mai 2012

14. Voir les dossiers « Valorisation et production des savoirs en bibliothèque » du no 1, 2011 du BBF, et « Bibliothécaires producteurs de contenus » du no 254, mai 2012 d’Archimag.

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Le projet pierresvives : bibliothèque en concurrence ?

L’idée de concurrence appliquée aux bibliothèques a pu long-temps paraître saugrenue, et

même impensable. Tant que la seule source de connaissance était impri-mée, et que ce même imprimé n’était accessible que par l’achat ou le recours aux bibliothèques, le statut de la lec-ture était assez balisé, et la légitimité de construire et de donner les moyens de fonctionnement nécessaires à la lecture publique peu remise en cause. L’apparition d’internet et l’informa-tisation de la société ont amené les bibliothèques à intégrer à leurs ser-vices la formation à la recherche do-cumentaire et à la navigation. On a pu, jusqu’au début des années 2000, se demander s’il était bien dans les missions des bibliothèques de pro-poser à tous de relever leurs e-mails ou d’utiliser les postes en libre accès pour une navigation internet ludique, mais le numérique a pris sa place en bibliothèque, avec une palette d’usages aussi diverse que les collections ency-clopédiques telles que nous les souhai-tons.

C’est parallèlement à ce même mouvement d’élargissement de l’offre de service en bibliothèque que les pre-miers discours dissonants émanant d’élus ou de contribuables et pointant un taux d’équipement des Français croissant, qu’il s’agisse d’ordinateurs, et plus récemment de smartphones et de tablettes sont apparus. Alors que jusque-là même les non-usagers ne re-mettaient pas en cause la nécessité de disposer de bibliothèques, le fantasme du grand réceptacle de toute connais-sance que serait internet a commencé à remettre en cause le modèle d’équi-pement du territoire hérité de l’après-guerre. On peut ainsi lire et entendre de claires interrogations sur la néces-sité de dépenser de l’argent public

dans les bibliothèques, alors que tout est sur internet, et que de toute façon les jeunes ne lisent plus.

La difficulté croissante des collecti-vités territoriales, dans un contexte de crise financière et de diminution des ressources propres, à boucler un bud-get en équilibre, conduit quasiment dans tous les secteurs à des baisses de budget parfois drastiques.

Pour une bibliothèque départe-mentale, le statut, vague mais incan-tatoire, de compétence obligatoire a pu longtemps l’asseoir au mieux dans une confortable position de rentière, au pire dans une situation d’indiffé-rence polie mais inoffensive 1. La plu-part ont réussi à consolider, grâce à des schémas, des projets de service et autres outils objectivant les discours professionnels, des moyens de fonc-tionnement croissants. Pourtant, l’en-trée dans l’ère de l’efficience, de l’éva-luation, des tableaux de bord et des économies a obligé les bibliothèques à se confronter à une certaine concur-rence, entre services d’une même collectivité, mais aussi entre services culturels sur une même zone de cha-landise. Les difficultés financières d’un grand nombre de départements, ajoutées aux incertitudes concernant la réforme territoriale, ses modalités et désormais son avenir, viennent ag-graver ce mouvement pour un grand nombre de bibliothèques.

1. Les bibliothèques centrales de prêt ont été créées en 1946. Elles avaient pour mission le soutien aux bibliothèques des communes de moins de 10 000 habitants. Dans le cadre des lois de décentralisation dites « lois Deferre », cette compétence a été transférée aux départements en janvier 1986.

Mélanie Villenet-HamelMédiathèque départementale de l’Hé[email protected]

Titulaire d’une maîtrise d’histoire contemporaine, conservateur territorial des bibliothèques, Mélanie Villenet-Hamel est depuis 2005 directrice de la médiathèque départementale de l’Hérault. Elle a notamment participé à l’ouvrage Concevoir et construire la bibliothèque (Ministère de la Culture / Éditions du Moniteur, 2011).

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Le projet pierresvives

Le projet pierresvives est un projet assez ancien, puisque les programmes initiaux auront plus de dix ans au mo-ment de l’ouverture du bâtiment. Le département de l’Hérault, en choisis-sant en 2000 de rassembler archives, bibliothèque et office des sports, ne poursuivait initialement que le seul but de « reloger » trois entités en quête de mètres carrés. Le président du conseil général a alors décidé d’explo-rer la piste d’un regroupement (et non d’une mutualisation) des trois entités. À cette époque, le bâtiment regrou-pant la bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône et les archives départementales n’était pas encore sorti de terre, et il n’existait aucun autre cas de rapprochement de biblio-thèque départementale avec un service d’archives, encore moins avec un of-fice des sports. La très grande parcelle acquise par le département à Montpel-lier pour construire ces bâtiments était ce que l’on appelle une « dent creuse » en urbanisme, entre le quartier popu-laire de la Paillade, marqué par une urbanisation d’urgence, et la ville pro-prement dite, à proximité immédiate de deux lycées, cinq collèges et des locaux du conseil général. Très peu contraignante, elle laissait toutes les possibilités aux architectes pour proje-ter un ou plusieurs bâtiments.

Zaha Hadid a été distinguée pour ce concours, parmi d’autres architectes de renom, à une époque où elle était infiniment moins connue et où son trait était moins immédiatement iden-tifié. Zaha Hadid a travaillé sur sept projets de bibliothèques en Europe et dans le monde, dont cinq ont été réa-lisées ou sont en cours de réalisation. En explorant toujours la problématique architecturale contenant/ contenu, elle s’inscrit systématiquement contre la représentation habituelle de la biblio-thèque immobile. Ses projets, fondés sur la déambulation, intègrent les im-pératifs environnementaux et rompent avec une certaine vision, héritée de la tradition anglo-saxonne, des média-thèques supermarchés, cathédrales ou ruches.

Fonctionnalité et esthétique hy-brides cohabitent dans les bâtiments qu’elle dessine et qui ne laissent per-

sonne indifférent. Leur structuration autour des circulations et des circuits (du visiteur au premier chef, mais aussi du document) fait ressembler ses projets à des mini-villes compactes qui deviennent lieux de lecture, de vie, de rencontres, de détente ou encore de formation, dans un écrin lisible, flexible et plastique. Elle génère la curiosité par un design audacieux, tout en entendant faciliter les interac-tions sociales et culturelles en jonglant entre zones de transit et d’usages.

Pierresvives est une parfaite repré-sentation de l’esthétique des biblio-thèques hadidiennes et l’on est saisi à la visite autant qu’à la lecture du plan par la complexité apparente des entrelacs de circulations, de zones de rencontres, qui révèle ensuite son évi-dence et son efficacité.

Cette proposition, au lieu de se présenter sous la forme d’un campus, comme le programme pouvait l’y invi-ter, est un bâtiment totalement intégré dont la forme s’adapte aux usages : massive dans les espaces de magasins, plus aérée dans les zones de bureaux et totalement transparente pour les lieux publics. Mélange de verre, de béton et d’acier, le bâtiment, comparé par l’architecte à un arbre couché, là où d’autres voient un immense vais-seau nervuré de lumière, entend, par son audace et par ses volumes, mettre les espaces publics en pleine lumière, au sens propre. Bâti sur cinq niveaux et 220 mètres de long, il répartit ses 27 000 m² entre les trois entités et des espaces partagés consacrés à l’exposi-tion et à l’animation, ainsi qu’un audi-torium de 210 places.

Bâtiment et concurrences

Concurrences externes

À mesure que le bâtiment a révélé sa complexité et sa beauté, il est apparu qu’il ne devait pas rester cantonné à des fonctions strictement adminis-tratives, les archives départementales étant alors la seule des trois entités à accueillir du public. Nous avons ainsi ouvert le bâtiment, toujours plus, au point qu’une médiathèque qui était ini-tialement destinée à être un outil pour le réseau et les partenaires est devenue

une médiathèque largement ouverte aux publics. De nombreuses biblio-thèques départementales disposent d’annexes ouvertes au public, la plupart du temps sous convention avec la com-mune qui abonde les moyens de fonc-tionnement. Mais aucune ne dispose d’un plateau de 1 000 m² sur son site central.

Au fil de la construction de ce projet, la localisation singulière de ce bâtiment, en lisière d’un quartier dit sensible, dans un département qui est celui qui verse le plus de RSA (revenu de solidarité active) en France, a rendu évident le fait que nous ne pouvions nous contenter de proposer une mé-diathèque de plus, une salle d’archives de plus, une salle d’exposition de plus. Un travail associant les équipes et le quartier a mis en évidence une né-cessité d’explorer, non seulement ce qui fait la spécificité du bâtiment, qui plus est dans son environnement, ses architectures singulières, mais aussi une certaine forme d’éducation popu-laire renouvelée, autour de la culture et du sport, conjuguant partage des mémoires et échange des savoirs. Une attention portée à l’accueil, à l’accom-pagnement des usagers, et une inté-gration totale du numérique caracté-risent l’offre de service.

C’est à ce moment où pierres-vives est devenu un bâtiment public plus qu’administratif que la notion de concurrence, à plusieurs niveaux, est venue marquer ce projet, et, sinon le menacer, du moins lui faire courir le risque de se détourner du seul objectif acceptable : celui du service public.

Sur le plan de la lecture publique, la proximité géographique de deux médiathèques d’agglomération, bien implantées dans leur quartier, pourrait laisser supposer que pierresvives s’ins-crit clairement en concurrence. Alors que c’est le risque le plus évident, et peut-être justement parce qu’il était si évident, c’est celui que nous avons le plus rapidement écarté, au point qu’avant même l’ouverture se pro-filent les partenariats. Une antériorité de travail commun, inscrite dans une convention, nous a permis de monter un groupe de travail qui a posé les spé-cificités des équipements et permis de planifier les moments d’accueil des dif-férents publics de manière à accroître

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Le projet pierresvives : bibliothèque en concurrence ?

l’offre, au lieu de faire se chevaucher des propositions qui ainsi se retrou-veraient en concurrence. À présent, les projets de services sont clarifiés, les équipes se sont rencontrées, et les premiers partenariats entre établis-sements s’écrivent. Là où pourrait se trouver la concurrence la plus mar-quée, on trouve plutôt un fonctionne-ment positif, caractérisé par les ser-vices et la recherche de coopération.

Concurrences internes

En interne, les modes d’organi-sation, autour d’un projet d’établisse-ment faisant la part belle aux espaces mutualisés, se sont avérés assez concurrentiels. Les trois entités, bien-tôt rejointes par une entité de gestion du bâtiment – la « direction des res-sources pierresvives », non en position de direction mais sur un même ni-veau – ont dû apprendre à construire à quatre, à partager les succès mais

aussi les déconvenues, les louanges comme les critiques. Cette unité de gestion, chargée de gérer les crédits de fonctionnement, se doit aussi, ce qu’aucune des entités déjà existantes n’était en mesure d’assumer, de faire fonctionner les régies techniques, d’assurer l’accueil et l’entretien cou-rant de ce gigantesque bâtiment. Il s’agissait aussi d’animer les espaces mutualisés, qui à eux seuls pourraient impulser un programme culturel et sont dessinés en dialogue avec les salles de lecture et la médiathèque.

Un projet d’établissement, adopté par les élus départementaux, a été consolidé par une étude Ressources humaines visant à attribuer aux uns et aux autres des moyens de fonc-tionnement. Cette étude a ouvert une autre phase de concurrence entre ser-vices, puisqu’une fois les problèmes de territoires réglés, c’est la question des troupes, tout aussi cruciale, qu’il a fallu travailler ensemble, et de préfé-rence dans le consensus !

Au final, une cinquantaine de postes ont été créés sur les trois enti-tés administratives (la quatrième com-posante Hérault Sport est une struc-ture associative), ouvrant un autre niveau de concurrence, cette fois entre grands pôles administratifs. La mé-diathèque départementale a ainsi été dotée de 16 postes, justifiés par l’ou-verture de ce nouveau service qu’est le plateau de 1 000 m² de lecture pu-blique, au cœur du bâtiment.

La direction des ressources, qui ne figurait dans aucun des programmes initiaux, a dû trouver sa place dans le bâtiment, à partir de découpages des espaces de travail des différentes entités. Le goût de Zaha Hadid pour les circulations a rendu possible cette restructuration, puisqu’en dessinant des lignes entières de bureaux autour des magasins, elle rendait possible de redécouper et de réduire les espaces initiaux.

De par ses missions, toutes ados-sées à des interstices fonctionnels

Le bâtiment de pierresvives. Architecte : Zaha Hadid. Photo : département de l’Hérault.

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réaffectés sur des chantiers prioritaires, dont pierresvives.

Les crédits d’équipement du bâti-ment, et désormais de fonctionne-ment, sont eux aussi des charges nouvelles qu’il était hors de question d’ajouter à un budget maîtrisé. Là en-core, des arbitrages ont permis de dé-ployer les moyens nécessaires au plus juste. Bien que l’effort soit partagé par tous, il n’en a pas moins fait de pierresvives un étrange objet, qu’il a fallu légitimer au sein de l’administra-tion en tant que service culturel plu-riel d’un genre nouveau et répondant à des besoins différents. Ses apports, non seulement en matière culturelle mais aussi éducative et même sociale, en revisitant l’éducation populaire et en se fixant pour objectif de redon-ner de la puissance sociale à ceux qui en manquent, sont désormais bien connus de tous. Un certain nombre de directeurs n’en admirent peut-être pas moins en leur for intérieur une forme d’OPA remarquable…

Une fois écartées les tentations d’entrer en concurrence, dans une course à l’image et aux budgets en interne, dans une course aux usa-gers à l’échelle de l’agglomération, une forme d’entente, pour continuer de filer la métaphore économique, permet à tous de gagner des parts de marché. La lecture publique dans son ensemble gagne à l’ouverture de lieux très travaillés architecturalement et esthétiquement marqués : découvrir une nouvelle médiathèque, surtout quand elle ne prête pas, peut finale-ment profiter aux structures déjà exis-tantes, particulièrement si elles offrent un bon niveau de services et de col-lections, avec des locaux adaptés, et plus encore lorsqu’elles se mettent en valeur les unes et les autres au travers d’actions transversales.

Ce phénomène d’entente, en élar-gissant la palette de publics qui aurait été amenée à fréquenter chacune des trois entités individuellement, per-met également d’afficher une certaine cohérence des politiques publiques dé-partementales, d’offrir plus et de ma-nière plus instantanée à des publics

qu’archives et médiathèques auraient été bien en peine de combler, cette quatrième entité a pu surmonter un climat extrêmement concurrentiel et trouver rapidement sa place aux côtés des entités très anciennes et très ins-crites dans la collectivité.

L’écriture commune du pro-gramme des premiers mois d’ouver-ture de ce bâtiment a donné corps à cette association inédite, et, au bout d’à peine deux ans, un équilibre, certes encore perfectible et surtout devant éprouver la première année d’ouverture, s’est progressivement mis en place.

Par ailleurs, la nécessité de dé-passer des logiques de métier et la co-construction ont conduit chacun à enrichir ses approches métier à tra-vers cette concurrence que l’on devrait plutôt qualifier d’émulation. Avec la rencontre d’autres métiers, avec leurs héritages, leurs mutations en marche, les pratiques se sont étendues et enri-chies. La diversité qu’apporte cette confrontation a permis de dépasser la simple addition de projets de service.

L’évidence d’une transversalité

Pour la collectivité, le bâtiment étant devenu un des piliers de la poli-tique culturelle et de loisirs du dépar-tement, il a fallu mettre en place les moyens de fonctionnement. Dans une période où les collectivités et particu-lièrement les départements ont été confrontés à une baisse de leurs res-sources et ont mis en œuvre des plans de diminution des budgets de fonc-tionnement drastiques, cette nécessité a amené les élus à faire des choix nets, notamment en terme de ressources humaines. Les assises de postes néces-saires au fonctionnement des nouvelles fonctionnalités pierresvives ont été redéployées de l’effectif départemental, à partir des départs en retraite et des mobilités. Aucun poste n’a été créé, mais tous les postes libérés dans tous les secteurs de l’administration ont fait l’objet d’arbitrages, et certains ont été

qui au départ se trouvent plus sen-sibles à seulement l’une des missions déclinées dans le bâtiment.

La singularité du bâtiment et la curiosité autour de ce que ses trans-parences laissent voir de cet étrange attelage, rappelant pourtant la cita-tion de Juvénal 2, sont notre produit d’appel, et si l’on a pu redouter que la concurrence entre les entités ne nuise à la qualité de l’offre, c’est bien avec une transversalité, au départ for-cée, mais finalement vécue comme une évidence, que peut se construire une offre collective de qualité, lisible dans sa cohérence politique, à l’heure où les dépenses des collectivités sont soumises à une recherche constante d’efficience.

C’est aussi parce que cette trans-versalité ne s’est accompagnée d’une mutualisation que lorsque les tech-nicités et les fonctions le rendait pos-sible qu’elle a pu mettre en valeur les métiers, tout en les poussant à entrer dans une saine émulation. Ainsi, les fonctions de gestion financière sont mutualisées, comme l’accueil, l’anima-tion des espaces communs et la logis-tique générale du bâtiment. Les fonc-tions liées aux métiers des archives, de la lecture publique et du sport sont restées spécialisées. L’offre de service sur le site a été arbitrée de manière globale dans le cadre du projet d’éta-blissement, et les propositions événe-mentielles sont coordonnées dans le cadre du groupe de direction. L’admi-nistration, en imposant la transver-salité, a imposé une alternative posi-tive et efficace à la concurrence. La construction d’un nouveau modèle de service public de la culture et du sport méritait que l’on mette en œuvre une forme d’organisation au service d’un site, au profit des usagers. •

Mai 2012

2. « Mens sana in corpore sano », Juvénal, Satires, X.

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Le NBD Biblion :

Le NBD Biblion, les bibliothèques et la crise

La crise

Malgré la crise, le NBD Biblion se porte bien 1. L’entreprise est désor-mais très vigilante sur ses coûts, mais elle n’a pas réduit son personnel ni subit de coupes budgétaires, et n’a pas prévu de le faire. La construction de nouveaux locaux est même prévue, avec un déménagement fin 2013. Du côté du carnet de commandes, on af-fiche une égale sérénité, bien que les achats de livres aient diminué de 10 %. Les achats d’e-books, quant à eux, sont effectués avec des budgets supplémen-taires.

Une sérénité difficile à partager lorsque l’on sait que 30 % des biblio-thèques publiques néerlandaises sont menacées de fermeture d’ici à 2014 2. En effet, sur la période 2010-2014, plus de 90 % des bibliothèques néer-landaises ont eu ou auront des coupes budgétaires. L’enveloppe globale des restrictions est estimée à 10 %. En conséquence, de nombreuses ferme-tures de bibliothèques sont envisagées

1. Cette société a déjà fait l’objet d’une présentation dans le BBF : Yves Alix et Yves Desrichard, « Du fournisseur au partenaire », BBF, 2008, no 2, p. 13-18 En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2008-02-0013-001 Il a semblé à la rédaction que les évolutions de la société justifiaient cette « mise à jour » approfondie. www.nbdbiblion.nl2. Gemeentelijke bezuinigingen op openbaar bibliotheekwerk ; Ontwikkeling van het bibliotheeklandschap in de periode 2010-2014 [Coupes budgétaires en bibliothèque publique : projections sur le paysage des bibliothèques pour la période 2010 -2014], rapport final du 19 mai 2011, SIOB (Institut néerlandais pour les bibliothèques publiques).

ou programmées. Le pronostic porte sur l’ensemble des bibliothèques du pays, mais on sait que les plus tou-chées seront les petites bibliothèques : d’une part, les bibliothèques des petites villes, particulièrement celles situées à côté des grosses aggloméra-tions. Ces bibliothèques seront fon-dues avec les bibliothèques scolaires, ou remplacées par de simples points lecture ; d’autre part, certaines biblio-thèques de quartier des grosses villes. Déjà, des villes comme La Haye et Rot-terdam envisagent cette possibilité 3.

Le rapport du SIOB 4 met en lien l’énorme apport de contenus et l’accessibilité offerts par internet avec la chute continue du nombre d’adhérents des bibliothèques. Dans ce contexte et en temps de crise, il est d’autant plus difficile de justi-fier les investissements publics dans une bibliothèque. Le rapport constate aussi l’échec des bibliothèques à être « un supermarché de la société de l’infor-mation ». Il déplore cependant que le renouveau des bibliothèques envisagé dans leur fonction sociale (la biblio-thèque comme lieu de vie et de ren-contre) soit coupé dans son élan par la double pression de la crise (suppres-sion de certains locaux) et la dématé-rialisation.

NBD Biblion

N’ignorant pas que les com-mandes de livres vont vraisemblable-ment chuter à terme, le NBD Biblion envisage plusieurs portes de sortie :

3. Notons que ces deux bibliothèques sont parmi les seules du pays à employer des fonctionnaires.4. Voir note 2.

Amandine [email protected]

Bibliothécaire territoriale, passionnée par le développement de la lecture publique, notamment en milieu rural, Amandine Jacquet vit actuellement aux Pays-Bas. Elle participe à de nombreuses formations en présentant des expériences innovantes en bibliothèque, et a entre autres collaboré à Se former à l’accueil : éthique et pratique, dirigé par Marielle de Miribel, à paraître au Cercle de la librairie.

PARTENAIRE, FOURNISSEUR OU CONCURRENT DES BIBLIOTHÈQUES NÉERLANDAISES ?

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proposer ses services dans d’autres pays (notamment la France), ou déve-lopper des produits autour du numé-rique et des services qui simplifient le travail des bibliothécaires, en réali-sant à leur place un certain nombre de tâches.

Ainsi, une bibliothèque peut désormais déléguer ses acquisitions au NBD Biblion. Ce service existait déjà en germe depuis six ans pour des sélections d’ouvrages sur pro-fil, effectuées par un logiciel. Le ser-vice est aujourd’hui « remasterisé » dans une dimension plus humaine. La première étape, et sans doute la plus délicate, consiste en une longue discussion avec les bibliothécaires : il s’agit d’installer la confiance. « Le climat émotionnel est très fort à cette étape », confie Mireille Boetje, respon-sable des ventes, du marketing et du développement commercial au sein de la société. Puis, un profil très détaillé est établi en fonction des acquisitions souhaitées par les bibliothécaires. Enfin, des bibliothécaires du NBD Bi-blion effectuent les choix, aidés par un logiciel. La bibliothèque d’Haarlem-mermeer (pilote en 2011) affirme que son personnel a passé seulement une heure par semaine à vérifier les sélec-tions proposées par le NBD Biblion, et que cette solution leur a permis d’économiser de l’argent. Deux autres bibliothèques viennent de signer un contrat pour ce service, et plusieurs autres sont en train d’y réfléchir. Le NBD Biblion fournit les ouvrages prêts à être déposés sur les étagères, après passage sur l’automate de prêt RFID de la bibliothèque pour l’inté-gration au catalogue. Il apparaît donc comme évident que cette solution peut faire économiser beaucoup de temps aux bibliothécaires afin qu’ils puissent se consacrer à d’autres projets, ainsi qu’à l’accueil des publics.

On peut envisager que cette solu-tion soit un argument de plus pour di-minuer le personnel en bibliothèque. Mais d’un autre côté, si ces coupures de budget et de personnel ont lieu, la bibliothèque pourra peut-être conti-nuer à fonctionner en utilisant ce ser-vice. Le service est bien sûr payant, mais il est impossible d’en estimer le coût, car « le prix varie en fonction du nombre d’annexes de la bibliothèque qui

utilisent ce service, des budgets d’acqui-sition et de leur répartition entre les an-nexes 5 ».

On pourrait objecter que les bi-bliothécaires doivent connaître les ouvrages pour pouvoir les conseiller. La réponse de Mireille Boetje est im-parable : « On a observé que seule 10 à 20 % de l’information lue dans les revues professionnelles est utilisée par les biblio-thécaires pour conseiller les usagers. Ga-gnez du temps sur les acquisitions : vous aurez du temps pour lire des livres que vous pourrez ensuite conseiller ! »

Nouveaux produits, nouveaux projets

E-books

Comment cela fonctionne-t-il ? La bibliothèque achète l’accès aux e-books qui sont mis à disposition des usagers via l’e-portail du NBD Biblion. L’usa-ger s’identifie avec son numéro de carte de lecteur, et peut télécharger des fichiers chrono-dégradables. L’e-por-tail du NBD Biblion propose une offre pour les bibliothèques de seulement 440 e-books et 300 livres sonores 6. La pauvreté de ce catalogue résulte du fait que les éditeurs ont refusé un accord national, mettant ainsi fin au contrat que le NBD Biblion avait auparavant avec un consortium d’éditeurs. La so-ciété doit donc désormais contractua-liser avec chaque éditeur pour enrichir ce catalogue, ce qui est évidemment long et ardu. En outre, les éditeurs ont imposé que les e-books soient prêtés sur le même modèle qu’un livre maté-riel, c’est-à-dire à un seul usager à la fois 7.

Bien que de nombreux services additionnels soient payants dans

5. Mireille Boetje.6. Une cinquantaine de bibliothèques utilisent déjà l’e-portail du NBD Biblion.7. Ce qui signifie que la bibliothèque doit acheter autant de licences que de prêts simultanés souhaités. Dans la diversité des modèles existants, le modèle « un e-book/ un utilisateur » n’est pas la solution la plus optimale. Ce modèle a cependant l’avantage de permettre à la bibliothèque de posséder l’ouvrage et de le prêter sans restriction du nombre de prêts.

Le NBD Biblion

Le NBD Biblion est à la fois une agence commerciale et une fondation à but non lucratif. Elle est née de l’association des bibliothèques (représentées par le VOB – Vereniging Openbare Bibliotheken : Association des bibliothèques publiques néerlandaises), des éditeurs et des li­braires. Le NBD Biblion s’est donné pour objectif d’être source d’efficience pour les bibliothèques. Pour simplifier, le NBD Biblion est un fournisseur des documents pour les bibliothèques qui comprend :– le traitement intellectuel : création des

résumés bibliographiques, des notices, de l’indexation, du catalogage, du ni­veau de lecture...

– le traitement physique : pose de la puce RFID, de la cote, du logo d’indication du genre 1. Pour les livres, les couver­tures souples sont arrachées et rempla­cées par des couvertures rigides plasti­fiées. Les DVD, les CD et les jeux vidéo voient leurs jaquettes refaites de façon normalisée et les boîtiers sont changés si besoin. Deux semaines après avoir commandé, l’ouvrage arrive à la biblio­thèque. Il est donc prêt à être déposé sur l’étagère.

En bref, c’est un peu comme si Livres Hebdo, Électre et Biblioteca s’unissaient pour simplifier la vie des bibliothèques françaises. De plus, le NBD Biblion per­met aux bibliothèques de bénéficier de ris­tournes sur le prix de vente public.À cela s’ajoutent d’autres activités qui se développent en fonction des besoins des bibliothèques et de l’édition.Ainsi, le NBD Biblion édite trois maga­zines dont deux à destinations des biblio­thécaires (littérature adulte et jeunesse) et un directement pour le public des clubs de lecture. Il édite aussi ses propres livres, principalement des documentaires étran­gers pour les jeunes 2. Un service d’im­pression à la demande est également dis­ponible pour les éditeurs et les auteurs. En 2010, parmi les 29 714 titres disponibles de son catalogue, le NBD Biblion a vendu 2 700 000 livres, 45 748 enregistrements sonores, 159 195 médias numériques et 8 430 partitions aux bibliothèques néerlan­daises.

1. Les cotes et les logos sont donc unifiés au niveau national.2. Il s’agit d’ouvrages pédagogiques que l’on ne trouve pas en librairie, mais qui sont très utiles en bibliothèque.

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Le NBD Biblion :

les bibliothèques néerlandaises, les e-books sont considérés comme des livres à part entière et sont donc prê-tés gratuitement 8. De ce fait, les éditeurs craignent que les lecteurs n’achètent pas d’e-books s’ils peuvent en emprunter gratuitement dans les bibliothèques. Cela rappelle étran-gement le débat sur le livre papier entre les bibliothécaires, les libraires et les éditeurs… Des enquêtes ont pourtant mis en lumière le fait que

8. Outre un abonnement annuel d’environ 30 euros, l’usager doit payer à l’acte pour l’emprunt d’autres supports que le livre (en moyenne 0,50 € pour un CD et 2 € pour un DVD). Cette pratique est due au fait que lors de l’introduction des supports autres que le livre, les bibliothèques devaient assumer des dépenses supplémentaires. Ne souhaitant pas rogner sur les budgets consacrés aux livres, une majorité d’entre elles ont décidé de reporter cette charge sur les lecteurs via un prix de location. Pour mémoire, les bibliothèques néerlandaises sont en majorité des fondations à but non lucratif devant générer 20 % de leurs revenus par elles-mêmes.

les plus gros acheteurs de livres sont aussi les plus gros emprunteurs en bibliothèque 9. Toutefois, les chiffres en matière de vente d’e-books ne sont pas encore suffisamment significatifs pour que l’on puisse faire une étude similaire 10…

Il est actuellement crucial pour les bibliothèques de trouver un accord avec les éditeurs et les libraires au sujet des e-books. Comme le rappelle

9. Ainsi, en Belgique, une étude (non encore publiée), ainsi qu’une étude américaine confirment « la relation positive entre les bibliothèques et le commerce du livre ». Ces études montrent que « les personnes qui empruntent (beaucoup) de livres achètent (beaucoup) de livres, alors que l’inverse n’est pas vrai : les personnes qui achètent (beaucoup) de livres n’empruntent pas (beaucoup) de livres » : www.thedigitalshift.com/research/patron-profiles/library-patrons-and-ebook-usage10. Bien qu’un récent rapport encore non publié de l’OCDE affirme « que les ventes d’e-books ont un effet positif sur la vente de livres imprimés ». EBooks : Developments and policy considerations [Les évolutions et les considérations politiques liées aux e-books], OCDE, 2011.

Vincent Bonnet, directeur d’Eblida 11 : « Face aux questions liées aux e-books, le conseil d’administration d’Eblida consi-dère qu’il est fondamental d’avoir une réflexion sur une politique commune au niveau européen. Les bibliothèques y ont un rôle essentiel à jouer. » C’est pour-quoi, dans le cadre de sa conférence annuelle, Eblida vient d’amorcer une campagne européenne sur la question des e-books.

Outre l’offre du NBD Biblion, les bibliothèques peuvent propo-ser à leurs usagers des e-books via Bibliotheek.nl 12, une offre en télé-chargement d’ouvrages libres de droits (25 titres seulement mais déjà 132 000 téléchargements effectués),

11. Eblida est le bureau européen des associations de bibliothèques, d’information et de documentation : www.eblida.org12. www.bibliotheek.nl est le portail numérique des bibliothèques publiques aux Pays-Bas, financé par le gouvernement (via le SIOB) et par le VOB (les bibliothèques adhérentes au VOB cotisent à hauteur de 0,20 € par habitant pour l’accès aux ressources numériques).

L’écran tactile du Rotunda. Photo : NBD Biblion

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discussions sont en cours entre les dif-férents organismes concernés.

Rotunda

Vous avez peu de place pour pré-senter des ouvrages dans la biblio-thèque ? Les nouveautés sont tou-jours « sorties » et le public peine à se rendre compte des nombreux achats de nouveautés faits par la biblio-thèque ? La « Rotonde » (« Rotunda ») est faite pour vous ! La rotonde consiste en un écran tactile sur lequel les livres vont apparaître comme posés de face sur une étagère. Les biblio-thécaires peuvent choisir les dix ou-vrages qui seront mis en présentation (thème, nouveautés…). En touchant l’écran, il est possible de faire défiler les ouvrages et d’accéder à des conte-nus additionnels (résumé du livre, fiche bibliographique et même liens vers des films et des émissions sur le Net), puis de réserver les ouvrages déjà en prêt directement à partir de la Rotonde avec sa carte de lecteur (via la RFID)16. Les résumés et fiches biblio-graphiques sont déjà fournis gratui-tement aux bibliothèques par le NBD Biblion pour tout achat d’ouvrage. Les liens vers internet peuvent être ajou-tés par la bibliothèque ou par le NBD Biblion moyennant finances 17.

Décisions d’avenir

100 % des bibliothèques publiques sont des clientes du NBD Biblion. Et dans le même temps, le NBD Biblion appartient à 50 % aux bibliothèques. « Gérer cette dualité n’est pas toujours facile. C’est une relation très symbiotique, mais les intérêts des parties peuvent par-fois être divergents 18. » Les décisions importantes sont prises conjointe-

bibliothèques publiques et de la Bibliothèque nationale. C’est un projet innovant financé par le gouvernement, piloté par SIOB et mis en œuvre par Bibliotheek.nl et la Bibliothèque nationale (KB) : www.kb.nl16. Démonstration vidéo du fonctionnement : http://vimeo.com/1923060417. Le coût de l’écran est actuellement de 3 000 €. Le coût annuel de la licence pour le logiciel s’élève à 2000 € par an.18. Mireille Boetje.

disponible dans la e-regalerij (« Le temple de la renommée »), réalisé en partenariat avec la Bibliothèque natio-nale, et une offre en streaming de titres modernes (130 titres, dont envi-ron 40 titres en anglais et 13 titres en arabe) en partenariat avec l’éditeur Bloomsbury.

Le salon des livres

« Le salon des livres » est un nou-veau projet du NBD Biblion qui, une fois n’est pas coutume, s’adresse direc-tement au public et non pas aux biblio-thèques 13. Il s’agit d’un réseau social autour des livres, comme Libfly 14. Ce site permet de « rencontrer » des auteurs, de dialoguer avec d’autres lec-teurs, de lire et d’écrire des critiques d’ouvrages, de créer sa bibliothèque virtuelle réelle ou imaginaire, de for-mer un club de lecture avec d’autres membres et d’avoir des discussions via un forum, etc. « De boeken salon » compte actuellement 25 000 membres. L’inscription est gratuite.

L’intérêt du NBD Biblion pour ce projet réside dans le fait qu’il réclame peu de travail au quotidien : en effet, les résumés des ouvrages qui consti-tuent la base du site sont les mêmes que ceux proposés aux bibliothécaires pour faire leurs acquisitions. Et les perspectives de retombées financières sont nombreuses : vente d’encarts publicitaires à des annonceurs, vente des profils des adhérents aux éditeurs, possibilité pour les écrivains amateurs de se faire connaître en ligne via le site et donc sensibilisation de ce cœur de cible au service d’impression à la de-mande du NBD Biblion, etc.

Le NBD Biblion a développé une application du Boekensalon pour Smartphone. L’application permet notamment de flasher le code-barres d’un livre pour en obtenir un résumé. Le développement envisagé est d’iden-tifier les bibliothèques où trouver le livre. Cela reposerait sur la géolocali-sation des bibliothèques connectées au catalogue collectif national 15. Les

13. www.deboekensalon.nl14. www.libfly.com15. Le catalogue collectif national (NBC) regroupe l’ensemble des collections des

ment, mais la direction est parfois conduite à prendre des décisions com-merciales qui ne sont pas du goût de toutes les bibliothèques.

Pour les sujets cruciaux, des com-missions de bibliothécaires sont mises en place en plus de la représenta-tion des bibliothèques assurée par le VOB 19 pour 50 % des parts. Ainsi en 2004, lorsque le NBD Biblion a dé-gagé du profit, la décision a été prise d’équiper tous les ouvrages en RFID gratuitement 20. C’est donc une déci-sion qui s’est imposée à l’ensemble des bibliothèques néerlandaises. Les bibliothèques souhaitant continuer à utiliser les codes-barres devaient en équiper leurs ouvrages elles-mêmes. La société se félicite de ce choix, puisque la plupart des bibliothèques ont adopté la RFID comme moyen de gestion de leur fonds et que cela per-met des services innovants et facili-tants, comme les livres vendus « prêts à déposer sur les rayonnages ».

Quel futur pour les bibliothèques ?

À la question « Comment envisa-gez-vous le futur des bibliothèques ? », Mireille Boetje répond avec enthou-siasme : « Bien sûr, le futur des biblio-thèques est suspendu aux décisions du gouvernement et des collectivités locales qui couperont ou non les budgets. Mais j’y vois l’opportunité pour les biblio-thèques de rationaliser leurs modes de fonctionnement : en centralisant leurs actions, en surveillant leurs coûts, en pensant plus en homme d’affaires… Cela implique de bien penser leur stratégie : doivent-elles investir dans le tout-numé-rique ou plutôt privilégier la promotion de la bibliothèque comme un lieu de ren-contres et d’échanges ? Quelle que soit la voie qu’elles choisissent, le NBD Biblion soutiendra les bibliothèques en tant que partenaire et fournisseur privilégié. » •

Mai 2012

19. Vereniging Openbare Bibliotheken : Association des bibliothèques publiques néerlandaises : www.debibliotheken.nl20. Seul l’équipement de livres déjà en possession de la bibliothèque avant cette mesure est payant.

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La médiathèque d’AlhóndigaBilbao :

À l’ombre de l’édifice construit en 1909 par l’architecte mu-nicipal D. Ricardo Bastida,

l’ancien grenier à blé municipal de Bil-bao, qui fut aussi un entrepôt de vins et de spiritueux, a été transformé par le designer français Philippe Starck en un espace pour les loisirs et le bien-être. Cet espace s’étend sur plus de 43 000 m². Il comporte une grande salle de sport de 10 000 m², compre-nant entre autres choses une grande piscine et une grande terrasse exté-rieure, une salle d’exposition de plus de 1 600 m², sept salles de cinéma (pour plus de 2000 m²), un audito-rium de plus de 1 000 m², une grande place centrale couverte de 6 000 m², et enfin la médiathèque BBK de 4 000 m².

Le centre de culture et de loisirs d’AlhóndigaBilbao1, promu et mis en œuvre par la mairie de Bilbao, est un projet stratégique, qui a permis à la ville de se doter d’un centre avant-gar-diste dont la programmation tourne autour du loisir, de la culture et de l’activité physique. Les premiers jalons d’un tel centre furent posés par le gou-vernement autonome du Pays basque lorsqu’il classa l’Alhóndiga comme monument culturel, suite à sa mise en sommeil dans les années soixante-dix.

La médiathèque BBK, qui a ouvert ses portes en octobre 2010 et occupe un des nouveaux édifices construits à l’abri de l’ancien entrepôt, se conçoit comme un lieu ancré dans une réalité bilingue et tourné vers l’actualité, la connaissance, la vulgarisation scien-

1. www.alhondigabilbao.com

tifique, l’art, le dessin, le loisir, la pro-motion de la lecture et la formation du public aux nouvelles technologies, tout cela indépendamment du support sur lequel sont présentées la création, l’information ou la connaissance.

Ouverte 365 jours par an et 80 heures par semaine, la média-thèque BBK est née avec pour prin-cipal objectif de doter le 6e district de Bilbao, où elle se trouve, d’une bi-bliothèque publique municipale, qui n’existait pas jusqu’à présent. Sa créa-tion a permis d’augmenter le nombre de points d’accès aux ressources bibliographiques et aux services de bibliothèque dans la ville de Bilbao. Cette création a également permis d’enrichir l’offre documentaire, grâce à des collections spécifiques sur des thèmes caractéristiques de ce nouvel équipement, tout comme le dévelop-pement du parc informatique ou la promotion de nouveaux services et d’activités nouvelles. C’est plus parti-culièrement vrai dans le domaine du multimédia et des actions culturelles et sociales, qui complètent et enri-chissent l’action culturelle de la ville, en y incluant des thématiques, des problématiques ou des aspects peu traités jusqu’alors.

Cet espace peut compter sur l’ines-timable soutien de la banque Bilbao Bizkaia Kutxa (BBK) avec laquelle il a signé un contrat de collaboration pour que cet équipement soit financé annuellement par la banque à hau-teur de deux millions d’euros. Cette convention signée pour cinq ans est renouvelable pour la même durée par tacite reconduction, sauf avis contraire de l’une des parties. Elle permet d’op-

Alasne Martin GoikoetxeaMédiathèque d’Alhó[email protected]

Après avoir entre autres été consultante en planification et coordination de projets d’automatisation de bibliothèques et réseaux de bibliothèques, Alasne Martin Goikoetxea est depuis 2006 responsable de la délégation Nord de la société Baratz, qui propose des prestations à destination essentiellement des bibliothèques et des archives.

UN MODÈLE DE PARTENARIAT DE GESTION PUBLIQUE-PRIVÉE

* Article traduit de l’espagnol par Philippe Larochette (Enssib).

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timiser les différents services et les différentes programmations de la mé-diathèque BBK.

Cette convention n’est assortie d’aucune obligation, hormis la créa-tion d’un espace publicitaire à l’entrée de la médiathèque du centre Alhóndi-gaBilbao, l’insertion du logo ou de la marque BBK dans tous les documents graphiques, audiovisuels, etc., qui sont publiés dans le cadre des activités de la médiathèque, et la mise en évi-dence du nom ou de la marque BBK dans les supports publicitaires, dans d’autres lieux du centre AlhóndigaBil-bao, comme l’écran de l’atrium, si des activités y font mention de la média-thèque, tout comme pour les activités qui se déroulent dans la médiathèque proprement dite. La politique de ges-tion du fonds documentaire (sélection et acquisition d’ouvrages), la gestion de l’équipement et des ressources, l’or-ganisation des activités, relèvent, elles, de l’équipe de la médiathèque et, en dernier ressort, d’AlhóndigaBilbao qui fait régulièrement le point sur le fonc-tionnement de l’espace et des services de la médiathèque BBK.

Le modèle de gestion de la médiathèque BBK

Parallèlement à la reconstruction et à la réhabilitation de l’ancien entre-pôt, a été créé en 2005 la société ano-nyme La Alhóndiga, Centro de Ocio y Cultura, société anonyme uniperson-nelle dont le capital social est détenu à 100 % par la mairie de Bilbao et dont l’assemblée générale des actionnaires est constituée par le propre conseil municipal de la ville. Le conseil d’ad-ministration de cette entité est présidé par le maire de Bilbao et compte ac-tuellement neuf conseillers. Certains de ses membres sont nommés par le conseil d’administration et d’autres sont les représentants des partis poli-tiques figurant au sein de l’exécu-tif municipal, suite aux élections de mai 2011. Le conseil d’administration se réunit au moins deux fois par an et la direction d’AlhóndigaBilbao lui présente un rapport d’activité pour la période écoulée.

La société anonyme uniperson-nelle d’AlhóndigaBilbao comprend

vingt personnes qui se répartissent dans les services suivants : adminis-tration et finances, systèmes, entretien et logistique, communication, mar-keting, programmation, activité phy-sique, et la médiathèque BKK propre-ment dite. Chacun des responsables doit définir les objectifs stratégiques de son service, tels que son organisa-tion, le suivi de ses activités et l’évalua-tion finale des résultats atteints.

En plus de celle des responsables et techniciens intégrés dans l’orga-nisation d’AlhóndigaBilbao, il faut compter sur plusieurs types de ges-tion au sein de la structure. En effet, les accords de collaboration avec des entités locales et supralocales, l’exter-nalisation des prestations de services, impliquent que la présence de colla-borateurs et de consultants extérieurs ou le travail en réseau font partie inté-grante du quotidien.

L’ouverture d’AlhóndigaBilbao a eu un effet bénéfique sur l’économie locale. 307 emplois ont été créés, et jusqu’à 600 entreprises ont fait par-tie de ses fournisseurs en 2010. En outre, grâce à l’attractivité qu’exerce le bâtiment sur les activités culturelles et de loisirs de la zone, il a également renforcé l’activité commerciale et hôte-lière, grâce aux flux de personnes qu’il draine quotidiennement. Certains des fournisseurs réalisent des prestations de service comme le nettoyage, l’entre-tien, la sécurité, l’accueil du public, ou d’autres liées plus spécifiquement à la salle de sport ou à la médiathèque BBK. C’est notamment le cas pour certains fournisseurs en charge des travaux techniques qui y sont réalisés ou des services qui y sont offerts.

Les personnels de la médiathèque BBK

Le personnel proprement dit

La médiathèque d’AlhóndigaBil-bao, où on retrouve les modèles de gestion en vigueur au sein du centre, compte pour le moment trois per-sonnes : une responsable de la biblio-thèque, une technicienne en charge des recherches bibliographiques, une technicienne en charge des services

aux publics. Ce sont des profession-nels venant du secteur privé, ou bien d’organismes publics autonomes, dont l’une des finalités premières est le service public, et qui ont acquis une solide expérience dans le cadre de dif-férents projets de bibliothèque.

La responsable de la médiathèque d’AlhóndigaBilbao est en charge de sa coordination et de la définition de sa stratégie, doit y rendre plus effi-caces les services qui y sont rendus, en s’efforçant d’en renforcer la qualité. Cette démarche concerne aussi bien le personnel de la médiathèque que ses fournisseurs directs et les autres composantes d’AlhóndigaBilbao, pour la réalisation des objectifs assignés à la médiathèque par AlhóndigaBilbao. La responsable s’occupe de mettre en place et de promouvoir auprès des publics les outils des nouvelles tech-nologies de l’information, de renforcer et d’améliorer les possibilités d’accès à l’information et à la connaissance, de mettre en œuvre des services à même de satisfaire les demandes du public, et enfin de développer des collections qui répondent à la demande.

La technicienne en charge des recherches bibliographiques s’oc-cupe des tâches suivantes : gestion du fonds bibliographique, définition d’un programme de développement de la collection (dont la réalisation relève de l’entreprise en charge de la gestion technique de la collection), recherche documentaire, appui à la programmation par la formulation de propositions de valorisation de la col-lection.

Enfin, la technicienne en charge des services aux publics s’occupe de la gestion des services offerts dans la médiathèque – services dont la ges-tion relève de l’entreprise prestataire des services aux publics –, de la mise à jour du règlement intérieur concer-nant les droits et devoirs des usagers, de la définition de produits pour la médiathèque, du développement des programmations qui y ont lieu, que ce soit des projets internes à la média-thèque ou en collaboration avec le ser-vice en charge de la programmation d’AlhóndigaBilbao.

Le personnel affecté à la média-thèque peut compter sur le soutien de collègues spécialisés d’autres services

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La médiathèque d’AlhóndigaBilbao :

d’AlhóndigaBilbao, qui y valorisent par leur travail l’important rôle social et technologique joué par la médiathèque BBK. L’équipe de la médiathèque tra-vaille en totale synergie avec eux pour ce qui concerne :

• l’organisation, le contrôle et la gestion des relations avec les entre-prises qui assurent les travaux tech-niques et les services aux publics au sein de la médiathèque ;

• l’organisation, le contrôle et la gestion des entreprises prestataires de services, en charge d’activités et/ou de programmes au sein de la média-thèque ;

• l’organisation, le contrôle et la gestion des procédures et des services mis en œuvre au sein de la média-thèque ;

• la collaboration et la mise en œuvre de projets en relation avec d’autres structures socioculturelles tant locales que nationales ou interna-tionales ;

• la participation d’autres services d’AlhóndigaBilbao qui se voient impli-qués dans l’organisation, le contrôle ou la gestion des services ou des activi-tés de la médiathèque, comme le ser-vice de la communication ou celui de la logistique et de l’entretien.

À cette coordination avec le reste des services d’AlhóndigaBilbao il faut ajouter, concernant la médiathèque BBK, l’accord de coordination et de coopération avec le réseau des biblio-

thèques municipales de Bilbao, auquel elle s’intègre de manière informelle. Dans cet accord acté en 2004, les deux structures, ayant une personnalité ju-ridique propre et des modèles de ges-tion distincts, ont jeté les jalons d’une collaboration évoluant en fonction des demandes des publics et des nécessi-tés de service qui en découlent.

Ce processus de coordination avec la RBMB (Red de Bibliotecas Munici-pales de Bilbao – Réseau des biblio-thèques municipales de Bilbao)2 a commencé des années avant l’ouver-ture de la médiathèque. Les deux par-ties se sont accordées, entre autres choses importantes, sur la nécessaire prise de conscience du fait que chaque organisation se devait de permettre que l’autre puisse atteindre ses objec-tifs et développer ses capacités de manière autonome, et que la collabo-ration entre elles ne devait signifier ni homogénéisation, ni uniformisa-tion des services existants, mais plu-tôt qu’on s’efforcerait de proposer une offre complémentaire de l’offre existante, par exemple grâce à la plus grande amplitude horaire d’ouverture de la médiathèque BBK.

Aujourd’hui, la médiathèque BBK d’AlhóndigaBilbao et la RBMB uti-lisent le même logiciel de gestion de bibliothèque (Amicus), elles partagent

2. www.bilbao.net

le même catalogue et la même métho-dologie de description bibliographique du fond documentaire sur les diffé-rents supports, ont la même politique de prêt et, d’une certaine manière, les mêmes usagers, puisque n’importe quel usager avec une carte de RBMB peut utiliser et profiter des services de la médiathèque d’AlhóndigaBilbao, et qu’il en est de même pour les usagers du centre AlhóndigaBilbao.

Cependant, les deux structures conservent une totale autonomie en matière de gestion budgétaire, de ges-tion du fonds bibliographique (sélec-tion et acquisition d’ouvrages), d’in-dexation et de classement des fonds avec des normes qui leur sont propres. Il en est de même pour la gestion des services en présentiel et en ligne, le règlement intérieur, l’organisation, la gestion et la valorisation des services ou des activités socioculturelles de la médiathèque BBK, menés selon les critères d’AlhóndigaBilbao.

Les ressources humaines externes

La différence majeure entre les deux structures réside cependant dans le modèle de gestion des ressources humaines chargées des tâches de ges-tion technique des collections et des services aux publics.

Dans le cas de la médiathèque BBK, et concernant la gestion tech-nique des collections, un marché pu-blic a été passé en juillet 2009 pour la réalisation d’un ensemble de services relatifs à l’acquisition et à l’incorpo-ration de nouvelles ressources biblio-graphiques dans les collections, à la gestion technique des exemplaires correspondants, et à la mise à jour du fonds documentaire de la média-thèque. Ce contrat a été prolongé pour un an en décembre 2011. De sa signa-ture à juin 2010, huit personnes se sont consacrées à :

• la mise à jour de la base de don-nées bibliographiques, pour qu’elle soit en parfaite cohérence avec la structure du fonds selon les grandes thématiques fixées ;

• la préparation du fonds, avec la cotation des exemplaires à ranger dans chacune des sections théma-

L’espace BBK au troisième étage à la médiathèque BBK d’AlhóndigaBilbao. Photo : Eva Zubero

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complet mènent à bien ces missions. Le reste de la quotité horaire dévolue à l’accueil, mais non effectuée par ces deux personnes, revient à leurs collè-gues relevant du profil précédent.

En dernier lieu, les profession-nels affectés à l’animation sociocultu-relle participent plus spécialement au développement et à la réalisation des activités socioculturelles et de loisir destinées à des publics bien distincts comme les enfants, les personnes âgées, les handicapés, les familles, etc. C’est à ces occasions qu’une des per-sonnes de l’équipe s’occupe plus par-ticulièrement de la gestion de la salle de travail destinée aux enfants jusqu’à seize ans, en les aidant dans leurs re-cherches documentaires et en aidant les jeunes étudiants qui se rendent dans cet espace ouvert du lundi au vendredi, de 16 h 30 à 20 h 30.

Actuellement, dix-neuf personnes à temps complet ou à temps partiel mènent à bien les missions, sous la direction de la responsable du projet dans l’entreprise en charge du ser-vice, et le contrôle de la technicienne en charge des services au public de la médiathèque.

Depuis l’ouverture de la média-thèque BBK, l’équipe en charge de l’organisation se réunit régulièrement avec la responsable du projet pour établir le planning de travail hebdo-madaire et répondre aux questions qui lui ont été transmises pendant la semaine précédente, tout comme pour réaliser les contrôles qui mesurent le travail accompli et les tâches menées à bien. Pour ce faire ont été élaborés dif-férents documents de travail, réguliè-rement actualisés, qui régulent la ges-tion de tous les services et des activités proposées au sein de la médiathèque BBK.

En un an et demi d’existence ont été mises en évidence les forces et les faiblesses de ce modèle. Pour ce qui est des forces, il s’agit de la capa-cité d’innover pour faciliter l’accès à l’établissement, et pour améliorer la gestion et le fonctionnement des ser-vices. Pour ce qui est de ses faiblesses,

tiques de la médiathèque, et l’étique-tage du fonds.

Actuellement, deux personnes à temps plein s’occupent du catalogage et de l’indexation du fonds documen-taire sous la direction et le contrôle de la technicienne en charge de la gestion bibliographique de la médiathèque. Périodiquement ont lieu des réunions de contrôle pour mesurer le travail accompli et les tâches menées à bien.

La prestation de services au public au sein de la médiathèque a aussi été externalisée via un contrat avec une entreprise, suite à un appel d’offres, pour la période allant de juillet 2010 à décembre 2012, avec possibilité de prolongation deux fois par an du contrat. À l’occasion de la rédaction de l’appel d’offres correspondant, quatre profils professionnels ont été défi-nis : auxiliaire, support, gestion des ressources informatiques, animation socioculturelle.

Au premier de ces profils corres-pondent les tâches en rapport avec l’accueil et l’orientation des usagers dans tous les services offerts au sein de la médiathèque, la diffusion et le contrôle des collections, le service de prêt ou le soutien aux activités cultu-relles. Ces tâches sont actuellement remplies par cinq personnes.

Relèvent du profil support les tâches concernant le contrôle et la mise en marche de l’équipement et des installations dans l’espace de la médiathèque, le rangement des col-lections, la surveillance et le respect du règlement intérieur ou l’appui aux auxiliaires dans les moments de grande affluence. Actuellement, huit personnes à temps plein et trois per-sonnes à temps partiel mènent à bien ces missions.

La gestion des ressources informa-tiques inclut quant à elle, prioritaire-ment, l’accueil des usagers, leur orien-tation, le conseil qui peut leur être apporté, pour tout ce qui concerne l’image, le son et les technologies, services et équipements qui sont mis à leur disposition au sein de la mé-diathèque. Deux personnes à temps

il s’agit du manque d’implication du personnel qui exécute les tâches qui lui sont confiées avec le sentiment de ne pas appartenir à l’institution, et le manque de motivation qui parfois dé-coule de cet état de fait.

Le futur immédiat

Après quelques mois d’existence, en plus de poser un nouveau jalon dans le processus en cours de réha-bilitation générale de Bilbao, la mé-diathèque BBK est devenue l’un des principaux poumons de la ville, en offrant une nouvelle opportunité pour les loisirs. Depuis l’ouverture de la médiathèque, les données concernant l’utilisation des services mis à dispo-sition du public dans la médiathèque valident le travail et confortent l’effort de tous et de chacune des composantes qui font partie ou qui ont fait partie de ce projet.

La médiathèque BBK tire sa légi-timité de son sens du service public, de son amplitude horaire d’ouverture, rendant possible l’accès aux espaces, à l’information, à la connaissance, aux ressources informatiques, de ses ser-vices universels et gratuits pour tous, de la manière de gérer et présenter les collections, les ressources et les ser-vices du centre, de la qualité de la pro-grammation des activités sociocultu-relles qu’elle offre, et de l’implication dans des projets sociaux, éducatifs et culturels qui permettent de mieux comprendre les opportunités offertes par la culture numérique et l’utilisa-tion des réseaux sociaux et d’autres éléments en rapport avec l’univers numérique (nouveaux supports de lecture et de contenus comme les e-books, les jeux vidéo…).

Dans les mois qui viennent, le tra-vail sera plus spécifiquement orienté vers l’art, le dessin et la technologie. À cette occasion, les maîtres-mots seront internationalisation, travail en réseau, innovation sociale. •

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2 – Confrontations

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La dernière phrase du texte d’An-dré Malraux publié dans la revue Verve en 1940, « Esquisse d’une

psychologie du cinéma 1 », est restée célèbre : « Par ailleurs, le cinéma est une industrie. » C’est en effet la particu-larité de cet art que d’être né d’abord comme une industrie, et non préci-sément comme un art. De plus, il est d’abord « immatériel », bien avant la dématérialisation des supports. Le livre est d’abord un objet, le film est d’abord un flux qui s’écoule et s’éva-nouit. Ce qui explique que sa présence en bibliothèque – en médiathèque – ne va pas de soi, même lorsqu’il aura pris forme – lorsque le flux aura été fixé sur un support praticable – avec les cassettes U-matic et VHS, puis le DVD.

Ce caractère commercial – mais aussi populaire – implique aussi qu’il devra montrer patte blanche avant d’entrer dans les collections des biblio-thèques – ce soupçon d’impureté, de facilité, le poursuivra longtemps, et lui imposera de devoir prouver sa qualité, son exigence. Lorsque, dans les der-nières décennies, le cinéma et l’audio-visuel ont fait leur entrée dans les col-lections des bibliothèques publiques, les caractéristiques spécifiques de leur production, de leur commercialisation et de leur diffusion ont créé au moins cinq points de contact entre l’activité des bibliothèques et le secteur com-mercial.

1. Disponible en réédition : Nouveau Monde Éditions, 2003.

L’édition vidéographique

Le premier point de contact appa-raît avec le développement de l’édition vidéographique, d’abord sur supports VHS, dans les années quatre-vingt en France. Au départ, la vente de films « d’auteur » n’atteint que des chiffres assez réduits. L’acquisition d’exem-plaires par les médiathèques est per-çue par certains éditeurs comme un débouché : ils voient dans ce réseau un nouveau terrain pour viabiliser un secteur de niche, si fragile dans le commerce. Les éditeurs vont s’y re-trouver en suscitant un nouveau mar-ché, et les centrales d’achat mises en place pour l’occasion vont peu à peu formaliser les échanges entre éditeurs et médiathèques.

Il est difficile d’avoir une vi-sion précise du poids des média-thèques dans le marché de la vidéo aujourd’hui. Environ 1 400 biblio-thèques en France disposent de films dans leurs rayonnages. On estime au total à 3,5 millions le nombre de DVD disponibles dans les bibliothèques, et à environ 18 millions d’euros le budget d’acquisition pour l’achat de DVD pour l’ensemble des média-thèques, hors les achats de droits par les catalogues publics de la Biblio-thèque publique d’information (BPI) et du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC)2.

L’ensemble du marché de la vidéo est évalué à 119,6 millions de DVD vendus en 2011, ce qui représente un

2. Selon une étude réalisée par Images en bibliothèques en 2011. Sauf indication contraire, l’ensemble des données chiffrées proviennent de cette étude.

Marianne [email protected]

Jean-Yves de Lépinayjy.delepinay@imagesenbibliothèques.fr

Images en bibliothèques

Diplômée d’études cinématographiques et d’un DESS en diffusion des arts de l’image à l’université Lyon 2, Marianne Palesse est déléguée générale d’Images en bibliothèques, après avoir travaillé notamment à la bibliothèque municipale de Lyon et au bureau du cinéma de la Friche La Belle de Mai à Marseille.

Après des études musicales et de sciences économiques, puis à l’INTD (Institut national des techniques documentaires), Jean-Yves de Lépinay entre comme acquéreur de films à la Vidéothèque de Paris (qui deviendra le Forum des images) en 1985 pour travailler à la constitution des collections de films. En 1996, il prend la direction des programmes du Forum, ainsi que la programmation et l’animation des salles de projection. Il est président de la Piaf (Professionnels de l’image et des archives de la francophonie, www.piafimages.org). Formateur, il est l’auteur d’articles dans des revues (Documentaliste – Sciences de l’Information, CinémAction, Bref, Urbanisme…) et des ouvrages collectifs (La ville au cinéma, Éd. Cahiers du cinéma, 2005 ; 100 films pour une cinémathèque idéale, Éd. Cahiers du cinéma, 2008 ; Paris vu par Hollywood, Éd. Skira-Flammarion, à paraître).

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Les médiathèques, quelle place dans l’économie des films ?

montant de 1,26 million d’euros (DVD et Blu-ray)3. On peut donc estimer que l’activité des médiathèques pour la dif-fusion de vidéos représente 1,4 % du marché total de la vidéo, et que 2,9 % des films édités en DVD sont diffusés dans les médiathèques.

Pour avoir une vision plus fine de ce que représentent les média-thèques pour le marché de la vidéo, il faudrait pouvoir analyser leurs fonds plus en détail. Car, si l’on peut facile-ment supposer qu’elles jouent un rôle mineur pour la diffusion de films à forte valeur commerciale, leur rôle est sans doute important pour un marché plus fragile. Leur mission de donner accès à des collections pluralistes les conduit naturellement à soutenir un marché qualifié de niche, des œuvres à valeur culturelle et artistique impor-tante mais à faible rendement écono-mique.

Prêt ou location

Le second point de contact entre les médiathèques et le secteur mar-chand, c’est le prêt. Les premières années de l’édition vidéographique sont en effet celles d’un développe-ment massif des « vidéoclubs », dont le modèle économique est celui de la location. Or, les centrales d’achat négocient un droit de prêt attaché au support pour les médiathèques simi-laire à celui des vidéoclubs, pour un usage restreint au cercle familial. Celui-ci va donc heurter de front les sociétés de location qui craignent une concurrence déloyale des média-thèques. Cette crainte va peu à peu s’apaiser, les prêts des médiathèques ne se substituant en fait pas aux loca-tions des vidéoclubs. En effet, il appa-raît rapidement que les médiathèques proposent un autre mode d’accès aux œuvres : on n’emprunte pas un film dans une médiathèque comme on va louer un film dans un vidéoclub. Ainsi, au-delà de la disponibilité des films sur le marché, se révèle l’impor-tance des médiathèques pour donner à voir autrement que dans les espaces

3. Baromètre vidéo CNG-GFK « Le marché de la vidéo en 2011 ».

marchands, en défendant le plaisir gratuit de la découverte.

De plus, les films qui constituent les collections des médiathèques vont naturellement se distinguer de l’offre des vidéoclubs. Non contraintes par la rentabilité nécessaire à « faire tourner la boutique », elles ont la possibilité de proposer des films moins populaires, peu connus. Par ailleurs, très vite, la spécificité de l’activité des média-thèques se fait comprendre auprès des centrales d’achat, et des droits de consultation sur place sont négociés avec les éditeurs. Les médiathèques sont des lieux où on peut découvrir des films sur place et participer à des animations en groupe. La plupart des bibliothèques ayant un fonds audiovi-suel sont équipées pour proposer un visionnement individuel sur place, puisque 78 % d’entre elles disposent de postes informatiques avec lecteurs DVD et 74,6 % de téléviseurs avec lec-teurs.

Une offre spécifique

Le troisième point, c’est l’édi-tion spécifique de documents qui ne trouvent pas place sur le marché. L’économie du cinéma fait que seuls les films les plus viables économique-ment peuvent prétendre à être édités en DVD. Ainsi, il reste un pan entier, et majeur, de la création accessible uniquement dans les cinémathèques, les archives privées ou publiques, ou même nulle part. Une grande par-tie de la production audiovisuelle se trouve ainsi condamnée à l’éphémère pour ce qui concerne sa vie publique.

Le documentaire est pleinement concerné par cette difficulté car, outre les rares films sortis en salle, la plus grande partie de la création dans ce domaine n’est pas éditée et reste donc proprement invisible. Après une diffu-sion dans les festivals, quelques rares passages à la télévision, peu d’espaces de visibilité permettent à ces films de connaître une diffusion pérenne. C’est avec cette conscience de l’importance de diversifier et singulariser les fonds de films des bibliothèques que la direction du Livre et de la Lecture du ministère de la Culture initie au début des années quatre-vingt le Catalogue

national de films documentaires pour les bibliothèques. Le catalogue acquiert les droits de films repérés en grande partie dans les festivals et édite les DVD spécifiquement pour les biblio-thèques. Ce système, qui s’apparente à une subvention publique pour les fonds audiovisuels des bibliothèques, ne cesse, même trente ans plus tard, de convaincre par son intelligence. Grâce à lui, les médiathèques donnent à voir, largement et facilement, des œuvres rares et précieuses. Chaque année, la BPI, responsable de ce cata-logue, acquiert, directement auprès des producteurs, les droits de films documentaires inédits en vidéo qui sont ensuite accessibles à tous. Le catalogue compte aujourd’hui environ 1 500 films dont les droits sont dispo-nibles pour dix ans pour les média-thèques 4.

Un autre catalogue de films docu-mentaires permet aux bibliothèques d’acquérir des œuvres rares, pour beaucoup non éditées, le catalogue Images de la culture du CNC 5. Grâce à la complémentarité éditoriale de ces deux ressources, les médiathèques ont accès à différentes offres de films, leur permettant de constituer des col-lections pluralistes, dans tous les do-maines, et de promouvoir une diver-sité de formes et de regards.

La particularité de cette économie créée par l’édition de documentaires pour les bibliothèques tient au fait qu’elle se développe à la fois de ma-nière parallèle et complémentaire au secteur marchand : une autre ressource pour les producteurs pour montrer d’autres films que ceux visibles dans les vidéoclubs et les commerces.

La représentation publique

L’activité des bibliothèques pour la visibilité de leurs films a naturel-lement conduit à un développement des projections publiques : c’est le quatrième point de contact. La mé-diathèque n’est pas seulement un

4. www.bpi.fr/fr/professionnels/collections_et_services2/films_documentaires.html5. http://prep-cncfr.seevia.com/idc/data/Cnc/index.htm

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lieu où l’on va emprunter des films, c’est aussi un lieu d’échanges. Car, si l’édition sur support vidéo permet de vulgariser et rendre accessibles les œuvres auprès de tous, elle participe aussi à un mouvement d’individua-lisation des pratiques, la découverte d’un film étant ainsi de moins en moins une expérience collective. Pour répondre à cela, les médiathèques or-ganisent des projections sur place. Et pour ce faire, elles s’équipent de plus en plus d’auditoriums, pour certains proches des conditions de projection d’une salle de cinéma. En témoigne le constant développement du Mois du film documentaire, qui comptait 58 bi-bliothèques participantes en 2000, et 530 en 2011 6.

La majorité des médiathèques ayant un fonds de films sont équi-pées pour organiser des projections publiques : 74 % disposent d’un vidéo-projecteur et 54,4 % disposent d’une salle de projection ou d’un audito-rium. Elles organisent principalement leurs projections sur support DVD. Seulement 2,6 % sont équipées de lec-teurs Béta.

Les bibliothèques passent par dif-férents circuits pour louer des films afin d’organiser des projections pu-bliques. Elles peuvent par exemple né-gocier directement auprès du produc-teur ou du distributeur. Les centrales d’achat peuvent aussi négocier ces droits pour elles auprès des produc-teurs. L’Adav 7, l’une de ces centrales, a développé une filiale, AdavEurope 8, qui propose des tarifs de projection pour les médiathèques. Enfin, les cata-logues publics de la BPI et du CNC, Catalogue national et Images de la Culture, acquièrent ces droits pour le réseau. Les bibliothèques ont donc accès auprès d’eux à des DVD qu’elles peuvent projeter librement.

79 % des bibliothèques disposant d’un fonds de films organisent des projections, de manière plus ou moins régulière : 26,4 % en organisent plu-sieurs fois par trimestre, 28 % une fois par trimestre, 24,6 % une fois par an, et 21 % n’en n’organisent jamais.

6. www.moisdudoc.com7. www.adav-assoc.com8. www.adaveurope.com

Ce développement n’est pas sans susciter débat du côté des exploi-tants de salles de cinéma. Cette fois encore, une partie de la profession craint une concurrence déloyale de la part des médiathèques. Les salles de cinéma sont en effet contraintes à une rentabilité commerciale. Celles qui mènent une politique culturelle pointue prennent de véritables risques à programmer des films fragiles, alors qu’elles sont par ailleurs forcées de répondre à une concurrence parfois virulente de la part des grands multi-plexes.

Pour tenter d’harmoniser les pra-tiques de diffusion du secteur non commercial, dont font partie les mé-diathèques mais aussi de nombreuses associations, musées, etc., le CNC dé-termine une chronologie des médias. Ainsi, un film à l’affiche ne peut pas être montré en dehors des salles de

cinéma dans un délai d’un an à partir de la date de délivrance du visa d’ex-ploitation en salle. Notons que, si cette chronologie des médias permet sans aucun doute de privilégier le meilleur parcours de diffusion des films lar-gement programmés sur les écrans, elle peut en revanche être parfois un frein pour la visibilité de films qui, programmés dans peu de salles, ne seront pas relayés dans certains terri-toires par des lieux publics. Dans ces endroits peu équipés en salles, les mé-diathèques pourraient être en mesure d’assurer l’accès à ces œuvres auprès des publics plus éloignés, tout en ga-rantissant une remontée de recettes aux ayants droit. De même, pour cer-tains types de films, par exemple des films documentaires, il est probable que la possibilité de prévoir la vente du DVD après les séances, souvent accompagnées par le réalisateur ou un intervenant, offrirait un nouveau mo-dèle économique.

Toutefois, si, dans quelques cas, on peut regretter le manque de sou-plesse de cette chronologie, il faut réaffirmer que la diffusion en salle de cinéma reste indispensable pour la vie des films. Outre les évidentes différences de conditions de diffusion entre certaines médiathèques et les salles de cinéma voisines, l’exploita-tion en salle est essentielle car elle par-ticipe à l’alimentation du budget du CNC, qui soutient notamment l’équi-pement des salles et la diffusion sur l’ensemble du territoire, met en œuvre les politiques patrimoniales, et attri-bue les aides à la réalisation de films, en particulier les films dits d’auteur ou de création. Une taxe spécifique, la TSA (taxe spéciale additionnelle), comprise entre 10 et 12 % du prix du billet, est prélevée sur chaque place de cinéma, et permet ainsi de finan-cer la création cinématographique 9. On peut d’ailleurs se réjouir de l’ironie de ce système, qui conduit à ce que quelques grandes productions, qui comptabilisent la majorité des entrées en salles, participent au financement de la création de films d’auteur.

9. Code du cinéma et de l’image animée disponible sur le site du CNC : www.cnc.fr

L’association Images en bibliothèques

Images en bibliothèques est une asso­ciation nationale de coopération autour de la diffusion cinématographique et audiovisuelle dans les bibliothèques. Elle œuvre pour la valorisation des collections de films et l’accompagnement des profes­sionnels en charge de ces fonds. L’associa­tion compte 538 adhérents dans toute la France, principalement des bibliothèques publiques. Elle propose des services à ses adhérents (liste de discussion, espace ad­hérents avec ressources en ligne) ; elle met en place une trentaine de stages par an et est le premier organisme de formation sur le cinéma et l’audiovisuel des bibliothé­caires.L’association gère également une commis­sion de sélection de films documentaires afin de repérer dans la production récente des documentaires et les rendre acces­sibles aux bibliothèques.Enfin, Images en bibliothèques organise chaque année le Mois du film documen­taire, qui rassemble plus de 1 400 struc­tures en France et à l’international, dont 530 médiathèques, 256 salles de cinéma, des structures culturelles, éducatives et sociales diverses (chiffres 2011).

Informations : www.imagesenbibliotheques.fr

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Les médiathèques, quelle place dans l’économie des films ?

action plus large : programmation thé-matique autour d’un sujet de société, politique, philosophique, artistique, focus sur un auteur, activité menée avec des associations en direction de publics (éducation à l’image avec des scolaires ou hors temps scolaire, publics éloignés, etc.). C’est pour-quoi beaucoup de ces projections sont accompagnées de rencontres avec les réalisateurs ou des intervenants. 77 % des bibliothèques ayant un fonds de films organisent des projections ac-compagnées de rencontres.

Partenariats

La complexité et la diversité des parcours de diffusion des films font que, de plus en plus, des partenariats se tissent localement entre média-thèques et salles de cinéma. Environ 79 % des bibliothèques travaillent en partenariat avec différentes structures pour la mise en place d’animations autour des films, 44,7 % avec des salles de cinéma. Dans de nombreux cas, les médiathèques proposent à la salle voisine de diffuser le film repéré et mutualisent les moyens afin que ces projections soient viables. Le Mois du film documentaire, manifestation nationale mise en place chaque année en novembre par Images en biblio-thèques, est un moment fort de ces collaborations. « Mon film La pluie est le beau temps est sorti pendant la ma-nifestation » déclare ainsi Ariane Dou-blet. « De ce fait, certaines médiathèques qui voulaient programmer le film ont passé des accords avec les salles. Le public était présent en nombre pour toutes les projections, les débats intéressants et les spectateurs très participatifs 10. »

Une autre particularité des biblio-thèques est qu’elles sont implantées sur des territoires très différents, très inégaux en termes d’équipements culturels. Elles constituent ainsi un ré-seau d’accès aux films auprès de tous les publics, ceux des grandes et petites villes mais aussi des territoires très ru-raux, notamment grâce à l’action des bibliothèques départementales. 16,7 % des bibliothèques proposant des films n’ont pas de salle de cinéma dans leur commune. Ces quelque 200 média-thèques jouent un rôle essentiel pour l’accès aux œuvres auprès des publics de ces territoires.

Penser que les médiathèques peuvent être concurrentielles des salles de cinéma, c’est en partie imaginer qu’elles sont des salles au rabais. Or, l’activité des médiathèques ne peut pas être analysée si simplement. Outre le fait qu’elles ne projettent pas les films à l’affiche dans la salle voisine, les pro-jections publiques qu’elles organisent s’inscrivent majoritairement dans une

10. Dans le catalogue bilan du Mois du film documentaire 2011.

Cette activité de projections pu-bliques participe également à l’écono-mie des films. Alors que les droits de prêt et de consultation sur place sont attachés au support, acquis à l’achat du DVD auprès du fournisseur, et sont négociés et reversés auprès des éditeurs de DVD, les projections pu-bliques relèvent d’un acquittement de droits auprès des producteurs et sont payées à l’acte, projection par projec-tion. Les tarifs pratiqués sont à déter-miner avec le producteur et varient en fonction du film, de sa durée, de

Visuel de l’affiche du Mois du film documentaire 2012.

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sa vie commerciale, etc. En moyenne, on compte 150 euros pour la location d’un film pour une projection non commerciale, parfois moins, parfois plus. Les diffusions que proposent les médiathèques peuvent donc être un appui économique pour certains films à faible valeur commerciale, et peuvent donner lieu à un deuxième marché, succédant à celui des salles de cinéma. 67 % des bibliothèques proposant des films disposent d’un budget spécifique destiné à organiser des projections publiques. Ces bud-gets varient fortement ; on estime à environ 2 millions d’euros par an les dépenses des bibliothèques de tout le territoire pour l’organisation de pro-jections publiques.

La vidéo à la demande

Enfin, le cinquième point d’ac-croche, qui interroge la profession depuis quelques années, est celui de la VàD (vidéo à la demande ; en anglais, VOD, video on demand).

Le développement des technolo-gies numériques modifie l’ensemble du paysage de la diffusion cinémato-graphique et audiovisuelle. La déma-térialisation des œuvres, la disparition progressive des supports, le dévelop-pement de l’accès à distance et d’une intense circulation des images sur les réseaux viennent donc bousculer les professions, et une nouvelle économie se met en place.

Les bibliothèques ont constitué leurs collections à partir de supports physiques vidéo, et largement, surtout pour le cinéma de fiction, en relation avec le marché de l’édition VHS puis DVD. Elles ont cependant construit un marché spécifique, avec des four-nisseurs spécialisés, qui leur ont per-mis de maîtriser leurs collections en toute indépendance. Aujourd’hui, elles sont confrontées aux opérateurs de la VàD. Les acteurs de ce secteur économique encore en construction sont multiples (éditeurs, fournisseurs internet, chaînes de télévision, etc.) et proposent des services et contenus très divers. Certains d’entre eux ont mis en place des offres spécifique-ment destinées aux bibliothèques publiques – par exemple La Média-

thèque numérique, qui propose les films d’ArteVod et d’UniversCiné 11. Ces fournisseurs voient en effet dans les médiathèques un nouveau marché potentiel. Car, si la VàD est un avenir pour la diffusion des films, c’est aussi un secteur qui a encore des difficultés à se développer.

Pour les médiathèques, ces offres – qui proposent des contenus à forte valeur culturelle – sont un moyen de proposer des services nouveaux. Mais elles leur imposent de dialoguer avec une diversité de partenaires, institu-tionnels et commerciaux, afin d’ana-lyser les offres et de choisir parmi les propositions les plus adaptées à leurs établissements. Or, le manque de visibilité et d’outils d’analyse sur ce secteur peut parfois désemparer les bibliothécaires. Parvenir à dialoguer de façon équilibrée avec les acteurs de ce nouveau marché est un enjeu par-ticulièrement important, pour ne pas se laisser imposer des règles et des usages qui interdiraient aux biblio-thèques d’exercer leur mission de ser-vice public de façon correcte. En par-ticulier, les médiathèques publiques doivent impérativement éviter de deve-nir le simple relais de catalogues exté-rieurs : l’enjeu de ces prochaines an-nées est de les voir se doter de moyens et d’outils qui leur permettent de rester maîtresses de leur offre culturelle.

Libérée de la gestion du support, la VàD permet un accès facile aux films. La question du rôle des lieux de culture se pose, tant pour l’accès à distance que pour l’action auprès des publics dans leurs propres espaces. Au-delà des services de VàD, d’autres actions peuvent être imaginées par les bibliothèques afin qu’elles ne se limitent pas à être un relais de plate-formes commerciales. Ainsi, de nom-breux autres fonds méritent d’être repérés et valorisés par les bibliothé-caires auprès de leurs publics. Car, si l’on peut voir beaucoup de films en ligne, internet est le lieu de la popula-rité : les films les plus vus sont acces-sibles, et ceux qui sont peu visionnés ou téléchargés sont rapidement reti-rés des plateformes. Il semble qu’il n’existe pas de « longue traîne » – les

11. http://mediatheque-numerique.com

films fragiles ne cumulant pas, s’ils restent en ligne sur une longue pé-riode, de visionnages ou de téléchar-gements. C’est pourquoi il est assez difficile de proposer une offre « de niche » en VàD. Les médiathèques pourraient être le lieu où sont acces-sibles des films exclus du secteur mar-chand de la VàD, visibles autrement, grâce au travail d’accompagnement et d’animation que mènent les bibliothé-caires avec leurs publics.

Cette fois-ci encore, les média-thèques sont perçues comme un nou-veau marché par les plateformes com-merciales. Et le chaos de l’accès en ligne impose que soient développées des offres légales de qualité, acces-sibles à tous. Les médiathèques n’au-raient-elles pas un rôle à jouer sur ce plan, en proposant une alternative aux modèles existants ? •

Mai 2012

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Dans la brume électronique :

La1 fin de l’année 2011 restera une période charnière dans l’his-toire de l’édition numérique. Ce

marché a atteint une taille significa-tive aux États-Unis : « En janvier 2012 les e-books ont commencé à apparaître dans le top 10 des ventes […] Les ventes d’e-books ont dépassé les éditions print [imprimées] pour les 10 premiers titres du top 2 ! » Une récente étude d’Har-ris Interactive vient de montrer qu’en mars 2012, 28 % des Américains lisent sur supports mobiles. Plusieurs facteurs expliqueraient que les États-Unis aient été un pays pionnier sur ce marché :

• l’offre de titres numériques y a atteint une masse critique ;

• l’absence d’un réseau dense de librairies favoriserait un report de la demande vers le numérique 3 ;

• l’écart entre prix numérique et prix papier incite les lecteurs à acheter les versions électroniques. « Aux États-

1. Ambrose Bierce, Dictionnaire du Diable, publié pour la première fois en 1911.2. La consolidation du marché s’est confirmée après la période des fêtes : « Pendant que les ventes de livres imprimés progressaient légèrement, celles d’e-books explosaient avec plus de 795 % de progression. Elles représentent désormais 28 % du revenu total », « Sourcebooks has recordyear, led by e-book sales », Publisher Quarterly, 18 janvier 2012.3. La Feuille, « Le marché du livre électronique est-il en panne ? », 30 mars 2012 : http://lafeuille.blog.lemonde.fr/2012/03/30/le-marche-du-livre-electronique-est-il-en-panne/?utm_source=feedburner&utm_medium=email&utm_campaign=Feed%3A+lafeuillerss+%28lafeuille%29#xtor=RSS-32280322

Unis, où le prix du livre numérique n’est pas réglementé, on enregistre, fin 2010, un différentiel de prix moyen entre le livre imprimé et l’e-book de près de 50 %. [...] À horizon 2015, les différents marchés de l’étude devraient afficher un écart de prix entre le numérique et le papier d’au moins 44 % (Italie, Royaume-Uni, Alle-magne) ; le différentiel pouvant même monter jusqu’à 60 % aux États-Unis 4 ».

Par contre, il serait illusoire de penser que ce dynamisme soit dû à la seule libre entreprise, à la liberté de fixation des prix ou à l’absence d’entraves techniques ou de concer-tations entre acteurs. Au contraire, sa naissance a été accompagnée d’une succession de litiges, la plupart encore en cours. Les États-Unis sont en effet l’endroit où l’affrontement entre pure players (Amazon, Google…) et acteurs traditionnels de l’édition est la plus vive. « Le secteur de l’édition est dans un état de changement permanent, piloté par des forces étrangères à l’industrie tra-ditionnelle du livre 5. »

4. Ibid. Voir également Nathalie Gentaz, « Marché de l’e-books en France, explosion imminente », ActuaLitté, 10 février 2012. D’après les chiffres les plus récents, la France ne représente que 7 % du marché européen du livre électronique. La société AT Kearney qui a réalisé l’étude corrèle ce niveau avec le prix. En France, le tarif du livre électronique est le plus élevé, à 15 € (9 € aux États-Unis) : www.actualitte.com/actualite/lecture-numerique/acteurs-numeriques/marche-de-l-ebook-en-france-explosion-imminente-31940.htm5. « TOC 2012: LeVar Burton, libraries and the bookstore of the future », Publishers Weekly, 15 février 2012.

Sébastien Respingue-PerrinUniversité Paris-Dauphinesebastien.respingue-perrin @dauphine.fr

Sébastien Respingue-Perrin a été élève à l’Institut régional d’administration de Lyon avant d’intégrer l’Enssib. Il a été responsable de la politique documentaire au SCD de l’université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines et négociateur Couperin. Il a aussi participé à l’enquête pilotée par le ministère de la Culture et de la Communication sur « L’accès des librairies aux marchés de livres des bibliothèques ». Il est depuis septembre 2010 chargé de la communication, de la formation et des secteurs droit/gestion au SCD Paris-Dauphine.

DES INQUIÉTUDES AUTOUR DU MARCHÉ DU LIVRE ÉLECTRONIQUE AUX ÉTATS-UNIS ET DE SA PRÉSENCE EN BIBLIOTHÈQUE

« Commerce : Sorte de transaction à travers laquelle A dépouille B des biens de C et en compensation de laquelle B soulage des poches de D de l’argent de E 1. »

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Amazon a privilégié une straté-gie tarifaire agressive, quitte à impo-ser aux éditeurs un prix de vente très bas. À l’inverse, Apple et les grands éditeurs ont privilégié des stratégies co opératives. La décision du Dépar-tement de la justice américaine de poursuivre Apple et les principaux éditeurs pour entente redonne l’avan-tage à Amazon 6. Par ailleurs, le procès concernant la numérisation des fonds de bibliothèques par Google s’enlise, et le juge a rejeté l’accord établi entre cette société et les ayants droit.

La bibliothèque dans le nouvel environnement du livre

L’expérience américaine démontre la porosité entre vente de livres papier et de livres électroniques. Le prix des e-books étant inférieur à celui du pa-pier, le chiffre d’affaires des éditeurs se trouve fragilisé en cas de mauvaise anticipation des usages. La focalisa-tion sur le maintien des bénéfices, au moins à court terme, découle en partie de cette inconnue.

En théorie, la commande publique est un élément important de la de-mande globale et devrait à ce titre être l’objet de toutes les attentions. En réa-lité, la bibliothèque occupe une place tout à fait singulière dans l’économie du livre électronique :

• Du point de vue des usages, elle met le livre en accès libre (ce qui ne si-gnifie pas, en tout cas pas forcément, gratuit) à disposition d’une collectivité et constitue donc un « danger » pour les producteurs, qui y voient un lieu favorisant un comportement de passa-ger clandestin profitant abusivement de l’accès à une offre abondante et libre. Cette vision, largement fantas-mée, amène à restreindre l’exploita-tion des œuvres.

• Dans le contexte de « longue traîne » lié à la publication électro-nique et à l’obsolescence des œuvres sur internet, des institutions de

6. Nicolas Gary, « Procès antitrust, une très grande victoire pour Kindle », ActuaLitté, 12 avril 2012 : www.actualitte.com/actualite/lecture-numerique/legislation/proces-antitrust-une-tres-grande-victoire-pour-kindle-33466.htm

conservation ont un rôle à jouer comme « consommatrices » et diffu-seurs d’œuvres éditées depuis long-temps.

• La bibliothèque est médiatrice dans un espace de migration de flux. Face à l’éparpillement sur internet des catalogues, elle deviendrait le « freemium de l’édition », selon l’analyse de Silvère Mercier 7. Elle serait appelée à être un point d’entrée, qui concentre et unifie l’accès à l’information. Le portail référence indistinctement des ouvrages faisant partie des collections de la bibliothèque ou non. Lors d’une recherche, les lecteurs peuvent donc être renvoyés sur des titres payants. Naviguant dans cette offre globali-sée, ils seraient alors libres d’acheter un ouvrage directement auprès d’un éditeur. La bibliothèque serait en défi-nitive un « propulseur » de contenus, choisis selon des critères précis. Ce modèle, en liant signalement collectif et achat individuel, combine donc har-monieusement liberté d’accès à l’infor-mation et commercialisation 8.

Contrairement à ceux du secteur académique, les éditeurs généralistes travaillent en priorité à construire une offre à destination du grand public, qui constitue leur principal débou-ché. Les offres « d’édition générale » (romans, bande dessinée…) à des-tination des collectivités tendent à apparaître après la mise au point d’un système de commercialisation perfor-mant pour les particuliers. L’appari-tion d’une demande privée conforte en retour l’émergence des usages publics. « Aux États-Unis, 66 % des bibliothèques proposent déjà des livres numériques à leurs usagers. Et la demande est en forte augmentation : à la New York Public Library, l’usage d’e-books est aujourd’hui 36 % plus élevé qu’il y a un an 9. »

7. www.bibliobsession.net/2011/10/07/les-bibliotheques-publiques-peuvent-elles-etre-freemium-de-l%E2%80%99edition-numerique8. Gallica n’est pas si éloignée de ce modèle, par son partenariat avec les « e-distributeurs » : http://gallica.bnf.fr/advancedsearch?lang=FR On peut aussi citer le cas d’« Open Edition ». La contrepartie est une plus grande implication des bibliothèques dans le pilotage de la politique éditoriale : www.openedition.org/8873?lang=fr9. www.inaglobal.fr/edition/article/des-e-books-duree-de-vie-limitee-en-bibliotheque

La bibliothèque publique au cœur des échanges numériques ?

Toutefois, le fait est que les biblio-thèques animent aussi le marché en amont et lui donnent une impul-sion. Une enquête commandée par l’American Library Association 10 a confirmé en août 2011 le lien entre fré-quentation des bibliothèques et achat d’ e-books. Selon cette étude, 50 % des e-books achetés par les usagers des bibliothèques sur les plates-formes commerciales avaient été écrits par un auteur découvert à la bibliothèque.

Les « clients » ont donc préféré acheter plutôt qu’emprunter. Cette conclusion relativise le mythe selon lequel la vente d’un unique exem-plaire à une bibliothèque empêche-rait la vente de plusieurs exemplaires à des personnes privées (une « perte de chance » pour l’éditeur, en quelque sorte...). Au contraire, le développe-ment de collections publiques sti-mulerait le geste d’achat. La biblio-thèque familiariserait aussi avec le fonctionnement des produits et per-mettrait de les tester avant un achat personnel (quelle tablette est la plus performante ? Ce service est-il inté-ressant ?…). Cette médiation technique favorise la migration vers l’édition numérique et constitue une nouvelle dimension du service public de la lec-ture, et la bibliothèque est un pivot du développement de la filière. L’intérêt de ces données sur le comportement des lecteurs a incité les bibliothécaires à systématiser ces études pour les uti-liser dans leurs discussions avec les éditeurs. Une revue dépendant du Li-brary Journal, Patron Profile, est désor-mais dédiée à ce sujet.

« Laboratoire du futur », les États-Unis constituent-ils un nouvel envi-ronnement documentaire, offrant de nouvelles perspectives aux biblio-thèques ? Effectivement, des relations d’une nature nouvelle se tissent. Cette

10. Andrew Albanese, « Surveys says library users are your best customers », Publishers Weekly, 28 octobre 2011 : www.publishersweekly.com/pw/by-topic/industry-news/publishing-and-marketing/article/49316-survey-says-library-users-are-your-best-customers.html

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Dans la brume électronique :

collaboration réside d’abord dans la réalisation de bibliothèques numé-riques. Ainsi, la Douglas Country’s Library et la Red Rock Community College Library (Colorado) ont monté des partenariats avec des éditeurs locaux (Gale, Lerner Digital, Colorado Publishers) pour abriter sur leurs propres serveurs leurs livres électro-niques 11. L’objectif est de permettre à la bibliothèque de gérer directement les fichiers et de rassurer les éditeurs en sécurisant l’accès à leur production. En prenant en charge la mise à dis-position des e-books, la bibliothèque est responsabilisée 12. Il s’agit d’un modèle « durable » d’acquisition : la bibliothèque se prémunit contre les changements de politique tarifaire des éditeurs et la « balkanisation » des données bibliographiques due à la multiplication des bases. En retour, les éditeurs partenaires bénéficient du signalement de leurs ouvrages par la bibliothèque, et la prescription par les bibliothécaires a un effet de levier sur les ventes pour les particuliers, ce qui fait écho à l’idée du freemium 13. Le gain pour eux est double : ils trouvent un débouché pour une production de qualité mais de niche, difficilement exploitable dans l’univers imprimé, et une meilleure visibilité sur le web. Preuve de l’intérêt de cette expérimen-tation, le plus grand consortium de bi-bliothèques californiennes a manifesté son souhait de s’en inspirer 14.

Ces innovations ne se limitent pas aux relations avec les éditeurs. Des montages contractuels avec de grands opérateurs de la distribution ont éga-lement permis aux bibliothèques d’élargir leur offre. À la différence de

11. Michael Kelley, « Colorado publishers and libraries collaborate on ebook lending model », Library Journal, 17 mars 2011. Pour connaître les enjeux en termes de visibilité pour les petits éditeurs : www.cipacatalog.com/pages/Library-eBook-Partnerships.html12. L’accord prévoit que la bibliothèque achète chaque copie en circulation et en limite l’utilisation à 3 semaines pour un utilisateur.13. Voir à ce sujet les excellentes analyses de Silvère Mercier : www.bibliobsession.net/2012/01/02/livre-numerique-2012-une-annee-charniere/?doing_wp_cron=1326992677 14. Michael Kelley, « Large California consortium joins movement toward library ebook ownership », Library Journal, 12 mars 2012.

la France, un acteur s’est imposé sur le marché de la fourniture de livres électroniques aux collectivités : Over-Drive 15. En vue d’accroître encore l’in-térêt de son offre, la société a passé un accord avec la société « leader » dans le commerce de livres électroniques pour le grand public : Amazon. Le par-tenariat vise officiellement à accorder le prêt d’ouvrages électroniques sur Kindle 16. Cette annonce a suscité un débat, l’utilité de promouvoir davan-tage Amazon étant discutable... Toute-fois, la plupart des bibliothécaires ont salué cet accord qui libère de l’étroi-tesse des catalogues habituellement proposés par les éditeurs (celui d’Ama-zon représente plus de 11 000 titres, dont des best-sellers) et rapproche des habitudes de consommation réelles du public 17.

Les bibliothèques académiques : Babel assagie

Les usages en milieu universitaire apparaissent plus installés (bouquets, licences, public institutionnel...). L’ob-jectif est désormais de placer le lecteur au cœur de politiques documentaires répondant à des besoins complexes et circonstanciés. Parmi les modèles

15. OverDrive a annoncé que 35 millions de titres ont été empruntés l’an dernier. Forte de ce succès, la société s’apprêterait à lancer un service « découverte », permettant aux usagers des bibliothèques abonnées de parcourir et de feuilleter les catalogues des éditeurs, y compris pour les œuvres que la bibliothèque n’a pas encore achetées : www.thedigitalshift.com/2012/01/ebooks/overdrive-reports-35-million-digital-titles-checked-out-in-2011-page-views-up-130-percent16. Michael Kelley, « Amazon to allow library lending of Kindle books - New program will integrate with all existing ebook catalogs offered through OverDrive », Library Journal, 20 avril 2011 : « Le prêt sera disponible pour tous les modèles de Kindle et pour tous les apps de lecture, et il inclura tous les titres d’e-books proposés par Overdrive aux États-Unis » : www.libraryjournal.com/lj/home/890266-264/amazon_to_allow_library_lending.html.csp17. Michael Kelley, « Librarians hope for a “seamless experience” with Amazon’s Kindle », Library Journal, 22 avril 2011 : www.libraryjournal.com/lj/Mnewslettersnews letterbucketljxpress/890302-441/librarians_hope_for_a_seamless.html.csp

économiques qui se développent, on trouve ainsi le « Driven Patrons Acqui-sition » (DPA). Son principe repose sur l’accès à un catalogue de livres susceptibles d’être acquis en fonction de l’usage constaté. La bibliothèque peut par exemple choisir d’acheter le livre suite à un signalement par un lecteur ou automatiquement après un certain nombre d’utilisations.

À côté de ce modèle économique, adapté à des achats pour la recherche, d’autres nouveautés intéressent le champ de la pédagogie. Citons par exemple le développement de sites « compagnons », où l’achat de l’ou-vrage « papier » permet d’accéder à son contenu électronique et à une série de contenus liés (corrigés, sup-ports de cours, annotations...). L’édi-teur Pearson est en pointe sur ce seg-ment 18. Comment mettre en œuvre une gestion des droits suffisamment fine pour permettre à la bibliothèque d’intervenir dans ce type d’achat, alors qu’il ne concerne que des communau-tés limitées ? On peut regretter une moindre sensibilisation au problème de l’adéquation entre offres et usages. En particulier, certains soulignent le problème de la compatibilité tech-nique des collections des éditeurs scientifiques avec les dispositifs de lec-ture que les étudiants utilisent : négo-cier une évolution des fichiers pour les rendre interopérables avec le Kindle est nécessaire 19.

Parallèlement, le rêve d’une biblio-thèque universelle continue à tenailler certains bibliothécaires. Actant l’échec de Google, Robert Darnton de l’univer-sité d’Harvard a récemment annoncé le lancement de la « Digital Public Li-brary of America 20 ». Le droit d’auteur est un frein évident à cette ambition :

18. Certains enseignants commencent à l’utiliser en France. L’accès aux ressources est dépendant de l’achat de l’exemplaire papier, mais l’accès au contenu électronique est de plus en plus fréquent.19. Dès 2010, Dan Agostino de l’université de Toronto remarquait : « À l’arrivée du Kindle et de l’iPhone, nous avons découvert qu’ils n’étaient malheureusement pas compatibles avec les importantes collections d’e-books en HTML et en PDF que nous possédions – en tout cas pas de façon performante » : www.teleread.com/ebooks/the-strange-case-of-academic-libraries-and-e-books-nobody-reads20. http://dp.la

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lecture, cette incertitude portant sur l’utilisation de l’œuvre après la cession est démultipliée. Elle touche le cœur des missions des bibliothèques, vic-times des ambiguïtés liées à la notion d’usage collectif (confusion avec gra-tuité totale, piratage, dissémination des contenus...).

Les conditions d’emprunt numé-rique se sont ainsi durcies, et Har-perCollins par exemple a imposé bru-talement un changement de modèle économique : « Les bibliothèques [...] sont tenues d’acheter plusieurs copies d’un e-book pour qu’il soit emprunté par plusieurs abonnés et le remplacer après plusieurs utilisations. [...] HarperCol-lins imposait de restreindre le nombre de consultations d’un e-book à 26. Après quoi, la bibliothèque serait dans l’obliga-tion de le racheter 24. »

Cet exemple montre le flou du « prêt numérique », tel que pensé par les éditeurs. Cette notion recouvre plu-sieurs politiques : elle ne se limite pas uniquement à limiter une durée d’ac-cès à un ouvrage (fichier chrono-dé-gradable, abonnement limité dans le temps à une collection ou à une plate-forme...) mais implique également de brider graduellement la consultation, y compris sur place, de « l’exemplaire » du titre électronique en fonction de son utilisation. Il s’agit donc de limiter au maximum la consultation d’un titre pour mieux en contrôler la diffusion, oubliant la valeur ajoutée du numé-rique 25.

Paradoxalement, les modèles éco-nomiques appliqués aux bibliothèques sont plus frileux que ceux appliqués aux particuliers alors que les biblio-thèques sont gérées par des profes-

24. Lea Lavagen, « DRM, éditeurs et bibliothèques : l’équation insurmontable ? », ActuaLitté, 11 novembre 2011 : www.actualitte.com/actualite/monde-edition/bibliotheques/drm-editeurs-et-bibliotheques-l-equation-insurmontable-31132.htm Voir aussi l’excellente synthèse écrite par Céline Alarçon, « Des e-books à durée de vie limitée en bibliothèque » : www.inaglobal.fr/edition/article/des-e-books-duree-de-vie-limitee-en-bibliotheque25. Par ailleurs, les difficultés de lecture à l’écran imposent un taux de disponibilité des ouvrages plus important que pour le papier. La seule solution consiste donc à augmenter le stock d’ouvrages disponibles.

en plus d’axer son développement sur le domaine public, Robert Darnton a suggéré l’idée d’un « moving wall » pre-nant en compte le cycle d’exploitation de l’ouvrage et la possibilité pour les auteurs de choisir explicitement d’y diffuser leurs œuvres. L’expérience du programme « Google Library » a été tirée, même si on peut regretter une absence de prise en compte des créa-teurs dans la gouvernance du projet.

L’ambiguïté de la notion de droit de prêt et la stigmatisation par le marché

En dépit de ce souci de mieux col-laborer, des grincements inquiétants se font entendre, témoignant d’un malentendu grandissant entre les bibliothécaires et les autres acteurs de la filière du livre… Ainsi, la Guilde des auteurs a initié en septembre 2011 une action contre HathiTrust pour contrefaçon 21, ce regroupement de bibliothèques universitaires étant accusé d’avoir reproduit des œuvres sous droits. Plusieurs associations de bibliothécaires ont produit un mé-moire en défense en mai 2012, afin de faire valoir que la remise en cause des mécanismes légaux sur laquelle repose la plainte risquait de déstabili-ser l’ensemble du cadre légal régissant les bibliothèques (entraînant, entre autres, la fin d’un service aussi essen-tiel que le prêt)22. Les bibliothèques continuent donc à être perçues, non comme un lieu stratégique de pres-cription, mais comme un endroit me-naçant, susceptible d’entraver l’exploi-tation de l’œuvre 23.

À la différence du livre imprimé, la réutilisation d’un e-book par son acquéreur (prêt à une autre personne, copie, partage...) n’est pas dépendante des limitations du support physique. Dans le cadre du service public de la

21. http://authorsguild.org/advocacy/articles/authors-3.attachment/authors-v-hathitrust-9834/Authors%20v.%20HathiTrust%20Complaint.pdf22. www.arl.org/bm~doc/htamicus-final.pdf23. Carrie Russel, Threats to Digital Lending : http://americanlibrariesmagazine.org/features/01122012/threats-digital-lending

sionnels qui connaissent bien les en-jeux liés à la gestion des droits...

Surcoûts en milieu concurrentiel

Faute de « bon modèle 26 », les édi-teurs préfèrent restreindre la diffusion de leurs catalogues en bibliothèque : Penguin, Macmillan, Simon & Schus-ter et Hachette y ont limité totalement ou partiellement leurs offres. Le mou-vement s’étend même aux éditeurs indépendants, comme celui d’Harry Potter. Dans les cas où ils ne refusent pas simplement la commercialisation ou n’imposent pas des conditions d’ex-ploitation léonines, certains éditeurs perçoivent malgré tout la fourniture de livres aux bibliothèques comme un « risque » nécessitant un surcoût de nature assurantielle (contre le pira-tage, la diminution des ventes…). Ils jouent alors sur les deux autres fac-teurs d’une offre, son contenu et son prix :

• Les œuvres commercialisées auprès des bibliothèques ne sont pas disponibles avant un délai plus ou moins important. La pratique du « mo-ving wall » est connue. Certains réflé-chissent désormais à calculer sa durée en prenant en compte le cycle de vie de l’ouvrage pour éviter tout parasitage avec la demande privée. Par exemple, l’utilisation collective de l’œuvre varie-rait en fonction des ventes globales : après la parution (où la demande des particuliers est la plus forte) elle serait quasi-nulle, puis s’ouvrirait progres-sivement après un volume de vente donné (modèle dit « performance-based licenses 27 », conçu par des bibliothé-caires du Harvard Library Innovation Laboratory pour permettre l’utilisa-tion des œuvres sous Creative Com-mons) 28. Les nouveautés seraient

26. Hachette étudie différents modèles, la piste privilégiée étant la mise en place d’un plafond de diffusion (« circulation cap ») par ouvrage : plus l’usage s’accroît, plus l’exemplaire est « usé » : www.libraryjournal.com/lj/home/891756-264/hachette_taking_a_close_look.html.csp27. http://librarylicense.org/process.html28. Lionel Maurel, « Une LL (Library Licence) inspirée des CC (Creative Commons) pour les ressources numériques en bibliothèque ? »,

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Dans la brume électronique :

donc de fait indisponibles. Cette ges-tion de la préférence marginale des consommateurs dans le temps promet des modes de tarification stimulants, car complexes.

• Surtout, on constate un suren-chérissement incontrôlé des tarifs : « Les versions numériques des nouveaux titres auraient tendance à être vendues en moyenne 8 $ plus cher qu’une version papier, et certains, particulièrement po-pulaires, grimpent à des tarifs atteignant 75,99 $ 29. » Random House a ainsi annoncé une hausse vertigineuse de ses tarifs en contrepartie du maintien de l’accès à son catalogue (plus 300 % pour certains titres jeunesse...)30. Un début de résistance à ces abus s’organise. Ainsi, le regroupement de bibliothèques LION (Libraries On-line) a appelé au boycott de Random House 31.

La bibliothèque rattrapée par la concurrence

Les raisons du retrait de certains éditeurs ne sont pas exclusivement motivées par les craintes liées au pira-tage. Pourquoi Penguin a-t-il retiré ses ouvrages de l’offre OverDrive ? En fait, les bibliothèques se sont trouvées piégées par un règlement de comptes entre Amazon et les éditeurs. L’accord entre Overdrive et Amazon compor-

30 janvier 2012 : http://scinfolex.wordpress.com/2012/01/30/une-ll-library-licence-inspiree-des-cc-creative-commons-pour-les-ressources-numeriques-en-bibliotheque/?utm_source=feedburner&utm_medium=email&utm_campaign=Feed%3A+http%2Fscinfolexwordpresscom+%28%3A%3A+S.I.Lex+%3A%3A%2929. Clément Solin, « Le numérique vendu plus cher que le papier à la bibliothèque », ActuaLitté, 22 novembre 2011 : www.actualitte.com/actualite/monde-edition/bibliotheques/le-numerique-vendu-plus-cher-que-le-papier-a-la-bibliotheque-29976.htm30. Andrew Albanese, « Fair trade : Random House will raise library e-book prices, but commits to e-booklending », Publishers Weekly, 2 février 2012. Michael Kelley, « Librarians feel sticker shock as price for Random House ebooks rises as much as 300 percent », The Digital Shift, 2 mars 2012.31. Michael Kelley, « Consortium of 25 libraries in Connecticut votes to boycott Random House », 5 avril 2012 : www.thedigitalshift.com/2012/04/ebooks/consortium-of-25-libraries-in-connecticut-votes-to-boycott-random-house

tait en effet des mises en œuvre tech-niques difficilement acceptables pour Penguin 32 : les usagers souhaitant emprunter un livre étaient redirigés vers le site d’Amazon et devaient s’y identifier.

« Depuis qu’Amazon a mis son Kindle à disposition des usagers des bibliothèques en avril 2011, Penguin affirme que le bouton “Télécharger un livre pour Kindle”, qui se trouve sur les serveurs des bibliothèques, redirige l’uti-lisateur sur le site d’Amazon, en passant outre le pare-feu de sécurité mis en place par OverDrive. Avec l’activité d’édition qu’il a développée récemment, Amazon se positionne en concurrent direct, et en contribuant à rendre le Kindle de plus en plus présent dans les bibliothèques, Pen-guin encourage indirectement les clients potentiels à acheter sur Amazon 33. » Penguin a en conséquence annoncé la fin de son partenariat avec Overdrive, les bibliothèques ne conservant que

32. Pour un exposé détaillé, voir : Laura Hazard Lauren, « Why might a publisher pull its e-books from library ? », 22 novembre 2011 : http://paidcontent.org/article/419-why-might-a-publisher-pull-its-e-books-from-libraries33. Natalie Hideg, « Amazon ouvre encore le débat sur le prêt de livres numériques », Ina Global, 23 décembre 2011 : www.inaglobal.fr/edition/article/amazon-ouvre-encore-le-debat-sur-le-pret-de-livres-numeriques

la possibilité de prêter les livres déjà achetés 34.

Ce contentieux démontre tout d’abord la dépendance des agréga-teurs par rapport aux éditeurs. L’offre d’OverDrive est en définitive instable, et cette société ne défend peut-être pas au mieux l’intérêt des bibliothèques... Cette fragilité des distributeurs est propre au secteur de la vente aux col-lectivités, alors qu’ils sont en situation de force pour la vente au grand public (voir les craintes soulevées par Ama-zon). Les bibliothèques sont prises en otage par les stratégies concurren-tielles des fournisseurs, sans consi-dération de leurs missions de service public. Les partenariats économiques passés par les bibliothèques (ou leurs fournisseurs) les exposent à l’accu-sation de favoritisme. En devenant « freemium », elles deviennent des actrices du marché susceptibles d’être par incidence partie prenante dans des querelles qui les dépassent. Pour rele-ver ce défi, il faut démêler l’écheveau des relations contractuelles qui lient fournisseurs, producteurs, grossistes et grand public et anticiper les conflits latents – ce qui implique le dévelop-

34. Calvin Reid, « Penguin servers ties with OverDrive », Publishers Weekly, 9 février 2012.

L’entrée de la New York Public Library. Photo : Melanzane 1013 sur Flickr (licence CC BY-SA 2.0)

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pement de nouvelles compétences au sein de nos institutions.

Vers la privatisation du prêt de livres

Dernier aspect inquiétant, la bi-bliothèque comme institution est dé-sormais mise en concurrence avec des acteurs privés. Amazon a ainsi inau-guré un service de prêt de livres en novembre 2011. Ce service repose sur une adhésion préalable au programme « Amazon Prime » qui, pour 79 $ par an, donne accès à toute une gamme d’offres « privilèges », le prêt de livres électroniques étant gratuit 35. Concrè-tement, l’adhésion autorise le prêt d’un livre par mois, et le catalogue est estimé à 100 000 ouvrages 36. La possibilité commerciale de jouer sur la durée des acquisitions, la péren-nité des supports et la généralisation de modèles pensés pour les institu-tions et commercialisés désormais pour le grand public brouille donc un peu plus la frontière entre activités du secteur public et du secteur privé. D’autres acteurs se sont positionnés sur ce marché du prêt de livres. La société Bilbary prétend ainsi « incarner le chaînon manquant entre la librairie et la bibliothèque 37 ». Son catalogue de 340 000 titres distance celui d’Ama-zon. Ses relations avec les éditeurs étant de qualité, Bilbary possédera sans doute à terme une visibilité ex-ceptionnelle sur internet.

Bien sûr, les missions (patri-moniales entre autres) et les modes d’exploitation (anonymisation des pra-tiques de lecture) des bibliothèques sont uniques, mais les usagers ne seront-ils pas tentés de se connecter en priorité sur le site de leur détaillant habituel ? Si la bibliothèque ne saurait être réduite au prêt, celui-ci consti-tue une activité emblématique, mais en passe d’être exploitée par d’autres

35. Pour la description du programme Prime, voir : www.amazon.com/gp/help/customer/display.html?ie=UTF8&nodeId=1381921136. « Kindle owners’ lending library title count top 100,000 », Publishers Weekly, 4 avril 2012.37. www.actualitte.com/actualite/lecture-numerique/acteurs-numeriques/bilbary-la-plateforme-internationale-d-ebooks-en-beta-test-32934.htm

opérateurs. Les bibliothèques doivent réagir et réaffirmer leur mission de signalement de l’information en s’ap-puyant sur les modes de consomma-tion : la bibliothèque du Kansas a ainsi annoncé un partenariat avec Bilbary 38. La « propulsion » de contenus hors collections se confirme comme une des stratégies privilégiées des biblio-thèques dans l’univers numérique.

Des « leçons américaines » ?

Quelles conclusions tirer de ce panorama ? Le marché américain fait voir le fonctionnement de l’édition électronique, mais « comparaison n’est pas raison » : les acteurs ne sont pas les mêmes qu’en France. Il se carac-térise par une concurrence exacerbée et protéiforme, opposant institutions et entreprises privées, éditeurs tradi-tionnels et géants de l’internet ou du commerce en ligne, alors que le com-merce de détail est affaibli. Alliances et mésententes s’y nouent en fonction d’intérêts, souvent de court terme... Le rôle de la bibliothèque avec ses pres-tataires est rediscuté : pourvoyeuse d’offres libres, promotrice de contenus ciblés, partie dans des accords mar-chands... En ce sens, la concurrence a emporté la bibliothèque. Le mar-ché du livre est désormais un monde fluctuant, où demandes privées et publiques interfèrent, se complètent ou se parasitent, et où les consomma-teurs oscillent entre usage public et usage privé, arbitrant en fonction des circonstances entre support papier et électronique. L’apaisement passerait-il par un assujettissement à un « droit de prêt numérique », comme nous le connaissons en France depuis 2003 ?

En attendant, les bibliothèques trouvent des solutions grâce à des co-opérations de long terme, en redéfi-nissant leurs missions de service pu-blic. Le numérique et l’environnement compétitif les poussent à « ouvrir » leurs murs : leur activité doit systé-matiquement être mise en perspective par une analyse globale du secteur

38. « State library of Kansas to partner with Bilbary to enable e-book purchases », Publishers Weekly, 10 avril 2012.

de l’édition. L’observation des usages autour du numérique entrepris par les bibliothécaires américains pour ras-surer les éditeurs est ainsi une leçon précieuse. Par ailleurs, la segmenta-tion spontanée du marché entre lec-ture publique et lecture universitaire, si elle ne doit pas conduire à une scis-sion entre ces deux types d’établisse-ment, prouve l’inanité de la quête du modèle économique unique : l’arrivée du numérique rappelle qu’il existe au-tant de formes de marchés qu’il existe de secteurs éditoriaux, et que les offres doivent donc être adaptées.

Qu’en est-il de la France ? On voit bien la peur des éditeurs de voir le marché national bousculé par l’arrivée des acteurs qui se sont imposés aux États-Unis. Par ailleurs, les craintes concernant les bibliothèques sont universelles. Le récent appel d’offres lancé par le ministère de la Culture pour la réalisation d’une étude sur la distribution du livre électronique en bibliothèque prouve la crainte d’une crispation des fournisseurs sur ce sujet 39. Sur les autres sujets, les évo-lutions législatives récentes visant une régulation par les pouvoirs publics dé-coulent incontestablement de l’analyse de la situation aux États-Unis. Avec la parution du décret d’application de la loi sur le prix unique du livre numé-rique 40, notre pays est celui où les rap-ports entre éditeurs et diffuseurs sont les plus sécurisés pour les produc-teurs, ce qui devrait diminuer l’inten-sité concurrentielle. La genèse et les mécanismes de la loi sur les œuvres orphelines dérivent également de l’ex-périence du programme bibliothèque de Google. Deux « environnements » économiques distincts du livre élec-tronique émergeraient-ils, un français et un anglo-saxon, mais où la biblio-thèque serait toujours prise dans les remous du marché ? •

Mai 2012

39. « Quelle offre commerciale pour les ebooks en bibliothèque ? », LivresHebdo.fr, 7 février 2012, et « Faut-il prêter des livres numériques ? », Livres Hebdo, no 901, 16 mars 2012.40. Voir notamment : Sébastien Respingue-Perrin, « Le code et la licence », BBF, 2011, no 3, p. 22-28. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2011-03-0022-005

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Un printemps à la BPI :

Printemps 2012, ou la banalité d’un marronnier à la BPI ?

La presse a ses marronniers, la BPI (Bibliothèque publique d’infor-mation) aurait-elle le sien ? Comme à chaque printemps depuis 2007, la BPI réinterroge son dispositif d’accueil du public pour l’adapter aux exigences de cette saison : accueillir « aussi », « en plus », « à côté de son public habi-tuel », un public de lycéens qui inves-tit la bibliothèque pour y réviser – les mercredis, samedis et dimanches en avril-mai, à temps complet les pre-mières semaines de juin –, la part de ce public allant croissant pendant toute cette période, jusqu’à être plus que majoritaire la veille des épreuves du baccalauréat, où les candidats au bac représentent la quasi-totalité des 5 000 lecteurs qui fréquentent chaque jour cette bibliothèque de lecture publique exclusivement réservée à la consultation sur place 1.

Est-ce à dire que le dimanche, à la veille de l’épreuve de philosophie qui ouvre la semaine des épreuves écrites, peut être observé le résultat d’un phé-nomène : la concurrence des publics et l’éviction quasi complète du public « habituel » de la BPI au bénéfice du « circonstanciel » public des lycéens ? Est-ce bien cela qui s’est joué pendant la saison des révisions ? Un instantané pris un beau dimanche de juin, à la veille du galop ritualisé d’écrits, dit-il quelque chose de « la concurrence des publics » ?

1. 350 000 documents, pas de collections jeunesse, un peu plus de 2 000 places assises en simultané, un accès sans aucune formalité ni inscription, ouverte tous les jours sauf les mardis et le 1er mai, 62 heures par semaine.

En mettant en place un disposi-tif d’accueil spécifique à l’intention des candidats au baccalauréat, la BPI a pris acte qu’elle n’avait pas le choix de la question de la « concurrence », qui s’est imposée à elle du fait de cette fréquentation saisonnière des lycéens, mais qu’en revanche elle avait le choix des réponses qu’elle mettait en œuvre en tant que bibliothèque au service des usagers.

Jusqu’à même substituer d’autres questions à cette question première : et si l’irruption printanière et impé-tueuse de la concurrence, plus qu’une bousculade ébranlant le quotidien et les fondations de la bibliothèque ou une mauvaise saison à passer, avait appris à la bibliothèque, au fil des sai-sons, à dépasser progressivement le questionnement initial en termes de « concurrence des publics » pour l’ex-primer désormais à la fois en termes d’accompagnement des publics pour favoriser le « vivre ensemble » et en termes de réflexion et d’expérimenta-tion de services spécifiques ?

Concurrence des publics vs lecture publique : une bibliothèque bousculée

Reprenons depuis le commen-cement, en 2007. À l’arrivée du prin-temps, des jeunes gens, des adoles-cents entre deux mondes – celui de l’enfance et celui des adultes –, sont à la recherche d’un lieu où réviser, où se préparer à vivre l’épreuve du feu marquant, au niveau scolaire, le passage ritualisé dans le monde des grands, à la découverte – la fougue aidant, plutôt un assaut – d’un lieu sans espace jeunesse, un lieu qu’ils investissent en groupes : la BPI. Pour-

Hélène DeleuzeBibliothèque publique d’[email protected]

Bibliothécaire, Hélène Deleuze est responsable du service coordination de l’accueil au sein du département des publics de la Bibliothèque publique d’information.

DU MODE « CONCURRENCE » AU MODE « INCLUSIF »

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tant, la BPI s’adresse, notamment dans son organisation matérielle, à des individus, et ne propose aucun espace adapté au travail de groupe. C’est un lieu où les règles à observer sont peu nombreuses, mais « impéra-tives », et toutes définies pour favori-ser les projets individuels de chacun et le partage, dans le respect d’autrui, de l’espace public, règles auxquelles ce public de printemps se montre parfois peu acclimaté. Son comporte-ment tend à décourager, voire à faire fuir, le temps que jeunesse passe, les publics habituels de la BPI, qui ne reconnaissent plus, durant quelques semaines, « leur » bibliothèque, et ne parviennent plus à mener à bien serei-nement les projets qui leur tiennent à cœur et auxquels la bibliothèque offre en temps ordinaire un cadre propice. De même pour les bibliothécaires pré-sents dans les espaces de lecture, ob-servateurs et partie prenante de cette situation, qui vivent mal cet état de fait et se sentent régulièrement impuis-sants, démunis, désemparés, chacun à leur heure, de manière plus ou moins récurrente, après avoir tenté d’interve-nir pour rappeler les usages du lieu à ceux de ce public de printemps qui y contreviennent.

Construire une réponse… : de la nécessaire préservation des fondamentaux

La bibliothèque ne pouvait en res-ter là. Le printemps ne pouvait être une parenthèse, voire une rupture, un moment à part dans la vie de la BPI. Comment aurait-elle pu ne pas réagir à un état de fait qui bousculait ainsi ses fondements mêmes, et qui mettait en difficulté à la fois la bibliothèque comme espace public partagé, les bi-bliothécaires dans leur rôle et les usa-gers « habituels » dans leurs usages ? Il fallait rétablir le fil des saisons en s’attachant à préserver leur conti-nuum, et donc s’attacher au principe de « concurrence des publics » pour en réduire la virulence de printemps, afin que la bibliothèque ne soit pas victime d’une intoxication saisonnière, voire plus durable.

Il fallait redonner aux principes de bon fonctionnement leur vigueur at-teinte par celui de la « concurrence des publics » : ne pas laisser à ce principe de concurrence la possibilité d’agir dans la bibliothèque jusqu’à contrarier ce qui fonde la BPI et la lecture pu-blique : être un lieu ouvert à tous, où tous sont légitimes et attendus, dans le respect de chacun.

En effet, la bibliothèque de lecture publique est un lieu où la concur-rence des publics n’est sans doute pas absente, mais où elle n’entre pas dans la composition de ce qui le définit et ne peut se jouer qu’en mode mineur, en sourdine, comme à la marge, sans venir bousculer les fondements. Cette notion de concurrence heurte les principes fondateurs de la lecture publique : les lieux qui lui sont dévo-lus sont réticents à la manifestation de cette « concurrence », leur défi-nition intrinsèque tend à les rendre imperméables à cette valeur portée particulièrement par le monde libéral. La bibliothèque de lecture publique, en substance, appartient à un autre monde – extension du domaine du « 3e lieu » ?

Une réponse commune, collective, cohérente et claire : de l’ordre dispersé à une organisation collective

Les compétences et initiatives indi-viduelles des bibliothécaires ne suffi-saient pas à construire l’intervention nécessaire : il fallait que ce soit LA bi-bliothèque qui construise sa réponse, pour que celle-ci soit proportionnée aux effets de concurrence des publics observés. C’est donc une réponse col-lective qui a été pensée, pour soutenir les interventions individuelles, les har-moniser, leur donner la visibilité et la légitimité qui les renforcent.

Concurrence des publics non souhaitée, fondamentaux de la biblio-thèque publique bousculés, profession-nels perplexes, ont conduit à mettre en place dans un premier temps un dis-positif qui visait à réaffirmer les fonda-mentaux de la bibliothèque en œuvrant à l’acclimatation du public lycéen aux

règles de fréquentation et de partage de l’espace public.

Ainsi, le dispositif s’est construit sur un ensemble d’actions destinées à faire que la bibliothèque ne soit pas dessaisie de sa capacité à interve-nir dans ses espaces de lecture pour se maintenir comme lieu de calme, d’étude, propice à la concentration, mais au contraire affirme bien expli-citement l’attention qu’elle porte à ce que ses règles de fonctionnement soient observées par tous, dans l’in-térêt de chacun. Pour donner de la visibilité et de la lisibilité à cette dé-marche autour du respect des règles du vivre ensemble en bibliothèque, une série d’éléments a été articulée.

Veiller

Veiller, en renforçant la vigilance sur ce qui se passe avant l’entrée dans la bibliothèque, c’est-à-dire aux condi-tions d’attente avant l’entrée dans le lieu, en faisant en sorte que les mo-dalités d’accès au lieu ne laissent pas s’exprimer la concurrence des publics au travers des phénomènes de res-quille, alors que le printemps, période de révision des examens pour les lycéens mais aussi pour les étudiants, est la saison où les files d’attente pour entrer dans la bibliothèque sont les plus importantes.

Être en mesure d’accueillir 2 000 personnes simultanément dans de bonnes conditions, c’est-à-dire en réduisant la capacité d’accueil du lieu (habituellement de 2 134 personnes) pour garder une certaine fluidité dans le choix des places et éviter les ten-sions que pourrait générer une adé-quation parfaite entre capacité théo-rique et capacité réelle d’accueil.

Rendre visible

Rendre plus visibles les codes et les attendus du lieu en informant sur les règles d’utilisation destinées à favo-riser le vivre ensemble, par le biais de flyers « Règles de vie » reprenant les quelques principes à observer par cha-cun pour la satisfaction de tous, sur le mode sans détour du « Ne pas » très peu politiquement correct (Ne pas par-

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Un printemps à la BPI :

ler fort, Ne pas manger ni boire dans les espaces de lecture, Ne pas travail-ler en groupe, Ne pas téléphoner…). Il s’agit de signifier que les espaces de lecture sont des espaces destinés à permettre la concentration de cha-cun, et qu’il existe des espaces de pause, propices à la détente (cafétéria, fumoir, balcon), bien distincts de l’es-pace de travail qui accueille simultané-ment 2 000 usagers aux projets variés. Mis en place sur toutes les places de lecture, quotidiennement en période de forte fréquentation lycéenne, ces flyers donnent de la visibilité aux règles ; ils sont aussi le support auquel se réfèrent les bibliothécaires quand ils sont amenés à intervenir pour les rappeler. Ils constituent une aide à l’intervention, qui s’appuie sur un écrit, ce qui réduit la contestation par les usagers de la légitimité du rappel à la règle. Ceux-ci les utilisent égale-ment comme support de médiation pour une autorégulation de voisinage.

Organiser une présence renforcée

Organiser une présence renforcée des bibliothécaires dans les espaces de lecture. Les bibliothécaires postés aux

dix bureaux d’information qui struc-turent l’espace et le renseignement au public, ainsi que le « responsable de service public », portent une atten-tion renforcée à ce qui se passe dans les espaces et sont amenés à interve-nir plus souvent que d’ordinaire pour réaffirmer la nécessité du respect des « Règles de vie », pour que chacun puisse profiter de la bibliothèque sans empêcher les autres usagers d’en faire autant.

Les premiers printemps, des for-mations à la gestion des situations difficiles avaient été reproposées aux bibliothécaires pour les accompagner dans la mise en œuvre du dispositif et faciliter leurs interventions.

Pour compléter, cette attention accrue portée aux respects des règles est signifiée et rendue très visible par la mise en place d’un renfort mobile, pris en charge par des bibliothécaires volontaires, se déplaçant d’un espace à l’autre et parcourant régulièrement toute la bibliothèque, intervenant quand ils constatent qu’un usager ou un groupe d’usagers contrevient aux règles réaffirmées notamment au tra-vers des flyers mis en place. Le sys-tème de renfort mobile, qui augmente la dynamique d’intervention dans les espaces, a été institué les premiers

printemps d’avril à juin, désormais de mai à juin, suivant un calendrier qui détermine des jours orange (renfort discontinu) et des jours rouges (same-dis, dimanches, jours fériés, et der-niers jours précédant les épreuves du baccalauréat). Les agents de sûreté qui assurent le contrôle à l’entrée de la bi-bliothèque (plan Vigipirate du Centre Pompidou) et la régulation à l’entrée et dans les espaces de lecture sont également partie prenante du disposi-tif, permettant de graduer les niveaux d’intervention auprès des contreve-nants.

Repenser certains espaces

Repenser certains espaces plus exposés de par leur configuration à l’impétuosité juvénile de printemps. En mettant en place un dispositif d’ac-cès aux places de lecture spécifique pour la période, comme dans l’espace Autoformation qui régule l’accès à ses 120 « cabines », très prisées par les lycéens qui en « détournent » l’usage initialement pensé, parfois au détri-ment du public utilisateur des outils d’auto-apprentissage, qui se plaint de cette gêne. En rompant certains ali-gnements de tables pour les moduler

« Objectif : Bac ». Illustration de couverture : Art-triste. © Aurore Vidal, extraite du concours photo des lycéens 2011, organisé par L’Étudiant et le ministère de l’Éducation nationale.

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cipaux gisements de ressources pou-vant particulièrement intéresser les candidats au baccalauréat pour leurs révisions, dépliant sur le modèle de la série de dépliants BPI « Une info sur » – un opus parmi d’autres. En 2010, un flyer « Bac 2010 » pointant les res-sources utiles mises à disposition par la bibliothèque fut distribué réguliè-rement aux places de lecture, au vu et au su de tous les usagers, donc des ly-céens, pendant toute la saison. Épuisé, « Préparer le bac à la BPI ? » a été rem-placé en 2011 et 2012 par des bibliogra-phies adaptées, déclinées en une col-lection de dépliants « Objectif : Bac » : « Réviser l’épreuve de… » (Arts, Fran-çais, Histoire, Géographie, Musique).

Ce premier pas fut suivi d’un autre, en 2010, plus discuté : l’acqui-sition de collections de printemps « Spécial Bac », mises à disposition dans un espace dédié « Objectif : Bac » à proximité du lieu de tous les pas-sages : la cafétéria. Il s’agit de la part la plus visible et la plus massive de ces « collections de printemps » : une col-lection renouvelée tous les ans de plus de 300 exemplaires d’annales, filières générale, technique et professionnelle (chaque titre acquis en nombre) ; des numéros spéciaux en exemplaires multiples édités par les magazines pour aider aux révisions, ce afin de diversifier les outils proposés en les élargissant à la presse (Lire, Philosophie Magazine, Magazine littéraire, Réviser le bac avec Le Monde…) et aux médias (en signalant les initiatives spécifiques des radios France Culture, pour l’épreuve de philosophie – Les Nouveaux chemins de la connaissance/Spéciale Bac Philo –, et France Musique, pour les épreuves de musique). L’espace Autoformation fait également une proposition de res-sources « Objectif : Bac », augmentant au printemps le nombre de licences disponibles de certains titres tels que Maxicours ; de même pour le secteur Musique (achat des partitions et enre-gistrements au programme, L’éduca-tion musicale « Spécial Bac »…).

Une collection de conférences « Objectif : Bac » vient, depuis 2011, enrichir le dispositif, pour aider les ly-céens à préparer leurs examens. Elles ont lieu chaque mercredi du mois de mai (un mercredi, une discipline) dans la bibliothèque même – une

en espaces plus petits, comme il a été décidé avant le printemps 2010, pour l’espace Sciences et techniques.

Autant de mesures articulées en-semble pour une bonne gestion du lieu, en faisant que la bibliothèque de printemps ressemble le plus possible dans ce qui caractérise ses espaces et sa sociabilité à ce qu’elle propose aux autres saisons : un lieu calme, propice à la concentration, accueillant une grande diversité de publics, au béné-fice de chacun.

Collections de printemps

La réussite du dispositif quant à cet objectif de « vivre ensemble » et de partage non-concurrentiel du lieu a libéré, d’année en année, la réflexion, qui s’est ouverte à l’élabo-ration d’autres types de propositions, complémentaires et renforçant l’iden-tité « bibliothèque » des espaces. Il s’agissait de faire que le lieu ne soit pas uniquement perçu comme une gi-gantesque salle de révision, mais bien comme une bibliothèque, avec ses collections, ses services… et ses codes. Ainsi serait-il plus facile d’acclimater les lycéens aux règles, en rendant plus évident encore à leurs yeux qu’il s’agis-sait bien là de ce qu’il est convenu d’appeler une « bibliothèque ».

Cette démarche s’est vu opposer durant les premières saisons une cer-taine défiance : la BPI n’avait « pas de collections pour lycéens », qui n’étaient donc pas légitimes dans le lieu ; quant à penser qu’elle pourrait acquérir des collections spécifique-ment à l’intention de ce public de printemps, c’était jouer avec le feu et s’exposer à les attirer plus nombreux encore, ces jeunes peu coutumiers des usages de la bibliothèque. Les lycéens pouvaient individuellement question-ner les bibliothécaires aux bureaux d’information – qui mettaient alors tout en œuvre pour répondre sur me-sure et accompagner ces demandes au singulier. Mais de là à penser une offre de collection spécifique pour ces lycéens, il y avait un pas…

Un pas qui fut franchi une pre-mière fois au printemps 2009 par l’édition d’un dépliant « Préparer le bac à la BPI ? » qui pointait les prin-

nouveauté – et sont signalées par un dépliant spécifique et des annonces sonores dans les espaces où révisent les lycéens.

Ces collections de printemps, outre qu’elles habillent désormais le lieu bibliothèque en « Objectif : Bac », sont également présentées en ligne. Le dispositif « Objectif : Bac » est ainsi devenu un dispositif à double attente : acclimater le public lycéen à la biblio-thèque pour éviter la concurrence des publics et lui proposer des collections et des services spécifiques venant ren-forcer l’attente initiale.

L’observation du réel, un dispositif vivant

Vouloir mettre en place un dispo-sitif parfait, pensé dans ses moindres détails avant d’être mis à l’épreuve du réel, n’est-ce pas rester sourd aux exigences du réel, rendre difficile le passage de la réflexion au mode opéra-toire et fermer le dispositif aux effets du réel en le rendant peu sensible à ceux-ci ?

Le dispositif « Objectif : Bac » a été pensé dans un premier temps comme une réponse à l’inquiétude du person-nel et à la concurrence des publics, plus virulente au printemps, et sa per-méabilité et sa sensibilité au réel ont permis de l’enrichir d’année en année, pour en augmenter les effets attendus et encourager les effets collatéraux inattendus, bienvenus et particulière-ment intéressants pour la bibliothèque en termes d’adaptabilité aux publics et de réactivité quant aux services spéci-fiques à développer. En observant au quotidien comment le réel réagit à la mise en place du dispositif d’accueil et interagit avec lui, la bibliothèque s’est donné les moyens de l’adaptabilité, de la pertinence et de l’évolutivité du dis-positif d’accueil. La place est ouverte à d’autres compléments ; côté collec-tions, notamment en rendant plus vi-sible l’offre multimédia par des écrans d’accueil et une ergonomie de saison, et côté services en réfléchissant à des accompagnements spécifiques d’aide aux révisions. Longue vie et vitalité à « Objectif : Bac ».

L’observation du réel pour enri-chir et faire vivre le dispositif n’a pas

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Un printemps à la BPI :

été que quotidienne. Elle a également été organisée, à travers la réalisation par le service « Études et recherche » de deux enquêtes auprès du public lycéen de printemps. La première enquête, qualitative, réalisée en 2010, a mis particulièrement l’accent sur le phénomène d’acclimatation au lieu et à ses codes, jusqu’à pouvoir le définir comme « une sorte de rite de passage ou plutôt d’affiliation au cours d’une phase importante, sinon critique de sa scola-rité et de son existence ». La seconde enquête, quantitative, mise en place avec le service Accueil, s’est déroulée de mai à juin 2011 (565 questionnaires auto-administrés utiles recueillis) pour mieux caractériser ces usagers et leurs besoins (filières disciplinaires, lieu de résidence, modalités et motifs de visite, fréquentation d’autres biblio-thèques, image de la BPI, usages sur place, connaissance et usage des res-sources mises à disposition des candi-dats).

De la mixité, ou la recherche d’une dynamique vertueuse

« Objectif : Bac » est un dispositif qui, né de la concurrence des publics, a grandi en renforçant la mixité des publics présents à la bibliothèque à cette période du printemps, mixité qui permet aux mécanismes de trans-mission intergénérationnelle de jouer, discrètement, mais efficacement. On observe en effet le rôle régulateur induit par ce caractère de mixité géné-rationnelle et d’usages : soutenir cette mixité par un dispositif qui vise à évi-ter l’éviction d’un public au profit d’un autre par un jeu de concurrences, de préemption de l’espace et d’affirma-tion d’un usage dominant sans égards pour les usages et usagers « autres », c’est mettre en place les conditions d’une dynamique vertueuse au béné-fice de tous les usagers et de tous les usages, aussi différents soient-ils.

Le dispositif « Objectif : Bac », s’il s’adresse au public lycéen, parle à tous les publics. En construisant un tel dis-positif, la bibliothèque affirme sa capa-cité à prendre en compte une situation particulière, « la tendance au renforce-

ment du phénomène de concurrence des publics » pendant la période de mai-juin, et sa capacité à mettre en place des propositions spécifiques à l’attention d’un public cible : les ly-céens, tenant compte de leurs attentes et de leurs besoins particuliers.

Post-scriptum

Pour mieux servir et renforcer le dispositif, il fallait un nom de bap-tême. La question du nom n’a pas été première dans la construction présen-tée ici. Est-ce à dire qu’il faut la négli-ger ou au contraire considérer que le nom est partie prenante du dispositif ? « Objectif : Bac » permet de marquer une cohérence entre les différents modes selon lesquels se décline le dispositif d’accueil : ce ne sont pas des conférences, ou des collections de printemps, ou une communication renforcée dans les espaces de lecture sur les règles qui contribuent à un vivre ensemble de qualité, mais tout cela à fois – un dispositif multidimen-sionnel.

Le lien n’est pas assuré par le pou-voir du nom. Les composantes sont articulées indépendamment de l’éti-quette « Objectif : Bac » qui leur est ap-posée, mais le lien est souligné par ce nom. Ainsi, le public-cible peut décou-vrir le dispositif par l’une de ses com-posantes, celle qui lui est la plus acces-sible, pour, grâce au lien, avoir ensuite un accès facilité aux autres dimen-sions du dispositif. En outre, ce nom a un pouvoir d’évocation et de com-munication qui le rend apte à retenir l’attention, à éveiller l’intérêt, à capter le regard du public lycéen sur diffé-rentes propositions dont le pouvoir at-tractif n’est pas égal mais qui tous ont un sens pour cet usage. Enfin, ce nom permet d’habiller l’espace BPI, un vaste espace, en « Objectif : Bac » : ce rappel visuel apparaît à de multiples occurrences dans le lieu, comme un repère pour les lycéens façon cailloux du Petit Poucet, et comme un signal pour les autres publics. •

Juin 2012

Pour compléter :

• Fiche « Objectif : Bac » disponible sur le site collaboratif Bibliothèques dans la cité : partager des savoirs, faire société : www.bibliothequesdanslacite.org

• Deux enquêtes du service Études et recherche de la BPI : – Enquête qualitative : Préparer le bac à la BPI : enquête auprès des usagers lycéens, d’Agathe Zuddas, sous la direction de Christophe Evans et Françoise Gaudet, août 2010. En ligne : www.bpi.fr/modules/resources/download/default/Professionnels/Documents/Etudes%20et%20recherche/Publics_lyceens_2010.pdf – Les lycéens à la BPI : enquête quantitative mai-juin 2011, novembre 2011.

• Patrick Perez, Fabienne Soldini et Philippe Vitale « Usages conflictuels en bibliothèque : une lecture sociologique », BBF, no 1, 2002, p. 4-8. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2002-01-0004-001

• « Réviser sans stress à la bibliothèque » de Laurence Santantonios, Livres Hebdo, no 911, 25 mai 2012.

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e Usagers et bibliothécaires : concurrence ou co-création ?

Le monde change autour des bibliothèques

Dans le monde de la rareté, les bibliothèques étaient à l’aise car elles proposaient un accès économique et intelligible à une collection assez large. Elles étaient d’autant plus légitimes qu’elles faisaient un tri, donnant ainsi un label à ce qui était censé conve-nir à l’honnête homme du xxe siècle. Le bibliothécaire était ce savant fou qui organisait le savoir pour le rendre accessible : « La tour de Babel pour les nuls » en quelque sorte.

Au côté de l’enseignant et d’autres professions intellectuelles, le biblio-thécaire contribua à l’élévation intel-lectuelle et spirituelle des citoyens. C’était une belle mission, qui ne pou-vait que bouleverser tout doucement le rapport que ces derniers pouvaient avoir avec les connaissances et les bi-bliothèques... À force d’apprendre, les citoyens devenaient plus exigeants, et surtout, soit ils n’auraient plus besoin des bibliothèques s’ils en avaient les moyens, soit ils auraient de plus en plus de mal avec une bibliothèque strictement prescriptrice et qui les prend du haut de son savoir si bien organisé. Cela dit, s’il n’y avait eu que cela, nous aurions pu nous adapter à cette nouvelle donne en construisant un nouvel emballage pour nos mis-sions traditionnelles. Mais plusieurs autres bouleversements bousculent notre environnement.

Il y a d’abord la remise en cause de la culture légitime. Les « humanités » ne sont plus un marqueur d’élévation sociale et il n’est plus nécessaire de faire croire qu’on a lu tout Proust pour faire partie des élites. Il me semble que les bibliothèques qui sont identi-fiées à cette culture légitime pâtissent à différents niveaux de cet état de fait.

Dans l’univers marchand, les docu-ments (livres, disques, dvd) ont perdu toute leur valeur, soit à cause d’une politique de prix incohérente (prix de lancement attractif, prix fort pendant quelques mois, soldes jusqu’à des prix divisés par trois ou plus en cas de vente par lots), soit parce qu’ils de-viennent les bonus d’autres produits comme dans la presse ou les stations-services... Confirmé par la dernière enquête d’Olivier Donnat 1, l’essor des pratiques culturelles amateurs change aussi le rapport à la culture, qui là en-core est désacralisée. Ces phénomènes ne sont pas nouveaux, mais ils se sont fortement accélérés.

L’avènement d’internet et d’un monde numérique fut un nouveau coup dur pour les bibliothèques. La dés-adhérence des contenus à un sup-port physique a achevé de les désacra-liser. De surcroît, la disponibilité, fan-tasmée comme totale, des contenus culturels sur internet fait passer la bibliothèque comme un lieu ringard et inutile. Pourquoi se déplacer pour ne pas être sûr de trouver ce que l’on cherche (pas dans le fonds ou déjà em-prunté) ? Pourquoi se déplacer pour ne pas être sûr de trouver ce que l’on ne cherche pas (déception en flânant dans les rayons, absence de conseils) ? En effet, sur internet tout est acces-sible facilement, en permanence, et nous pouvons y glaner simplement, parfois par hasard, des contenus inté-ressants. Le web participatif a porté le coup de grâce en permettant à chacun de devenir non seulement producteur de contenus culturels mais aussi cri-tique et conseil sur ces contenus. Ces deux faits marquent la fin de l’aura des lieux concentrateurs et des inter-

1. www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr

Xavier GalaupMédiathèque départementale du [email protected]

Conservateur territorial, Xavier Galaup est depuis juillet 2007 directeur adjoint à la médiathèque départementale du Haut-Rhin, où il a été notamment responsable de l’action culturelle et de la bibliothèque musicale. Coordinateur de Développer la médiation documentaire numérique paru aux Presses de l’enssib en 2012 (coll. « La Boîte à outils »), il est l’auteur de nombreux articles dans différentes revues professionnelles. Formateur, il anime le blog XG_BlogNotes (www.xaviergalaup.fr/blog).

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Usagers et bibliothécaires : concurrence ou co-création ?

médiaires privilégiés que sont les bi-bliothécaires, les journalistes et autres professions intellectuelles prescrip-trices.

La dimension participative du web a son versant obscur quand elle se « remixe » avec le marketing : inci-ter les internautes à recommander un produit afin de mieux le faire vendre. Le consommateur consomme, achète ainsi (joyeusement) des produits conseillés par d’autres, et la marque bénéficie d’une bonne image grâce à la part ludique de leur démarche de vente. Cependant, l’internaute n’est pas complètement dupe, car, si on abuse ou si on est trop incitatif, il va se détourner, voire faire une promotion négative. Cette approche participative existe aussi dans les magasins sous forme de jeux, comme les rallyes pho-tos Fnac : photographier les curiosités de la ville, les mettre en ligne pour la Fnac et gagner un appareil photo plus performant... Tout cela existait déjà, mais, là encore, cela a pris de l’am-pleur.

L’usager co-créateur des services en bibliothèque

L’usager d’aujourd’hui est-il co-créateur de services en bibliothèque 2 ? En préambule, il faut lever toute ambiguïté sur un point : le bibliothé-caire continue de mener sa politique documentaire, suggestions d’achat comprises, et l’usager n’intervient pas directement dans l’organisation de la bibliothèque ou dans la politique de lecture publique, qui relève d’une décision politique même si elle peut être co-construite avec les citoyens. Les axes de « co-création » possibles concernent essentiellement la création de services non-documentaires avec l’aide des usagers.

Trois directions pourraient être empruntées, en lien avec les grandes missions de la bibliothèque. Premiè-rement, la mission culturelle, la biblio-thèque devenant l’un des carrefours de

2. Cf. le mémoire de DCB de Xavier Galaup, L’usager co-créateur des services en bibliothèque publique : l’exemple des services non-documentaires, 2007. En ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-1040

la vie culturelle locale avec davantage d’actions culturelles, plus informelles et plus participatives : des ateliers avant un événement, des comptes rendus après, faits par les usagers, pour que la bibliothèque se positionne comme lieu de pratiques culturelles amateurs (musique, écriture, vidéo). Deuxièmement, la mission éducative, avec par exemple l’échange de savoirs organisé par la bibliothèque seule ou en partenariat avec une associa-tion locale. Troisièmement, la mis-sion sociale, en accentuant l’aide à la recherche d’emploi et en devenant l’un des lieux d’entraide entre usagers. Cette approche rejoint la notion de bibliothèque troisième lieu que Ma-thilde Servet 3 a défendue.

La co-création des activités dans la bibliothèque permettrait de donner un visage plus humain et plus proche de la bibliothèque à travers l’implica-tion des usagers. Nous pourrions par exemple inciter des usagers inscrits à raconter des livres, ou à transmettre le contenu d’autres documents qu’ils ont aimés autour d’eux, puis les prêter en expliquant qu’ils viennent de la biblio-thèque. À la manière du bookcrossing, il est tout à fait envisageable d’orga-niser une circulation de documents via ces usagers-relais sans passer sys-tématiquement par la bibliothèque. L’objectif est de désacraliser l’image de la bibliothèque, d’en faire un lieu utile à tous et dont l’usage peut être quoti-dien.

Lors d’une journée d’étude 4 pour l’association VDL (Vidéothécaires, dis-cothécaires de la région lyonnaise), j’avais écrit le scénario de la co-créa-tion de l’animation musicale en bi-bliothèque. Un groupe d’adolescents écoute une radio ou une playlist créée par les bibliothécaires. Ils découvrent ainsi un nouveau groupe de musique. Ils téléchargent les fichiers et viennent en atelier de MAO (musique assistée par ordinateur) faire un remix à la bibliothèque. Celui-ci est mis en ligne par ces usagers sur un blog de la bi-

3. Mathilde Servet, Les bibliothèques troisième lieu, DCB, 2009. En ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-212064. http://vdlblog.wordpress.com/2011/03/01/rencontres-du-troisieme-lieu-compte-rendu-de-la-journee-detude-vdl-du-13122010

bliothèque et écouté par les bibliothé-caires, qui l’apprécient. Ces derniers proposent aux usagers créateurs de faire un petit concert à la bibliothèque. Le concert est filmé et enregistré, puis mis en ligne... D’autres usagers dé-couvrent à la fois ce qui est fait par ce petit groupe et les musiciens qui ont suscité le remix... et la boucle de co-création peut continuer 5...

La co-création d’activités est aussi une manière de dépasser la juxtaposi-tion des consommateurs d’un service en faisant participer les usagers. Cette implication du public dans les activi-tés ou les services de la bibliothèque donne le cadre d’un dialogue entre sujets et non plus un croisement d’uti-lisateurs ou un lien hiérarchique entre le bibliothécaire savant et les foules ignorantes.

Co-création et/ou concurrence ?

Si nous associons mieux les usa-gers au fonctionnement et aux ser-vices offerts à la bibliothèque, nous se-rons très vite confrontés à la question d’une concurrence larvée ou frontale entre les usagers et nous. On pour-rait, même, se demander si, à terme, la présence de bibliothécaires serait encore justifiée.

Certes, la recherche à la Google, qui génère du bruit mais pas de silence, ne nécessite pas d’intermé-diaire et joue bien son rôle jusqu’à un certain point. Malgré ou à cause de ce bruit, les internautes ne trouvent pas ou n’ont pas l’impression de pou-voir trouver ce qu’ils cherchent. Ici, le professionnel de l’information peut apporter ses compétences en ciblant les mots clés efficaces, en utilisant la recherche avancée et d’autres sources pour trouver une information. Nous avons aussi un rôle de formation et d’interpellation quant à la vérifica-tion des sources d’information. Nous garderons ce rôle de référence pour valider une information et, dans ce domaine, nous serons perçus a priori

5. Ce scénario utopique ne tient pas compte de toutes les questions de droit d’auteur qu’il faudrait régler.

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comme plus neutres que d’autres pro-fessionnels comme les journalistes.

Le nombre d’internautes écrivant des critiques sur des contenus culturels est impressionnant, notamment sur les livres. Force est de constater que, pour l’instant, ils sont très peu nombreux sur notre catalogue participatif. De-viennent-ils de ce fait nos concurrents dans le conseil documentaire ?

Si l’usager peut être excellent dans une ou plusieurs niches documen-taires, en revanche il n’a pas la vision globale d’un domaine et ne sera pas toujours en mesure de faire le lien entre tel et tel ouvrage ou telle et telle approche thématique. Face à la démul-tiplication des contenus culturels, no-tamment numériques, il ne nous est plus possible de tout connaître pour conseiller. Nous avons donc besoin de multiplier les canaux de médiation en collaboration avec d’autres professions et, pourquoi pas, avec des amateurs éclairés. Capable de dépasser l’enthou-siasme du partage (j’aime ou j’aime pas), le bibliothécaire devra amener une vision synthétique et une mise en perspective dans l’histoire littéraire ou dans l’évolution des sciences. D’ail-leurs, notre atout est d’être des généra-listes des contenus culturels.

Avec les outils numériques, l’usa-ger est obligé d’organiser ses fichiers ou ses ressources avec un système d’indexation plus ou moins assisté, mais il se préoccupera d’abord d’un classement qui lui convient et pas d’une harmonisation utile pour dif-férents usages. La construction de

métadonnées fiables, pérennes et interopérables restera l’apanage des professionnels de l’information. Dans le bâtiment, le bibliothécaire met en scène des collections pour faciliter l’appropriation de celles-ci par le plus grand nombre… et pourquoi pas pour surprendre un peu l’usager et lui per-mettre de faire des découvertes.

Face à l’essor progressif mais iné-luctable des ressources numériques, le bibliothécaire devient un média-teur entre un usager et la ressource (payante ou gratuite). Il offre des espaces pour la pratique culturelle et accompagne les usagers dans leurs recherches et leurs projets. Certains d’entre eux pourront être bons dans une pratique culturelle, mais manque-ront d’outils pour dépasser leur ap-prentissage autodidacte. Ils ne sauront pas forcément trouver et utiliser les outils qui leur correspondent. Nous le constatons bien dans les espaces pu-blics numériques, où les animateurs multimédias forment non seulement les usagers de tous âges à l’usage des logiciels mais jouent aussi un rôle de conseil d’achat des matériels multimé-dias.

En ligne et sur place, le biblio-thécaire devrait désormais proposer l’accès à l’ensemble des ressources dis-ponibles. En effet, l’acquisition œuvre par œuvre aura de moins en moins de sens, et son nouvel horizon sera de tra-cer des chemins pour entrer et se repé-rer dans cette profusion d’informa-tions et de contenus culturels. Dans ce cadre, le bibliothécaire devient plus un

médiateur et un manager de projets, le cas échéant en co-création avec les usagers, qu’un gestionnaire de fonds documentaires.

Certes, il peut sembler paradoxal de promouvoir l’autonomie des usa-gers, ce qui au bout du compte signi-fie qu’ils auraient une grande partie des compétences des bibliothécaires – et il faudrait craindre lors une forme de concurrence de leur part. Mais cette concurrence et le danger viennent davantage d’entreprises qui veulent recréer une forme de concentration des contenus et des services autour des biens culturels. Amazon tisse dou-cement mais sûrement sa toile, en détruisant les librairies, en imposant ses conditions aux éditeurs puis en devenant lui-même éditeur, en prêtant des livres et en facilitant l’autoédition. Apple et Google ont des stratégies si-milaires.

Ne nous trompons pas d’ennemi : l’usager peut avoir besoin de nous, ces entreprises non. Si nous voulons réussir notre mutation dans cette ère pleine d’incertitudes, nous ne pouvons plus nous contenter de la plus belle offre documentaire qui soit – pour peu que nous en soyons encore capables financièrement –, mais il nous faut associer les utilisateurs finaux à la construction des services dont ils ont besoin, dans le respect de nos mis-sions de service public et dans le cadre de véritables politiques de lecture pu-blique définies avec les élus. •

Mai 2012

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3 – Mixtions

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e Bibliothèques universitaires et concurrence ou comment la communication devrait venir aux bibliothèques

Les bibliothèques universitaires (BU) ont une double spécifi-cité : en tant que bibliothèques,

elles ont un rôle à jouer dans la nou-velle offre informationnelle et en tant que structures appartenant à une université elles dépendent fortement de cette dernière. Ainsi, elles sont en concurrence. En concurrence contre les géants du web, leurs offres ergo-nomiques et pléthoriques. En concur-rence car leur tutelle, changeant de statut, risque fort de modifier leurs modalités de gestion, voire leurs mis-sions.

À la remise en cause profonde de la notion même de bibliothèque s’ajoute donc un autre enjeu, la nou-velle place du service commun de la documentation (SCD) au sein de l’université. Cette évolution est deve-nue d’autant plus effective que l’appli-cation de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU)1

permet à celles-ci de gérer directement les budgets et le personnel de celui-là. Bien sûr, cela n’implique pas forcé-ment une intrusion violente des ins-tances universitaires dans la gestion des BU, mais cette « intrusion » est dé-sormais possible et, par là même, cela doit inciter les BU à mieux prendre leur place dans leur université de rat-tachement. Si les bibliothèques ont conscience de ces changements, elles y répondent souvent par une politique

1. Loi no 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités. En ligne : www.legifrance.gouv.fr

de communication pensée davantage comme la transmission d’informa-tions et l’organisation d’animations que comme une véritable stratégie.

Une histoire de concurrences multiples

Une information omniprésente

Le monde change, et les informa-tions sont disponibles partout, tout le temps. Google Scholar fournit des articles, Doctissimo des symptômes, Wikipédia tout sur tout. Vouloir four-nir un autre choix – Web of Science, Pubmed et l’Encyclopædia Universalis – paraît vital… essentiellement aux pro-fessionnels de l’information 2.

La concurrence est d’autant plus lourde que les outils gratuits du Net font partie de la vie, et on y cherche dès l’école primaire et pour toutes les informations pratiques de notre quotidien. Il est frappant de consta-ter que plus ces outils donnent une apparence de pertinence (quoi que l’on cherche on trouve quelque chose, qu’importe la valeur de ce quelque

2. Respectivement : http://scholar.google.fr www.doctissimo.fr http://fr.wikipedia.org http://thomsonreuters.com/products_services/science/science_products/a-z/web_of_science www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed www.universalis.fr

Violaine [email protected]

Lylette Lacô[email protected]

Université de Lorraine

Violaine Appel est enseignante-chercheure à l’université de Lorraine et membre du CREM (EA 3476). Elle travaille sur les dispositifs communicationnels des organisations.

Lylette Lacôte-Gabrysiak est enseignante-chercheure à l’université de Lorraine et membre du CREM (EA 3476). Elle travaille notamment sur la communication des bibliothèques.

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chose), plus les pratiques des usagers se simplifient. Il y a quelques années, des étudiants à qui vous demandiez de rechercher les références d’un livre consultaient Amazon 3, aujourd’hui ils tapent le titre du livre directement dans Google.

Pour la première fois depuis la bibliothèque d’Alexandrie, les lecteurs estiment ne plus avoir besoin des bibliothécaires. Pourtant, quand on a l’occasion de leur faire découvrir les ressources en ligne, de leur montrer l’utilisation des catalogues collectifs, il reste possible de les convaincre. Cela ne durera peut-être qu’un temps, des valeurs plus profondes (valeur de l’ex-pertise face aux conseils des pairs, va-leur de la validité de la source...) étant elles-mêmes en cours de dissolution rapide. Il n’empêche que, pour le mo-ment, l’usager de BU ne connaît pas toujours ses besoins et demande à être convaincu de l’intérêt des ressources documentaires mises à sa disposition.

À cela, les BU répondent par de l’information et la mise en place de formations. Ces mesures semblent pourtant assez insuffisantes. L’infor-mation n’est pas ou peu lue. Quant aux formations, il faudrait travailler avant tout à la légitimation du savoir transmis par les bibliothécaires, ce qui dépend beaucoup de l’université elle-même, qui peut faire le choix, ou non, d’intégrer cette formation aux cursus. De plus, il faudrait travailler tout au-tant à une approche vulgarisatrice par-tant des besoins nés des cours et des pratiques préexistantes des formés.

Dire que de l’information est dis-ponible ne suffit donc plus. Il faut passer d’une logique de « pull », qui consiste à aller chercher l’informa-tion, à une logique de « push », qui amène l’information à l’usager. Et même ainsi, il faut convaincre d’aller voir, d’essayer, convaincre que c’est mieux que ce que l’on peut trouver sans efforts. Il faut attirer l’attention, susciter l’intérêt, provoquer le désir et, enfin, pousser à l’action. Il faut com-muniquer et non plus transmettre de l’information.

3. www.amazon.fr

Des universités, donc des BU, en concurrence

Cette concurrence est impitoyable et, comme si cela ne suffisait pas, il faut y ajouter la nouvelle donne des universités autonomes. Les universi-tés françaises vont entrer en concur-rence et, avec elles, l’ensemble de leurs services : formations, recherche – mais aussi BU. L’attribution des budgets et la gestion des personnels dépendant du bon vouloir des univer-sités de rattachement, les BU sont, plus que jamais, des services intégrés aux universités. Elles vont devoir prou-ver leur efficacité, non seulement par l’accomplissement de leurs missions traditionnelles mais également en s’inscrivant pleinement dans la stra-tégie de développement et d’image de leur tutelle.

La politique de communication des SCD doit tenir compte de la poli-tique de communication de l’uni-versité. Dans le cas d’une université pluri disciplinaire, née du regroupe-ment de plusieurs universités, in-cluant donc plusieurs SCD, il peut y avoir un effet de poupées russes entre l’identité de l’université, celle de la direction des bibliothèques, du SCD et, enfin, des BU. On pense à un effet en cascade qui fait qu’une marque, celle de l’université, s’enrichit d’une amélioration de l’image d’une marque fille, celle du SCD. Dans ce cas égale-ment, la cohérence est fondamentale et les choix politiques faits à un niveau supérieur devront s’appliquer aux ni-veaux inférieurs.

Ainsi, si l’université entend don-ner une image dynamique et interna-tionale, cette image devra être véhicu-lée et déclinée au niveau de chacune de ses composantes. Si c’est l’aspect ci-toyen qui est mis en avant, cela pourra par exemple se traduire dans les SCD par la mise en place d’animations vi-sant un public local non universitaire à travers des expositions, ou de confé-rences de vulgarisation. Si certains axes scientifiques sont mis en avant, les BU correspondantes pourraient enrichir leurs sites, ou partie de sites, avec des produits documentaires liés à ces axes à destination des personnes intéressées, qu’elles fassent, ou non, partie de l’université de rattachement.

Ce type d’initiatives existe déjà, comme, par exemple, la jubilothèque 4 de l’université Pierre et Marie Curie (Paris 6) ou les articles mis en ligne sur le site des BU d’Angers 5. Ce point de vue est doublement intéressant : il justifie l’existence des BU comme lieu d’expertise et de vulgarisation des informations scientifiques auprès du public, et il participe à l’image d’ouver-ture de l’université de rattachement.

Il ne faut pas voir qu’une dé-marche marketing dans ce type d’ac-tion. Qu’une BU mette en ligne des informations, des produits documen-taires, afin de travailler son image de marque et, à travers celle-ci, celle de son université, ne rend pas les documents mis en ligne moins inté-ressants pour ceux qui pourront en bénéficier. La richesse du site de la bibliothèque municipale de Lyon 6

donne de celle-ci une image très posi-tive qui rejaillit sur la ville et donc sur l’équipe municipale. Il n’empêche que le contenu de ce site profite à tous ceux qui l’utilisent, lyonnais ou non. Il ne s’agit pas de « pervertir » l’intention de service public, mais de profiter de cette volonté d’amélioration de l’image de marque pour offrir de nouveaux services aux usagers. Il n’est pas ici question de mensonges ou de poudre aux yeux mais de valorisation de fonds et de savoir-faire mis à la disposition de tous. Ceci ne peut se faire que dans le cadre d’une coopération effective entre les différents niveaux d’interven-tion et une compréhension mutuelle des enjeux et des contraintes. Cette collaboration doit en effet être fluide non seulement avec les autorités de tutelle mais aussi avec les autres ser-vices de l’université, services de la po-litique culturelle et de l’informatique notamment.

Il va également sans dire que les différentes BU impliquées devront travailler ensemble. Chacune d’elle peut développer, a déjà développé, sa propre identité, ce qui est une richesse

4. http://jubilotheque.upmc.fr La Jubilothèque contient des versions numérisées d’ouvrages et de thèses anciennes issues des collections des BU de l’université Pierre et Marie Curie.5. www.bu.univ-angers.fr6. www.bm-lyon.fr

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à condition que toutes ces identités soient correctement articulées. Par exemple, une BU de lettres est plus culturelle, contient plus de documents imprimés. Il serait stupide de vouloir aligner son image et son fonctionne-ment sur une BU de médecine. Néan-moins, les deux doivent se compléter en adoptant les valeurs de leurs auto-rités de tutelle. On le voit, cette double concurrence impose aux bibliothèques universitaires d’envisager de réfléchir leur existence en terme de communi-cation et non plus simplement à tra-vers la notion d’information.

Un processus communicationnel complexe

Les bibliothèques, dans leur en-semble, vivent actuellement une situa-tion paradoxale : elles ont pour mis-sion d’offrir gratuitement un service au public et le public boude ce service. Deux explications sont possibles pour tenter de comprendre cette désaffec-tion : soit les usagers ne savent pas ce que la bibliothèque peut faire pour eux, soit ils estiment ne plus avoir be-soin de ses services.

Dans un cas comme dans l’autre, on peut penser – c’est ce que fait la profession – qu’une carence d’infor-mations est à la source de ces ma-lentendus : vu de l’intérieur de la bibliothèque, l’utilité des fonds et des personnels semble évidente. Afin de remédier à cet état de fait, les biblio-thèques s’ouvrent doucement à l’idée de communication. Articles, col-loques, interventions fleurissent dans le milieu professionnel 7. Pourtant, on voit poindre un point de divergence ou de rupture qui n’est pas sans poser problème. Ce que les bibliothèques comprennent souvent par « communi-cation », c’est la transmission d’infor-mations et/ou l’organisation d’anima-tions. Or, dire ce que la bibliothèque propose n’est pas suffisant, comme le prouvent les faibles taux d’inscription

7. Christelle Petit et Yves Desrichard, « Les bibliothèques au défi de la communication : 57e Congrès de l’ABF », BBF, 2011, no 5, p. 110-111. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2011-05-0110-011

en bibliothèque municipale 8. Organi-ser des animations n’est pas une fin en soi, et des études récentes prouvent que ces manifestations attirent avant tout des usagers convaincus 9. Des entretiens avec des directeurs de bi-bliothèques permettent de confirmer la nature de ce qui fait obstacle : si les bibliothécaires sont prêts à faire de la « communication », c’est dans le sens restrictif défini ci-dessus. Réfléchir en termes d’image, de cibles, leur paraît encore étranger et contre-nature, ce qui est regrettable, car l’application de techniques classiques en com-munication des organisations pour-rait leur permettre de mettre à plat leur fonctionnement autant que leur image 10. Les avancées techniques, déjà anciennes ou plus actuelles, la concurrence du web et de Wikipédia conduisent à un choix que les biblio-thèques devront faire tôt ou tard. Si, effectivement, leur personnel pense avoir un rôle à jouer dans la nouvelle offre informationnelle, il va falloir ac-cepter de se « battre » pour cela et donc adopter des techniques qui ont depuis longtemps fait leurs preuves dans d’autres secteurs d’activité.

Il faut également être conscient d’une conséquence induite par ce pro-cessus : réfléchir en termes de straté-gie de communication implique une mise à plat des services et des pra-tiques qui peut conduire à une remise en cause allant bien au-delà des pra-tiques communicationnelles. Si une telle utilisation de la communication

8. Ce problème n’est pas nouveau puisqu’une journée d’étude de Médiadix en 1999 posait déjà cette question. Voir le compte rendu de Christophe Pavlidès, « Les documents de communication dans les bibliothèques : un enjeu pour leur développement », BBF, 1999, no 2, p. 106-107. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1999-02-0106-0089. Claude Poissenot, « Publics des animations et images des bibliothèques », BBF, 2011, no 5, p. 87-92. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2011-05-0087-002 Notons cependant que cette étude concerne les bibliothèques publiques.10. Voir à ce sujet : Violaine Appel, Hélène Boulanger et Lisette Lacôte-Gabrysiak, « Instaurer une culture de la communication dans les bibliothèques » in Jean-Philippe Accart (dir.), Communiquer ! Les bibliothécaires, les décideurs et les journalistes, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2010, coll. « La Boîte à outils », p. 16-30.

est assez inédite car dérangeante, on peut également l’envisager comme un outil aidant au diagnostic : sur quoi vais-je pouvoir communiquer ? Quelle est mon image dans le public ? Quels sont mes points forts ? Que puis-je faire, que suis-je prêt à faire afin d’attirer un certain type de public dans ma bibliothèque ? Pour lui offrir quoi ? Etc.

Une BU en mouvement

L’établissement d’une stratégie de communication pour la bibliothèque doit, avant tout, passer par une phase de diagnostic et de décision.

Prenons pour exemple le SCD Santé de l’université de Lorraine. Quels sont les atouts de cette biblio-thèque ? De bons locaux, bien situés par rapport à ses usagers, une bonne fréquentation des lieux physiques, des moyens financiers satisfaisants. Quels sont ses défauts ?

Quelle image de lui-même le SCD souhaite-t-il donner ? Sur quoi veut-il communiquer ? Comment cela peut-il s’inscrire dans le cadre englobant de la politique de communication de l’uni-versité ? Il s’agit ici de faire des choix, des choix concertés avec l’autorité de tutelle, mais aussi compatibles avec les moyens disponibles et la volonté des personnels. Inutile de communi-quer sur la convivialité si le person-nel n’est pas impliqué et convaincu du bien-fondé d’un tel axe. Inutile de communiquer sur la richesse de l’offre si les fonds ne sont pas complets et les budgets trop serrés.

Disons, pour les besoins de cet article, que le directeur veut commu-niquer sur cette volonté de service, d’adaptation aux besoins des usagers, de réactivité. Disons également que cette image s’inscrit dans la politique de l’université, dans l’image globale qui se doit d’être déclinée dans l’en-semble des services, et voyons com-ment cela peut être rendu possible.

Quand on parle de moyens, il faut aussi tenir compte des contraintes. La plupart des SCD voient la commu-nication comme une activité annexe (assurée par des personnels intéres-sés quand ils en ont le temps) et ne nécessitant pas de budget propre.

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pour eux. C’est donc aux profession-nels qu’il appartient de montrer les potentialités de leur BU, qu’ils sont les seuls à connaître, puis à communi-quer, vraiment, sur les services mis en place avant de modifier l’offre en fonc-tion de la réaction du public visé.

La nécessaire adaptation des personnels et des services proposés

L’établissement d’un diagnostic et la verbalisation de ce que l’on souhaite représenter effectivement pour ses usagers peuvent conduire à envisager des changements des services offerts, et notamment de l’offre documen-taire. Il s’agit, sans aucun doute, d’un détournement du processus, mais d’un détournement utile, tant il est vrai qu’il n’est pas évident aujourd’hui pour les bibliothèques de remettre en question leur façon de fonctionner.

L’établissement souhaite être à l’écoute de ses usagers, s’adapter à leurs besoins, leur donner ce qu’ils souhaitent avoir ? Il s’agit de leur don-ner plus, mieux, que ce que le web leur offre facilement, sans contraintes de connexion, sans besoin de connais-sances particulières.

Plus que cela, ne devant pas avoir de budget propre, car, comme le résume une opinion trop souvent partagée, « l’argent que l’on met dans des actions de communication, ce sont des livres qu’on n’achète pas ». Certes, mais à quoi bon acheter des livres si personne ne les lit… Donc, ces moyens doivent être dé-finis. On ne saurait trop recommander l’appel à des professionnels de la com-munication, en interne, au sein de l’université, afin de bénéficier de leur expertise et de leur expérience.

Quelles sont les cibles ? Il ne suf-fit pas d’évoquer les publics évidents (étudiants et enseignants-chercheurs). Il faut essayer de caractériser les publics auxquels il va falloir s’adres-ser. Par exemple, dans les domaines de la santé, on peut différencier : les étudiants de première année, co-horte nombreuse ayant à préparer un concours particulièrement difficile ; les étudiants à partir du L2 en fonc-tion de filières spécifiques : orthopho-nie, infirmier, sage-femme, dentaire, kinésithérapeute, ergothérapeute, médecine, pharmacie ; les doctorants réalisant une thèse d’exercice ; les chercheurs, qu’il s’agisse des étudiants réalisant une thèse de recherche ou des enseignants-chercheurs. À ces publics, déjà nombreux, il faut encore ajouter les médecins, dentistes et autres professionnels de santé ayant besoin d’informations liées à leur pra-tique.

Cette identification des cibles per-met la mise en évidence de besoins diversifiés. À tous, on veut montrer la même image, mais il paraît clair qu’il va falloir la leur montrer de manière différente. Beaucoup de bibliothé-caires parlent aujourd’hui d’indivi-dualisation des services offerts. Plutôt que d’individualisation, il semblerait plus pertinent de parler de l’établis-sement de profils fins. Certains pro-fils peuvent rassembler des individus nombreux et différents (les L1 santé, qui ont a priori des besoins proches, etc.). D’autres concerneront un nombre restreint de personnes (doc-torants et enseignants-chercheurs en médecine, étudiants en orthophonie). Ce qui est complexe dans cette déter-mination, c’est que les usagers n’ont qu’une conscience floue et embryon-naire de ce qu’une BU pourrait faire

Ne pourrait-on pas pousser la lo-gique d’adaptation jusqu’à la création de produits documentaires sur me-sure ? Ne peut-on imaginer un site of-frant des onglets personnalisés (« Vous êtes en première année de médecine ? ») qui donneraient accès à l’ensemble des ressources intéressantes pour cette cible, le tout de manière explicite et organisée : voici ce que vous pouvez trouver à la BU, voici des liens vers les associations étudiantes qui font du tu-torat, voici des liens vers des annales, voici la liste des manuels en ligne : cliquez sur la référence qui vous inté-resse et vous accéderez à l’ouvrage, etc. Il n’y a là rien de très neuf, mais la systématisation de cette présentation et la réalisation de produits documen-taires adaptés méritent sans doute que l’on se pose la question.

Quand on réalise ce type de pro-duit (encore faut-il évidemment en avoir les moyens humains et tech-niques), il faut le faire savoir, et l’on en revient au problème de la communica-tion. On ne saurait trop insister, à cet égard, sur le besoin de cohérence dans une démarche communicationnelle. Si l’on veut montrer le visage d’un éta-blissement tourné vers son public, ses besoins, adaptable et réactif, tout doit aller dans ce sens, du relationnel des

BU Médecine de l’université de Lorraine. Photo : Jean-Charles Houpier

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personnels avec le public à la décora-tion en passant par l’offre documen-taire et l’ergonomie du site web.

Il faut décliner ce message, cette idée. C’est aussi une promesse que l’on fait à ses usagers, promesse qui devra être tenue car rien n’est pire qu’une communication mensongère : des horaires adaptés en fonction des besoins des étudiants, des locaux qui suivent la même logique, des produits documentaires, des offres de forma-tion adaptées et adaptables.

Il faut pour autant réfléchir aussi en termes d’outils de communication. Le logo ou la charte graphique seront obligatoirement dérivés de ceux de l’université, mais on peut y ajouter une marque, une signature, d’autres éléments.

Si l’on veut avoir l’idée de mouve-ment, d’adaptation, de réponse aux besoins, pourquoi ne pas adopter l’idée d’une newsletter ciblée diffusée par mail à des listes d’étudiants ? Une newsletter adaptée à chaque cible et qui, en plus d’une liste de nouveautés et d’actualités, irait au-delà en pro-posant directement de l’information exploitable : revue de presse concer-nant la profession, agenda de manifes-tations culturelles, liens mis à jour de nouveaux sites intéressants, etc.

Cela permet à la BU d’exister en tant que prestataire de service, dyna-mique et ouvert, à l’écoute. On pour-rait rétorquer que le rôle de la BU est d’acquérir et de valoriser des fonds, pas de fournir des informations ex-ternes que les usagers peuvent se procurer autrement. Pourtant, de nombreux services documentaires ont utilisé ce biais pour intéresser leur public.

Pour que cela fonctionne, il faut par ailleurs articuler cette ambition avec ce qui est fait en interne. Même, la communication interne doit toujours précéder la communication externe à laquelle elle sert d’appui. L’ensemble du personnel doit être impliqué, d’une manière ou d’une autre, et il faut réus-sir à susciter l’adhésion. Celle-ci ne s’obtient pas en diffusant des images subliminales sur les écrans des OPACs mais en faisant participer le person-nel, en l’impliquant dans les actions et les projets, par exemple dans la rédac-tion de la newsletter, en lui en donnant

connaissance en avant-première et en tenant compte de ses remarques, etc.

Il est inutile de tenter de commu-niquer sur un sujet type « La BU à votre écoute » si ça n’est pas le cas de son personnel. Une bibliothèque à votre écoute implique un personnel prêt à vous entendre. Un travail sur la communication interne pourrait aussi être fait afin d’améliorer l’accueil. Les étudiants ne sont, eux-mêmes, pas toujours très aimables, mais on peut adopter quelques techniques simples pour tenter d’améliorer les choses : aller vers les gens et leur proposer de l’aide et, surtout, expliquer les raisons qui conduisent à un refus. Une inter-diction expliquée est beaucoup mieux acceptée. Établir un dialogue peut également permettre de mettre à jour des difficultés, des points de vue, et de tenter de trouver des solutions qui puissent satisfaire tout le monde. Cela n’exclut en rien de pouvoir réagir avec autorité face à un étudiant discourtois. Pour apporter la lumière aux lecteurs, il est sans doute nécessaire de les convaincre et de leur offrir plus que ce que les outils du web leur donnent, en s’adaptant, en leur fournissant des applications personnalisées, comme le font de plus en plus d’outils en ligne, et en leur parlant, car convaincre par l’explication et le service rendu reste l’option la plus chaleureuse.

Conclusion

Le contexte concurrentiel actuel oblige les bibliothèques à se remettre en question. Mais sont-elles prêtes à cette introspection ? Les personnels sont-ils décidés à adopter un vocabu-laire, une manière de réfléchir et des techniques qui ne font pas encore partie de leur culture ? Il ne s’agit nullement d’en appeler à une « priva-tisation » et à la mise en place de tech-niques de management et de marke-ting à destination de « clients », mais d’essayer d’en garder les meilleurs aspects et de s’adapter à un monde au sein duquel les lecteurs ne sont plus demandeurs mais « consommateurs ». Raisonner en termes de produits d’appel, de fidélisation du lecteur peut aider à mettre en place des outils et des services efficaces. On peut déplo-

rer cette évolution sociétale, on peut vouloir maintenir les bibliothèques dans une fonction classique d’acquisi-tion et de mise à disposition de fonds, de collections raisonnées, Mais où cela risque-t-il de nous mener ? •

Mai 2012

Bibliographie

• Violaine Appel, Hélène Boulanger et Lylette Lacôte-Gabrysiak, « Instaurer une culture de la communication dans les bibliothèques » in Jean-Philippe Accart (dir.), Communiquer ! Les bibliothécaires, les décideurs et les journalistes, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2010, coll. « La Boîte à outils », p. 16-30.

• Daniel Bourrion, « Se fondre dans le grand tout : l’intégration du SCD dans l’environnement numérique de travail », BBF, 2007, no 6, p. 34-38. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2007-06-0034-006

• Brigitte Guyot, « Quelques problématiques pour éclairer l’étude de l’information dans les organisations », Sciences de la société, no 50/51, 2000, p. 130.

• Sabrina Granger, Le rôle stratégique de la communication externe en bibliothèque universitaire, [s.l.], [s.n.], 2008.

• Lylette Lacôte-Gabrysiak, « Les sites des services communs de documentation en France : contenus et perspectives », Documentation et Bibliothèques, no 4, vol. 54, 2008, p. 265-272.

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La numérisation à la Bibliothèque nationale de France et les investissements d’avenir :

Quelques antécédents

En décembre 2004, Google an-nonce son intention de lancer une très vaste bibliothèque numérique, cali-brée à 15 millions de livres. L’annonce suscite enthousiasme ou stupéfaction, selon les milieux et les « bords ». En janvier 2005, Jean-Noël Jeanneney, alors président de la Bibliothèque na-tionale de France (BnF), appelle dans un article pour le journal Le Monde à une réplique européenne, ou du moins française 1. Peu après, à la suite de Jean-Noël Jeanneney, le président de la République de l’époque, Jacques Chirac, s’empare du projet et le relaie auprès de l’Union européenne, qui, dès le début des années 2000, se souciait de la numérisation du patri-moine de la communauté. Dès la fin du mois de mars 2005, six dirigeants européens se tournent vers l’Union pour réclamer des moyens visant à mettre en réseau les quelques biblio-thèques numériques existantes. La machine se met lentement en mou-vement et, dans un délai finalement raisonnable, émerge le projet d’une bibliothèque numérique européenne. Au printemps 2007, la BnF présente une première maquette qui associe

1. « Quand Google défie l’Europe », Le Monde, 23 janvier 2005.

la France, le Portugal et la Hongrie, sous le nom d’Europeana 2. C’est de cette succession d’évènements que naîtra finalement Europeana – le nom proposé par la France est finalement repris par l’Union –, lancée en 2008, aujourd’hui riche de plus de 15 mil-lions de documents.

Que l’on croit ou non à la validité – politique ou documentaire – de la « réplique » européenne à Google, le « défi » qu’avait lancé le moteur de recherche aura d’une certaine façon porté ses fruits. En bénéfice collaté-ral, il aura eu un autre mérite, celui de faire franchir à la BnF un palier ma-jeur dans la numérisation de ses col-lections. Depuis 2007 en effet, grâce aux soutiens financiers du Centre na-tional du livre 3, la BnF est passée à la numérisation dite de masse d’environ 100 000 unités documentaires à l’an-née (ouvrages, plaquettes, fascicules

2. www.europeana.eu/portal3. La numérisation dite de masse de la BnF est financée grâce à des crédits du CNL, issus de diverses taxes sur la vente de matériel de reproduction et d’impression et sur le chiffre d’affaires d’entreprises d’édition. Ces taxes dégagent environ 10 millions d’euros par an, dont jusqu’à présent 50 à 60 % ont été attribués à la BnF pour la numérisation de ses collections, pour certaines de ses infrastructures informatiques liées à la numérisation ou encore pour des développements logiciels de Gallica.

Denis [email protected]

Nathalie [email protected]

Bibliothèque nationale de France

Conservateur général, Denis Bruckmann a notamment travaillé à l’établissement public de la Bibliothèque de France et pour le réseau des médiathèques françaises à l’étranger, ainsi que dans de nombreux départements de la Bibliothèque nationale puis de la BnF (Estampes et photographie, Audiovisuel, Littérature et art...) avant de devenir directeur des collections.

Après des études de management culturel, d’économie et de marketing, Nathalie Thouny a travaillé dans le secteur de la presse et de l’édition, notamment chez Dalloz et Bayard Presse. Elle a rejoint la BnF en juillet 2011 avec pour mission d’assurer le montage et la direction de sa filiale BnF-Partenariats et la valorisation partenariale des fonds et collections numériques de l’établissement.

UN PARTENARIAT PUBLIC-PRIVÉ EN ACTES

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de presse ou de revues), soit environ 14 millions de pages. Bruno Racine, nommé président de la Bibliothèque en avril 2007, a eu à cœur d’inscrire son action dans la continuité de son prédécesseur. Écrivain, amateur d’art, il a aussi le mérite d’encourager par des arbitrages budgétaires volonta-ristes la mise à niveau de la numé-risation des collections spécialisées (manuscrits, gravures, photographies, cartes et plans, partitions…) qui ne relevait que des ateliers internes. Au-jourd’hui, le rythme de croisière de cette numérisation est d’environ deux millions d’images ou vues à l’année, dont un million à partir des immenses collections de microformes consti-tuées depuis plusieurs décennies. Des projets européens, des partenariats divers permettent ici et là d’accroître encore l’ampleur de la numérisation et de faire de Gallica 4 une des premières bibliothèques numériques au monde avec bientôt deux millions de docu-ments.

Même si elle peut impressionner par comparaison avec d’autres biblio-thèques ou musées, l’ampleur de la numérisation à la BnF est pourtant très en deçà de ce qu’on peut estimer être ses besoins. Que représentent les 300 000 ouvrages numérisés par rapport aux millions conservés ? Les 5 000 revues numérisées à ce jour sur les quelque 100 000 titres conservés ? Que pèsent les 2 000 à 3 000 livres précieux numérisés par rapport aux 200 000 ouvrages que conserve la Réserve des livres rares ? Sans par-ler des millions d’images conservées dans beaucoup de départements, des manuscrits musicaux, médiévaux ou littéraires. Comme d’autres grandes bibliothèques étrangères, la BnF se place résolument dans une optique d’exhaustivité – raisonnée – de la conversion numérique, selon l’expres-sion de Milad Douhei 5. Aujourd’hui, un document dans les magasins d’une bibliothèque est un document endormi. Dans vingt ou trente ans, peut-être avant, un document qui ne sera pas numérisé aura encore moins de chance d’être connu et lu. Peu ou

4. http://gallica.bnf.fr5. La grande conversion numérique, Seuil, 2008.

prou, le web devient bien la biblio-thèque universelle de l’avenir.

En 2009, l’annonce du lance-ment de ce qu’on a d’abord appelé le « grand emprunt » a immédiatement suscité l’attention de la BnF. Le minis-tère de la Culture s’est rapidement mis en ordre de marche pour évaluer les besoins en matière de numérique dans ses différents services et éta-blissements publics. La BnF a alors produit un projet de grande ampleur concernant la numérisation de 2 mil-lions d’imprimés, 33 millions de pages presse, de 5,5 millions d’images et de 700 000 documents audiovisuels, le tout chiffré à environ 200 millions d’euros (dont 150 millions de numé-risation). Beaucoup de ces projets avaient une dimension nationale, dans un moment où est évoqué un rôle d’« agrégateur » de contenus pour plusieurs opérateurs de la culture. Ainsi, la BnF serait l’agrégateur des projets des bibliothèques françaises 6. Ce chiffre, ajouté à d’autres projets du ministère, a permis au président de la République, Nicolas Sarkozy, d’évo-quer fin 2009 une manne de 750 mil-lions d’euros pour la numérisation dans le domaine culturel. Si la parti-cipation du privé est évoquée, si les descriptifs des projets sont attentifs à mettre en regard coûts réels et recettes potentielles, le secret espoir de la plu-part des opérateurs culturels est que tout ou partie des sommes nécessaires soient plutôt accordées dans une lo-gique de subvention. À cet égard, l’an-née 2010 marque le retour à la réalité.

De l’emprunt national aux investissements d’avenir

Sur la vingtaine de milliards de l’emprunt national, 4 milliards et demi seront consacrés au dévelop-pement de l’économie numérique, répartis à parts égales entre « Dévelop-pement des réseaux à très haut débit » et « Soutien aux usages, services et contenus numériques innovants ». La « numérisation et la valorisation du patrimoine culturel, éducatif et scien-

6. Cette notion disparaîtra par la suite.

tifique » est un des quatre axes de ce dernier volet, qui reste principalement consacré au développement des tech-nologies du numérique.

L’État crée pour la mise en œuvre de ces programmes un Fonds national pour la société numérique (FSN), dont la gouvernance stratégique est confiée au commissaire général à l’investisse-ment en y associant le ministre chargé de l’économie numérique et les mi-nistres partenaires. Les formes d’inter-vention financière du FSN, dont la ges-tion des fonds est confiée à la Caisse des dépôts, sont multiples et sont définies en fonction des projets : sub-ventions ou avances remboursables, prêts, prises de participation suivant un calendrier d’engagement des inves-tissements qui s’échelonne de 2010 à 2017. Les co-financements par les por-teurs de projets seront systématique-ment recherchés. L’intervention finan-cière sous forme de fonds propres ou de prêts, notamment au bénéfice d’éta-blissements publics nationaux, devra suivre le principe de « l’investisseur avisé », c’est-à-dire à des conditions comparables à un investisseur privé en économie de marché. Divers organes de gouvernance sont mis en place pour l’examen des projets, le choix des modes de financement, les indicateurs de mesure des résultats.

La numérisation du patrimoine culturel n’échappe pas à ces critères « d’investisseur » dont chaque de-mande d’investissement est examinée par un comité d’engagement « Inves-tisseur avisé » suivant des critères principalement économiques. Toute-fois, ces exigences de résultats sont assouplies en fonction des objectifs stratégiques de chaque domaine. Il faut au passage rendre hommage tant au Commissariat général à l’investis-sement qu’à la Caisse des dépôts, qui ont prêté une grande attention à l’inté-rêt scientifique et culturel des projets de la BnF et l’ont accompagnée avec une vraie volonté d’aboutir.

Un appel à partenariats

Une grande partie de l’année 2010 est consacrée à diverses études qui permettent à la BnF d’étudier acteurs économiques du numérique et seg-

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La numérisation à la Bibliothèque nationale de France et les investissements d’avenir :

ments les plus porteurs. Les études concluent à un fort potentiel sur le livre ancien et la musique en ligne, des perspectives plus aléatoires sur la presse et les imprimés (du fait du caractère émergent de ces marchés ou de la fragilité économique des ac-teurs), l’iconographie venant plus en retrait encore – le secteur de l’image

étant en période de forte restructura-tion. C’est également sur la base de ces études que le Commissariat géné-ral à l’investissement et la Caisse des dépôts concluent à l’utilité de la créa-tion d’une filiale pour piloter la mise en œuvre des partenariats.

Au printemps 2011, la BnF instruit un appel à partenariats sur la numéri-sation de ses collections. Les principes d’ensemble sont les suivants : propo-ser de vastes corpus (dont la numéri-sation par ses propres moyens paraît à brève échéance peu probable), en tenant compte de l’intérêt scientifique et de l’état de conservation des fonds, dont la diffusion présenterait un po-tentiel sinon commercial, du moins une certaine viabilité économique. Beaucoup de ces corpus peuvent pré-senter des échelles progressives – des paliers – en particulier dans une pers-pective de plan de numérisation natio-nal. C’est finalement douze ensembles qui sont proposés à la réflexion d’éven-tuels partenaires.

Les critères d’éligibilité comme d’évaluation exigés par la BnF se veulent très souples : l’intérêt scienti-fique et culturel des projets, la capacité à partager les investissements, l’expé-rience et la solidité des partenaires, la durée de réalisation, les conditions faites quant à l’étendue et la durée des éventuelles conditions d’exclusivité, le niveau de retour financier pour la BnF, sont des points d’analyse ma-jeurs. Les sociétés françaises comme étrangères sont éligibles. Le 6 juillet 2011, Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, René Ricol, commissaire à l’investisse-ment, et Bruno Racine, président de la BnF, présentent de concert cet appel à partenariat à la presse et annoncent la création de « BnF-Partenariats », filiale de la BnF détenue à 100 % par l’État 7. Bruno Racine évoque une « étape historique ». René Ricol insiste sur l’aspect totalement ouvert de l’appel, y compris aux entreprises étrangères.

7. Simultanément, dans la même conférence de presse, est lancé un appel à partenariat sur la valorisation du système de préservation et d’archivage réparti (Spar) conçu par la BnF. Malgré une dizaine de réponses à cet appel de la part de diverses sociétés, l’appel n’aura finalement pas de suite directe.

Frédéric Mitterrand salue la hauteur de l’ambition : l’ensemble des pro-grammes représenterait 150 millions d’euros de numérisation et permettrait de tripler le volume de Gallica. Le texte de l’appel et sa traduction en anglais sont publiés le jour même sur le site web de la BnF.

Expirant en octobre 2011, cet appel recevra plus de vingt réponses. La plupart concernent le livre ancien, les imprimés dans le domaine public, la presse, les disques, la photographie. Portraits, généalogie, territoires, his-toire locale, suscitent des propositions, qui auront à être affinées compte tenu des coûts d’investissement élevés ou de l’immaturité des marchés. Les ma-nuscrits et les partitions suscitent peu de propositions : ils semblent relever plutôt d’une logique de recherche, qui se prête mal à une approche écono-mique. Le cinéma des origines n’a pas trouvé d’écho.

L’analyse des dossiers montre la nécessité de retravailler avec chaque partenaire éventuel l’ensemble des conditions du partenariat, en amont – la numérisation – comme en aval – la diffusion, le modèle écono-mique… C’est le travail, très complexe, qui est mené de l’automne 2011 au printemps 2012. Pour réaliser cette phase d’ingénierie économique et financière des projets, la BnF se fait seconder par un cabinet de conseil.

Le chantier filiale

Dans le même temps, la BnF se fait assister pour le montage juridique de sa filiale, BnF-Partenariats, et pour définir les modalités de fonctionne-ment entre l’établissement et sa filiale. La société sera une société par actions simplifiée (SAS) détenue à 100 % par son associé unique. Le président de la BnF est également président de la fi-liale. Un directeur délégué assistera le président pour diriger la société.

La gouvernance de la filiale sera également dotée d’un comité straté-gique composé, outre le président, du secrétaire général du ministère de la Culture et de la Communication, du directeur général des médias et des industries culturelles, de la per-sonne en charge du suivi de la BnF à

Les ensembles à numériser proposés en partenariat

– Le livre ancien français de 1470 à 1700 (soit de 70 000 à 100 000 ouvrages).

– Un ensemble de documents imprimés français du domaine public (300 000 à 500 000 documents).

– La presse française du Journal de Paris (1777–1827) à Paris-Soir (1923–1943), selon divers paliers de 4 à 16 millions de pages.

– Les disques 78 tours et microsillons, soit environ 300 000 disques de toute nature (archives parlées, chanson, jazz, musique classique…).

– Les manuscrits, selon deux options (les manuscrits médiévaux et les manuscrits littéraires) pour des paliers de quelques milliers à deux millions d’images.

– Célébrités et anonymes : les collections de portraits (de 250 000 à 400 000 images).

– La généalogie et l’histoire des familles (notamment le célèbre Cabinet des titres, pour 500 000 à 2 millions d’images).

– Les territoires : cartographie et repré­sentations de la France et des pays étrangers (pour environ 600 000 images).

– L’histoire locale (chartes et documents d’archives à hauteur de 1,5 million d’images).

– Les partitions musicales (pour 100 000 à plus de 10 millions d’images).

– La photographie (pour environ 500 000 images).

– Le cinéma français des origines à la Deuxième Guerre mondiale (la célèbre collection Rondel du département des Arts du spectacle, pour un volume d’en­viron 650 000 images).

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sation et valorisation supportée par la filiale), les coûts internes supportés par la BnF, dont le personnel recruté pour mettre en œuvre ces projets, ou les coûts d’hébergement. C’est un point sur lequel il faut insister : les coûts internes BnF de personnels ou d’hébergement sont refacturés à la filiale et ils sont pris impérativement en compte dans le calcul de la viabilité économique des projets.

Chaque projet de partenariat concerné par la dotation du second volet devra être instruit puis validé par le comité d’engagement « Inves-tisseur avisé » comme étant éligible sur la base d’un dossier de finance-ment. Pour chaque demande d’inves-tissement, les critères économiques suivants seront pris en compte et analysés : la crédibilité du chiffre d’affaires prévisionnel du projet sur son marché, la solidité financière du partenaire, la répartition équitable des apports entre la filiale et les parte-naires, l’effet de levier (le montant du co-investissement apporté par les par-tenaires), le nombre d’emplois directs engendrés par les projets… Parmi les premiers dossiers à l’étude, trois sont sur le point d’aboutir :

• la numérisation de 70 000 li-vres anciens français de 1470 à 1700, soit une grande partie de la collection la plus patrimoniale de la BnF ;

• la création d’une nouvelle offre musicale en ligne de 700 000 titres sur un marché dont on sait qu’il est en plein essor ;

• la création d’une collection de littérature française de grande am-pleur, avec des usages pédagogiques mais aussi grand public.

D’autres projets suivent sur la presse française, la réalisation de bou-quets thématiques de livres électro-niques..., et les pistes de partenariat à grande échelle ou dédiées plutôt à des marchés de niche sont multiples.

Quelques constats

À la date de remise de cet article, il est évidemment prématuré de tirer un bilan de ces partenariats public-privé. On se limitera à quelques constats.

1) Si la logique de partenariat pu-blic-privé est appliquée par un nombre

la direction du budget, de la directrice générale et des trois directeurs géné-raux adjoints de la BnF et enfin de deux personnalités qualifiées, l’une membre de son conseil d’administra-tion, et l’autre de son conseil scienti-fique, pour mieux assurer le lien avec les instances de gouvernance de la Bibliothèque. Le comité se réunira au moins deux fois par an. Tout projet significatif par sa durée ou son niveau d’investissement doit être soumis au comité stratégique. De plus, la filiale rend périodiquement compte de ses travaux à la Caisse des dépôts et consi-gnations, à travers des commissions d’experts. En l’état du projet, la filiale devrait être une structure légère de quatre à six personnes, présentant des compétences techniques, commer-ciales, éditoriales.

État en avril 2012

Le 30 avril 2012, la société est créée. Le processus d’engagement du financement du montage de la filiale et des projets de numérisation et de valorisation des collections BnF a été instruit et approuvé par le comité d’engagement Investisseur avisé du 16 décembre 2011 et validé par une dé-cision du Premier ministre en date du 7 février 2012. À l’échelle des premiers projets présentés, c’est une première dotation de 10 millions d’euros qui a été attribuée. La « convention de sou-tien programme des investissements d’avenir BnF » signée le 16 avril 2012 entre la Caisse des dépôts et consigna-tions et la BnF détaille les conditions d’attribution de cette dotation : objet du projet, modalités, calendrier et montant du financement.

Un premier volet de la dotation d’un montant de 3 millions d’euros est destiné aux coûts de création de la fi-liale, aux études d’amorçage, aux coûts de fonctionnement les premières années, à l’assistance administrative, juridique, comptable et financière, aux frais généraux, à la constitution du ca-pital de la filiale ainsi qu’aux coûts liés à la préparation des projets de parte-nariats. Un second volet de la dotation d’un montant de 7 millions d’euros concerne les coûts liés à la réalisation des projets de partenariats (numéri-

significatif de bibliothèques étran-gères – citons les quelque 40 biblio-thèques qui ont signé un contrat avec Google, les partenariats multiples de la British Library ou encore les nom-breux corpus électroniques consti-tués par des éditeurs comme Gale ou Proquest avec des bibliothèques patri-moniales européennes –, elle reste neuve en France, et en particulier dans le domaine de la numérisation de masse. De ce fait, les sociétés par-tenaires potentielles sont peu nom-breuses et la plupart d’entre elles sont implantées à l’étranger.

2) Le niveau élevé des investis-sements nécessaires à la numérisa-tion des collections, à la sélection, aux métadonnées, à la mise à disposition des documents et enfin aux coûts d’hébergement des fichiers numéri-sés nécessite, pour atteindre un retour sur investissement, soit un co-inves-tissement élevé du partenaire, soit un réinvestissement systématique des revenus dégagés les premières an-nées dans le coût du projet. Il faut par conséquent envisager les projets sur le moyen terme (cinq à dix ans), et dans les projets commencer souvent par les corpus sur lesquels les retours finan-ciers seront les plus immédiats pour dégager des recettes. Hors investisse-ment, le retour réel de revenus ne se fait pas avant plusieurs années.

3) Globalement, les modèles éco-nomiques sont des compromis entre exigence de rentabilité et mission de service public. La protection des investissements et les perspectives de recettes se font essentiellement par l’adoption d’une exclusivité au pro-fit du partenaire, le temps que celui-ci amortisse ses coûts. La BnF a fait en sorte dans ses négociations d’en limiter la durée et la portée. Ainsi, par principe pour tous les projets, un accès intégral dans les salles de lecture a été préservé. Alors qu’on assimile souvent numérique et accès distant, il sera très intéressant d’observer le développement d’une offre numérique exclusive sur place. On peut espérer qu’elle soit un facteur d’attraction pour les salles de lecture 8.

8. La BnF a évidemment tenu compte des expériences d’autres bibliothèques en la matière et de diverses recommandations

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Sous condition de bonne réalisa-tion des programmes et si le succès des usages est au rendez-vous, beau-coup d’objectifs auront été atteints :

• L’offre numérique de la BnF va connaître à court terme un accrois-sement considérable, qu’elle n’aurait pas pu assumer sans le financement de soutien du Commissariat général à l’investissement.

• Les premiers projets s’ap-pliquent bien aux corpus définis par la Bibliothèque et donc à ses priori-tés. La BnF n’a été conduite à aucune « concession » sur la qualité des pro-grammes.

• Cette offre nouvelle contribuera notablement au développement de la culture et de l’économie numérique (usages dérivés individuels ou collec-tifs, réutilisation de données, impres-sion à la demande…).

• Enfin, elle devrait permettre, tous partenaires confondus (biblio-thèque, numériseurs, diffuseurs, édi-teurs…), la création d’un nombre non négligeable d’emplois.

En cette période difficile, où les établissements culturels sont regar-dés ici et là avec des préoccupations qu’on peut estimer trop froidement gestionnaires, il est très utile que les bibliothèques se réaffirment parties prenantes de la société, y compris dans les dimensions les plus écono-miques de celle-ci. En conclusion, on ne peut que constater que l’appellation « investissements d’avenir » a été bien choisie. •

Mai 2012

politiques, notamment celles du comité des Sages mis en place en 2010 par la Commission européenne sur proposition de la France.

Presses de l’enssib

Lire, écrire ou comment je suis devenu collectionneur de bibliothèquesJacques Roubaud48 pages • 11,5 x 18,5 cm • 9 €ISBN 978-2-910227-95-1

Jacques Roubaud, poète, mathémati-cien, mathématicien et poète, homme de théâtre, traducteur, membre de l’Oulipo, est aussi et d’abord un collectionneur de bibliothèques : les plus presti-gieuses (la British Library, la Bibliothèque nationale, square Louvois, la Bibliothèque nationale de France, quai de Tolbiac, la bibliothèque Sainte- Geneviève), les plus rares (l’Inguimbertine), et les plus improbables sont entrées dans son catalogue ; imprimé ; c’est à sa visite qu’il nous invite.

Imaginaires des bibliothèquesChristian Jacob et Annette Wieviorka96 pages • 11,5 x 18,5 cm • 17 €ISBN 978-2-910227-96-8

Imaginaires des bibliothèques : la sol-licitation à laquelle ont répondu spon-tanément et généreusement Annette Wieviorka et Christian Jacob avait pour objet le lien que les chercheurs ont avec les bibliothèques. Annette Wieviorka a choisi de traiter des bibliothèques des hommes politiques, et, particulièrement, de celle de Maurice Thorez et de Jean-

nette Thorez-Veermeersch. Christian Jacob s’est attelé à un exercice quasi oulipien : un abécédaire des bibliothèques : incomplet, forcément incom-plet. Les deux textes présentés ici se renvoient l’un l’autre, comme en mi-roir : l’abécédaire pourrait être une sorte de viatique pour tout être doué de raison, et l’histoire de ces bibliothèques si particulières pourrait faire l’objet d’une série d’entrées presque à l’infini.

Retrouvez le catalogue des Presses

sur notre site : www.enssib.fr/presses

ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DES SCIENCES DE L’INFORMATION ET DES BIBLIOTHÈQUES

Presses de l’enssibenssib • service des éditions

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Institutions et particuliersLes commandes des établissements publics et des particuliers se font par l’intermédiaire d’un libraire ou directement sur le site du Comptoir des presses d’uni­versités : www.lcdpu.fr

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Le décrochage des jeunes lec-teurs et leur désertion des bi-bliothèques sont des éléments

récurrents du discours professionnel. Pourtant, ces publics présentent un intérêt marqué pour des documents que l’on retrouve fréquemment dans les médiathèques, comme les mangas. Bien entendu, le lectorat des mangas est loin de se limiter aux adolescents ou aux enfants, mais le manga appar-tient à ces formes de culture populaire dont les jeunes générations sont parti-culièrement friandes. Par rapport aux jeux vidéo ou aux séries télévisées, les mangas présentent un intérêt parti-culier : depuis un certain temps, une véritable concurrence se développe et capte les lecteurs qui ne trouvent pas leur compte dans la lecture publique. Il s’agit des cafés mangas, originaires du Japon, mais aussi des rayons spé-cialisés de certaines grandes chaînes de librairies, comme les « Espaces Pas-sion Manga » de la Fnac.

Pour les bibliothèques, ces offres alternatives constituent un élément de comparaison particulièrement instruc-tif. Leur intérêt et leur succès passent certes par la constitution d’un fonds, mais l’attention portée aux spécifici-tés du « format » manga est bien plus cruciale : il ne suffit pas de mettre des mangas en rayon pour leur faire une place, encore faut-il avoir pris la me-sure des habitudes de lecture, du pay-sage mental, du rapport à la culture qu’ils supposent et qu’ils impliquent.

Les cafés mangas, une alternative à la lecture publique ?

Lire debout : la pratique du « yomitachi »

Le lecteur de manga typique est en effet bien éloigné des schémas culturels traditionnellement admis en bibliothèque. Il suffit de passer un sa-medi après-midi dans une grande sur-face culturelle : d’ordinaire, le rayon manga est cerné par une foule de jeunes lecteurs dévorant un volume, assis en travers des allées ou ados-sés aux rayonnages. La bibliothèque municipale ? Ils n’y pensent même pas : les derniers numéros de leur série préférée ne s'y trouveront pas avant longtemps. Et puis il faut être inscrit, il faudra réserver. C'est long et compliqué, surtout pour un manga lu en une vingtaine de minutes. Ici, il y a le rayon dvd, des jeux vidéo en dé-monstration, et la galerie commerciale voisine pour se changer les idées… Ce phénomène de lecture sauvage n'est pas tout à fait nouveau, mais les choses se sont incontestablement accélérées avec le succès colossal des mangas en France 1. À tel point qu’à la Fnac du Forum des Halles à Paris, des recommandations sont maintenant affichées sur les rayons : « Lecture libre. Une seule règle : 1 manga à la fois. »

Beaucoup de lecteurs de mangas l’ignorent probablement, mais cette manière de lire sur place a un nom. En japonais, on parle de yomitachi (ou

1. La France est le deuxième marché mondial du manga. En 2011, les « séries asiatiques » représentent près de 38,9 % des nouveautés en bande dessinée (Gilles Ratier, Bilan 2011 de l’ACBD. En ligne : www.acbd.fr).

Nicolas BeudonBibliothèque publique d’[email protected]

Conservateur des bibliothèques, Nicolas Beudon a rejoint en 2011 la Bibliothèque publique d’information.

UNE CONCURRENCE RICHE D’ENSEIGNEMENTS

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Les « cafés mangas » :

tachiyomi) pour désigner « la lecture debout, traditionnellement tolérée dans les librairies japonaises 2 ». Bien sûr, on flâne aussi dans les librairies ailleurs dans le monde, mais il s’agit là d’une pratique qui se distingue par son in-tensité, son caractère quasi institution-nalisé. Le fait qu’un mot particulier existe en japonais suggère à lui seul une spécificité culturelle que l’on ne retrouve guère dans nos contrées... à l’exception de ce fameux rayon manga, où les lecteurs ont spontanément re-produit un comportement issu d’une aire culturelle lointaine.

Du « mangakissa » au café manga

Si la pratique du yomitachi est lar-gement répandue à titre gracieux au Japon, il existe également des lieux comme les mangakissa (les « cafés mangas ») où l’on paie pour lire. Il s’agit d’établissements à mi-chemin du cybercafé et du snack, de la librai-rie et de la bibliothèque, qui sont nés à la fin des années soixante-dix, mais qui ont connu leur véritable boom dans les années quatre-vingt-dix. En 2009, on en recense 3 350, dont 300 à Tokyo. Des chaînes comme Gira Gira ou Manboo proposent des fonds gi-gantesques de 20 000 à 30 000 man-gas. La lecture est facturée à la durée (il n’y a pas de prêt), cinq heures de consultation reviennent environ à une dizaine d’euros. Outre les livres, on y trouve également des box individuels ou des canapés, des boissons à vo-lonté, des accès internet, la possibilité de jouer à des jeux vidéo, et même des douches ! Les cafés mangas ne sont pas seulement des lieux pittoresques et attachants mais aussi le refuge de toute une frange de la jeunesse japo-naise. Ouverts 24 h/24, ils sont squat-tés par les « freeters » (les travailleurs précaires) et les jeunes arrivés de la campagne qui n’ont pas les moyens de se payer un logement décent.

Les cafés mangas français sont beaucoup plus bon enfant. Ils ont fait leur apparition au début des années

2. Jean-Marie Bouissou, Manga. Histoire et univers de la bande dessinée japonaise, Picquier, 2010.

2000. Le réseau des BD Fugue Cafés, qui adosse un café à ses librairies, surfe sur une tendance comparable, mais sa philosophie est en fait plus proche de celle des cafés-librairies (la lecture n’y est pas payante). Globale-ment, les cafés français sont d’avan-tage centrés sur le livre que leur poly-valent modèle japonais. Benjamin Colette (le gérant du Tokyo Café, à Toulouse) évoque sa réticence initiale vis-à-vis des boissons à volonté : « Je tenais absolument à respecter le concept original et j’ai eu peur des abus. » À l’heure actuelle, il n’a pas encore osé mettre en place une offre de jeu vidéo sur console « à cause de la législation française 3 ».

Dans la vingtaine d’établisse-ments français qu’on peut dénom-brer, le prix de la première heure de lecture varie entre 2 et 4 euros. Les collections comprennent souvent 3 000 à 5 000 ouvrages. Avec plus de 10 000 volumes, le Manga Café pari-sien se veut la bibliothèque de man-gas « la plus grande et la plus complète existante en France 4 ». En plus de la lecture sur place, le service inclut par-fois une offre de restauration, la vente de produits dérivés, des jeux vidéo en libre accès et diverses animations (soi-rées cosplay ou karaoké, tournois de jeux vidéo, dédicaces). En revanche, les techniques bibliothéconomiques les plus élémentaires sont largement ignorées : les ouvrages, pourtant fra-giles, ne sont pas renforcés. Ils n’ont pas de cote. Une borne Manga Sanc-tuary peut éventuellement constituer un embryon de catalogue (il s’agit d’une base de données de mangas, qui permet la gestion d’une collection et la rédaction de critiques).

Les cafés mangas sont souvent portés par de très jeunes entrepre-neurs, âgés de 20 à 30 ans. S’ils sus-citent l’enthousiasme parmi les lec-teurs, leur succès économique est encore aléatoire. Les cafés-librairies dégagent jusqu’à 80 % de leur chiffre d’affaires de l’activité de restauration,

3. « Rendez-vous au Tokyo Café », Anime Kun, 2 septembre 2009. En ligne : www.anime-kun.net/webzine/article-tokyo-cafe-voyage-au-cœur-d-un-manga-kissa-378.html4. « Présentation », sur le site du Manga Café : http://mangacafe.fr/presentation.php

or celle-ci reste marginale dans un café manga 5. Beaucoup de boutiques ferment donc après un an ou deux d’activité.

Cafés mangas et bibliothèques

Au Japon, les cafés mangas for-ment pour ainsi dire un réseau paral-lèle qui pallie les insuffisances des bibliothèques. En 1975, Nihon Bunka Kenkyujo observait déjà que « l’un des facteurs encourageant l’achat de livres et le tachiyomi est l’existence d’un réseau de bibliothèques relativement sous-développé et manquant de visibilité. La culture ja-ponaise est tournée vers les mots, pas vers les bibliothèques 6 ». On est loin d’en être là en France. Mais, si le nombre de cafés mangas est encore limité, la concurrence des grandes surfaces culturelles et de certaines librairies, qui se muent en véritables biblio-thèques sauvages, semble bien réelle. Certes, ces offres correspondent à un marché de niche étroit et elles ont une visée essentiellement commerciale. Cependant, elles méritent qu’on se penche sur leurs partis pris. Les cafés mangas (et d’autres lieux apparen-tés : librairies spécialisées, festivals et conventions...) ont beaucoup de choses à nous apprendre car, pensés par et pour des lecteurs, ils ont une pleine intelligence des spécificités du format et de la culture mangas.

Format et culture mangas en bibliothèque

Un média de flux

On peut définir le manga comme une bande dessinée japonaise, à la narration dynamique, publiée sous la forme de séries-fleuves qui paraissent au rythme d’une trentaine de pages par semaine. Le manga s’inscrit donc

5. Virginie Trin, « Cafés-librairies : un concept à réinventer », Culture Art Rennes, En ligne : http://cultureartrennes.wordpress.com/2011/02/ 11/cafes-librairies-un-concept-a-re-inventer6. Nihon Bunka Kenkyujo, A Hundred things japanese, volume I, Japan Culture Institute, 1975, p. 175.

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dans une logique de flux, comme les feuilletons du xixe siècle ou les séries télé. Au Japon, les lecteurs s’alimen-tent en contenus frais grâce à un sys-tème de prépublication dans des ma-gazines. Les séries les plus populaires sont ensuite rééditées en volumes individuels. En France, nous connais-sons essentiellement cette étape finale de la chaîne éditoriale japonaise.

Pour les lecteurs qui suivent une série, l’essentiel est d’avoir accès au flux éditorial. La possession ou l’acte d’achat sont finalement secondaires, d’où le succès du yomitachi. L’analo-gie avec les séries télé mérite d’être développée. Pour le téléspectateur aussi, il importe avant tout de vision-ner de nouveaux épisodes au fur et à mesure de leur diffusion, l’achat d’un coffret étant réservé au fan ou au spec-tateur convaincu. Le parallèle s’étend jusqu’au phénomène du piratage : les séries américaines sont en effet lar-gement diffusées illégalement. Des équipes de « fansub » parfaitement rodées mettent immédiatement en ligne les nouveaux épisodes, réali-sant eux-mêmes les sous-titres. De la même manière, les mangas les plus populaires sont repérés par des teams de « scantrad » qui numérisent les planches, les retouchent en traduisant le texte japonais, puis les mettent en ligne au fur et à mesure de leur paru-tion 7.

Mangas et lecture sur place

Si on cherche des équivalents avec d’autres supports imprimés, la lecture de mangas est très proche de celle de la presse. Dans les deux cas, il est impératif de suivre étroitement l’actualité éditoriale (le Manga Café va jusqu’à proposer, en partenariat avec les éditeurs, des lectures en avant-

7. Des propos alarmistes évoquent une véritable « épidémie de scantrad » (Livres Hebdo, no 772, 10 avril 2009). Le MOTif mentionne l’importance du scantrad sans le quantifier : il passe en effet par le stockage en ligne plutôt que par les réseaux peer to peer, plus aisément observables. Mathias Daval/Le MOTif, Ebookz – Étude sur l’offre illégale des livres français sur Internet en 2009, octobre 2009, p. 45. En ligne : http://lemotif.fr/fr/e-motif/elabz-/bdd/article/1093

première). Comme dans un fonds de presse, des lacunes dans une col-lection de mangas sont fortement dommageables. Or, les bibliothèques disposent souvent de séries très in-complètes, soit parce que les ouvrages sont prêtés, soit parce qu’on se limite volontairement à quelques numéros d’une longue série. Spontanément, les bibliothécaires se tournent vers des séries courtes ou des one-shot. Comme le souligne Anne Baudot, ces mangas d’auteur, proches du roman graphique, présentent un grand inté-rêt mais « se cantonner à la notion d’auteur ne rendra pas justice à ce qu’est réellement le manga dans sa diversité […] On ne s’adresse pas du tout au public majoritaire des mangas, et […] on ne le touchera pas en ne proposant que ce type d’œuvres 8 ».

Une stratégie inspirée des cafés mangas, qui raisonne en termes de séries, qui suit de près l’actualité édi-toriale, qui exclut le prêt et mise donc sur la consultation sur place, est non seulement cohérente, mais elle offre un atout supplémentaire pour posi-tionner une bibliothèque comme « troisième lieu », un espace de vie convivial, qui se distingue à la fois du foyer familial et du lieu de travail 9. Dans les Fnac, ce n’est pas un hasard si la tolérance plus grande vis-à-vis des lecteurs de mangas s’est accompagnée de la généralisation d’un service de restauration (« Fnac cafés »). On mise sur ces clients qui n’achètent pas for-cément mais sont demandeurs de services. Valoriser la lecture sur place peut être l’occasion de mettre en scène de façon ludique les collections : à Bordeaux, le Manga’K a ainsi tiré parti d’une superficie réduite pour reconsti-tuer une rame de métro japonais.

8. Anne Baudot, Les « mauvais genres » dans les bibliothèques publiques : l’exemple du manga, mémoire d’étude Enssib, 2009, p. 32. En ligne : http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-20399. Mathilde Servet, « Les bibliothèques troisième lieu : une nouvelle génération d’établissements culturels », BBF, 2010, no 4, p. 57-66. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-04-0057-001

Un imaginaire transmédia

Dans un café manga, les écrans sont aussi présents que le papier. Dans de nombreuses Fnac, le rayon manga n’est plus adossé aux livres, mais aux dvd et aux jeux vidéo. De fait, le manga entretient une affi-nité profonde avec l’audiovisuel. Ses codes graphiques empruntent lar-gement au cinéma et à la télévision. De façon plus générale, les mangas appartiennent souvent à de vastes franchises multimédias, conçues dans le cadre de stratégies intégrées par-fois nommées « media mix ». Henry Jenkins utilise le terme de « transmé-dia » pour désigner ces récits qui se déploient à travers plusieurs supports complémentaires : « Une histoire peut être introduite dans un film, développée par le biais de la télévision, des romans ou des bandes dessinées ; son monde peut être exploré à travers le jeu ou expéri-menté dans un parc d’attractions 10. »

Dans l’ensemble de ce disposi-tif, l’imprimé n’est qu’un maillon parmi d’autres. La collection « Glénat Roman », lancée en 2011, se consacre ainsi aux romans qui ont été adaptés en mangas ou en anime, mais aussi à ceux qui sont issus de mangas ou d’anime. Aux médias traditionnels, il faut ajouter tous les supports pos-sibles du merchandising : figurines, vêtements, cartes à jouer... Pour Jean-Marie Bouissou, ces franchises consti-tuent « l’un des fleurons des industries de contenu, devenues officiellement un pilier de l’économie japonaise restructurée après sa longue crise 11 ». Les Pokémon sont ainsi considérés comme « le plus grand succès de l’histoire des licences de divertis-sement avec, entre 1996 et 2002, 17 mil-liards $ [de profit] 12 ».

Ce mélange des genres entre des logiques économiques et éditoriales

10. Henry Jenkins, Convergence Culture : Where Old and New Media Collide, New-York University Press, 2008.11. Jean-Marie Bouissou, « Le Manga », Jean-Marie Bouissou (dir.), Le Japon contemporain, Fayard-Ceri, 2007, p. 450.12. Myriam Bahuaud, « Les stratégies des droits dérivés : entre logiques publique et commerciale », Dixième Colloque billatéral franco-roumain/CIFSIC, Bucarest, 28 juin-2 juillet 2003. En ligne : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000612/en

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Les « cafés mangas » :

rait logique que les déclinaisons mul-timédias d’une même licence (sous forme de livre, de film, de jeu) soient accessibles sur un même rayonnage. Leur catalogage pourrait inclure une rubrique mentionnant le monde ima-ginaire auquel elles se rattachent (ce qui est loin d’être incompatible avec les orientations du modèle FRBR 16).

À partir d’un paysage mental très éloigné de celui des bibliothèques, on est ramené vers les préoccupations les plus actuelles de la profession. Les mangas nous poussent en effet à raisonner en termes de contenu (de « mondes ») plutôt que de supports. Or, c’est le principe même de la dépar-tementalisation, qui séduit un nombre croissant de bibliothèques : « Il s’agit […] de rompre avec la stratification des bibliothèques selon les médias, qui jux-tapose des secteurs en fonction du type de documents et non pas du contenu de ces documents (livres d’un côté, salle des pé-riodiques de l’autre, discothèque et vidéo-thèque, logithèque, etc.)17. »

Le caractère « transversal » des mangas se manifeste également dans de riches possibilités de croisements thématiques. On peut imaginer de nombreuses connexions avec d’autres domaines, et en premier lieu avec les cultures asiatiques. La Fnac propose ainsi sur son espace Manga un corner dédié au Japon (disques de J-Pop, ou-vrages culturels…). À nouveau, il faut nuancer une idée reçue concernant les industries culturelles, que l’on soup-çonne souvent de standardiser les goûts au profit d’une culture globale fade et uniforme. En effet, les mangas sont à la fois un produit global et une spécificité japonaise. Pour Shin’ichiro Inouye, le président de la maison d’édition Kadokawa, la culture japo-naise « cherche à se développer sur des marchés internationaux, mais en même temps […] elle est très identitaire et restera toujours profondément japonaise […] le

16. Functional Requirements for Bibliographic Records : www.bnf.fr/fr/professionnels/modelisation.../a.modele_FRBR.html17. Anne-Christine Collet, « La réorganisation en départements thématiques », Bulletin d’informations de l’ABF, no 170, 1996, p. 9. En ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/revues/afficher-44750

peut susciter tour à tour inquiétude ou exaspération. Pour apprécier plei-nement le phénomène, il convient toutefois de dépasser cette première impression. En fait, les notions pro-saïques de franchise et de media mix peuvent être rattachées à l’idée esthé-tique plus noble de « sous-création ». Il s’agit d’un concept et d’un mot d’ordre défini par J.R.R. Tolkien en 1939. Pour l’auteur du Seigneur des Anneaux, un artiste est avant tout un faiseur d’uni-vers : avant d’écrire des histoires, un conteur est un « sous-créateur […] Il fa-brique un Monde Secondaire dans lequel l’esprit peut entrer 13 ». Les idées de Tol-kien ont prospéré, au point d’être lar-gement majoritaires aujourd’hui dans certains domaines de création. Les industries culturelles ont commencé à se les approprier massivement au tournant des années quatre-vingt 14. C’est parce que de larges pans de la culture populaire sont aujourd’hui consacrés à la création de mythologies et d’univers qui se déploient dans des œuvres et sur des supports variés, que la logique commerciale du media mix a un sens, au-delà de la pure stratégie marchande. « De plus en plus, observe H. Jenkins, l’art du récit est devenu un art de construire des Mondes 15. »

Des fonds multisupports et transversaux

Sans tomber dans les excès du merchandising, un fonds manga en bibliothèque pourrait inclure, comme c’est le cas dans la plupart des bou-tiques spécialisées, des objets (séri-graphies, figurines) et des jeux (jeux de cartes, jeux de rôles, jeux vidéo). Ce serait l’occasion de renouer avec l’idée ancestrale du cabinet de curiosité, et de réactualiser celles plus récentes d’artothèque et de ludothèque. Il se-

13. John Romuald Reuel Tolkien, Faërie et autres textes, Christian Bourgois, 2003, p. 95.14. Pour Peter Biskind, c’est Star Wars qui « inaugura l’ère du merchandising et celle des produits dérivés, quasi inexistants jusqu’alors. Les studios se rendirent compte que les livres, les t-shirts, les poupées pouvaient être une source de profit presque aussi importante que les recettes du film » (Peter Biskind, Le Nouvel Hollywood, Le Cherche Midi, 2006, p. 493).15. Henry Jenkins, op. cit.

Japon est cool en restant lui-même, c’est-à-dire très japonais 18».

Des communautés créatives

Être face à une œuvre et explorer un monde sont deux choses bien dis-tinctes. Le second cas de figure sup-pose un rapport bien moins révéren-cieux à un auteur, et passe par d’autres formes d’appropriation. Un roman, un film, appartiennent à une forme relativement linéaire et close sur elle-même. À l’inverse, un univers comme celui de Star Wars ou d’Evangelion présente un caractère bien plus dyna-mique, ouvert et incomplet. Le lecteur est placé d’emblée en position de co-créateur potentiel, il est naturellement sommé d’apporter sa pierre à l’histoire en imaginant lui-même ses prolonge-ments, ou en construisant ses propres théories pour combler ses béances.

Le manga s’appuie de surcroît sur un dessin codifié, sur des schémas narratifs modulaires et récurrents, qui se prêtent particulièrement à une appropriation créative : copie, hom-mage ou parodie. On appelle doujinshi ces productions amateurs distribuées lors de festivals, et qui sont parfois d’une qualité professionnelle. Les édi-teurs eux-mêmes publient des dessins de leurs lecteurs sur leurs sites ou à la fin de certains volumes. La soif de créer de ces derniers est telle que les méthodes de dessin « manga » sont devenues un créneau éditorial à part entière, tout comme les artbooks et les making of. À la Fnac des Halles, l’es-pace Manga est bâti autour d’une table à dessin qui sert de support à plu-sieurs ateliers créatifs : « Les graphistes en herbe pourront apprendre la technique mangaka à partir d’un écran placé sur la table, expliquant les différentes étapes du dessin ; des étudiants en art graphique viendront donner des cours particuliers de dessin 19. »

18. Cité par Fréderic Martel dans Mainstream : enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, Paris, Flammarion, 2010, p. 258.19. Dossier de presse « La Fnac lance les Espaces Passion », novembre 2009, p. 15. En ligne : www.fnac.com/Magazine/espace_presse/dp_pdf/DPEspacesPassionDEF.pdf

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Le clou d’un festival est souvent un concours ou un défilé de cosplay, une pratique voisine du dessin ama-teur ( fanart), qui consiste à repro-duire les vêtements d’un personnage et à s’en revêtir. Dans un cas comme dans l’autre, on est en fait face à une explosion des pratiques amateurs, qui se cristallise autour du manga mais qui va bien au-delà. Du côté de l’écrit, on pourrait mentionner les fanfictions (des récits de fans mettant en scène des personnages préexistants, que l’on s’échange sur les réseaux) mais aussi les encyclopédies collaboratives, lorsqu’elles se consacrent à la carto-graphie minutieuse d’un monde ima-ginaire 20.

Ces pratiques amateurs sont pro-fondément communautaires : les réseaux sociaux forment pour les fans un espace de création et de partage sans pareil 21. Elles font éclater l’idée d’un récepteur passif, à la merci des medias de masse. Pour H. Jenkins, les fanfictions sont même un moyen « de réparer les dégâts commis dans un sys-tème où les mythes contemporains sont la propriété des entreprises au lieu d’être celle des gens 22 ». Les communautés de fans sortent régulièrement gagnantes des bras de fer qui les opposent aux déten-teurs de droits. Au Japon, la pratique massive du doujinshi a ainsi imposé une suspension dans la pratique des réglementations sur la propriété intel-lectuelle 23.

Fanart, cosplay, fanfictions, et même scantrad et fansub : il y a dans ces pratiques largement ignorées des institutions culturelles une énergie avec laquelle les bibliothèques gagne-raient à pactiser. D’autant plus que les pratiques amateurs sont loin de leur être étrangères : elles ont d’ores et déjà à leur disposition un large panel

20. Benoît Berthou, « Fiction et forme encyclopédique : wookiepedia, Dragon Ball wiki et Cie », Strenae, no 2, 2011. En ligne : http://strenae.revues.org/42021. Voir par exemple : www.deviantART.com, www.fanfiction.net ou www. fanfictions.fr, www.cosplay-it.com ou www. pixidols.com Les exemples ne manquent pas.22. Henry Jenkins, Textual Poachers : Television Fans and Participatory Culture, Routledge, 1992.23. Lawrence Lessig, Culture libre – Comment les médias utilisent les technologies et la loi pour confisquer la culture et confisquer la créativité, 2009, p. 16-17. En ligne : www.free-culture.cc

d’outils qui mettent l’usager en posi-tion d’acteur et de producteur (ateliers d’écriture ou de dessin, ateliers infor-matiques, cours de langue, clubs de lecture…) Dans le cas d’un contexte local particulièrement dynamique, on pourrait imaginer que des créations amateurs de qualité viennent inté-grer la bibliothèque, dans un esprit similaire à la collection de fanzines de bande dessinée des Champs libres à Rennes, ou aux bornes musicales qui permettent aux groupes locaux de dé-poser librement leurs morceaux dans certaines médiathèques.

Manga et cultures populaires en bibliothèque

Si on peut les considérer comme des concurrents des bibliothèques, les cafés mangas ne sont pas à pro-prement parler un modèle pour les bibliothèques publiques, dont les visées sont bien plus larges et ency-clopédiques. Toutefois, leur exemple nous permet de mieux comprendre les spécificités du manga : un média de flux, qui mobilise un imaginaire trans-média, et qui s’enracine dans des com-munautés créatives.

Venus du Japon, les mangas ap-partiennent à un paysage mental qui n'est pas seulement éloigné géogra-phiquement de l’horizon des biblio-thécaires. Leur faire une place (ainsi qu’à leurs lecteurs) suppose de s’ou-vrir, au moins en partie, à la culture qui les a vus naître et grandir. La force et l’intérêt des cafés mangas sont d’émaner de cette culture populaire, multimédia, qui brouille les frontières entre l’art et le merchandising, et qui laisse la part belle à la créativité et à l’interactivité. Constituer un fonds de mangas en bibliothèque suppose d’in-tégrer certains de ces paramètres : par exemple en relativisant l’importance du prêt, en se procurant des séries complètes et actualisées, en proposant les déclinaisons multimédias de cer-taines licences, en organisant des ani-mations favorisant les pratiques ama-teurs, communautaires et créatives…

Ces observations appellent quelques remarques complémentaires.

D’abord, ce qui est valable pour le manga est sans doute en partie géné-ralisable à d’autres formes de culture contemporaines comme la fantasy, le jeu vidéo ou les séries télé. En ce sens, les mangas constituent une matrice intéressante pour mieux comprendre les cultures populaires dans leur glo-balité. C’est une richesse car, en dépit d’un attachement réel à la diversité culturelle, les bibliothèques publiques placent trop souvent des obstacles inconscients entre elles et certaines formes de création contemporaines. L’exotisme des cafés mangas ne doit cependant pas nous leurrer, car il n’y a rien dans ce qu’ils proposent et qui est digne d’intérêt qu’on ne sache déjà faire en bibliothèque : sélection-ner et constituer des fonds, organi-ser des espaces de consultation et de rencontre, valoriser des documents, optimiser leur usage et favoriser leur appropriation – c’est le cœur même du métier de bibliothécaire. Les formes de culture les plus actuelles, comme le manga, loin de disqualifier l’institution bibliothèque en tant que telle, sont au contraire une invitation à repenser et à approfondir ces missions fondamen-tales. •

Avril 2012

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Les bibliothèques au cinéma : différentes représentations à l’œuvre

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Les bibliothèques au cinéma :

Aucun professionnel ne le contestera, il y a un décalage entre l’image que donnent médias et autres des bibliothèques et des bibliothécaires et la réalité des personnes, des lieux, des bâtiments. Quel est en effet le rap-

port entre l’image typique de la bibliothécaire acariâtre à chignon grisonnant, très présente en littérature jeunesse, et les véritables premières bibliothécaires jeunesse ? « C’est pourtant dans les bibliothèques pour enfants qu’apparurent les pre-mières femmes bibliothécaires aux États-Unis. Les pionnières enthousiastes qui les créèrent, en appliquant des méthodes pédagogiques d’avant-garde, ne ressemblaient pas du tout à ces caricatures [...]. Pourquoi cette invasion des vieilles filles acariâtres ? 1 » Il y a donc bel et bien une rupture entre une réalité objective de la profession et la manière dont elle peut être considérée. Rupture qui, cet exemple le montre bien, va souvent dans le sens d’un dénigrement de la profession.

Les observations qui suivent s’appuient sur un corpus limité à vingt-sept films, et ne sauraient donc couvrir dans son ensemble le sujet de la représen-tation des bibliothèques au cinéma. En revanche, aucune limite en termes de genre, d’origine et d’époque n’a été fixée, afin de tâcher d’avoir la vision la plus large possible, et de déceler éventuellement des variantes.

La mise en image de la bibliothèque

L’exclusivité de la bibliothèque urbaine

Si l’on s’intéresse à l’environnement d’implantation de la bibliothèque au cinéma, une chose frappe immédiatement : celui-ci se trouve presque systéma-tiquement être une ville. La campagne est pour ainsi dire invisible. Il est d’em-blée possible de tirer de cette première observation l’idée qu’il existe une étroite connexion entre ville et bibliothèque. Idée corroborée par le scénario du film L’arbre, le maire et la médiathèque d’Éric Rohmer, qui traite du projet de construc-tion d’une médiathèque très moderne dans un petit village de campagne. Les ar-guments de Monsieur Rossignol, le principal opposant au projet, méritent d’être rapportés ici. Selon lui en effet, « [la] construction [de la médiathèque…] fait partie d’une politique qui est d’urbaniser insidieusement le village ». Est ici très clairement exprimée l’idée selon laquelle construire une bibliothèque à la campagne aurait pour effet de transformer la campagne en « la ville ». Dans cette perspective, bi-bliothèque et campagne seraient fondamentalement incompatibles.

Paul Zumthor, dans La mesure du monde 2, propose l’idée selon laquelle la ville incarnerait l’espace bâti, civilisé, maîtrisé par l’homme, et qu’elle s’opposerait à l’espace non-bâti, naturel, sauvage… La ville serait donc, dans cette perspective, l’in-carnation de la culture, de la civilisation humaine, triomphant contre la nature. La

1. Anne-Marie Chaintreau et Renée Lemaître, Drôles de bibliothèques… le thème de la bibliothèque dans la littérature et le cinéma, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 1990, collection « Bibliothèques ».2. Paul Zumthor, La mesure du monde, Paris, Seuil, 1993, collection « Poétique ».

Hoël FiorettiBibliothèque d’[email protected]

Titulaire d’un master « Sciences de l’information et de la communication », mention « Métiers du livre », Hoël Fioretti est actuellement en poste à la bibliothèque Elsa Triolet et Louis Aragon d’Argenteuil.

DIFFÉRENTES REPRÉSENTATIONS À L’ŒUVRE

* Cet article est une version condensée du mémoire d’étude La représentation des bibliothèques au cinéma, 2010-2011. En ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-49618

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Les bibliothèques au cinéma :

et de manière assez équilibrée. Il y a, d’une part, des bi-bliothèques richement décorées de nombreux objets d’art (peintures, sculptures, statues…)7. Parfois, la bibliothèque, de par son architecture ouvragée, complexe et décorative 8, est elle-même une œuvre d’art. De par ses caractéris-tiques, le lieu apparaît comme exceptionnel. D’autre part, on trouve des bibliothèques proposant un décor beaucoup plus sobre, à l’architecture simple 9.

Que l’on s’intéresse aux dimensions des bâtiments ou aux éléments du décor, une même typologie sous-jacente apparaît nettement. Il y a d’un côté des bibliothèques qui, parce qu’elles apparaissent comme visuellement extra-ordinaires et impressionnantes, s’apparentent à un lieu d’exception. D’autres, en revanche, ont un aspect beaucoup plus commun, qui à ce titre s’apparente à un lieu familier et quotidien.

Rôle dans le récit

La réponse à un besoin ponctuel d’informations

Sur les vingt-sept films examinés, dix présentent une bibliothèque dont la fonction est de répondre au besoin d’information d’un personnage 10. Il est particulièrement intéressant de relever que les besoins auxquels répondent les ressources sont extrêmement divers. Dans Billy Elliot, le personnage a besoin d’informations pratiques sur des techniques de danse. Dans La neuvième porte, il cherche des reproductions de gravures anciennes pour une exper-tise bibliophile. Dans Benjamin Gates, sont recherchées des informations sur des systèmes de sécurité dans le cadre de la préparation d’un « casse ». Dans Star Wars : l’attaque des clones, ce sont des indications sur la localisation d’une planète. Cette capacité à répondre à des besoins très divers peut éventuellement renvoyer, une fois encore, à l’idée d’une bibliothèque infinie, aux ressources inépuisables couvrant tous les sujets possibles et imaginables.

L’information fournie par la bibliothèque permet au personnage de progresser, d’avancer. Billy Elliot, le pas-sionné de danse, améliore sa pratique grâce aux livres de la bibliothèque, et ainsi s’épanouit personnellement. À un personnage qui enquête, comme Charlie dans L’ombre d’un doute, la bibliothèque fournit des preuves, des pistes, des vérités. À des aventuriers, comme Obi-Wan Kenobi dans Star Wars, ou Benjamin Gates dans le film éponyme, la bi-bliothèque autorise la progression physique dans un envi-ronnement hostile et inconnu. Elle permet de dresser une carte, d’anticiper des pièges et des dangers.

7. Voir Indiana Jones et la dernière croisade, Le nom de la rose, Richard au pays des livres magiques, Star Wars : l’attaque des clones, etc.8. Voir Benjamin Gates, Philadelphia, SOS Fantômes, etc.9. Voir Love Letters, Le train de 16 h 50, Elephant, The Truman Show, L’ombre d’un doute, etc.10. L’ombre d’un doute, Billy Elliot, La neuvième porte, Indiscrétions, Philadelphia, Benjamin Gates, Star Wars : l’attaque des clones, Citizen Kane, Les hommes du président, La machine à explorer le temps.

bibliothèque, en tant qu’élément étroitement lié à la ville, en serait donc partie prenante. Cette idée peut être appuyée par un passage dans La machine à explorer le temps : au moment où il découvre que les hommes du futur n’ont plus de biblio-thèque, le voyageur du temps dit ceci : « L’homme a souffert durant des millénaires pour bâtir, pour créer une civilisation que vous laissez tomber en poussière ! Des millions d’années au cours desquelles des hommes se sont sacrifiés pour un idéal, et pour-quoi ? Pour vous permettre de vous amuser, de danser, c’est pi-toyable ! » Ainsi, à la découverte de l’absence de bibliothèque est clairement associée l’idée d’une civilisation décadente.

La bibliothèque : exceptionnelle, ou familière

Si l’on s’intéresse maintenant plus spécifiquement au lieu bibliothèque, d’autres éléments récurrents peuvent être observés. Tout d’abord, du point de vue des dimen-sions, la plupart des bâtiments mis en scène sont soit très grands (voir gigantesques), soit moyens, « à taille hu-maine ». Par « très grande bibliothèque », nous entendons des bâtiments qui, à l’écran, semblent s’étendre à l’infini, sans limites physiques vraiment perceptibles. Les person-nages qui y entrent sont comme submergés, et l’apparition à l’écran de ces bâtiments provoque une forme de choc 3. Quant aux bibliothèques « moyennes », leurs limites sont discernables, même si elles ne sont pas exiguës, et leurs dimensions sont proches de celles des bâtiments environ-nants. Elles n’impressionnent guère, et sont visuellement plutôt communes 4. Ces deux modèles de bibliothèque sont largement prédominants, et apparaissent de façon relativement comparable. En revanche, beaucoup plus rare est la bibliothèque exiguë, dont les limites peuvent être saisies en un seul plan 5. Sa très faible présence est particulièrement intéressante, car elle semble suggérer un refus de mettre en scène des limites trop facilement dis-cernables (un nombre de documents facilement et rapide-ment dénombrable, un espace parcourable et saisissable en quelques secondes). De ceci, on peut déduire que la bibliothèque de cinéma est particulièrement travaillée par l’image de la bibliothèque sans fin, dont « la bibliothèque de Babel » est un avatar 6. Car si elle n’est pas, comme on l’a vu, nécessairement tenue d’apparaître comme infinie (bien qu’elle ne s’en prive pas pour autant), au moins ne doit-elle pas trop exhiber sa finitude. Comme si elle se de-vait d’entretenir, chez le spectateur, une part de doute, la possibilité d’un infini malgré tout. Possibilité fatalement détruite par la bibliothèque exiguë.

Pour ce qui est de l’ornementation des lieux, deux catégories apparaissent encore une fois très nettement,

3. C’est le cas dans Le nom de la rose, Richard au pays des livres magiques, Le jour d’après, Philadelphia, etc.4. Voir L’ombre d’un doute, Indiscrétions, Un homme d’exception, Love Letters, etc.5. Une telle bibliothèque n’apparaît que dans quatre films : Citizen Kane, Billy Elliot, Mr Bean à la bibliothèque, La machine à explorer le temps.6. Jorge Luis Borges, Fictions, Paris, Gallimard, 1974, collection « Folio ».

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un lieu mystérieux qu’il convient d’explorer pour y dé-couvrir un élément caché. Il peut s’agir de l’entrée d’une tombe (Indiana Jones et la dernière croisade), d’une issue (Richard au pays des livres magiques), d’un livre mythique (Le nom de la rose), d’une manifestation surnaturelle (SOS Fantômes). Dans ce cadre, la bibliothèque devient un lieu où sont cachés un certain nombre de signes susceptibles de mener vers l’objectif, qu’il faut savoir trouver et décryp-ter. Un bon exemple se trouve dans Le nom de la rose : pour s’orienter dans la bibliothèque, les personnages doivent comprendre le sens d’un certain nombre de signes obs-curs. Enfin, ce cheminement n’est souvent pas sans dan-ger. Dans Richard au pays des livres magiques, le héros est attaqué par des bêtes monstrueuses.

Il peut être intéressant de s’interroger sur ce qui fait que la bibliothèque peut devenir un lieu d’aventures. On peut supposer que la raison repose sur la manière qu’ont les réalisateurs de considérer l’espace. Lorsque l’on exa-mine attentivement la manière dont cet espace est traité, on constate que revient sans cesse l’idée de labyrinthe. Dans Le nom de la rose, la bibliothèque est un lieu où l’on se perd. Dans Richard au pays des livres magiques, un plan en plongée montre nettement la bibliothèque comme un labyrinthe. On y cherche également une sortie. Dans SOS Fantômes, la première scène comporte une séquence assez longue où l’on suit la bibliothécaire évoluant dans les rayonnages, tournant d’un côté et de l’autre, jusqu’à finalement rencontrer un fantôme (sorte d’avatar du Mi-notaure ?). Dans Indiana Jones, les choses sont plus com-plexes, car visuellement la bibliothèque n’a rien de laby-rinthique. Peut-être faut-il voir dans le fait de chercher un chemin par la recherche et le décryptage de signes anciens une manière plus symbolique de figurer le labyrinthe.

Que la bibliothèque soit vue comme un labyrinthe n’est pas sans induire certaines choses. En effet, cela signifie qu’y évoluer est chose difficile, et surtout que sont néces-saires certaines capacités et connaissances. Dans Le nom de la rose comme dans Indiana Jones, pas de progression, pas de déchiffrage des signes possible sans une certaine saga-cité et une grande érudition. Faut-il y voir de façon impli-cite l’idée selon laquelle la bibliothèque est un lieu réservé à une élite intellectuelle ?

Un espace de rencontre et de sociabilité

Parfois, un personnage se rend à la bibliothèque dans le but d’obtenir des informations, ou bien de se cultiver. Au cours de son passage, il rencontre, de manière totalement fortuite, un autre personnage qu’il avait auparavant très brièvement croisé (guère plus). Une conversation s’engage, et une relation se tisse. Il est intéressant de noter que dès lors que rencontre à la bibliothèque il y a, on retrouve ce petit scénario. Cinq films sont concernés 14. Dans tous les cas, la situation de départ est la même : les personnages

14. Indiscrétions, Philadelphia, The Truman Show, On connaît la chanson, Un homme d’exception.

Il est également à noter que s’exprime ici une certaine conception de la lecture comme un acte purement utili-taire : lire sert à acquérir des connaissances pratiques sur un sujet précis. S’il est une positivité de la lecture, celle-ci apparaît moins dans l’acte que dans les effets. La lec-ture n’est pas critique, elle est l’acte de transmission d’une vérité indiscutable contenue dans le livre, vérité qui éli-mine immédiatement le problème auquel était jusqu’alors confronté le personnage. La lecture n’est pas non plus un plaisir, et la bibliothèque n’est jamais associée au loisir.

Un espace voué à l’étude

Dans quatre films sur vingt-sept, la bibliothèque appa-raît comme un espace où l’on étudie, réfléchit, médite 11. Les personnages qui s’y rendent produisent du contenu, du savoir, de l’intelligence. Un cas particulièrement emblé-matique est celui du personnage de John Nash, dans Un homme d’exception, qui passe ses journées à la bibliothèque (voire parfois ses nuits) à mettre en place des théorèmes mathématiques et des algorithmes. Il ne s’agit donc pas, comme dans le cas de la bibliothèque pourvoyeuse d’in-formation, de rechercher de manière ponctuelle certaines connaissances nécessaires à l’action.

De plus, ce ne sont pas les collections qui sont en jeu ici, c’est l’espace : la bibliothèque est un espace caractérisé comme fondamentalement voué à l’étude. À ce titre, il est frappant de constater qu’est développée dans quatre films une opposition entre la bibliothèque et le plaisir 12. Par exemple, dans Un homme d’exception, une scène montre John Nash à la bibliothèque, s’acharnant à réfléchir à un problème mathématique depuis plusieurs heures. Son ami vient le trouver, et le convainc de quitter la bibliothèque pour faire la fête avec lui. Dans Le joyeux phénomène, il est question de deux frères aux caractères diamétralement op-posés. L’un aime faire la fête, boire, rire. L’autre est sérieux, supérieurement intelligent, timide, introverti. Faut-il pré-ciser lequel va à la bibliothèque ? Entrer à la bibliothèque, c’est entrer dans un environnement consacré au travail intellectuel, coupé de l’agitation du monde extérieur et de tout ce qui peut troubler l’esprit.

Un lieu aventureux

Selon le dictionnaire Larousse, une aventure est « une entreprise comportant des difficultés, une grande part d’in-connu, parfois des aspects extraordinaires, à laquelle parti-cipent une ou plusieurs personnes ». Quatre films sur vingt-sept présentent quelque chose de semblable 13. Le même schéma ressort toujours : la bibliothèque apparaît comme

11. Le joyeux phénomène, Un homme d’exception, The Truman Show, On connaît la chanson.12. La vie est belle, Le joyeux phénomène, Un homme d’exception, The Truman Show.13. Indiana Jones et la dernière croisade, Le nom de la rose, Richard au pays des livres magiques, SOS Fantômes.

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Les bibliothèques au cinéma :

les autres adolescents ne viendront pas l’ennuyer. Comme l’écrivent les auteures de Drôles de bibliothèques 16 : « Mais à ces murs extérieurs, il faut ajouter les murs intérieurs formés par les rangées de livres. Doublement protégés des nuisances, ces espaces clos deviennent d’excellents refuges pour les êtres margi-naux qui craignent la société de leurs semblables. »

On retrouve, d’une certaine manière, ce rôle de la bi-bliothèque dans Elephant de Gus Van Sant. Pour rappel, ce film traite de la journée de la tuerie de Columbine. Il est très frappant de constater que la bibliothèque y est dé-signée comme le lieu où commence le carnage, et que la toute première image figurant la violence est celle de pro-jections de sang sur des livres. Il y a ainsi une curieuse relation entre violence et bibliothèque. Tentons une rapide interprétation. On peut noter que le film ne fournit pas vraiment d’indice tangible des raisons ayant conduit au massacre. Ainsi, le surgissement de la violence apparaît comme totalement gratuit et imprévisible. Peut-être le fait de faire commencer le massacre dans la bibliothèque est-il justement au service de cette volonté de montrer quelque chose qu’il a été impossible de voir venir, justement parce que la bibliothèque est considérée comme le lieu où une telle chose n’aurait jamais dû arriver : parce qu’elle est un abri symbolique ; parce qu’elle est, comme on l’a vu plus haut, un élément constitutif de la civilisation contre la sau-vagerie.

« Bibliothèque ouverte » et « bibliothèque fermée »

Les bibliothèques de cinéma sont marquées par la ré-currence d’un certain nombre de caractéristiques. Prises dans leur ensemble, elles laissent entrevoir quelque chose d’intéressant : deux modèles types de bibliothèque. En effet, semblent coexister une bibliothèque ouverte sur le monde extérieur et une bibliothèque, à l’inverse, totale-ment close.

La première se manifeste d’abord au niveau visuel, lorsqu’elle apparaît comme un lieu familier, intégré à la vie quotidienne. Il en va de même lorsqu’elle est lieu d’aven-tures. En effet, l’aventure dans la bibliothèque n’est qu’un épisode parmi d’autres. Son accomplissement propulse les héros vers d’autres intrigues, dans d’autres lieux. La bibliothèque est un territoire à conquérir afin d’accéder à d’autres territoires, à conquérir également. Elle est égale-ment ouverte lorsque les personnages s’y rendent pour trouver des informations sur un sujet précis. Dans cette perspective, la bibliothèque apparaît comme ce qui per-met d’obtenir une intelligence du monde extérieur. Elle est donc un outil servant la « maîtrise » de ce même monde. Olivier Tacheau, dans Bibliothèque publique et multicultura-lisme aux États-Unis 17, propose l’hypothèse selon laquelle les bibliothèques états-uniennes seraient ancrées dans une

16. Anne-Marie Chaintreau et Renée Lemaître, op. cit.17. Olivier Tacheau, Bibliothèque publique et multiculturalisme aux États-Unis : jalons pour repenser la situation française, mémoire d’étude Enssib, 1998. En ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-1602

se connaissent de façon superficielle. Dans tous les cas également, la rencontre produit les mêmes effets : la rela-tion entre les personnages devient beaucoup plus person-nelle. Dans Philadelphia, l’avocat qu’il a contacté refuse de prendre en charge l’affaire d’Andrew Beckett à cause de ses préjugés envers les séropositifs et les homosexuels. Lorsque les deux hommes se rencontrent à la bibliothèque, un dialogue se noue, une relation d’estime s’installe, et l’avocat défendra finalement l’affaire de Beckett. Dans The Truman Show, c’est dans la bibliothèque que Truman a pour la première fois l’occasion de dialoguer avec la jeune femme avec laquelle il n’y avait eu jusque-là que quelques œillades. Et c’est à l’issue de la rencontre dans la biblio-thèque que les deux personnages principaux d’Indiscrétions cessent de se mentir et de se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas.

On le voit, la sociabilité en bibliothèque se caracté-rise par une capacité à jouer sur les relations. Un élément apparaît comme central dans l’émergence de ce phéno-mène : le fait pour un personnage d’être vu en train de faire quelque chose qui dévoile un élément personnel et intime sur lui. Dans Indiscrétions, le journaliste surprend la femme sur qui il enquête en train de lire un recueil de poèmes dont il est l’auteur. Tous deux dévoilent ici quelque chose : elle s’intéressant à lui, et lui sous un autre jour, celui du poète. Dans Philadelphia, l’avocat voit Beckett prendre en main tout seul son affaire, chercher lui-même les textes juridiques qui peuvent l’aider, car tout le monde refuse de le défendre. Beckett dévoile à celui qui l’observe à la fois son isolement extrême, sa détermination, son cou-rage, éléments qui font qu’il gagne à la fois la sympathie et l’estime de l’avocat.

La bibliothèque se manifeste ici comme un lieu un peu paradoxal. Elle est un espace public, où la moindre des activités du personnage est susceptible d’être vue. Elle est aussi un espace où l’on dévoile une intimité. Par le livre que l’on tient, on dévoile des goûts, des aspirations, des projets. Plus qu’un lieu de sociabilité, elle est celui d’une intimité dévoilée, d’une mise en scène involontaire de soi.

Un abri physique et symbolique

Dans deux films, on voit des personnages aller à la bi-bliothèque non par choix, mais pour fuir quelque chose 15 : dans un cas, une tempête, dans l’autre, une pluie dilu-vienne puis un raz-de-marée. L’intérêt de la bibliothèque est d’avoir quatre murs et un toit, ainsi que sa proximité providentielle au moment du danger. Elle est un « dedans » sûr, isolant d’un « dehors » inhospitalier, voire dangereux. Elle offre un espace clos et préservé.

Dans un autre film, Love Letters, la bibliothèque appa-raît également comme une forme d’abri, mais d’un autre point de vue. Un des personnages, continuellement moqué par ses camarades, y passe ses journées à lire. Elle apparaît ainsi comme un lieu un peu à part, coupé du monde, où

15. Richard au pays des livres magiques, Le jour d’après.

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matrice dite « individualo-protestante ». Cette hypothèse repose sur l’idée que les États-Unis se sont développés éco-nomiquement sur un esprit d’entreprise individualiste, et que cela a produit des besoins particuliers en termes de formation et d’information, cela même induisant un rôle pour la bibliothèque : lieu d’ouverture et de maîtrise sur le monde grâce à l’information et à la connaissance fournie par la ressource écrite.

À côté se trouve la bibliothèque fermée : on la retrouve lorsqu’elle se fait espace protecteur face à des dangers ex-térieurs. On retrouve l’idée, aussi, à un niveau plus sym-bolique : rien ne viendra y troubler celui qui y étudie car elle est fondamentalement vouée à l’étude. Elle est égale-ment lieu de retrait pour le personnage marginalisé qui fuit le monde extérieur. Elle est, enfin, un rempart contre la sauvagerie. La bibliothèque est donc dans cette pers-pective un espace totalement à part. Il en va de même lorsque la vision de la bibliothèque, gigantesque, luxueuse, laisse penser qu’il s’agit d’un lieu exceptionnel. La biblio-thèque est un « dedans » qui se distingue nettement d’un « dehors ». Dans le dictionnaire Le Petit Robert, le sacré est défini comme ce « qui appartient à un domaine séparé, inter-dit et inviolable (par opposition à ce qui est profane) et fait l’objet d’un sentiment de révérence religieuse ». La bibliothèque conçue comme espace à part pourrait donc être considérée comme relevant du sacré. •

Avril 2012

Liste des films analysés (qu’ils soient ou non évoqués dans la contribution)

• Les ailes du désir – Der himmel über Berlin (Wim Wenders, 1987).

• L’arbre, le maire et la médiathèque (Éric Rohmer, 1992).• Benjamin Gates et le trésor des templiers – National

Treasure (Jon Turteltaub, 2004).• Billy Elliot (Stephen Daldry, 1999).• Citizen Kane (Orson Welles, 1940).• Elephant (Gus Van Sant, 2003).• Un homme d’exception – A Beautiful Mind

(Ron Howard, 2001).• Les hommes du président – All the President’s Men

(Alan J. Pakula, 1976).• Indiana Jones et la dernière croisade – Indiana Jones and

the Last Crusade (Steven Spielberg, 1989).• Indiscrétions – The Philadelphia Story

(George Cukor, 1940).• Le joyeux phénomène – The Wonder Man

(H. Bruce Humberstone, 1945).• Le jour d’après – The Day After Tomorrow

(Roland Emmerich, 2004).• Love Letters (Shunji Iwai, 1995).• La machine à explorer le temps – The Time Machine

(George Pal, 1960).• Mr Bean à la bibliothèque [épisode de la série Mr Bean]

– The Library (Rowan Atkinson, 1990).• La neuvième porte – The Ninth Gate

(Roman Polanski, 1999).• Le nom de la rose – Der Name der Rose

(Jean-Jacques Annaud, 1986).• L’ombre d’un doute – Shadow of a Doubt

(Alfred Hitchcock, 1943).• On connaît la chanson (Alain Resnais, 1997).• Philadelphia (Jonathan Demme, 1993).• Richard au pays des livres magiques – The Pagemaster

(Joe Johnston et Maurice Hunt, 1994).• SOS Fantômes – Ghostbusters (Ivan Reitman, 1984).• Star Wars, épisode II : l’attaque des clones – Star Wars,

Episode II : Attack of the Clones (George Lucas, 2004).• La totale ! (Claude Zidi, 1991).• Le train de 16 h 50 – Murder She Said

(George Pollock, 1961).• The Truman Show (Peter Weir, 1998).• La vie est belle – It’s a Wonderful Life (Frank Capra, 1946).

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- Lectures : Revue bimestrielle avec les rubriques « Bibliothèque de chez nous »,

« Bibliothèque d’ailleurs », « Bibliothèque au quotidien », « Internet et multimédia », « Portrait d’auteur » et « Portrait Jeunesse », ainsi que des articles de fonds (ou de brèves recensions) sur « l’actualité éditoriale » en littératures générale, d’évasion, ados / jeunesse / BD.

Lectures élabore des dossiers thématiques tels ceux consacrés aux sujets suivants, déclinés en bibliothèque publique : droits d’auteurs, sciences, architecture et design, communication, évaluation, bibliothèques itinérantes, management, enjeux du numérique, rencontres littéraires, Europe, censure, promotion de la santé, bibliothèque hors les murs, etc.

- Collection « Cahiers des bibliothèques » : La collection reprend des actes de colloques, études, bibliographies

thématiques sur diverses questions liées à la promotion du Livre et de la Lecture, notamment : Internet dans les bibliothèques (Cahier 9), documentaire jeunesse (Cahier 10), formations au métier de bibliothécaire (Cahier 11), politiques d’acquisition (Cahier 13), bibliographie d’ouvrages de références (Cahier 14), enquête Contrats-Lecture Jeunesse (Cahier 15), enquête Alphabétisation (Cahier 16), Héroïc Fantasy (Cahier 17), ressources électroniques (Cahier 18), publics éloignés de la lecture (Cahier 19), publics des bibliothèques (Cahier 20), histoire de Belgique (Cahier 21).

- Hors-série : - Le patrimoine en Communauté française : fonds locaux et régionaux ; - Les institutions belges : liste d’autorité matière (au 31/12/06) ; - Histoire de Belgique : liste d’autorités (au 31/05/10) ; - Le Réseau public de Lecture publique en Fédération Wallonie-

Bruxelles : évolutions 2002 à 2010 ; - Outil bibliothèque pour favoriser l’intégration des personnes

éloignées de la lecture et des populations étrangères dans les bibliothèques ;

- Outil bibliothèque sur le plan local de développement de la lecture.

Infos :Éditions en Lecture publiqueTél : +32 4 232 40 17 – Fax : +32 4 221 40 [email protected]

Lectures et les Éditions en Lecture publique sont publiés parle Ministère de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

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Page 68: La bibliothèque en concurrence

Les bibliothécaires italiens s’interrogent sur le rôle des bibliothèques et des bibliothécairesAnna Galluzzi

Salon du livre de Paris 2012

La bibliothèque, dernier service public culturel de proximité ?Yves Desrichard

Concevoir aujourd’hui une bibliothèque pour demainYves Desrichard

Doit-on encore chercher à désacraliser les bibliothèques ?Yves Desrichard

La bibliothèque dans le nuage numériqueYves Desrichard

« Faut-il encore des bibliothécaires ? »Cécile Fauconnet

Les bibliothécaires face aux problématiques de médiation : une nécessité pour valoriser les ressources numériquesYves Desrichard

« Quel avenir pour la librairie en Europe ? »Anaïs Andreetta, Pauline Bosset, Blandine Chicaud et Julie Lemarchand

Les Journées numériques, JnumÉmilie Barthet

Usages et pratiques documentaires des jeunes à l’ère du numériqueCécile Mirland

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une majorité de bibliothécaires italiens, qui pensent aussi que le concept de lec-ture dépasse très largement le domaine du livre. Certains font cependant remar-quer que la lecture de livres comporte une particularité que l’on ne retrouve pas dans d’autres types de lecture, ce qui explique que des personnes qui n’éprouvent aucune difficulté pour voir un film ou utiliser les jeux vidéo peuvent avoir beaucoup de mal à lire seulement 100 pages d’un livre, et cela quel qu’en soit le sujet.

À ce propos, il est important de défi-nir le sens des mots « lire » et « lecteur », le premier désignant l’action de déchif-frer et d’interpréter la signification des signes écrits et le second s’appliquant à celui qui comprend des significations complexes. S’agissant du premier, on peut dire que nous sommes tous des lecteurs, car on ne peut pas s’empêcher de lire, à moins d’être complètement analphabètes. Mais si on se place au niveau de la compréhension, alors il ne s’agit plus de déchiffrer des lettres et de saisir un message simple, mais d’inter-préter, de comprendre une pensée, de (re)construire le monde imaginaire d’un auteur, de créer des liens entre différents concepts, de se laisser porter à la synes-thésie. Cela signifie en somme raisonner, se servir de son cerveau comme d’un ins-trument exercé.

Dans cette perspective, certains bibliothécaires pensent que la promo-tion de la lecture est quelque chose de dépassé et en partie remplacé par l’in-formation literacy, alors que d’autres au contraire jugent dévalorisant le prosély-tisme de ceux qui prétendent séduire et convertir le prétendu non-lecteur, et sont favorables à une « éducation sentimen-tale » à la lecture. Mais si l’on considère la lecture comme un plaisir et une pas-sion, est-il possible de parler de promo-

tion de la lecture, car un plaisir peut-il être transmis ou imposé ?

Des réserves sont émises sur le rôle et la responsabilité des bibliothèques en termes d’incitation à la lecture : « Ce devoir incombe à la famille et à l’école. La bibliothèque est seulement le support nécessaire et indispensable à la lecture. Le bibliothécaire n’est pas un scientifique de la lecture mais seulement le garant d’une diffusion démocratique des connaissances. » Certains rappellent que « le problème ré-current de l’Italie est toujours […] le retard des mentalités en général pour tout ce qui concerne le savoir et la culture […]. Ici nous avons tout mais nous ne faisons attention à rien ».

Ainsi, certains s’autoproclament bibliothécaires, d’autres sont nommés par favoritisme, tandis que d’autres en-core se retrouvent installés malgré eux derrière une banque de prêt… et font du mieux qu’ils peuvent avec les moyens dont ils disposent. Aujourd’hui, la crise est économique, mais elle est avant tout fortement culturelle et morale. Nous sommes une fois de plus contraints d’expliquer qu’être bibliothécaire est un métier qui ne s’improvise pas, et que lorsque c’est le cas on obtient des résul-tats extrêmement discutables et éphé-mères.

Le bénévolat de la culture

La discussion sur ce thème finit par rejoindre le second sur « Le bénévolat de la culture », suscitée par la publication d’un article de Francesco Erbani dans La Repubblica (un grand quotidien italien) en date du 3 février (p. 44)4. L’article contient une interview d’Antonella Agnoli

4. http://tinyurl.com/7w4pvh8

Les bibliothécaires italiens s’interrogent sur le rôle des bibliothèques et des bibliothécaires

En février 2012, la liste de discus-sion des bibliothécaires italiens AIB-CUR 1 a été animée par deux

débats intéressants, qui se sont dérou-lés en parallèle, mais qui traitaient tous les deux du rôle de la bibliothèque en période de crise économique et d’ac-croissement des possibilités de forma-tion et d’accès à l’information. Les deux thèmes de discussion pourraient être résumés comme suit : « Les bibliothé-caires, des aristo-communistes ? » et « Le bénévolat culturel ». Chaque thème a suscité l’échange de plus de trente messages et la participation de nom-breux bibliothécaires italiens d’horizons et d’origines très diverses. Dans les deux cas, le débat est né suite à la publication sur internet d’articles concernant des ouvrages venant de paraître en Italie.

Les bibliothécaires, des aristo-communistes ?

Le premier thème sur les bibliothé-caires « aristo-communistes » a été initié par un billet de réflexion 2 portant sur l’ouvrage de Luca Ferrieri, La lettura spie-gata a chi non legge : quindici variazioni [La lecture expliquée à ceux qui ne lisent pas] 3. L’auteur de ce billet y expose son désaccord avec l’argumentation dévelop-pée par Ferrieri, que l’on peut résumer par le concept « d’aristo-communisme » en référence au Don Quichotte de Cer-vantes. Ferrieri dénonce notamment le risque d’un « bibliothécaire qui, tout en se voulant respectueux de ceux qu’il considère comme des “non-lecteurs”, s’en démar-querait et adopterait une attitude de supé-riorité ». Ce point de vue est partagé par

1. www.aib.it/aib/aibcur/aibcur.htm32. http://tinyurl.com/7krz3uj3. Milan, Editrice Bibliographique, 2011.

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68 bbf : 2012 t. 57, no 4

lire et se retrouver et des bars » car « [les bibliothèques] en tant que “places de la connaissance 6” n’ont de sens que si leur objectif est d’offrir non seulement des es-paces et une grande variété d’activités mais surtout une véritable qualité de service, car ce qui est essentiel aujourd’hui c’est d’aider l’usager afin qu’il soit capable de com-prendre le monde qui l’entoure dans toute sa complexité, et soit en mesure de faire des choix pertinents et réfléchis face à la masse d’informations disponibles ».

En conclusion

On trouve dans ces deux débats, certes, des particularités liées au contexte propre aux bibliothèques italiennes, mais ils traduisent aussi l’universalité de thé-matiques d’une très grande actualité : l’identité de la bibliothèque, les com-pétences et les fonctions des bibliothé-caires, les possibilités d’adaptation au nouvel environnement social et techno-logique, la contribution au bien public, le rapport au passé et les ruptures liées au changement d’époque, ainsi que la ques-tion des réponses à apporter à la crise économique. L’idée qu’il faille complète-ment repenser « certains services publics pour survivre fait certainement consensus au-delà même des frontières italiennes, mais on sait aussi qu’il n’existe pas de for-mule unique adaptée à toutes les situa-tions ». •

Anna [email protected]

Traduit de l’italien par Livia Rapatel

6. Allusion au précédent livre d’Antonella Agnoli, Le piazze del sapere, Laterza, 2009.

publiques, met en péril son avenir. Cela est particulièrement vrai dans le sud du pays où le « clientélisme » et l’affectation dans les bibliothèques d’anciens appa-riteurs, employés de bureau, et autres gratte-papier, font que parfois ce sont des bénévoles qui assurent les ouver-tures et donnent de leur temps « par ci-visme et amour de la culture ».

Certains ont aussi fait valoir que « Faire reposer le fonctionnement du ser-vice public sur le “don”, en espérant qu’en l’absence d’emplois publics on puisse comp-ter sur des personnes ayant suffisamment de moyens pour accepter de travailler gra-tuitement, une fois les charges de chauf-fage payées […], signifie la destruction du concept même de service public. C’est une abdication de l’État qui ne fournit plus à la population un service effectué par des fonc-tionnaires rémunérés en contrepartie d’un travail considéré comme utile à la cohésion nationale ».

Cependant, dans l’ensemble, tout le monde est d’accord pour reconnaître que, dans une société du welfare, le dé-veloppement du bénévolat est une res-source précieuse qui peut être utilisée de différentes façons par les bibliothèques. Les bibliothécaires approuvent l’idée d’associer les citoyens les plus motivés et les plus disponibles à un projet de rénovation de bibliothèque. Un groupe d’appui proposant du temps et des com-pétences peut non seulement se révéler utile, mais être aussi un bon moyen de pression vis-à-vis des politiques et des organismes sociaux.

Enfin, la problématique de l’identité de la bibliothèque a été abordée : « Elle doit selon certains offrir davantage de ser-vices et des services différents de ceux qu’on trouve dans un centre social, on ne doit pas seulement proposer des livres mais aussi des manifestations, des cours, des espaces pour

dont le dernier ouvrage Caro sindaco, par-liamo di biblioteche [Cher maire, parlons des bibliothèques] vient de paraître 5.

La phrase qui a suscité la polémique se trouve à la fin de l’interview, et elle n’est qu’un des sujets traités dans le livre : « Les bénévoles sont indispensables […], les bibliothécaires dépendant des col-lectivités locales sont de moins en moins nombreux et leur moyenne d’âge est de plus en plus élevée. Ils sont très compétents et investis dans leur travail, et sans eux une bibliothèque ne pourrait pas fonctionner, mais certains sont aussi démotivés car les recrutements ont cessé ; on fait appel aux coopératives. Quelques-unes paient 5 euros de l’heure, un salaire de misère qui n’incite guère à avoir le comportement courtois et attentionné indispensable dans une biblio-thèque. Dans ces conditions, il est préfé-rable d’avoir recours à des bénévoles. »

Le débat qui a suivi a permis d’ex-poser différents points de vue, et il a été l’occasion de préciser et de fustiger les amalgames journalistiques qui ne font que renforcer les lieux communs et nuisent aux bibliothèques et aux biblio-thécaires. On a ainsi évoqué la défense de la profession et sa spécificité, qui ne doit pas se limiter à la seule défense du poste de travail – même s’il s’agit d’une revendication tout à fait légitime, mais différente. Cela suppose toutefois que l’on ait défini au préalable les fonctions spécifiques qui exigent nécessairement d’être formé et d’avoir de l’expérience pour travailler en bibliothèque.

Le débat a manifesté beaucoup d’in-quiétude pour l’avenir de la profession, car sa faible reconnaissance sociale, dans un pays en proie à la crise économique et à de lourdes restrictions des dépenses

5. Milan, Bibliographica, 2011.

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vices innovants et efficaces dans les plus petits établissements. Alors, une grande campagne de publicité, initiée par le mi-nistère de la Culture ? Ce n’est ni la pre-mière ni la dernière fois qu’on l’évoque, le congrès de l’Association des bibliothé-caires de France de 2011 en avait large-ment examiné l’opportunité.

Loïc Gachon, maire de Vitrolles, n’ignorait pas que sa présence dans cette table ronde était plus que symbolique. D’abord parce qu’il est bien rare qu’un élu, a fortiori le premier édile, vienne défendre devant un public de profession-nels « son » projet. Ensuite parce que la ville de Vitrolles évoque pour tout biblio-thécaire des heures bien sombres, liées aux avanies subies par l’établissement sous une municipalité d’extrême-droite, de 1997 à 2002. Le projet qu’il pré-senta sonne, et il l’assume, comme une revanche. Bien sûr, on le sait, il y a par-fois loin des ambitions à la réalisation. Mais quel plaisir d’entendre un maire défendre avec passion une bibliothèque comme un projet social, symbolique et identitaire, un vecteur d’aménagement urbain, une bibliothèque qui sera plus qu’un équipement, un mode de vie. Un lieu qui combinera à la fois une « vitrine » lumineuse, comme une invite, et la confi-dentialité, en étage, d’autres espaces, peu cloisonnés pour faire face aux évo-lutions, lors inconnues, des supports et des comportements des usagers. Bref (si l’on veut) un bon moyen de combler et le retard de la bibliothèque, patent, et celui de la ville, comme d’une synecdoque culturelle et politique.

En une manière (sans doute vou-lue) de ramassement, Françoise Luc-chini, géographe, maître de conférences à l’université de Rouen, s’interrogea sur le positionnement culturel des biblio-thèques dans le champ culturel. Elle re-cense quant à elle 4 200 lieux de lecture publique modernes et actifs, des lieux très hétéroclites, souvent d’une grande richesse, mais où l’essentiel de l’offre se situe dans les villes d’une certaine impor-tance.

Si elles sont géographiquement proches des habitants, les bibliothèques ne sont pas, cependant, une pratique culturelle très populaire, et la désaffec-tion pour la lecture, leur « socle d’offre », est patente, et cela bien avant l’arrivée d’internet. Pourtant, les prêts, en baisse eux aussi, concernent essentiellement les livres (ce que, en terme de ratios, on peut discuter), même si les usages des établissements sont de plus en plus diversifiés, entre l’engouement pour les richesses patrimoniales et l’utilisation des lieux, l’importance de leur matéria-lité, qui pose l’épineuse et désormais bien connue question du compte des fréquentants, et non plus seulement des inscrits.

Si les bibliothèques restent un lieu de brassage générationnel unique en son genre, elles se trouvent désormais dans un champ culturel éminemment concur-rentiel, où elles doivent trouver leur place par rapport à l’offre numérique, et se regrouper, éventuellement, avec d’autres institutions culturelles pour mieux résis-ter. Sinon ? Sinon, elles risquent de finir comme les opéras. Des lieux culturels très prestigieux, fréquentés par une élite, et payés au prix fort par la collectivité. Et alors, serait-on tenté d’écrire, en manière de provocation conclusive ? Car la pro-position peut être retournée. Les opéras n’ont aucun problème d’image, et rare-ment de légitimité financière à défendre auprès des élus. Mais il est vrai que le projet culturel est bien loin de celui défini, par exemple, pour Vitrolles… Le syndrome de l’opéra n’a pas fini de nous interroger. •

Yves [email protected]

Salon du livre de Paris 2012

On le sait, le service public res-semble de plus en plus à une forteresse assiégée : la réduction

des budgets due (depuis une bonne ving-taine d’années) à la « crise », la limitation de ses périmètres d’intervention, « sacri-fiés » pour en concéder les parts les plus rentables au privé, font que la question, « la bibliothèque, dernier service public culturel de proximité ? », posée dans le cadre d’un débat, le 16 mars 2012, au Salon du livre de Paris, n’avait rien d’incongrue. Hôpitaux, services postaux, écoles, etc., disparaissent, peut-il ne rester « que » la bibliothèque ? Et ce lieu même n’est-il pas, à son tour, menacé ?

Alain Duperrier, de la bibliothèque départementale de prêt de la Gironde, indiqua, dans un élan peut-être un brin optimiste, que la France compte près de 17 000 bibliothèques « et assimilées », soit pour une commune sur deux. Bien évidemment, ce tableau cache des situa-tions très hétérogènes : si de 15 à 20 % de la population sont inscrits dans les bibliothèques publiques, ce peut être parfois beaucoup plus, parfois beaucoup moins.

Pour lui, la bibliothèque, un des derniers lieux non marchands où l’on puisse s’arrêter, doit avant tout être pen-sée comme un projet politique, « mano a mano » entre bibliothécaires et élus. Il s’agit, aujourd’hui plus qu’hier, d’un équipement structurant et fédérateur, où l’on peut tisser ces fameux liens, dont on semble, à l’heure de la communication pourtant tous azimuts, manquer pour-tant si cruellement.

Cependant, les bibliothèques hésitent entre pérennité et inertie dans un monde qui bouge – mais pas forcément elles : rassurant, mais suicidaire ? Retournant la proposition, M. Duperrier indique qu’à son sens, les bibliothèques ont, avant tout, un problème d’image : elles font des choses formidables, mais cela ne se sait pas, ou pas suffisamment. La mutualisa-tion des moyens et des services permise par la réforme territoriale (fil rouge de la table ronde) permet de proposer des ser-

LA BIBLIOTHÈQUE, DERNIER SERVICE PUBLIC CULTUREL DE PROXIMITÉ ?

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CONCEVOIR AUJOURD’HUI UNE BIBLIOTHÈQUE POUR DEMAIN

On le sait depuis Pierre Dac, « les prévisions sont difficiles, surtout quand elles concernent l’avenir ».

C’était pourtant l’objet, ce 16 mars 2012, au Salon du livre, d’une table ronde qui s’interrogeait sur les enjeux qu’il y a à « concevoir aujourd’hui une bibliothèque pour demain » (ce qui a tout, si l’on y songe, de la litote).

Éric Anjeaux, de la société Six et Dix, se présenta comme celui qui met en cohérence, au sein des équipes de programmation, le concept et les solu-tions. Il s’essaya le premier à l’exercice d’anticipation… avec un regard d’abord nostalgique sur l’« époque heureuse » où internet et le multimédia étaient perçus comme des alliés au moins objectifs de la bibliothèque, des « produits d’appel » en un temps où ils n’étaient pas si répan-dus qu’aujourd’hui. Et aujourd’hui ? Si l’on y prenait garde, on écrirait que le nu-mérique s’est mué en adversaire objectif de nos établissements. À ce défaitisme possible, Éric Anjeaux préfère l’idée de rebondir sur l’adversité, de penser la bibliothèque et sa programmation en acceptant l’idée de compétition, en envi-sageant, même, de gagner en misant sur les points faibles de l’adversaire, tels les accès de qualité, souvent payants, que la bibliothèque, entité collective et bien organisée, peut offrir à l’usager, parfois néophyte.

Il préfère cette option (et nous avec lui) à une stratégie qu’il juge défen-sive, qui consisterait à une fuite sans fin dans les progrès technologiques. Après tout, pour lui, les « fondamentaux » de la bibliothèque sont « relativement indé-pendants du numérique », rebrousse-poil stimulant qu’il développa ensuite, en rap-pelant notamment que l’usager vient à la bibliothèque parce qu’on y transforme pour lui des collections en informations, et que, à cette aune, le numérique peut être une aide. Mais comment « faire le lien entre le matériel et le numérique ? ».

Il faut « mettre du numérique sur le maté-riel » : l’exploration des collections doit être plus tactile, plus physique, ou alors vocale. Reste que bien des usages du numérique ne sont pas liés à des collec-tions, et peut-on concevoir une biblio-thèque de demain sans collections ? Per-sonne n’osa poser la question.

Françoise Raynaud, architecte, du cabinet Loci Anima, fut dans la prospec-tive, même si le projet de la ville d’An-goulême, qu’elle présenta avec ce lyrisme si particulier aux architectes, est déjà des plus avancés. Pour elle, « il y a urgence à ce que l’archétype de la bibliothèque évolue », même si elle renvoya à leurs responsabilités (et ce n’est que juste) professionnels et élus : de la qualité de la commande dépendra la qualité du projet, la définition de ce dernier impli-quant la participation d’un métier devenu essentiel qui, il y a quelques années (ou quelques dizaines d’années), n’existait même pas, celui de programmiste. On peut imaginer que, si son adage s’avère, le résultat sera, à Angoulême, particuliè-rement réussi, qui allie l’audace archi-tecturale (une passerelle reliant la biblio-thèque à la gare) à l’audace thématique (la mise en place de cinq « mondes » autour de cinq « collections ») pour un bâtiment qui sera « bioclimatique », notion, qui, à vrai dire, laissa perplexe. Elle conclut cependant sagement : « Per-sonne ne sait vraiment ce que deviendront les médiathèques. » Il n’est pas sûr que les professionnels présents aient interprété la phrase comme son auteur avait pu le penser.

Noëlla Duplessis, directrice de la bibliothèque de Caen, fut plus « sage » dans sa présentation du nouvel équipe-ment à venir, pensé avant tout comme un projet scientifique et culturel, celui d’une bibliothèque centrée sur les pu-blics, un lieu de parcours, un lieu de découverte, qui fait sens en permettant l’interaction entre usagers et collections.

Elle pense (joliment) le travail entre les différents partenaires impliqués, au premier rang desquels les élus, qu’il ne faut jamais oublier, comme « un travail de tissage en commun autour d’un même objet ». Et, sans avoir l’air d’y toucher, elle livra une maxime d’une profonde acuité : « Le dialogue est enrichissant quand on sait ce qu’on veut. »

François Fressoz, programmiste (Café programmation), posa d’emblée son travail en une manière de paradoxe : « Construire un contenant architectural en fonction d’un contenu qu’on ne connaît pas. » On supposa que, par « contenu », il entendait en fait les comportements et usages des personnes qui fréquen-teraient le futur établissement. Ce qui l’amena, tout naturellement, après bien d’autres, à s’interroger : les bibliothèques vont-elles physiquement se dissoudre dans l’océan numérique, ou vont-elles subsister dans une sorte de paradoxale matérialité ? Il est vrai que les outils nu-mériques sont beaucoup plus fonction-nels pour accéder à l’information. Mais il est tout aussi vrai que bibliothécaire est un « métier heureux » et, pour lui, por-teur. Il est vrai encore que la bibliothèque n’a plus l’exclusivité pour trouver l’infor-mation. Mais il est tout aussi vrai qu’il y a un besoin de rematérialisation, un be-soin de réinsertion dans le réel, le besoin d’une déambulation physique dans le savoir.

Alors, en avant pour les post-biblio-thécaires, pour une ère post-numérique, pour la nécessité de « réinventer un espace qui matérialise les idées », contre « la grande illusion du numérique dont on serait revenu » ? On se posa la question, heureux, mais comme d’un faux espoir, même si, après tout, on était là pour discuter des bibliothèques de demain, et non d’aujourd’hui, et que, comme le disait Pierre Dac… •

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DOIT-ON ENCORE CHERCHER À DÉSACRALISER LES BIBLIOTHÈQUES ?

«Doit-on encore chercher à désacraliser les biblio-thèques ? » Le titre de la

table ronde du Salon du livre, le 17 mars 2012, pouvait sembler un brin alambi-qué. Le malicieux Jean-Yves de Lépinay, du Forum des images, modérateur pour l’occasion, rappela que qui dit « sacré » dit prêtres et fidèles, et s’inquiéta de ce que les bibliothèques restent, tout de même, un petit peu (trop) sacrées.

Ce que, avec la bonhomie apparente et l’acuité redoutable qu’on lui connaît, Claude Poissenot, sociologue et premier intervenant, balaya d’un geste (rhéto-rique). Pour lui, le sacré est fragilisé, et, si on construit encore des cathédrales, les gens ne croient plus. « C’est cuit » (Nietzsche l’avait dit avant lui, avec plus de formes), même si les bibliothèques doivent se battre avec les traces de leur passé qui, de fait, amènent certains fidèles à se comporter en leurs lieux comme dans la nef d’une cathédrale (ou, pour les plus petits, d’une église). Avec la « culture de l’individu », dit-il, « il n’y a plus de croyants », et le sacré, dans cet élan, n’est plus là-haut : « Le sacré, c’est la population, les relations, la collectivité, la bibliothèque comme lieu d’incarnation de la collectivité », qui permet « la construc-tion de soi comme individu à travers un outil collectif ». Sous l’apparence – donc – bonhomme, le souffle pastoral sembla d’un solide et tempéré prosélytisme, le genre qui fait réfléchir, et on convint avec lui que, s’il y a quelque chose à sacraliser, c’est bien le public.

À sa manière, Pierre Franqueville, programmiste (agence ABCD), ap-

prouva. Si la bibliothèque, au crépuscule du xxe siècle, s’est pensée à travers sa conversion en « médiathèque » puis dans de grands gestes architecturaux, l’archi-tecture n’est désormais plus le seul objet de relation avec les élus et, d’une certaine manière, les bibliothécaires ne sont plus les acteurs de leur équipement, que le public habite à sa guise, avec ses propres règles, ses codes, ses comportements. Le « lecteur classique », qui respecte les règles instituées, n’existe plus. Dès lors, deux attitudes, dont une suicidaire : s’en tenir à l’orthodoxie, ou accompagner les multiples détournements.

Serge Bouffange, actuel directeur de la lecture publique de Bordeaux, ancien-nement à Poitiers, confirma que, dans le triangle espaces/collections/profes-sionnels, le public fait ses choix, et que ceux-ci peuvent être divers et surpre-nants. Ainsi, à Poitiers, un espace salon de lecture « patrimonial » s’est trouvé investi par les lecteurs adolescents de bandes dessinées. Et, à Bordeaux, le ba-teau Biblio., espace éphémère, a connu un succès impressionnant, tant, et c’est nouveau, physique (le lieu) que virtuel (la page Facebook). Les bibliothèques sont des lieux à l’écart des rythmes du monde, même si cela ne veut pas dire qu’il s’agit de cathédrales ; mais elles ont, avec les lieux de culte, au moins un point com-mun, celui d’offrir, dans le secteur non marchand, une « expérience ».

Avec moins de bonhomie que Claude Poissenot, Patrick Bazin, actuel directeur de la Bibliothèque publique d’information (BPI) et ancien directeur de la bibliothèque municipale de Lyon,

repoussa plus rapidement l’invite de la table ronde : « La question du sacré n’a pas de sens. » D’ailleurs, la France est le seul pays où on continue à sacraliser, à leurs dépens, les bibliothèques. À inter-net, qui offre « une approche consumériste de la pensée », il faut opposer, « plus que jamais », une exigence intellectuelle qui ne doit pas amener les bibliothèques à diffuser uniquement du livre numérique. Ainsi, la BPI, bibliothèque « assez clas-sique », peut être pensée comme un troi-sième lieu, mais pas seulement. Surtout, insiste, et il fut le seul, Patrick Bazin, il faut amener les compétences des pro-fessionnels au cœur du savoir-faire des bibliothécaires et, pour cela, repenser le métier, devenir go-between, accompagna-teur.

Si les bibliothécaires doivent devenir des « anges gardiens » documentaires (à l’invite de M. de Lépinay), ils doivent interférer absolument avec « la rumeur de la conversation mondiale » : « Ce sont les porteurs de contenus qui sont en train de réinventer les bibliothèques. » Et tous de conclure plus ou moins que la biblio-thèque a à remplir rien moins qu’une fonction de structuration de la cité, à se vivre comme un entre-deux « où la parole devient fluide » (Pierre Franqueville), qu’il faut jouer sur ses représentations. De vastes ambitions qui, on l’ose, ne sont finalement pas si éloignées que cela des cathédrales… •

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LA BIBLIOTHÈQUE DANS LE NUAGE NUMÉRIQUE

«Nous habitons une culture, non une technique. » Ces fortes paroles, rappelées

par Milad Doueihi, convenaient bien à l’ouverture de cette table ronde sur « la bibliothèque dans le nuage numérique », tenue le 19 mars dans le cadre du Salon du livre. Même si on regretta que Jacques Attali, un instant pressenti, ne soit pas là pour nous dire ce qu’il pensait des pro-jets actuels, lui si lié au projet de la TGB, le débat, de bonne facture, permit, non certes de circonscrire exhaustivement le sujet (le nuage est une figure qui ne se prête guère à l’exercice), mais au moins de l’aborder sous plusieurs et différentes facettes.

Renchérissant sur Jacques Attali, Milad Doueihi, le désormais bien connu auteur de Pour un humanisme numé-rique 1, rappela que, si « l’informatique est une technique, le numérique est une culture », qu’il convient donc d’habiter, en étant dans les flux qu’elle génère, et qui sont puissants, paradoxaux, irrésistibles : « Le nuage annonce le changement. »

Nous sommes dans un monde où l’accès transparent, sans obstacle, de-vient essentiel, où les modèles d’inter-face doivent se faire oublier, pour pri-vilégier la continuité, même si, comme le rappela à sa suite Bruno Racine, pré-sident de la Bibliothèque nationale de France, il existe encore « de la rugosité », le cadre juridique notamment, mais aussi le fait que tout n’existe pas – pas encore – sous forme numérique, ce qui oblige encore à des usages hybrides, payant/gratuit, numérique mais sur place/à distance. Et de s’appuyer sur l’ex-périence de la BnF pour souligner que, si l’utilisation des espaces physiques est en stagnation, il reste néanmoins en satura-tion, tandis que les usages de Gallica 2, la bibliothèque numérique de la BnF, sont en croissance, drainant des publics nou-veaux ; tandis que, pour pallier la barrière juridique, l’offre de « Gallica intramuros » est plus importante qu’à distance, mais paradoxale – car obligeant à un déplace-ment physique pour une consultation qui reste virtuelle. Et de souligner aussi que les bibliothèques physiques rencontrent

1. Seuil, 2011.2. http://gallica.bnf.fr

leur public, qui permettent le travail en silence (dans un monde où le mot même semble avoir disparu), le travail en groupe, des évènements culturels – la BnF étant à cet égard plus qu’exemplaire. Il reste que la « sociabilité » numérique est de plus en plus en tension avec la so-ciabilité physique, comme en témoigne le compagnonnage autistique avec les pos-sesseurs de téléphones portables dernier modèle – le dernier modèle permettant de parler tout seul non pas dans son télé-phone mais à son téléphone.

Rebondissant sur la question juri-dique, Alban Cerisier, des éditions Gal-limard, posa l’épineuse question : « À qui appartient le nuage ? » Il le fit avec plus que des précautions, à l’image de la célèbre maison à laquelle il « appar-tient », rappelant que le développement du livre numérique en France est plus que balbutiant, que la loi sur les livres indisponibles pourra générer des effets pervers, qu’il faut réguler l’accès à l’offre en ligne, etc., bref, qu’il convient d’être prudent – très prudent, d’autant plus que la conservation à long terme de ces documents (le « stock » pour un édi-teur) est bien loin d’être assurée. Et cela d’autant plus qu’on peut constater une obsolescence programmée des formats, destinée à renforcer la captation du lec-teur, et qui demanderait des décisions politiques (courageuses, étant donné le poids des lobbies) pour imposer des for-mats libres et standards. De toute façon, la conservation numérique à long terme, comme l’expérimente la BnF avec son programme SPAR, est un processus d’ac-tualisation continue des données, et, en tant que tel, « coûteux ».

Qui plus est, faut-il tout numériser, même si la distinction demeurera forcé-ment entre le numérique natif et ce qu’on pourrait oser qualifier de numérique acquis ? Milad Doueihi ne le pense pas, qui dénonce « une idéologie imaginaire de la bibliothèque universelle », entre Borges (bien sûr) et Google. C’est que le « numé-rique a une difficulté à penser l’oubli », qui est pourtant salutaire, nécessaire.

Pourtant, il faut établir des critères, faire des choix, pour numériser, pour « conserver » sous forme numérique, une forme toujours sujette à caution, le papier restant « la source de toute chose », comme l’indiqua Michel Fingerhut, qu’on

a connu plus circonspect sur ce « vieux » support. Et les participants de s’interro-ger sur le fait de savoir s’il existait des usages spécifiques au numérique (ce qui nous sembla, humblement, évident), que les offres sont fragmentées, que les bibliothèques doivent choisir entre accès à court terme et archivage à long terme, que de nouveaux rôles se définissaient pour les auteurs, pour les intermédiaires, pour les lecteurs, etc., etc. Avant que de tomber d’accord sur le fait que le rôle de la bibliothèque en tant que « prescripteur privilégié » est révolu, et que, si elle veut continuer à jouer un rôle de prescripteur sur les réseaux sociaux par exemple, il faut le faire de manière interactive, et non plus sous le schème de l’argument d’au-torité, qui n’a plus court dans un univers qu’elle ne maîtrise pas.

Et de voir, un peu curieusement, dans cette figure, « le retour du populisme qui fragilise les intermédiaires », propos qui nous menèrent soudain loin des biblio-thèques, même si la conclusion, plus convenue, évoqua les rapprochements institutionnels à mener entre les archives et les bibliothèques, désormais indiffé-renciées sur le web. Certes. •

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« FAUT-IL ENCORE DES BIBLIOTHÉCAIRES ? »

«Faut-il encore des bibliothé-caires ? » Cette interrogation teintée d’un soupçon de pro-

vocation, posée à l’occasion du Salon du livre de Paris, le 19 mars dernier, a réuni autour d’une table ronde modérée par Christophe Pavlidès, directeur de Médiadix, Anne-Marie Bertrand, direc-trice de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des biblio-thèques, Dominique Arot, doyen de l’Inspection générale des bibliothèques, et Marie-Christine Pascal, chargée de mission au Service du livre et de la lec-ture, au ministère de la Culture et de la Communication.

Devant un public véritablement entassé dans « l’agora de Biblidoc », les intervenants devaient questionner des sujets tels que : « Qu’est ce qui fait aujourd’hui la spécificité du métier de bibliothécaire alors que ses compétences techniques traditionnelles peuvent sem-bler être de moins en moins sollicitées ? Les bibliothèques ont-elles besoin de mobi-liser d’autres corps de métier ? Quelles alliances nouer ? Quelle place le bénévolat peut-il occuper ? Dans un environnement nouveau, comment mettre à jour les com-pétences traditionnelles ou en acquérir de nouvelles ? »

Compétences nouvelles vs compétences traditionnelles ?

Pour Anne-Marie Bertrand, il n’y a pas de hiatus entre compétences tradi-tionnelles et nouvelles mais une longue et unique liste de compétences à avoir qui rend le métier de bibliothécaire dif-ficile à définir, contrairement à celui de médecin ! Elle fait d’ailleurs allusion au « métier incertain » évoqué par Michel Melot. Les compétences requises sont d’ordre : technique (politique docu-mentaire, gestion des collections, acqui-sition, services à distance), relationnel, managérial, stratégique (savoir analyser et évaluer son environnement, com-prendre les enjeux en terme de politique publique).

Cette diversité de compétences né-cessite une mise à jour perpétuelle de ses connaissances et la nécessité d’un

véritable programme de formation tout au long de la vie.

Interrogé sur ce même sujet, Domi-nique Arot met l’accent sur le fait que les tâches « mécaniques » sont de plus en plus prises en charge par des automates (prêt/retour, récupération de notices de catalogage), et ainsi ne plus prendre en charge ce type d’activité (ne plus effec-tuer de taches chronophages et répéti-tives) permet de se centrer sur l’accueil (parce que la signalétique ne suffit pas !) et sur l’accompagnement. Pour lui, la médiation sur place et à distance est fondamentale. Elle se fonde d’ailleurs sur des compétences qui ont toujours existé mais qui s’expriment aujourd’hui différemment. Parmi les compétences à acquérir ou renforcer, il cite notamment la communication, l’action culturelle, la formation des usagers.

Il ajoute à cela que les bibliothécaires ont des compétences qui peuvent être réinvesties dans d’autres services que les bibliothèques. La fonction publique ter-ritoriale tend toujours à être vue comme « inférieure » à la fonction publique d’État, c’est pourquoi il faudrait favori-ser la mobilité et rendre moins rigide le cadre statutaire, ce qui permettrait de décloisonner les différentes fonctions publiques.

La place du bénévolat dans les bibliothèques

Marie-Christine Pascal a dressé un état des lieux de la place du bénévo-lat dans les bibliothèques. D’après ses sources, les bénévoles y occupent une place de choix (52 000 bénévoles dans les réseaux des bibliothèques dépar-tementales de prêt, ce qui représente 54 % des personnels de ces réseaux, parmi lesquels 30 % sont qualifiés). Elle précise qu’il n’y a pas de bénévoles dans les grosses communes, mais que le bénévolat associatif concerne plus de 19 000 personnes actives au sein d’asso-ciations comme l’« Association de la fon-dation étudiante pour la ville » (AFEV) ou « ATD Quart Monde » ou encore « Lire et faire lire », pour n’en citer que quelques-unes dont les réseaux sont très éten-dus. Au total, les bénévoles sont plus de 73 000 en France. Elle met d’ailleurs en

balance ce chiffre avec les 36 300 agents territoriaux employés dans des biblio-thèques.

Elle remarque également que les bé-névoles ont des rôles différents selon les structures pour lesquelles ils œuvrent. Dans les réseaux des bibliothèques départementales de prêt, les bénévoles font de la gestion de bibliothèque (plus de 3 000 bénévoles sont directement responsables d’une bibliothèque), alors que les bénévoles associatifs font plutôt de la médiation et de la lecture hors les murs.

Pour poursuivre sur le sujet du bé-névolat, Christophe Pavlidès a posé la question de la préparation des cadres à la cohabitation des bénévoles et des sta-tutaires dans les bibliothèques.

Marie-Christine Pascal affirme qu’il y a une méconnaissance importante entre bénévoles des grandes associa-tions et bibliothèques d’accueil. Elle se pose également la question de la forma-tion, car, selon elle, les bénévoles vont au-devant de publics non pris en charge par les bibliothécaires, comme les pu-blics empêchés. Elle propose également quelques pistes d’évolution des grandes associations de bénévoles : un plus grand maillage territorial, une meilleure connaissance des structures, plus de par-tenariat, plus de reconnaissance profes-sionnelle (par le biais de défraiements), et enfin revisiter la charte des bibliothé-caires.

Ce à quoi Anne-Marie Bertrand a ré-torqué que les élèves conservateurs sont tous sensibilisés à la nécessité de faire coexister des métiers différents dans une bibliothèque. Elle poursuit non sans une pointe d’impertinence : « Les biblio-thèques ont besoin de médiathécaires, de discothécaires, de vidéothécaires… bref, de machins-thécaires ! »

Dominique Arot souligne que l’Ins-pection générale des bibliothèques s’inté-resse à la formation des professionnels et à leur recrutement, mais s’interroge sur le devenir des emplois en biblio-thèque (évolution des catégories, etc.). À ce sujet, une enquête sur « Le devenir des emplois en bibliothèque » devrait être livrée fin 2012.

La bibliothèque est sans doute obligée de réinventer ses métiers. Do-minique Arot fait ainsi allusion à un

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mémoire d’étudiant sur une expérimen-tation en cours à la Bibliothèque natio-nale de France, qui « grâce aux réseaux sociaux instaure une nouvelle relation aux usagers 1».

1. Walter Galvani, La Bibliothèque nationale de France sur les réseaux sociaux, mémoire d’étude, diplôme de conservateur, Enssib, janvier 2012. En ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-56706

En France, le regard porté par les bibliothèques sur les bénévoles est fri-leux. Ceux-ci permettent pourtant de faire rentrer dans ses murs « une partie de son environnement social ». Dominique Arot indique enfin que les bibliothécaires ne doivent pas fonctionner comme certains enseignants, qui fixent des rendez-vous aux parents à 17 heures pour être sûrs que ces derniers ne pourront pas venir : il faut agir exactement à l’inverse.

Ainsi s’achevait ce débat, qui s’est avéré plutôt consensuel et qui a répondu de façon extrêmement mesurée à la pro-vocation contenue dans l’intitulé de la rencontre. La conclusion pourrait être laissée à « la salle » qui s’interroge et suggère : « Ne serait-il pas temps de placer le lecteur au cœur du métier de bibliothé-caire ? » •

Cécile [email protected]

cerner ces nouveaux enjeux de la média-tion. Pour lui, la bibliothèque n’est plus une affaire de ressources ou, plus exac-tement, le « simple » fait de proposer des ressources n’est plus perçu par l’usager comme suffisant, légitimant. La biblio-thèque n’est qu’un fournisseur parmi d’autres, un point d’accès en concur-rence, aux ressources numériques, qui restent d’ailleurs sous-utilisées – mais pas forcément moins que les collections physiques –, notamment parce que leur consultation est loin d’être aussi aisée que pour les documents physiques, dé-sormais en libre accès généralisé. Qui plus est, avec la PDA (« Patron Driven Acquisition »), ce sont les usagers qui, par leurs clics, décident automatique-ment si un document doit être ou non acquis par leur (le pronom n’a jamais paru aussi approprié) bibliothèque. Alors, que faire ? « Don’t panic. » De toute façon, ce que les usagers attendent de la bibliothèque, désormais, c’est une exper-tise, des services, pour leur permettre d’« optimiser la trouvabilité » – sic : on en conclut que la « sérendipité », si à la mode, et qui permettait de trouver ce qu’on ne cherchait pas, donc, d’une cer-

taine manière, de perdre son temps, ne l’était peut-être plus tant que cela, dans une époque à l’efficacité pressée ?

Les bibliothécaires sont « du côté hu-main », et il y aura, toujours, une valeur ajoutée « humaine » à la compréhension d’une question. Benoît Epron eut le mé-rite – le grand mérite – de rappeler que tout était lié à la compétence des person-nels (et donc à leur formation), et celui, qui laissa plus perplexe, d’indiquer que, « au-delà des services, [c’est] leur perception par l’usager [qui] est primordiale ». Cela revient-il à dire que le service peut être médiocre, pourvu que l’emballage soit séduisant ? Dans un sens, oui, puisqu’il s’agit dorénavant, dans le classique dilemme offre/demande, de choisir son camp, et, résolument, de créer des be-soins et la façon de les vendre, « pour que l’offre devienne un besoin ».

Françoise Moreau, de la bibliothèque municipale de Lyon, qui présenta l’exper-tise, longue et innovante, de sa biblio-thèque dans le domaine de la médiation numérique, approuva Benoît Epron en insistant sur le fait que « la médiation doit forcément passer par l’humain », et en indiquant que, à Lyon, les ressources

Les bibliothécaires face aux problématiques de médiation : une nécessité pour valoriser les ressources numériques

Même s’il s’agit d’une publicité gratuite, on aurait mauvaise grâce à ne pas indiquer que

c’est à l’initiative de la société Cedrom-SNI que s’est tenue, le 20 mars 2012, une après-midi de réflexion autour du thème : « Les bibliothécaires face aux problématiques de médiation : une nécessité pour valoriser les documents numériques ». Et, en effet, à l’heure où les ressources numériques abondent, leurs usages ne sont pas toujours pro-bants, en bibliothèque universitaire par exemple. C’est donc qu’il faut mettre en relation publics et ressources : désor-mais, on appelle cela de la « médiation ».

Raymond Descout, directeur géné-ral de la société, rappela en préambule que, si les bibliothécaires sont, avec le numérique, « à la croisée des chemins », il ne tient qu’à eux qu’ils prennent le bon (chemin), car les lecteurs, les usagers, ont toujours besoin qu’on les guide, qu’on les conseille, et qu’un bibliothé-caire a toujours été un « communica-teur » – néologisme qu’on pouvait diver-sement apprécier.

Benoît Epron, directeur de la re-cherche à l’Enssib, s’appliqua ensuite à

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bbf : 2012 75 t. 57, no 4

toujours remplacer l’exemplaire imprimé ». De médiation, il fut peu question : à pu-blic aguerri, désintermédiation acquise ? Nous serions lors dans le contre-exemple d’une bibliothèque riche en ressources, mais « pauvre » en services, ou plutôt dont les usagers n’ont pas le besoin, la nécessité. Et Stéphanie Gasnot d’insis-ter, là encore à rebours (un peu), sur la nécessaire élaboration d’une politique documentaire, qui implique de faire des choix.

Après deux établissements de pres-tige, la présentation conclusive, par Véro-nique Poyant, de l’action de la (petite) bibliothèque du Chesnay fut celle qui in-sista le plus sur le thème de l’après-midi – la médiation. La bibliothèque ne com-porte ni CD, ni DVD, par choix politique, mais des services et des ressources en ligne importantes, depuis juin 2010. Ces ressources sont accessibles sur place, mais aussi à distance, via un portail, « ça va de soi ». « Penser portail, après on pense ressources », résuma Véronique

numériques sont essentiellement des ressources de presse et d’autoforma-tion, même si l’établissement conserve des ressources spécialisées, profession-nelles, plutôt à destination d’un public d’étudiants qui n’est pas forcément son public naturel. « On met en avant plus des services que des collections », ajouta-t-elle, « collant » aux propos de Benoît Epron, avant de regretter, chez certains fournisseurs, l’absence de statistiques de consultation, qui ne permet pas de se rendre compte de l’intérêt, ou non, de conserver telle ou telle ressource que quand les plaintes se multiplient en cas d’impossibilité d’accès…

Stéphanie Gasnot, de Sciences-Po, présenta ensuite l’offre (plutôt que la médiation) numérique de l’établisse-ment, que l’on sait très en avance sur ces sujets. Bases de données, e-books, périodiques électroniques sont proposés aux étudiants, auxquels « il manque des manuels numériques [en français] pour être heureux », même si « le e-book ne va pas

Poyant. Puis elle présenta la politique, vigoureuse, de mise en valeur de ces ressources au sein de sa bibliothèque. Ainsi, chaque membre du personnel est le « parrain » d’une ressource, qu’il est plus particulièrement chargé de suivre et de valoriser auprès des usagers. « For-mation, implication, médiation » sont les maîtres mots. L’équipe est fortement motivée, et dispose de compétences spé-cifiques en la matière, qui sont utilisées via une communication régulière, diver-sifiée, sur les ressources et leur usage, qu’il faut privilégier au maximum, notam-ment à distance, là où il est plus difficile d’atteindre l’utilisateur. Le personnel est dans un véritable « bain numérique »… et ça marche ! Si l’on ajoute que le bouche à oreille n’est pas négligeable, là encore, en matière de médiation, on aura com-pris que, sans l’humain, le numérique n’a pas de salut. Pour l’inverse, rien n’est moins certain. •

Yves [email protected]

En Espagne

Seuls 35 % des ventes de livres (as-sujetties à un prix unique) sont réalisés en librairie, concurrencées par la grande distribution. Depuis 2008, « la crise éco-nomique mondiale freine la poursuite du développement des structures culturelles (bibliothèques, entre autres) entamé déjà tardivement, après la mort de Franco », rapporte Michèle Chevalier, directrice de la Cegal 1. Les subventions pour l’équipe-ment en livres des bibliothèques ont par exemple été plus que divisées par deux, passant de vingt mille à moins d’une di-zaine de milliers d’euros par an. Les col-lectivités réglant les factures trois, voire six mois après la livraison, et les banques accordant plus difficilement des crédits

1. Cegal : Confederacion de gremios y asociaciones de libreros, l’équivalent du Syndicat de la librairie française.

aux libraires en difficulté, ces derniers renoncent à répondre à certains appels d’offres. « Désintérêt pour la culture, fidé-lisation plus difficile des publics mais aussi problèmes de personnel » sont d’autres conséquences de la crise.

À quoi il faut ajouter l’organisation administrative et territoriale du pays, qui compte quatre langues officielles. Deux particularités qui posent notamment problème au plan de l’éducation : les manuels scolaires, avec les livres pour enfants et la littérature, constituent la majorité des 80 000 titres édités chaque année en Espagne. Et l’adaptation des contenus aux réalités linguistiques, his-toriques, voire politiques des autonomies donne lieu à « une production éditoriale démesurée aux yeux des professionnels et du public ».

« Quel avenir pour la librairie en Europe ? »

«La librairie française doit rele-ver trois grands défis », a lancé Guillaume Husson,

délégué général du Syndicat de la librai-rie française (SLF), en ouverture du col-loque sur la librairie en Europe organisé lundi 26 mars 2012, à Bordeaux, par six étudiantes en licence professionnelle librairie au CFA Métiers du livre. Défi numérique, d’abord ; mais aussi socio-logique, avec l’évolution des pratiques des lecteurs ; et économique, le taux de rentabilité d’une librairie étant plus que faible (0,3 % en France). Trois défis qui ne sont pas franco-français, comme l’ont confirmé les intervenants espagnol, belge, anglais et allemand présents. Tour d’horizon.

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ries pratiquant la vente en ligne de livres imprimés, mais surtout qui recense les catalogues d’e-books des éditeurs. Des services proches de ceux proposés par Amazon, dont la place sur le marché du livre est, du coup, moins importante qu’ailleurs en Europe.

La MVB défend aussi le principe d’un prix unique pour le livre numérique, et le remplacement du système de DRM (Di-gital Rights Management) par le « water-marking » (tatouage numérique), « plus efficace contre le piratage et posant moins de problèmes au consommateur ».

Pour Ronald Schild, il faut aussi « sé-parer les processus de production des livres imprimés et des e-books pour une meilleure adaptation du marché aux évolutions des pratiques de lecture », et prendre la me-sure de l’importance des métadonnées, sortes de marqueurs qui, introduits dans des fichiers, améliorent l’efficacité de la recherche d’informations (sur le web ou un progiciel) par rapport à une recherche en texte intégral. Pour certains, les méta-données sont les « libraires du futur » : d’après une étude menée en Angleterre, une base de données bien faite augmen-terait les ventes de 70 %.

Loin d’être réjouissante, la situation économique de la librairie en Europe né-cessite une mobilisation des profession-nels afin d’assurer l’avenir de la filière. Mobilisation qui doit être structurée au sein de chaque pays, voire au plan plus large de l’Europe, selon les intervenants présents à Bordeaux le 26 mars. Mais s’il existe une fédération des libraires euro-péens, « pour le moment, la Commission européenne se positionne davantage en faveur des acteurs tels qu’Amazon, plutôt que dans une optique de bataille », déplore Guillaume Husson. •

Anaïs AndreettaPauline Bosset

Blandine ChicaudJulie Lemarchand

[email protected]

1997. La dénonciation du NBA, qui ga-rantissait des prix de gros aux libraires, fut « moins catastrophique qu’attendu », nombre d’indépendants ayant déjà fermé à cause de la concurrence des chaînes de librairies. Elle a aussi permis une baisse du prix public du livre saluée par les lec-teurs, et même dynamisé l’économie du livre : le nombre de titres publiés et le volume global des ventes ont augmenté. « Mais la diversité de la production édito-riale a souffert, faisant perdre au livre sa valeur culturelle aux yeux de certains », précise Godfrey Rogers, pour qui l’Agency Model, défendu à nouveau par les édi-teurs, « laisse à penser que le prix unique peut toujours contribuer à garantir un mi-nimum de diversité dans la distribution du livre, fût-il numérique ».

En Allemagne

En Allemagne, les ventes en librairie sont en baisse, mais restent supérieures à 50 % du total ; celles en ligne augmen-tent de 1 à 2 % par an (17 % des ventes en 2010). Les achats directs des grandes bibliothèques et entreprises auprès des éditeurs représentent environ 20 % des ventes de livres, encadrées par une loi instaurant un prix unique.

Le livre numérique gagne des parts de marché, et la vente des livres impri-més est en légère baisse. Conséquences : une diminution des surfaces consacrées au livre dans la grande distribution (3 % des ventes totales de livres), voire des fermetures de points de vente des groupes franchisés.

Caisse de solidarité et système de facturation unique aidant, les libraires allemands semblent donc moins pâtir de la crise. Néanmoins, selon Ronald Schild, directeur marketing de la MVB (Mar-keting und Verlagsservice des Buchan-dels, l’équivalent d’Électre), les libraires « doivent impérativement faire évoluer leurs modèles économiques s’ils veulent sur-vivre ».

Les métadonnées, « libraires du futur » ?

Lorsque Google a commencé à numériser les livres disponibles en bi-bliothèque en 2004, les acteurs de la chaîne allemande du livre ont lancé une contre-offensive en créant « Libreka ! », une plateforme numérique qui héberge les magasins virtuels des petites librai-

En Belgique

Pas de prix unique du livre au pays de Tintin, qui ne compte pas moins de 4 500 points de vente. Le Conseil du livre, organisme interprofessionnel, recom-mande « d’œuvrer en faveur d’une harmo-nisation des prix du livre entre la Belgique et la France ». Les livres importés repré-sentent 70 % des ventes, dont plus de la moitié sont des titres distribués par Interforum et Hachette, qui continuent à majorer le prix de vente aux libraires malgré l’abolition, en 1987, de la tabelle 2 et le passage à l’euro. Le Syndicat des li-braires francophones de Belgique (SLFB) a saisi la Commission européenne en 2006. En attendant d’obtenir gain de cause, les libraires sont contraints de majorer les prix publics de vente pour s’assurer une marge minimum. D’autant plus que les remises aux collectivités ne sont pas encadrées : « Les bibliothèques exigent 10 % de remise minimum, et plus elles achètent, plus la remise voulue est conséquente », explique Bernard Saintes, libraire à Louvain et membre du SLFB. Résultat : des prix publics de plus en plus élevés en centre-ville, pour un bénéfice net d’1 à 1,5 %. Ce qui freine l’investisse-ment, d’autant plus que les banques re-chignent à accorder des crédits hors pro-jets d’achats de murs, si le projet n’est pas déjà soutenu financièrement par une structure comme l’Association pour la défense de la librairie de création.

La tabelle handicape encore plus les libraires face à la concurrence d’internet, qui fait fi des frontières géographiques. « Arriver à répondre plus rapidement aux commandes que les groupes de vente sur internet » est donc le défi à relever, selon Bernard Saintes.

En Angleterre

« La question du prix unique est reve-nue dans l’actualité grâce à l’“Agency Model” (prix d’agence, ou unique) proposé pour le livre numérique afin de contrer la domination d’Amazon », souligne God-frey Rogers, spécialiste du système du livre anglais. En Grande-Bretagne, le Net Book Agreement (NBA), accord entre éditeurs et libraires qui avait instauré le prix unique du livre en 1900, a été jugé contraire à la loi sur la concurrence en

2. Instituée pour parer au surcoût dû à la conversion entre francs français et belges.

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les apprentissages. Les réseaux sociaux donnent l’opportunité d’un enseigne-ment plus social et moins solitaire, où l’étudiant est plus autonome. L’appren-tissage d’aujourd’hui rejoint du coup les préoccupations de l’économie de l’atten-tion, bien connue des spécialistes et usa-gers du web.

Le style d’enseignement des profes-seurs devient primordial. De nouvelles méthodes sont ainsi en cours d’élabo-ration, et un apprentissage adaptatif se met en place. L’acquisition de connais-sances par les étudiants peut être de-mandée en dehors du cours avec tous les moyens qui sont à leur dispo sition, afin que les cours soient davantage un lieu d’échange et de problématisation.

Jean Debaecker, enseignant-cher-cheur à Lille 3 2, a décliné les usages qu’il faisait en cours de l’iPad, défendant l’ou-til comme une possible solution d’avenir. Selon lui, les avantages de la tablette par rapport à l’ordinateur personnel résident dans sa légèreté, son immédiateté de fonctionnement. La tablette lui a permis de rompre l’effet du « mur d’écrans » dans des salles de cours équipées de wifi où les étudiants sont « cachés » derrière leurs ordinateurs. Il a ainsi recréé de la convivialité et de la mobilité en se dépla-çant et montrant des informations sur la tablette dans le cadre de travaux pra-tiques.

Plusieurs applications pédagogiques mobiles ont été présentées.

L’application C2i sur iPhone déve-loppé par la Mission numérique pour l’enseignement supérieur de la Direc-tion générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle (Mines – DGESIP) propose un référentiel, une autoévaluation et la consultation de ressources pour s’autoformer.

Parlez-vous chinois ? conçue par l’École des Mines de Nantes 3, scénarise des séquences de dialogue ou d’écriture chinoise et favorise l’apprentissage par observation, écoute et répétition.

Eportfolio de médecine générale, dé-veloppé par l’université Paris Descartes 4, est un outil facilitant la supervision et la

2. http://jeandebaecker.c.la3. www.mines-nantes.fr4. http://eportfoliomg.parisdescartes.fr

certification des études de médecine gé-nérale de troisième cycle.

Univmobile, créée par l’UNR d’Île-de-France 5, propose la géolocalisation des campus, la diffusion de podcasts pro-duits par les bibliothèques universitaires, une application mobile du Sudoc, et « Rue des Facs », le logiciel de référence virtuelle de l’UNR.

Tous les intervenants soulignent que l’usage d’un mobile, avec un affichage dynamique et une ergonomie simplifiée, parvient à mieux retenir l’attention des étudiants qu’un cours plus classique. Des résultats positifs ont même été observés sur l’efficacité des étudiants sur l’apprentissage d’une tâche donnée. L’adjonction d’un réseau social dédié à ces applications permet aux étudiants d’échanger entre eux, aux enseignants de donner des conseils et d’interagir aisé-ment avec leurs étudiants. Cependant, l’impact d’un réseau social sur l’appren-tissage reste à prouver, même s’il offre un contexte fondamental à cet apprentis-sage.

Si les innovations techniques sem-blent prometteuses, plusieurs questions subsistent concernant l’évolution de la pédagogie pour accompagner et amé-liorer le tutorat à distance dans le cadre de la formation continue, et des cam-pus distants, et concernant les appé-tences générationnelles. La génération Y est technophile mais très conservatrice sur ses méthodes d’apprentissage, et confirme son intérêt pour les cours fil-més par exemple, qui permettent de compléter les notes de cours.

La démocratisation de ces innova-tions techniques pose la question des coûts et des compétences.

Enfin, l’évolution du métier de for-mateur se voit accélérée, même si des réticences peuvent s’exprimer, d’autant que l’aspect recherche est souvent valo-risé dans le métier d’enseignant-cher-cheur. •

Émilie [email protected]

5. www.univmobile.fr

Les Journées numériques, Jnum

Les Journées numériques de l’univer-sité Paris Descartes se sont tenues à Paris les 28 et 29 mars 2012 sur

le thème « Fac en poche ». Leur objectif était d’interroger les usages des supports mobiles, tablettes, téléphones intelli-gents (smartphones), à des fins d’ap-prentissage.

Quels sont les enjeux du numérique et de la mobilité pour l’enseignement supérieur ? Face à cette problématique, le constat suivant a d’emblée été posé : si les interrogations sur l’apport des tech-nologies mobiles à la pédagogie restent nombreuses, les pratiques évoluent néanmoins rapidement et les usages mo-biles des étudiants se massifient.

François Guité, chargé de mission au ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec 1, a donné les prin-cipes théoriques d’une réflexion sur les apprentissages mobiles ou, en anglais, mobile learning, M-learning. Selon lui, les paradigmes de l’enseignement se sont profondément modifiés depuis l’appari-tion du wifi dans les institutions d’ensei-gnement. Il pose cinq changements para-digmatiques majeurs :• Les technologies actuelles per-mettent d’utiliser le web et les applica-tions informatiques dans les classes et amphithéâtres.• Les technologies offrent des possi-bilités supplémentaires pour l’enseigne-ment sans se substituer à des moyens plus anciens.• Les conditions de production de l’in-formation ont profondément changé. On compte à présent en zetta octets (1021) les données disponibles.• La co-construction de savoirs est devenue une réalité avec le web 2.0 et les réseaux sociaux.• Le web céderait le pas aux « apps », les applications dédiées des smart-phones, dans la logique développée ini-tialement par Apple.

L’idée pour les enseignants est donc de proposer une diversité de moyens aux étudiants pour accéder à l’information. Le stockage des données sur des sup-ports extérieurs aux cerveaux bouleverse la place accordée à la mémorisation dans

1. www.francoisguite.com

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En s’appuyant sur l’évolution des bi-bliothèques municipales aux États-Unis, Marc Maisonneuve propose alors de revoir l’équilibre de l’offre entre les docu-ments papier et numériques, de jouer la carte de la convivialité en inventant une bibliothèque où l’on se sente chez soi, avec des zones de travail et des zones d’échange, et d’attirer les jeunes grâce à des applications mobiles. Enfin, les pro-fessionnels de bibliothèque doivent tra-vailler leur image.

La BPI, selon Christophe Evans, sociologue, est fréquentée par 65 % d’étudiants, mais les mois de mai et juin voient arriver de nombreux lycéens venus chercher à la BPI un espace public calme où travailler. Ils contribuent alors largement à troubler le calme des lieux et poussent les étudiants à fuir. L’ana-lyse des groupes Facebook autour de la BPI montre que les lycéens sont dans un processus de « grandissement » en ve-nant, comme les étudiants, à la BPI. Ils y viennent en groupe, intègrent des rituels comme la file d’attente pour entrer. La bibliothèque devient un théâtre où on se donne à voir et un endroit où l’on peut trouver du plaisir à travailler. C’est un es-pace où les adolescents ne sont pas ten-tés comme à la maison et où ils trouvent un encadrement. À l’heure où les learning centers sont pensés comme l’espace ul-time d’autonomie, Christophe Evans rap-pelle qu’en réalité, les jeunes recherchent avant tout dans les bibliothèques des normes, un cadre et un « espace de dé-connexion ».

Perine Brotcorne, du centre de re-cherche Travail et Technologies de la Fondation Travail-Université de Namur 3 apporte un éclairage belge sur les jeunes exclus de l’ère numérique : 2 % des jeunes âgés de 16 à 25 ans en Bel-gique sont « offline », c’est-à-dire exclus numériques, et 9 % des jeunes sont

3. www.ftu-namur.org/projets/proj-14.html

des « quasi-offline » qui ne se sont pas connectés depuis trois mois. Cette frac-ture numérique est due à un problème d’accès aux infrastructures. Or l’accès à internet ayant un rôle identitaire et social, ces jeunes courent un risque de margi-nalisation, aggravé par leur profil socio-logique : leurs parents ne possèdent pas de culture numérique, ils vivent souvent dans des logements précaires et sont issus de minorités ethniques. Le défi est donc de réussir à établir des passerelles entre les jeunes et le monde numérique des adultes, tout en aidant les adultes à mieux comprendre les usages des jeunes. En Belgique, cette démarche a pu passer par la réalisation de web repor-tages par des jeunes ou la création d’un magazine en ligne comme Kulturopoing.

Une typologie des figures de l’étu-diant chercheur d’information est pré-sentée par Nicole Boubée, du Lerass de l’université de Toulouse 4. L’étudiant consommateur de biens information-nels consulte les ressources dans l’ordre suivant : Google, puis Wikipédia, et fina-lement les bases de données des biblio-thèques. L’étudiant usager des techno-logies numériques, lui, a besoin d’avoir ces technologies mais ne les utilise pas toujours. Ainsi, pour communiquer avec leurs enseignants, les étudiants n’uti-lisent pas Facebook mais le courrier élec-tronique. De même, Twitter n’est utilisé que par 17 % des 18-24 ans.

L’étudiant chercheur d’information novice a un profil similaire à celui d’un lycéen. Il a peu de capacité de réflexion sur sa pratique de recherche d’informa-tion, notamment en ce qui concerne les critères d’évaluation de la pertinence d’une information. Quant à l’étudiant cherchant pour apprendre, il souffre de la transition entre le secondaire et l’uni-versité : il se sent dépassé par la taille du lieu, la quantité d’ouvrages et de bases

4. www.lerass.com

Usages et pratiques documentaires des jeunes à l’ère du numérique

Cette journée d’étude, organisée le 5 avril dernier par le Service commun de la documentation de

l’université d’Artois 11 a réuni un public nombreux et varié : documentalistes, bibliothécaires, étudiants de l’université d’Artois ou de Lille 3. Franck Laurent, inspecteur pédagogique régional, vit dans cette journée un moyen d’assu-rer la liaison collège-lycée-université, la documentation devenant « une civilité partagée » et un outil pour lutter contre l’échec scolaire.

Les usages et pratiques documentaires des jeunes à l’ère du numérique évoluent

Malgré la hausse du niveau moyen d’études, la fréquentation des biblio-thèques diminue, notamment chez les jeunes, souligne tout d’abord Marc Maisonneuve, consultant chez Tosca 2. Les digital natives veulent accéder aux connaissances rapidement, privilégient les supports illustrés et l’information partagée de type Wikipédia. Certes, les jeunes reconnaissent que les biblio-thèques sont fiables et pertinentes, mais ils les trouvent trop lentes et peu pra-tiques.

Les professionnels des bibliothèques ont ainsi trois pistes pour accompagner les jeunes dans leurs études : se montrer plus disponibles, proposer des outils de recherche « à la Google » et améliorer la rapidité d’accès au document imprimé. Quant au livre numérique, les jeunes sont certes intéressés par ce type de sup-port, mais ont des difficultés pour le par-tager et le lire sur leurs terminaux.

1. http://portail.bu.univ-artois.fr/cda/default.aspx?INSTANCE=INCIPIO2. www.toscaconsultants.fr

Page 81: La bibliothèque en concurrence

bbf : 2012 79 t. 57, no 4

lèlement on assiste à une déqualification du métier de professeur-documentaliste. En effet, on trouve de plus en plus dans les CDI des professeurs en reconversion, perdus devant l’ordinateur « comme une poule devant un couteau ». L’autonomie informationnelle de l’élève est donc de plus en plus indispensable, mais difficile à atteindre en raison du problème de la professionnalisation des documenta-listes.

Fabrice Papy, professeur de l’univer-sité de Nancy, Sophie Van Ommeslaeghe et Philippe Domé, professeurs-documen-talistes, présentent un retour d’expé-rience sur le Visual CDI, une version du Visual Catalog mis en place à l’univer-sité d’Artois 8, installée dans plusieurs lycées. Le but de cet outil était, en met-tant l’accent sur la recherche par mots clés, d’aider les élèves à penser, catégori-ser, classer. Or il est en réalité difficile de travailler avec deux outils : BCDI, logiciel de gestion largement utilisé en CDI, et le Visual CDI. De plus, l’arrivée d’e-sidoc, a bouleversé la donne. En effet, tout docu-ment catalogué dans BCDI est immédia-tement présent sur e-sidoc, ce qui n’est pas le cas avec le Visual CDI. En outre, e-sidoc a l’avantage de filtrer le web, alors que le Visual CDI ne concerne que les documents du CDI. Le Visual CDI reste donc un outil intéressant en université mais peu adapté en lycée, sauf à l’utili-ser en classe de terminale, pour favoriser une transition entre le lycée et l’univer-sité.

En résumé, les pratiques numériques des jeunes ont une incidence directe sur les bibliothèques. Pour éviter une frac-ture numérique, les professionnels de bibliothèque doivent tenir compte des jeunes « off-line », et évoluer avec les nouveaux comportements des digital natives. Il s’agit, dans les bibliothèques ou les CDI, de trouver l’équilibre entre documents papier et documents numé-riques, entre les espaces de travail et d’échanges, sachant que la bibliothèque doit rester un espace cadré où il est possible de se déconnecter, tout en pro-posant de nouveaux outils de recherche documentaire. L’enjeu pour les profes-sionnels des bibliothèques est d’amé-liorer leur image auprès des jeunes et de garder un haut niveau de qualifica-tion. •

Cécile [email protected]

8. http://visualcdi.univ-artois.fr

de données et la complexité des revues scientifiques.

Deux enquêtes d’Ipsos MediaCT 5 sur les jeunes et la lecture numérique sont présentées par Marie-Laure Lerolle. La té-lévision, très présente chez les 7-12 ans, marque le pas chez les 13-19 ans au profit d’internet. La lecture reste un loisir prisé puisque les 1-6 ans sont 89 % à se faire lire des livres, les 7-12 ans sont 72 % à lire, essentiellement des bandes dessi-nées, et 74 % des 13-19 ans lisent, leur genre préféré étant le manga. Cependant, seuls 25 % des 18-30 ans sont inscrits en bibliothèque. La percée des livres numé-riques reste lente, hormis les mangas chez les 15-24 ans. Le livre numérique, jugé fatigant et peu pratique par les jeunes, ne s’inscrit donc pas encore en remplacement du livre papier.

La prise en compte de ces évolutions dans la formation

Le portail documentaire e-sidoc 6, un outil facilement utilisable par les jeunes, qui fait le lien de la sixième à l’entrée en université, est présenté par Michel Reverchon-Billot, directeur du CRDP de Poitou-Charentes. Il permet aux profes-seurs-documentalistes de gérer l’accès au fonds physique des CDI, aux livres numériques et aux ressources électro-niques 7 des médiathèques municipales et du CRDP. La recherche est facilitée car le moteur de recherche rappelle Google, les notices sont éventuellement enrichies par des pages extraites de Wikipédia. Le jeune retrouve la convivialité et le partage de l’information grâce aux avis de lecture de ses pairs.

La prise en compte des pratiques numériques des jeunes dans la forma-tion des élèves est abordée par Françoise Chapron, de l’IUFM de Haute-Norman-die. La circulaire Isambourg, les travaux personnels encadrés et les cours d’édu-cation civique, juridique et sociale sont de bons moyens pour permettre aux pro-fesseurs-documentalistes de remplir leur mission de formation. Mais il y a un pa-radoxe à vouloir faire évoluer les CDI vers des centres de e-learning alors que paral-

5. www.ipsos.fr/ipsos-mediact6. http://0390013c.esidoc.fr/search.php7. www.cndp.fr/crdp-orleans-tours/index.php? option=com_content &task=view&id=1237& Itemid=551

Page 82: La bibliothèque en concurrence

Denise Dupont-Escarpit Née en 1920 : journalFabien Vélasquez

Chris Hedges L’empire de l’illusion : la mort de la culture et le triomphe du spectacleYves Desrichard

Jean Perrot Du jeu, des enfants et des livres à l’heure de la mondialisationClaudine Hervouët

Christian Robin Les livres dans l’univers numériqueYves Desrichard

Jirina Smejkalova Cold War Books in the “Other” Europe and What Came AfterMartine Poulain

Créer des services innovants. Stratégies et répertoires d’actions pour les bibliothèques Sous la direction de Marie-Christine JacquinetJoëlle Muller

Mener un projet international : bibliothèques françaises et coopération internationale Sous la direction de Raphaëlle BatsMarie-Noëlle Andissac

Mutations de l’enseignement supérieur et internationalisation : Change in Higher Education and Globalization Sous la direction d’Imelda Elliott, Michael Murphy, Alain Payeur, Raymond DuvalDaniel Renoult

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Denise Dupont-EscarpitNée en 1920 : journalMérignac, Éditions Vents salés, 2011373 p., 21 cmISBN 978-2-35452-048-9 : 21 €

«Je présenterai chaque fois un certain nombre de livres récents ou nouveaux. Je parlerai en adulte de

l’histoire, du texte et des images et porterai un jugement d’adulte. J’indiquerai le prix des livres proposés, et indiquerai où on peut se les procurer. » Paru en avril 1972, cet extrait du numéro inaugural de Nous voulons lire !, revue fondée par Denise Escarpit, est une définition concise de l’activité consistant à rédiger un compte rendu de parution.Dans Née en 1920, deux photographies encadrent le récit de la vie de l’auteur. D’abord, une longiligne jeune fille d’1,75 m apparaît sur la photo de couverture en noir et blanc et conduit immédiatement le lecteur dans l’atmosphère qui lui sera contée : les années d’apprentissage, la guerre et l’exil diplomatique au Mexique, où elle suivra son époux Robert Escarpit (ici affectueusement surnommé Oswald). Enfin, au dos de l’ouvrage, une petite photo d’identité évoquant le photomaton d’antan dévoile une nonagénaire qui a souhaité aujourd’hui adresser ce témoignage à sa descendance. Avant de résumer ce récit de 373 pages, il convient de rappeler que Denise Escarpit fut maître-assistant d’anglais à l’université de Bordeaux 3, et vigie entièrement dévouée à l’étude de la littérature jeunesse pendant de longues années. Mais ce texte personnel ne contient que très peu d’éléments concernant cette période, qui est pourtant la plus connue dans la littérature professionnelle. Écrit à partir d’un journal « à deux mains », tenu entre 1943 et 1947, et de notes personnelles antérieures à 1943, ce récit manque parfois de relief et de distance. Les réflexions et les efforts d’évaluation personnelle sont noyés dans la narration des événements simples du quotidien et

de sa banalité. Aucune trace du Mexique chamanique et cosmique si bien dépeint par Artaud ou Le Clézio : Denise Escarpit capte seulement un folklore décrit naïvement, presque sans émerveillement. À propos du Grito, le cri d’indépendance (cérémonie populaire célébrée dans la nuit du 15 au 16 septembre), préférant la consigne à la curiosité, elle note : « Il est recommandé aux étrangers de ne pas sortir cette nuit-là, car les esprits sont surchauffés et les incidents toujours possibles » (p. 254). Ou encore lorsqu’elle rencontre en février 1947 Roger Caillois, qualifié de « charmant » : elle ne semble pas alors mesurer l’importance de l’œuvre de son hôte, puisqu’elle confie avoir refusé de lui céder un collier de pierres de lune qu’il souhaitait lui acheter, sans expliciter que son interlocuteur est l’admirable auteur de Pierres (1966) et L’écriture des pierres (1970), deux textes aux fulgurances poétiques évidentes.Nombreuses sont les personnalités croisées par le couple Escarpit pendant leur long séjour en Amérique latine : Victor Serge (écrivain anarchiste russe), Maurice Merleau-Ponty (à son retour en France, il fit éditer les Carnets de V. Serge), Étienne Dennery (futur directeur de la BN en 1964), Jacques Maritain (futur ambassadeur de France au Vatican en 1945), Paul Rivet (directeur du musée de l’Homme depuis 1937), ou encore le célèbre peintre muraliste, Diego Rivera.Bien souvent, ce ne sont que dans les notes qu’apparaissent les développements les plus intéressants les concernant. La jeunesse de l’auteur en Aquitaine, avant-guerre et pendant l’Occupation, est relatée avec pudeur. On découvre une femme opiniâtre, très studieuse, qui s’est déjà forgé une conscience politique et sait relever les faits sociaux qui annoncent le Front populaire. L’auteur voit « en mars 1932, une loi instaurer les allocations familiales et, un peu plus tard, une autre, l’attribution de pensions militaires aux grands invalides de guerre » : les prémices de l’État-providence consacré en 1946, si vigoureusement défendu récemment par ses conscrits « indignés » (Morin, Hessel, Alphandéry et feu Aubrac). Un passage est particulièrement savoureux : celui où elle égrène la terminologie propre à l’École normale supérieure (ENS), où elle étudia à Paris : p. 44, note 7 – énumération non exhaustive : « poter » : manger ; « Bonvoust » : militaire ; « scientipompe » : élève scientifique ; « tala » : élève catholique ; « bataliser » : discutailler... Un autre passage (p. 185) fera sûrement sourire ses sept petits-enfants et ses sept arrière-petits-enfants, nés entre les dernières décennies du xxe siècle et la première du xxie ; une

génération qui ne peut plus se passer de l’instantanéité de la communication électronique : Denise Escarpit se remémore comment elle et son mari maintenaient le contact avec leur famille restée en Gironde. Ainsi, elle confie à son journal le samedi 23 mars 1946 : « La dernière lettre reçue a battu tous les records : postée à Bordeaux le lundi 18 à 16 heures et distribuée à Mexico le vendredi 22 à 9 heures, soit 89 heures !!! auxquelles il faut ajouter, bien entendu, les 7 heures de décalage horaire. »Son grand-père maternel était un ami de Pierre Loti, un écrivain-voyageur. Denise a donc vu le jour sous de bons auspices, car c’est bien de cela dont traite de manière quasi exclusive ce récit, à savoir les errances précoces de cette jeune femme : en Angleterre d’abord, pour y apprendre l’anglais, à Paris ensuite, pour y étudier et y rencontrer son alter ego et futur compagnon, et enfin le Mexique, où elle le suivit à l’Institut français dont il venait de prendre la charge de secrétaire général.Un document à la fois passionnant (nombreuses anecdotes) et agaçant (un style télégraphique parfois trop présent), qui plonge le lecteur dans l’intimité de deux figures majeures des sciences de l’information et de la communication, disciplines fondées dans les années 1970 à Bordeaux.

Fabien Vé[email protected]

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Chris HedgesL’empire de l’illusion : la mort de la culture et le triomphe du spectacleMontréal : Lux, 2012, 268 p., 22 cmCollection « Futur proche »ISBN 978-2895961321 : 20 €

Une fois n’est pas coutume, commençons par la fin. À la fin de son livre, donc, L’empire de

l’illusion, Chris Hedges se demande ce qui pourra sauver, ou plutôt régénérer une fois sa chute avérée, le monde dans lequel il vit – et qui, on va le voir, n’est pas si loin du nôtre. Et de puiser dans le Vie et destin de Vassili Grossman : « J’ai vu que ce n’était pas l’homme qui était impuissant dans sa lutte contre le mal, j’ai vu que c’était le mal qui était impuissant dans sa lutte contre l’homme… L’amour aveugle et muet est le sens de l’homme. » L’amour. Ce qui fait de nous « d’ironiques points de lumière » qui « étincellent là où les Justes font échange de leurs messages 1 ». Dans un autre livre, une telle fin, lyrique à souhait, pourrait nous faire sourire, nous laisser sceptique, cynique ou désarçonné. Ici, elle nous rassérène – un peu. Car elle est à la contre-mesure du paysage dévasté que l’auteur, prix Pulitzer, ancien correspondant de guerre pour le New York Times, a décrit. Pas un lointain conflit, pas un affrontement armé aux causes obscures. Non, son pays, les États-Unis. Aujourd’hui.

Très loin dans le très bas

Le premier chapitre du livre relève essentiellement du journalisme pur, avec une série de reportages plutôt disparates, et ce n’est que dans le ramassement du dernier chapitre qu’on comprend leur usage, et qu’ils sont indispensables au propos, à son appréhension, puis à sa compréhension. Chris Hedges

1. W. H. Auden, « 1er septembre 1939 ». La date n’est évidemment pas un hasard.

s’intéresse (à défaut de nous intéresser) au monde de la lutte professionnelle, à ces lutteurs archétypés, à l’omniprésence de la télévision, à la puissance de l’argent.Puis il décrit (même remarque) le monde de la téléréalité, dont il traque – judicieusement – l’origine dans la fameuse photographie de Joe Rosenthal montrant cinq marines américains et un infirmier de la Navy hissant le drapeau des États-Unis sur un sommet de l’île d’Iwo Jima. Une image immédiatement réinventée, récupérée, par la propagande de guerre, avec ses « véritables » protagonistes 2. Le début d’une « culture de la célébrité », où tous les moyens sont bons, et si possible les plus sordides, pour se faire connaître et apprécier, et si possible en écrasant les autres.Ce dont (autre « monde » visité) la « trash television » façon Jerry Springer fait son fonds de commerce, jusqu’à la nausée. Ces émissions, bien connues, ont atteint un degré d’abjection qui est le quotidien de millions de spectateurs américains.Le chapitre deux est, lui, consacré à l’industrie de la pornographie, jusque dans ses composantes les plus extrêmes, et (je suis sérieux) il est à déconseiller aux âmes sensibles. Là encore, Chris Hedges va très loin dans le très bas, avec cependant une dominante : le mépris profond, la haine pure, de la femme, dont cette « industrie » est « porteuse ».En contrepoint sans doute ironique, le chapitre trois décrit la situation dans les riches universités américaines, enviées par le monde entier (et tout particulièrement par les Français). Une devinette suffira à décrire le désastre (oui, le désastre). Quel est l’employé le mieux payé de l’université de Berkeley, en Californie, l’un des berceaux de la contre-culture, une université d’élite, une des plus prestigieuses des États-Unis, donc du monde ? L’entraîneur de l’équipe de football, qui gagne environ 3 millions de dollars par an. L’université américaine est contaminée par le sport (ceux qui ont vu Forrest Gump comprendront 3), mais aussi par l’idéologie individualiste et compétitive que le sport véhicule. Là encore, puissance de l’argent, ententes avec le secteur privé, pour mieux révéler, dans un élan qui s’ignore bourdieusien, que « la vraie fonction de ces universités bien nanties est de reproduire l’élite ».Enfin, Hedges s’intéresse à un mouvement à notre connaissance peu répandu en France, celui de la « psychologie positive », qu’il exécute

2. Histoire racontée dans le film de Clint Eastwood, Flags of Our Fathers (Mémoires de nos pères), 2006.3. Film de Robert Zemeckis, 1994.

d’une phrase (un peu abusive il faut le reconnaître) : « La psychologie positive est à l’État-entreprise ce que l’eugénisme était au régime nazi. » Nous sommes déjà au dernier chapitre, et même si certains apartés critiques et philosophiques ont permis de mieux éclairer les turpitudes et les avilissements si durement brocardés, nous n’avons pas encore compris quel était le sens de ce livre. Son but.

« Je vivais dans un pays »

« Je vivais dans un pays qu’on appelait les États-Unis d’Amérique. » C’est la phrase d’introduction de l’ultime chapitre, qui se terminera sur la note d’espoir imposée en ouverture. Et, de fait, c’est bien à un enterrement que Chris Hedges nous prie d’assister. Celui d’une nation qui n’est plus qu’« une illusion », où la démocratie est confisquée par les élites et les entreprises, auxquelles l’État est asservi. Un pays où « les dépenses militaires… dépassent celles de tous les autres pays du monde réunis ». Un pays en déclin, où les chiffres du chômage sont, depuis longtemps, truqués, un pays dont le système de santé est à la fois le plus coûteux, le moins efficace et le plus inégalitaire au monde. Un pays « où le système financier a été pris en otage et pillé par les banquiers, les courtiers et les spéculateurs », qui « n’autoriseront jamais la mise en œuvre de réformes, car celles-ci entraîneraient leur perte ». Un pays où « le parti démocrate est tout aussi responsable que les républicains de l’abdication de l’État en faveur de l’État-entreprise ». Un pays où « la prétention voulant que ces courtisans soient des journalistes réalisant des reportages d’intérêt public constitue le mensonge le plus énorme ». Mais, aussi, un pays où, « plus la situation s’aggrave, moins une population aux abois veut en entendre parler ». Il est vrai qu’elle a, pour s’abreuver, pour oublier, la lutte professionnelle, la téléréalité, la pornographie. Il est vrai que ses élites universitaires l’ont abandonnée, pour mieux se servir, en « hédonistes du pouvoir ». C’est alors qu’il faut parler d’amour.On espère l’avoir transmis : L’empire de l’illusion (sous-titré : La mort de la culture et le triomphe du spectacle) est un livre puissant et désespéré, fondamental et révolté. C’est un livre de dénonciation, mais avec une sorte d’exaltation lasse et impitoyable bien plus convaincante que bien des pamphlets à la mode. Ne faisons pas l’injure aux lecteurs du Bulletin des bibliothèques de France de se demander si les situations décrites, les déclins constatés, sont propres aux États-Unis d’Amérique. Ne lui faisons pas l’injure, non plus, de se demander

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si cet anéantissement de civilisation nous concerne 4. Mais demandons-nous, cependant, si un tel auteur, exigeant dans sa recherche (la liste des contributeurs, à des titres divers, est impressionnante, et la bibliographie solide), passionnant dans ce qu’il expose, véhément jusqu’au pathos dans ce qu’il exprime, qui nous laisse abasourdi, pantois, remué, épuisé, si un tel auteur, dis-je, existe dans notre beau pays (de France).

Yves [email protected]

4. Il faut signaler que l’édition originale de l’ouvrage a paru en 2009. Il n’a rien perdu de son actualité, au contraire.

Jean PerrotDu jeu, des enfants et des livres à l’heure de la mondialisationParis, Éd. du Cercle de la librairie, 2011, 439 p., 20 cmCollection « Bibliothèques »ISBN 978-2765410119 : 35 €

La réflexion sur les livres et la culture d’enfance inlassablement menée par Jean Perrot, fondateur de

l’Institut international Charles Perrault, professeur émérite à l’université de Paris 13, spécialiste de la littérature d’enfance et de jeunesse, et qui fut directeur du laboratoire Jeux et jouets (de l’Institut Charles Perrault), l’a conduit à publier plusieurs ouvrages animés d’une idée-force : l’imaginaire ludique habite adultes et enfants, les rapproche et investit l’espace de la création. Mais, depuis Du jeu, des enfants et des livres, publié en 1987, de nombreuses mutations sont intervenues, dont Jean Perrot s’est toujours attaché à marquer

les étapes. Dans Du jeu, des enfants, et des livres à l’heure de la mondialisation, il met en exergue deux composantes, essentielles et corrélées, du contexte actuel : ce qu’il appelle « l’avènement de la vidéosphère » et la mondialisation, en ce qu’ils affectent le champ de la littérature pour la jeunesse.On est donc dans une recherche qui se construit de manière évolutive. D’où sans doute, pour le lecteur, une entrée difficile dans la lecture d’un essai qui rassemble un matériau profus, emprunte à plusieurs domaines disciplinaires, et où méthodes d’analyse et théories s’entrecroisent. Mais faisons confiance à l’auteur quand il énonce que « (son) propos est bien, d’abord, de proposer une réflexion concrète sur la production contemporaine ».Réflexion sur la réflexion, d’abord. Et Jean Perrot d’évoquer le développement, à l’échelle internationale, de la recherche et de la critique. Sont ainsi présentés d’importants travaux et ouvrages, dus ou non à des universitaires, publiés ces dernières années, sans omettre des références plus anciennes. Ainsi se définit et se légitime un territoire, celui de la littérature pour la jeunesse, éclairé par l’esprit d’enfance. Réflexion également menée sous le signe de la Société du spectacle, Jean Perrot, d’ouvrage en ouvrage, élargissant les perspectives ouvertes par Guy Debord pour penser le monde, le rôle de l’image et la place de l’enfant.Dans les quatre parties qui suivent sont développés des thèmes très variés : le mythe de Noël, le livre objet, la couleur dans l’album, le mot et l’image, etc. Occasion, chaque fois, de mettre en avant auteurs et œuvres anciennes et surtout toutes récentes. Le dernier thème abordé, « Du corps à l’œuvre », permet d’explorer jusqu’au vertige, dans le théâtre et le roman, réel, représentation, récit, jeu et fantasme et de montrer que, de même que le corps s’inscrit dans l’œuvre, l’œuvre elle-même s’inscrit dans l’histoire.Il y a dans cet essai matière à de multiples essais et l’on a parfois le sentiment que, saisissant un terme, l’auteur veut en épuiser la polysémie et avec elle toutes les possibilités de développements théoriques dans un entrecroisement qui met au défi le lecteur. Mais comment ne pas être sensible à l’ampleur et à la diversité des connaissances mises en œuvre, aux analyses toujours stimulantes, à l’originalité des points de vue, au courage intellectuel d’une vision prospective voire visionnaire ?

Claudine Hervouë[email protected]

Christian RobinLes livres dans l’univers numériqueParis, La Documentation française, 2011, 162 p., 24 cmCollection « Les études de la Documentation française », no 5339-5340ISSN 1763-6191 : 14,50 €

La rencontre, dans le titre d’un ouvrage à recenser pour le Bulletin des bibliothèques de France, des mots

« livre » et « numérique » provoque une réaction cutanée qui conduit à recenser à la va-vite certaines productions qui, il faut le reconnaître, ne méritent le plus souvent guère mieux. C’est cette spontanéité qui présida en ouvrant Les livres dans l’univers numérique, proposé par les étatiques (mais solides) éditions de la Documentation française 1. Cela aurait été, on l’a compris, dommage. Le livre de Christian Robin est un modèle d’exigence et de limpidité, de clarté et d’accessibilité dans un domaine bien encombré, non de « livres » de qualité – mais de livres tout court.

Livre et numérique

Le premier et principal mérite de Christian Robin, que la modestie du titre de son ouvrage ferait presque oublier, est que l’auteur ne s’y intéresse pas ou plutôt pas uniquement au « livre numérique », mais au livre et au numérique, ce qui change tout, et permet de découper le propos en quatre chapitres : le numérique dans l’édition, l’édition numérique, le livre (quelle que soit sa forme) dans son environnement, et une série de « questions actuelles » qui présente des synthèses, mais aussi des interrogations : ils sont rares les livres qui font confiance à leurs lecteurs pour bâtir leur propre savoir dans un domaine

1. Et qui, à vrai dire, en explique le recensement un brin tardif.

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partagé entre anathèmes (rares) et apologies (conséquentes).Dans son premier chapitre, donc, Christian Robin montre que c’est d’abord dans « l’amont » de la production de livres que l’informatique a profondément bouleversé leur mode d’élaboration. Il retrace rapidement (elle est désormais bien connue), la « préhistoire », de 1945 à 1979, puis l’avènement du traitement informatique du texte et de l’image, à l’œuvre dès les années soixante, la naissance de l’enseignement assisté par ordinateur – dont à vrai dire on se demande un peu ce qu’il vient faire là –, jusqu’au Minitel, qui crée « un climat d’effervescence sur les potentialités de cet outil pour la transmission de l’information écrite » – comme quoi…Puis c’est la publication assistée par ordinateur (PAO), pour les professionnels comme pour le grand public, le « prépresse », qui passe au numérique dans les années 1990, de telle façon que, désormais, c’est la chaîne entière qui est numérique, y compris (et c’est l’apport le plus intéressant du chapitre), l’organisation de la production, entre « vision systémique du livre » et « bureaucratisation avancée du travail des personnels éditoriaux ».Le deuxième chapitre s’intéresse aux nouveaux produits, aux nouveaux marchés, générés par cette numérisation de l’édition. Les « nouveaux supports » comme le cédérom sont rapidement balayés par internet, même si, dans l’édition, il faut parler de « lente émergence ». S’agit-il, lors, de « nouveaux livres » ? On les crée et on les édite plus rapidement, la réponse éditoriale à l’actualité brûlante nous le prouve chaque jour ; les textes édités sont mieux formalisés, mais les « écrits d’écran » peuvent, eux, être plus relâchés dans leurs contenus. Les rééditions sont plus nombreuses, et les livres « objets », ceux qu’on pose sur la table du salon sans plus y revenir, aussi. À rebours, les ouvrages encyclopédiques sont en déroute, comme le secteur de l’édition en sciences humaines et sociales, alors que les livres pratiques se vendent bien. Les librairies en ligne se développent, les libraires « en dur » résistent. On ne prétend pas que, sur ces sujets, le livre de Christian Robin apporte des avancées forcément originales. Mais il synthétise, avec une rare économie de moyens et quelques pertinentes ressources bibliographiques, l’essentiel de ce qu’il faut savoir pour briller en société (puisque le livre numérique est un sujet de société).

Une complétude concise

Le troisième chapitre est tout aussi pertinent, qui s’efforce d’analyser les concurrences du livre pour ce qui est du « temps de cerveau disponible », selon une rude approximation, ce que d’autres, plus policés, préfèrent qualifier d’« économie de l’attention ».Après avoir rappelé l’évolution, face au numérique, du marché de la musique enregistrée, de la vidéo, du jeu vidéo (qui ne s’entend que sous la forme numérique), le chapitre s’intéresse, un peu curieusement à notre sens, même s’il est vrai que le sujet est crucial pour les modèles économiques, aux affres de la propriété intellectuelle aux temps du numérique. « Des philosophies opposées », est-il suggéré, entre les tenants du droit d’auteur et… les autres, qu’on n’ose qualifier d’adversaires. C’est un euphémisme, même si le terme « philosophie » ne semble pas approprié, qui cache des enjeux économiques gigantesques – enfin, à l’échelle des industries culturelles : tout cela n’est pas grand-chose face au combat titanesque des lessives en poudre contre les lessives liquides.Le dernier chapitre, ramassement et invite plus que conclusion, propose, donc, un certain nombre de questions. Le numérique implique-t-il de nouvelles formes d’écriture, mais aussi de lecture ? L’autoédition (qui a toujours existé, cela dit) met-elle en péril « l’autorité éditoriale », même si, nous semble-t-il, si péril il y a, c’est plutôt celui de l’« autodistribution », qui était le maillon faible de l’autoédition papier ?Et c’est là (et seulement là) que Christian Robin s’attaque au livre numérique : liseuses et encre électronique, ou machines multifonctions (tablettes, mais aussi smartphones, consoles, etc.), sont convoqués au même titre (ni plus ni moins) que les nouveaux contrats pour les auteurs, les nouveaux éditeurs, les stratégies des éditeurs existants, la distribution numérique, etc. Même les bibliothèques sont évoquées, c’est dire la complétude concise de l’ouvrage.On est moins convaincu par le « grand final », sur la « triade centrale » que constitueraient Amazon, Apple et Google. Mais rien que le fait qu’un marchand de livres, un fabricant d’ordinateurs et un moteur de recherche pèsent d’un tel poids sur le « livre » dans « l’univers numérique » nous amène bien loin de la préhistoire…Qualifier de « sommaire » une bibliographie qui ferait rougir de honte maint étudiant en métiers du livre est l’ultime coquetterie d’un ouvrage dont on aura compris que, s’il n’est pas indispensable à qui se tient au courant

(sans toujours pouvoir maîtriser son exaspération) de l’actualité du livre et du numérique, est pour autant LE livre à lire à qui veut, en peu de temps, avoir sur la question une vision précise, complète, documentée – intelligente.

Yves [email protected]

Jirina SmejkalovaCold War Books in the “Other” Europe and What Came AfterLeidein, Boston, Brill, 2011, 409 p., 25 cm(Library of the written world)ISBN 978-90-04-18745-0

Jirina Smejkalova est une chercheuse d’origine tchèque, qui enseigne à l’université de Lincoln en

Grande-Bretagne. Son livre traite de l’histoire de l’édition et de la lecture en Tchécoslovaquie durant la domination communiste, puis de la chute du régime aux années 2000. Comme le veut tout intelligent travail historien, elle s’intéresse bien sûr aux modes de cette domination, s’accompagnant d’interdits, de censure, ainsi que de bureaucratie et de gabegie, mais aussi aux marges, aux interstices laissés ouverts par le système, que les éditeurs, auteurs et lecteurs dominés purent parfois investir. Son approche est globale : politique, mais aussi sociologique et symbolique, collective et individuelle. Citant Darnton à propos du rôle du livre au xviiie siècle, elle considère le rôle du livre comme constitutif de l’évènement et non seulement comme mémoire de l’histoire.

Le livre à l’ère totalitaire

Le « coup de Prague » voit les communistes prendre le pouvoir en février 1948 jusqu’à leur chute en

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novembre 1989. Il conduit à l’application du modèle soviétique du livre aux pays de l’Est conquis : Allemagne de l’Est, Pologne, Hongrie, Tchécoslovaquie. Jirina Smejkalova revient sur ce « modèle rouge » soviétique, qui prétendait vouloir former des citoyens égaux en leur donnant à lire les seuls livres contrôlés et dûment autorisés : diffusion massive des classiques russes « populaires », études « sociologiques » sur les lecteurs pour vérifier leur mode d’appropriation des textes, alphabétisation massive des populations alphabétisées à 19,6 % seulement (8,6 % chez les femmes) en 1917. La Tchécoslovaquie, elle, était beaucoup plus alphabétisée et avait une tradition lettrée importante. Après 1948, les maisons d’édition et d’impression sont nationalisées, seuls quelques éditeurs privés continuent à exercer, s’ils ne sont pas poursuivis sous divers prétextes : 85 % des stocks des éditeurs privés sont détruits. En quelques mois, l’État prend le contrôle de l’édition et se dote d’organismes visant à la contrôler et à surveiller les auteurs. En 1952, est créée une société de distribution unique, aux mains de l’État.La politique de lecture vise à favoriser l’accès de tous à la lecture d’un nombre limité de titres produits en un grand nombre d’exemplaires, soit un choix très limité, qui rend le contrôle et la censure plus aisés. Mais là où le système voulait aboutir à une homogénéisation des lecteurs, c’est à une forte différenciation qu’il aboutit.La censure et la répression des auteurs sont importantes, notamment après l’invasion russe suite au printemps de Prague de 1968 : « 1,5 million de membres du Parti firent l’objet d’une enquête et 320 000 furent expulsés », « 140 000 personnes quittèrent le pays avant le fin de 1969 », « 750 000 personnes perdirent leur travail ». Nombre de ces personnes travaillaient dans le secteur culturel ; dans le domaine de l’édition ou de la librairie, 400 personnes furent licenciées, de même que 150 écrivains et traducteurs, qui perdirent leur affiliation à l’Union des écrivains et traducteurs ; 25 revues littéraires furent suspendues, plus de 80 % des personnels des maisons d’édition et la moitié des journalistes furent licenciés. Jirina Smejkalova restitue les itinéraires de plusieurs éditeurs, analyse les productions éditoriales, dresse un tableau très informé de la situation, de ses contradictions, la volonté de contrôle conduisant le système à se scléroser, les livres mettant jusqu’à plusieurs années à être publiés, des masses d’exemplaires finissant invendus, bien que les libraires aient l’obligation de garder les nouveaux titres au moins six mois en vente, sans

d’ailleurs que les lecteurs aient le droit de les feuilleter…

Du samizdat à la liberté nouvelle

La croissance des samizdats dans les années 1970 et 1980 a été longuement analysée par divers auteurs, et Jirina Smejkalova rappelle quelques-uns des éléments du succès de ce mode de contournement des interdits : des douzaines de revues et quelque 1 083 titres « parurent » sous cette forme, tapés sur des machines à écrire remplies de papier pelure et diffusés sous le manteau. Les analyses ultérieures de ces productions divergent : pour certains, elles furent un ferment d’une production littéraire s’ancrant dans un riche héritage et firent souffler le vent de la liberté ; pour d’autres, elles étaient encore trop marquées par une esthétique et une conception bornées des années 1960.L’auteur de ce compte rendu peut en tout cas témoigner de sa surprise lorsqu’en 1981, à Prague, des opposants lui mirent entre les mains un de leurs samizdats : des poèmes de Ronsard ! Les lecteurs n’avaient pas soif que d’écrits interdits. Ils avaient soif d’écrits de qualité, tout simplement ! Pour Jirina Smejkalova, le samizdat a connu deux âges, avant et après 1977 : les premiers samizdats étaient des publications à bas coût, autoproduits ; après la publication de la Charte 77, leurs liens avec les dissidents devinrent plus explicites et ils s’institutionnalisèrent. La soif de lecture était telle que même les publications autorisées suscitaient chaque jeudi des files d’attente à partir de 5 heures du matin, et ce, quel que soit le type de livre : manuels de cuisine, d’éducation des enfants, poésie, etc.Jirina Smejkalova mène son analyse jusqu’aux années récentes, marquées par des ruptures et des continuités. Comme l’ont souligné d’autres études, les habitants des anciens pays communistes vont aussi faire la difficile expérience de la liberté qui s’accompagne aussi de la montée du chômage, des inégalités et rivalités nouvelles. Les goûts de lecture évoluent : paradoxalement, les usagers des bibliothèques croissent, mais les lecteurs apprécient moins la fiction, et sont surtout des adeptes redoublés d’autres médias, presse et télévision.Après 1989, les éditions saisies par le pouvoir communiste sont restituées à leurs propriétaires. Le nombre d’éditeurs, de livres publiés, d’acheteurs croît massivement. Puis la qualité de l’édition diminue, la littérature de masse se faisant une place nouvelle dans la production, tandis que les vendeurs de rue deviennent des intermédiaires non

négligeables dans l’écoulement des livres. Cette explosion de titres conduit à une sévère concurrence entre les éditeurs, qui, de 70 en 1988 passent à près de 3 000 en 2000, dont seuls 495 publient régulièrement. L’édition, dont les deux tiers des cadres travaillaient dans le secteur sous le régime communiste, doit se professionnaliser, le processus éditorial s’accélère, les innovations technologiques sont intégrées et nombre de grosses maisons d’édition passent aux mains d’investisseurs allemands. Le prix du livre est multiplié par cinq et il n’est plus qu’un des aspects d’une offre culturelle multiple.Le livre de Jirina Smejkalova est passionnant tant son spectre est large, diversifié, tant elle relie en permanence la situation du livre, de ses lecteurs et de ses producteurs à l’ensemble de la situation sociale, avec une grande finesse, tout en nuances. Les lecteurs français y apprendront beaucoup.

Martine [email protected]

Créer des services innovants. Stratégies et répertoire d’actions pour les bibliothèquesSous la direction de Marie-Christine JacquinetVilleurbanne, Presses de l’Enssib, 2011, 172 p., 21 cmColl. « La boîte à outils », no 23ISBN 978-2-910227-90-6 : 22 €

Le dernier numéro de la collection « La Boîte à outils » propose un tour d’horizon des facteurs d’innovation

en bibliothèque, qu’ils soient liés aux technologies de l’information ou à une évolution du métier mettant le public au cœur des politiques des établissements. Le principe de la

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collection est respecté, une alternance d’articles théoriques entrecoupés de présentations d’expériences menées en bibliothèque.L’ouvrage est structuré en trois parties : l’innovation dans les services – aspects stratégiques ; l’impact du numérique ; renouveler les services avec les différents acteurs, qui traite des aspects managériaux de la gestion de l’innovation. Marie-Christine Jacquinet, conservateur et professeur associé à Paris-Ouest Nanterre La Défense, a coordonné les 17 auteurs (bibliothécaires, journalistes, consultants) qui ont participé à cet ouvrage.La première partie place d’emblée la problématique de l’innovation au cœur des projets de service et les dirige vers un nouveau modèle de médiathèque orienté services aux usagers. Les différents articles sont des mines d’idées originales, souvent faciles à mettre en œuvre et, pour certaines, ne demandant pas des moyens extraordinaires. Ces idées nécessitent simplement de regarder autrement son établissement et les services qu’il offre, de sortir du cadre et d’oser expérimenter et abandonner si cela ne marche pas.Quelques exemples de nouveaux services : emprunter un bibliothécaire (pour faire une recherche documentaire), prêter des lunettes de vue, soirée musicale dans le noir, jeux vidéo et tournois, rencontres à domicile pour les non-usagers (les visiteuses de la lecture), un mobilier différent pour présenter les collections… Pour réussir ces applications, il est recommandé de s’appuyer sur des outils comme le marketing afin de cibler les publics de ces services, d’en prévoir l’évaluation, de jouer sur le partenariat avec d’autres institutions.La deuxième partie est consacrée aux innovations générées par le numérique. C’est ce qui paraît le plus évident, le plus visible. Les innovations en bibliothèque visent à accompagner les pratiques des usagers qui ont intégré les technologies de l’information dans leur vie quotidienne, et à aider ceux qui en sont éloignés. Cette partie fait le tour des services nouveaux proposés par des bibliothèques : prêt de liseuses, services individualisés, pages Facebook et blogs, dépôt de photos sur des réseaux comme Flickr, portails spécialisés, développement de l’offre numérique à l’échelle d’un territoire grâce à des partenariats avec les BDP, la Drac, la région…La dernière partie décrit les moyens de mobiliser les équipes autour de projets innovants et comment organiser une action de veille professionnelle prospective. L’un des chapitres décrit les

différents outils d’aide à la participation créative : brainstorming, groupe de travail, formation, communication… Un autre donne des idées sur la manière de renouveler l’organisation interne en s’appuyant sur trois idées fortes : la transversalité, le travail en mode projet et le management de type animation d’équipe. On y retrouve également de nouvelles idées simples : offre de lecture dans des lieux inhabituels comme la plage, le dépôt de livres chez des commerçants… L’idée forte est de toujours être à l’écoute de ce qui se fait ailleurs et de faire une veille sur les innovations de tous les types d’établissements. C’est ce que les Anglo-Saxons appellent le « benchmarking », littéralement « faire son marché ailleurs ».L’ouvrage se termine par un mémento pour mener à bien des innovations : identifier les besoins, faire émerger et catalyser les idées, choisir l’idée de service la plus prometteuse, transformer l’idée en projet, lancer le service. J’y ajouterai : prévoir l’évaluation.L’ouvrage est intéressant. Il peut apporter des idées à de nombreux professionnels. Il reste marqué par le style de la collection, une multitude de chapitres relativement inégaux en terme de niveau des contenus et de style d’écriture.

Joëlle [email protected]

Mener un projet international : bibliothèques françaises et coopération internationaleSous la direction de Raphaëlle BatsVilleurbanne, Presses de l’Enssib, 2011, 190 p., 21 cmColl. « La Boîte à outils », no 24ISBN 978-2-910227-92-0 : 22€

Les actions de coopération internationale des bibliothèques sont abordées ici sous les multiples

formes qu’elles peuvent revêtir : jumelage, accueil de collègues étrangers, don d’ouvrages, formation, apport d’expertise.Ce livre présente ainsi un large panorama d’expériences qui vont du simple voyage d’étude au partenariat transfrontalier, de la mutualisation de ressources à la coopération solidaire...Elles concernent aussi bien les bibliothèques publiques qu’universitaires, les actions de coopération dans le domaine du livre ancien, de l’action culturelle, que les partenariats européens et internationaux autour de la numérisation des collections patrimoniales. Il s’agit pour la plupart d’actions à l’étranger, mais certaines sont conduites depuis la France dans des logiques de proximité, comme le projet de la Bibliothèque départementale de prêt du Haut-Rhin avec ses partenaires suisses et allemands dans une logique transfrontalière.L’ouvrage aborde aussi les codes de communication entre collègues étrangers, le nécessaire dialogue entre l’universel et le local, l’inévitable question de la langue et des implicites qu’elle contient, l’indispensable « décentration » du bibliothécaire globe-trotter.Cet ouvrage donne des repères utiles sur les possibilités de mobilité internationale ponctuelle à travers notamment les programmes Erasmus et Grundtvig et sur les partenaires possibles (établissements et associations ressources) des professionnels des bibliothèques pour la mise en œuvre de ces actions. Il éclaire également

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les politiques souvent méconnues de coopération internationale des grands établissements comme la Bibliothèque publique d’information et la Bibliothèque nationale de France, ainsi que les riches actions du Centre national de littérature pour la jeunesse, La Joie par les livres, CNLJ-JPL, qui mettent notamment en œuvre les programmes du ministère de la Culture d’accueil de collègues étrangers (« profession culture »), collaborent avec le ministère des Affaires étrangères et participent au réseau francophone numérique.L’intérêt du livre est également de ne pas occulter les contraintes humaines et techniques de ces partenariats. Ainsi, le passionnant témoignage des bibliothécaires de l’École nationale supérieure dans leur coopération avec Haïti et « Bibliothèques sans frontières » (BSF) montre la nécessité d’organiser très en amont les projets, de connaître la culture des stagiaires étrangers et met en évidence toutes les difficultés de penser une collection qui nous est éloignée physiquement.La problématique du sens de ces actions est bien posée. Comment, dans une action de coopération solidaire, mettre en œuvre des logiques de développement endogène et ne pas seulement transposer un modèle unilatéral ? Jeremy Lachal, directeur de BSF, insiste, à ce titre, sur le fait que la formation dans un contexte transculturel doit être conçue comme un échange d’expériences et non comme une transmission à sens unique.Ainsi, le bibliothécaire ne trouvera sans doute pas dans ce livre de recettes miracle pour mener à bien un projet à l’international, tant on mesure la singularité de chaque projet, mais bien des pistes méthodologiques et l’envie, à travers ces récits d’expériences, de confronter ses pratiques, de partager son expertise et de questionner ses modèles.

Marie-Noëlle [email protected]

Mutations de l’enseignement supérieur et internationalisation : Change in Higher Education and GlobalizationSous la direction d’Imelda Elliott, Michael Murphy, Alain Payeur, Raymond DuvalBruxelles : De Boeck, 2011. 311 p., 24 cmCollection « Pédagogies en développement »ISBN 978-2804165963 : 36 €

Quels sont les effets de l’environnement international sur les politiques de l’enseignement

supérieur en Europe et sur l’émergence d’un modèle européen ? Telle est, au milieu d’une bibliographie de plus en plus pléthorique – livres mais surtout articles et innombrables rapports –, l’ambition de ce recueil de 19 contributions dont 12 en français et 5 en anglais, dues en majeure partie à des universitaires européens.Quoiqu’organisé selon un plan assez clair, l’ouvrage mêle des contributions de portée et de niveaux disparates. La première partie, consacrée à l’effet des attractions internationales et du modèle européen sur les systèmes nationaux d’enseignement supérieur, est la plus homogène. Elle regroupe cependant des articles allant de contributions factuelles comme celles de Suzy Halimi décrivant les instances de l’Unesco relatives à l’enseignement supérieur et les recommandations de la Commission nationale française, ou celle de Michelle Lauton qui retrace le fonctionnement du CNESER, à des analyses théoriques mais assez convenues comme celle de Kathleen Lynch qui souligne combien les valeurs traditionnelles de l’université sont infléchies par les exigences professionnelles et par l’effet d’une économie concurrentielle et mondiale de type néolibéral, et enfin à des descriptions critiques centrées sur l’organisation de l’enseignement

supérieur d’un pays et montrant leur plus ou moins grande ouverture à l’international. Ce sont sans doute ces articles concis, clairs et bien documentés qui retiendront d’autant plus l’attention des lecteurs français qu’ils permettent de fructueuses comparaisons.Ainsi, l’évolution de l’enseignement supérieur en Irlande par Imelda Elliott retrace comment l’enseignement supérieur de ce pays est passé de la formation d’une élite sociale (5 % des jeunes en 1960) dans une société traditionnelle à un système de masse (49 % d’une classe d’âge en 1997). Outre son intérêt intrinsèque, cet article répond aux propos aussi de Kathleen Lynch en illustrant par un cas précis le fait que la notion de « valeurs traditionnelles » de l’université mérite d’être située historiquement et socialement. De même, la contribution de Carole Massey-Bertonèche, qui fournit une description approfondie de ce que l’on entend aujourd’hui par « commercialisation » dans les universités américaines, démontre les limites du recours aux financements privés, y compris pour les universités les plus prestigieuses, et la nécessité des financements publics même en économie libérale.Ainsi encore, synthétisant à l’aide de chiffres bien choisis l’évolution des cinquante dernières années de l’enseignement supérieur français, Jean Richard Cytermann décrit la manière dont le rayonnement international s’est peu à peu imposé comme un des objectifs majeurs de nombre d’universités.Aujourd’hui, sous des formes institutionnelles variées, la qualité de l’enseignement supérieur comme facteur de la compétitivité économique s’incarne dans des politiques de sites dont la visibilité et l’attractivité internationales sont perçues par les différents acteurs (établissements, État, collectivités territoriales) comme des éléments clés. Exemple à l’appui, Sonia Leverd illustre comment les établissements d’enseignement supérieur français, parfois repliés sur eux-mêmes, ont bénéficié de leur ouverture internationale. Ainsi, à l’IEP de Lille, la création de filières européennes intégrées avec les universités de Munster, de Salamanque et l’université du Kent s’est réalisée au profit des étudiants. On appréciera également le point de vue de Catherine Coron, qui propose une étude très documentée et chiffrée sur l’enseignement supérieur en Grande-Bretagne et un bilan des politiques mises en œuvre, n’oubliant pas de marquer l’influence de l’OCDE sur celles-ci. De même, le travail de Christine Soulas sur la mobilité en cours d’études, en

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particulier des filières courtes vers les filières longues, fait l’objet d’une comparaison remarquable entre le dispositif français et le dispositif mis en place depuis de nombreuses années par l’État de Californie, apportant au passage la démonstration du manque de cohérence de l’enseignement post-secondaire français.Sur l’internationalisation encore, on lira avec intérêt l’exposé très critique de Sarah Croché sur les rapports de pouvoir au niveau européen. La Commission européenne s’est peu à peu approprié le processus de Bologne à partir du sommet de Prague en 2001, alors que les ministres l’avaient initialement exclue. Dénonçant le poids des groupes techniques et le rôle d’un nombre limité d’experts, l’auteure stigmatise l’influence des organisations corporatives sur l’avenir de l’enseignement supérieur européen. Elle met en doute le processus de Lisbonne comme harmonisation européenne, y voyant plutôt un prétexte pour les États pour régler leurs problèmes nationaux. On regrettera néanmoins que la parole n’ait pas été

donnée à la défense, et en particulier à Éric Froment qui suit le processus depuis ses débuts.De même, sous un titre que l’on pourra trouver artificiel (« La montée d’exigences nouvelles »), on regrettera le manque d’équilibre et le côté fourre-tout de la seconde partie de l’ouvrage, qui aborde d’un seul point de vue des sujets aussi différents que l’enseignement des langues, la valorisation des acquis de l’expérience, la place des femmes dans la recherche (étudiée notamment à partir de quelques données relatives à une université du Nord – Pas-de-Calais), l’insertion des handicapés dans l’enseignement supérieur au Royaume-Uni, le conseil psychologique aux étudiants, l’insertion professionnelle, et le métier d’enseignant-chercheur ! Ce dernier point, central pour les universités, aurait mérité mieux.Le lecteur a un peu l’impression que l’on a voulu couvrir tout le champ de l’enseignement supérieur et n’oublier aucun sujet, fut-ce au prix d’une certaine perte de cohérence et de profondeur. De ce point de vue, cet ouvrage collectif

n’évite malheureusement pas les écueils du genre, au point que l’on peut se demander si cette publication aurait vu le jour telle quelle sans le concours du conseil régional et du conseil général du Nord – Pas-de-Calais ainsi que de l’université du Littoral.En conclusion, on soulignera cependant que l’ouvrage répond assez largement aux objectifs proposés par les directeurs de cette publication : offrir une vision transversale des évolutions en cours dans nombre d’universités européennes. Il fournira des informations et des points de vue utiles à ceux qui s’intéressent au devenir de l’enseignement supérieur. Sans doute est-il opportun de préciser aux lecteurs du BBF qu’il s’agit d’un livre que l’on recherchera d’abord en bibliothèque, tant il est vrai que ce type de recueil par sa nature même se prête davantage à une consultation plutôt qu’à une lecture exhaustive.

Daniel [email protected]

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Modalités de venteLibrairesLe Centre interinstitutionnel pour la diffusion de publications en sciences humaines (CID) diffuse et distribue les ouvrages publiés par l’enssib aux libraires.

FMSH-diffusion (CID)18-20 rue Robert Schuman94220 Charenton-le-Ponttél. + 33 (0)1 53 48 56 30fax + 33 (0)1 53 48 20 95e-mail [email protected]

Espace de vente et d’animation86 rue Claude Bernard75005 Parishoraires : 10 h à 18 h(du lundi au vendredi)tél. + 33 (0)1 47 07 83 27

Presses de l’enssib

Lire dans un monde numériqueSous la direction de Claire BélisleCollection Papiers296 pages • 15 x 23 cm • 39 €ISBN 978-2-910227-85-2 • ISSN 2111-0212

Que devient la lecture dans un monde numérique ? Zapping, émiette-ment, papillonnage ou interaction, participation, immersion : la diver-sité croissante des modalités sur supports numériques suscite autant l’intérêt que la consternation. Bien que le texte soit omniprésent dans la société actuelle, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pourstigmatiser des modes de lecture qui ne seraient plus que des « parents pauvres » de la « véritable » pratique de lecture. Cet ouvrage constitue une analyse précieuse pour appréhender de manière raisonnée les pro-cessus et les nouvelles modalités de la lecture sur supports numériques.

Écritures : sur les traces de Jack GoodySous la direction d’Éric GuichardCollection Papiers • 240 pages • 15 x 23 cm • 38 €ISBn 979-10-91281-00-3 • ISSN 2111-0212

L’écriture constitue-elle le trait d’union entre technique et culture, et par là entre science et culture ? Cet ouvrage donne des éléments de réponse à cette double question, à l’acuité renouvelée par le numérique. Il fait donc appel aux anthropologues et philosophes (Jack Goody, Jens Brockmeier, David Olson…), aux spécialistes des pratiques lettrées de l’Antiquité (Christophe Batsch, Flavia Carroro), de l’internet (Paul Ma-thias, Henri Desbois, Michael Heim…), de la physique et des mathéma-tiques (Jean Dhombres, Patrick Flandrin, Cédric Villani). Cet ouvrage est issu d’un colloque international consacré à Jack Goody, qui s’est tenu à l’enssib du 24 au 26 janvier 2008, auquel il a contribué et qu’il a conclu.

Pratiques documentaires numériques à l’universitéSous la direction de Ghislaine Chartron, Benoît Epron et Annaïg MahéCollection PapiersEnviron 230 pages • 15 x 23 cm • 34 €ISBn 978-2-910227-88-3 • ISSN 2111-0212

La part de la production scientifique accessible en ligne ne cesse de croître. Elle induit des pratiques, des usages différenciés selon les dis-ciplines, les lieux (laboratoires, bibliothèques) et les contenus (articles, revues…) et, bien sûr, la période considérée. Cet ouvrage est la restitu-tion d’une journée d’étude organisée en 2009 à l’enssib.

Institutions et particuliersLes commandes des établisse-ments publics et des particuliers se font par l’intermédiaire d’un libraire ou directement sur le site du Comptoir des presses d’univer-sités : www.lcdpu.fr

Retrouvez le catalogue des Presses

sur notre site :www.enssib.fr/presses

Numériser et mettre en ligneSous la direction de Thierry Claerr et Isabelle WesteelCollection La Boîte à outils #19200 pages • 15 x 21 cm 22 €ISBn 978-2-910227-80-7

Mener une opération de nu-mérisation et de mise en ligne requiert un ensemble de repères et de connais-sances pour l’organisation et la mise en oeuvre d’un pro-jet de numérisation durable. L’ambition de cet ouvrage est de proposer un mode opéra-toire précis pour chacune des grandes étapes à prendre en compte – de la capture à la conservation numérique, en passant par l’interopérabilité, le référencement, et en inté-grant l’environnement juri-dique et réglementaire.

Réimpressionà nouveau Disponible

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Penser la bibliothèque en concurrenceDominique Lahary

La bibliothèque, structure essentiellement non marchande, n’a pas l’habitude de se penser en concurrence. Pourtant, elle l’est et elle l’a toujours été. Il faut donc prendre en compte les éléments qui permettent de structurer cette com­pétition : coût, exhaustivité, qualité, rapidité, commodité, « aubaine empêtrée », la bibliothèque, service public, n’est pas dépourvue d’atouts, même si, à l’éco­nomie de la rareté qui a présidé à son expansion, a succédé une économie de l’abondance, essentiellement sur les ressources (les collections) qu’elle pro­pose. Et si l’avenir était au lieu, au « troisième lieu », comme service irrempla­çable d’une politique publique affirmée ?

Le projet pierresvives : bibliothèques en concurrence ?Mélanie Villenet-Hamel

Initié en 2000 par le conseil général de l’Hérault, le projet pierresvives regroupe dans un même bâtiment conçu par Zaha Hadid les archives départementales, la bibliothèque départementale et un office des sports. Même si ces entités (aux­quelles il faut adjoindre celle qui a la gestion de l’ensemble) n’ont ni les mêmes missions, ni les mêmes modes de fonctionnement, l’article analyse les possibles concurrences, notamment en matière de budget ou de personnel, qui peuvent se faire jour entre elles. Est examiné aussi, pour ce qui est de la bibliothèque proprement dite, les complémentarités à établir avec les institutions culturelles comparables de la ville de Montpellier, et au­delà.

Le NBD Biblion : partenaire, fournisseur ou concurrent des bibliothèques néerlandaises ?Amandine Jacquet

Agence commerciale et fondation à but non lucratif, la société hollandaise NBD Biblion est cogérée par des bibliothèques, des éditeurs et des libraires. Elle pro­pose à l’ensemble des bibliothèques des Pays­Bas des prestations de nature variée, incluant, entre autres, la gestion des acquisitions, intellectuelle et maté­rielle. Avec la nouvelle donne numérique, la société essaie de développer des services de prêt de e­books, propose des magazines aux bibliothèques, la réé­dition d’ouvrages épuisés, l’impression à compte d’auteur, envisage la création d’un salon du livre, etc.

La médiathèque d’AlhóndigaBilbao : un modèle de partenariat de gestion publique-privéeAlasne Goikoetxea

La médiathèque BBK d’AlhóndigaBilbao a ouvert ses portes en octobre 2010, dans un ensemble dédié à la culture et aux loisirs qui comprend aussi des lieux d’exposition, des salles de cinéma, un auditorium, une piscine, etc. Bénéficiant d’un large mécénat de la banque Bilbao Bizkaia Kutxa (BBK), la médiathèque se distingue par un large recours à l’externalisation pour l’ensemble des tâches de gestion, y compris celles liées au traitement des collections et à l’accueil du public. Seules trois personnes gèrent en propre cet équipement de 4 000 m², le reste du personnel provenant de sociétés privées, sélectionnées après appel d’offres, dans le cadre des marchés publics.

Les médiathèques, quelle place dans l’économie des films ?Marianne Palesse et Jean-Yves de Lépinay

L’activité des médiathèques en matière de diffusion des films s’inscrit dans un contexte où il existe déjà de multiples intervenants, salles de cinéma et vidéo­clubs notamment, avec lesquels elles risquent d’être en concurrence. Pour autant, au fil des années, et depuis le programme pionnier de la direction du Livre et de la Lecture, les établissements ont su développer tout à la fois une offre spécifique (films documentaires notamment) et des services originaux qui,

que ce soit les activités de prêt ou de projection, sont plus complémentaires que concurrentielles, dans un contexte où le respect des obligations juridiques est particulièrement contraignant.

Dans la brume électronique : des inquiétudes autour du marché du livre électronique aux États-Unis et de sa présence en bibliothèqueSébastien Respingue-Perrin

Si les bibliothèques ont longtemps été un espace préservé du jeu de la concur­rence, les mutations à l’œuvre aux États­Unis démontrent que le nouvel environ­nement économique du numérique bouscule la chaîne du livre et leur rôle tradi­tionnel. Le marché du livre électronique y étant plus développé qu’en France, les tensions et les opportunités provoquées par ce nouveau support apparaissent plus distinctement. Le service public de la lecture voit sa mission de médiation renforcée et devient force de proposition en inventant de nouvelles formes de partenariats, mais il se retrouve lui­même mis en cause du fait de la disparition des régulations propres à l’univers du livre imprimé.

Un printemps à la BPI : du mode « concurrence » au mode « inclusif »Hélène Deleuze

Entre avril et juin environ, les espaces de lecture de la Bibliothèque publique d’information (BPI) sont régulièrement « envahis » par un public de lycéens qui viennent préparer les épreuves du baccalauréat. Ce public, ignorant des « règles de vie » de l’établissement, et largement concurrent, dans ses pratiques et dans ses besoins, des publics habituels, se trouve de fait en concurrence avec les autres publics. Pour faciliter la mixité, la BPI a mis en place, sous le nom générique d’« Objectif Bac », un certain nombre de dispositifs pour faciliter la cohabitation : espaces spécifiques, bibliographies, gestion différente des places de lecture, aide personnalisée des bibliothécaires, etc.

Usagers et bibliothécaires : concurrence ou co-création ?Xavier Galaup

On le sait, l’avènement d’internet et du monde numérique, « coup dur pour les bibliothèques », oblige ces institutions à repenser très largement les relations qu’elles entretiennent avec leurs usagers. La co­création des activités fait partie des innovations qui permettent de donner un visage plus humain et plus proche de la bibliothèque, dont l’article propose quelques exemples. Mais on peut se demander si, à terme, cette co­création ne pourrait pas devenir une concur­rence, amenant progressivement les usagers à se passer, au sein de la biblio­thèque, des services des bibliothécaires.

Bibliothèques universitaires et concurrence ou comment la communication devrait venir aux bibliothèquesViolaine Appel et Lylette Lacôte-Gabrysiak

Les bibliothèques universitaires connaissent actuellement un phénomène de concurrences multiples. D’une part, elles doivent faire face à la nouvelle offre informationnelle présente en libre accès sur le web. D’autre part, elles sont des composantes au sein d’entités plus vastes, les universités, elles­mêmes placées en concurrence depuis la mise en place de la loi relative aux libertés et respon­sabilités des universités (LRU). Afin de faire face à cette situation, elles n’ont d’autre choix que celui de s’affirmer à travers une stratégie de communication elle­même articulée à celle de leur université de rattachement. Ainsi, il convient de ne plus réduire la communication des organisations aux animations ou à la simple transmission d’informations.

résumés des articles

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Theorising competition in librariesDominique Lahary

As libraries essentially operate outside the market, they are unused to thinking in terms of competition. Yet they always have had competitors, and always will. A number of elements need to be taken into account in structuring competition: cost, exhaustiveness, quality, speed, convenience, and so on. As public services, libraries do have a number of cards to play, even though the economy of scarcity that presided over the spread of the library network has given way to an eco­nomy of abundance, particularly in terms of the resources on offer – in other words, library holdings. Might the future see public policy deliberately turning libraries into “third places”, in recognition of the irreplaceable service they offer?

The pierresvives project: libraries in competition?Mélanie Villenet-Hamel

The pierresvives project, launched in 2000 by regional authorities in Montpel­lier (southern France), houses the Hérault département archives, library, and sports department in one building, designed by Zaha Hadid. Though the three services (and the building management team) all have different remits and working practices, the article sets out to explore potential forms of competition between them, particularly in terms of budgets and staffing. It also looks at the links the library could forge with similar cultural institutions in Montpellier and elsewhere.

NBD Biblion: partner, supplier, or competitor for Dutch libraries?Amandine Jacquet

The Dutch company NBD Biblion is both a commercial agency and a not­for­profit foundation co-managed by libraries, publishers, and bookshops. It pro­vides a range of services for libraries across the Netherlands, including theore­tical and practical assistance in acquisitions management. With the advent of the digital age, the company is trying to develop a new range of services, inclu­ding e­book lending, magazines for libraries, reprinting out­of print works, self­ publishing, etc.; it is also looking at the possibility of setting up a book fair.

The AlhóndigaBilbao multimedia library: managing a library through a public-private partnershipAlasne Goikoetxea

The BBK multimedia library opened in October 2010 in the AlhóndigaBilbao culture and leisure centre, which also houses exhibition spaces, cinemas, an auditorium, a swimming pool, and other facilities. The library, sponsored by the Bilbao Bizkaia Kutxa bank (BBK), has outsourced nearly all of its management functions, including collection management and front desk duties. The dedi­cated management team for the 4000­square­metre site consists of just three people, with the rest of the staff coming from private companies chosen after bidding for the procurement contract.

What place do multimedia libraries hold in the film market?Marianne Palesse and Jean-Yves de Lépinay

When it comes to providing access to films, multimedia libraries face compe­tition from other sources such as cinemas and video clubs. However, over the years since the Direction du Livre et de la Lecture (a quango set up to promote the book sector) launched its pioneering programme, libraries have developed their own niche, particularly focusing on collections of documentaries, together with new services such as lending and organising showings. These are comple­mentary rather than competitive in a context where legal obligations are espe­cially tight.

In the electric mist: The (worrying) impact of the e-book market on American librariesSébastien Respingue-Perrin

Libraries were long protected from competition on the open market, but the recent advent of the digital economy in the United States has thrown the tra­ditional book sector into upheaval. The e­book market has grown faster than in France, meaning that the threats and opportunities it offers are clearer. Public sector structures promoting reading have seen their remit strengthened and are actively seeing new partnerships, while at the same time the very existence of such structures is challenged by the obsolescence of regulations that applied solely to printed material.

La numérisation à la Bibliothèque nationale de France et les investissements d’avenir : un partenariat public-privé en actesDenis Bruckmann et Nathalie Thouny

En partie en réaction aux réalisations de Google en la matière, la Bibliothèque nationale de France (BnF) s’est lancée depuis 2007 dans des opérations de numérisation de masse, aux coûts très élevés. Dans le cadre de l’emprunt na­tional aux investissements d’avenir, l’État a créé pour la mise en œuvre de la part de ces programmes consacrés au développement de l’économie numé­rique un Fonds national pour la société numérique (FSN), dont le mode de fonctionnement, dit de « l’investisseur avisé », inclut une gestion comparable à celle d’une entreprise privée. Pour financer ses opérations de numérisation, la BnF a lancé un appel à partenariats et mis en place une filiale spécifique, « BnF­Partenariats ».

Les « cafés mangas » : une concurrence riche d’enseignementsNicolas Beudon

Depuis un certain temps, on voit apparaître en France des cafés mangas. Il s’agit d’établissements nés au Japon, où l’on peut consulter de façon payante des collections de mangas. Ces offres alternatives (et même concurrentes) des bibliothèques de lecture publique sont particulièrement instructives. En effet, elles savent tirer parti des spécificités du format manga et des pratiques cultu­relles qui lui sont associées, qui sont souvent largement ignorées des bibliothé­caires, pourtant de plus en plus amenés à constituer des fonds de ce type.

Les bibliothèques au cinéma : différentes représentations à l’œuvreHoël Fiorreti

Cet article est une version condensée du mémoire d’étude « La représentation des bibliothèques au cinéma ». Il décrit la manière dont les bibliothèques appa­raissent dans un corpus de 27 films de fiction, en se concentrant plus particu­lièrement sur deux points. D’abord, la manière dont la bibliothèque apparaît à l’écran. Ensuite, sa fonction, son rôle dans le récit. En fin de parcours, on dé­couvre que les différents phénomènes observés sont en réalité les indices d’ima­ginaires des bibliothèques, hérités de leur histoire.

abstracts

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Spring at the BPI: from competition to inclusionHélène Deleuze

The Bibliothèque publique d’information (BPI, public information library) is “invaded” between April and June every year by final year pupils studying for their bac (final exams). These occasional users are unfamiliar with the unspo­ken rules of library conduct and as such their needs and practices are in com­petition with those of regular readers. The BPI has made efforts to reconcile the two groups, introducing the “Objectif bac” programme to improve conditions for both categories of reader, offering dedicated work spaces, bibliographies, a different way of allocating seats, individual help from librarians, and so on.

Readers and librarians: competition or co-planning?Xavier Galaup

It is often noted that the advent of the internet and the digital age have been a blow for libraries, forcing them to rethink their relationship with users. Co-planning new activities is one of the innovations that can give libraries a more human face. The article presents a few examples of such projects. However, this raises the question of whether co­planning might not become competition in the long term, as readers gradually learn to manage without librarians even within the library itself.

University libraries and competition, or how libraries need to learn to communicateViolaine Appel and Lylette Lacôte-Gabrysiak

University libraries across France are currently facing a number of sources of competition. Vast quantities of information are freely available on the internet. At the same time, the universities they belong to are themselves in competition following the implementation of a new law governing the freedoms and res­ponsibilities of universities. Libraries have no choice but to develop their own communication strategies in liaison with the wider strategy developed by their home university. Simply organising events on site and sending out information is no longer enough.

Digitisation at the Bibliothèque Nationale de France and investing for the future: A public-private partnership in practiceDenis Bruckmann and Nathalie Thouny

The BnF launched a highly costly mass digitisation programme in 2007, partly in reaction to Google’s similar project. To implement the project, the French go­vernment set up a national fund for the digital society as part of its national loan for future investment. This national fund is run on “smart investment” lines, including management practices comparable to those of private enterprise. The BnF launched a call for partners to finance the digitisation programme via its subsidiary BnF-Partenariats, set up specifically for this purpose.

Manga cafés: a source of competition that has much to teach librariansNicolas Beudon

Manga cafés have recently begun springing up in France. The concept, which originated in Japan, involves readers paying to read mangas. This alternative, or rather competitor, to traditional public library services has much to teach librarians. The cafés take full advantage of the specific nature of the manga format and the cultural practices that go along with it. These are often wholly unfamiliar to librarians, who are increasingly being required to build up manga collections.

Representing libraries in filmHoël Fiorreti

The present article is an abridged version of the author’s dissertation on how libraries are represented in film. It looks at a corpus of 27 films, focusing par­ticularly on two points: how libraries appear on screen and the role they play in the narrative. The study concludes that the way libraries are represented in film reflects their place in the collective imagination – a place influenced by their history and heritage.

zusammenfassungen

Die konkurrierende Bibliothek begreifenDominique Lahary

Die Bibliothek, im Wesentlichen keine Handelsstruktur, ist nicht daran gewöhnt, sich in Konkurrenz zu glauben. Jedoch ist sie dies und ist es immer gewesen. Die Elemente, die es ermöglichen, diesen Wettbewerb zu strukturieren, müssen daher erfasst werden: Kosten, Vollständigkeit, Qualität, Schnelligkeit, Komfort… „Verstrickter Glücksfall“, die Bibliothek, öffentlicher Dienst, ist nicht ohne Vor­teile, auch wenn auf die Sparwirtschaft, die ihre Ausbreitung gelenkt hat, eine Überflusswirtschaft, im Wesentlichen bei den Ressourcen (den Sammlungen), die sie anbietet, folgte. Und wenn die Zukunft am Ort, am „dritten Ort“, als unersetzbarer Dienst einer gefestigten öffentlichen Politik stände?

Das Projekt „pierresvives“ (lebendige Steine): konkurrierende Bibliotheken?Mélanie Villenet-Hamel

Das im Jahre 2000 vom Conseil général de l’Hérault initiierte Projekt „Pier­revives“ (lebendige Steine) vereint im selben von Zaha Hadid konzipierten Gebäude die Départementsarchive, die Départementsbibliothek und ein Sport­amt. Auch wenn diese Einheiten (zu denen jene, die die Verwaltung des Gan­zen innehat, hinzugefügt werden muss) weder den gleichen Auftrag noch die gleichen Funktionsweisen haben, analysiert der Artikel die möglichen Konkur­renzen, insbesondere das Budget oder das Personal betreffend, die unter ihnen aufkommen können. Was die eigentliche Bibliothek betrifft, werden auch die mit

den vergleichbaren kulturellen Einrichtungen der Stadt Montpellier und darüber hinaus herzustellenden Komplementaritäten untersucht.

NBD Biblion: Partner, Anbieter oder Konkurrent der niederländischen Bibliotheken?Amandine Jacquet

Das holländische Unternehmen NBD Biblion, Handelsagentur und gemeinnüt­zige Stiftung, wird von Bibliotheken, Verlegern und Buchhandlungen gemein­sam verwaltet. Es bietet der Gesamtheit der Bibliotheken der Niederlande Dienstleistungen verschiedener Art an, die unter anderem die inhaltliche und materielle Verwaltung der Erwerbungen beinhalten. Mit der neuen digitalen Lage versucht das Unternehmen Ausleihdienste von e­books zu entwickeln, bie­tet den Bibliotheken Zeitschriften an, die Neuauflage vergriffener Werke, Druck im Selbstverlag, plant die Gründung einer Buchmesse, etc.

Die Mediathek Alhóndiga Bilbao: ein Partnerschaftsmodell öffentlicher und privater FührungAlasne Goikoetxea

Die Mediathek BBK Alhóndiga Bilbao hat ihre Türen im Oktober 2010 in einer der Kultur und Freizeit gewidmeten Einheit, die auch Ausstellungsräume, Kinosäle, ein Auditorium, ein Schwimmbad, etc. umfasst, eröffnet. Da die Mediathek von einem großzügigen Sponsoring der Bank Bilbao Bizkaia Kutxa

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(BBK) profitiert, unterscheidet sie sich durch ein weitgehendes Zurückgreifen auf die Ausgliederung der Gesamtheit der Verwaltungsaufgaben, einschließlich jener, die mit der Bestandsbearbeitung und der Benutzerbetreuung in Zusam­menhang stehen. Nur drei Personen verwalten eigenhändig diese Einrichtung von 4000 m², der Rest des Personals stammt aus Privatunternehmen und wurde im Rahmen öffentlicher Ausschreibungsverfahren ausgewählt.

Welchen Platz nehmen die Mediatheken in der Filmwirtschaft ein?Marianne Palesse und Jean-Yves de Lépinay

Die Aktivität der Mediatheken auf dem Gebiet der Verbreitung des Films ges­schieht in einem Kontext, in dem schon vielfältige Beteiligte existieren, insbe­sondere Kinosäle und Videoclubs, mit denen sie Gefahr laufen, zu konkurrieren. Dennoch konnten die Einrichtungen im Laufe der Jahre und seit dem wegbe­reitenden Programm der Direction du Livre et de la Lecture gleichzeitig ein spe­zifisches Angebot (insbesondere Dokumentarfilme) und eigenständige Dienste entwickeln, die, ob es Leih­ oder Vorführungsaktivitäten seien, in einem Kontext, in dem der Respekt juristischer Verpflichtungen besonders zwingend ist, eher ergänzend als konkurrierend sind.

Im elektronischen Nebel: Besorgtheit um den elektronischen Buchmarkt in den Vereinigten Staaten und seine Präsenz in der BibliothekSébastien Respingue-Perrin

Auch wenn die Bibliotheken lange Zeit ein vor dem Konkurrenzspiel geschütz­ter Ort gewesen ist, beweisen die in den Vereinigten Staaten stattfindenden Umbrüche, dass das neue wirtschaftliche Umfeld der Digitaltechnik die Pha­sen der Buchproduktion und ihre traditionelle Rolle zum Schwanken bringt. Da der elektronische Buchmarkt dort weiter entwickelt ist als in Frankreich, erscheinen die von diesem neuen Medium hervorgerufenen Spannungen und Gelegenheiten deutlicher. Das öffentliche Bibliothekswesen sieht seinen Auftrag der Vermittlung verstärkt und wird treibende Kraft, indem es neue Formen der Partnerschaft erfindet, aber es befindet sich selbst in Frage gestellt durch die Tatsache des Wegfalls der eigentlichen Regelungen des Umfelds des gedruckten Buches.

Ein Frühling an der Bpi: vom „Konkurrenz-“ zum „Einbeziehungsmodus“Hélène Deleuze

Etwa zwischen April und Juni werden die Leseräume der Bibliothèque publique d’information (BPI) regemläßig von einem Gymnasiastenpublikum „übers­trömt“, das kommt, um die Abiturprüfungen vorzubereiten. Dieses Publikum, das die „Lebensregeln“ der Einrichtung ignoriert und in seinen Gewohnheiten und Bedürfnissen bei weitem konkurrierend mit den gewohnten Besuchern ist, befindet sich in der Tat in Konkurrenz mit den anderen Benutzern. Um die gemischte Struktur zu vereinfachen, hat die Bpi unter dem Begriff „Ziel Abitur“ eine gewisse Anzahl von Maßnahmen zur Vereinfachung des Zusammenlebens eingesetzt: spezifische Räumlichkeiten, Bibliografien, andere Verwaltung der Leseplätze, individuelle Beratung durch die Bibliothekare, etc.

Benutzer und Bibliothekare: Konkurrenz oder gemeinsames Schaffen?Xavier Galaup

Man weiss es, der Durchbruch des Internet und der digitalen Welt, „harter Schlag für die Bibliotheken“, verpflichtet diese Einrichtungen, ihre Beziehungen, die sie mit den Benutzern pflegen, gründlich zu überdenken. Das gemeinsame Schaffen der Aktivitäten gehört zu den Innovationen, die es ermöglichen, der Bibliothek ein menschlicheres und nahestehenderes Gesicht zu verleihen, von denen der Artikel einige Beispiele unterbreitet. Man kann sich aber fragen, ob dieses gemeinsame Schaffen früher oder später nicht eine Konkurrenz werden könnte, indem es die Benutzer schrittweise dazu bringt, in der Bibliothek ohne die Dienste der Bibliothekare auszukommen.

Universitätsbibliotheken und Konkurrenz oder wie die Kommunikation zu den Bibliotheken kommen müssteViolaine Appel und Lylette Lacôte-Gabrysiak

Die Universitätsbibliotheken kennen derzeit ein vielfältiges Konkurrenzphäno­men. Zum einen müssen sie mit dem neuen im Web frei zugänglichen Infor­mationsangebot fertig werden. Zum anderen sind sie Bestandteile innerhalb größerer Einheiten, den Universitäten, die seit der Verabschiedung des Gesetzes über die Freiheit und die Verantwortlichkeit der Universitäten (LRU) selbst in Konkurrenz stehen. Um sich dieser Situation zu stellen, haben sie keine andere Wahl als durch eine auch an jene ihrer angegliederten Universität angepasste Kommunikationsstrategie erkennbar zu werden. Somit ist es angebracht, die Kommunikation der Organisationen nicht mehr auf Animationen oder die ein­fache Informationsvermittlung zu reduzieren.

Die Digitalisierung an der Französischen Nationalbibliothek und die Zukunftsinvestitionen: eine verankerte öffentlich-private PartnerschaftDenis Bruckmann und Nathalie Thouny

Die Französische Nationalbibliothek (BnF) versucht sich seit 2007 in Opera­tionen der Massendigitalisierung zu sehr hohen Kosten, teilweise aus Reaktion auf die Realisierungen von Google auf diesem Gebiet. Der Staat hat im Rahmen der Nationalanleihe bei Zukunftsinvestitionen zur Durchführung von Teilen dieser der Entwicklung der Digitalwirtschaft einen Nationalfond für die digitale Gesellschaft (FSN) eingesetzt, deren Funktionsweise, des so genannten „klugen Investitionsträgers“, eine mit einem Privatunternehmen vergleichbare Führung miteinschließt. Zur Finanzierung dieser Digitalisierungsoperationen hat die BnF einen Aufruf zu Partnerschaften gestartet und eine spezifische Filiale „BnF-Par­tnerschaften“ eingerichtet.

„Manga-Cafés“: eine lehrreiche KonkurrenzNicolas Beudon

Seit einiger Zeit sieht man in Frankreich Manga-Cafés zum Vorschein kommen. Es handelt sich um in Japan entstandene Einrichtungen, wo man kostenpflichtig Mangasammlungen benutzen darf. Diese alternativen (und sogar konkurrie­renden) Angebote zu den öffentlichen Bibliotheken sind besonders lehrreich. Sie verstehen es in der Tat, Nutzen aus den spezifischen Besonderheiten des Mangaformats und der kulturellen Praktiken, die mit ihm einhergehen und die oft weitgehend von den Bibliothekaren ignoriert werden, zu ziehen. Sie werden jedoch mehr und mehr dazu gebracht, Bestände dieser Art aufzubauen.

Die Bibliotheken im Kino: verschiedene Darstellungen am WerkHoël Fiorreti

Dieser Artikel ist eine Kurzfassung der Diplomarbeit „Die Darstellung der Bibliotheken im Kino“. Er beschreibt die Art und Weise, in der die Bibliothe­ken in einem Korpus von 27 Filmen Spielfilmen erscheinen und konzentriert sich insbesondere auf zwei Punkte. Zunächst die Art, in der die Bibliothek auf dem Bildschirm erscheint. Dann ihre Funktion, ihre Rolle in der Erzählung. Letztend lich entdeckt man, dass die verschiedenen beobachteten Phänomene in Wirklichkeit die aus ihrer Geschichte geerbten Anzeichen der Vorstellungswelten von Bibliotheken sind.

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resúmenes

Pensar la biblioteca en competenciaDominique Lahary

La biblioteca, estructura esencialmente no mercante, no tiene la costumbre de pensarse en competencia. Sin embargo, ella lo está y siempre lo ha estado. Por lo tanto hay que tomar en cuenta los elementos que permiten estructurar esta competencia. Costo, exhaustividad, calidad, rapidez, comodidad... “Ganga enre­dada”, la biblioteca, servicio público, no está desprovista de bazas, aun si, a la economía de la rareza que preside a su expansión, ha sucedido una economía de la abundancia, esencialmente en los recursos (las colecciones) que ella pro­pone. ¿Y si el porvenir estaba en el lugar, en el “tercer lugar”, como servicio irremplazable de una política pública afirmada?

El proyecto piedrasvivas: ¿bibliotecas en competencia?Mélanie Villenet-Hamel

Iniciado en el 2000 por el consejo general del Hérault, el proyecto piedras vivas reagrupa en un mismo edificio concebido por Zaha Hadid los archivos departa­mentales, la biblioteca departamental y una oficina de deportes. Aunque estas entidades (a las cuales hay que adjuntar la que tiene la gestión del conjunto) no tienen ni las mismas misiones, ni los mismos modos de funcionamiento, el artículo analiza las posibles competencias, particularmente en materia de pre­supuesto o de personal, que pueden dar a luz entre ellas. También se ha exami­nado, en lo que concierne a la biblioteca propiamente dicha, las complementa­riedades a establecer con las instituciones culturales comparables de la ciudad de Montpellier, y más allá.

El NBD Biblion: ¿socio, suministrador o competidor de las bibliotecas neerlandesas?Amandine Jacquet

Agencia comercial y fundación con objetivo no lucrativo, la sociedad holandesa NBD Biblion es coadministrada por bibliotecas, editores y librerías. Ella pro­pone al conjunto de las bibliotecas de los Países Bajos prestaciones de natu­raleza variada, incluyendo, entre otros, la gestión de las adquisiciones, intelec­tuales y materiales. Con la nueva baraja digital, la sociedad trata de desarrollar servicios de préstamo de ebooks, propone revistas a las biliotecas, la reedición de la obras agotadas, la impresión a cuenta de autor, contempla la creación de un salón del libro, etc.

La mediateca de AlhóndigaBilbao: un modelo de asociación de gestión pública-privadaAlasne Goikoetxea

La mediatecaBBK de AlhóndigaBilbao abrió sus puertas en octubre del 2010, en un conjunto dedicado a la cultura y las diversiones que comprende también lugares de exposición, salas de cine, un auditorio, una piscina, etc. La media­teca, que se beneficia de un amplio mecenato del Banco Bilbao Bizkaia Kutxa (BBK), se distingue por un amplio recorrido a la externalización por el conjunto de las tareas de gestión, incluyendo aquellas ligadas al tratamiento de las colec­ciones y a la acogida del público. Sólamente tres personas administran apro­piadamente este equipamiento de 4000 m², el resto del personal proviene de sociedades privadas, seleccionadas después de la licitación, en el marco de los mercados públicos.

Las mediatecas, ¿qué lugar en la economía de las películas?Marianne Palesse y Jean-Yves de Lépinay

La actividad de las mediatecas en materia de difusión de películas se inscribe en un contexto donde ya existen multiples participantes, salas de cine y video­clubes particularmente, con los cuales corren el riesgo de estar en competencia.

Sin embargo, a lo largo de los años, y después del programa pionero de la direc­ción del Libro y de la Lectura, los establecimientos han sabido desarrrollar al mismo tiempo una oferta específica (películas documentales sobre todo) y ser­vicios originales que, ya sean las actividades de préstamo o de proyección, son más complementarias que competidoras, en un contexto donde el respeto de las obligaciones jurídicas es particularmente limitador.

En la bruma electrónica: inquietudes alrededor del mercado del libro electrónico en los Estados Unidos y de su presencia en bibliotecaSébastien Respingue-Perrin

Si las bibliotecas han durante largo tiempo sido un espacio preservado del juego de la competencia, las mutaciones en la práctica en los Estados Unidos demuestran que el nuevo entorno económico de lo digital sacude la cadena del libro y su papel tradicional. Estando ahí el mercado del libro electrónico más desarrollado que en Francia, las tensiones y las oportunidades provocadas por este nuevo soporte aparecen más distintamente. El servicio público de la lec­tura ve su misión de mediación reforzada y se vuelve una fuerza de proposición inventando nuevas formas de asociaciones, pero él mismo se encuentra puesto en causa por el hecho de la desapacición de la regualciones propias al universo del libro impreso.

Una primavera en la BPI: del modo “competencia” al modo “inclusivo”Hélène Deleuze

Entre abril y junio aproximadamente, los espacios de lectura de la Biblioteca pública de información (BPI) son “invadidos” por un público de estudiantes de liceos que vienen a preparar las pruebas del bachillerato. Este público, que ignora las “reglas de la vida” del establecimiento, y ampliamente competidor, en sus prácticas y en sus necesidades, de los públicos habituales, se encuentra de hecho en competencia con los otros públicos. Para facilitar la mixidad, la BPI ha instalado, bajo el nombre genérico de “Objetivo: Bac”, un cierto número de dispositivos para facilitar la convivencia: espacios específicos, bibliografías, gestión diferente de los lugares de lectura, ayuda personalizada de los biblio­tecarios, etc.

Usuarios y bibliotecarios: ¿competencia o co-creación?Xavier Galaup

Como se sabe, el advenimiento de internet y del mundo digital, “golpe duro para las bibliotecas” obliga a estas instituciones a repensar muy ampliamente las relaciones que mantienen con sus usuarios. La co­creación de actividades forma parte de las innovaciones que permiten dar un rostro más humano y más próximo de la biblioteca, y este artículo propone algunos ejemplos. Pero pode­mos preguntarnos, si a plazos, esta co­creación no podría volverse una compe­tencia, llevando progresivamente a los usuarios a no necesitar, en el seno de la biblioteca, de los servicios de los bibliotecarios.

Bibliotecas universitarias y competencia o cómo la comunicación debería venir a las bibliotecasViolaine Appel y Lylette Lacôte-Gabrysiak

Las bibliotecas universitarias conocen actualmente un fenómeno de competen­cias multiples. Por una parte, ellas deben hacer frente a la nueva oferta infor­macional presente en libre acceso en la web. Por otra parte, ellas son las com­ponentes en el seno de entidades más vastas, las universidades, ellas mismas colocadas en competencia desde la implantación de la ley Libertades y respon­sabilidades de las universidades (LRU). Con el fín de hacer frente a esta situa­ción, éstas no tienen otra opción que la de afirmar a través de una estrategia de comunicación ella misma articulada a la de universidad de anexión. De esta

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manera, conviene ya no reducir la comunicaión de las organizaciones a las ani­maciones o a la simple transmisión de informaciones.

La digitalización en al Biblioteca nacional de Francia y las inversiones del futuro: una asociación pública-privada en actosDenis Bruckman y Nathalie Thouny

En parte en reacción a las realizaciones de Google en la materia, la Biblioteca nacional de francia (BnF) se ha lanzado desde el año 2007 en operaciones de di­gitalización de masa, con costos muy elevados. En el marco del empréstamo na­cional a las inversiones de futuro, el Estado ha creado para la ejecución de parte de estos programas consagrados al desarrollo de la economía digital un Fondo nacional para la sociedad digital (FSN), cuyo modo de funcionamiento, llamado “el inversor prevenido”, incluye una gestión comparable a la de una empresa privada. Para finaciar sus operaciones de digitalización, la BnF ha lanzado un llamado a asociaciones y montaje de una filial específica, “BnF – Asociaciones”.

Los “cafés mangas”: una competencia rica de enseñanzasNicolas Beudon

Desde hace un cierto tiempo, vemos aparecer en Francia cafés mangas. Se trata de establecimiento nacidos en Japón, donde se puede consultar mediante pago colecciones de mangas. Estas ofertas alternativas (e incluso competidoras) de las bibliotecas de lectura pública sont particularmente instructivas. En efecto, éstas saben sacar partido de las especificidades del formato manga y de las prácticas culturales a las que se les asocia, que son a menudo ampliamente ignoradas de los bibliotecarios, sin embargo cada vez más llevadas a constituir fondos de este tipo.

Las bibliotecas en el cine: diferentes representaciones en acciónHöel Fiorreti

Este artículo es una versión condensada de la tesina de estudio “La representa­ción de las bibliotecas en el cine”. Este describe la manera en la que las biblio­tecas aparecen en un corpus de 27 películas de ficción, concentrándose más particularmente en dos puntos. En primer lugar, la manera en la que la biblio­teca aparece en la pantalla. Luego, su función, su papel en el relato. Al fin del recorrido, se descubre que los diferentes fenómenos observados son en realidad los indicios de imaginarios de las bibliotecas, heredados de su historia.

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Les bibliothèques au cinéma : différentes représentations à l’œuvre

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DOSSIER

La bibliothèque en concurrence

1 – FrictionsPenser la bibliothèque en concurrenceDominique Lahary

Le projet pierresvives : bibliothèque en concurrence ?Mélanie Villenet-Hamel

Le NBD Biblion : partenaire, fournisseur ou concurrent des bibliothèques néerlandaises ?Amandine Jacquet

La médiathèque d’AlhóndigaBilbao : un modèle de partenariat de gestion publique-privéeAlasne Martin Goikoetxea

2 – ConfrontationsLes médiathèques, quelle place dans l’économie des films ?Marianne Palesse et Jean-Yves de Lépinay

Dans la brume électronique : des inquiétudes autour du marché du livre électronique aux États-Unis et de sa présence en bibliothèqueSébastien Respingue-Perrin

Un printemps à la BPI : du mode « concurrence » au mode « inclusif »Hélène Deleuze

Usagers et bibliothécaires : concurrence ou co-création ?Xavier Galaup

3 – MixtionsBibliothèques universitaires et concurrence ou comment la communication devrait venir aux bibliothèquesViolaine Appel et Lylette Lacôte-Gabrysiak

La numérisation à la Bibliothèque nationale de France et les investissements d’avenir : un partenariat public-privé en actesDenis Bruckmann et Nathalie Thouny

Les « cafés mangas » : une concurrence riche d’enseignementsNicolas Beudon

À PROPOSLes bibliothèques au cinéma : différentes représentations à l’œuvreHoël Fioretti

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Juillet 2012