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ISSN 1016-0744 ISSN 1225-9101 A RTS ET C ULTURE DE C OR ÉE Vol. 10, N° 3 Automne 2009 Des objets bouddhistes au grand jour, 1 400 ans après

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Koreana Autumn 2009 (French)

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K o r e a n a r t & C u l t u r e vol. 24, no. 2 Summer 2009

ISSn 1016-0744ISSn 1225-9101

a r t s e t C u l t u r e d e C o r É e vol. 10, n° 3 Automne 2009

Des objets bouddhistes au grand jour, 1 400 ans après

vol. 24, no. 2 Sum

mer 2009

vol. 10, n° 3 A

utomne 2009

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BEAUTÉS DE CORÉE

Le « begaenmo » une parure d’oreiller

e terme « begaenmo » désigne le capiton servant à orner les extrémités d’un oreiller de style traditionnel coréen, lequel diffère considérablement de son équivalent occi-

dental, en particulier par son rembourrage composé d’éléments aussi divers que des haricots rouges ou mung, du son de riz, de l’ivraie du sarrasin ou des pétales de fleurs séchées qui prennent place dans une enveloppe en toile. Contrairement à la mollesse duveteuse appréciée à l’ouest, une plus grande fermeté et un encombrement plus faible caractérisent cet oreiller coréen de forme le plus souvent rectangulaire ou cylindrique.

En outre, la coutume voulait qu’il soit agré-menté à ses deux extrémités de motifs pou-vant consister en incrustations de nacre dites « najeonchim » ou de fines lamelles de corne de bœuf décorées à la main, les « hwagak-chim », l’ornement de loin le plus prisé étant toutefois en broderie. Dans ce dernier cas, il s’agissait en général de symboles de bonne fortune et de longévité, mais ces décors variaient souvent en fonction du sexe et de la condition sociale de l’utilisateur, faisant ainsi alterner papillons et fleurs telles que la pivoine, l’orchidée, le lotus et la fleur de prunelier, qui avaient la préférence des femmes, tandis que le pin ou le bambou, évocateurs de la droiture, convenaient supposément davantage aux hommes. Lorsque cette pièce de literie était desti-née à de jeunes mariés, elle pouvait s’orner d’un couple de phénix et de sept oiselets symbolisant bonheur conjugal et fécondité. Parmi les motifs de prédilection des Coréens d’autrefois, figu-raient aussi des symboles de longévité tels que la grue, le cerf, le pin, la tortue et le « bullocho », c’est-à-dire le champignon de l’immortalité, ainsi que des idéogrammes chinois de bon augure.

Au temps jadis, c’est la mère qui se chargeait de broder ces décors à l’intention de son époux et de ses enfants, en y mettant tout son amour et en y apportant un grand soin, comme en témoi-gnent des œuvres poétiques telles que ce texte intitulé « Mon amour endormi », que composa le poète coréen moderne Seo Jeong-ju (1915-2000) sous le pseudonyme de Midang et dont est extrait le vers suivant : « Mon amour endormi, je me fais grue en vol au bord de son oreiller ».

La pièce représentée sur la photographie ci-dessus est constituée d’une extrémité d’oreiller royal brodée de symboles de longévité, comme l’indique son intitulé, et présente un décor

de grues bleues et jaunes, ainsi qu’une frise en dents de scie censée éloigner la malchance. Selon Huh Dong

Hwa, directrice du Musée coréen de la brode-rie et propriétaire de cet objet, les senteurs musquées qui émanent de cet accessoire démontrent sans conteste qu’il provenait

du palais royal. L’Exposition de « begaenmo » qui s’est déroulée, au mois d’octobre dernier, au

Musée de broderie coréenne du quartier de Nonhyeon-dong, à Séoul, a fourni aux visiteurs l’occasion exceptionnelle de décou-vrir la centaine d’extrémités d’oreillers de type courant ou royal qui composent une collection vieille de plusieurs décennies, celle de Huh Dong Hwa.

Cet article de literie apporte un nouvel exemple de l’importan-ce et de la valeur qu’accordaient les gens du peuple aux simples objets de la vie quotidienne qu’étaient les oreillers, dessus-de-lit et vêtements dont les motifs décoratifs, tout en rehaussant leurs qualités esthétiques, exprimaient un vœu de santé et de prospé-rité.

L© Le Musée de la broderie coréenne

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Arts et Culture de Corée Vol.10, N° 3 Automne 2009

Le chantier de restauration de la pagode en pierre du Temple de Mireuksa a permis la découverte d’un reliquaire en or renfermant un vase à sarira, ainsi que d’autres objets.

© Seo Heun-kang

8 LapagodeenpierreduTempledeMireuksa KimBongGon

16 LesreliquesbouddhistesdelapagodeenpierreduTempledeMireuksa

LeeKwang-Pyo

26 LeTempledeMireuksaetlalégendedeSeodong ChoHeungWook

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32 DOSSIERS

Rénovation et réouverture du Théâtre d’art de Myeong-dong Kim Moon-hwan

40 ENTRETIEN Kang Sue Jin

La ballerine Kang Sue Jin éblouit le public mondial | Chung Sang-Young

46 ARTISAN Sohn Dae-Hyun

De multiples couches à l’éternel éclat | Park Hyun Sook

52 CHEFS-D’ŒUVRE

Kim Hong-do capte l’esprit de Joseon | Jin Jun-hyun

56 CHRONIQUE ARTISTIQUE

Une rétrospective des trente ans du Festival de théâtre de Séoul

Gu Hee-seo

62 À LA DÉCOUVERTE DE LA CORÉE John Walker

Le livre d’enfants d’un cœur épris de nature | Hwang Sun-Ae

66 SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE Younghi Pagh-Paan

La compositrice Younghi Pagh-Paan donne le sourire aux mélomanes Kang Unsu

70 ESCAPADE Jangheung

Jangheung, ville des passionnés de littérature | Kim Hyungyoon

78 CUISINE

Diététique du « torantang » de Chuseok | Shim Young Soon

82 REGARD EXTÉRIEUR

Chronique ordinaire d’expatriés en Corée | Michel Puchercos

84 VIE QUOTIDIENNE

Le séjour en habitat traditionnel, une nouvelle formule d’hébergement rural | Charles La Shure

89 APERÇU DE LA LITTÉRATURE CORÉENNE

Kim Jung-hyuk L’aspiration à une autre éthique | Shin Soojeong

Une bibliothèque d’instruments | Traduction : Kim Jeong-yeon et Suzanne Salinas

Publication trimestrielle de la Fondation de Corée2558 Nambusunhwan-ro, Seocho-gu, Séoul 137-863 Corée du Sudwww.kf.or.kr

ÉITEUR Yim Sung-joonDIRECTEUR DE LA RÉDACTION Hahn Young-heeREDACTRICE EN CHEF Park Jeong-yeopCOMITÉ DE RÉDACTION Cho Sung-taek,Han Kyung-koo, Han Myung-hee, Jung Joong-hun, Kim Hwa-young, Kim Moon-hwan, Kim YoungnaCONCEPTION ET MISE EN PAGE Kim’s Communication AssociatesRÉDACTEUR EN CHEF ADJOINT Lim Sun-kunPHOTO DIRECTOR Kim Sam DIRECTEUR ARTISTIQUE Lee Duk-limDESIGNER Kim Su-hye

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Koreana, revue trimestrielle enregistrée auprèsdu Ministère de la Culture et du Tourisme (Autorisation n° Ba-1033 du 8 août 1987), est aussi publiée en chinois, anglais, espagnol, arabe, russe, japonais et allemand.

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Le haut degré d’évolution de l’artisanat d’époque Baekje se révèle sur les vases intérieur et extérieur du reliquaire en or qui renfermait des sarira, ces grains ou perles d’une matière semblable au cristal se trouvant parfois parmi les cendres des moines bouddhistes parvenus à l’illumination ou de maîtres spirituels.

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Le chantier de restauration dont fait actuellement l’objet la plus vieille pagode en pierre de Corée (Trésor national n°11) à Mireuksa, un temple construit sous le royaume de Baekje, a permis de découvrir des objets bouddhistes datant du septième siècle, notamment des sarira et diverses reliques dont l’état de conserva-tion est jugé excellent et qui apportent des indications précises sur l’époque où fut édifié ce sanctuaire, ainsi que sur l’ omniprésence du bouddhisme dans la société d’alors.

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LapagodeenpierreduTempledeMireuksa

Situé au royaume de Baekje, où il fut le sanctuaire le plus important de la période des Trois Royaumes (Ier siècle av. J.-C. - VIIe siècle ap. J.-C.), le Temple de Mireuksa comporte aujourd’hui encore une pagode en pierre dont la restauration vient de révéler des objets bouddhistes qui datent du septième siècle et éclairent d’un jour nouveau les origines de cet ensem-ble d’édifices et la diffusion de la pensée bouddhiste dans la société d’alors.

Kim Bong Gon, Directeur général de l’Institut national de la recherche sur le patrimoine culturel

Photographie Institut national de la recherche sur le patrimoine culturel | Seo Heun-kang Photographe

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Au mois de janvier 2009, les fondations d’une pagode si-tuée au Temple de Mireuksa révélaient au grand jour une

multitude de reliques bouddhistes qui gisaient enchâssées entre leurs pierres depuis près de mille quatre cents ans et allaient, de même que leur emplacement, éveiller un intérêt considéra-ble dans la presse et les milieux scientifiques. Outre les sarira, ces grains ou perles d’une matière semblable au cristal qui se trouvent parfois parmi les cendres des moines bouddhistes ou maîtres spirituels incinérés, les lieux ont livré un texte traitant de la cérémonie d’enchâssement et datant de l’année dite « de Gilhae », laquelle correspond à l’an 639 de notre ère. Cette pré-cieuse source d’information permet non seulement de situer la construction du Temple de Mireuksa au septième siècle, mais vient aussi corroborer les hypothèses selon lesquelles les tuiles à motifs de lotus découvertes sur les lieux remonteraient à cette même époque.

Circonstances de l’édification du Temple de MireuksaTrentième souverain du royaume de Baekje, le roi Mu (r.

600-641) ordonna la construction du Temple de Mireuksa et consacra d’importants efforts à la réalisation de ce sanctuaire qui était à caractère national, tout comme celui de Hwang-

nyongsa, au royaume de Silla, mais se situait sur un site enclavé entre des galeries et de plus grandes dimensions conformes à son importance supérieure. Après la chute du royaume, Mi-reuksa n’en continua pas moins de prospérer, à en juger par la découverte sur son site d’ornements de bronze en forme de phénix et de tuiles d’avant-toit à motifs de feuilles de vigne datant de la période de Silla Unifié (676-935). Sous la dynastie Goryeo (918-1392), il continua de servir de temple après avoir été reconstruit. Des fouilles antérieures avaient en outre per-mis la découverte de reliques d’époque Goryeo comprenant des tuiles décoratives qui venaient se placer sur les poutres de soutènement du toit, ainsi qu’un grand nombre de pièces de vaisselle en céladon.

À l’avènement de la dynastie Joseon (1392-1910), en favo-risant l’extension du confucianisme au détriment des adeptes du bouddhisme, le pouvoir précipita le déclin de l’architecture bouddhiste à la faveur des palais et bâtiments officiels dont la construction prit son essor. Quant aux reliques d’épo-que Joseon, les spécimens très divers qui en ont été retrouvés se situaient

Le Temple de Mireuksa se distingue par l’implantation contiguë, au sud de sa partie centrale, de trois corps de bâtiments disposant chacun d’une porte intérieure. (Illustration de Baek Keum-lim)

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principalement dans la partie nord du terrain, à proximité des actuelles cellules des moines, et laissent donc penser que la superficie d’origine a été considérablement réduite. Dans l’ouvrage Wayurok, que rédigea en 1738 Kang Hu-jin, il est écrit qu’un siècle auparavant, la foudre avait en partie endom-magé la pagode du Temple de Mireuksa, qui s’élevait au centre d’une rizière. En outre, nombre de spécialistes s’accordent à penser que le temple fut un temps désaffecté suite aux inva-sions japonaises de 1592 à 1598, entre les XVIe et XVIIe siècles.

Avec le temps, il allait tomber dans un état de délabrement allant jusqu’à l’écroulement de ses différents édifices désormais à l’abandon, comme en attestent ces photographies du début du XXe siècle montrant la pagode en pierre à demi effondrée dans sa rizière. Au mois d’août 1974, une équipe d’archéologues de l’Université Wonkwang allait, à l’occasion de ses recherches sur le site, découvrir l’emplacement de la pagode orientale, puis c’était au tour de l’Institut national de la recherche sur le patrimoine culturel de Buyeo d’entreprendre sur les lieux, en 1980, une campagne de fouilles qui s’inscrivait dans le cadre de la localisation de vestiges d’époque Baekje et allait nécessiter un chantier de dix-sept années. Ces travaux allaient révéler que

le Temple de Mireuksa avait été doté en son centre d’une pa-gode en bois, laquelle était flanquée de part et d’autre de deux autres en pierre, ces trois constructions s’alignant le long d’un axe situé d’est en ouest et comportant chacune un Geumdang, c’est-à-dire un « pavillon d’or » septentrional. Par la suite, l’emplacement d’origine du sanctuaire allait être classé Site his-torique n°150, et la pagode en pierre qui s’y dresse aujourd’hui encore, Trésor national n°11.

Une exceptionnelle implantation Au sud, le Temple de Mireuksa est bordé par la chaîne du

Mont Yonghwasan, qui s’étire d’ouest en est, et il fut édifié sur deux dalles de pierre dont l’une se situait au niveau de l’actuelle porte centrale, tandis que l’autre, plus à l’arrière, correspon-dait à l’emplacement d’un pavillon accueillant des réunions. À l’avant, se dressaient les portes du sud et centrale, entre les-quelles s’étendait une zone rectangulaire que délimitaient les galeries reliant les bâtiments. Au centre, trois parties médiane, orientale et occidentale étaient contiguës entre elles et possé-daient chacune pagode, cour

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intérieure et pavillon. Hormis l’unique pavillon réservé aux réunions, seule la pagode centrale se composait de bois, celles de l’est et de l’ouest étant constituées de pierre.

L’agencement parallèle de ces trois parties représente l’une des caractéristiques de style distinctives des temples d’époque Baekje et l’un de ses sens possibles est à chercher dans un soutra où il est écrit qu’il advint un jour que Maitreya, le futur Bouddha habitant les Cieux de Tushita, à savoir le pa-

radis des trente-trois dieux, assura le salut du genre humain en prononçant trois sermons. Le Temple de Mireuksa, qui

est celui de Maitreya, a donc pour fondement philosophique, à l’origine, le culte voué à cette divinité alors vénérée dans

toute l’Asie du Nord-Est et c’est dans le même esprit que s’explique l’enchâssement des trois images de Bouddha

dans le Mireukjeon, c’est-à-dire le pavillon de Maitreya, du Temple de Geumsansa situé à Gimje.

Par ailleurs, l’ouvrage intitulé Samguksagi (His-toire des Trois Royaumes) rapporte que le Temple de

Mireuksa se composait à son achèvement de trois parties pourvues chacune d’un pavillon abritant

une image de Bouddha et d’une pagode où se trou-vaient enchâssés les sarira, les fouilles corroborant l’exis-

tence de celles-ci, ainsi que d’un bassin, et démontrant par là même l’exactitude de ces informations. Si l’architecture

des temples est conçue pour intégrer les préceptes élémentaires du bouddhisme, alors celui de Mireuksa illustre par excellence l’applica-

tion de la pensée philosophique du Bouddha Maitreya à l’implantation des lieux de culte.

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1 À l’entrée de la cour de Mireuksa, ces mâts classés Trésor n°236 servaient autrefois à accrocher les oriflammes du temple.

2 Ces tuiles à motif de lotus et ces fa tières d’extrémité ouvragées, dites « mangsae », ont été découvertes au Temple de Mireuksa.

3 Image de synthèse de la pagode en pierre du Temple de Mireuksa. (Park Jin-ho)

4 La pagode en pierre avant sa restauration.

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Le Temple de Mireuksa est le fruit des efforts qu’un monarque de Baekje, le roi Mu, accomplit en personne pour faire édifier ce sanctuaire destiné à assurer bonheur et prospérité à son royaume et, en tant que bâtiment national, fit appel à l’excellent savoir-faire des meilleurs artisans et techniciens de cette époque restée célèbre pour le haut degré d’évolution de son architecture, comme en attestent les vestiges de celle-ci dans les États voisins de Silla et du Japon.

1 Cette photographie de la pagode en pierre du Temple de Mireuksa figurait dans le Joseongojeokdobo, un in-ventaire illustré des sites historiques coréens que publia l’occupant japonais à l’époque coloniale.

2 Plans de restauration de l’ensemble architectural du Temple de Hwangnyongsa.

3 Le Temple de Mireuksa vu du haut d’une montagne voisine.

4 La restauration de la pagode en pierre occidentale de Mireuksa a mis en concurrence différents projets, dont l’un proposait de ne reconstruire que trois niveaux et de réparer ceux restant (à gauche), tandis qu’un autre consistait en un démontage suivi de la reconstitution de l’aspect extérieur d’origine (à droite).

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Valeur architecturale Située à l’origine dans la partie orientale de l’enceinte, la

pagode à neuf étages allait être reconstruite sur ses fondations en pierre, dans les années quatre-vingt-dix, en se conformant à son aspect antérieur supposé, tandis que celle de l’ouest, dont subsistent six des neufs étages en pierre, est aujourd’hui en cours de démontage en vue de sa restauration.

Comme le stûpa indien dont elle s’inspire, la pagode a pour fonction de permettre l’enchâssement des restes de Bouddha et des moines tenus en grande estime. Composée dans les premiers temps de briques, elle allait par la suite évoluer pour prendre le plus souvent la forme d’un monticule funéraire ar-rondi, tel le Grand Stûpa de Sanchi. À partir de l’introduction du bouddhisme en Chine, le stûpa évolue pour se transfor-mer en un pavillon de bois à plusieurs étages, la pagode, dont l’architecture est alors très répandue dans ce pays, puis lors de l’extension de cette religion sur la péninsule coréenne, qu’allait favoriser le royaume de Goguryeo, des pagodes en bois y feront leur apparition, à l’exemple du pavillon qui s’élève au Temple de Cheongamnisa, dans la capitale nord-coréenne. Grâce à l’abondante présence de granit en Corée, les pagodes de pierre y deviendront la norme et celle de Mireuksa possède ainsi une importante valeur architecturale, par la transition qu’elle a re-présenté, en Corée, entre ces deux matériaux.

Si les pagodes en bois résultent du montage minutieux de différentes pièces et celles en pierre, de l’assemblage d’éléments plus grands et moins complexes, l’examen attentif de l’ouvrage de Mireuksa révèle que les bâtisseurs y ont le plus souvent pro-cédé comme dans le premier cas. Matériau particulièrement vulnérable en cas d’incendie, le bois allait peu à peu se voir substituer la brique, en Chine, et la pierre, en Corée, tandis qu’il restait celui de prédilection dans un Japon plus prospère.

En Corée, des pagodes composées de pavillons à étages fe-ront leur apparition dans les premiers temps du bouddhisme,

celle de Mireuksa devant avoir été une construction de dimen-sions imposantes, à en juger par ses six niveaux restants qui s’élèvent à près de 14,2 mètres, mais aussi par la hauteur d’ori-gine qui figure dans un document retrouvé à Geummaji, dans l’ancien canton de Iksan, lequel appartient à la province de Jeollabuk-do et constituait la circonscription de rattachement du Temple de Mireuksa. Cet ouvrage datant de 1756, trente-deuxième année du règne du roi Yeongjo de la dynastie de Joseon, précise en effet que l’édifice était haut de dix « jangs », ce qui, à raison d’environ dix pieds par unité de mesure, faisait de lui non seulement la plus grande pagode en pierre de Corée, mais aussi d’Extrême-Orient.

La réalisation de cette construction aux dimensions sans précédent dut faire appel aux meilleurs tailleurs de pierre et aux techniques architecturales les plus évoluées, témoignant ainsi du remarquable savoir-faire qu’avaient acquis les artisans et techniciens de Baekje.

Le Temple de Mireuksa est le fruit des efforts qu’un mo-narque de Baekje, le roi Mu, accomplit en personne pour faire édifier ce sanctuaire destiné à assurer bonheur et prospérité à son royaume et, en tant que bâtiment national, fit appel à l’ex-cellent savoir-faire des meilleurs artisans et techniciens de cette époque restée célèbre pour le haut degré d’évolution de son architecture, comme en attestent les vestiges de celle-ci dans les États voisins de Silla et du Japon. On sait déjà qu’en l’an 645, le premier d’entre eux fit venir un célèbre artisan de Baekje nom-mé Abiji pour superviser la construction de la pagode en bois à neuf étages du Temple de Hwangnyongsa et, l’achèvement de Mireuksa coïncidant avec le début de ce nouveau chantier, tout laisse supposer qu’Abiji y avait aussi participé. Dans le Samguksagi, il est dit que le roi Jinpyeong de Silla souhaita ap-porter son soutien à la réalisation de Mireuksa en envoyant des hommes y prêter main forte et cette initiative permet de penser qu’une coopération s’était instaurée dans ce domaine entre les

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deux royaumes, ainsi que l’échange des techniques et savoir-faire correspondants.

Le Nihon Shoki (Chroniques du Japon), qui est le plus an-cien document historique japonais, rapporte qu’au début du sixième siècle, époque où fut introduit le bouddhisme dans ce pays à partir de Baekje et où gouvernait Soga Umako, un diri-geant de la période Yamato, le royaume coréen y aurait envoyé architectes, maçons, tuiliers et peintres, en l’an 588, en vue d’édifier le premier temple bouddhiste du Japon, Asukadera. Dans ce sanctuaire, ont été découvertes des tuiles à motifs de lotus, de faible section ovale rappelant un pétale et aux extré-mités relevées en pointe, en demi-cercle ou en triangle, une particularité de conception qui n’existe par ailleurs qu’à Buyeo, la capitale ultérieure de Baekje, et non aux environs de Gong-ju, qui en constitua la capitale précédente. Dans les temples japonais, l’influence de l’architecture d’époque Baekje est éga-lement présente à Shitennoji (Temple des Quatre rois célestes) dont l’implantation est caractéristique de ce style puisqu’elle comprend une porte intérieure, plusieurs pagodes, un pavillon de prière et un autre destiné aux réunions se succédant en ligne droite selon une orientation nord-sud.

Les opérations de démontageSous la domination coloniale japonaise, plus précisément

en 1915, la pagode en pierre de Mireuksa allait subir quelques réparations sommaires d’une efficacité toute temporaire, car se limitant à des injections de béton destinées à prévenir un effon-drement total de sa structure et, au fil du temps, ce « replâtrage » allait d’ailleurs laisser paraître des signes de dégradation, tout en se colorant de noir sous l’effet des intempéries. Toutefois,

après que des études sur le site eurent abouti à la reconstitution, en 1978, de l’aspect que devait présenter la pagode en pierre orientale avant son effondrement, les autorités compétentes allaient faire établir un rapport d’études, en 1989, en vue de la restauration de son pendant occidental et l’Institut national de la recherche sur le patrimoine culturel, entreprendre en 2001 le démontage, pierre par pierre, des six étages restants de la pa-gode, en procédant du haut jusqu’en bas de l’édifice.

C’est lors du démontage du deuxième étage que les cher-cheurs allaient mettre au jour plusieurs reliques parmi lesquel-les figuraient un fragment de jarre en céramique datant de Silla Unifié, un morceau de tuile remontant à 1317, c’est-à-dire au royaume de Goryeo, et des pièces de monnaie de la dynastie Joseon, plus exactement du XVIIIe siècle, autant d’objets ame-nenant les chercheurs à en conclure qu’après avoir été réparée, la pagode en pierre avait été reconstruite des années durant. Ils allaient aussi découvrir une colonne centrale en pierre corres-pondant au pilier central d’une pagode en bois et s’élevant du sol au sixième étage, mais aussi, entre les différents niveaux en pierre, la présence d’une couche de terre de cinq centimètres d’épaisseur qui faisait office de mortier pour répartir les char-ges et assurer le bon alignement des blocs.

Le 14 janvier 2009, les travaux allaient enfin révéler les nombreuses reliques que renfermait une chambre à sarira située sous les fondations centrales, la plus remarquable d’entre elles étant la châsse d’or, qui apportait par ailleurs des indications d’une valeur inestimable sur les circonstances de la construction du temple, ainsi que sur d’autres aspects conne-xes. Les opérations de démontage se poursuivant actuellement au niveau inférieur des fondations, il est prévu qu’elles arrivent

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à leur terme à la fin de l’année et il faudra attendre 2014 pour que soient entreprises celles de la réparation et de la restau-ration, lesquelles ont fait l’objet de plusieurs projets préconi-sant soit de reconstituer l’ensemble des neuf étages d’origine, soit de s’en tenir aux six qui existaient lors du démontage et c’est la seconde de ces propositions qui a été retenue, par souci d’authenticité, pour assurer la stabilité structurelle et en raison des difficultés que présentait une connaissance exacte de la forme d’origine.

L’action de restaurationLe Centre international d’étude pour la conservation et la

restauration des biens culturels (ICCROM), une organisation affiliée à l’UNESCO et dont le siège se situe à Rome, ne donne son aval à des projets de reconstruction qu’à titre exceptionnel, notamment en cas de perte irrémédiable d’un bien du patri-moine occasionnée par une guerre ou de dommages matériels provoqués par des incendies et exige en outre que tout projet de reconstruction soit fondé sur des informations fiables sur l’aspect d’origine de l’ouvrage concerné. Si le Temple de Mi-reuksa répondait au premier ensemble de ces critères par les destructions que lui avaient causées la foudre et le feu, il n’exis-tait en revanche pas d’éléments suffisamment probants quant à son apparence initiale, ce qui allait motiver la soumission de différents projets.

L’un d’entre eux consiste en une reconstitution virtuelle des terrains et édifices du temple au moyen de logiciels info-graphiques, cette solution présentant l’avantage d’être peu oné-reuse et de n’exiger qu’un faible coût d’entretien, mais ne per-mettant nullement de s’assurer concrètement de la structure de

ces constructions. Il existe également la possibilité de ne reconstruire que les

niveaux inférieurs des bâtiments et structures dont l’aspect a été avéré par les fouilles archéologiques, sans procéder à la mo-délisation de l’ensemble.

Par ailleurs, la restauration pourrait consister à ne recons-truire que certains des bâtiments situés dans une partie donnée de l’enceinte, ce qui permettrait de les faire découvrir au public tels qu’ils étaient véritablement en se limitant à un budget mo-deste, tant pour la réalisation du projet que pour l’entretien.

Enfin, la restauration pourrait viser à redonner au site toute sa gloire passée par la mise en œuvre d’un projet de recons-truction en vraie grandeur, une solution qui, aussi remarqua-ble soit-elle, supposerait un énorme apport de fonds, beaucoup de temps et une grande maîtrise technique, or si cette dernière condition peut être satisfaite, celle des ressources financières n’en pose pas moins problème. En outre, une reconstruction d’une telle envergure soulève la question des éventuels dom-mages qu’elle pourrait occasionner à d’autres vestiges architec-turaux, ainsi que d’une exploitation et d’une gestion ultérieures rentables du site.

La reconstruction du temple sur un autre site permettrait d’éviter de porter atteinte aux vestiges architecturaux conti-gus en laissant ces derniers à leur emplacement, à la manière du déplacement des vestiges menacés de disparition par la construction du barrage d’Aswan.

Avant d’entreprendre la reconstruction du Temple de Mi-reuksa, c’est la plus rationnelle de ces solutions sur laquelle il conviendra de porter son choix au terme d’une réflexion ap-profondie.

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partie

pagodes en pierre orientale

pagode en pierre

occidentalepagode en bois

partie occidentale partie centrale

pavillon destiné aux réunions

mâts à oriflammes orientaux

mâts à oriflammes occidentaux

1 Ces pièces déposées lors du démontage de la pagode sont répertoriées avec soin en vue de leur conserva-tion.

2 Cette coupe transversale de la pagode en pierre permet de constater que s’élève du sol au sixième étage une colonne centrale en pierre correspondant au pilier central d’une pagode en bois.

3 L’implantation du Temple de Mireuksa est représen-tée sur cette illustration tirée de l’ouvrage Mireuksa, qu’a édité en 1996 l’Institut national de la recherche sur le patrimoine culturel de Buyeo.

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LesreliquesbouddhistesdelapagodeenpierreduTempledeMireuksaLes reliques bouddhistes, dont des sarira, qui ont été découvertes dans la pagode en pierre du Temple de Mireuksa suscitent l’admiration par leur excellent état de conservation, certains objets tels qu’une châsse en or révélant aussi le raffinement artistique des artisans de Baekje, tout en donnant une idée de l’influence du bouddhisme sur les sujets de ce royaume et de la vie quotidienne de ces derniers.

Lee Kwang-Pyo Journaliste culturel au Dong-A Ilbo

Photographie Institut national de la recherche sur le patrimoine culturel | Seo Heun-kang Photographe

Le reliquaire à sarira est une pièce d’orfèvre-rie qui résulte d’une exécution complexe et possède une exceptionnelle valeur artistique.

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Depuis le mois d’octobre 2001, une équipe d’archéolo-gues de l’Institut national de la recherche sur le patri-

moine culturel effectue la restauration d’une pagode en pierre d’époque Baekje appartenant au Temple de Mireuksa qui s’élève à Iksan, une ville de la province de Jeollabuk-do, car cette construction à étages classée Trésor national n°11 mena-çait de s’effondrer à tout moment et pour ce faire, il lui a fallu la démonter en commençant par le sixième et dernier niveau. En poursuivant cette délicate opération, elle l’a menée à bien jusqu’à la partie basse de l’édifice, où elle devait parvenir au mois de janvier dernier en redoublant de précautions, sachant que les objets sacrés bouddhistes sont le plus souvent enchâssés dans les fondations des pagodes.

Une mémorable découverteAu Temple de Mireuksa, en son genre le plus ancien et

imposant de Corée, la pagode en pierre détient aussi les secrets du sanctuaire d’origine, aujourd’hui disparu, qui avait été édifié sous le règne de Mu, l’un des souverains du royaume de Baekje (r. 600-641), et se composait de bois, cette construction marquant ainsi une transition entre l’emploi de ce matériau et celui de la pierre. D’un point de vue architectural, le corps de cet ouvrage présente les caractères distinctifs des constructions faisant usage de cette matière, notamment par ses portes, lin-teaux, piliers ou traverses, une telle innovation technique révé-lant à quel point les tailleurs de pierre d’alors étaient parvenus à maîtriser leur art.

Dès son commencement, le démontage de la pagode s’est avéré être d’une exécution très longue et complexe en raison de la fragilité inhérente à sa structure inspirée des ouvrages en bois, c’est-à-dire composée d’innombrables éléments tels que piliers, portes et traverses qui, lorsqu’ils sont en pierre, ne peu-vent rester longtemps sur pied et exigent du matériau en plus grande quantité que ceux des pagodes de type classique. Or, la multiplication de ces éléments structurels ne fait qu’accroître les risques d’effondrement, puisque le déplacement d’une pier-re peut suffire à provoquer la chute d’autres et au final, l’affais-sement de l’ensemble qu’elles constituent, tandis que dans le cas contraire, le bâtiment n’en est que plus stable et il en résulte donc que, par son architecture plus adaptée à l’emploi du bois, la pagode du Temple de Mireuksa courait aussi de tels risques.

Ces inquiétudes allaient s’avérer fondées, car, des deux pagodes en pierre qui se dressent de part et d’autre de celle en

bois, la plus à l’est allait s’écrouler dès avant l’avènement de la dynastie Joseon (1392-1910), tandis que l’autre allait subir d’importantes dégradations consistant en un effondrement de ses trois niveaux supérieurs, sur les neuf qu’elle comporte, et en un grand état de délabrement du corps de l’ouvrage, sur trois de ses faces, autant de signes alarmants qui allaient motiver le lancement, au cours de ces huit dernières années, d’un chantier de restauration à l’avancement lent, mais régulier.

Aujourd’hui, les travaux se poursuivent au niveau du sol, dans la partie centrale située au-dessous des fondations, dite « simju », qui est constituée d'une large dalle sur laquelle repo-se le pilier central de la pagode et les experts s’interrogent sur le procédé le mieux adapté à la restauration proprement dite.

Quand, au moyen d’une grue, les chercheurs ont lentement soulevé la dalle qui recouvrait la pierre des fondations centra-les, ils n’ont pu retenir un cri de surprise à la vue d’un reflet d’or issu de la chambre à sarira où avait été enchâssé cet objet sacré. Au fond de celle-ci, étaient disposés sur une plaque en verre de couleur verte un reliquaire à sarira et les articles cor-respondants, un ensemble de « sarira jangeomgu », ces usten-siles destinés au culte des sarira, lesquels ont été enchâssés voilà près de mille quatre cents ans de cela dans l’espoir d’assurer bonheur et prospérité à la famille royale, ainsi que la bonne conservation du temple.

Des quelque cinq cents objets qui ont été mis au jour sur les lieux, les plus remarquables se composent d’un vase à sarira

1 Ces perles de verre multicolores se trouvaient dans le vase intérieur du reliquaire en or.

2 Le reliquaire à sarira a été découvert, aux côtés d’autres objets, dans la chambre à sarira qui se situe sous les fondations centrales de la pagode en pierre du Temple de Mireuksa. 2

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en or, d’un texte de l’an 639 traitant de la cérémonie d’en-châssement et gravé sur une plaque en or, de six reliquaires en argent, de deux poignards ornementaux, de pincettes en or, de pendants destinés à une couronne en argent, de plaquettes d’or où sont inscrits les noms des généreux donateurs et de perles en tout genre. Lors de l’examen du reliquaire à l’aide d’un dispo-sitif à balayage électronique, l’Institut national de la recherche sur le patrimoine détecte la présence d’un plus petit vase situé à l’intérieur du premier et renfermant douze sarira, ces grains ou perles d’une matière semblable au cristal qui se trouvent parfois parmi les cendres des moines bouddhistes ou maîtres spirituels incinérés, aux côtés d’autres perles et de fragments de verre provenant du récipient à sarira. Tout comme la pagode qui les abrite, ces reliques remontent au début du septième siècle.

Symbolique du « sarira jangeomgu »Translitération coréenne du mot « sari » appartenant au

« pali », le vocable « sarira » désigne les restes humains inci-nérés de Bouddha et d’autres maîtres spirituels, les premiers étant désignés par l’expression « jinsin sari » (sarira du corps véritable), et les objets sacrés tels que les sûtra énonçant les enseignements de Bouddha, par celle de « beopsin sari » (sarira du corps de dharma). En Extrême-Orient, la pagode repré-sente une variante du stûpa, qui était à l’origine une tombe où étaient enchâssés les restes du Bouddha Shakyamuni et prenait la forme d’un monticule funéraire de forme arrondie, à l’instar

des premiers monuments de ce type tels que le Grand Stûpa de la ville sainte indienne de Sanchi.

Plus de deux siècles après la mort de Bouddha, Ashoka le Grand, troisième empereur de la dynastie des Maurya (r. 273-232 av. J.-C.), croyant sincère et protecteur du boud-dhisme, entreprit de diffuser ses enseignements et vérités au bénéfice du plus grand nombre, rassemblant dans ce but les restes de Bouddha que renfermaient huit stûpa différents pour les répartir parmi les quatre-vingt-quatre mille qu’il avait fait construire sur tout son territoire, car il espérait ce faisant en-courager toujours plus de sujets à une quête spirituelle. Une partie de ces restes allait trouver abri dans les stûpa chinois et coréens, qui plus tard se transformeraient en pagodes.

L’extension du bouddhisme entraînant bientôt la multi-plication des pagodes et les restes authentiques du Bouddha Shakyamuni étant par nature limités, les sarira céderont la place à d’autres reliques qui peuvent se composer de sûtra, c’est-à-dire des préceptes de Bouddha, ou de perles évocatri-ces de sarira, mais prennent également place dans des châsses situées sous les pagodes. Elles sont le plus souvent logées dans un petit trou ou chambre qui a été ménagé sous les fondations centrales ou dans la partie basse de la pagode en vue de leur enchâssement aux côtés d’autres objets sacrés, la pagode de-venant ainsi, de la tombe destinée au repos de la dépouille du Bouddha Shakyamuni qu’elle était au départ, objet de vénéra-tion et expression du symbolisme bouddhiste.

1 Des pendentifs de couronne en argent et des pincettes en or, ainsi que d’autres articles, gisaient aussi dans une châsse située sous la pagode en pierre.

2 Le reliquaire en or est extrait avec soin de la chambre à sarira située sous la pagode.

3 La réalisation d’une étude minutieuse mettant en œuvre des équipements de haute technologie a permis de s’assurer que les fouilles pouvaient être entreprises sans occasionner de dégâts aux différents objets.

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Quand, au moyen d’une grue, les chercheurs ont lentement soulevé la dalle qui recouvrait la pierre des fondations centrales, ils n’ont pu retenir un cri de surprise à la vue d’un reflet d’or issu de la chambre à sarira où avaient été enchâssés ces objets sacrés.

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La chambre dans laquelle prennent place les sarira porte le nom de « sarigong », c’est-à-dire « trou à sarira », et le rituel par lequel ce dernier y est enchâssé s’appelle « sari jangeom », une expression qui signifie « vénération des sarira », les objets destinés à son accomplissement se dénommant quant à eux « sari jangeomgu », à savoir les ustensiles à la gloire des sarira. En règle générale, les « sari jangeomgu » comportaient en Corée plusieurs récipients, dont un vase de petite taille à l’intérieur du-quel venaient s’insérer les sarira et qui était lui-même placé dans un reliquaire que l’on déposait dans un coffret enchâssé dans la chambre à sarira de la pagode. D’ordinaire, le vase à sarira se composait soit de cristal transparent, soit de verre de couleur verte, tous deux symbolisant la vérité éternelle des enseigne-ments de Bouddha, le reliquaire qui l’accueillait pouvant quant à lui être constitué de différents matériaux tels que l’or, l’argent ou le bronze et prendre des formes aussi variées que celles de récipients circulaires ou rectangulaires, ou encore d’assiettes hexagonales, octogonales ou en forme de pavillon.

Les objets en or d’époque BaekjeLa pagode en pierre du Temple de Mi-

reuksa se distingue par la grande quantité d’objets qui y sont associés aux sarira (683), ainsi que par la variété de ceux-ci, puisque l’on en recense dix-neuf types différents, no-tamment un reliquaire à sarira en or et une plaque d’enchâssement qui ont particulière-ment intéressé les spécialistes. Par la beauté de ses lignes, le premier d’entre eux atteste remarquablement du haut degré technique et artistique qu’avaient atteint les artisans de Baekje. Mesurant treize centimètres de hauteur sur 7,7 de largeur d’épaulement, il comporte un orifice central fermé par un couvercle au rebord biseauté, à la poignée en forme de perle et à la surface gravée de fins motifs circulaires et de feuilles de vigne. Courbes élégantes, col élancé, légèreté de l’épaulement et du corps confèrent une grâce naturelle à ce récipient dont la beauté su-

blime, de même que les décors qui ornent sa surface, n’ont pas leur pareil.

Il renferme un second récipient, d’une hauteur de 5,9 cen-timètres sur une largeur d’épaulement de 2,6 centimètres, qui reprend les thèmes décoratifs du premier et où ont été décou-verts douze sarira aux côtés d’un assortiment de perles, ainsi que les débris d’un vase en verre de couleur verte qui faisait de ce reliquaire un spécimen traditionnel à trois niveaux dont il constituait le plus interne et auquel succédait un second réci-pient en or prenant à son tour place dans un autre du même métal. Le vase intérieur en verre ayant malheureusement été découvert brisé et en l’absence de toute preuve fiable en ce sens, on peut toutefois avancer l’hypothèse que les sarira aient pu véritablement abriter une relique du Bouddha Shakyamuni qui serait parvenue en Corée, cette supposition étant d’autant plus plausible si l’on pense au fort attrait qu’exerçait le boud-dhisme sur les sujets de Baekje.

Quant aux ornements qui viennent agrémenter la couron-ne en argent, ils témoignent d’une délicate exécution en tous points conforme à l’élégance sobre de l’art d’époque Baekje. Fines pincettes d’argent, perles aux formes et couleurs variées allant du jade au bleu fournissent autant d’exemples du haut niveau artistique qu’avait atteint le royaume au septième siècle, de sorte que les archéologues et historiens s’accordent à établir un parallèle avec l’encensoir en bronze doré de même époque qui a été classé Trésor national n°287 en raison de son excep-

1 Une plaque en or gravée d’un texte relatant avec précision la cérémonie d’enchâssement des sarira et fournissant aussi des indications sur les circonstances de la construction du Temple de Mireuksa est recouverte de laque rouge pour mieux faire ressortir les idéogrammes chinois qui s’y inscrivent.

2 Ces perles de verre témoignent du haut niveau de maîtrise de la verrerie sous le royaume de Baekje.

3 Une piécette en or où figure le donateur, un certain Jiyul, qui occupait le rang de « doeksol » , c’est-à-dire le quatrième des seize que comptait la hiérarchie à la cour de Baekje.

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tionnelle valeur en tant que produit des beaux-arts du royaume de Baekje, leur découverte ouvrant ainsi un nouveau chapitre de l’histoire de ce dernier.

La vie quotidienne au royaume de BaekjeSi ce reliquaire en or atteste bien du degré d’évolution de

l’artisanat de Baekje, les pendentifs de couronne en argent et les pièces d’or, ainsi que la plaque en or destinée à l’enchâssement des sarira, permettent de se faire une idée d’ensemble de la vie quotidienne dans les plus hautes couches de la société. Contrai-rement aux dix pendentifs de couronne en argent d’époque Baekje qui avaient été découverts antérieurement sans apporter d’éclairage particulier sur le contexte de leur usage, les deux spé-cimens qu’a livrés la pagode en pierre se situent dans un large champ temporel, puisque l’an 630 est cité dans le texte évoquant la cérémonie d’enchâssement.

S’il semblerait, de l’avis général, que ces pendentifs aient appartenu à des fonctionnaires de haut rang du royaume, il est moins évident d’expliquer la raison pour laquelle ces articles séculiers furent en-châssés aux côtés de reliques telles que les sarira. À ce propos, le Pro-fesseur Lee Han-sang, spécialiste en archéologie funéraire à l’Uni-versité de Daejeon et responsable de campagnes de fouilles, émet la supposition que ces hauts fonctionnaires aient pu participer à la cérémonie d’enchâssement et qu’il aient déposé en offrande quelques articles de valeur leur ayant appartenu. Il attribue ainsi la propriété du pendentif en argent orné de cinq fleurs en bou-ton à une personne qui devait se situer au niveau dit « eunsol », c’est-à-dire au troisième d’une hiérarchie qui en comptait seize, et celle du pendentif à trois boutons, à un agent de condition plus modeste, la place occupée par les serviteurs de l’État étant donc proportionnelle au nombre de fleurs en bouton représen-tées, c’est-à-dire au travail réalisé sur chaque pièce. De ce point de vue, les deux pendentifs de couronne en argent évoqués représentent des vestiges d’une valeur inestimable pour l’étude des évolutions que connut la fabrication de tels ornements, mais aussi des dons effectués au bénéfice du culte bouddhiste.

Parmi les objets mis au jour, figurent ainsi dix-huit pièces d’or qui auraient été en usage courant chez les sujets de Baekje et dont l’une, d’une valeur d’un « ryang », porte l’inscription

du nom de son généreux donateur, « Jiyul, fonctionnaire oc-cupant le rang de « jungbu » », c’est-à-dire le quatrième des seize de la hiérarchie. Pour sa part, le Professeur Sohn Hwan-il, chercheur à l’Université Kyonggi et spécialiste de calligra-phie, formule l’avis suivant : « Ces pièces d’or ont tenu lieu d’offrande lors de la cérémonie d’enchâssement, mais la men-tion « un ryang d’or » témoigne du rôle de devise qu’elles ont aussi joué », ce que lui concède le Professeur Lee Han-sang : « On peut raisonnablement supposer que ces pièces d’or ont eu une fonction monétaire ».

En outre, la plaque en or sur laquelle s’inscrit le texte re-latant avec précision la cérémonie d’enchâssement possède d’autant plus de valeur qu’elle permet une meilleure com-préhension de la manière d’écrire et des coutumes propres

au royaume antique de Baekje. Large de 15,5 centimètres et haute de 10,5, ce support en métal précieux est recouvert de laque rouge pour faire mieux ressortir les noms de donateurs qui y figurent en idéogrammes chinois, entre autres informa-tions intéressant grandement les historiens par l’éclairage qu’elles apportent sur les circonstances de la construction du Temple de Mireuksa.

À cet égard, le professeur Sohn Hwan-il souligne les ana-

logies que présente ici la calligraphie avec celle des Dynasties chinoises du nord, ainsi que l’ajout ultérieur d’un caractère omis dans le texte, puisque, sur la ligne composée des caractè-res jin-yong-seon-geun (盡用善根) qui figure au verso de la plaque, le mot « cha » (此) signifiant « ceci » aurait été inséré entre ceux de « yong » et de « seon » pour désigner la construc-tion du temple et l’enchâssement.

Les différents objets constitutifs des sarira découverts sur les lieux permettent de mettre en lumière plusieurs aspects de la vie au royaume de Baekje, notamment sur les couronnes portées par les hauts fonctionnaires et leurs pendentifs, sur les coutu-mes cultuelles observées lors de la cérémonie d’enchâssement et sur la calligraphie. Témoignant de la foi enthousiaste qui en ani-mait les sujets, ces pièces sont aussi l’expression d’une volonté d’étendre l’influence de la royauté au pays et dans l’au-delà, les historiens prêtant un sens particulier au passage suivant du texte qui figure sur la plaque d’enchâssement : « …que la vie de

1 Ces pincettes en or se trouvaient parmi les objets enchâssés.

2 Le reliquaire à sarira en or, la plaque d’enchâssement et les autres pièces livrées par la pagode en pierre de Mireuksa sont autant d’objets bouddhi-ques sacrés qui intéressent scientifiques et archéologues.

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Sa Majesté [Daewang Pyeha] soit aussi solide que les montagnes et que son règne, aussi éternel que le ciel et la terre, répande le dharma dans l’au-delà et convertisse le peuple ici-bas ». Dans cette phrase, le titre de « Daewang Pyeha » correspondant à celui d’empereur de Chine traduirait un désir de mettre en relief le pouvoir considérable du monarque de Baekje, ainsi que sa magnificence qui en fait l’égal du souverain chinois, cette analyse étant tout à fait crédible eu égard aux liens étroits qui unissaient alors la politique à la religion. Au vu de toutes les déductions qu’autorisent ces objets dans les domaine politique, social et culturel, ils possèdent sans conteste une valeur inesti-mable à des fins d’étude de cette époque.

La pagode en pierre de Wanggung-riNon loin du site de Mireuksa, se dressent les cinq étages

d’une autre pagode en pierre aujourd’hui classée Trésor natio-nal n°289, celle de Wanggung-ri, une commune de la région d’Iksan. Dans le cadre des travaux de restauration dont elle fai-sait l’objet, les archéologues allaient y mettre au jour, en 1965, différentes reliques relatives aux sarira, dont un reliquaire, un vase à sarira et une plaque en or où est inscrit un sûtra, l’en-semble de ces pièces constituant le Trésor national n°123. Si les avis sont partagés quant à l’époque exacte de leur production, les scientifiques la situent approximativement au neuvième siè-cle, c’est-à-dire sous le royaume de Silla Unifié ou aux premiers

temps de celui de Goryeo, certains se hasardant même à la da-ter antérieurement à Baekje.

Les découvertes qui viennent d’intervenir au Temple de Mi-reuksa ne peuvent que relancer le débat sur la date et l’origine des reliques que renfermait la pagode de Wanggung-ri et dont Han Jeong-ho, le conservateur du musée de l’Université Dong-guk, affirme depuis toujours qu’elles sont d’époque Baekje, tout comme celles du Temple de Mireuksa, ce dont attestent, à ses dires, leurs motifs de lotus et petits cercles très analogues par leur style comme par leur tracé. Par ailleurs, les deux pagodes présenteraient des fondations de même type par leur structure en croix se déployant autour d’un élément central.

Toutefois, il s’en trouve aussi pour se montrer plus prudents, à l’instar de ce spécialiste de la sculpture bouddhiste qui déclare : « Il est intéressant de constater que les motifs des deux reliquai-res à sarira se ressemblent, tandis que l’image bouddhiste décou-verte à Wanggung-ri date des neuvième ou dixième siècles, c’est-à-dire de la dernière période de Baekje ou de celle de Silla Unifié. Dans la mesure où le seul décor n’a pas valeur de preuve, rien ne permet d’affirmer avec certitude que la pagode de Wanggung-ri et ses reliques remontent au temps de Baekje ».

Aujourd’hui ravivé par l’ouverture du véritable petit musée que constitue la pagode en pierre de Mireuksa, il y a donc fort à parier que le débat sur l’origine de ces objets a encore de beaux jours devant lui.

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Voilà peu, des fouilles archéologiques révélaient la présence, dans la pagode en pierre du Temple de Mireuksa, d’une châsse renfermant de nombreuses reliques bouddhistes datant du septième siècle et comportant, parmi leurs pièces les plus remarquables, une plaque en or apportant des informa-tions précises sur les circonstances de la construction de ce sanctuaire et ses généreux donateurs.

Cho Heung Wook, Professeur au Département de langue et littérature coréennes de l’Université Kookmin

Photographie Institut national de la recherche sur le patrimoine culturel | Seo Heun-kang Photographe

La légende qui s’attache à la construction du Temple de Mireuksa veut que le roi Mu et son épouse Seonhwa, princesse de Silla, se soient rendus au Temple de Sajasa et qu’en chemin, une triade de Maitreya leur soit apparue, surgissant de l’eau d’un bassin, au pied du Mont Yonghwasan, Seonhwa ayant alors, sous l’effet de cette vision, imploré le roi Mu de faire construire un temple à son empla-cement.

LeTempledeMireuksaetlalégendedeSeodong

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La chanson intitulée « Seodongyo», c’est-à-dire la Chanson de Seodong, appartient au style de la poésie dite « hyangga »

qui, de l’époque du royaume de Silla aux premiers temps de ce-lui de Goryeo, consista en textes coréens transcrits en idéogram-mes chinois et sa composition est attribuée au jeune Seodong, qui allait devenir, sous le nom de Mu, le trentième souverain du royaume de Baekje (r. 600-641). Alors qu’il entrait dans la capitale de Silla, l’actuelle Gyeongju, le futur monarque l’aurait entonnée pour séduire la princesse Seonhwa, troisième fille de Jinpyeong, qui régnait alors sur ce royaume.

Un autre regard sur « Seodongyo» Dans l’ouvrage Samgugyusa (Souvenirs des Trois Royau-

mes), qui relate la légende de Seodong, il est fait mention de

« Seodongyo» à propos des circonstances de la fondation du Temple de Mireuksa, qui se trouve à Iksan, une ville de la pro-vince de Jeollabuk-do. Quand, à la fin de ce récit, le roi Mu se rend au Temple de Sajasa en compagnie de Seonhwa, qu’il vient de prendre pour épouse, une triade de Bouddhas Maitreya ap-paraît au couple dans l’eau d’un bassin situé au pied du Mont Yonghwasan et la reine exhortera alors son conjoint à faire édifier, sur les lieux même de cette révélation, un temple qui se dénommera Mireuksa. Dans l’esprit de beaucoup de Coréens, le roi Mu exprima ses tendres sentiments à la princesse Seonhwa, par-delà les frontières de leurs territoires respectifs, en com-posant la chanson « Seodongyo» et il ordonna l’édification du Temple de Mireuksa à la demande de son épouse.

Or, des fouilles archéologiques ont révélé, voilà peu, la

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1 L’ouvrage intitulé Samgugyusa (Souvenirs des Trois Royaumes), au chapitre traitant du roi Mu, relate la légende de Seodong et les origines de la chanson de « Seodongyo », qui consiste en écrits galants adressés par le roi Mu à Seonhwa, princesse de Silla (Office du patrimoine culturel).

2 La pagode en pierre orientale du Temple de Mireuksa, restaurée en 1993.

présence, dans la pagode en pierre du Temple de Mireuksa, d’une châsse renfermant de nombreuses reliques bouddhistes datant du septième siècle et comportant, parmi leurs pièces les plus remarquables, une plaque en or dite « saribongangi ». Celle-ci apporte des informations précises sur les circonstances de la construction de ce sanctuaire et ses généreux donateurs, notamment sur l’appartenance de la reine Seonhwa à la lignée des Sataek, contrairement à une opinion largement répandue, et sa découverte éclaire d’un jour nouveau le texte intitulé « Seodongyo», ainsi que les indications qu’il fournit sur les cir-constances de la construction du Temple de Mireuksa.

La légende de SeodongLe texte dit « Seodongyo», qui figure dans le deuxième

tome du Samgugyusa, au chapitre consacré au roi Mu, relate ce qui suit.

Le trentième monarque du royaume de Baekje était un homme répondant au nom de Jang. Sa mère, qui était veuve, fit construire une chaumière à proximité d’un bassin situé au sud de la capitale et conçut un fils du dragon qui vivait dans le bas-sin. Comme le garçonnet ramassait des patates douces pour les vendre, on l’appela Seodong, c’est-à-dire « le garçon aux patates

douces ». Ayant appris qu’au royaume de Silla, la troisième fille du roi Jinpyeong était d’une grande beauté, Seodong se rasa la tête et partit pour sa capitale, où il se lia d’amitié avec des en-fants en leur offrant des patates douces, puis il leur demanda de chanter la chanson « Seodongyo» qu’il avait composée.

Celle-ci se répandit ainsi dans toute la ville, et jusqu’au palais royal, où les courtisans conseillèrent au roi d’envoyer la princesse en un lieu retiré et, lorsque celle-ci s’apprêtait à partir, la reine lui remit un sac d’or afin de pourvoir aux frais du voyage. Peu avant qu’elle n’y arrive, Seodong fit irruption devant elle, s’inclina et lui offrit d’assurer son escorte, ce à quoi elle consentit sans même le connaître ou savoir d’où il venait et par la seule bonne impression qu’il lui avait inspirée, elle le prit pour garde du corps, puis les deux jeunes gens s’éprirent bien-tôt l’un de l’autre.

Dès qu’il furent parvenus au royaume de Baekje, la princes-se lui présenta son sac d’or afin qu’ils fondent un foyer et, com-me Seodong l’interrogeait à la vue du métal précieux, elle lui répondit qu’il s’agissait d’or et que celui-ci leur permettrait de vivre riches pendant cent ans ou plus, et Seodong de répliquer : « Quand j’étais enfant et que je ramassais des patates douces, il y avait de l’or partout dans la terre ». Surprise, la princesse lui fit la question suivante : « Puisque vous possédez le plus grand

La chanson « Seodongyo » consiste en écrits galants adressés par le roi Mu de Baekje à Seonhwa, princesse de Silla, par-delà les frontières qui séparaient ces deux royaumes, mais c’est pour l’épouse et reine Seonhwa, que ce souverain fit édifier sous son règne le Temple de Mireuksa, alors les informations figurant dans le texte dit « saribongangi », qui est enchâssé dans sa pagode en pierre, ne sont-elles pas en contradiction avec cette célèbre légende ?

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trésor qui soit en ce monde, pourquoi donc ne le feriez-vous pas porter à mes parents, en leur palais ? » et il y répondit fa-vorablement, puis il prit l’or et l’amassa en un haut monticule, après quoi il partit pour le Temple de Sajasa, au Mont Yong-hwasan, afin de questionner le moine Jimyeong Beopsa sur le moyen de faire parvenir son présent à destination. Comme le religieux lui demandait de le lui apporter pour qu’il consulte les pouvoirs divins quant à sa livraison, la princesse adressa une lettre à ses parents pour leur en faire part, puis Jimyeong invoqua la divinité, qui transporta aussitôt l’or jusqu’au palais. Stupéfait de cette intervention divine dans ses bonnes fortunes, Jinpyeong en conçut une grande admiration pour Seodong, qui monta un jour sur le trône de Baekje, après avoir ainsi gagné la confiance du souverain.

Un jour que le roi Seodong se rendait en compagnie de son épouse au Temple de Sajasa et qu’ils parvenaient en vue d’un bassin situé au pied du Mont Yong-hwasan, une triade de Maitreya surgit de l’eau et, après qu’ils les eurent salués révérencieusement, la reine implora son époux : « Fai-tes construire un temple ici même pour me plaire, car tel est mon souhait le plus cher ! ». Après lui avoir donné son acquiescement, le monarque repartit interroger Jimyeong, lequel adressa de nou-velles prières et le bassin se trouva bientôt comblé par de la terre qui provenait de la montagne et sur laquelle fut édifié, avec l’aide des hommes qu’envoya en grand nombre Jinpyeong, un sanctuaire portant le nom de Mireuksa, c’est-à-dire « Temple de Maitreya » et pourvu d’une statue de la triade de ces Bouddhas, ainsi que de pavillons, pagodes et galeries.

Le récit rapporté ci-dessus comprend ainsi deux parties dis-tinctes consacrées, d’une part, aux jeunes années de Seodong et à son union avec la princesse Seonhwa, c’est-à-dire la légende de Seodong proprement dite, et d’autre part, à la fondation du Temple de Mireuksa, ces deux volets différant par leur caractè-re, puisque le premier consiste en un conte plaisant sans aucun lien avec la vie quotidienne ou avec le règne ultérieur de son protagoniste sous le nom de Mu. Dans le recueil Samgugyusa dont il a réuni les documents, le moine Iryeon fait lui aussi part de son scepticisme sur la légende de Seodong en présentant

celui-ci comme le fils d’une veuve, puisque la paternité de Mu était attribuée à Beop, roi de Baekje. En revanche, il y a abon-dance de preuves quant au rôle important que joua Mu dans la construction du Temple de Mireuksa.

La légende de Seodong est un conte populaire que la tradi-tion orale a transmis au fil des générations et dont les analogies avec ce type de récit apparaissent notamment par les condi-tions de la naissance de Seodong et de son accession au trône. Comme les héros et autres grandes figures de la littérature populaire, il ne descend pas d’un homme, mais d’une créature différente, en l’occurence le dragon. En outre, la découverte

d’une grande quantité d’or qu’il fait en ramassant des patates dou-ces et qui lui permet de gagner la confiance du roi, puis d’accéder au trône, est tout à fait réminiscente d’un conte dans lequel une fille cadette, qui a fui le logis familial après s’être querellée avec son père, rencontre un charbonnier qui fait fortune en découvrant d’innombrables pépites d’or. Cette origine populaire transparaît également dans la chanson « Seo-dongyo», que composa Seondong pour conquérir le cœur de la prin-cesse Seonhwa dans une écriture ancienne faisant appel aux ca-ractères chinois, le « hyangchal », et dont le texte, s’il est difficile à décrypter avec précision, peut approximativement se traduire comme suit :

La princesse SeonhwaSe maria en cachette,Et le garçon aux patates doucesLa prit la nuit dans ses bras.

La princesse Seonhwa se serait donc enfuie pour retrouver Seodong en pleine nuit, selon ces paroles d’une simplicité enfantine, telle une comptine qui peut facilement se retenir pour la chanter plus tard. Son caractère populaire, qui se retrouve toujours dans les chansons galan-tes, doit aussi avoir favorisé sa diffusion dans la population et jusqu’au palais royal.

Un nouveau point de vueSelon le Samgugyusa, le Temple de Mireuksa, qui passe

pour le plus grand sanctuaire bouddhiste de la période des Trois Royaumes (Ier s. av. J.-C. - VIIe s.), aurait été édifié par le roi Mu à la demande de son épouse, qui, dans le conte évoqué

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plus haut, n’est autre que la princesse Seonhwa du royaume voisin de Silla et se trouve donc, selon toute vraisemblance, à l’origine de cette construc-tion.

Or, parmi les nombreuses reliques bouddhistes du sep-tième siècle que découvraient des chercheurs, au mois de jan-vier dernier, dans une châsse enfouie sous la pagode en pierre du Temple de Mireuksa, se trouvait une plaque d’or, dite « saribongangi », qui allait s’avérer particulièrement intéres-sante par les indications précises qu’elle fournissait sur les cir-constances de la construction du temple et sur ses donateurs. Selon les inscriptions qui y figurent, et dont est extrait le pas-sage suivant, les sarira furent enchâssés à cet emplacement sur ordre d’une reine issue de la famille Sataek, contrairement à une croyance ancienne voulant que Mireuksa eût été construit par Mu à la demande de son épouse Seonhwa.

« Notre reine de Baekje, fille de Jwapyeong Sataek Jeok-deok, est rénommée pour la compassion dont elle a fait preuve à l’égard de notre peuple et pour sa défense du boud-dhisme. De son plein gré, elle lui a témoigné sa reconnaissance en faisant construire ce temple et enchâsser des sarira au vingt-neuvième jour de l’an de Gihae ».

Ce texte précise encore que la reine et fille de Sataek Jeok-deok aurait ordonné que cet enchâssement ait lieu dans la pagode en pierre occidentale du Temple de Mireuksa, durant

le premier mois de l’an 639, dit de Gihae et correspondant à la quarantième année du règne

de Mu. L’existence du clan des Sataek, qui figurait parmi les huit plus

puissants que comptait l’aristrocratie de Baekje, est attestée par le monument connu sous le nom de Sataekjijeokbi, que fit élever Sataek Jijeok, un fonctionnaire ayant exercé au rang le

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1 Le vase extérieur du reliquaire de sarira est composé de parties supérieure et inférieure, et comporte un couvercle.

2 Une foule nombreuse était venue admirer les reliques bouddhiques découvertes dans la pagode en pierre du Temple de Mireuksa, lors de l’exposition temporaire qui s’est déroulée au Musée Mireuksa d’Iksan, dans la province de Jeollabuk-do, pendant un mois.

3 À Buyeo, dans la province de Chungcheongnam-do, Gungnamji est considéré être le lieu de naissance du roi Mu, selon le Samgugyusa (Souvenirs des Trois Royaumes).

plus élevé du royaume de Baekje, celui de « jwapyeong », et où il regrette, dans le texte qui y est inscrit, le caractère éphémère de l’existence et les heures de gloire de son passé. À en croire le texte se trouvant sur la plaque d’or de Mireuksa, ce serait donc une reine du clan de Sataek, et non la princesse Seonhwa, qui aurait pris l’initiative de la création de ce temple, mais encore est-il possible que Mu ait eu plusieurs épouses en quarante an-nées de règne, ce qui permettrait d’en conclure que la princesse

Seonhwa serait intervenue plus tôt dans cette construction et n’aurait donc pas assisté à la cérémonie d’enchâssement.

L’aura mystique du Temple de Mireuksa

S’il est écrit, dans les passages du Samgugyusa consacrés à Seodong, que Mu composa « Seodongyo », épousa Seonhwa, princesse de Silla, et fit édifier le Temple de Mireuksa à la demande de cette dernière, une analyse approdondie de ce texte livre une interprétation diffé-rente puisque, comme nous l’avons men-tionné plus haut, les textes évoquant ce souverain relatent la vie de Seodong et les circonstances de la construction de Mi-reuksa en se fondant respectivement sur une légende et sur des éléments réels, les

seconds, d’ordre factuel, se situant ainsi dans le prolongement des premiers, qui sont de nature mythologique.

Pour la plupart, les récits légendaires portant sur la construction d’un temple avaient pour objectif de conférer à ce lieu saint une grâce divine susceptible d’attirer les croyants et, dans les passages évoquant le choix de son emplacement, faisaient intervenir des phénomènes insolites d’origine surna-turelle, telle cette apparition à Mu et à son épouse d’une triade de Maitreya surgissant de l’eau d’un bassin, à la suite de quoi les souverains résolurent d’édifier Mireuksa sur ces lieux.

Pour rehausser le caractère divin de la création d’un tem-ple, le récit de celle-ci comportait souvent une dimension mi-raculeuse empruntée aux légendes populaires qui jouissaient déjà d’une grande diffusion, comme le fait celle de Seodong en mettant en scène le moine Jimyeong, alors le plus illustre religieux bouddhiste, et en établissant ainsi un lien entre la narration d’une vie et celle de la construction d’un temple, car la première, consacrée à l’idylle de Seodong et Seonhwa, était fort répandue chez les gens du commun et les auteurs de la seconde durent juger qu’ils pourraient en tirer parti au sujet de Mireuksa.

En conclusion, il semble que la légende de Seodong soit assimilable à un conte populaire, tant par sa nature que par son mode de transmission, tandis que celle de la construction de Mireuksa par Mu repose sur des faits historiques et, si les deux récits furent au départ distincts, la composante amoureuse fut mêlée à cette réalité en vue de l’enjoliver.

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DOSSIERS

Le Théâtre d’art de Myeong-dong rouvrait voilà peu ses portes suite à une ré-novation qui est le fruit des efforts de divers organismes culturels dont l’action a été coordonnée dans le cadre de la Campagne de restauration des théâtres en vue d’une coopération d’autant plus louable qu’elle est sans précédent et qui est l’occasion de se remémorer l’histoire de la salle de spectacles qui en a bénéficié.

Kim Moon-hwan Professeur à l’Université nationale de Séoul et critique de théâtre

Photographie Théâtre d’art de Myeong-dong

ne salle de spectacles exclusive-ment consacrée à l’art dramatique vient de rouvrir ses portes à Séoul,

dans le quartier de Myeong-dong, qui se classe au premier rang national par sa valeur immobilière. Lors de sa création, ce théâtre avait été aménagé dans les locaux de l’ancienne cinémathèque du Meiji construite en 1934, c’est-à-dire sous l’occuption japonaise, dont il conserve aujourd’hui encore le style baroque, dans sa partie extérieure, et qui devait son exis-tence au directeur d’un cabinet d’architec-ture, Ishibashi Ryosuke, lequel allait aussi faire l’acquisition des locaux de Dan-seongsa, en 1939, pour les transformer en une salle de cinéma rebaptisée Théâtre Daeryuk, de sorte qu’il fit bientôt figure de pionnier du théâtre coréen à Gyeong-seong, c’est-à-dire la Séoul d’aujourd’hui.

La Campagne de restauration des théâtres

Sous la dynastie Joseon, le quartier de Myeong-dong portait le nom de Myeong-nyebang, qui désignait littéralement un

lieu réservé à l’accueil des émissaires de l’empire chinois des Ming, mais le voisi-nage du Conservatoire royal de musique dit Jangakwon conduisit tout naturelle-ment à lui prêter une vocation artistique. À l’époque de la domination coloniale japonaise, cette partie de la ville allait prendre le toponyme japonais de Meijicho et la salle de musique toute proche, se nommer dès lors Théâtre du Meiji, mais par la suite, le quartier allait se moderni-ser grâce aux activités commerciales qui s’y étaient développées tout autour de la Légation japonaise, dont le bâtiment abrite aujourd’hui le grand magasin Shinsegae. Prospérité et dynamisme n’allaient pas tarder à exercer leurs attraits sur les figures du monde de l’art ou de la culture et, si les établissements de commerce de détail ont aujourd’hui envahi ce quartier, celui-ci n’en demeure pas moins l’une des destinations touristiques de prédilection des visiteurs japonais à Séoul.

À partir de 1945, année de la Libéra-tion coréenne, la Ville de Séoul convertira l’ancien Théâtre du Meiji en une salle de

spectacle municipale dont elle fera usage jusqu’en 1961, mais qui accueillera aussi le Théâtre national de Corée de 1957 à 1973, conjuguant ainsi ces deux fonctions de 1957 à 1961, jusqu’à l’achèvement de l’Hôtel de Ville.

En 1962, une rénovation d’ensemble du Théâtre national allait porter le nom-bre de ses sièges de 1 178 à 820, puis aux 552 actuels qui représentent la capacité d’accueil d’une salle de dimensions moyennes.

Lorsque s’achèvera la construction du nouveau Théâtre national de Corée, en 1973, dans le quartier de Jangchung-dong, le ministère de la Culture et de

Rénovation et réouverture du Théâtre d’art de Myeong-dong

ULe Théâtre d’art de Myeongdong rouvrait voilà peu ses portes après une rénovation complète du bâtiment qui l’abrite.

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l’Information attirera l’attention du minis-tère de l’administration publique sur les qualités du bâtiment qui abritait l’ancien Théâtre du Meiji et qui sera désormais exploité en location-gérance sous le nom de Théâtre d’art de Myeong-dong jusqu’à l’année 1976, où le Cabinet Daehan Inves-tissement et Finances et la Société de placement à responsabilité limitée Daehan en feront l’acquisition afin d’y aménager des bureaux, mettant ainsi un terme à sa longue vocation théâtrale.

L’annonce par le Cabinet Daehan, en novembre 1994, de son intention de rénover ce bâtiment, afin d’élargir ses locaux sur dix étages, créera une vive émotion dans les

milieux du théâtre, qui se mobiliseront pour mettre sur pied la Campagne de restaura-tion des théâtres, puis en décembre 2003, l’État rachètera le site à la faveur de la failli-te du Cabinet, mais aussi, en grande partie, de l’action entreprise par l’Association des commerçants de Myeong-dong pour éviter la vente aux enchères publiques. Au mois de mai 2009, au terme d’un chantier de cinq années, l’édifice allait ainsi retrouver sa vocation d’origine sous le nom de Théâtre d’art de Myeong-dong.

Par le passé, celui-ci avait accueilli d’innombrables premières d’opéra et de musique orchestrale, ainsi que les pièces de théâtre mises en scène par la Compa-

gnie nationale d’art dramatique née de la fusion des troupes Sinhyeop et Mingeuk, notamment pendant la seule année 1962, où l’Opéra national de Corée et la Com-pagnie nationale de Gukgeuk, dite aujour- d’hui de Changgeuk, ainsi que la Compa-gnie nationale de danse, ont représenté les meilleures œuvres de leur répertoire, mais qui a aussi vu monter sur scène des chanteurs de variétés à succès tels que Hyeon In et Yoon Bok-hee. Le théâtre allait aussi accueillir les activités des compa-gnies de théâtre Dongin constituées par les associations de théâtre universitaires et situées au centre de cet art à partir des années soixante. Le dramaturge

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Lee Bong-gu, qui se proclamait non sans impertinence comte de Myeong-dong, ne considérait-il pas le théâtre comme le plus important des arts en Corée ?

Si toutes les formes d’art allaient donc pouvoir s’exprimer au Théâtre d’art de Myeong-dong, le théâtre allait tout natu-rellement y occuper une place de choix et tout rappel historique le concernant exige d’évoquer les productions de formations telles que la Compagnie nationale d’art dramatique.

Aux origines du Théâtre nationalAu lendemain du 15 août 1945, jour de

la Libération coréenne, le monde du théâ-tre reproduit le clivage droite-gauche qui divise la Corée, mais la proclamation de la

République de Corée, qui intervient après une période transitoire de trois ans mar-quée par la résistance des communistes, puis leur fuite au nord, mettra aussi fin au chaos qui régnait depuis longtemps dans ce domaine artistique. Au mois de décem-bre 1948, le ministère de l’Éducation se voit investi du droit d’autorisation de mise en scène des spectacles, qui relevait jus-qu’alors de la compétence du Bureau d’information publique, et fait voter son projet de loi portant création du Théâtre national. Le mois d’octobre 1949 voit la mise en place du Comité de direction et la nomination du président de cet établissement qu’abrite un bâtiment d’une capacité de 1997 sièges, le Bumin-gwan, dans la rue de Taepyeong-ro

située au centre-ville, avant qu’il ne soit transféré dans les anciens locaux du Conseil municipal de Séoul. À partir de son ouverture, dont la célébration fera en 1950 l’objet d’une cérémonie, se suc-céderont sur scène des spectacles aussi variés que Wonsullang, une œuvre du théâtre de création, l’opéra traditionnel coréen Malli jangseong, l’œuvre lyrique de création Chunhyangjeon, qui est un opéra du type dit « changgeuk », ainsi que Noeu, une pièce de théâtre étran-gère traduite en coréen, et ce, jusqu’à la Guerre de Corée, qui éclate en 1950 et entra ne le déménagement du Théâ-tre national à Busan, et c’est dans cette ville qu’il s’apprête à rouvrir ses portes à l’initiative de son président, en octobre

1 Un même local réunissait autrefois le Théâtre d’art de Myeongdong et le Théâtre national de Corée.

2~3 Le 5 juin dernier, une cérémonie festive marquait l’ouverture solennelle du nou-veau Théâtre d’art de Myeongdong.

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1951, quand le refus auquel se heurte cette proposition contraint son auteur à démissionner, puis au mois de mai de l’année suivante, les pouvoirs publics optent pour son rapatriement à Séoul, mais c’est à Daegu qu’il lui faudra d’abord se déplacer à titre provisoire pour y assu-rer ses représentations dans les locaux du Théâtre culturel de cette ville.

C’est en juin 1957 qu’il finira par reve-nir à Séoul pour s’y installer dans l’actuel Théâtre d’art de Myeong-dong, qu’il par-tagera avec certains services municipaux,

puis, dans le courant de la même année, que sera créée la Compagnie nationale d’art dramatique, laquelle ne survivra pas à deux années de conflits entre tenants de la tradition et de l’avant-garde. En dépit de la coexistence difficile qu’allaient conna tre ses deux compagnies de subs-titution, Sinhyeop et Mingeuk, comme deux familles différentes vivant sous le même toit, les groupes qui s’y produiront recevront un accueil enthousiaste d’un public déjà familiarisé avec les comé-diens et comédiennes qu’il avait décou-verts au cinéma et, sans aller jusqu’à affirmer que la production cherchait à tirer parti de ce succès passé, force est de reconna tre que nombre d’œuvres d’alors laissaient à désirer sur le plan artistique, si l’on pense en particulier à Wilhelm Tell ou à Crime et châtiment.

Quand éclateront les émeutes estu-diantines du 19 avril 1960 contre le régime suranné du président Rhee Syngman, un vent de révolution soufflera sur le Théâtre national dont le Comité de direction, que d’étroits liens unissaient jusqu’alors au gou-vernement, sera alors soumis au feu tou-jours plus nourri de la critique. Nombreux sont ceux qui vont alors exiger une ouver-ture totale à la concurrence, selon un prin-cipe dit en anglais « arm’s length principle »

et en vertu duquel l’État apporterait un soutien qui ne serait pas assorti d’un droit de regard sur la création. Au sein du Théâ-tre national, allait aussi voir le jour un mou-vement exigeant que cet établissement prenne ses distances par rapport aux théâ-tres privés, à but lucratif, et se démarque de leur production, sans parvenir à quelque résultat concret que ce soit au niveau de la politique et du budget de l’État jusqu’au soulèvement militaire du 16 mai 1961.

Dans le gouvernement qui se forme à sa suite, le premier titulaire du minis-

tère de la Culture et de l’Information n’est autre que l’ancien directeur de l’Agence d’information publique. Deux années durant, il a assuré la direction d’un plus petit établissement, le Théâtre Wangaksa, qui se situe dans la rue Eulji-ro, et se consacre avec passion au déve-loppement des arts. Dès lors, il n’est pas surprenant que l’une de ses premières initiatives d’importance ait été de ratta-cher le Théâtre national au ministère de la Culture et de l’Information, en octobre 1961. En outre, l’achèvement du Centre municipal, le 7 novembre suivant, lais-sait le Théâtre national libre d’occuper seul les locaux disponibles et allait alors s’ensuivre une rénovation de fond en comble de ce vieux bâtiment sur lequel aucun entretien n’avait été réalisé au cours des quinze années précédentes, des sièges à la scène, en passant par le chauffage et la climatisation, les toilet-tes et le hall d’entrée, à la suite de quoi c’est un bâtiment comme neuf, tout à fait propre, agréable et confortable qui allait être ouvert au public sous le nom de Théâtre national de Myeong-dong. Cette nouvelle orientation artistique allait aussi se traduire par l’enregistre-ment officiel de la Compagnie nationale d’art dramatique, ainsi que par la créa-

tion de l’Opéra national de Corée et de la Compagnie nationale de Gukgeuk, l’actuelle Compagnie nationale de Chang-geuk, et de la Compagnie nationale de danse.

La réouverture dans les années soixante

Du 22 mars à la fin avril 1962, un festival d’art marquant la réouverture du Théâtre national de Myeong-dong inscrira à son programme des spectacles tels que l’opéra coréen Daechunhyangjeon, une

création lyrique intitulée Wangja Hodong et la pièce de théâtre Jeoleumui changga. Cette manifestation qui réunissait les quatre théâtres nationaux mentionnés ci-dessus, l’Orchestre symphonique et les chœurs de KBS, n’allait pourtant attirer que treize mille spectacteurs et, qui plus est, seulement une centaine par repré-sentation à titre payant. Le Théâtre natio-nal de Myeong-dong y avait ainsi englouti l’ensemble de son budget et se trouvait dès lors contraint de mettre ses salles en location. À cela allaient s’ajouter des difficultés administratives aggravées par la nomination à sa tête de pas moins de cinq directeurs successifs en l’espace de ses deux premières années d’existence. Sa situation allait toutefois connaître un léger mieux grâce à la participation de six compagnies dramatiques aux festivités marquant le quatre-centième anniver-saire de la naissance de Shakespeare durant un mois, à partir du 22 avril 1964, chacune d’entre elles représentant l’une des plus grandes œuvres de l’écrivain, à commencer par Le marchand de Venise qu’interprétait la Compagnie nationale d’art dramatique. Si cette manifestation devait enregistrer une assistance sans précédent dans toute l’après-guerre, puisque trente-sept mille spectateurs y

La reconversion du Théâtre d’art de Myeong-dong dans la représentation d’œuvres dramatiques inédites inaugure un tout nouveau mode d’administration des théâtres nationaux coréens.

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avaient été dénombrés, l’embellie allait s’avérer de courte durée et, deux ans plus tard, le Théâtre national de Myeong-dong voyait ses subventions réduites de moitié par rapport au montant escompté pour le budge annuel, tout crédit supplémentaire étant de même exclu pour cette période, en dépit de la levée de boucliers suscitée par cette décision, et le nombre annuel de jours de représentation passant de qua-tre-vingts à trente. Dès lors, le Théâtre en était réduit à louer ses locaux pour assurer sa subsistance, mais l’ironie du sort voulut que les théâtres coréens dussent leur survie au seul dynamisme des compagnies d’art dramatique Don-gin constituées par les associations de théâtre universitaires et génératrices d’un nouvel élan dans la vie théâtrale de cette décennie, notamment pour cette salle de Myeong-dong. L’œuvre Le Rideau sera tout de même levé, qui allait y être mise

en scène au mois de mars 1968 à l’occa-sion du soixantième anniversaire de ce nouveau théâtre dit « singeuk » en coréen, allait ainsi prendre valeur de symbole de la détermination sans faille dont était animé un secteur artistique qui se trouvait pourtant au bord du gouffre. L’extrait sui-vant d’un article de presse permet de se faire une petite idée de cette situation :

« Le Théâtre national de Myeong-dong, l’unique salle consacrée aux arts du spectacle en Corée, est dans un tel état qu’il devra fermer ses portes tous les ans pour une durée de deux mois... Par com-paraison à d’autres salles, on ne peut que constater l’indifférence qui se manifeste à l’égard de ce théâtre pourtant en partie tributaire de subventions d’État destinées à encourager la création artistique à l’échelle nationale, notamment dans le domaine du spectacle. Il faut savoir en

effet que ses salles sont dépourvues d’installations de chauffage et de clima-tisation, ainsi que de groupe électrogène. Pendant une représentation de la pièce Les joyeuses commères de Windsor par la Compagnie Gwangjang, les comédiens ont dû jouer sur une scène éclairée à la bou-gie en raison d’une coupure de courant. Cette situation s’est reproduite lors de l’opéra Chunhyangjeon auquel assistaient plusieurs personnalités étrangères qui ont eu à déplorer une interruption de cin-quante minutes du spectacle. » (Dong-A Ilbo, 20 décembre 1966).

Survient alors l’adoption d’un train de mesures visant à améliorer la situa-tion du théâtre coréen et faisant suite, d’une manière ou d’une autre, à une visite effectuée par le directeur de l’Agence d’intelligence centrale coréenne en Corée du Nord, où celui-ci aura la surprise de

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découvrir les installations culturelles de grande envergure qui font la fierté de ce pays, notamment le Théâtre d’art Man-sudae de Pyeongyang. Résolus à doter dès que possible la capitale d’une salle de dimensions comparables, les pouvoirs publics entreprendront, dans le quartier de Jangchung-dong, la construction d’un Centre culturel national sous forme d’un complexe dont l’un des bâtiments abritera le Théâtre national de Corée et, dès le 12 octobre 1967, se déroule la cérémonie de pose de la première pierre.

Le projet gouvernemental de finan-cer ce chantier par le produit de la vente du Théâtre national de Myeong-dong sèmera le trouble dans une communauté artistique qui y voit le résultat de calculs politiques ne tenant nullement compte des intérêts d’ordre culturel.

D’aucuns remettent aussi en question la rentabilité d’un projet qui prévoit « de construire, sur trois étages et un sous-sol, des salles comportant au total mille cinq cents sièges ordinaires et cent trente loges, ainsi que des toilettes et une buvette dans chacune d’elles. D’une superficie de quatre cents pyeong, chaque scène doit être pourvue de dispositifs permettant aux éléments du décor de tourner, monter ou se déplacer latéralement et d’une fosse d’orchestre capable d’accueillir cent musi-

ciens, le théâtre devant aussi être équipé d’installations de télédiffusion ». Au vu du déclin que connaissait alors l’art drama-tique coréen, il s’en trouvait aussi pour se préoccuper de l’éventuelle interruption définitive des activités théâtrales en raison de ce chantier.

Les quatre appels d’offres qui seront lancés en vue de la vente du Théâtre national de Myeong-dong s’étant soldés par un échec, les pouvoirs publics se résoudront à entreprendre, à partir du 12 octobre 1967, une rénovation partielle au terme de laquelle la salle se verra rebaptiser Théâtre d’art de Myeong-dong, tandis que le Théâtre national de Corée s’installera dans la nouvelle localité de Jangchung-dong, le 26 août 1973, puis le premier étant contraint de fermer ses portes en 1975, il se verra à nouveau placé sous la tutelle du ministère de l’Adminis-tration publique, qui en vendra tous les locaux au mois de novembre 1976.

Un nouveau départ dans la produc-tion

La réouverture du Théâtre d’art de Myeong-dong, suite à sa rénovation, sera saluée avec enthousiasme par les milieux coréens des arts du spectacle, notamment par ceux de ses représentants qui avaient connu la période difficile traversée par cette salle, et qui voient dans sa réhabilita-tion un retour aux sources de l’ensemble du théâtre coréen. La nouvelle allait aussi réjouir les membres les plus chevronnés de la profession comme le public, notam-ment les septuagénaires et octogénaires d’aujourd’hui, mais aussi le monde de la culture et de l’art dans son ensemble.

Ce projet de restauration, qui prévoyait d’importants travaux, notamment un rava-lement des murs exigeant le décapage de plusieurs couches de peinture, visait à conserver à ce théâtre son aspect exté-rieur d’origine, tout en rénovant et moder-nisant son intérieur, afin d’améliorer son caractère fonctionnel sans porter atteinte à son cachet historique et c’est ainsi que le Théâtre d’art de Myeong-dong allait être transformé en un centre de spectacles de

Les travaux de rénovation du Théâtre d’art de Myeongdong visaient à conserver à ce théâtre son aspect extérieur d’origine, tout en rénovant et mo-dernisant son intérieur pour le transformer en un centre de spectacles de haute catégorie.

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haute catégorie occupant cinq étages, plus un sous-sol, et offrant une capacité de cinq cent cinquante-deux sièges.

La scène s’y étend, sur douze mètres de largeur par sept de profondeur, face aux rangées de sièges disposées en fer à cheval et, comme l’affirmait avec fierté l’un des responsables de cette salle, la distance maximale séparant la scène du public n’y atteint que treize mètres et demi au rez-de-chaussée, et seize au premier étage. Sachant qu’en règle générale, la valeur optimale de cet éloignement est de vingt mètres dans les autres salles de spectacle, sa réduction offre ici au public la possibilité de voir parfaitement bien l’expression du visage et la gestuelle des comédiens en scène.

Ces ultimes transformations allaient donc être particulièrement appréciées grâce à une excellente implantation inté-rieure autorisant un meilleur échange entre comédiens et public car, en prenant le parti de limiter le nombre de sièges à cinq cent cinquante-deux sur une struc-

ture à trois niveaux, les architectes entendaient permettre à tout specta-teur de pouvoir apprécier pleinement le spectacle par le large champ de vision dont il dispose, tandis que l’agencement en fer à che-val des sièges, tant au rez-de-chaussée qu’aux balcons, devait créer un plus grand sens de proximité avec les comédiens.

La gestion de la salle allait aussi être planifiée avec soin. Tandis que jusqu’alors, les théâtres nationaux coréens tiraient leurs recettes de la location de leurs ins-tallations à des tiers ou de la représenta-tion d’œuvres nationales ou étrangères déjà existantes et que, même dans le premier cas, les spectacles résultaient souvent d’une coproduction avec des com-pagnies d’autres pays, le Théâtre d’art de Myeong-dong allait avoir pour ambition d’assurer ses productions en toute indé-pendance, c’est-à-dire en mettant lui-même en scène la plupart des œuvres

inscrites à son répertoire, sans avoir à dépendre de ses revenus locatifs.

Une approche novatriceFort de son expérience à la direction

de la planification de plusieurs théâ-tres privés ou organismes publics liés à la profession, Goo Ja-heung, qui vient d’être nommé directeur du Théâtre d’art de Myeong-dong, souligne que l’apparition d’un théâtre de production ne disposant pas de compagnie d’art dramatique atti-trée a marqué un tournant en Corée dans ce domaine, notamment dans l’admi-nistration des théâtres nationaux. À ce dernier égard, l’adoption de ce nouveau paradigme ne pourra que favoriser un plus

Scènes tirées de Un jour heureux de Jinsa Maeng, une œuvre satirique que rendit célèbre sa première représentation, en 1969, dans le bâtiment qui abritait aussi le Théâtre national de Corée, et dont la reprise sur la scène du Théâtre d’art de Myeongdong, quarante ans plus tard, respectait à la lettre sa mise en scène d’origine.

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grand soutien à l’ensemble du secteur par la mise en place d’un environnement plus stable propice à la production et de meilleures assises en vue de l’essor dura-ble de cet art en Corée.

Alors que par le passé, les appuis accordés aux théâtres prenaient surtout la forme d’aides soit octroyées aux troupes d’art dramatique, artistes ou projets indi-viduels, soit destinées à maintenir les frais de location des salles à un niveau aborda-ble, le Théâtre d’art de Myeong-dong sera en mesure de proposer lui-même des pro-ducteurs, scénaristes, comédiens et mem-bres du personnel, ainsi que toute une gamme de prestations associées. Cette offre d’assistance complète allant des

lieux de représentation au financement, en passant par les ressources humaines et techniques, permettra aux troupes théâtra-les privées de mettre en œuvre des projets qui se seraient autrement avérés d’un coût prohibitif et d’en assurer la gestion par elles-mêmes. Par ce biais, le Théâtre d’art de Myeong-dong apportera une importante contribution à l’essor du théâtre, tout en permettant au public d’avoir accès à une plus large variété d’œuvres grâce à une nouvelle manière d’aborder l’administra-tion théâtrale qu’ont d’ailleurs adoptée le Nouveau théâtre national de Tokyo, le Théâtre Vidy-Lausanne et le Théâtre National de la Colline, comme le fait aussi remarquer Goo Ja-heung.

Outre les spectacles qui demeurent à l’affiche depuis l’inauguration du Théâtre après ses travaux, la planification des activi-tés de l’année à venir éveille aussi un grand intérêt. Elle porte notamment sur l’adoption d’un projet destiné à favoriser les œuvres de création afin d’assurer la continuité de la programmation à long terme, de former les futures générations de metteurs en scène et de diversifier le répertoire des pro-ductions et représentations. Par ailleurs, la réalisation d’une série de spectacles jugés particulièrement remarquables per-mettra au public de découvrir les grandes tendances qu’a suivies le théâtre coréen ces dernières années, ainsi que les prin-cipales problématiques auxquelles il a été

confronté. Dans le cadre de cette formule, le Théâtre sélectionnera et mettra en scène des œuvres contemporaines ayant reçu un bon accueil dans le public comme dans la critique. Une autre, intitulée « Metteurs en scène célèbres, pièces célèbres », invitera de grands metteurs en scène coréens et étrangers à monter les classiques de leur répertoire dans cette salle.

À cela s’ajoutera un projet d’une durée de trois ans qui, sur le thème des « Paysages du théâtre moderne coréen », se centrera sur la reprise des œuvres dramatiques les plus célèbres qu’a repré-sentées le Théâtre au cours de sa longue histoire. Il est aussi prévu de proposer divers projets promotionnels tels que celui dit « d’expansion de l’imagination », qui a pour vocation d’encourager des metteurs en scène et comédiens contraints par les circonstances à se cantonner à l’anony-mat de petites salles, en leur offrant la possibilité d’exercer leur créativité et leur talent sur la scène prestigieuse du Théâtre d’art de Myeong-dong. Enfin, dans le but de promouvoir l’avènement de la diversité culturelle en Corée, le Théâtre s’efforcera constamment de mettre à son affiche des pièces en provenance de pays d’Améri-que Centrale ou du Sud, du Moyen-Orient et d’Afrique dont les cultures et peuples demeurent le plus souvent méconnus du public coréen.

Le Théâtre d’art de Myeong-dong établira cette programmation à partir des œuvres retenues par son Comité de direc-tion, mais tiendra également compte pour ce faire des réactions du public et de l’avis des spécialistes du domaine, tant coréens qu’étrangers. Les pièces particulièrement appréciées des spectateurs entreront au répertoire et feront l’objet de repré-sentations régulières afin de favoriser la constitution, au fil des années, d’un grand répertoire spécifiquement coréen. Fruit de l’action concertée de nombreux organis-mes et particuliers enthousiastes, ainsi que des pouvoirs publics, la rénovation du Théâtre d’art de Myeong-dong pourrait ainsi permettre au théâtre coréen de revi-vre ses heures de gloire.

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La ballerine Kang Sue Jin éblouit le public mondial

ENTRETIEN

es pieds tous couturés aux épais durillons, orteils noueux, ongles ébréchés ou cassants, qui font penser à un arbre aux racines tordues ou aux tableaux cubistes de Picasso,

sont ceux de la ballerine de renommée mondiale Kang Sue Jin et portent les stigmates de l’entra nement draconien auquel elle s’astreint avec passion plus de dix heures par jour, au point d’user jusqu’à deux cent cinquante paires de chaussons par an, voire plus, mais lorsqu’ils semblent survoler le sol, ils évoquent aussi un cygne aux gracieuses évolutions défiant les lois de la gravité. D’aucuns y trouvent même une beauté sans égale, comme le grand poète coréen Ko Un qui s’exclamait ainsi : « À la seule vue de cette photo, j’ai senti mon cœur s’affoler et pour tenter de retrouver mon calme, j’ai porté la main à ma poitrine, car je res-sentais une forte émotion ».

Un exceptionnel hommageLe 7 juillet 2007, le Ballet de Stuttgart se produisait dans une

originale adaptation de Roméo et Juliette, l’une des œuvres favo-rites du public allemand et, à la fin de la représentation, les mille cinq cents spectateurs allaient se lever comme un seul homme pour ovationner la première danseuse lors du rappel au rideau. Tandis qu’une banderole à son nom était tendue sur scène, les soixante-dix interprètes du Ballet de Stuttgart offraient un bou-quet de roses et les lieux résonnaient d’acclamations et applau-dissements frénétiques.

Ces faits se déroulaient lors d’un spectacle dont la mise en scène avait été spécialement réalisée en l’honneur de Kang Sue Jin, à l’occasion du vingtième anniversaire de son entrée dans cette compagnie de ballet, dont elle est aujourd’hui sociétaire permanente en tant que première danseuse après en avoir été la plus jeune recrue, à l’âge de dix-neuf ans. S’agissant d’un corps de ballet vieux de près de quatre siècles et renommé dans le monde, il est très rare de rendre un tel hommage à un inter-prète en exercice. Quelques mois plus tôt, la ballerine avait été nommée « kammertänzerin », c’est-à-dire danseuse à la cour,

un honneur que le Ballet de Stuttgart n’avait accordé qu’à trois autres danseurs en cinquante ans de son histoire.

À cela allait s’ajouter, au mois de septembre suivant, la remise du Prix John Cranko, qui porte le nom de l’illustre choré-graphe (1927-1973) auquel le Ballet de Stuttgart doit d’être mon-dialement connu pour l’exceptionnelle valeur artistique de ses œuvres débordantes de créativité et qui récompense les danseurs dont les prestations sont à la hauteur des immenses exigences du ma tre. À cette occasion, la compagnie allait faire la décla-ration suivante : « Sue Jin Kang nous inspire le respect par son interprétation exceptionnelle et éminemment artistique des gran-des œuvres de John Cranko » et, ce faisant, reconna tre en elle l’interprète par excellence des œuvres chorégraphiées par lui.

Le papillon de ferMalgré cet éblouissant succès, sa carrière n’a pas toujours

été le conte de fées qu’elle semble être car elle a suivi un par-cours fait de solitude, de dureté à la peine et des contraintes d’un entra nement rigoureux dont ses « beaux pieds » sont un vivant témoignage et qui débute en 1979, alors qu’elle se trouve en pre-mière année de l’École des beaux-arts de Sunhwa et découvre l’univers du ballet.

En classe, lorsque le professeur demande un jour s’il est des personnes qui souhaitent apprendre la danse classique, Kang Sue Jin lève aussitôt la main, bien qu’elle étudie déjà la danse traditionnelle coréenne, qui, contrairement à la première, exige de rentrer les pieds en dedans et il lui faudra donc leur imposer cette nouvelle position au prix de constants efforts. Au terme d’une année et demie de cette préparation, elle se classe déjà en première place lors d’un concours organisé par l’Université fémi-nine d’Ewha puis, en 1982, part étudier à l’Académie de danse classique de Monte Carlo, suite à la venue à l’École des beaux-arts de Sunhwa de sa première danseuse, Marika Besobrasova, qui remarque le talent potentiel de la jeune fille et l’encourage à suivre une formation spécialisée, alors qu’elle n’a que quinze ans.

C

En 2009, lorsqu’elle retourne dans sa Corée natale pour se produire au Festival de danse de Seongnam, Kang Sue Jin est sociétaire permanente du Ballet de Stuttgart et appartient à l’élite mondiale de la danse, grâce à d’excellentes prestations qui ont été couronnées de succès et lui ont valu d’être qualifiée de « papillon de fer » en raison de l’aisance remarquable avec laquelle elle semble glisser sur scène.

Chung Sang-Young Journaliste au Hankyoreh | Gundel Kilian Photographe

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La ballerine Kang Sue Jin éblouit le public mondial

Kang Sue Jin évoluant dans Roméo et Juliette, dont elle avait déjà interprété le rôle principal en 1993, au sein du Ballet de Stuttgart.

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Dans les dortoirs de cet établissement, l’extinction des feux a lieu chaque soir à vingt et une heures précises, mais Kang Sue Jin attend que le personnel de sécurité ait terminé sa ronde, deux heures plus tard, pour se glisser à pas de loup dans le studio qui se situe à l’étage au-dessus et s’y entra ner très tard au clair de la lune ou à la lueur des palais voisins, car elle s’imagine devoir rattraper le niveau d’élèves beaucoup plus brillants qu’elle. En 1985, à la veille de la remise des diplômes, elle sera la première Asiatique à se voir décerner le Prix de Lausanne, puis, l’année suivante, frappera à la porte du Ballet de Stuttgart dans l’espoir d’y apprendre la danse classique, néoclassique et contemporaine et ainsi commence la légende du « papillon de fer ».

Par-delà les épreuvesPour se hausser au rang de l’élite de la danse mondiale,

Kang Sue Jin apprendra à faire de la douleur son alliée. « En me réveillant, le matin, si je n’éprouve pas la douleur physique habi-tuelle, c’est que je me suis insuffisamment entraînée la veille, car la danse fait souffrir en permanence, alors j’en ai pris mon parti et elle est toujours présente, comme une vieille compagne ». L’an 2000 lui inflige un revers de taille, puisqu’elle doit se faire rempla-cer toute une année suite à une fracture de la cheville, mais elle luttera contre la douleur atroce pour revenir à l’entra nement, de sorte que son médecin se verra contraint de lui prescrire un « arrêt temporaire de la danse ». Angoissée à la perspective de ne plus

remonter sur scène, elle sombre dans un état dépressif jusqu’à cet appel où Reid Anderson, le directeur artistique du Ballet de Stut-tgart affirme, en lui demandant de ne pas s’inquiéter, qu’il attendra son rétablissement autant qu’il le faudra et, en entendant ces quel-ques mots de réconfort, auxquels se joignent ceux d’un collègue de quarante-neuf ans, Tunchi Shockman, qui se dit certain de son retour, elle s’armera de patience dans un sursaut de volonté car elle « affectionne trop la danse pour l’abandonner ». C’est en 2002 qu’elle reprend cette activité, après s’être remise de sa blessure, et qu’elle devient sociétaire permanente du Ballet de Stuttgart, mais aussi qu’elle épouse Tunchi Shockman.

Interrogée sur ce qu’elle représente à ses yeux, elle déclare : « Tout simplement ma vie, car je ne peux imaginer d’exister sans elle. Voilà vingt-quatre ans déjà que j’appartiens au Ballet de Stu-ttgart et pourtant, rien n’a changé. Il importe, plus que tout, de s’entra ner du mieux possible et tous les jours car, à mon avis, le talent n’intervient qu’à raison d’un pour cent et tout le reste est fondé sur l’effort », un point de vue qui para t tout à fait logique s’agissant de quelqu’un qui s’y astreint avec autant d’enthou-siasme. L’idée suivante revient à maintes reprises dans ses pro-pos : « Une grande danseuse se doit d’avoir le talent et le corps qui s’imposent, mais elle ne peut réussir sans un entra nement constant et une patience à toute épreuve ».

Aujourd’hui encore, même lorsqu’elle n’a pas à répéter pour un spectacle à l’affiche, elle est levée tous les jours à six heures

1 Kang Sue Jin interprète la ravissante et ingénue Tatiana d’Eugène Onéguine.

2 À quarante ans passés, Kang Sue Jin, première danseuse au Ballet de Stuttgart, incarne toujours le personnage de Juliette.

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« En me réveillant, le matin, si je n’éprouve pas la douleur physique habituelle, c’est que je me suis insuffisamment entra née la veille, car la danse fait souffrir en permanence, alors j’en ai pris mon parti et elle est toujours présente, comme une vieille compa-gne ».

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du matin pour s’exercer deux heures durant, tandis qu’à ses débuts, elle pouvait consacrer jusqu’à dix-neuf heures quotidien-nes à un spectacle en préparation, usant trois à quatre paires de chaussons par jour, quand les autres n’en changeaient qu’une semaine sur deux, ce qui faisait dire au responsable du matériel qu’elle dépassait de beaucoup la quantité allouée.

Soumise à l’épreuve d’un entra nement aussi contraignant, elle allait non seulement voir cette consommation augmenter, mais aussi en constater les dommages sur ses pieds déformés et couverts d’innombrables ampoules qui s’infectaient sans jamais cicatriser vraiment, allant jusqu’à bourrer ses chaussons de vian-de crue tant ses orteils la faisaient souffrir. « Pendant une séance, il y avait même des gouttes de sang, mais je n’avais d’autre choix que de continuer », se souvient-elle. Orteils noueux et cals aux articulations sont le lot de ces « beaux pieds » qui sont les siens et sur lesquels elle a construit sa fulgurante carrière.

Le critique de danse Jang Kwang Ryul déclarait en privé que « certains danseurs hésitaient à faire équipe avec elle, car après une séance d’entra nement en sa compagnie, l’un d’entre eux s’était trouvé dans un état d’épuisement et de déshydratation complets », ajoutant toutefois : « C’est Kang Sue Jin telle qu’en elle-même, allant jusqu’à la limite de ses forces pour s’entra ner,

puis évoluant à la perfection sur scène et glissant avec aisance, comme si elle défiait les lois de la gravité ».

Un répertoire variéDe l’avis général, Kang Sue Jin a su conquérir le public par

le magnétisme et la créativité de son expression artistique, mais après l’avoir suivie tout au long de sa carrière, Jang Kwang Ryul est persuadé que son succès tient à sa « parfaite ma trise techni-que acquise par un entra nement constant et cette faculté qu’elle a de donner vie aux personnages grâce au style d’interprétation qui lui est propre ».

Au cours de ces vingt dernières années, elle a incarné les per-sonnages principaux de plus de vingt ballets, dont La belle au bois dormant, La flûte enchantée et Roméo et Juliette, outre les rôles divers qu’elle a joués dans plus de quatre-vingts œuvres telles que Carmen et Nuages, la plupart de ces spectacles obéissant à la mise en scène rigoureuse de chorégraphes mondialement connus tels que John Cranko, Maurice Béjart, Jiri Kylian, John Neumeier, William Forsythe, Hans van Manen, Christopher Wheeldon, Nacho Duato ou Renato Zanella et lui attirant les éloges de la critique comme du public.

Dans La dame aux camélias, elle a incarné ainsi une Margue-

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1 Scène de La dame aux camélias, où Kang Sue Jin est la courtisane Marguerite et mêle intimement à son interprétation des éléments tirés de son expérience personnelle.

2 Passage de La Belle au bois dormant.

3 Danses dans un bal.

rite Gautier alanguie par un amour impossible en mêlant intime-ment à son interprétation des éléments tirés de son expérience personnelle, pour passer avec une égale grâce, dans Eugène Oné-guine à celle, tout à fait différente, d’une femme sincère et géné-reuse prénommée Tatiana, puis au rôle féminin titre de Roméo et Juliette, qu’elle a interprété à la perfection, malgré ses quarante ans passés, devant une critique admirative, ce qui lui inspire la réflexion suivante : « À tout âge, on peut para tre dix-sept ans comme soixante-dix, pourvu que l’on entre complètement dans un rôle ».

Au Festival de danse qui se déroulait cette année à Seon-

gnam, Kang Sue Jin allait révéler une fois de plus toute la passion qu’elle éprouve pour son art en déclarant : « Tant que mon corps m’y autorisera, je continuerai à danser », puis au mois de juin dernier, elle sillonnait l’Espagne pour y donner Roméo et Juliette, lors-qu’elle ne jouait pas Eugène Onéguine à Stuttgart. Après être parvenue à la quarantaine, un âge où ses consœurs ont pour la plupart quitté la scène depuis longtemps, elle se trouve encore au sommet de son art et affirme à ce propos : « Qu’importent passé et avenir ? Ce qui compte, c’est de vivre dans le présent et aujour- d’hui, j’entends consacrer toute mon énergie à me perfectionner pour faire toujours mieux ».

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Le poli des objets de laque s’obtient en appliquant plusieurs couches de ce vernis avec un soin extrême et en apportant une grande attention aux détails de la finition, une technique que le ma tre artisan Sohn Dae-Hyun affirme n’avoir acquise qu’après douze années de pratique de son métier.

Park Hyun Sook Rédactrice occadionnelle | Ahn Hong-beom Photographe

ARTISAN

De multiples couches à l’éternel éclat

Sohn Dae-Hyun Ma tre laqueur

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ar son vif éclat et son parfum par-ticulier, la laque qui recouvre meu-bles et articles ménagers crée une

atmosphère chaleureuse, outre qu’elle leur confère des qualités décoratives qui en font de véritables objets d’art, tout en les rendant plus solides par ses proprié-tés de résistance à l’humidité, à la chaleur et au pourrissement. Réalisés entre 1236 et 1251, sous la dynastie Goryeo, les Pal-man Daejanggyeong, ces blocs de bois remarquablement bien conservés sur lesquels s’inscrit le canon bouddhiste du Tripitaka Koreana, ont exigé la mise en œuvre de différentes techniques, dont le laquage, ainsi que de procédés avancés de séchage, la gravure minutieuse des idéo-grammes et une conception scientifique assurant ventilation naturelle et humidité adéquate dans les bâtiments destinés à leur entreposage. De nos jours, c’est aux carrosseries d’automobiles et aux coques de bateaux que la laque fournit son revê-tement protecteur.

Une tradition deux fois millénaireFruit de traditions anciennes en Corée,

en Chine et au Japon, l’artisanat de la laque y comporte des spécificités telles que, dans ce deuxième pays, l’application de plusieurs couches épaisses en vue d’y graver de délicats motifs, tandis qu’au Japon, une fine poudre d’or ou d’argent était répandue sur la surface laquée et pouvait être remplacée par des feuilles de ces mêmes métaux, selon le procédé dit « makiye ». Quant aux Coréens, ils préféraient à ces techniques celle de l’incrustation de nacre pour réaliser

divers motifs et scènes dont la tradition remonte à l’aube de l’humanité, puisqu’il est vieux de deux millénaires, comme en attestent les objets extraits d’une tombe de Daho-ri, ville du canton de Changwon-gun qui se situe dans la province de Gyeongsangnam-do. C’est sous la dynastie Goryeo (918-1392) que l’art du laque allait atteindre son apogée en Corée. À cette époque, l’ouvrage intitulé Donggukmun-heonbigo (Compilation des documents de référence de Corée) rapporte ainsi que le roi Munjong fit présent de laques nacrés à la dynastie chinoise des Liao et, après s’être rendu dans le royaume de Goryeo en 1123, un envoyé de la dynastie des Song nommé Xu Jing fit l’éloge des objets laqués qu’il y découvrit, dans la chronique de ses voyages intitulée Gaoli tujing (Chro-niques illustrées de Goryeo), qualifiant ceux-ci de « raffinés et de grande valeur ».

Sous la dynastie Joseon (1392-1910), la production destinée à l’État faisait l’objet de commandes passées aux arti-sans retenus par les gouvernements central et de province. Dans le premier cas, ces hommes de métier connus sous le nom d’« artisans de la capitale » réa-lisaient leurs fabrications pour la famille royale et les offices gouvernementaux, tandis que dans le second, il s’agissait d’« artisans provinciaux » répondant aux besoins des autorités locales. Par le pres-tige de leur titre et l’excellence de leurs techniques, ils exercèrent une influence considérable sur l’ensemble de la profes-sion, d’autant que, dans la capitale, celle-

ci figurait parmi les trois principaux corps de métier de l’atelier de la

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1 Après avoir incrusté la nacre et déposé plusieurs couches de laque, Sohn Dae-Hyun polit soigneusement la surface sèche de la nouvelle pièce pour en révéler les motifs, puis élimine l’excédent de vernis à l’aide d’un couteau.

2 Ce jeu de boıtes laquées, qui devait valoir à Son Dae-Hyun de recevoir son premier prix lors d’une exposition de produits artisanaux, s’orne d’un chrysanthème et de feuilles de vignes délicatement exécutés en écaille de tortue auxquelles se superpose un revêtement multicouche en laque. 2

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capitale, aux côtés des menuisiers et des spécialistes du travail sur bambou.

C’est à la fin de la dynastie Joseon que le maıtre laqueur Jeon Seong-gyu fit son entrée aux ateliers royaux et il vécut dès lors au palais, où l’avait introduit une dame de cour, pour s’y consacrer à la conser-vation des antiquités royales en parallèle avec ses fabrications de laque. Faisant partie des derniers représentants de cette profession que compte la capitale, il y for-mera plusieurs apprentis parmi lesquels figurent les trois plus grands de notre époque, à savoir Min Jong-tae, Kim Bong-ryong et Kim Tae-hui, le premier d’entre eux ayant à son tour eu pour meilleur élève Sohn Dae-Hyun, qui a aujourd’hui soixante ans et s’est vu classer Bien cultu-rel immatériel n°1 par la Ville de Séoul.

Trois générations d’artisansEn 1996, l’année qui précède sa dispa-

rition, Min Jong-tae se choisit pour héri-tier Sohn Dae-Hyun auquel il transmet le pseudonyme de Sugok, c’est-à-dire la « vallée de vie », qu’il avait lui-même acquis de son maıtre Jeon Seong-gyu, afin d’en perpétuer le sens en l’attribuant au plus méritant de ses adeptes, comme l’avait fait Jeon en son temps, et c’est trois ans plus tard que le jeune artisan se verra déclarer Bien culturel immatériel par la Ville de Séoul.

« Mon maıtre m’engageait toujours

à me soucier des détails les moins appa-rents, car en matière de laquage, le fini de surface est tout aussi important sur les couches inférieures. L’exécution d’une pièce comporte au bas mot vingt étapes, notamment l’application de mul-tiples couches et la pose d’un morceau d’étoffe, mais si l’on souhaite incruster de la nacre en surface, alors il faut en compter vingt-cinq supplémentaires. Chaque objet nécessite en moyenne près de six mois de travail, mais il m’est arrivé de passer plus de dix ans sur un seul d’entre eux. C’est un travail qui exige une grande capacité de concentration et beaucoup de patience.

« Si l’on n’a pas réalisé l’une des couches avec assez de soin, tout en se disant qu’il ne s’agit que d’une parmi tant d’autres, il est à prévoir que le résultat final sera de piètre qualité. Mon maıtre me répétait qu’en fonction du degré d’attention que l’on avait consacré à chaque opération, la durée de vie d’une pièce pouvait varier entre cent et cinquante ans, voire moins. Ainsi, sur ce boıtier de chapelet bouddhi-que en écaille de tortue datant de la dynas-tie Goryeo, la nacre incrustée des chry-santhèmes et feuilles de vigne conserve mille ans après ses délicats reflets irisés et l’exécution d’une telle œuvre n’est digne que d’un véritable artisan ».

Toute une vie de labeurAujourd’hui encore, Sohn Dae-Hyun

se rappelle très bien être resté béat d’admiration devant l’aspect lustré de cette laque qu’il découvrit à l’âge de seize ans. Un an après sa naissance en 1949, à Janghyun, dans la province de Hwan-ghae-do, éclatait la Guerre de Corée et sa mère prenait la fuite en le portant sur son dos, pour gagner le sud du pays. Loin de sa région natale, il allait alors connaıtre une existence d’autant plus difficile en l’absence d’un père, puisque celui-ci était décédé avant même qu’il ne naisse. Dès la fin de ses études primaires, il entrera dans la vie active en effectuant des cour-ses pour une société d’import-export située à Séoul, dans un bâtiment qui abri-tait aussi un atelier de laquage.

Fasciné par la beauté de ses fabrica-tions, il s’attarde souvent devant lui et va jusqu’à s’initier aux rudiments du travail en observant les ouvriers, puis, tant son intérêt est grand, à quitter sa place pour se mettre en quête de Min Jong-tae, l’un des trois grands maıtres de cet artisanat. Ce dernier n’accorde tout d’abord pas le moindre regard à ce jeune homme animé d’un fervent désir d’apprendre avant qu’il ne fasse ses preuves dans un métier d’art qui, comme les autres, exige particu-lièrement de patience, en s’acquittant des plus petites tâches six mois durant, sans se plaindre, ce qui lui vaudra d’entrer en apprentissage.

En ce qui concerne les techniques du

1 Plateau laqué et service à thé orné d’un élégant décor à l’or fin sur la surface intérieure des récipients et alliant l’aspect agréable de la laque au caractère pratique de ses propriétés de résistance à l’humidité, à la chaleur et au pourrissement.

2 L’exécution de ce délicat motif a fait appel à un procédé traditionnel de laquage remontant à la dynastie Goryeo et réalisé à l’aide de lamelles d’écaille de tortue dont la face intérieure a été peinte.

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« Si l’on n’a pas réalisé l’une des couches avec assez de soin, en se disant qu’il ne s’agit que d’une parmi tant d’autres, il est à prévoir que le résultat final sera de piètre qualité. Mon maıtre m’engageait toujours à me soucier des détails les moins apparents, car en matière de laquage, le fini de surface est tout aussi important sur les couches inférieures ».

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métier, Sohn Dae-Hyun établit un parallèle avec la calligraphie, où l’assurance, voire l’audace de chaque coup de pinceau joue un rôle décisif, de même que le dosage de l’encre, dans l’obtention d’un tracé parfait, c’est-à-dire ni trop épais, ni trop fin. Pour laquer un objet, l’artisan emploie un ins-trument dit « guiyal » qui est semblable à un pinceau et se compose de crin de cheval ou de cheveux d’épaisseur et de largeur variable, mais que l’on coupe à longueur, comme on taillerait un crayon, après les avoir placés dans un petit boıtier de bois où ils sont étroitement comprimés. Tout comme le calligraphe, le laqueur doit bien évaluer la quantité de laque convenant à une application uniforme au moyen de ce pinceau doux. Affirmant n’être parvenu à maıtriser les techniques de laquage qu’après douze années de pratique du métier, le maıtre artisan Sohn Dae-Hyun recherche la perfection et se refuse à retoucher les moindres défauts, à l’instar de son prédécesseur Min Jong-tae.

Ce dernier dominait aussi l’art d’incruster la nacre, qui embellissait sou-vent de son chatoiement les objets laqués traditionnels, sous forme de scènes ou motifs inspirés de la nature et particu-lièrement appréciés lorsqu’ils représen-taient côte à côte les astres opposés que sont le soleil et la lune, d’autant que dans cet artisanat coréen, cette substance symbolise les reflets de la mer et celle de l’arbre à laque, la sagesse des montagnes dont l’alliance permet d’obtenir un objet d’art qui est aussi fonctionnel.

Sohn Dae-Hyun allait mettre en appli-

cation les enseignements de son maıtre dans une œuvre dont la valeur serait saluée, en 1984, par le prix qu’il devait recevoir lors du Concours d’artisanat de Dong-A et auquel allaient succéder plu-sieurs autres dans le cadre de concours annuels d’artisanat traditionnel coréen, ainsi que celui du Premier Ministre, qui couronnerait son succès à l’échelle natio-nale. Aujourd’hui directeur de l’Associa-tion coréenne pour la conservation des biens culturels immatériels importants, il suscite d’autant plus d’admiration par la création de pièces adaptant des éléments d’esthétique contemporaine à des pro-cédés d’exécution respectueux de la tradition, car tout en perpétuant le déli-cat savoir-faire hérité de son ma ıtre, il se ménage une part d’innovation per-sonnelle pour convenir à la sensibilité actuelle. En son temps, le président de la République Kim Dae-jung aimait à offrir à ses invités d’honneur des objets laqués réalisés par Sohn Dae-Hyun, tel ce coffret à bijoux à deux compartiments qu’il remit à l’empereur du Japon et où s’inscrivait en caractères chinois le mot « hui », qui signifie la joie, ou celui, orné des dix symboles de la longévité, dont il fit présent à la reine Elisabeth II à l’occasion de sa visite en Corée, en 1999, autant de pièces d’une œuvre qui côtoie celle de son maıtre au Musée d’art Ho-Am et au Musée national d’art populaire.

Une discipline spartiateLe laquage consiste à enduire des

objets du vernis brut extrait de la résine,

1 La première étape de réalisation d’un laque consiste à mêler en quantités égales de la laque brute à de la colle de riz, en remuant l’ensemble avec une spatule en bois.

2 À l’aide du mélange ainsi obtenu, l’artisan re-couvre uniformément la toile de ramie tendue sur le bois de la pièce.

3 Dépôt d’une première couche de laque raffinée, après avoir bien dosé la quantité de laque convenant à un travail régulier au pinceau.

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Ce coffret à bijoux orné des dix symbo-les de la longévité fut offert à la reine Elisabeth II, à l’occasion de la visite qu’elle effectua en Corée, en 1999.

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puis de laque raffinée par chauffage de la matière première à 40°C et additionnée d’acier oxydé qui lui donne sa couleur noire, à laquelle peuvent se substituer d’autres obtenues par l’adjonction de cina-bre ou d’orpiment. Dans les fabrications les plus courantes, le lissé de surface s’obtient en recouvrant un support textile tendu sur un châssis de bois d’un mélange de laque, terre fine, coquillages et poudre de charbon, puis en polissant la surface à l’aide d’une meule et après l’application d’une seconde couche de laque, l’ensem-ble prend place dans un séchoir réglé à la température et à l’humidité adéquates. Après avoir procédé deux à quatre fois à ces opérations et en avoir examiné atten-tivement le produit pour s’assurer qu’il est exempt de grains de poussière et d’autres particules, l’artisan élimine toute aspérité au moyen de papier de verre, puis dépose une nouvelle couche de laque raffinée, suivie d’une seconde et d’une troisième, en séchant et polissant le support entre ces différentes passes. C’est alors qu’intervient l’incrustation des décors de nacre auxquels se superposera une vingtaine de couches de laque à un intervalle de temps suffisant pour que chacune d’entre elles ait le temps de sécher complètement, et ainsi de suite jusqu’à la dernière, après quoi seulement l’artisan pourra s’accorder une pause.

«Avant d’ouvrir la porte du séchoir, j’ai pour habitude d’observer un moment de recueillement, puis je me lave les mains et m’assure de la correction de ma tenue. Je crains toujours que la couleur ne soit pas tout à fait conforme à mes atten-tes et que la moindre impureté se soit engluée entre deux couches. Je pense que la qualité d’un objet d’art est fonction de l’effort qu’il a requis de son créateur ».

Si l’art du laque exige incontestable-ment une grande persévérance et une discipline de fer, le maıtre Sohn Dae-Hyun n’a jamais eu à regretter son choix de

l’exercer, pas plus que ne lui est venue l’idée de chercher d’autres moyens de subsistance lorsqu’il a connu des difficul-tés financières. Fort de ses convictions, il allait en outre pouvoir compter sur le soutien indéfectible de son épouse, qui est demeurée constamment à ses côtés pour lui apporter son aide par tous les

moyens possibles, allant jusqu’à lui remet-tre les bagues en or qu’elle avait reçues à l’occasion du premier anniversaire de leurs enfants, lorsqu’il devait ajouter de la pou-dre de ce métal à ses fabrications et, dans cette modeste anecdote, transparaıt toute la passion qu’éprouve ce couple pour l’art du laque.

4 Sohn Dae-Hyun applique une dernière couche de laque en s’assurant que la surface en est exempte de poussière pour obtenir un éclat parfait.

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CHEFS-D’OEUVRE

lus connu sous le pseudonyme de Danwon, Kim Hong-do (1745-1806) compte parmi les grands maıtres de la peinture de la dynastie Joseon, en cette époque comprise

entre la fin du dix-huitième et le début du dix-neuvième siècles où la Corée connaıt une considérable stabilité sociale et politique, ainsi que la prospérité économique, car ses pratiques agrico-les anciennes commencent à récolter les fruits du commerce international, notamment par des échanges florissants avec la dynastie chinoise des Qing et le bakufu d’Edo, au Japon. En outre, des souverains régnants tels que Jeongjo et Yeongjo marqueront la dynastie de leur raffinement culturel et se feront les généreux bienfaiteurs de brillants artistes parmi lesquels figurent Jeong Seon, Gang Se-hwang, Sim Sa-jeong, Sin Yun-bok, Jo Yeong-seok et Yi In-sang, ainsi que Kim Hong-do, qui est alors le peintre le plus illustre.

La peinture du quotidienProtecteur des arts et fervent admirateur de Kim Hong-do,

qui devait réaliser plusieurs portraits de lui, mais recevoir aussi des commandes des courtisans, le roi Jeongjo accède au trône en 1776, dans un contexte fertile en événements historiques mondiaux, puisque cette année est celle de l’indépendance de la nation américaine désormais émancipée de l’Empire britannique, et que peu après, l’Europe s’embrasera dans les conflits nés de la Révolution française, tandis qu’en Corée, en Chine et au Japon, le bon gouvernement des souverains de Joseon, de Qing et du bakufu d’Edo garantit abondance de biens et stabilité sociale.

Artiste assurément accompli et si talentueux qu’il excel-lait dans tous les genres de la peinture asiatique, Kim Hong-do traitait, d’un même maniement magistral de son pinceau, des

thèmes paysagers ou humains, ou encore floraux accompagnés d’oiseaux, relatifs aux sujets de toute catégorie sociale et à leur quotidien, en une peinture de moeurs particulièrement répandue dans l’art du dix-huitième siècle et contrastant fortement, par son réalisme inédit, avec les styles typiquement asiatiques, souvent caractérisés par l’expression d’un idéal ou d’une philosophie. Alors que les œuvres abstraites d’aujourd’hui laissent souvent le public perplexe, ces scènes animées de la vie de tous les jours suscitaient l’enthousiasme des Coréens d’alors, sur lesquels Kim Hong-do allait exercer durablement son charme sans pareil.

Classicisme et romantisme prédominent alors dans l’art occidental, respectivement chez les peintres Jacques-Louis David (1748-1825) ou Francisco de Goya (1746-1828), le premier, adepte du style néo-classique et farouche partisan de la Révolu-tion française, étant l’auteur du chef-d’œuvre La mort de Marat, qui exprime les tragiques réalités de son temps d’une façon à la fois forte et sereine, tandis que le peintre de cour que fut le second représente à sa manière ces troubles qui agitent aussi l’Espagne.

Située en cette époque prospère de fin de dynastie, l’œuvre de Kim Hong-do se démarque de celles de l’Occident, où abondent scènes de violence ou de chaos, par l’impression joviale et placide qui émane de ses personnages paisibles et visiblement satisfaits d’eux-mêmes. S’il lui fut souvent demandé de représenter les réjouissances qui se déroulaient à la cour, Kim Hong-do préféra s’intéresser à la vie quotidienne du bas peuple, comme dans son Album de peintures de mœurs qui en offre un intéressant aperçu et, si le charme désuet de cet univers vieux de deux siècles peut aujourd’hui prêter à sourire, l’ascendant qu’il exerce encore sur notre monde actuel a par contre de quoi surprendre.

Kim Hong-do capte l’esprit de Joseon

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L’Album de peintures de moeurs de Kim Hong-do renferme un remarquable ensemble de vingt-cinq tableaux représentant des scènes de la vie quotidienne sous la dynastie Joseon et témoignant du haut degré d’évolution artistique auquel était parvenue la Corée au dix-huitième siècle.

Jin Jun-hyun Conservateur du Musée de l’Université nationale de Séoul

Photographie Musée national de Corée

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Dans la célèbre œuvre intitulée Ssireum (lutte coréenne) figurant dans le recueil intitulé Album de peintures de mœurs, qui rassem-ble des travaux de Kim Hong-do, quoique la représentation des lutteurs et spectateurs, sans la moindre esquisse préalable, puisse faire penser à une improvisation, il s’agit en réalité d’une composi-tion soigneusement étudiée et régie par un grand sens de l’équilibre.

Kim Hong-do capte l’esprit de Joseon

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À grands traits audacieux, contours et formes générales sont admirablement tracés sur le papier, sans la moindre esquisse préalable, mais s’il peut s’agir en apparence d’improvisation, le résultat en est une composition soigneusement étudiée.

Un pilier de l’éducationCharmante évocation de l’instruction publique d’alors, L’École

de village atteste des origines anciennes auxquelles remonte le véritable engouement que suscite l’éducation chez les Coréens, lesquels se sacrifiaient autrefois tout autant qu’aujourd’hui afin que leurs enfants en soient pourvus, sans presque se préoccuper de leur propre bien-être, conscients du rôle décisif que joue celle-ci dans l’ascension et l’intégration sociales, selon la morale en vigueur à quelque époque que ce soit. Dans presque toutes les communes rurales, existaient des établissements scolaires tels que celui qui figure dans cette œuvre, car ils représentaient l’un des piliers de la dynastie en matière d’éducation.

Le peintre y représente un vieux maıtre d’école assis par terre, à une table basse, en face de neuf enfants divisés en deux rangées, dont un qui s’apprête à recevoir la punition, livre ouvert déposé derrière lui, tandis qu’une baguette gıt près de la table de l’enseignant. Essuyant ses larmes du dos de la main et effrayé à la perspective des coups, ce garçonnet de sept ou huit ans desserre la lie qui retient son pantalon à la cheville pour révéler ses mollets. Quant à ses petits camarades, ceux qui s’alignent à gauche semblent compatir avec son tourment, dont l’un d’eux qui, dissimulant sa bouche de la main, semble souffler la réponse à son ami châtié, un autre lui adressant un signe pour qu’il regarde son livre, alors que dans le rang contigu, ils ne paraissent éprouver, devant sa détresse, qu’une certaine indiffé-rence parfois teintée d’ironie.

Un autre encore, qui est assis tout près de l’instituteur, à sa gauche, et semble le plus âgé du groupe par son chapeau à larges bords, rappelle par le biais de cette émouvante scène, que dans les établissements ruraux d’alors, une même classe

regroupait des écoliers d’âge différent auquel s’adressaient individuellement les leçons, cette pratique s’avérant judicieuse, tout au moins dans l’éducation primaire, par les grands effectifs qu’elle permettait de scolariser. De manière générale, ce tableau atteste bien du respect que les Coréens vouent de longue date à l’éducation.

Les Coréens aux jeuxLa lutte de style coréen dite « ssireum » diffère non seu-

lement des sports de combat occidentaux, mais aussi de l’art martial traditionnel coréen du taekwondo, puisque les adversai-res n’y portent de coups ni avec les pieds ni avec les mains, mais se contentent de rivaliser de puissance et de technique pour se projeter réciproquement à terre, c’est-à-dire faire toucher le sol à une partie du corps autre que les pieds, auquel cas le lutteur resté debout est déclaré vainqueur. Dans l’œuvre intitulée Ssi-reum (lutte coréenne), l’un des concurrents, les traits tendus par l’effort, dispose d’un léger avantage et semble sur le point de ren-verser l’autre, qui tente désespérément de conserver l’équilibre et l’on pressent bien l’imminence de la chute, tout en remarquant les chaussures des hommes rangées avec soin non loin de là.

Le peintre représente avec force détails les spectateurs, dont ces hommes qui se tiennent à droite des lutteurs, bouche bée et regard rivé sur les lutteurs, tandis que le reste du public suit leurs évolutions avec plus ou moins d’intérêt, qui portant un chapeau, qui décoiffé, levant le bras dans l’espoir d’une issue victorieuse ou dissimulant son visage d’un éventail, mais tous passionnés par le combat, auquel semble attendre de participer un homme tête et pieds nus assis au premier plan, bras entourant ses jambes. Seul témoin indifférent au spectacle, un marchand de friandises por-

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tant son plateau de bois accroché au cou se tient du côté gauche, sans autre client potentiel qu’un garçonnet situé dans la partie basse du tableau.

Des éléments caractéristiquesLes œuvres figurant dans l’Album de peintures de mœurs

présentent la particularité de se consacrer à l’étude des hommes et de leurs activités, sans représenter leur environnement de manière détaillée. Cette démarche concourt à la mise en valeur du thème central, notamment sur un support de taille réduite, quoiqu’un examen plus attentif de son agencement révèle que l’artiste a su y tirer partie, avec savoir-faire et efficacité, de ces

limites spatiales. L’implantation des sujets humains en action s’avère en effet conçue de telle sorte que l’observateur puisse avoir l’impression, par un procédé naturel et subtil, de se trouver lui-même sur les lieux.

À grands traits audacieux, contours et formes générales sont admirablement tracés sur le papier, sans la moindre esquisse préalable, mais s’il peut s’agir en apparence d’improvisation, le résultat en est une composition soigneusement étudiée. L’aisance d’exécution et le sens de l’équilibre qui ont présidé à la réalisation des œuvres de cet Album de peintures de mœurs atteste remarquablement de l’exceptionnel talent de son auteur alors âgé d’une trentaine d’années.

L’Album de peintures de mœurs comporte aussi cette scène de classe située sous la dynastie Joseon, dans une école de village, comme l’indique son titre Seodang, qui désigne en coréen ce type d’établissement.

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Une rétrospective des trente ans du Festival de théâtre de Séoul

CHRONIQUE ARTISTIQUE

Dans la reprise de Jour de printemps, Oh Hyeon-gyeong joue le rôle du père qu’il avait déjà incarné en 1984, mais à un âge aujourd’hui plus proche de celui-ci.

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igurant parmi les manifestations les plus anciennes et célè-bres que compte le pays, le Festival de théâtre de Séoul, dit de Corée lors de sa création en 1977, est aujourd’hui admi-

nistré par l’Association théâtrale de Séoul, qui a succédé en cela au Théâtre national et, si cette année marque en réalité sa trente-troisième édition sous le signe d’un véritable renouveau, elle a été déclarée celle de son trentième anniversaire dans la mesure où l’appellation « Festival des Arts du Spectacle de Séoul » a aussi été employée pendant trois ans.

La reprise des principales œuvresC’est en 1977 que se déroule le premier Festival de théâtre,

parallèlement à celui consacré à la Danse et un an après la créa-tion du Festival de Musique de Corée, car les arts du spectacle sont alors en plein essor grâce au soutien que leur apportent les pouvoirs publics. Ceux-ci entendant avant tout encourager la création et fournir un appui aux compagnies de théâtre, les mises en scène porteront dès lors exclusivement sur des pièces novatri-ces et des postes budgétaires seront affectés à l’aide aux drama-turges. La première édition instaure un certain degré de compé-tition limité à la remise de prix groupés, que la deuxième étendra ensuite aux personnes et, dans la plupart de ses mises en scène, le Festival adoptera un parti pris de nouveauté, exception faite des pièces étrangères et nationales qu’il a présentées dans des circonstances particulières telles que le Festival culturel et artis-tique qui s’est déroulé en parallèle avec les Jeux Olympiques de 1988.

L’édition qui se déroulait du 16 avril au 24 mai derniers avait mis à l’affiche dix œuvres dramatiques composées des neuf les plus importantes d’un répertoire qui en a compté deux cent

quatre-vingt-dix au cours de ces trente dernières années et une dixième entièrement nouvelle. Cette programmation se répartis-sait entre le Théâtre des arts d’Arko, plusieurs salles de Daehak-ro, celles de Towol et Jayu, ainsi que le Centre des Arts de Séoul, le choix de cette dernière scène s’inscrivant en rupture avec les années précédentes où la plupart des pièces étaient représen-tées au Théâtre des arts d’Arko, que ce soit dans la salle princi-pale ou dans les plus petites.

Le Festival s’était lancé le défi de faire revivre neuf grandes œuvres en faisant appel à des metteurs en scène, compagnies et comédiens différents. La sélection opérée dans le répertoire avait porté sur des pièces particulièrement représentatives de leur époque et empreintes d’une forte expressivité, auxquelles avait été conféré un cachet de nouveauté au prix de beaucoup d’efforts et d’enthousiasme, pour aboutir à une formule qui allait rempor-ter un énorme succès au vu du nombre record de spectateurs qu’elle a attirés.

En Corée, les œuvres de création étaient le plus souvent vouées à disparaıtre du jour au lendemain, après la première, et si la multiplication des compagnies et l’engouement crois-sant pour ce type de spectacle allaient apporter quelque variété au répertoire, les reprises de pièces déjà existantes allaient néanmoins prédominer. Toutefois, il avait rarement été donné de voir un festival proposer un aussi grand nombre de produc-tions que ne l’a fait le trentième Festival de théâtre de Séoul pour sa « Reprise de grandes œuvres », qui marque un vérita-ble tournant dans l’histoire théâtrale coréenne, alors il convient de s’intéresser de plus près au succès qu’a connu cette mani-festation en se demandant si elle a réellement atteint ses objectifs.

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En prenant pour thème la « Reprise de grandes œuvres », le Festival de théâtre de Séoul pro-posait cette année de nouvelles mises en scène de ses spectacles à succès pour marquer son trentième anniversaire, qui est l’occasion de se pencher sur le bilan et les pespectives d’avenir de cette manifestation dont les représentations tiennent depuis si longtemps l’affiche.

Gu Hee-seo Critique de théâtre | Photographie Le Théâtre national de Corée

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Jour de printempsReprésentée pour la première fois en 1984, au Festival de

théâtre de Corée, dans une mise en scène de Kwon Oh-il inter-prétée par la Compagnie de théâtre Sungjwa, l’œuvre de Lee Gang-baek intitulée Jour de printemps était jouée cette année par la Compagnie Baeksukwangbu que dirige Yi Seong Yeol, après l’avoir aussi été par la Compagnie Bipa, sous la direction de Kim Cheol-ri, lors du Festival international de théâtre de Séoul/Gyeonggi, en 1997. Sous forme d’une métaphore tenant du conte de fées ou, par sa structure, d’une sorte de mythe, cette pièce dresse un état des lieux de la situation politique de la Corée des années quatre-vingts. Si la mise en scène d’origine optait pour un style lyrique qui la préservait d’une critique ouverte du régime, celle de 1997, due à Kim Cheol-ri, avait substitué à cette dimension métaphorique un éclairage plus direct pour souligner le conflit de générations opposant un père emblématique du patriarcat à son fils. Dans l’une et l’autre mises en scènes, l’inter-prétation puissante du premier de ces personnages avait valu les plus grands éloges à leurs comédiens respectifs, Oh Hyeon-gyeong et Kim In-tae.

Réalisée par Yi Seong Yeol, celle de cette année faisait aussi appel au premier d’entre eux pour le rôle vedette, tout en ouvrant la voie à une nouvelle interprétation par la dominante plus som-bre des couleurs et la dimension plus profonde des répliques de l’acteur en raison de son âge aujourd’hui plus proche de celui du personnage qu’il incarne. Si le dramaturge entendait, au départ, évoquer les luttes de pouvoir qui naissent d’une situation politique tendue, ce thème exigeait d’être réactualisé et réinterprété pour

redonner vie à l’œuvre, ce qu’a le mérite de faire cette nouvelle mise en scène.

Bulga BulgaL’œuvre Bulga Bulga de Lee Hyun-hwa, qui était à l’affiche

de la grande salle du Théâtre des arts d’Arko, du 9 au 15 mai derniers, a pour la première fois été inscrite au programme du Festival en 1987, après plusieurs candidatures malheureuses. Elle présente l’originalité d’insérer les séances de répétition au sein du spectacle véritable, comme s’il s’agissait d’une pièce dans une autre, avec pour propos de mettre en parallèle le travail des acteurs qui reproduisent constamment les mêmes paroles et actions avec les événements historiques qui semblent toujours recommencer à l’identique.

Alors que dans sa première mise en scène due à Chae Yun Il, l’accent était mis sur le caractère insolite de la pièce, notamment par son titre de Bulga bulga qui évoque une certaine spontanéité, ce même artiste allait cette fois-ci s’employer à créer une atmos-phère sereine, mais pesante. Le jeu tout en calme et modération de Lee Ho-jae, qui interprétait le metteur en scène après avoir incarné le « vieil acteur » dans les représentations d’origine, et de Kim In-tae, qui jouait ce dernier, a largement contribué à l’équili-bre et au professionnalisme de cette livraison.

La famille en routeComposée par Kim Ui-gyeong pour évoquer la vie et l’art

du grand peintre Lee Jung-seob, la pièce intitulée La famille en route, dans sa mise en scène de Lee Yun-taek, allait ravir les plus

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1 La famille en route évoque la vie du peintre Lee Jung-seob.

2 Dans Laissez entrer le soleil dans la maison hantée, les dé-cors contribuent à une meilleure compréhension de l’intrigue et de la thématique centrale par le public.

3 La pièce Belle âme sœur a pour toile de fond une dynastie Goryeo qui se caractérisa par sa puis-sance militaire.

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hautes distinctions du quinzième Festival de théâtre de Séoul, en 1991, et sous l’impulsion de ce succès, être produite un an plus tard à New York et Los Angeles dans une interprétation enrichie d’éléments audiovisuels tels que l’accompagnement du texte par une grande variété de sons et rythmes, la présence de tableaux de l’artiste dans le décor et un emploi bien conçu de la musique. En 2001, Ki Kuk-seo montera à son tour cette pièce au Théâtre métropolitain de Séoul, après l’avoir également représentée dans le cadre du festival de théâtre japonais BeSeTo, mais dans une adaptation accordant une large part à la musique et à la gestuelle de la danse traditionnelle, ce qui lui avait valu un accueil favorable dans la critique et le public japonais.

Au Festival de Séoul, la reprise de cette œuvre était assurée par Lim Hyung Taek et son théâtre Compa-gnie Usine de Séoul, mais laissait pourtant à desirer par l’interprétation qui était donnée du scénario et par un jeu qui ne parvenait pas à donner une nou-velle vie aux personnages, notamment celui de Jeong Bo Seok qui, dans le rôle du protagoniste, fournissait une prestation très voisine de celles de Kim Kap Soo et de Gang Sin-gu dans les mises en scène antérieures.

Une telle chansonŒuvre signée de Jeong Bok-geun qui

se donnait du 29 avril au 6 mai dans la petite salle du Théâtre des arts d’Arko, Une telle chanson avait fait l’objet d’une

première représentation dans le cadre du Festival, en 1994, dans une mise en scène de Shim Jae-chan, directeur de la Compagnie Jeonmang, et avec des comédiens aussi renommés que Park Seung-tae, Kang Sin-il et Sol Kyung-gu. Il s’agit du récit de la vie tragique d’une femme, qui après avoir provoqué à son insu l’exé-cution de son mari, doit en subir les conséquences lorsque vient à mourir son fils.

Par le biais de la conception naıve de la vie qu’y exprime ce personnage féminin, la pièce portait un jugement sans complai-

sance sur les mentalités actuelles en procédant à une totale remise en cause idéologique qui avait valu aux acteurs, comme au metteur en scène, de s’attirer la sympathie du

public. Au Festival de cette année, la reprise qui en était faite par la troupe plus jeune de la

compagnie Golmokil, où des Kim Yeong-pil et Kim Ju-wan donnaient

la réplique à la comédienne accomplie qu’est Lee Hye-gyeong, privilégiait le quotidien

au détriment des conflits idéologiques qui forment l’arrière-plan de l’intrigue. En se démarquant trop des grandes lignes du scénario, cette nouvelle version n’est ainsi, d’une certaine manière, pas parvenue à restituer fidèlement les idées et le caractère de son protagoniste, Kim Young-ok.

Laissez entrer le soleil dans la maison hantéeLaissez entrer le soleil dans la maison hantée, une

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création du dramaturge Lee Hae-je qui était programmée du 7 au 17 mai au Théâtre Jayu du Centre des arts de Séoul, l’avait déjà été lors de l’édition 2000 du Festival de Séoul après une première mise en scène, un an plus tôt, au Centre d’art Dongsoong et par la suite, elle allait également se jouer au Centre d’art LG, en 2004, puis dans le cadre de la Foire du Livre de Francfort, l’année sui-vante, et la reprise qu’en proposait cette année le Festival était réalisée par Lee Gi-do et sa Compagnie Inhyeok, comme à la sortie de la pièce. Tenue par beaucoup pour l’une des plus belles réussites du répertoire coréen, elle recueille invariablement les avis les plus favorables dans le public comme dans la critique, et ce, depuis sa première mise en scène.

À ses débuts, cette chronique de la vie familiale émaillée de références à des croyances populaires avait été interprétée par des comédiens à la renommée établie tels que Oh Dal-su, Park Yong-su et Kim Byeong-chun, mais dans sa reprise, un complet renouvellement allait s’opérer dans la distribution, à l’exception notable près de Han Myeong-gu, éternel Pabuksungi depuis 2004, et de Jeon Guk-hyang, cette fois encore interprète de la commère Samseung, le recours à une nouvelle génération d’acteurs ne pouvant que rajeunir ce classique du théâtre coréen. Cette pro-duction se caractérisait aussi par une exploitation optimale de l’espace scénique.

Au Centre des arts de Séoul, le Théâtre Jayu s’était doté d’un décor composé d’une passerelle et d’une route longeant une mai-son, ces deux éléments se superposant l’un à l’autre en alternan-ce, tantôt pour mettre en valeur la deuxième, tantôt pour éclipser la première, le tout permettant d’exposer plus clairement intrigue et thème central, tandis que l’emploi équilibré des nouveaux acteurs renforçait nettement la qualité d’ensemble du spectacle et ses aspects divertissants.

Pourquoi Simcheong s’est jetée deux fois dans la Mer d’Indang

Œuvre d’Oh Tae Suk, Pourquoi Simcheong s’est jetée deux fois dans la Mer d’Indang était proposée du 15 avril au 10 mai au Théâtre des arts Daehangno, dix-neuf ans après la première représentation qu’en avait donnée la Compagnie du répertoire Mokwha au Théâtre Chungdol, et qui allait être suivie de nom-breuses mises en scène dans des salles aussi variées que les Théâtres Jayu et Aroongguji, ainsi que la salle Haneul du Théâtre national de Corée, mais aussi à l’Université d’État de Californie (CSUN) de Northridge, en 2005, à l’invitation de l’Association mondiale de dramaturgie comparée. Le dramaturge et metteur en scène Oh Tae Suk s’est constamment employé, avec l’aide de sa troupe, à perfectionner et réactualiser le texte d’origine de

Le Festival du Théâtre de Séoul reprenait cette année les neuf pièces les plus importantes de son répertoire en faisant appel à des metteurs en scène, compagnies et comédiens nouveaux, une formule qui allait remporter un énorme succès au vu du nombre record de spectateurs qu’elle a attirés.

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cette œuvre jouée plus sourent qu’aucune autre de celles qu’avait mises à l’affiche le festival.

Cette pièce raconte comment Simcheong, qui s’était jetée dans la Mer d’Indang pour sauver son père aveugle au prix de sa vie, allait à nouveau le faire après avoir conclu un marché avec le roi du Dragon (Yongwang), afin de sauver la population en détres-se. Si quelques modifications avaient été apportées à l’intrigue et aux caractéristiques des protagonistes, ainsi qu’aux dialogues, par l’ajout de répliques destinées à mieux situer les circonstances de l’action, le décor et l’atmosphère étaient restés foncièrement les mêmes, tandis que l’arrivée de nouveaux acteurs conférait une certaine fraıcheur à l’ensemble de l’œuvre.

En ouverture de cette édition 2009, le Festival de Séoul avait programmé une œuvre servie par le jeu subtil de ses comédien-nes, Les femmes de Picasso, suivie de Le son de l’orgue de Yun Jo-byeong, qui constitue le deuxième volet d’une trilogie évoquant la dure existence d’une famille de mineurs et qui bénéficiait ici d’une qualité scénographique la plaçant au niveau des meilleures productions mondiales. Enfin, Nam Myeong-ryeol allait livrer, dans Hans et Gretel, une interprétation remarquablement fidèle au scénario d’origine, tandis que la nouvelle distribution de Belle âme sœur la dotait de sonorités inédites.

Pour un nouvel élanLes neuf œuvres qu’avaient inscrites à son programme le Fes-

tival de théâtre de Séoul dépeignaient toutes des situations appar-tenant au vécu du pays, car leurs auteurs poursuivaient sans cesse l’objectif de provoquer dans le public une prise de conscience des problèmes politiques et sociaux. En conséquence, il faut garder à l’esprit le fait que, par-delà cette sélection, ces trente dernières années ont vu la production de nombreuses autres pièces dignes d’intérêt et invitant à de nouvelles analyses.

À l’occasion du Festival de Séoul, les differents intervenants ont uni leurs efforts pour rechercher des démarches et modes d’expression novateurs, notamment par une amélioration patente des techniques scénographiques, ainsi que par l’exploitation de l’espace scénique, des éclairages, des costumes et de la musique, leur impé-ratif de respect du texte d’origine ayant toutefois nui à la fraîcheur de l’interprétation et produit des effets différents de ceux escomptés.

À l’heure où beaucoup estiment souhaitable que le Festival de Séoul s’oriente dans une nouvelle direction après avoir privilégié les œuvres de création au cours des trente dernières années, il est à espérer que cette édition 2009 lui donnera une impulsion nou-velle, après s’être ainsi démarquée de celles qui l’ont précédée en reprenant certaines des meilleures œuvres du répertoire sous une forme inédite.

1 Par le biais de la conception naïve de la vie qu’y exprime son personnage féminin, la pièce Une telle chanson porte un jugement sans complaisance sur les mentalités actuelles.

2 Le son de l’orgue évoque l’éprouvante existence d’une famille de mineurs.

3 Pourquoi Simcheong s’est jetée deux fois dans la Mer d’Indang se proposait de réinter-préter le récit traditionnel Simcheongjeon à l’intention d’un public contemporain.2

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Ressortissant australien résidant en Corée, John Walker peut désormais ajouter à sa brillante carrière de cadre financier celle d’auteur de livres pour enfants tels que Le monde d’Ura, qui narre les aventures d’un ours à collier appartenant à une espèce indigène aujourd’hui gravement menacée de disparaître.

Hwang Sun-Ae Rédactrice occasionnelle | Ahn Hong-beom Photographe

Le livre d’enfants d’un cœur épris de nature

À LA DÉCOUVERTE DE LA CORÉE

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oıncidant avec la fête coréenne des enfants, paraissait le 5 mai der-nier à leur intention, plus particulièrement dans la tranche d’âge de cinq à sept ans, le livre Le monde d’Ura. Rédigé en langue coréenne

et anglaise, ce charmant récit a aussitôt séduit les lecteurs, d’autant qu’il présente la particularité d’avoir pour auteur John Walker, un cadre financier d’origine australienne placé à la tête de la plus grande banque d’investisse-ment étrangère en Corée, le Groupe Macquarie. Tout empreint de la beauté des paysages agrestes de ce pays et inspiré de son mythe fondateur, ce texte fascinant livre avec candeur les enseignements écologiques recueillis au gré des aventures d’un ours à collier.

Force et énergieC’est au début du millénaire que s’établit en Corée John Walker, de

manière assez fortuite, à ses dires, puisqu’il n’y fait qu’une halte imprévue lors d’une mission en Asie destinée à l’implantation de succursales du Grou-pe Macquarie, cette banque d’investissement dont le siège se situe en Aus-tralie, mais dès son arrivée, il sera frappé par le fort dynamisme qui émane de la capitale et lui produit une impression favorable quant aux possibilités d’y réaliser des affaires.

Dûment pourvu d’un appartement une semaine après son arrivée, il entreprend de mettre sur pied une nouvelle agence avec pour tout personnel ses quatre collaborateurs, tandis qu’elle ne compte aujourd’hui pas moins de trois cents agents répartis sur treize secteurs d’activité, notamment le négoce des valeurs mobilières, les fusions et acquisitions et les placements en actions des particuliers.

De prime abord, John Walker s’étonnera du luxe et de l’abondance qui règnent, à Séoul, dans le district de Gangnam où se trouve sa résidence, tant par l’élégance vestimentaire des habitants que par leur goût des automo-biles européennes de haut de gamme. Avec le temps, il viendra à apprécier l’harmonieuse alliance de tradition et de modernité qui caractérise la Corée dans les domaines de l’architecture comme de la gastronomie, et plus géné-ralement d’un mode de vie nourri d’influences chamanistes, bouddhistes, confucianistes et chrétiennes, en dépit des quelques difficultés d’adaptation

C

John Walker, cadre financier dans une société australienne, et son épouse coréenne, dont l’action de bénévolat en faveur de la protection des animaux a inspiré en partie son récit intitulé Le monde d’Ura.

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qu’il éprouve en matière culinaire, mais aussi des dures leçons de son existence dans un environnement culturel aussi différent.

Sur son lieu de travail, lorsqu’il lui arrivera, par ignorance du sens de la hiérarchie en Corée, de nommer un cadre supérieur au poste de secrétaire de direction, il s’ensuivra au sein de son personnel des tensions relevant d’un conflit culturel dont il a su tirer les enseignements pour être plus réceptif à ses collègues coréens tout en les incitant à plus d’ouverture d’esprit, d’inno-vation et de dialogue. Cette démarche allait d’ailleurs porter ses fruits en permettant de marier heureusement l’esprit d’initiative et d’équipe prônés par la culture d’entreprise avec le profession-nalisme des Coréens, au profit d’une amélioration de l’ambiance de travail.

La campagne à la villeTandis que dans les premiers temps de son séjour, John Wal-

ker partait pour l’île de Jejudo dès qu’il ressentait le besoin de se reposer dans ce petit coin de paradis où il trouvait l’apaisement dans un paysage enchanteur, il finira par mieux connaıtre les richesses naturelles que recèle Séoul. Alors qu’il travaille à un projet de coentreprise portant sur le percement d’un tunnel sous le Mont Umyeonsan, qui s’élève à 293 mètres d’altitude dans la proche banlieue sud de Séoul, il aura l’occasion de parcourir de nombreux itinéraires de randonnée situés dans un cadre naturel aux multiples splendeurs. L’un de ces chemins serpente ainsi à dix minutes du quartier nord de Seongbuk-dong qu’il habite aujourd’hui et non loin de son bureau, s’étend une zone où la nature est assez sauvage, autant d’exemples de cette particula-rité qu’a Séoul d’avoir été créée en pleine campagne, à l’instar de quelques rares métropoles mondiales telles que Pékin, Sydney ou Los Angeles, et qui en fait le charme aux yeux de John Walker.

Sa vie dans le pays lui a permis de découvrir la relation privi-légiée qui unit ses habitants aux montagnes, comme en atteste une abondante symbologie. « Par sa proximité, qui permet aux Séoulites d’y monter dès qu’ils souhaitent s’éclaircir les idées, la montagne est une composante essentielle de leur mode de

vie. Les dieux et esprits de la montagne ont aussi exercé leurs bienfaits sur moi, outre que leur étude est des plus intéressan-tes. Entre autres aspects positifs, la culture nationale, en étant présente dans la réalité quotidienne, a permis aux Coréens de se construire un système de valeurs bien particulier, tandis qu’en Occident, où elle est le plus souvent inexistante, tout élé-ment traditionnel a disparu du quotidien, comme par une sorte d’oubli collectif. Les Coréens ont pour tradition, parmi celles qu’ils se font fort de perpétuer, de toujours chercher une explica-tion à tout, qu’il s’agisse du bon goût de ce qu’ils mangent ou de la beauté des montagnes, et s’ils ne parviennent pas forcément à en donner une en quelques mots, ils confèrent ainsi un sens ou une raison aux moindres choses, alors il est à souhaiter qu’ils conser-vent cette habitude ». C’est ce côté « enchanté » que John Walker semble goûter le plus en Corée, par opposition au « désenchante-ment » d’une civilisation occidentale d’ores et déjà modernisée, et il semble ainsi qu’il se reconnaisse dans la pensée de Max Weber, ce sociologue allemand du début du XXe siècle.

Si la Corée ne se trouve pas au même stade et réalise encore des aménagements susceptibles d’incidences aussi bien positi-ves que négatives sur l’environnement, il semble que ce dernier fasse aujourd’hui l’objet d’une certaine prise de conscience dans l’opinion. « Les Coréens savent tous à quel point il est important, comme on peut le constater à Séoul, où a été prise toute une série de mesures inspirées de l’écologisme, en créant par exemple des parcs, chemins et sentiers de promenades. Il s’agit, à mon avis, d’excellentes initiatives qui placeront cette capitale en meilleure position. Plus une ville possède d’espaces verts, plus elle offre d’attraits aux touristes et, à plus forte raison, aux entrepreneurs ».

Les atouts commerciaux allant souvent de pair avec le bien-être de la population, il importe tout autant d’améliorer l’envi-ronnement d’une ville pour en relever la qualité de vie que pour y créer un cadre plus propice à l’activité économique. En Corée, celle qui a le plus impressionné l’homme d’affaires est Gan-gneung, cette agglomération baignée par la Mer de l’Est, ainsi que par un lac de grandes dimensions, et bordée par des sommets

« Les Coréens ont pour tradition, parmi celles qu’ils se font fort de perpétuer, de toujours chercher une explication à tout, qu’il s’agisse du bon goût de ce qu’ils mangent ou de la beauté des montagnes, et s’ils ne parviennent pas forcément à en donner une en quelques mots, ils confèrent ainsi un sens ou une raison aux moindres choses, alors il est à souhaiter qu’ils conservent cette habitude ».

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qui offrent un paysage spectaculaire, autant d’atouts qui font du tourisme sa principale industrie. Aux yeux de John Walker, elle constitue ainsi un modèle dont il conviendra de s’inspirer à l’ave-nir, puisque ce secteur, ainsi que celui des services, est appelé à jouer un rôle croissant dans l’économie nationale.

S’il envisage avec optimisme l’essor futur de la Corée et le rythme d’avancement des projets de ville et d’énergie vertes, John Walker se dit persuadé que la population n’y accorde pas encore suffisamment d’intérêt : « La nature doit être d’ordre systémique, c’est-à-dire toujours présente dans les mentalités ». En conséquence, il espère que l’on y sera plus attentif et que l’on réfléchisse sérieusement à la manière dont on peut y vivre en harmonie avec elle.

Le monde d’UraSelon Animals Asia, une organisation protectrice des animaux

dont le siège se trouve à Hong-Kong, plus de mille trois cents ours à collier vivent en cage chez des éleveurs coréens au mépris des règlements qui, depuis 1992, interdisent l’extraction de bile d’ours sur des sujets vivants. Autrefois très nombreux en Corée, les ours à collier ont fait l’objet d’une chasse impitoyable qui menace aujourd’hui cette espèce d’extinction pure et simple afin de satisfaire une importante demande de cette bile que renferme leur vésicule, et ce, à des fins prétendument médicales. L’homme d’affaires australien fait ainsi état d’une étude selon laquelle

seuls seize individus vivraient encore à l’état sauvage en Corée.Sous l’influence de sa femme de nationalité coréenne, béné-

vole d’une association protectrice des animaux, John Walker va faire sienne leur cause, puis, imaginer un récit dont cet ours serait le héros, d’autant que par temps de marasme économique, les difficultés sont plutôt propices à la réflexion, et des discus-sions qu’il aura avec son épouse sur cette espèce dont la dispari-tion suscite des réactions dans le public, naıtra cet ouvrage conçu non comme une narration exprimant directement un message, mais comme un moyen de divertissement ponctué de considéra-tions morales venant du fond du coeur.

Le monde d’Ura s’inspire, en partie, du mythe fondateur de la nation coréenne, qui veut qu’un ours changé en femme épousa un demi-dieu et mit au monde le premier Coréen nommé Dangun. Avant d’en avoir connaissance, John Walker avait toujours cru que l’animal symbolique était en Corée le tigre, mais a maintenant la conviction qu’il s’agit du croisement de cet animal redoutable et fougueux avec l’ours aussi sage que puissant, c’est-à-dire la représentation parfaite du caractère national. Dans le texte qu’il nous livre, l’ourson est racheté par un homme qui doit la vie à l’un de ces animaux, et l’auteur conte ainsi l’histoire d’une amitié entre humain et animal tout en évoquant les moyens par lesquels ces espèces peuvent vivre harmonieusement côte à côte moyennant qu’elles se respectent mutuellement et tiennent compte l’une de l’autre.

L’histoire a une suite qui fera l’objet, d’ici Noël prochain, du deuxième tome d’un ensemble qui en comptera cinq, où l’auteur, qui rêva un temps d’être vétérinaire, pourra ainsi donner vie à d’autres merveilleux animaux. Cadre supérieur spécialiste des finances et écrivain à succès de livres pour enfants, John Walker possède à son actif un parcours exceptionnel qui gagne à être connu du public et nous engage tous, par un précieux conseil qui mérite réflexion, à cultiver nos talents en nous instruisant en toute indépendance, au lieu de trop nous remettre aux bons soins du système éducatif.

John Walker, qui peut se rendre en dix minutes de son domicile aux chemins de randonnée du Mont Bukaksan, est persuadé qu’une politique respectueuse de l’environnement rendra à Séoul sa qualité de vie.

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1 Younghi Pagh-Paan enseigne au Département de composition musicale de l’Université des beaux-arts de Brême (photographie : Gang Tae-uk).

2 La Compagnie orchestrale de Corée interprète, au moyen d’instruments traditionnels coréens, l’œuvre pour orchestre intitulée « L’univers respire, grandit et disparaıt », composée en 2007 par Younghi Pagh-Paan (photo-graphie : Compagnie orchestrale de Corée).

SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE

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ujourd’hui âgée de soixante-quatre ans, Younghi Pagh-Paan compte parmi les plus grands musiciens coréens par une œuvre qui a marqué l’entrée de la Corée dans l’univers de la musique contemporaine occidentale et sa passion musi-cale tient de la ferveur du croyant qui ne se sépare jamais de son chapelet.

Une recherche de véritéAvec une absolue sincérité, Younghi Pagh-Paan ne cesse de s’interroger sur elle-même, ainsi que sur ceux à qui

l’unissent des intérêts communs et auxquels elle fait profiter de ses connaissances musicales, notamment en se consacrant entièrement à la formation de ses musiciens ou en mettant son art à la portée du public, lors des voyages qui l’entraınent d’Occident en Orient, sur toute la planète.

« Ma musique n’est pas fondée sur l’intuition, mais sur une structure logique rationnelle, tout comme celle qui régit la nature en fonction de principes organiques. C’est cet ordre que je recherche dans mes œuvres et qui témoigne du respect que je voue à tous les êtres vivants, notamment au public selon l’acception la plus large de ce mot », explique-t-elle.

Voilà une trentaine d’années que Younghi Pagh-Paan interprète ses œuvres en Europe avec un exceptionnel succès ce qui lui vaudra, en 1994, d’être la toute première musicienne à être nommée au poste de professeur de composition à la Hochschule für Künste Bremen, l’Université des beaux-arts de Brême. « Il y avait beaucoup de candidats en lice, dont certains compositeurs de renom-mée mondiale, mais c’est Younghi Pagh-Paan que nous avons retenue d’un commun accord », se souvient Nikolas Shalz, musicologue et professeur émérite de cette institution, avant d’ajouter

A

Compositrice contemporaine au répertoire mêlant des influences occidentales à la musique traditionnelle d’Orient, c’est en Europe que Younghi Pagh-Paan s’adonne depuis trente ans à un art qui lui valu les plus grands éloges pour son caractère novateur.

Kang Unsu Compositeur, docteur en musicologie

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La compositrice Younghi Pagh-Paan donne le sourire aux mélomanes

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« Son assurance et la rationalité de sa démarche musicale ont fait forte impression sur tous les membres du jury ».

Une expression authentiqueC’est en 1945, année où la Corée mettait fin à la domi-

nation coloniale japonaise en proclamant son indépen-dance, que naıt Younghi Pagh-Paan. Après avoir obtenu une maıtrise à l’Université nationale de Séoul, vingt-neuf ans plus tard, la bourse du D.A.A.D. dont elle est titulaire lui per-mettra de partir pour la République fédérale d’Allemagne afin d’y poursuivre ses études, sous la direction de Klaus Huber, à la Musikhochschule de Freiburg, où elle sera la première Coréenne à se voir décerner un diplôme bidiscipli-naire en composition et théorie musicales.

Dès 1978, elle est lauréate du premier prix du Concours International des Compositeurs de Boswil, en Suisse, pour sa composition intitulée « Man-nam I [Rencontre], pour clarinette et trio à cordes », qui la fera connaıtre du public international, et deux ans plus tard, c’est au tour de « Sori », une œuvre pour orchestre, de s’attirer les éloges du Festival de musique de Donauesching, la plus presti-gieuse manifestation musicale contemporaine au monde, cette moisson de succès étant couronnée par la signature d’un contrat d’édition avec la maison Ricordi, qui assurera dorénavant la diffusion de ses œuvres.

Par la création de « Sori », la musicienne solennise l’achèvement de ses études dans le contexte d’une forte agitation politique qui aboutira au déclenchement du mouvement pour la démocratie de Gwangju et auquel la presse écrite allemande consacre de nombreux articles décrivant la brutale répression qu’exerce le pouvoir sur la population civile. Cette œuvre, dont le titre « Sori » signifie « son » en langue coréenne et au moyen de laquelle Youn-ghi Pagh-Paan entend traduire l’état d’esprit du peuple coréen, mais aussi saluer l’action des fervents partisans de la démo-cratie, touchera le cœur du public européen en raison de cet émou-

vant message, de sorte que son auteur se fera un nom en musique contemporaine dès la fin de ses études. Sa renom-mée ne cessera dès lors de s’étendre, comme en atteste la remise de plusieurs distinctions et la représentation de ses œuvres dans d’importants festivals qui lui apportent une prestigieuse consécration musicale.

Guidée par sa voix intérieure, elle composera une série de pièces aux titres coréens tels que « Nun » (Neige, 1979), « Madi » (Joint, 1981), « Pyon-kyung » (un instrument de musique traditionnel coréen, 1982), « No-ul » (Coucher de soleil, 1984/85), « Nim » (Bien-aimé, 1986/87), « Hwang-to » (Terre jaune, 1988/89), « Ma-um » (Cœur, 1990/91), « Ne ma-um » (Mon cœur, 1996), « Sowon » (Souhait, 1995/96), « Go-un nim » (Mon beau bien-aimé, 1997/98), et « Sowon…borira » (Souhait… sera accompli, 1998). Le temps qu’elle consacre à ces multiples créations de commande ne lui permettra guère de retourner au pays pour y témoigner de son amour filial à sa mère, qui l’a élevée, seule, avec huit autres enfants, faute de quoi elle s’emploiera à traduire ses sentiments intimes sur le papier des partitions.

Un grand sourireLe nom de Younghi Pagh-Paan comporte en fait

le pseudonyme Paan transcrit en chinois à l’aide de deux idéogrammes qui signi-fient « grand sourire » et auxquels le philosophe Kim Yong-ok, son ami, associera d’autres caractères

En faisant suivre son nom du vocable « paan », qui signifie « grand sourire », Younghi Pagh-Paan avait sûrement espoir que celui-ci illuminerait un jour ses traits grâce à sa musique, qui lui a permis de se constituer un vaste fief artistique, comme l’avait fait la regrettée Park Kyong-Ni, qui lui était si chère et avait signé ce chef-d’œuvre épique de la littérature coréenne qu’est le roman Terre.

Mondialement célèbre, le compositeur allemand Klaus Huber aura aussi été un personnage clé de la vie et de la carrière de Younghi Pagh-Paan, en tant que mentor et époux lui apportant un soutien dévoué dans son travail de compositrice, ainsi que dans ses relations avec les musiciens et dans son enseignement

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pour obtenir l’expression de « luth posé près d’une table » qu’elle emploie aujourd’hui encore. En dépit de ce nom d’artiste qu’elle s’est pourtant choisi, son visage ne s’éclaire que rarement d’un sourire et ses créations musicales pos-sèdent cette intense profondeur caractéristique du « han », un sentiment inhérent à l’âme coréenne fait de regrets et de souffrance depuis longtemps éprouvés.

Parmi les amoureux de musique européenne qui appré-cient également son œuvre, nombreux sont ceux qui croient voir en son départ pour l’Allemagne un simple réflexe de survie en des temps où la Corée était le théâtre d’affron-tements sanglants entre régime autoritaire et militants pour la démocratie. Après avoir vécu la Guerre de Corée (1950-1953) dans son enfance, l’étudiante qu’elle serait plus tard allait participer à des manifestations contre la violence aveugle de la répression d’État et si c’est donc bien, en partie, pour fuir ces bouleversements qu’elle se résoudra à s’établir en Allemagne, ce départ représentera aussi la pos-sibilité de donner libre cours à ses aspirations artistiques et personnelles.

En faisant suivre son nom du vocable « paan », qui signifie « grand sourire », Younghi Pagh-Paan avait sûre-ment espoir que celui-ci illuminerait un jour ses traits grâce à sa musique, laquelle lui a permis de se constituer un vaste fief artistique, comme l’avait fait la regrettée Park Kyong-Ni, qui lui était si chère et avait signé ce chef- d’œuvre épique de la littérature coréenne qu’est le roman Terre. Ce faisant, elle s’était ainsi découvert un créneau musical réunissant des influences aussi bien orientales qu’occidentales.

Ombre de luneEn juillet 2006, la repré-

sentation de son opéra Ombre de lune au Théâtre de Stuttgart, dans le cadre du Festival inter-

national de musique contem-poraine qu’organise

la Société

internationale de musique contemporaine, marquera un tournant dans la carrière professionnelle de l’artiste. Cette œuvre, qui trouve ses racines dans l’Œdipe de Sopho-cle, revêt un sens clé pour comprendre ce sentiment d’étrangeté que l’on appelle en allemand « fremdheit » et qui caractérise sa création aux côtés de l’idée d’isolement. Le critique de musique Max Nyffeler déclarait ainsi : « Le changement radical qui s’est opéré avec Ombre de lune, en 2006, dans la musique de Younghi Pagh-Paan, a surpris le monde entier. Son œuvre diffuse des sentiments de « pro-priété » et d’« étrangeté » correspondant respecrivement aux notions das Eigene et das Fremde en langue alleman-de, tandis que son caractère coréen représente l’expression de la vie spirituelle, par-delà le simple traitement d’un sujet ou l’application d’une technique ».

Quel univers métaphysique l’opéra Ombre de lune cher-che-t-il donc à dévoiler ? Afin de découvrir la manière d’y intégrer les principes du taoısme, la compositrice ira jusqu’à consulter l’illustre philosophe coréen Han Byung-Chul et sera ainsi en mesure d’aborder les thèmes complexes de la vie et de la mort, ainsi que du crime et du châtiment, aussi bien dans les paroles des personnages que dans la mélo-die, notamment dans son sixième acte qui commence par les mots « Une existence qui n’aurait pas dû voir le jour », mais aussi dans son dénouement marqué par la phrase sui-vante : « La vie est semblable à une goutte de rosée qui est suspendue au bout d’un brin d’herbe et peut disparaıtre au moindre coup de bec d’oiseau », illustration d’une philoso-phie orientale vénérant l’existence dans toute sa fragilité.

Par la suite, Younghi Pagh-Paan abordera la musique religieuse sous l’influence de sa correspondance avec Tho-mas Choi Yang-up, deuxième prélat catholique coréen pour donner jour à des œuvres telles que Bleibt in mir und ich in euch (Restez en moi, je resterai en vous), Vide Domine, vide afflictionem nostrum (Seigneur, écoutez nos lamentations) et In luce ambulemus (Nous souhaitons marcher sous la lumière).

Aujourd’hui sur le point de cesser ses activités, Younghi Pagh-Paan ne s’oriente pas moins vers d’autres horizons musicaux qui s’inscrivent en rupture avec les tonalités sombres de sa production antérieure et lui apportent

manifestement plus de satisfaction. Lorsqu’elle confie son souhait de retourner au pays

pour y prendre sa retraite, son visage s’illumine de ce sourire radieux

qu’évoque son nom d’artiste, puis elle exprime le souhait de travailler

avec des chorales d’enfants pour qu’ils effectuent des tournées sur tout le terri-

toire et, de fait, quoi de plus apte à donner le sourire au public que d’innocentes voix

s’élevant en chœur ?

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© Nikolai Wolff

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ESCAPADE

Le grand écrivain de Jangheung, Han Seung-won, en promenade sur une allée bordée de meta sequoia, dans le village de Pyeonghwa situé non loin de Jangheung.

Jangheungville des passionnés de littératureLoin des impératifs de rapidité du monde moderne, le temps s’écoule paisiblement à Jangheung, cette « ville lente » qui est aussi le berceau de la littérature coréenne au point qu’elle bénéficie d’un classement exclusif en « zone de tourisme littéraire ».

Kim Hyungyoon essayiste | Ahn Hong-beom Photographe

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Jangheung, il émane de la cour du temple de Borimsa une impression d’absolue quiétude quand, sous le

soleil radieux des premiers jours de l’été, le vert sombre d’épaisses frondaisons tranche sur l’éclatante blancheur du sol argileux et que tintent les cloches au souf-fle d’une douce brise qui ajoute à la grâce des lieux.

Un temple aux origines anciennesÀ mon arrivée sur les lieux, je tombe

aussitôt sous le charme de ce sanctuaire niché au creux d’une vallée de monta-gne, car si ma retraite loin des plaisirs de ce monde n’est pas appelée à durer, je n’en suis pas moins sensible à la séré-nité qui y règne. Édifié en l’an 860, sous le royaume de Silla Unifié, ce temple est donc riche d’un millénaire d’histoire grâce à sa reconstruction suite à un incendie, comme en atteste la présence d’une statue de Bouddha en excellent état de conservation, dans le pavillon de Daejeokgwangjeon situé aux confins sud-ouest de la cour, ainsi qu’une lanterne en pierre et deux pagodes empreints de cette beauté immuable que seule peut conférer

la patine du temps.En franchissant la grande porte, puis

celle des quatre Rois célestes, on parvient à la vaste cour qui s’étend de ce pavillon à celui de Daeungbojeon et au centre de laquelle jaillit une source à l’eau limpide riche en minéraux. Dans son massif de roses, azalées, pivoines, plantains et lilas des Indes (lagerstroemia), une pagode de petites dimensions, mais reprenant les majestueuses lignes des deux toits, coiffe cette fontaine. Sur le pourtour de l’encein-te, s’élèvent différentes essences d’arbres de grande taille, dont le magnolia argenté, le muscadier, l’érable, les ginkgo, le pin et le sapin. Une seconde cour, longue et étroite, qui mène à plusieurs annexes réservées à la méditation et la prière, présente le style paysager caractéristique des constructions coréennes traditionnel-les par son aménagement minimal grâce auquel arbres et fleurs semblent avoir poussé naturellement, alors, quand il s’assied sur les degrés de pierre mous-sue, seul le bourdonnement des abeilles vient troubler le calme environnant.

Jangheung est l’une de ces villes de province où semblent parfaitement

s’intégrer les femmes d’autres pays d’Asie venues s’établir après avoir pris l’un de ses natifs pour époux, comme j’ai pu le constater lorsque, curieux de recueillir leurs impressions, j’ai inter-rogé la Japonaise Yamazaki Naoko, qui y réside depuis treize ans. Bien que n’étant pas de confession bouddhiste, ce sont les visites au temple de Borimsa que celle-ci dit apprécier plus que tout dans sa patrie d’adoption, car la puissance qui se dégage de cet antique sanctuaire est propre à sou-lager les âmes tourmentées.

Histoire d’une ville lenteSur les deux tiers de sa superficie

s’élevant à six cent dix-huit hectares, Jang-heung présente un relief très rocheux, où se succèdent les montagnes à perte de vue, depuis l’agglomération de Yuchi-myeon, qui abrite le Temple de Borimsa, jusqu’au littoral sud, entre d’étroites bandes de plaine le long desquelles s’étend une mosaıque de villages à habitat dispersé souvent adossés à d’abrupts ver-sants. Sur ces hauteurs très boisées, ont élu domicile chevreuils, élans et sangliers qui en descendent souvent pour parcourir

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À

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les vallées.Émanation d’un mouvement créé

en 1999, à Orvieto, pour promouvoir un mode de vie tout à la fois plus agréable et plus respectueux de la nature, ainsi que des traditions ancestrales, l’organisation « Cittaslow International » déclarait der-nièrement « ville lente » l’agglomération de Yuchi-myeon, quoique cette appellation s’applique en réalité à l’ensemble de Jangheung, dont les habitants s’adonnent à l’agriculture vivrière, en parallèle avec l’élevage bovin, porcin et apicole, de même que la cueillette des champignons dans les forêts de vallée, perpétuant ainsi des pratiques traditionnelles. Celles-ci se retrouvent aussi dans les villages, dont les avant-toits tombant bas et les venelles sinueuses bordées de murettes confèrent à l’ensemble un cachet rustique resté intact.

Dans les années soixante-dix, de vas-tes terres arables allaient être sacrifiées

aux impératifs de l’industrialisation et provoquer l’exode rural, comme ce fut le cas à Jangheung, dont la population passa du chiffre de cent quarante mille habitants, qu’elle connut à ses meilleurs moments, à celui de quarante-trois mille. Ceux qui sont restés au pays ont beau affirmer que celui-ci n’existe plus aujour- d’hui que par l’élevage, sa situation géo-graphique isolée lui a, dans une large mesure, épargné cette modernation et permis, ce faisant, de préserver la beauté de son cadre naturel.

Conscients des dangers que fait aujourd’hui peser sur leur environnement l’emploi croissant d’engrais et pesticides chimiques, mais aussi désireux de mettre en œuvre le modèle de la « ville lente », les agriculteurs de la région optent réso-lument pour l’agriculture biologique et l’assolement. Dans le cadre de projets collectifs, ils entreprennent aussi de réin-troduire certaines espèces d’insectes qui

avaient pratiquement disparu ces derniè-res années, notamment des coléoptères tels que le lucane et le bousier, ainsi que le lombric, dont la présence accroı t consi-dérablement la fertilité des sols.

L’agglomération la plus septentrio-nale du canton de Jangheung-gun, qui en compte dix, est celle de Yuchi-myeon, où s’élèvent le Temple de Borimsa et en amont de laquelle fut construit, sur le Tamjingang, le barrage de Jangheung. Depuis son achèvement, en juin 2006, il assure l’approvisionnement en eau pota-ble de la population, notamment agricole, de tout le sud-ouest de la province de Jeollanam-do à laquelle appartient Jang-heung.

Sur les deux rives de cette vaste rete-nue, une zone montagneuse creusée de larges vallées offre le spectacle de ses pittoresques cimes sur 10,3 kilomètres carrés. En dépit de l’importance de l’eau dans une telle région, il faut souligner que

1 Située dans le pavillon Daejeokgwangjeon, au Temple de Borimsa, cette statue en fonte de Bouddha assis (Trésor national n°117) est particulièrement bien conservée.

2 Au sommet du Mont Cheongwansan, ces formations rocheuses naturelles offrent un fascinant spectacle.

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cet ouvrage a été réalisé au prix de gros sacrifices, puisqu’il a exigé le déplace-ment de deux mille habitants de longue date d’une vingtaine de villages situés à l’emplacement du chantier.

Un tragique passéAu mois de février 1894, dans la

région de Gobu, la révolte dite de Dong-hak, enflamme une paysannerie exaspé-rée par les pratiques abusives de fonc-tionnaires corrompus et dont prennent la tête les partisans de la religion indigène et égalitariste du même nom. Devant la multiplication d’échauffourées qui plon-gent la contrée dans le chaos, le pouvoir impuissant appelle à la rescousse le Japon et les insurgés ne sont désormais plus en mesure de tenir tête aux forces

coalisées. Bien que l’issue en soit inéluctable,

près de trente mille rebelles de Donghak se rassembleront, armés de fourches et d’armes rudimentaires, pour livrer avec acharnement leur dernière bataille dans les larges plaines qui bordent le Tamjin-gang, au sud de Jangheung, pour être impitoyablement massacrés et le fleuve roulera bientôt des eaux rouges du sang de leurs corps jonchant la vallée. Cepen-dant, les troupes gouvernementales n’allaient pas s’en tenir là car, lorsque pri-rent fin les combats, elles pourchassèrent et décimèrent jusqu’au moindre survivant de l’armée paysanne, ainsi que ses parti-sans. Cette brutale répression allait créer un clivage tout aussi profond que tenace, entre les vaincus de la paysannerie pau-

vre, d’une part, et les fonctionnaires alliés aux aristocrates dits « yangban », de l’autre.

Près d’un demi-siècle plus tard, lors de la Guerre de Corée, les troupes nord-coréennes poursuivront leur avancée jusque dans le sud du pays, où elles parviendront en juin 1950, cette région échappant cependant à la fureur des combats et aux ravages de ce conflit, et c’est lorsqu’il s’achèvera qu’elle sera le théâtre d’un affrontement idéologique entre communistes et anticommunistes auquel elle paiera un lourd tribut en raison des carnages absurdes et destructions dont il s’accompagnera, pareille tragédie s’avérant particulièrement douloureuse en milieu rural, où règne un fort sentiment communautaire fondé sur l’entraide.

1 Chemin longeant un mur de pierre au village de Gisan situé dans l’agglomération d’Anyang-myeon.

2 Au Temple de Borimsa, le stûpa de maıtre Bojo (Trésor n°157) est orné de bas-reliefs représentant les Quatre Rois célestes.

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Des attraits littérairesJangheung est traversée du nord au

sud par le Tamjingang, dont les flots sont captés par le barrage du même nom, au-delà duquel elles suivent paisiblement leur cours en aval jusqu’à Jangheung-eup, qui est la commune la plus riche de la région et où le lit du fleuve atteint une largeur d’environ cent mètres pour une si faible profondeur qu’un adulte y a pied. À ce propos, mon interlocutrice japonaise me confiera qu’outre ses promenades au Temple de Borimsa, elle aime aussi à faire une halte sur ses rives pour en admi-rer le paysage.

Au lendemain des deux nuits que j’ai passées à Jangheung, j’y suis moi-même parti, de bon matin, pour jouir du spectacle des carpes jaunes et oranges, de la longueur d’une jambe, qui s’ébattent en bondissant hors des flots, tandis que les riverains vaquent à leurs occupations quotidiennes et qu’un voile brumeux s’élève du cours d’eau. Les hérons blancs s’y trouvent aussi en abondance, barbo-tant près du rivage et fouillant les moin-dres recoins du tapis de roseaux, comme absorbés entièrement par leur tâche, avant de prendre subitement leur envol pour se laisser porter sans difficulté dans les airs, l’ensemble de la scène produi-sant un effet grisant.

Une fois franchie la commune de Jangheung-eup, le Tamjingang forme un coude en direction du sud-ouest, où se dresse le Mont Eokbulsan, et pénètre dans le canton voisin de Gangjin-gun, puis parcourt sereinement une distance de 51,5 kilomètres jusqu’à la Mer du Sud. Dans la population, nombreux sont ceux pour qui ce fleuve n’est pas synonyme de paix et qui, au souvenir des tragiques événements de la Révolution de Donghak, ainsi que des affrontements idéologiques d’après-guerre, y voient plutôt le sym-bole des larmes longtemps versées par

leurs ancêtres face à la malhonnêté des représentants de l’État et aux tragiques pertes de vies humaines infligées au nom de divergences idéologiques, à l’instar du romancier Han Seung-won, dont le père compta parmi les partisans de Donghak, dans cette région où il demeura toute sa vie, c’est-à-dire jusqu’à l’âge de soixante-dix ans, et qui revendique le profond enracinement de son œuvre dans les faits cruels et déchirants qui s’y déroulèrent.

C’est au village de Yulsan, situé dans l’agglomération côtière d’Anyang-myeon, que réside cet écri-vain, en compagnie de son épouse, qui torréfie elle-même les feuilles de thé cueillies derrière leur résidence pour servir cette infusion. À proximité de celle-ci, il s’est aménagé un bureau contigu à une pittoresque bâtisse que les édiles du canton de Jangheung-gun ont fait constuire pour lui permet-tre d’y retrouver des fervents de litté-rature avec lesquels échanger des propos portant non seulement sur ses livres, mais aussi sur le vécu de chacun.

Seul canton coréen à s’être vu classer « zone spéciale de tourisme littéraire », Jangheung-gun a donc fait le choix de cette spécialité régionale et à ce titre, met aujourd’hui en œuvre nombre de projets visant à conserver et restaurer les lieux de naissance de ses écrivains, tandis que d’autres initiatives ont permis la création de « quartiers littéraires » et d’un parc littéraire composé d’un ensemble d’ins-tallations telles qu’un musée thématique sur la littérature se trouvant au pied du sommet le plus majestueux de la région, le Mont Cheongwansan.

C’est au XVIe siècle qu’une activité lit-téraire prit vraisemblablement son essor sous la plume du poète Baek Gwang-hong, pour se poursuivre au dix-huitième

grâce aux écrits de Wi Baek-gyu, cet émi-nent lettré de l’école pragmatique dont les poèmes évoquaient les heurs et mal-heurs de la paysannerie locale. En dépit de la population peu nombreuse de cette région, près de quatre-vingts figures lit-téraires aujourd’hui encore en exercice en sont originaires, parmi les plus illus-tres desquelles, on citera Song Ki-sook, Lee Seung-woo et Han Seung-won, qui avec le romancier Lee Chong-jun disparu l’année dernière, ont été classés parmi les principales personnalités littéraires d’un canton de Jangheung-gun consi-déré comme le berceau de la littérature coréenne.

Tandis que la première et le troisième d’entre eux sont auteurs de romans sur la Révolution de Donghak qui font apparaître des similitudes dans leur analyse fonda-mentale des inégalités sociales dont eut

Dans une pittoresque bâtisse située à deux pas de sa maison sur la côte, le romancier Hang Seung-won retrouve des fervents de littérature pour des échanges portant non seulement sur ses livres, mais aussi sur le vécu de chacun.

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à souffrir le peuple coréen, le deuxième s’est plutôt intéressé à l’étude de la vie dans les villes, tout en abordant avec sub-tilité le thème de l’oppression exercée sur les individus et la manière dont ceux-ci y réagissent. Quant à Lee Seung-woo, d’une vingtaine d’années le cadet de ces trois écrivains, il s’est distingué par l’étude de la condition humaine sous ses différents aspects au point de s’attirer les éloges du lauréat du Prix Nobel Jean-Marie Gustave Le Clezio, qui juge cet auteur digne d’être nommé candidat à cette distinction.

Le long des sentiers du parc littéraire de Cheongwansan, s’élèvent de grandes stèles sur lesquelles sont gravés des extraits de chefs-d’œuvre coréens, ainsi que des informations sur leurs auteurs, afin d’éveiller rapidement l’intérêt des visi-teurs à leur passage, le Musée de la litté-rature présentant quant à lui la production littéraire locale et comportant une salle de lecture dotée d’ouvrages divers, ainsi que des salles de séminaire.

Une nouvelle identité dénommée Jeongnamjin

Si Jangheung n’est toujours pas des-servie par les transports ferroviaires, il est facile de s’y rendre en autobus ou en voiture, les bateaux n’y assurant en revan-

che de liaison qu’avec les ı les les plus proches, en dépit de sa vocation maritime. La mer est à l’image du Tamjingang, c’est-à-dire d’un calme plat, car la lon-gue péninsule de Goheung joue le rôle de digue naturelle face aux brisants, et si elle n’offre pas une grande abondance de fruits de mer, anguilles et poulpes y proli-fèrent, tandis que les vastes plaines allu-viales fournissent leur manne ininterrom-pue de palourdes.

Un trajet partant du centre de Séoul, pour descendre vers le sud, en décri-vant une ligne droite parfaite, mène très exactement à Jangheung et c’est pour cette raison que les élus de Jangheung-gun lui ont choisi, pour sa partie côtière, l’appellation de Jeongnamjin, qui signifie littéralement « Ferry allant droit vers le sud » et reprend celle de Jeongdongjin, c’est-à-dire de « Ferry allant droit vers l’est » qu’avait adoptée avec succès la province de Gwangwon-do pour mettre en valeur les attraits de cette destination touristique, un objectif que s’est également fixé Jangheung dans sa campagne qu’il ne serait pas surprenant de voir couronnée de succès, en raison des beautés d’un paysa-ge maritime, qui pour ma part, s’est avéré tout aussi charmant qu’inoubliable.

1 La Vieille Maison de Jonjae située à Bangchon-ri, dans la commune de Gwansan-eup, et clas-sée Important bien populaire n°161 vit naıtre Wi Baek-gyu, qui sous le pseudonyme de Jonjae (1727~1798) fut un pionnier de l’École pragma-tique, et sa cour s’agrémente d’un bassin.

2 Ce totem en pierre représentant un esprit gar-dien s’élève au Village culturel traditionnel de Bangchon-ri, dans la commune de Gwansan-eup.

3 Le village de Nampo, qui fait partie de l’agglomération de Yongsan-myeon, dans le canton de Jangheung-gun, doit sa célébrité au tournage, en 1996, du film adapté d’un roman de Lee Chung-jun, lui-même originaire de cette localité.

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CUISINE

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Diététique du

« torantang » de Chuseok La soupe de taro, dit « toran » en coréen , se prépare à l’aide de plantes fraıches et figure en bonne place au menu des festins de Chuseok, la fête des récoltes coréennes, aux côtés des « songpyeon », ces gâteaux de riz fourrés maison.

Shim Young Soon Directrice de l’Institut ShimYoung Soon de recherche en gastronomie coréenne et auteur de Les meilleurs goûts de la cuisine coréenne

Ahn Hong-beom Photographe

Séoul et dans la province de Gyeonggi-do, la soupe au taro compte de longue date parmi

les plats les plus prisés pour la fête de Chuseok, que l’on compare souvent au « Thanksgiving Day » américain. En rai-son de ses bienfaits pour la digestion, elle prend alors souvent place sur les tables lors des célébrations, réunions familia-les ou entre amis qui sont l’occasion de se régaler de quantité de mets. Si cette soupe, dite « torantang » en coréen, est d’une consommation courante dans les deux provinces de Jeolla, elle joue un rôle indispensable dans les cérémonies fami-liales accomplies à cette occasion dans d’autres régions du Yeongnam, c’est-à-dire les provinces de Gyeongsang-do.

Si le mot « tang » possède une conno-tation plus solennelle et respectueuse que son synonyme « guk » désignant lui aussi une soupe, d’aucuns établissent une distinction bien nette entre eux, car le pre-mier correspondrait à un plat principal, voire unique, tandis que le second s’appli-

que à l’un des plats, que l’on accompagne de condiments.

Présentation du « torantang »Il s’agit d’une plante poussant géné-

ralement dans des régions tropicales ou tempérées, en particulier dans les zones humides situées à basse altitude. D’une hauteur de quatre-vingts à cent vingt cen-timètres, elle est pourvue d’une racine bulbeuse que l’on extrait pour l’employer en cuisine, ainsi que de larges feuilles rondes mesurant entre trente et cin-quante centimètres de long sur vingt-cinq à trente de largeur, de sorte que dans les champs, ses dimensions permettent de s’y abriter quand éclate une soudaine averse.

Communément appelée taro ou cocoyam, elle porte le nom scientifique de Colocasia issu de mots arabes signifiant « colon » et « caséine » et indiquant donc le rôle alimentaire de sa racine et celui, décoratif, de ses fleurs.

Il est communément admis que le

taro provient de l’Asie du Sud-Est tro-picale, notamment l’Inde orientale, la Birmanie, la péninsule malaisienne et la Chine du Sud, et c’est aussi dans la partie méridionale de la Corée qu’il a longtemps poussé, plus précisément aux environs de Jinju. Depuis quelque temps, on le trouve également dans la province de Gyeong-gi-do, notamment à Gwangju, Icheon et Gimpo, mais aussi dans le Gwangju de la province de Jeollanam-do.

Si aucun document ne fait état de l’époque à laquelle le taro fut introduit en Corée et commença d’y être consommé, des manuscrits datant du royaume de Goryeo tels que le Hyangyak gugeupbang (Compilation de la médecine populaire et des remèdes de premier secours, 1236) laisse penser que son usage, y compris dans la cuisine, date de cette période monarchique (918-1392).

À

Les ingrédients (à gauche) du « torantang », une nourrissante soupe de taro (extrême gauche)

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Vertus médicinalesApprécié de longue date pour ses

bienfaits sur le corps, notamment en permettant de lutter contre la fièvre, les inflammations et la douleur et en facilitant la digestion, cet aliment alcalin assure l’équilibre des régimes à base de viande, outre qu’il possède de bonnes propriétés diurétiques et sécrète naturellement de la mélatonine aux effets bénéfiques contre l’insomnie.

Le liquide visqueux qui est extrait du taro se compose d’une sorte de mucine qui, par sa teneur en glucides et protéines, favorise un bon fonctionnement du foie et des reins, tout en exerçant une action effi-cace contre le vieillissement et en encou-rageant la croissance des cellules grâce à une meilleure assimilation des protéines. La mucine ralentit en outre la métaboli-sation des hydrates de carbone et par là même, la formation excessive de graisse, permettant aussi de soigner les troubles

gastriques et états diarrhéiques dus à la bonne chère et à l’excès de boisson.

Si dextrine et glucide confèrent au taro son goût sucré naturel, c’est parce qu’il a pour principal composant l’amidon, mais cette plante contient aussi protéines, matières grasses, fibres, hydrates de car-bone, phosphore, sel, calcium, potassium et vitamines C, B1 et B2. Sa consomma-tion en association avec des laminaires accroıt encore ces différentes propriétés, notamment parce que l’algine et l’iode présentes dans cette algue empêchent l’absorption d’oxalate de calcium et d’autres éléments nocifs du taro, tout en éliminant une odeur particulière qui peut déplaire à certains, mais aussi du fait que les saveurs des deux plantes se marient bien.

Les tiges et feuillesPlante robuste s’adaptant bien à diffé-

rents sols, le taro se plante au printemps

Par sa riche teneur en alcalis, le taro s’avère un excellent complément des régimes à base de viande, outre qu’il facilite la diges-tion, et il entre dans la composition de spécialités culinaires présentes en abondance sur les tables de fête de Chuseok, parmi les délicieuses spécialités que l’on consomme en quantité à cette occasion.

Les feuilles larges et épaisses du taro peuvent se consommer sous forme de lanières frites.

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pour se ramasser à l’automne, dans la fraıcheur de la brise, et se conserve long-temps dès lors qu’il n’est pas pelé. Dès la récolte, on fait le plus souvent sécher tiges et feuilles, après en avoir retiré l’écorce, afin de les consommer en hiver soit, pour les premières d’entre elles, sous forme de condiments après les avoir fait tremper dans l’eau, assaisonnées, puis mises à mijoter dans l’huile, soit en tant qu’ingrédients du « yukgaejang », une soupe épicée aux légumes et bœuf ou du « chueotang », cette soupe épicée à base de loche ou de poisson-castor, mais lorsqu’elles sont encore fraîches, ces tiges peuvent aussi servir de garniture. Quant aux feuilles larges et épaisses, on peut les découper pour les faire revenir à l’huile ou bien y envelopper riz et viande.

PréparationLorsqu’on manipule ou pèle des raci-

nes crues de taro, il est vivement conseillé de porter des gants de caoutchouc, car des démangeaisons peuvent se produire

au contact direct de l’extrait de taro et il convient alors de nettoyer la zone irritée à l’eau salée.

Le taro présente un goût acide provenant de l’oxalate de calcium, en conséquence de quoi il est préférable de faire bouillir ses racines pelées dans de l’eau de rinçage du riz, car les phospholipides que contient celle-ci ont pour effet de réduire la présence d’oxalate et d’autres éléments responsables de cette saveur, mais pour y parvenir on peut aussi ajouter poireaux, échalotes et ail à l’eau de cuisson.

Il convient enfin de noter que les « tang » sont réputées pour une diversité d’ingrédients qui produit une excellente alliance de saveurs, celui au taro s’obte-nant le plus souvent en faisant bouillir les racines avec des graines de périlla, qui permet d’épaissir le bouillon et d’éliminer l’odeur déplaisante de la plante grâce à son parfum, une variante très appréciée se préparant avec des fruits de mer.

« Torantang »Ingrédients

300 grammes de taro, 3 crevettes, grosses ou moyennes, 1 holo-

thurie, 1 ormeau, ¼ racine de bambou, 5 jujubes, 5 châtaignes, 2

champignons shiitake, 2 piments verts, poireau, échalote, ail, sauce

de soja coréenne, sauce de soja ordinaire, bouillon de laminaire,

crevettes et anchois séchés, huile de sésame

Préparation

1 Faire bouillir les racines de taro pelées avec les poireaux, l’écha-

lote et l’ail, puis rincer à l’eau froide. Émincer les racines bouillies

et les faire mijoter avec une cuillerée à soupe de sauce de soja

coréenne, une cuillerée à soupe de sauce de soja ordinaire, ½

verre de bouillon et ¼ cuillerée à soupe d’huile de sésame.

2 Faire cuire à demi les crevettes, les peler et les émincer. Faire

tremper l’holothurie dans de l’eau, puis émincer. Découper

l’ormeau en gros morceaux. Faire mijoter ces ingrédients dans

l’huile en y ajoutant sauce de soja, sel, poireau émincé et ail.

3 Découper la racine de bambou en morceaux de quatre centimè-

tres de longueur et émincer finement. Émincer les champignons

shiitake et découper les piments verts en quatre morceaux. Faire

revenir rapidement à l’huile, puis ajouter le poireau et le jus d’ail.

4 Faire bouillir, puis peler les châtaignes. Enlever les graines des

jujubes et scinder en deux.

5 Préparer le bouillon en y ajoutant tous les ingrédients et faire

bouillir brièvement, avant d’assaisonner au vinaigre de riz raffiné,

au sel et à la sauce de soja.

Faire revenir séparément fruits de mer et légumes à l’huile, puis ajouter poireau et jus d’ail.

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Chronique ordinaire d’expatriés en CoréeMichel Puchercos Directeur général de Piaget Korea

Week-end dernier : travail, impossible de suivre le rythme coréen sans y consacrer soi-même ses week-ends. Comment rester au coude à coude avec un pays qui prend à peine

une semaine de congés par an ? Travail, travail. J’ai dû annuler la visite de la DMZ (la zone démi-litarisée qui sépare les deux Corées : à visiter absolument, une plaie ouverte sur 300 km de long, interdite aux Coréens, nord ou sud). La liste des interdits ferait sourire si le sujet n’était si grave, notamment les consignes vestimentaires : pas de short, pas de manches courtes, pas de tenues au look militaire, pas de tongs, pas de pantalon en cuir, etc., etc. Depuis plus de cinquante ans, ce pays uni a été prié d’endosser, sans ménagement, sans consultation et en court-circuitant des siècles d'apprentissage, les habits du communisme, au Nord, et ceux de la démocratie, au Sud. La DMZ me rappelle constamment comment ce pays s’est couché « un» un soir et s’est levé «deux» le lendemain avec des habits nouveaux déposés sur son valet de nuit et totalement étrangers à son histoire propre, arrêtée la veille – d’une certaine façon.

Notre intégration se poursuit, faite de rencontres dans lesquelles il faut à nouveau investir, d’essais, d’erreurs. Un peu comme un gigantesque puzzle de plusieurs milliers de pièces : on en est encore à finir le bord, avec le vertige en pensant à tout ce ciel quasi uniforme propre à tous les puzzles immenses, longue traversée ingrate, et puis en songeant au plaisir quand - enfin - il ne restera plus que quelques pièces ! Mais nous laissera-t-on même le temps de finir la bordure ?

Frédérique a perdu un bijou précieux et – oh, chance - un passant coréen l’a retrouvé, l’a pris en photo, puis a envoyé la photo à la Direction de l'immeuble dans l’ascenseur duquel il a été trouvé. Finalement, le magasin a fait le rapprochement avec l’appel désespéré de Frédérique qui rappelait pour essayer de retrouver ce bijou, et celui de la Direction qui informait aussitôt les commerçants résidents de cette découverte. Le bijou a été identifié grâce à la description au télé-phone et à la photo reçue. Douze heures plus tard, le bijou est de retour autour du cou de Frédé-rique. Il a fallu se battre pour retrouver la trace du passant et pour le remercier,

Cette anecdote est si représentative de la Corée ! Organisation, dévouement, entraide et quel-le honnêteté ! Un peuple attachant que l'on découvre au fur et a mesure, avec grand plaisir.

Daima, notre chienne issue des bidonvilles de Nairobi, va bien, et évite prudemment de roder auprès des restaurants suspects de Séoul. On lui a acheté des chaussures, elles sont très mode, très ergonomiques, il y en a quatre bien sûr, bien élégantes : fluo, avec des scratch, et des fermetures éclair. Pourquoi ? Les Coréens sont d'une logique implacable : on se déchausse systématiquement quand on arrive dans un lieu d'habitation. Oui, mais les chiens ? Ils ne peuvent pas se déchausser.

REGARD EXTÉRIEUR

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Mais pourquoi marcheraient-ils - eux - pieds nus dehors ET dedans ? Qu’à cela ne tienne ! On leur met des chaussures quand ils vont sortir, et DONC ils pourront les enlever - comme tout le monde - quand ils rentrent. Logique absolument implacable. Il fallait voir la tête de Daima quand j’ai voulu essayer de lui mettre ses chaussures .... Je ne sais pas comment ils arrivent à les leur mettre ...

Apprendre le coréen ou pas ? Fantastique langue et unique alphabet né il y a 500 ans pour dif-fuser rapidement éducation et culture, alors que l’écriture chinoise régnait. Quelle vision ! Quelle audace de la part des dirigeants de l’époque, avec quelles autres décisions sociales cette décision historique peut-elle se comparer ? Je commence à parler avec mon chauffeur : j’aime le risque car «donner rendez-vous lundi matin, 7h30, à la maison pour aller au bureau» peut se transformer en n’importe quoi avec les conséquences les pires. La moindre faute de prononciation et qui sait ce que l’on a pu dire ?? Aucune référence possible. Je n’ai pas l’oreille musicienne et je pense que seuls les virtuoses du Conservatoire peuvent progresser rapidement,

Mi-kuk-sa-ram-im-ni-ka ? A-ne-yo, tcho-neun-mi-kuk-sa-ram-i-a-nim-ni-da. Keu-ro-em, o-neu-na-ra-e-so-o-sio-sem-ni-ka ? Yon-kuk-e-so oua-sem-ni-da **

Mon professeur (l’âge de ma fille), lit cette suite de sons (une phrase ? des mots ?) à toute vitesse, me regarde, et espère que je vais arriver à tout répéter dans l’ordre, sans postillonner, sans confondre les a, les yo, les i. Et vous savez quoi ? Je fais tout ce que je peux pour y arriver, rassuré car je sais que le ridicule ne tue pas.

(** traduction : «Etes-vous américain ? non, je ne suis pas américain. Bien, de quel pays ve-nez-vous ? Je viens du Royaume-Uni». C’est nul, hein, comme dialogue.)

En français, une même «structure», comme «la table est verte», va varier suivant deux dimen-sions : le genre (masculin, féminin) et le nombre (singulier, pluriel) :

La table est verteLes tables sont vertesLe fauteuil est vertLes fauteuils sont vertsEn anglais, c’est différent mais assez proche : le genre (les hommes – he or she - et tout le reste

du monde – it -), le nombre (singulier, pluriel).En coréen, rien de tout cela ! La différence vient des différents niveaux de politesse.La politesse !

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VIE QUOTIDIENNE

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De leur chambre au plan-cher de bois, les pension-naires jouissent d’un pittoresque point de vue dans les pièces jadis ré-servées aux hommes dans la maison de Yun Jeung qui se situe à Nonsan, dans la province de Chungcheong-nam-do.

Le séjour en habitat traditionnel, une nouvelle formule d’hébergement rural

n cette journée de début d’été où il pleuvote sur le toit de tuiles, je pousse le panneau en papier amidonné de ma porte pour écouter tomber dans la cour les gouttes d’eau que déverse l’avant-toit, avec un joyeux clapotement auquel se mêle le chant discret et solitaire d’un coucou niché

on ne sait où, tandis qu’un filet blanc s’échappe de la cheminée dont les généreuses flammes chauf-fent déjà le plancher. Cette pièce n’est autre que la petite, mais confortable chambre d’une maison de style traditionnel où j’ai trouvé à me loger l’espace d’une journée.

Des demeures et familles d’origine ancienneC’est à la force des idéaux confucianistes, dont le principal est la piété filiale, que ces vieilles

bâtisses doivent d’avoir survécu au développement et à la modernisation effrénés qui se sont produits en Corée, car si ce respectueux sentiment est éprouvé universellement, il continue de l’être, dans ce pays, après le décès des parents, comme en atteste la vénération des ancêtres par des rites dont l’accomplissement se perpétue chez les descendants et obéit au droit d’aınesse. De génération en génération, l’obligation en incombe en effet au fils le plus âgé et les familles qui observent ce principe de succession par filiation directe sont dites « à chef », nombre d’habitations anciennes subsistant en Corée ayant abrité de telles lignées.

Sous la dynastie Joseon (1392-1910), ces familles mettaient en métayage leurs vastes ter-res dont le produit servait à l’entretien de la demeure et à l’exécution des rites, mais viendra à disparaıtre en raison des réformes entreprises à la fin de la première moitié du vingtième siècle, pré-cipitant les propriétaires dans le déclin, certains abandonnant leur logis ancestral pour aller chercher fortune dans des métropoles comme Séoul, tandis que d’autres préféreront y rester, sans pouvoir toutefois conserver leur grandeur aux lieux comme à leurs occupants.

Escomptant le retour de ces derniers, les pouvoirs publics ont entrepris, certes voilà peu, de restaurer ces trésors architecturaux afin de les y inciter, de sorte que ce sont eux qui accueillent aujourd’hui les visiteurs pour leur faire découvrir les modes de vie d’antan, notamment en proposant souvent des activités traditionnelles de type ludique ou gastronomique.

Un charme délicieuxVéritable mine d’informations, le site internet de l’Organisation du tourisme coréen signale l’exis-

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Aujourd’hui, les Coréens choisissent souvent de passer la nuit dans des habitations anciennes, notamment les « maisons de chefs », mais si de tels spécimens de l’architecture traditionnelle sont encore nombreux à Séoul, rares sont ceux qui ont encore des occupants, alors c’est dans les villes de province qu’il faut s’aventurer pour en trouver qui soient encore pleins de vie.

Charles La Shure Professeur à l’École d’interprétation et de traduction de l’Université Hankuk des études étrangères

Ahn Hong-beom Photographe

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tence de soixante-huit de ces demeures à l’extérieur de Séoul, dont trente-neuf dans la seule province de Gyeongsangbuk-do où les préceptes du confucianisme restent particulièrement vivaces. Dans bien des cas, on y sert le petit déjeuner à l’ancienne, tan-dis que sont proposées des activités permettant de découvrir le fonctionnement d’un moulin à eau, de s’essayer à la cérémonie du thé, de revêtir l’habit traditionnel, d’apprendre la poterie et de jouer à toute sorte de jeux d’autrefois. Il en est même où il sera donné au visiteur d’assister aux rites familiaux confucianistes, mais aussi de se voir présenter des traditions gastronomiques, vestimentaires et architecturales, entre autres aspects d’une culture que ces familles « à chef » ont jalousement conservée. D’autres encore tirent parti de leur cadre naturel pour offrir des stages d’initiation à l’écologie qui sont, pour les enfants, l’occasion d’observer plantes, animaux et insectes inexistants en ville.

Sensibles à leurs multiples charmes, les Coréens sont, d’année en année, toujours plus nombeux à effectuer un séjour dans des habitations anciennes qui présentent avant tout, pour un

citadin, l’incontestable avantage de pouvoir échapper à la tension de sa ville encombrée et de remonter dans le temps sur des lieux d’une plus grande proximité avec la nature. Dans l’une des études qu’il a réalisées l’année passée, l’Institut de recherche urbaine et d’architecture a interrogé mille sept personnes sur les raisons pour lesquelles elles souhaitaient adopter cet habitat et elles ont répondu à cela que c’était pour être au contact de la nature (35,5 %), mener une existence saine (27,0 %) et profiter du calme. Après avoir séjourné dans la demeure de Yi Man-hyeon à Andong, une ville de la province de Gyeongsangbuk-do, ce pensionnaire avoue ainsi s’être senti l’esprit plus clair, entièrement débarrassé du stress qui s’était accumulé au cours de toute une année, au lendemain d’une nuit de repos dans cette vieille maison .

Les motivations peuvent être d’une autre nature, comme chez ces deux femmes d’une trentaine d’années qui ont logé, dans cette même province, chez Kwon Cheol-yeon, à Chunyang, lors d’un voyage de dix jours qu’elles effectuaient, après avoir démis-sionné de leur entreprise, afin de visiter des lieux historiques et

L’année dernière, mille sept personnes interrogées dans le cadre d’un sondage affirmaient vouloir séjourner dans une maison tra-ditionnelle parce qu’elle leur permettrait d’être au contact de la nature, de mener une existence saine et de profiter du calme, alors qu’en est-il exactement des attraits de ce type d’habitat ?

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maisons anciennes, dans l’espoir de combler ce qui manquait à leur vie. Il se crée aussi des asso-ciations qui ont vocation de faire redécouvrir les traditions et s’y emploient le plus souvent lors d’excursions historiques et culturelles dans dif-férentes régions, en prenant soin de les faire coıncider avec les représentations de musique et de danse qui se déroulent dans des villages, comme celui de Gunja, qui se situe dans l’agglo-mération d’Andong.

Toutefois, l’hébergement traditionnel attire le plus souvent les familles, en particulier celles qui comportent des enfants en bas âge, tel ce jeune couple et ses bambins qu’a accueillis, dans la province de Jeollabuk-do, un village de la région de Jeonju aux habitations anciennes dont il a surtout apprécié les aspects instructifs : « Il y a tant de choses à faire, ici ! À peu de frais, toute la famille a participé à la confection de gâteaux de riz, soit à base de plusieurs variétés de cette céréale, soit à l’armoise. Moyen-nant une réservation, on peut aussi s’initier au savoir-vivre et à l’artisanat traditionnels. Autant d’inestimables expériences qui ont permis à nos enfants de découvrir la beauté et la valeur des traditions coréennes, comme ils n’auraient jamais pu le faire autrement que dans leurs livres d’images ! ». Quant à cet autre ménage, qui a résidé au domicile de Yun Jeung, à Nonsan, cette petite ville de la province de Chungcheongnam-do, il se rappelle à quel point son fils a bien réagi à ce séjour : « Les pissenlits et

fleurs sauvages, dont nous ignorions les noms, la luxuriance et la beauté du jardin sur lequel donnait notre chambre, les frises géo-métriques de la porte à claire-voie en papier amidonné : notre fils jetait sur tout cela des yeux émerveillés... Ces moments auront été précieux en l’éveillant à un monde de beauté ».

Cependant, le plus remarquable, dans les maisons tradition-nelles, n’est pas forcément ce qui se voit, car elles constituent de véritables musées vivants dont les visiteurs pourront boire un thé en compagnie des descendants de leurs bâtisseurs, lesquels apprécieront de recueillir leurs impressions sur ces traditions familiales dont ils assurent la continuité. Par un beau soir de début d’été où nous écoutions la pluie dégouliner de l’avant-toit, l’arrière-petit-fils de Kwon Cheol-yeon, lequel fit construire la demeure qui porte toujours son nom, nous a ainsi conté comment son aïeul, ruiné par la réforme agraire, dut partir vivre à Séoul, alors qu’il nétait lui-même qu’un garçonnet, et si les cérémonies

1 Dans la cour de la maison de Yun Jeung, c’est derrière les pièces réservées aux femmes que sont placées, au soleil, les jarres renfermant ces savou-reuses sauces fermentées dont les secrets de fabri-cation se sont transmis de génération en génération.

2 Les habitants de l’une des douze maisons tradi-tionnelles du parc à thème culturel et historique de Seonbichon, ce « village des érudits » situé à Yeongju, dans la province de Gyeongsangbuk-do, étendent les pièces d’étoffe qu’ils ont teintes à l’aide de produits naturels.

2

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familiales se sont poursuivies, les occupants n’en avaient pas moins quitté leur foyer, qui se trouva dès lors à l’abandon seize années durant.

L’État va alors lui proposer de financer la restauration de la demeure, à condition qu’il retourne y vivre et en autorise l’accès aux visiteurs désireux de connaıtre les modes de vie anciens, comme il le fait depuis maintenant trois ans qu’il a accepté cette offre et si, la première année, le nombre des visiteurs plafonnait à une cinquantaine, il allait un an plus tard atteindre deux cents personnes, un chiffre que l’homme espère voir progresser tou-jours plus maintenant.

Lorsqu’il s’interroge, comme il le fait souvent, sur la forte attirance qu’éprouvent ses contemporains pour ce type d’habitat, il l’attribue en grande partie à leurs préoccupations face au recul des valeurs traditionnelles, dont le précepte confucianiste de l’amour filial, qu’entraıne le rythme de vie rapide imposé par l’industrialisation. « Les parents éprouvent soudain un besoin impératif de redonner à ce principe d’origine avant tout confucia-niste la place qui est la sienne dans l’éducation reçue par leurs enfants », explique-t-il, évoquant en outre les campagnes média-tiques d’information grâce auxquelles les pouvoirs publics ont favorisé le succès de l’habitat traditionnel ».

C’est un point de vue que partage d’ailleurs Monsieur Yi, l’actuel propriétaire de la demeure de Yi Man-hyeon se dressant aux confins d’Andong, une ville déjà très prisée pour ses riches traditions et qui voit donc progresser sa fréquentation au fil du temps. Si la restauration dont elle a fait l’objet avec l’aide de l’État ne date que de trois ans, elle reçoit dès à présent près de cinq mille visiteurs par an, ce chiffre spectaculaire s’expliquant, selon son propriétaire, par cinq raisons principales, à savoir, l’importance croissante accordée à la culture, au détriment des seuls loisirs, la volonté parentale que les enfants acquièrent des connaissances inaccessibles en ville, l’augmentation du temps libre suite à la mise en place de la semaine de cinq jours, la varié-té des styles architecturaux traditionnels, puisque, à ses dires, il n’en existe pas deux identiques, et enfin, le regain d’intérêt que connaissent aujourd’hui les traditions dans leur ensemble, notamment celles du confucianisme, à qui l’on doit d’avoir pu conserver ces maisons de père en fils.

En revanche, Monsieur Yi n’en est pas moins conscient du fait que ce succès ne représente que la partie émergée de l’iceberg, aussi déclare-t-il : « Les visiteurs ne font que gratter la surface, alors qu’en la creusant davantage, ne serait-ce qu’un peu, ils découvriraient les aspects fascinants de ces traditions, qu’ils souhaiteraient ainsi mieux connaıtre ». Pour finir, il affirme que les habitations anciennes verront leur succès exploser, non seu-lement en tant que vestiges d’époques révolues, mais aussi par le témoignage vivant qu’elles apportent d’une culture traditionnelle qui a tant à offrir aux Coréens d’aujourd’hui.

Quand le passé révèle l’avenirMonsieur Yi attribue un rôle capital au confucianisme dans

le monde contemporain, eu égard à l’aspiration de permet-tre que les hommes y vivent en paix et pour le bien commun, plutôt que dans leur intérêt particulier. « Les futurologues s’accordent à penser qu’aux vingt et unième et vingt-deuxième siècles, l’humanité ne pourra connaıtre le bonheur qu’à cette seule condition », estime-t-il. À telle enseigne, dans son cas personnel, cette tablette en bois accrochée au mur, sur laquelle s’inscrit en toute simplicité la devise familiale : « La sincérité est chez nous une tradition de famille », ainsi que l’ordre donné par son arrière-grand-père, comme il s’en souvient non sans fierté, de ne prendre que deux repas par jour par temps de famine et d’ouvrir leur grange aux paysans affamés pour qu’ils y trouvent à manger.

Comme bien d’autres pays, la Corée a été déchirée entre passé et avenir au cours de son histoire, à plus forte raison à l’époque moderne, où il lui a fallu endurer les souffrances des trente-cinq années d’une colonisation japonaise qui s’est employée à la priver de toute identité pour la fondre d’autant mieux dans l’Empire et à laquelle allaient succéder les horreurs d’un conflit destructeur sur la péninsule, puis cinquante années de partition au nom des idéologies. Pays pauvre lorsqu’elle se relève des ruines de la guerre, la Corée du Sud se surpassera pour se hausser au treizième rang des nations les plus riches du monde, grâce à une croissance économique si fulgurante qu’elle sera qualifiée de « Miracle du fleuve Han ».

Cette course au développement comporte toutefois le risque de se couper de ses racines dans un pays soucieux de tourner le dos à un passé qui lui rappelle des souvenirs par trop douloureux, mais qui a le devoir et la capacité d’y trouver tout ce qui lui per-mettra d’aller de l’avant, comme s’y sont employés les pouvoirs publics en soutenant la conservation des maisons traditionnelles et de leurs coutumes propres.

Les voyageurs qui font le choix de ce mode d’hébergement n’avancent pas toujours des arguments philosophiques pour le motiver, mais le fait que, pour les plus inconditionnels d’entre eux, il s’agit de familles comportant des enfants en bas âge témoigne d’une volonté de transmettre aux futures générations le sens des valeurs qu’ils y ont découvertes. Sans pour autant l’exprimer de manière explicite, nombre d’entre eux ont compris qu’il n’était pas de modernité possible sans la compréhension et le respect des traditions qui l’ont précédée et, s’il convient de se détacher de nombreux aspects du passé, il en est aussi d’innom-brables qu’il faut savoir chérir d’un point de vue humain, telles ces valeurs révérées par Messieurs Yi et Kwon, dont les demeu-res traditionnelles, comme toutes celles du pays, constituent une forme concrète de ce précieux acquis.

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Kim Jung-hyuk

Par l’originalité de son style narratif, Kim Jung-hyuk

explore de nouvelles voies, comme il en existe rarement

dans un roman coréen centré sur le traitement des

personnages et, dans son premier recueil de nouvelles

intitulé Penguin News, transparaıt une attention

obsessionnelle portée aux moindres détails du

quotidien, tandis que la nouvelle Une bibliothèque

d’instruments propose un nouveau questionnement

sur le sens de l’existence.

© LIM Jong-jin

Aperçu

de la

littérature

coréenne

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90 Koreana | Automne 2009

Kim Jung-hyuk L’aspiration à une autre éthique

Au tournant du siècle, paraît Penguin News, la première œuvre de Kim Jung-hyuk, qui à

vingt-neuf ans, ne connaît pas les débuts précoces d’auteurs plus jeunes tels que Kim Young-ha, Kim Yeon-su, Kim Gyeong-uk, Yi Eung-jun ou Kim Jong-gwang, mais le recueil éponyme qui y succé-dera six ans plus tard, suivi dès 2008 d’un deuxième intitulé Une bibliothèque d’instruments, révéleront un talent qui le placera résolument parmi les plus grands écrivains et que viendra couronner, la même année, le Prix de Littérature Kim You-Jeong.

Tant sur le fond que sur la forme, les récits de Kim Jung-hyuk ont cependant la particularité de ne pas appartenir à la littérature dominante, à com-mencer par le premier d’entre eux, Penguin News, qui s’en démarque en relatant l’interminable guerre que livre en vain une soi-disant armée de libération clandestine dans un monde futur et en empruntant ainsi au genre de la science-fiction pour traiter de la recherche incessante de la vérité. Dans Bus sans

destination: une version remix de Ppaengdeok jadis belle, l’auteur entreprend une réécriture de la nou-velle du regretté Kim So-jin en y adaptant les tech-niques du mixage numérique. L’inventivité de son style se manifeste aussi par l’évocation attendrie de machines à écrire, bicyclettes ou tourne-disques et autres objets ordinaires tombés en désuétude.

Le culte qu’il leur voue confine à la manie, comme en atteste leur présence dans bon nom-bre d’œuvres telles que Le musée des bric-à-brac, Esquimau, c’est la fin, Un monstre gris, Banana, Inc. et Un marathon de quatre cents mètres. Cette attention obsessionnelle portée à des articles en tout genre participe d’un style très particulier qui n’a guère d’équivalent chez les autres romanciers enclins à réserver une telle précision au traitement des personnages. Par cet apport original, ses nou-velles enrichissent ainsi la littérature coréenne en l’entraînant par-delà une simple vision critique de la société contemporaine pour lui ouvrir de nouvel-

Shin Soojeong Professeur d’écriture créative à l’Université Myongji

CRITIQUE

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Automne 2009 | Koreana 91

les perspectives fictionnelles en ces temps où règne l’expression automatique.

Une bibilothèque d’instruments a pour prota-goniste un accidenté de la route qui, au moment précis où il est éjecté de son véhicule, a soudain la révélation qu’« il serait bien injuste de disparaître sans avoir rien accompli » et cet épisode marquant va bouleverser le cours de sa vie, puisqu’il l’incitera à quitter sa société et à s’adonner chaque soir à la boisson, mais aussi à rechercher un moyen de ne pas «disparaître sans avoir rien accompli », tout en n’ayant aucune idée de la manière dont il doit s’y prendre pour ce faire.

Passant et repassant devant un magasin de mu-sique, voilà qu’il se décide un beau jour à y entrer en vue d’offrir à sa compagne un violon pour donner ses leçons aux enfants, mais peut-être en fait parce qu’il était prédestiné à travailler à mi-temps dans cet établissement dénommé Musica. En franchissant ainsi une étape décisive de sa vie, il découvrira que tout ce qui participait de son identité s’est vidé de son sens, mais aussi qu’il lui est désormais impossi-ble de se soumettre à l’influence des autres et à la lo-gique du monde extérieur, de sorte qu’il se trouvera livré à lui-même pour chercher de quelle manière ne pas « disparaître sans avoir rien accompli ».

Par ce texte, l’auteur nous convie à remettre en question les principes, normes sociales et valeurs éthiques auxquels nous nous conformons depuis toujours avec une soumission aveugle, à l’instar du personnage principal qui fait part au propriétaire du magasin de la confusion que crée dans son esprit le mode de classification habituel des instruments de musique. Il met en cause l’expression d’instruments à corde pour désigner des objets qui produisent des sons en vibrant, tandis qu’existent, chez d’autres, des facteurs exogènes tels que l’air, comme pour d’autres encore, le choc qui s’obtient en les frappant,

l’auteur faisant ainsi apparaître les éléments incohé-rents, voire fantasques, qui sous-tendent cette divi-sion à première vue rationnnelle.

L’auteur transpose un tel constat à toute notre existence en nous mettant en garde contre la valeur supposée de ces règles qui nous régissent, c’est-à-dire en nous incitant, pour ne pas « disparaître sans avoir rien accompli », à réfléchir sérieusement aux aspects essentiels qui confèrent un sens à notre existence. En partant de ce principe, le protagoniste se met en devoir d’enregistrer les sons de tous les instruments, puisque ceux-ci ne constituent au fond que des outils destinés à la production de musique et que la révélation de la nature propre de chacune de leurs « composantes variables » permettra une création musicale d’un genre nouveau, mais, jugeant cette activité des plus saugrenues, sa petite amie le quitte. Cependant, de même qu’un instrument donné pro-duit des sons variés, tout un chacun cherche, comme il le peut, à donner un sens à son existence sous peine de « disparaître sans avoir rien accompli ».

De même que tout instrument se doit d’être apprécié non seulement en tant qu’élément consti-tutif de l’harmonie musicale, mais aussi pour ses sonorités propres, Kim Jung-hyuk envisage la pos-sibilité de reconnaître la valeur de toute existence, car, en dépit de son modeste emploi de vendeur à mi-temps dans un banal magasin d’instruments, le protagoniste n’est-il pas après tout parvenu à tirer le meilleur parti de sa vie ? Si l’histoire contée dans cette nouvelle peut ne pas trouver d’écho chez tous les lecteurs, ce que l’auteur n’érige d’ailleurs pas en impératif, elle peut leur ouvrir la perspective d’autres modes de vie en rupture avec les conve-nances auxquelles se plie le plus grand nombre en y réduisant leur réalité, car pour Kim Jung-hyuk, l’écrivain se doit de révéler des dimensions jusqu’alors méconnues de tous.

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Revue trimestrielle créée en 1987, « Koreana » a pour vocation de contribuer à une meilleure connaissance du patrimoine culturel coréen par la diffusion d’informations à caractère artistique et culturel. Au thème spécial dont traite chaque numéro en profondeur et sous différents angles, s’ajoute une présentation d’arti-sans traditionnels, d’aspects de la vie quotidienne et de sites naturels, ainsi que de nombreux autres sujets.

(Numéros précédents disponibles au prix unitaire de 7$US, plus frais d’affranchissement par avion.)

Webzine mensuel (www.koreafocus.or.kr) et revue trimestrielle, « Korea Focus » offre des analyses po-litiques, économiques, sociologiques et culturelles relatives à la Corée et complétées de questions internatio-nales connexes. Créée en 1993, elle apporte ces informations essentielles selon un point de vue objectif tout en cherchant à favoriser une meilleure compréhension de la Corée sur la scène internationale et l’essor des études coréennes dans les établissements universitaires étrangers à travers une sélection d’articles extraits des principaux quotidiens, magazines d’actualité et revues scientifiques.

(Numéros précédents disponibles au prix unitaire de 5$US, plus frais d’affranchissement par avion.)

Il s’agit d’un recueil d’articles et photographies issus des précédents numéros de « Koreana » sous forme de quatre tomes bien distincts. Ceux-ci fournissent une présentation complète et systématique de la culture co-réenne par des études fouillées et une photographie en couleur de haute qualité. (Tome I Beaux-arts, Tome II Pensée et religion, Tome III Arts du spectacle, Tome IV Modes de vie traditionnels)Prix du tome : 40$US (frais d'envoi non compris).

Rédigé en langue anglaise et abondamment illustré, le catalogue « Fragrance of Korea : The Ancient Gilt-Bronze Incense Burner of Baekje » est consacré à l’Encensoir en bronze doré de Baekje, un chef-d’œuvre ancien classé Trésor national coréen n° 287 et admiré pour sa délicate beauté qui témoigne d’un savoir-faire accompli dans le travail des métaux tel qu’il fut pratiqué en Extrême-Orient. Cet ouvrage de 110 pages illus-trées de photographies et dessins comporte trois essais intitulés : « Signification historique de l’Encensoir en bronze doré de Baekje », « Dynamiques culturelles et diversité : du Boshanlu taoïste à l’encensoir bouddhique de Baekje » et « Le site du temple bouddhique de Neungsan-ri à Buyeo ».Prix du tome : 25$US (frais d'envoi non compris).

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1 an 2 ans 3 ans Corée 18 000 wons 36 000 wons 54 000 wons Japon, Hong-Kong, Taıan, Chine 28$US 52$US 71$US Autres 32$US 60$US 81$US

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