juifs et chrétiens · 2016. 3. 11. · textes saints et les commentaires oraux de la tradition,...

Juifsetchrétiens

BéatricedeVarine

Juifsetchrétiens

Repèrespourdix-neufsièclesd’histoire(duIerauXIXesiècle)

DescléedeBrouwer

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pour les chrétiens, cherche surtout à voir le côté négatif de cecourant religieux.Certes, commedit P.Ricœur : « Il y a danschaque religion une pathologie propre : celle de certainspharisiens fut d’avoir un esprit juridique exacerbé qui lesenfermait […].Le légalisme est en quelque sorte le négatif del’espritvivantdespharisiens12.»Maisenfait,onpeutconstaterque « Jésus, de bien des façons, faisait siens les pointsimportants de l’enseignement pharisien, de leurs méthodespédagogiques,deleurmodedevie13.»

Enréalité, lespharisiensontdroitàungrandrespect :«Ilfaut replacer le mouvement pharisien dans l’ensemble dujudaïsmecommeétantsapensée,commeétantsapiété,commeétant son cœur » (P. Ricœur). Les pharisiens étaient en effetceux qui avaient conservé depuis plusieurs siècles la traditionissue de l’exil en Babylonie. Au retour d’exil, Esdras etNéhémie voulurent créer sur la terre d’Israël un grandmouvement de renouveau religieux etmoral, et par la suite lecourantpharisiennaquitdecetélan.

Non seulement les pharisiens scrutaient depuis plusieurssiècles les textes de toute la Bible ou Tanach14, mais ils enfaisaientuncommentaireoral,carpoureuxÉcritureetTraditionorale étaient d’égale importance et ne faisaient qu’un. Cespédagoguesavaientunprofonddésirdefaireconnaîtreàtouslestextes saints et les commentaires oraux de la tradition, ilsvoulaientaussirendrelaLoideMoïsevivanteetadaptéeàlavieprésente.Poureux,commepourundeleursmaîtres,Hillel,ilnefallait pas « se séparer du peuple » et les hommes instruitsavaientpourdevoirde«faireentrerles(autres)hommessouslesailes du ciel ».De ce fait, ils étaient aimés et respectés par lapopulation.Deplus,ilsmanifestaientungrandrespectpourlesobservancesreligieusesetlesrèglesdepureté.Ilscroyaientenla

résurrection des morts, bien qu’ils n’en aient pas la preuve,parcequ’ilscroyaientenlapuissancedeviequisedégagedelaParoledeDieu.Ilscroyaientaussiaulibre-arbitreetleurmoraleétaitbaséesurlamaîtrisedesoi.Depuisaumoinsdeuxsièclesav. J.-C., ils étudiaient les textes et adoptaient une forme deprière comparable à celle des exilés à Babylone. Ils seréunissaient dans de simples «maisons d’étude et de prière »quel’onappelleradeplusenplusdes«synagogues».

Lasynagogueestla«maisondeDieu,dupeupledeDieu».Elleva«au-devantdesbesoinsdupeuple»,«c’estl’endroitoùsecôtoientjusticeetmiséricorde»15.C’est:

«lelieu,sanctuaireetécoleàlafois,oùlelivreestlu,méditécommenté. Ici, pasde sacerdoce.À saplace,desSages,desrabbins versés dans la connaissance des livres saints etcapablesd’encommuniquerlasubstanceàleursouailles.Pasdesacrifices,maisuncultetoutspirituel,oùalternentprières,chants des Psaumes, lectures bibliques, commentaire ousermon16».

Vers la findupremiersiècleav.J.-C.etaudébutdusièclesuivant,ilyeutàJérusalemplusieursécolesoùenseignaientdesmaîtres pharisiens, ou « sages » : les deux plus connues étantl’école de Hillel17 (70 av. J.-C. à 10 ap. J.-C.) et celle deShammaï (50 av. J.-C. à 30 ap. J.-C.) dont les noms sontinséparables,même s’il existait entre eux de vives tensions ets’ils n’avaient pas toujours les mêmes points de vue sur lestextes.Shammaï,leplusjeune,étaitplussévère,plusautoritaire,plus irascible que Hillel, mais souvent de bon conseil. Hillel,lui,était réputépoursapatience, sonaccueilbienveillantet sasagesse toute particulière. Jusqu’à nos jours, on cite encore

certainesdeses sentences.Parexemple, sa réponseàunpaïenquiluidemandederésumerlaToraenquelquesphrases:«Cequetun’aimespasqu’ontefasse,nelefaispasàtonprochain,telle est toute la Tora. Le reste n’est que commentaire. Va,étudie… », citation que l’on a souvent rapprochée de : « Tuaimeras ton prochain comme toimême. » Une autre de sesréflexions:«Làoùiln’yapasd’homme,efforce-toid’enêtreun»,etc.

Shammaï et Hillel ont contribué à faire vivre dans latradition juive le questionnement qui est une des grandescaractéristiques de l’étude des textes chez les Juifs. Leurssentences seront rassemblées dans le livre desPirqé Avot (lesParolesdesPères)et leursdisciplesvontperpétuer leurpenséeetleursdébatsbienau-delàdeleurmort18.

Lespharisiensserontlesseulsàdemeurerprésentsenterred’Israëlaprès lachuteduTempleetà redonnerunélanàcettereligion alors « en survie ».Nous aurons beaucoup l’occasiond’en reparler19. Disons dès maintenant que leur parcours estimpressionnant:sil’onconsidèrequeleDeutéronome«partduDécalogue » et qu’il est le « premier chaînon de la traditionrabbinique»;queEsdrasl’abeaucoupétudiéetque«deEsdrasà laMishna il y a continuité20 »…onvoit dequelle traditionimmémoriale les pharisiens ont hérité pour constituer par lasuiteleTalmud.

Les esséniens, eux, vivaient à l’écart de la société, ayantrompu avec leTemple au second siècle av. J.-C., jugeant leursdesservants « disqualifiés » et se considérant comme le«véritableIsraël21».Ces«moinesavant lemonachisme» (A.Paul)vivaientsouslahouletted’unchefspirituel, leMaîtredejustice. Ils formaient une communauté homogène et trèssolidaire,parfaitementorganisée,avecdesrèglesd’initiationet

LesliensavecIsraël

Les Juifs d’Israël et de Babylonie parlaient des dialectesaraméens assez proches, ce qui explique les liens qu’ilsconservèrententreeux.

Au retourdes exilésdeBabylonie, le judaïsmebabyloniensembleavoirétéprépondérantdanslaréorganisationpolitiqueetreligieuse de la Judée. Les Juifs demeurés en Babyloniesuivirent la réinstallation sur la terre d’Israël avec un grandintérêtetversledébutduIVesiècle(398av.J.-C.),lecorpusdescinq premiers livres de la Bible, fut rédigé par Esdras qui«montadeBabylone»àJérusalem(Esd7,6).LePentateuque,servit désormais de référence aussi bien aux autoritéstraditionnelles juives qu’aux magistrats officiels de l’empireperse et plus tard à ceux de l’empire hellenistique37. Desémissairespolitiques,despèlerins,desvoyageursetparfoisdesgroupes enthousiastes circulaient entre les deux régions. Plustard,bienqueleculteduTempleaitrepristoutesonimportanceaprès sa restaurationpar JudaMaccabée, on semit à édifier –sansdoutepourlapremièrefoisenterred’Israël–desmaisonsd’étudeetdeprièreselon la traditionqui s’étaitcrééependantl’exilenBabylonie.

Aupremiersiècleap.J.-C., lacommunautébabylonienneaconservé – et pour des siècles encore – sa vitalité et ses liensavec la terre d’Israël. Ce qui en est une preuve, c’est que lecélèbre Hillel, originaire de Babylonie, partit s’installer àJérusalemvers30av.J-C.pourycréersonécole.

LadiasporaméditerranéenneLà encore, il est difficile de distinguer entre galut et

diaspora.Cesontsouventdesprisonniersdeguerrejuifsquisesont retrouvés installés sur le pourtourméditerranéen, souventrachetés par leurs coreligionnaires, alors qu’au départ ilsn’avaientpasl’intentiond’ydemeurer.Maisaussi,pendantdessièclesav.J.-C.,desJuifs,commenombredepeuplesduBassinméditerranéen, étaient allés s’installer dans les différents paysprochesduleurpouryexercerdesmétiersliésaucommerce,àl’artisanat, à l’agriculture, etc.Au premier siècle ap. J.-C., lesrécitsdesActesdesApôtresprouventbienqu’ilyavaitdesJuifsinstallés de longue date dans d’autres régions que la terred’Israël,avecleurscommunautésetleurssynagogues.

La plus ancienne diaspora juive est celle d’Égypte. Elleremonterait à l’installation d’une colonie militaire juive, vers650av.J.-C.,àÉléphantine,villedestinéeàprotégerlafrontièrede la Haute Égypte. Après la prise de Jérusalem parNabuchodonosorII,en586av.J.-C.,unpetitgroupededéportéschoisit de s’exiler en Égypte, avec parmi les déportés, desofficiers juifs et le prophète Jérémie. Ils rejoignaient là despetites coloniesmilitaires d’Hébreux et s’installèrent enHauteetBasseÉgypte.

Àpartirdelaconquêted’Alexandre,auderniertiersduIVesiècleav.J.-C.,lepeuplejuifcommenceégalementàessaimeràtraversleBassinméditerranéen,puisserépandenSyrie,enAsieMineure,danslesîlesgrecques,etàRome.Àpartirdumomentoùl’Empireromains’étendd’estenouest, ladiasporas’étend,elleaussi,àtoutl’empire.

Auxalentoursdel’èrechrétienne,ondénombre43localitésquiontdescommunautésjuivesenItalie-Sicile-Sardaigne,19enGaule,18enEspagne,etdenombreuseslocalitésenGrèce,dansles Balkans, en Asie Mineure, en Syrie, au Liban, 42établissements en Égypte, plusieurs en Cyrénaïque, Lybie,

Numidieetjusqu’enMauritanieouÉthiopie…Aupremier siècle ap. J.-C., voici cequ’écritAgrippa II, le

dernier«roi»d’Israël,àCaligula:

« Jérusalemest lamétropole non seulement dupaysde Judée,mais de beaucoup d’autres en raison des colonies qu’elle aenvoyées,selonlesoccasions,danslespaysvoisins;enÉgypte,enPhénicie…égalementenEurope,enThessalie,enBéotie,enMacédoine… Non seulement les continents sont pleins decolonies juives,mais également les îles les plus importantes :Eubée,Chypre,laCrète.Etjeneparlepasdespaysau-delàdel’Euphrate38…»

Lesgrandescaractéristiquesdeladiasporaméditerranéenne

La diasporaméditerranéenne se caractérise par une grandevitalitédémographique.Dèsavantl’èrechrétienne,lapopulationjuivedeladiasporaétaitdevenueplusimportantequecelledelaJudée.UnJuifsurquatreseulementhabitaitenterred’Israëletlapopulationjuived’Alexandrieétaitplusnombreusequecellede Jérusalem. On pense que la population juive en diasporareprésentaitentre7et10%decelledel’Empireromain.Etdanslapartie orientale duBassinméditerranéen, ce taux s’élevait à20%:unhommesurcinqyétaitdoncjuif!

Cette vitalité démographique a des causes familiales,morales et théologiques : avoir des enfants était considérécommelepremierdevoirdel’homme.Nepasenavoiroucesserd’enavoir,c’était«diminuerl’imagedeDieu».Mêmes’ilétaitdéjàchargéd’unefamillenombreuse,unveufdevaitseremarieretavoirdesenfants.Depluslesloisdepureté,lesbainsrituels

1994).17. Mireille HADAS-LEBEL, Hillel, un sage au temps de Jésus (AlbinMichel,1999).18.FlaviusJosèpheparlede6000pharisiensenvironàcetteépoque(d’aprèsJ.EISENBERG).19.VoirlechapitreII.20. Luc DEQUEKER, « Pharisiens et pharisaïsme : un chaînon vital dudéveloppementdelaTorah»(SIDIC,n°2,1977).21.AntoineGERMA,BenjaminLELLOUCHetÉvelynePATLAGEAN,LesJuifsdansl’histoire(ChampVallon,2011),articled’ÉvelynePATLAGEAN,«LesJuifsenMéditerranée:delamortd’Alexandreàlachristianisationdel’Empireromain,»p.93à95.LestextesdécouvertsàQumranpermettentdemieuxlesconnaître.22.FlaviusJosèphecompteenviron4000esséniens.23.AndréPAUL,«Intertestament»(CahierÉvangile,n°14).24.ÉvelynePATLAGEAN,LesJuifsdansl’histoire,op.cit.,p.82.25.FLAVIUSJOSÈPHE,LaprisedeJérusalem,op.cit.,p.47.26.FLAVIUSJOSÈPHE, ibid., p. 154 : «Dans un corpsmalade, quand lemal se retire de certains membres, ce sont d’autres qui enflent », dit-ilencore.27.MireilleHADAS-LEBEL,JérusalemcontreRome,p.488(Cerf,1990).28.Cf.«Massada,haut-lieudelarésistancejuive»(dossierduMondedelaBible,nov.-déc.1992).29.D’oùlacélèbrescènesculptéesurl’ArcdeTitusàRome.30.DepuislaSecondeGuerremondiale,certainsJuifsauraientvouluqueceterme soit employé pour désigner la Shoa, en référence aux deux autresimmensesmalheursdupassé,maislaplupartdesJuifspréfèrentmaintenantemployer le terme spécifiqueproposé parClaudeLanzmannpour désignerce malheur inégalé : celui de Shoa, qui veut dire catastrophe, désastre,anéantissement.31. Les écrits intertestamentaires sont de nombreux textes de la littératurejuive,datantduIIesiècleav.J.-C.à lafinduIersiècleap.J.-C.,quin’ontpris place dans aucun canon biblique. Voir La Bible. Écritsintertestamentaires(Gallimard,coll.«BibliothèquedeLaPléiade»,1987),t.I-II.32.JosyEISENBERG,op.cit.,p.148etsuiv.33.Le termede«murdes lamentations» fut une interprétation chrétiennedes prières dites à voix haute et des inclinaisons du corps que les Juifs

observaientquandilspriaientdevantcederniervestigeduTemple.34.MarcelSIMON,Verus Israël.Étude sur les relationsentrechrétiensetjuifs dans l’Empire, 135-425 (Éd. Broccard, 1964), p. 90). Passage cité :ContreCelse,4,23.35.VoiràcesujetledocumentrédigéparleComitéépiscopalfrançaispourles relations avec le Judaïsme : « L’attitude des chrétiens à l’égard dujudaïsme»(Documents-épiscopat,n°10,avril1973,V[d]):«Leschrétiensdoivent sans cesse combattre la tentation anti-juive et manichéenne quiconsisteàregarder lepeuple juifcommemauditsous leprétextequ’ilaétéobstinémentpersécuté. »Ledocument rappelle que« la viedupeuple juifdansladispersionaeuaussiunsenspositif;àtraverslesépreuves,lepeuplejuifestappeléà“sanctifier leNom”aumilieudesnations.»Et le textefaitallusionàlalettreenvoyéeparJérémie(29,1-23)auxexilésdeBabylone,lesencourageantàresterlà-bas.36. Pour l’histoire des Juifs de Babylonie, voir le Dictionnaireencyclopédique du judaïsme au chapitre sur la Babylonie, p. 1260 et suiv.(Cerf,1993);EncyclopediaJudaïca,article«Babylonia»,p.35etsuiv.;etAndréLEMAIRE,«Lanaissancedujudaïsme,del’exilàAlexandre»,inLesJuifsdansl’Histoire,op.cit.,p.25etsuiv.37.AndréLEMAIRE,ibid.,p.31-32.38. JosyEISENBERG,op.cit. : pour toute cette description de la diasporaméditerranéenne,voirlechapitreIV(IIepartie,p.155etsuiv.).39.LemotParousievientdugrec.Parousiaveutdireprésence,arrivée.Lemondegrécoromainemployaitcetermepourdésignerl’arrivéed’unprince.Leschrétiensl’emploientpourdésignerlavenuedeJésusàlafindestempspour achever l’histoire dumonde : il apparaîtra alors dans toute sa gloire,rassemblera l’humanité entière et remettra à son père leRoyaume deDieuqu’ilestvenuannonceretinaugurersurterre.40. Pour toute cette question, voir Yves CHEVALIER, « L’antisémitismeantique»(Sens,n°1,1985,p.3etsuiv.)etsonlivre:L’antisémitisme(Cerf,1988);PeterSCHÄFER,Lajudéophobie.Attitudeàl’égarddesJuifsdanslemondeantique(Cerf,2003);etJeanDUJARDIN,L’Églisecatholiqueetlepeuplejuif,unautreregard(Calmann-Lévy,2003),p.155-156.41.Unexempleestrestécélèbreàcesujet:lesJuifsd’Éléphantine,sansêtred’unmonothéismeparticulièrementreligieux,avaientconstruituntempleetyoffraientdessacrificesd’animaux,enparticulierceluidel’agneaupascal.Iln’estpassurprenantquecesoitdesprêtresdelaville,adorateursdeKhnum,le dieu-bélier, qui soient entrés en conflit avec les Juifs à ce sujet. Il s’en

suivit, au Ve siècle av.J.C. (419) une véritable émeute antijuive et ladestructiondutemple.42.FlaviusJosèpheenparledanssontraitéContraApionesquidénonce lahaineantijuived’Apion.43. Pour tout ce qui concerne les Juifs d’Égypte, voir le livre de JosephMÉLÈZEMODRZEJEWSKI, Les Juifs d’Égypte de Ramsès II à Hadrien(coll.«Quadriges»,PUF,1997).44.Ilsemblequ’audébutdenotreère,ilyaitenviron40%delapopulationquisoitjuiveàAlexandrie.45.MoniqueALEXANDRE,«Judaïsmeetculturegrecque,IIIesiècleav.J.-C.-Iersiècleap.J.-C.»,inLesJuifsdansl’Histoire,op.cit.,p.112etsuiv.Ilsembleenfaitque72traducteurs,envoyésàAlexandrieparlegrandprêtredeJérusalem,s’installèrentdansl’îledePharosets’accordèrenten72jourssuruntextequiprouvaitcombienlaToraétait«intangible».46.Heureusement,ilmeurtavantquecettedécisionnesoitmiseàexécution.47.MartinGOODMAN,RomeetJérusalem,lechocdedeuxcivilisations,p.548à554(Perrin,2009).48.EncyclopediaJudaïca,op.cit.,p.36.49.APIOND’ALEXANDRIE,Guerresciviles,II,p.90.50.ÉvelynePATLAGEAN,inLesJuifsdansl’histoire,op.cit.,p.109.

antijuivequis’ensuit;vagued’émigration).

EnBabylonie

Les allers et venues n’avaient jamais cessé entre la terred’Israël et la Babylonie. Les Juifs de Babylonie avaient unecolonie à Jérusalem et entretenaient des relations cordiales etétroites avec la terre d’Israël. Jusqu’en 70 de notre ère, ilsoffraient chaque année des présents et de l’argent pour leTemple. Vers 100, Rabbi Aqiba était allé à Néhardéa, uneimportante académie d’études juives sur l’Euphrate, pour yannoncerlecalendrierhébraïque.

Cependant, la communauté babylonienne était à la foisdépen-dante de Jérusalem, mais désireuse d’échapper à sonemprise22. C’est sans doute pour cette raison que les Juifs deBabylonie étaient restés longtemps en retrait vis-à-vis desévénements de Palestine, ne participant pas aux deux guerrescontre les Romains23. Il faut dire qu’ils avaient leurs proprespréoccupations :parexemple,entre114et117, lorsqueTrajanenvahit l’empire parthe, ils participèrent activement à larésistance contre les Romains, subirent de nombreuses pertesavant d’être un moment sous la domination romaine. MaisfinalementTrajanfutobligéderenonceràlaconquêtetotaledelaMésopotamieparthe.

AuIIesiècle,lasynagoguedeDoura-Europos,construitesurlesbordsde l’Euphrate, contribuapendantunmomentà servirderelaisentrelesdeuxrégions,etdepuisledébutduIIIesiècle,les Juifs de Babylonie étaient en contact étroit avec ceux dePalestine.

AudébutduIIIesiècle,eneffet,unJuifdeBabylonie,AbbaleGrand, surnommé leRav,vint s’asseoirauprèsdesSagesde

PalestineetdeleurPatriarcheYehoudaha-Nassi,puisretournadanssarégionpouryfondersapropreécoleàSoura.Pendantcemême IIIe siècle, le rayonnement de l’enseignement de RabbiYohanan à Tibériade fut si grand qu’il s’étendit jusqu’enBabylonie et ses meilleurs disciples étaient des savantsbabyloniens venus vivre en Palestine parce que ferventsadmirateursdestechniquesd’étudesélaboréesdanscepays.

C’était aussi l’époque où l’académie déjà ancienne deNéhardéa était d’un très haut niveau culturel avec un maîtreréputé, Samuel, qui en plus de sa science des textes étaitmédecin,anatomisteetastronome.Cetteacadémieseradétruiteen260par lesRomains,maisd’autres académiesou écoles sefondèrentaucentredupays, tellecelledePoumbedita,etbiend’autresencore24.Cescentresd’études,dirigéspardesmaîtres,les geonim, et fréquentés par des milliers de Juifs, eurentjusqu’à la fin duVe siècle un fort rayonnement intellectuel etreligieux.TouslesJuifssemirentàl’étudedelatraditionorale,firentdescommentairesenaraméenet lesconfrontèrentàceuxdePalestine à l’occasiondes voyages entremembres des deuxcommunautés.

Pendant toute la période où règnent les Parthes, jusqu’aumilieuduIIIesiècle,lacommunautéjuiveacontinuéàjouirenMésopotamie d’une période de paix, de prospérité et detolérance qui était favorable à son essor25.Après l’arrivée desPerses sassanides, la situationde ces communautésva êtreparmoments plus menacée, les Perses étant beaucoup moinstolérantsquelesParthes,maislesJuifsconservèrentnéanmoinsunréelstatutd’autonomiejusqu’auderniertiersduVesiècle.

L’élaborationduTalmud

LesSagesquiélaborèrentleTalmud,lesAmoraïm,devaientavoirlesmêmesqualitésquelesTannaïmquiavaientélaborélaMichna.Ilnesuffisaitpasqu’ilssoientdesérudits,mêmesilesexigences intel-lectuelles que l’on requérait d’eux étaient trèsimportantes, il fallait vraiment qu’ils soient « les meilleurs ».C’est-à-dire qu’ils aient aussi des qualités spirituelles ethumainesquisereflètentdansleurcomportement:êtrehumble,savoircomprendreetdiscerner lescœurs, êtremodéréen toutechose, aimer les autres, mépriser les honneurs, etc. « Le sagen’étaitpasseulementunindividuquiavaitétudié;ilétaitaussil’incarnationdelaTora26.»

LesAmoraïm vont ajouter à laHalakha des commentairespour développer, actualiser et préciser encore le contenu de laMichna. Ils vont aussi introduire des récits destinés àencourager, à exhorter, à faire plus facilement comprendre lesaspectsjuridiquesdelaLoi.Touscesrécits,souventéparpillés,vont être rassemblés dans ce que l’on appelle la Aggada (ausenslittéral=récit).

À la différence de la Halakha, législation positive, laAggada n’a pas force de loi : le maître interprète les récitsbibliques, en tire un enseignement de sagesse et de moraleadapté au temps, fortifie le cœur des fidèles aux heuresdifficiles, traite de problèmes de philo-sophie et d’éthique,concernantlemondedesmortsoulameilleurefaçond’éduquerlajeunesse,parexemple,ets’enprend,parfoisviolemmentauxadversaires du judaïsme, chrétiens ou samaritains. Les maîtressollicitent l’attention du lecteur au moyen de contes, delégendes et de proverbes, et font volontiers appel à sonimaginationetàsonsensdujeu,letoutdansunstylefleurietpittoresque.ÀcôtédelaHalakhaplusaustère,laAggadaestlaface souriante de la littérature rabbinique. Ses enseignements

III

Lavenued’unJuifnomméJésusetsespremièresconséquences

Lapériodedontils’agitici,estunepériodetrèsimportantepourcomprendre quelles ont été pendant des siècles les relationsentreJuifsetchrétiens.Cequis’estpasséaupremiersiècledenotreèreaeneffetdéjàbeaucouppesédansl’histoiredupeuplejuif, même si les Juifs eux-mêmes n’en ont pas été vraimentconscients à cette époque, et même si nul ne pouvait alorsimaginer quel devait être par la suite l’extraordinairedéveloppementdel’Église.

Pendantcepremiersiècle,laséparationnes’estfaitenitrèsrapidement,nide façon trèsofficielle.Les liens se sontplutôtpeuàpeudistendusentrelesdisciplesdeJésusetceuxdesJuifsquinel’ontpasreconnu,tantenterred’Israëld’abordqu’autourdelaMéditerranéeparlasuite.C’estunehistoireprofondémentexistentielle, encore tâtonnante, on pourrait presque direbalbutiante,etdecefaitsouventdifficileàcerner.

Progressivement, un fossé s’est creusé entre les deuxcommunautés, pour des raisons historiques liées auxévénements, mais aussi pour des raisons d’interprétation desÉcrituresliéesàlapersonnedeJésus1.

Aurait-ilpuenêtreautrement?Laruptureaurait-ellepuêtreévitée?Ilestbiendifficiledeledire,maisonpeutvraimentleregretter.Carl’éloignementaétédeplusenplusgrandentreles

deuxreligionsetvaêtredommageabledepartetd’autre,créantunclimatd’hostilitéréciproquequis’estaccruaufildesannées,et privant peu à peu la jeune communauté chrétienne duprécieuxapportdelatraditiondontJésusétaitissu.

C’estunehistoirequin’estpasfacileàcerner,cartouts’estpassé de façon très diffuse et nos sources sont presqueuniquementchrétiennes.Laseulesourcejuive,FlaviusJosèphe,a probablement été retouchée par la suite par des mainschrétiennes… Et la situation restera la même dans les sièclessuivants. Ce n’est pas très étonnant d’ailleurs, puisque lesdisciplesdeJésusviventuneaventuretoutàfaitneuvequ’illeurfautméditer,expliquer,raconter,partager,transmettre,etc.,alorsque pour les Juifs, l’aventure des chrétiens est restée trèssecondairependantlongtemps,commeleprouvent,parexemple,lesraresallusionsquisontfaitesàJésusdansleTalmud2.

Il faut donc tenter de lire entre les lignes pour essayer debiencomprendrecequiapusepasser.

*

I–Jésusetsesdisciples,desJuifsparmilesJuifs

JésusjuifComme nous l’avons vu au premier chapitre, il y a de

multiplescourantsdanslareligionjuiveaumomentdelavenuedeJésuset,avantYavné,onpeutdirequ’iln’yapasencoredejudaïsmeorthodoxe.Aussilaprédicationetlamanièred’êtredeJésusnedéconcertentpasvraimentl’ensembledesJuifsdesonépoque. Jésus est un Juif, pratiquant la religion juive. Il a été

circoncishuitjoursaprèssanaissanceetprésentéauTemple.IlvaàlasynagogueetycommentelestextesdelaTora.Ilobservele Shabbat. Il monte au Temple pour les grandes fêtes. Sonenseignement s’inscrit dans la tradition juive la plusauthentique. Ses paraboles ressemblent beaucoup à desmidrashim. Il connaît la Loi et déclare qu’il n’est pas venul’abolir.Mêmelefaitquel’onmurmureàsonsujetqu’ilestlemessienelemetpasàl’écartdelatradition:iln’estsansdoutepaslepremierausujetduquelons’estposécettequestion.IlestdoncprobablequepourlamajoritédesJuifsdesontemps,Jésuset sesdisciples représentent unnouveau courant de la religionjuive parmi tant d’autres et qu’il n’y a pas motif à uneoppositionsystématiqueàleurégard.

Il est sûr cependant que Jésus n’était pas bien vu dessadducéens et présentait un danger pour eux : n’avait-il paschassélesmarchandsduTemple?Indirectement,n’était-cepasàleur pouvoir qu’il s’en prenait ?C’est de ce côté-là qu’il fautaller chercher les causes de son procès et du rôle joué par leGrandPrêtreetleSanhédrin.MaisceseraituneerreurdepenseràunehostilitégénéraliséedesJuifsenverslui.

LesdisciplesdeJésus

Pendant laviede Jésus et dans les annéesqui suivirent samortetsarésurrection,toussesdisciples,euxaussi,sesentirent«partieintégrantedupeuplejuif».

Ils étaient tous de religion juive et croyaient dans leDieuunique. Appartenant au peuple de l’Alliance, ils voyaient enJésus le messie que beaucoup de Juifs attendaient, venu faireune « nouvelle Alliance » comme l’avait annoncé Jérémie(31,31-34). Et même quand il y aura un débat sur la mort

de plus en plus considérés comme des traîtres à la religionjuive?Toujoursest-ilqu’ilestexécutéen62etc’estuncouptrèsdurpour l’ÉglisedeJérusalemquines’enremettra jamaisvraiment.Aprèslui,d’autresmembresdelafamilledeJésussesuccèdent à la tête de l’Église de Jérusalem, mais elle neretrouvera jamais la vigueur et l’autorité qu’elle avait euejusque-là.

Lesjudéo-chrétiensCesontceuxquiveulentencorepratiquerlacirconcisionet

la nourriture rituelle, malgré les décisions de l’Assemblée deJérusalem. Ilsvontse regrouperdansdes«sectes» (ébionites,nazaréens, etc.) qui perdurent plusieurs siècles. Ils sontindéfectiblementattachésauxinstitutionsjuivesd’Israël.AprèslachuteduTemple,ilsnecesserontpasd’espérerlarestaurationdu sanctuaire et, dans cette attente, de pratiquer avec zèle lesobservancestraditionnelles.«QuandbienmêmeIsraëllesrenieetlesrejette,ilsnepeuventpas,eux,sepasserd’Israël11.»Maisen même temps, comme ils veulent convertir leurs frères aumessage chrétien et à l’espérance chrétienne, comme ilsattendent le retour de Jésus, le fossé se creuse, sans qu’ilsl’aientvoulu,entreeuxetIsraël.

Ducôtéchrétien,laLettreauxGalatesdePaulmontrebienqu’iln’estpasd’accordavecceuxdesJuifsconvertisquiveulentque les païens deviennent en fait des Juifs et il s’en prendvivementàeux.Aussi,cessectesjudéo-chrétiennesn’étantplusreconnues par les Juifs se trouvent coupées de leurs racines,mais, n’étant pas reconnues non plus par les chrétiens, sontégalement marginalisées de ce côté-là. Et cela intervient aumomentoùilyadansl’Égliseunearrivéeenforcedechrétiensissusdumondepaïen.L’EcclesiaexGentilibus l’emportealors

surl’Ecclesiaexcircumcisione12.Après la seconde guerre contreRome, le fait que les Juifs

n’aientpluseuledroitd’habiterJérusalemvaencoreplusisolerles judéochrétiens et favoriser l’essor de la communautéchrétienne venue du paganisme. « Leur isolement n’engendraque désunion et positions extrêmes. Harcelés sur les deuxfronts, ils devaient à la longue disparaître de la scène del’histoire13.»CommeledittristementH.Cazelles14:«Lavoixdel’ÉglisedeJérusalems’estperdue…»Etelleleserapourdessiècles!

IV–LesrelationsentreJuifsetchrétiensenterred’IsraëlaprèslachuteduTemple

Jusqu’en70,malgrélegranddébatde49etsesconséquences,etmalgrélamortdeJacquesfrèredeJésus,onpeutdirequ’ilyaeu une sorte de coexistence, de cohabitation entre Juifs et« adeptes de la voie ». Au contraire, à partir du début de laguerreentreJuifsetRomains,en66,maissurtoutaprèslachuteduTemple,laséparationentrelesdeuxreligionsvaêtrepresqueconsomméeetelleleseracomplètementverslafindusiècle.

LesreprochesdesJuifsàl’égarddeschrétiensDucôtéjuif,onaccuseleschrétiensdenepasavoirprispart

aux combats contre lesRomains. Il semble, s’il faut en croireFlavius Josèphe, qu’une partie aumoins de leur communauté,qui n’a plus d’évêque, se soit réfugiée à Pella, à l’est duJourdain. Ou bien l’on peut penser tout simplement qu’ils sesontdisséminésunpeupartoutenattendantdesjoursmeilleurs.

Onleurreprocheaussidenepasparticiperaugranddésarroiquisuit lachuteduTemple.Leschrétiensagissenteneffetcommesi, le Temple étant détruit, ils se souvenaient du dialogue deJésusaveclaSamaritaine:«Crois-moi,femme,l’heurevientoùcen’estnisurcettemontagne,niàJérusalemquevousadorerezle Père (…) l’heure vient, elle est là, où les vrais adorateursadorerontlePèreenespritetenvérité»(Jn3,21-24).Peut-êtresurtout se rappellent-ils cette phrase de Jésus : «Détruisez leTempleet,entroisjours,jelerelèverai»(Jn2,19).Poureux,leculteestmaintenantliéàlapersonnemêmedeJésus,àsamortetàsa résurrection.Cen’estplusparceque l’onappartientaupeupled’Israëlquel’onpeutespérerêtresauvé;c’estparcequel’onadhèreàlapersonnedeJésusqueleshommesetlesfemmesdetouteslesnations,commed’Israël,marchentdansl’espéranceduSalut.

Lespharisiens,eux,seregroupentàYavnéetselancentdansl’immense initiative des Sages. Leur attitude se raidit donc àl’égarddes chrétiensquineparticipentpas à leur remarquabledémarche. Plus fermés sur eux-mêmes, ils deviennent plusrigoureux, plus intransigeants envers ceux qui leur paraissentêtredeshors-la-Loi,avecungrandL.

LecontextedanslequelsontrédigéslesÉvangiles

Le fossé qui séparemaintenant le judaïsme rabbinique deschrétiens,onletouchedudoigtquandonvoitladifférenceentrelestextesduNouveauTestamentécritsavantlachuteduTemple(lesépîtresdePaulde51à64environ;l’évangiledeMarcvers64)etlesévangilesécritsaprès(lesévangilesdeMatthieuetdeLuc,entre80et90;l’évangiledeJean,vers100).L’évangile de Matthieu, préparé puis rédigé dans une des

Ilsseplacentdélibérémentenmargede lasociété, refusentles rites civiques autant que religieux de la religion romainetraditionnelle et en particulier le culte de l’empereur. Le faitqu’ils ne veuillent pas adorer les dieux paraît une trahison àleurs concitoyens tant le salut et la prospérité d’une cité sontintimement liés au bon accomplissement des rites. Sans parlerdumanqueàgagnerquecela représentepour le commercequivitenpartieduculterenduauxdivinités.Ilss’écartentaussidescharges publiques, condamnent nombre de coutumes de lasociétéambiante(jeuxducirque,métierdesarmes),neveulentpasdemariagesavecdesidolâtres,etc.

Alors,onlesaccusedemisanthropie,d’athéisme,d’inceste,d’anthropophagie, de meurtres rituels… Au début, lamalveillance envers les chrétiens est surtout populaire : unecaricature représentant un crucifié à tête d’âne circule… EtcommeRomea«besoindesang»poursesjeuxducirque,leschrétienspeuventêtre«desvictimesdechoix»17…

Pendant ce temps, comme dit F. Quéré, les intellectuelsméprisent « ces illuminés incultes, venus d’un coin perdu depays barbare ». Pour Tacite (55-120), leur religion est une« détestable superstition ». Ce sont des « Juifs excités » qui«haïssentlegenrehumain»etilprétendques’ilssontdétestés,c’est«àcausedeleursabominations».PourSuétone(69-126),les chrétiens sont « une race d’hommes adonnée à unesuperstitionnouvelleetnéfaste»…IlyamêmesouventchezlesRomains un « transfert d’animosité » entre celle qui étaitauparavant dirigée contre les Juifs et celle qui se dirigemaintenant contre eux. Ainsi, une bonne partie de la hainepopulaireseconcentredésormaissurleschrétiens18.

Au IIe siècle, les empereurs sont souvent embarrassés etindécis à l’égard des chrétiens. Par exemple, lorsque Pline le

Jeune, legouverneurdeBithynie,estchargéparTrajandevoircequ’ilenestdeschrétiens,ilécritàl’empereurquefinalementilnecroitpasenleurmaleficiaetqu’iln’yapasgrand-choseàleurreprocher:ilsrespectentl’ordreétablietsontpacifiquesdetempérament. Trajan décide alors de ne pas poursuivre lapersécution qu’il avait entreprise et à laquelle d’ailleurs avaitparticipéPlineleJeune…Maisparlasuite,ilvapourtantfaireàleur égard un rescrit (vers 112) les concernant : les chrétiensdénoncés par des accusateurs individuels peuvent être traduitsdevantlegouverneur,jugésetmisàmorts’ilsrefusentderenierleurfoi.Àcausedecela,pendantles140ansoùcerescritauracours–mêmes’iln’yapastoujoursdesaccusateurs,etmêmesiles gouverneurs ne sont pas toujours sanguinaires – la porteresteouverteauxpersécutions.

Àpartir du IIIe siècle, la persécution des chrétiens devientplusfréquentedelapartdesempereurs;paspartout,etpastoutle temps, mais elle est tout de même très importante. 202 :Septime Sévère ; 235-38 : Maximin ; 250 : Dèce ; 257-58 :Valérien;303-305:Dioclétien(laplusimportanteparcequ’elleconcerne tout l’empire); 320-324 : Licinius ; 360 : Julienl’Apostat.

L’ambivalencedesrelationsentreJuifsetchrétiensàcetteépoque

Durant toute cette période, les Juifs de diaspora tentent lepluspossibledesedémarquerdeschrétiens.Déjà,auIersiècle,aumoment de la persécution deNéron contre les chrétiens etgrâceà l’interventionde l’épouse juivede l’empereur,Poppée,ilsavaientvoulusedifférencierd’euxlepluspossible,cequiestcompréhensible. Par ailleurs, eux qui se servaient depuis

plusieursgénérationsde laSeptante vont sedétournerdecetteBibleàpartirdumomentoùelleestutiliséeparleschrétiensetseservirdésormaisdelatraductiondited’Aquila.

On peut noter aussi qu’il y a de moins en moins deconversions juives au christianisme à partir de cette époque etqu’au contraire il va y avoir un net effort de prosélytisme juifvis-à-vis des chrétiens19. Du fait que les chrétiens sontpersécutés, il estplus facilede lesattirervers le judaïsmesoitpourlesécarterdecettenouvellereligionjugéepernicieuse,soitdans lebut sincèrede lesprotégerde lapersécution.Biendesévêquesfulminentcontrela«séduction»exercéeparlesJuifs;demême,Tertullien (v. 155-v. 220) ouOrigène (v. 185-v. 254)déplorent vigoureusement cette propagande juive d’autant plusinquiétante qu’elle n’est pas mal vue à cette époque par lesRomains,hostilesautertiumgenus.

Danslaréalitéquotidienne,quellevaêtrel’attitudedesJuifsde la diaspora à l’égard de ces générations de chrétiens endifficultédansl’empire?Ilsemblequ’iln’yaitjamaiseudemotd’ordre général de la part des autorités juives pour renforcerl’hostilité du pouvoir impérial contre eux (connaissait-ond’ailleurspartoutendiasporalafameuseprièrecontrelesminimet l’appliquait-onà tous leschrétiensouseulementaux judéo-chrétiens ?) Selon les cas, ditM. Simon, « tantôt la haine l’aemporté, tantôt la pitié, et parfois même une certainesolidarité20 ». Peut-être y a-t-il eu, à titre individuel, desdénonciations,mais certainsdocumentsprouventque,dans lesmomentsdepersécution, ilyeutaussidesJuifsquiessayèrentdeprotégerdeschrétiens,ouquileurouvrirentlaportedeleurscimetièrespourqueleursprochesyaientunesépulturedécente.

LesJuifsont-ilsprispartàcertainsmouvementspopulairesmenant aumartyre de chrétiens ? Il ne le semblepas.Dans sa

présence dès les IIe et IIIe siècles ne représentait pas dansl’immédiat un très grand danger pour les Juifs, installés etreconnus depuis longtemps dans l’empire et qui demeuraientplus attractifs, même pour de récents baptisés, du fait quel’Égliseétaitpersécutée.

Tout va changer à partir du moment où l’empereurConstantin accorde aux chrétiens le statut de religio licita42.Dèscemoment, leschrétienscommencentàprendreuneplacetrès importante dans l’empire, jusqu’au moment où, soixante-cinqansplustard,leurreligiondevientmêmereligiond’État.

L’Église passe donc progressivement d’un statut d’Églisepersécutée à un réel statut d’autorité. La parole des évêques,comme celle des Pères de l’Église est beaucoup plus écoutéequ’auparavant. Nombre de personnes se font baptiser. Lechristianisme,jusqu’alorsreligiondecroyantsmilitants,devientunereligiondemasse,avectouteslesambiguïtésquecelapeutcomporter. Ce « Triomphe du Christianisme » va avoir dedramatiquesrépercussionssurlaconditionjuivedansl’empire.

SouslerègnedeConstantin

La décision prise par l’empereur Constantin d’accorder laliberté de culte aux chrétiens et de leur restituer leurs biensconfisquésdepuis lapersécutiondeDioclétienpeutsurprendreetparaîtavoirétéinattendue.AprèssavictoiresurMaxenceauPont Milvius, près de Rome en 312, l’Édit de Milan qu’ilpromulgue en 313 apporte un grand changement pour leschrétiens:

« Nous Constantin et Licinius, Augustes, (…) nous avonsrésolud’accorderauxchrétiensetà touslesautresla liberté

depratiquer la religionqu’ilspréfèrent, afinque laDivinitéqui présidedans le ciel soit propice aussi bien à nous qu’àceuxquiviventsousnotredomination.Il nous a paru que c’était un système très bon et trèsraisonnable de ne refuser à aucun de nos sujets, qu’il soitchrétien ou qu’il appartienne à un autre culte, le droit desuivrelareligionquiluiconvientlemieux.Decettemanière,laDivinitésuprêmequechacundenous,désormais,honoreralibrement,pourranousaccordersafaveuretsabienveillanceaccoutumées.»

LesraisonsduchoixdeConstantin

Cette décision vient-elle d’une conviction personnelle ?Sansdoute.C’estenpriant leDieudeschrétiensqu’ilagagnéauPontMilvius et il dit avoir eu la vision pendant la batailled’unecroix lumineusequi luiaassuré lavictoire.Sa foivasedévelopperprogressivementàpartirdecetévénementplacésouslesigneduChrist.

S’agit-il d’un calcul politique ? Très probablement aussi :l’empireestàcetteépoqueaffaiblipardesinvasionsauNordetà l’Est et par des divisions intérieures : il a été partagé parDioclétienen285,entrel’Orientetl’Occidentetchaquepartieaune direction bicéphale (un Auguste et un César), d’oùd’innombrables rivalités. Constantin a très probablement misésur le fait que le christianisme, ayant pris un réel essor dansl’empire, pouvait être un facteur d’unité, d’apaisement et decohésion sociale. En effet, il suffit de comparer la carte del’implantationdescommunautéschrétiennesàlafinduIIIeavecune carte de leur implantation à la fin du Ier siècle, pour voircombien le réseau des communautés est devenu plus dense

qu’auparavant vers l’Orient et combien il s’est renforcé etdéveloppéégalementàl’ouestetausuddelaMéditerranée.Vis-à-vis des Juifs, Constantin ne modifie pas pour autant lapolitique traditionnelle des empereurs : les privilèges quiassurentleurlibertédecultesontconfirmés.Leseuldomaineoùse manifeste un changement, c’est l’interdiction pour eux decirconcire des esclaves chrétiens, et l’encouragement duprosélytismechrétienàl’égarddesJuifs(unJuifconvertinedoitpasêtreinquiétéparlessiens)etdesesclaves.

LechristianismefavoriséparConstantin

Enprivilégiantavectoutesonautorité ledéveloppementdel’Église,Constantinvapeuàpeucontribueràtransformerlesortdes Juifs dans l’empire. Tout d’abord, il arbore désormais lechrisme43 sur ses étendards et ses monnaies et fait apparaîtrepartoutdansl’empiredescroixquisontautantdesymbolesdesavictoire.Cette croix triomphale est quelque chosede tout àfait nouveau dans l’Église : pendant les trois premiers siècles,elle n’était pas représentée, peutêtre par discrétion aumomentdespersécutions,peut-êtreaussiparcequ’ellerestaitun«objetd’horreur » pour les chrétiens. Ils préféraient alors d’autressymboles:celuiduberger,héritédumondeantique44,ouceluidupoisson,symboled’espérance45.AuIVesiècle,lacroix,tropproche d’un emblème militaire et officiel, est désormaisdétournée de son sens profond qui ne peut être queprofondémentreligieuxpourunchrétien46.

PourlesJuifs,cesymbolevaêtreressenticommelapreuvede la préférencemaintenant accordée au christianisme et peut-êtremêmecommeuneaccusationportéecontreeux:n’est-ellepas un rappel constant de la mort du Christ dont ils sont

Théos pour désignerDieu, car ce terme est particulièrement accessible auxpaïens. Or, pour les Juifs, cette dénomi-nation est très grave, presqueidolâtrique, puisqu’elle est lamême que celle employée pour les dieux duPanthéon.À la finduXXe siècle,AndréChouraqui reprochait encore auxchrétiensd’être,àcausedecela,toujoursprochesdel’idolâtrie16. Marcel SIMON et André BENOÎT, le judaïsme et le christianismeantique d’Antiochus Epiphane à Constantin, p. 116-117 (PUF, coll.«NouvelleClio»,1994).17. France QUÉRÉ, introduction et traduction d’un ouvrage collectif, LesPèresapostoliques,écritsdelaprimitiveÉglise,p.14(Seuil,1997).18.MarcelSIMON,op.cit.,p.131etsuiv.19. Tant que l’Église est persécutée, il y a en effet parmi les chrétiens deslapsi(relapses)quisetournentverslesdieuxdupanthéonromain,ou–plussouvent – sont attirés par les synagogues qui répondent mieux à leuraspirationàuneviespirituelle,sansprésenterlesdangersduchristianisme.20.MarcelSIMON,op.cit.,voirtoutle§4duch.IV21. Les gnoses interprètent et expliquent la nouvelle religion chacune à samanière.22.FranceQUÉRÉ,op.cit.,p.15.23.BernardDUPUY, «L’hérésie deMarcion et ses résurgences actuelles »(Axes, oct.-nov. 1978) ; article repris dansBernardDUPUY,Quarante ansd’étudessurIsraël,p.139etsuiv.(ParoleetSilence,2008).24. Lepresbyterium est le collège de presbytres (prêtres) et de diacres quientourentl’évêque.25. Gérard ISRAËL, La question chrétienne, une pensée juive duchristianisme,p.156-157(Payot,1999).26.CestextesétaientinclusdanslaSeptante…maislesJuifsnelisantpluslaSeptantenelesontpasretenus.27.JeanMASSONET,«L’ÉpîtreauxHébreuxet la liturgiedeKippour»etDavid FLUSSER, « Messianologie et christologie dans l’Épître auxHébreux»(Sens,janvier2010,p.3etsuiv.).28. Fadiey LOVSKY, Antisémitisme et mystère d’Israël, p. 119 (AlbinMichel,1955).29. Michel REMAUD, Chrétiens et Juifs entre le passé et l’avenir, (Éd.Lessius,2000),p.24-2530.Sur cettequestion,voir les étudesdeL.KLENICKI et deE. FISCHERsur«L’accusationdedéicide»(Sens,n°12,1979,etlen°4,2002).31. Il était nédans l’actuelleNaplouse, enSyrie-Palestine et avait étudié le

platonisme avant sa conversion due à la rencontre avec un mystérieuxvieillardqui lui raconte laBibleet lavenueduChrist.Parmisesouvrages,certainsontdisparu,dontunContreMarcion.32.MichelREMAUD,op.cit.,p.34.33.MoniqueALEXANDRE,«AuIIesiècledenotreère.Justin,ledialogueavecTryphon»(NouveauxCahiers,op.cit.,p.2).34.Ibid.,p.29.35. F. ROSSI de GASPERIS, « La typologie chrétienne est-elle encoreacceptable?»etCarmineDISANTE,«L’ancienneetlanouvelleAlliance»(SIDIC,n°3,1988).36. Gilbert DAHAN, « Dogme et exégèse. Quelques réflexions sur laformationdeladoctrinechrétienne»,(NouveauxCahiers,op.cit.,p.16).37. Ilest très importantde lireàcesujet ledocumentduComitéépiscopalfrançais pour les relations avec le judaïsme, « Lire l’Ancien Testament,contribution pour permettre le dialogue avec le Judaïsme » (DocumentsÉpiscopat, 1997). Il se termine par cette conclusion : « Reconnaître àl’AncienTestamentsavaleurpermanente,c’estouvrirlapossibilitémêmedudialogueentrejuifsetchrétiens.»38.ORIGÈNE,ContreCelse,4,22.39. Voir à ce sujet Xavier LÉON-DUFOUR, Le partage du paineucharistique selon leNouveauTestament (Seuil, 1982), «Les assembléeseucharistiques»,p.25etsuiv.40.Didachéestuntermevoulantdire«enseignement».LaDidachéestunelettreàunecommunautéchrétiennepourluifairedesrecommandations.Onluidoitlaplusancienneprièreconnuedelamesse(Théo,op.cit.,p.969).41.ORIGÈNE,TraitésurlaPâque(Beauchesne,1979).42.Voir«Versl’Empirechrétien»,entretienavecPierreMARAVAL(MondedeLaBible,avril-mai1999).43.LechrismeestunsymboleduChristforméparl’entrelacementdesdeuxpremièreslettresdesonnomengrecP(ki)etX(ro).44.Béatrice deVARINE (sous la dir.),Qui est-il tonDieu ? Le thème du«BonPasteur»dansl’artchrétien,p.134-135(DescléedeBrouwer,2003).45. Le poisson représente de nombreux symboles : la multiplication despainsetdespoissonsdansl’Évangile,lebaptême,larésurrection…Ilyadeplus un jeu de mots entre le mot grec (ichtus = poisson) et la formulegrecque:ICTUS=IesousChristosTheouUiosSōtêr=JésusChristFilsdeDieuetSauveur.46.JeanDUJARDIN,«LathéologiedelaCroix:sesvicissitudes»(Sens,n°

1,1991).47.Voir « Le Symbole de la Croix. Perspectives historiques » (dossier duSIDIC,vol.XXIV,n°1,1991).48.Unconcileœcuménique rassemble–enprincipe– tous lesévêquesdumonde.Alors que les conciles locaux concernent et rassemblent seulementlesévêquesde telleou telle région. Ilyaeuvingtconcilesœcuméniquesàtraverslessièclesjusqu’àVaticanII,levingt-et-unième.49.RolandMINNERATH,Histoire desConciles, p. 17 et suiv. (PUF, coll.« Que sais-je ? »). Par exemple, après Constantin, l’Empereur Constance,ouvertement pro-arien, organise des synodes impériaux pour imposerd’autresformulesdogmatiquesquecellesduconciledeNicéeetchercheràintimiderlesévêquesoccidentauxquinesontpasd’accordaveclui.IlréunitmêmeunconcileàConstantinopleen360,quiseveutœcuméniquemaisquiest réfutépar le papedeRome,Damase, dès368, puis parAthanase et lesgrandsthéologiensdeCappadoce(BasiledeCésarée,GrégoiredeNaziance,GrégoiredeNysse).50.Constantin,curieusement,seferad’ailleursbaptiserdansleritearienaumomentdesamort…51.GilbertDAHAN,articledesNouveauxCahiers,op.cit.,p.16.52. JEAN-PAUL II, « Lettre aux artistes » § 5, p. 457 (DocumentationCatholique,16mai1999).53.CitédansThéo,p.322(DroguetetArdant/Fayard,1989).54. Ainsi ce concile commence déjà à répondre à la question dunestorianismequi estimait que leChrist avait deuxnaturesdistinctes, l’unedivine, l’autre humaine, mais que la Vierge n’était mère que de sa naturehumaine.Leconciled’Éphèse,en431,traiteraànouveaudecettequestion.55.381-383–mesurescontre lespaïensetapostats : suppressionde l’autelde la Victoire dans la Curie sénatoriale à Rome, ce qui souleva denombreuses polémiques ; 383-388 : les lieux de culte sont enlevés auxhérétiques ;385 : interdictionauxpaïensde fairedessacrificessanglantsetdivinatoires ; 391 : interdiction de toute cérémonie païenne à Rome etproscriptiondupaganisme.Surordre impérial,nombreusesdémolitionsdetemples.Lesdroitscivilssontretirésauxapostats.56.Sur l’Euphrate,dans lapartieouestde laMésopotamiequiappartientàcetteépoqueàl’Empireromain.57. Nicole BELAYCHE et Simon MIMOUNI, op. cit., article de LilianeVANA,p.210.58.MichelREMAUD,Leschrétiensentrelepasséetl’avenir,p.82(Lessius,2000).

chrétienstouslesjuifsetsamaritainsdetoutel’Afrique,autoch-tones aussi bien qu’étrangers, sur ordre de nos très pieuxempereurs (Héraclius et son fils), avec femmes, enfants,esclaves ; ils ont été conduits au saint baptême, au total desmilliers et des milliers d’âmes, le jour de la sainte Pentecôte(mai632)».

Peut-être d’ailleurs ce type de baptêmes collectifs, et sansdoute forcés, ne fut-il effectif que dans des villes où lapopulationjuiven’avaitpaschoisil’exil.

En634,HéracliusfaitmêmeparaîtreunéditcontraignantlesJuifs aubaptême souspeinedemort.Pour lapremière fois, lejudaïsme devient vraiment un délit. Il écrit aux rois franc etwisigoth pour les inviter à prendre les mêmes mesures ; maiscette politique, contestée dans son propre empire, ne fut paspoursuivie après sa mort en 641, même par ses successeursimmédiats.

Aumoment de cet édit, beaucoup de Juifs se convertirentpour pouvoir rester dans l’empire. Et pendant longtemps, cesconversionsfurentconsidéréescommesuspectes:ellesl’étaientd’ailleursprobablement.

AucoursduVIIesiècle,oncrainttoujoursducôtéchrétienlessignesderapprochemententreJuifsetchrétiens,cesderniersayantsouventrecoursauxmédecinsjuifsetayantmêmeparfoisune tendance à « judaïser » eux-mêmes. Depuis la fin dupaganismel’attentionestdeplusenplusattiréepar l’anomalieque représente l’« endurcissement » des Juifs dans un mondedevenu chrétien, où ils sont maintenant la seule minorité nonchrétienne.

Àcetteépoque,onvoitsemultiplierlestextesdepolémiqueantijudaïque. Ilsontencommundes scénarios trèsproches lesuns de autres (et très proches des traités des premiers siècles

contre les Juifs) : un champion du christianisme affronte undéfenseur du judaïsme, le convainc d’erreur et finalement lacommunauté entière bascule vers le baptêmenon sansquelqueappréhension d’ailleurs… En fait, ces textes font suite à desdiscussions publiques qui ont vraiment lieu et s’inspirent del’actualité. Au passage, certains des thèmes nouveaux sontchoisismoinspourconvaincrelesJuifsquepouraffermirlafoideschrétiensetleurindiquercommentilsdoiventlirel’AncienTestament.

VerslafinduVIIIesiècle,leconciledeNicéeIIfaitallusionauxvraies/faussesconversionsquisepratiquenttoujours:

«Puisquelesadeptesdelareligionjuive,égarés,ontjugébonde se moquer du Christ Dieu en feignant d’être chrétiens,mais le renient en observant dans l’ombre et en cachette leShabbatetd’autrescoutumesjuives,nousdécidonsqu’ilsnesoientadmisnià lacommunion,nià laprière,nià l’église,maisqu’ilssoientjuifsouvertementselonleurreligionpropreet qu’on ne baptise pas leurs enfants, qu’ils n’achètent etn’acquièrentpasd’esclave.Maissil’und’eux,avecunefoietuncœur sincères, se convertit et confesse la foide tout soncœur, divulguant en public leurs coutumes et leursagissementspourqued’autresaussisoientconvaincusdeleurerreuretsecorrigent,ilfautl’accueillir,lebaptiser,luietsesenfants et s’assurer qu’il a abandonné les coutumes juives.Sinon,ilnefautenaucunefaçonlerecevoir»(canonVIII).

IlyauraencoreauVIIIesiècleetauIXesiècledevéritablespersécutionsàl’égarddesJuifsdansl’Empirebyzantin:durantlapremièremoitiéduVIIIe siècle, sousLéonIII.Eten873-74,

durantunevaguedebaptêmesforcéssousBasileIer.Onnes’étonnedoncpasqu’auXesiècle,lesJuifsnesoient

plus que cinq pour mille à Constantinople et dans quelquesgrandes villes de l’Empire byzantin. Ils y exercent toujours lamédecineetparticipentencoretrèsactivementaucommerce,autissage de la soie, à l’artisanat, à la teinturerie (traitement desplantes tinctoriales), à toute la vie économique, car certainesfamillesyonttoujourseuunesituationtropimportantepournepasêtretolérées.MaisonnetrouvepratiquementplusdeJuifsdanslescampagnes:seulementunJuifpourmillehabitants…Ilresteaussidansl’empiredesmaîtresjuifsquin’écriventpaslegrec,mais restentunisauxautrescommunautés juivespar leurconnaissancecommunedela«languesainte»,l’hébreu17.

LaplupartdesJuifsquiquittentl’Empirebyzantinaucoursde ces siècles vont émigrer vers les royaumes d’Occident, outenter leur chance dans le tout nouveau monde musulman.Certes,ilss’apercevrontvitequ’ilsontunstatutplusoumoinsdiscriminatoire, tant dans l’Occident chrétien qu’en terremusulmane. Cependant, dans les jeunes pays chrétiens del’Ouestilsvontvivreunesituationencoreambivalentequileurpermetd’avoir,jusqu’auXIIesiècle,unevie«convenable».Enpays musulman, même s’ils sont soumis au statut de dhimmihumiliantàcertainspointsdevue,cetteconditionleurparaîtdeloinpréférableà l’ambiancefoncièrementhostilequ’ilsavaientconnue dans le monde byzantin. De plus, l’islam leur sembleêtre une religion plus clairement monothéiste que lechristianisme.

II–Ladiasporajuiveenterred’Islam

BabyloniePendant tout un temps, les Juifs conservent ce « pouvoir

centraljuif»reconnupartouteslescommunautés:l’exilarcatdeBabylonie, dont le rôle est d’autant plus important que lePatriarcat de Palestine a disparu en 425. Le chef politico-religieux, l’exilarque, a un pouvoir qui date des empiresprécédents. Dès Umar Ier, l’exilarcat – qui avait connu desvicissitudessouslesPersessassanides–reprendtoutsonéclat.L’exilarquemène à nouveau grand train, a rang de prince à lacourducalifeetassisteauConseilimpérial.Undécretspécifiejusqu’auXIesiècle:«Quetoutmahométanoutoutjuif,outouthommeappartenantàl’unedesnationsdel’Empireselèventenprésencedel’exilarqueetlesaluent…»Ilvavoirlecalifetouslescinqjoursetl’onditsursonpassage:«Rangezvous,laissezpassernotreSeigneur,lefilsdeDavid,commeilsedoit»…etles princes de la cour se lèvent à son arrivée. Il est ensuiteinstallé sur un trône face au calife et défend auprès de lui lesintérêtsdesacommunauté.

Maisplusimportantencorequelerôledel’exilarque,ilyaceluidesgeonim,lesdirecteursdesgrandesacadémiesoùs’étaitélaboréleTalmud :Soura,Pombedita…Lesgeonim légifèrentet continuent à faire un travail considérable pour unifier lemonde juif : les usages, la liturgie, le calendrier… et pouradaptercemondejuifauxconditionsnouvellesdanslesquellesil est appelé à vivre, en envoyant des responsa à toutes lesquestions qui leur sont posées à travers tout le Bassinméditerranéen.

Les Juifs vont avoir à faire face durant ces siècles à lanaissance du schisme des caraïtes. Il s’agit de revenir à uneinterprétationlittéraledestextesdel’Écritureetàdenombreux

interdits.Ce courant a un grand succès entre leVIIIe et leXIesiècle en Syrie, Palestine, Iran et même à Byzance. Il est trèspuissant en Égypte où le plus célèbre adversaire du caraïsme,Saadia d’Égypte, appelé aussi Saadia Gaon, (882-942), doits’enfuirdupays.Ilvad’abordenSyrie,puisàBagdadetdevientensuitelegaondel’académiedeSoura.Ilcontinueàrédigersonœuvreimmenseenarabeetenhébreu.Grammairien,philosophe,traducteurd’unepartiedelaBibleenarabe,iltented’éleverleniveau doctrinal de ses contemporains et de leur enseignerl’hébreu, la « langue sacrée».CommePhilon, et influencé luiaussiparAristote,c’estunconciliateurentrelaculturegrecqueet l’esprit juif. Certains l’appellent le « second Philon » ouencore le « père de la philosophie juive ».Enmême temps, ilannoncedéjàMaïmonideenconduisantsescoreligionnairessurlavoiedelaréflexionconcernantlesdonnéesdelafoi33.

L’éclatementdel’EmpiremusulmanMaispeuàpeuonassisteàunedécentralisationdumonde

arabe.OnvoitdéjàauVIIIesiècleAbdalRhamandevenirmaîtred’Al-Andalous, puis au début du IXe siècle, des centresindépendantsdeBagdadsecréerauMarocetenTunisie.AuXesiècle,lesFatimidess’installentenÉgypteetdanslapéninsulearabique.À partir duXIe siècle, les croisades changent le sortdesJuifsdePalestineetlaSyrieleursertderefugependantunlongmoment,avantd’êtreellemêmeenvahieparlesMongolsauXIIIe siècle. À la même époque, les Seljoukides conquièrentl’Iraketl’Iran,renversentladynastieabbas-sideetcontraignentJuifsetchrétiensàlaconversion…

Ce lent éclatement de l’Empire musulman entraîne unedécentralisation parallèle des communautés juives. Dans les

villes qui prennent alors leur essor : Grenade, Cordoue,Kairouan, Fès, Fustat (Le Caire)… de nouvelles yeshivots’implantent sous l’autorité d’un personnage important, lenagid, dont l’influence va désormais contre-balancer celle desexilarquesetgeonimdeBabylonie.Parexemple,àKairouan,ungrandérudit,RabbiNissim,devientunvéritablegaonrépondantà ses nombreux correspondants et circulant à travers lescommunautés.

Les très intéressantsdocuments trouvésdans laguenizaduCaireprouventquedenombreuxréseauxdesolidaritéexistaientencoreentrelescommunautésjuivesàtraverstoutl’empireentrele Xe et le XIIIe siècle : qu’il s’agisse d’une coopérationinformelle entre hommes d’affaires, d’associationscommerciales, ou du rachat des captifs tombés auxmains desnombreux pirates arabes ou byzantins. La communauté de laville où ils échouaient les rachetait, puis s’entendait avec leurcommunautéd’originepourlesfairerepartirversleurrégion.Ilsubsistaitdonc toujoursun sensde la responsabilité collectiveet de l’identité juive. Certains Juifs n’employaientils pasd’ailleurs le terme de Umma pour désigner leur proprecommunauté34?

*

Après des siècles de relative stabilité entre un Empire romainencoreunifié etunpuissantEmpireperse, toutes les régionsàl’est de la Méditerranée, où la diaspora juive était répartiedepuis des siècles, se retrouvent désormais dans de nouvellesconfigurationspolitiques.

Dans cette période très mouvante où les invasions et lesconflits succèdent aux invasions et aux conflits et oùnaît unenouvelle religion,missionnaireetconquérante, les Juifsonteu

celaconstituedésormaisuneconditionnormalepoureux.Les trois communautés juives les plus importantes à cette

époque sont Rome,Milan et Ravenne, devenue la capitale duroyaumedeThéodoric.

DuVIeauXesiècleLeroyaumeostrogothétaitenfaittrèsfragile:iltenaitàla

personnalitéremarquabledeThéodoric.Aprèssadisparition, ilfallut à peine trente ans pour que ce royaume s’effondre. LesOstrogothssontalorschassésdelapéninsuleetrienneresterade leur occupation de soixante ans. Au VIe siècle, RavennedevientmoinsaccueillantepourlesJuifs,carlesByzantins,puisensuite les Lombards, la reprennent. Mais les Juifs y restentnéanmoinssolidementimplantéspendanttoutleMoyenÂgeetau-delà.

AuVIIIe siècle, on sait quedéjà, dans les villes italiennes,les lettrés chrétiens et juifs ne s’ignorent pas. Lesmaîtres desécoles talmudiques sonten relationavec lesexégèteschrétienset ils discutent entre eux de l’interprétation de l’AncienTestament.ÀParme,verslafinduVIIIesiècle,PierredePiseaune disputatio avec le Juif Lulle et au début du IXe siècle,Claude de Turin évoque lui aussi ce type de discussions6. ÀpartirduVIIIesiècle,onvoitégalementlaviejuivesedévelopperau centre et au sud du pays. C’est un territoire où la culturegrecque est bien enracinée et qui acquiert la fonction de pontentrel’Orientetl’Occident.

Pour citer un exemple du rôle important joué par les Juifsitaliens auprès d’autres communautés qui s’implantent enEurope : il semble que ce soient des Juifs originaires deLucques, en Toscane, qui soient aller initier aux études

talmudiqueslesJuifsinstallésdanslavalléeduRhindepuis leIXe siècle. Au départ, ces derniers étaient venus làessentiellement pour jouer un rôle d’agents économiques. Ceserait donc grâce aux Italiens que la région rhénane devint undesgrandsfoyersdujudaïsmeauMoyenÂge7.

L’Italiecommenceégalementàentretenirdes relationsavecl’Afrique du Nord récemment islamisée, comme elle enentretient depuis longtemps avec l’Empire byzantin. Aussi lesJuifs participentils aux échanges tant avecByzance qu’avec lemonde musulman. On voit apparaître des ouvrages de culturejuive : auXe siècle, le Livre du Pseudo-Josèphe est un traitéd’histoirejuivequiaunénormesuccès.Àlamêmeépoque,onretrouveaussidesJuifsparmilesauteursd’importantstraitésdecosmologie et d’astrologie et d’un premier traité médical. Enmême temps, ils sont toujours présents à Rome où ilsbénéficientd’unesortedeprotectionpontificale.

III–EnFrance,L’implantationjuivedel’époquegauloiseàl’époquecarolingienne

LatrèsancienneimplantationenGauleDèsavantlagrandearrivéejuivequisuitlachuteduTemple

au Ier siècle, on trouve des Juifs dans dix-neuf cités, nonseulement dans le Midi : à Narbonne, Marseille, Arles,Avignon…maisaussiàMâcon,Dijon,Orléans,Poitiers,Metz,etc.

Après la chute du Temple, l’arrivée en Gaule va êtrebeaucoupplusimportantequ’auparavant.Unetraditionveutquetrois bateaux chargés de Juifs aient dérivé à travers la

Méditerranée. L’un serait arrivé jusqu’à Bordeaux, les deuxautres auraient remonté le Rhône : l’un jusqu’à Arles, l’autrejusqu’à Lyon. C’est une légende,mais que viennent confirmercertaines fouilles archéologiques qui prouvent une solideimplantation juive dans ces villes dès ce moment-là. On saitaussi que les communautés juives se retrouvent le long desgrandes vallées fluviales, jusqu’à celle duRhin, par exemple8.Ou bien encore, on voit des communautés s’installer àl’intersection de certaines grand-routes: Toulouse, Clermont-Ferrand, etc. À Paris, c’est plus tardivement, à l’époquemérovingienne,quelesJuifss’implantentvraiment9.

Peu àpeu, le nombredes communautés juives s’accroît et,dans lespremierssièclesdenotreère,on trouvedéjàdesJuifscommerçantsetartisansdanslesvilles.Maisàcetteépoqueilssont aussi agriculteurs, vignerons, éleveurs, cequi est d’autantplus important pour eux qu’ils ont le souci d’une nourriturerituelle. Du temps de Charlemagne et même au-delà, on enrencontrera encore – à travers les documents d’archives – quisont agriculteurs en Champagne, en Dauphiné, à Auch ou àNarbonne, etc., ou bien viticulteurs en Bourgogne10, dans lavalléedelaSaôneetduRhône,danslarégiondeMetz…Nousverrons qu’auXIe siècle encore, le grand talmudiste Rachi estvigneron en Champagne. Nous retrouvons trace aussi, dèsl’époquedeCharlemagneetmêmeplustard,del’aideapportéeparlesJuifsauxgrandsdéfrichements.

Ilsse regroupentnéanmoinsdeplusenplusdans lesvillespourplusieursraisons:certes,ilsontl’avantagedenepasêtredes serfs et ils ont encore le droit d’être des propriétairesterriens, mais parallèlement, ils ont l’interdiction d’employerdeschrétiensàleurservice,cequiexclutpoureuxlapossibilitéd’avoir de grandes propriétés où il leur faudrait beaucoup de

Parexemple,lorsqu’ildoitarbitrerunproblèmequiseposeà Palerme (juin 598), où les Juifs ont porté plainte contrel’évêque qui a fait occuper leurs synagogues, Grégoire écrit àl’évêquepourluidirequ’aucuneinjusticenedoitêtrecommiseà leur égard, sanspour autantqu’ils soient favorisés. Il insistesurlerespectdeleursdroitscivilsetaussisurlaprotectiondeleur culte et de leurs synagogues. Il énonce avec force unprincipe de vigilance et de tolérance qui sera repris par sessuccesseurs:

«Demêmequ’on ne doit accorder aux Juifs aucune libertédansleurscommunautésau-delàdecequ’ilestlicitedetirerdelaloi,demêmedanscequileurestreconnu,ilsnedoiventsubiraucunpréjudice.»

Dans d’autres lettres – par exemple, celle adressée àl’évêquedeNaples(novembre602)–ildénoncelesconversionsforcées qui se pratiquaient alors en Italie, dans le sud de laFranceetenEspagneetsouhaitequelesJuifspuissentpratiquerlibrement leur culte : pourquoi, demande-t-il vouloir leurinterdirelacélébrationdecertainesfêtes?C’estune“entreprisevaine”:

«Car,quelleutilitéya-t-ilàceladèslorsque,mêmesionleurinterditaureboursd’unlongusage,ilsn’ytrouventaucunprofitpourlafoietlaconversion?Oupourquoiétablissons-nousdesrègles pour les Juifs quant à la manière dont ils doiventaccomplir leurscérémonies, sinousnepouvonspas lesgagnerparlà?Ilfautdoncfaireensortequeencouragésplutôtparlaraison et la douceur, ils veuillent nous suivre et non pas nousfuir, pour que, leur expliquant par les Écritures ce que nous

disons,nouspuissionsavecl’aidedeDieulesconvertirauseindelamèreÉglise.»

Dans une lettre aux évêques d’Arles et deMarseille (juin591),ilacettebellephraseàproposdesconversionsforcées:

«Jecrainsquecetacten’apportepointderécompensefutureetque,danscertainscas,iln’aitd’autrerésultatquelapertedesâmesquenousdésironssauver…Car,lorsquequiconqueestconduitvers lesfontsbaptismaux,nonparladouceurdel’enseignement mais par la contrainte, il périt pluslamentablement encore de la cause même qui semblait êtrepourluilecommencementd’unevienouvelle.»

À partir de ce moment-là, pendant une grande partie duMoyenÂge,lespapess’inspirerontdel’attitudedeGrégoireleGrand.

Lesrestrictionsapportéesdèscetteépoqueàlaconditionjuive

Cependant,ilnefaudraitpasconsidérerleHautMoyenÂgecommeunepériodetropidyllique.

Mêmesil’onn’enestplusàlapérioderomaine,oùlesJuifsrivalisaientavecleschrétienspouraccueillirdansleursrangslespaïens de l’Empire romain, l’inquiétude reste grande du côtéchrétienausujetdel’attirancequ’exerceencorelejudaïsmesurdes gens simples. Et il est vrai que « le judaïsme risque decontaminerlafoiencoreincertainedepopulationspeurompuesauxsubtilitésthéologiquesetdontlaconversionaucatholicismeestrelativementrécente35».

L’Églisevitdoncdansl’urgencedeconvertirlesJuifs.A-t-elleperçuàcetteépoqueladimensioneschatologiquede

leurconversion,nécessaireselonPaulàlaréalisationultimedumessage évangélique ? Ou bien veut-elle leur éviter d’êtredamnés?Enfait,cequifrappesurtoutpendantleHautMoyenÂge,àtraverstoutlemondechrétien,c’estlediscoursconstant,récurrentdel’Églisesurl’obstinationetl’incroyancedesJuifs.Toutes les bulles pontificales commencent par ce rappel. Puisviennent toutes les recommandations que l’Église tented’imposer–sansgrandsuccès,biensouvent–carellen’estpasencoreassezpuissantepourfaireentendrepartoutsavoix:

NepasépouserunJuif;nepasprendrederepasaveclesJuifspar crainte de convivialité ; ne pas recourir aux soins d’unmédecin juif ; ne pas laisser les Juifs sortir pendant laSemaine Sainte ; ne pas les laisser travailler le dimanche,parcequ’ilsdonnentunmauvaisexempleauxchrétiens ;nepas les laisser construire de nouvelles synagogues ; ne pasleurlaisserexercerdehautesfonctionspubliques;nepasleslaisseremployerdelamain-d’œuvrechrétienneparcraintedeleurprosélytisme.

En fait, nombre de ces recommandations ne sont pasvraiment suivies, comme le prouve leur côté répétitif ; enparticulier celles qui concernent les médecins juifs, lesnourrices, les domestiques et les esclaves ; ou encore l’emploideJuifscommepercepteursd’impôts,trésoriers,etc.

Seule,l’interdictiondesmariagesentreJuifsetchrétiensesttrèsgénéralementrespectéedepartetd’autre.

Exigencesdel’Égliseetdécisionsdes

contributionparticulièrementprécieuseenmatièrededroit.

DanslavalléeduRhin,uneviereligieusejuiverayonnante

Dès la fin du Xe siècle, les communautés de la vallée duRhinetdespaysavoisinnantsconnaissentavantd’autresrégionsunimportantessorreligieux.

À l’époque de Charlemagne, comme nous l’avons dit, lesJuifs de cette région étaient le plus souvent des marchandscommerçantàlonguedistance,quel’empereuravaitencouragésàvenirs’installerlàpourdévelopperleséchangeséconomiques.Sans doute n’étaient-ils pas très soucieux au départ d’une viereligieuse intense et les préoccupations intellectuelles leurétaient-ellesassezétrangères.Mais,àpartirdelasecondemoitiédu IXe, àSpire,Worms,Mayence,Bonn,Cologne,dans toutesces implantations juives désormais bien établies, prospères etpaisibles le long du Rhin, de vraies communautés, d’unecinquantaine de familles environ, se développent et les étudesjuives commencent à s’y développer. Les yeshivot n’existaientprobablementpasencore,c’étaitlemaîtrequirecevaitquelquesélèvesdanssamaison;etnonseulementiln’étaitpasrémunéré,mais il s’efforçait d’aider ceux qui venaient à lui pour qu’ilspuissentconsacrertoutleurtempsàl’étudependantlesannéesd’apprentissage.

Peu à peu, des savants venus d’Italie et soucieux detransmettre leurs connaissances apparaissent dans la région.C’estainsiqu’unmaîtreitalienparticulièrementremarquablevapermettre l’essor et le rayonnement de la communauté deMayence.«L’arrivéedeMechoulambenKalonymosàMayence,oùilpassaunequinzained’annéesjusqu’en1005,produisitune

véritable révolution de l’enseignement » (S. Schwarzfuchs)10.Non seulement, il était connupour soncommentaireduTraitédes Pères (PirqéAvot) et pour ses poèmes, oupiyoutim, maisplusencorepoursesresponsarédigéesàlamanièredesgeonimd’Orient. Le judaïsme italien avait en effet bénéficié denombreux contacts avec les écoles babyloniennes.Mechoulamétait donc consulté de toute part et il va faire profiter de sasciencetalmudiquelesJuifsdeRhénaniejusqu’en1005.

LefameuxRabenouGuershom,quel’onappelala«lumièrede l’exil» etdont les successeurs furent lesmaîtresdeRachi,futluimêmelediscipledeMechoulam.Ildisaitdelui:«Ilfutunique en sa génération et il ne faut pas s’écarter de sonenseignement.»

GuershométaitnéàMetzetilmourutàMayenceen1028.Ileut un prestige quasi mythique. Il finit par réunir à Mayencetous les traités du Talmud, beaucoup provenant sans douted’Italie,etluimêmerecopiadesapropremaindiverstraitésdelaMichna et du Talmud. Il voulait en effet se servir d’un textecorrect pour ses propres écrits, ce fut le Commentaire deMayence,auquelparticipè-rentplusieursgénérationsdemaîtreset d’étudiants. Très laconique, ce texte cherche surtout àexpliquer les mots plutôt qu’à en faire une véritableinterprétation. Les disciples deGuershom faisaient aussi leurspropres commentaires, et Mayence devint le plus granddépositairedemanuscritshébraïquesdecetteépoque.

En même temps àWorms, à Spire, d’autres communautésdevenaient trèsactives.ÀWorms,unesynagoguefut inauguréeen1034.QuandunincendieravagealaruedesJuifsàMayenceen1084,ilsseréfugiè-rentàSpireoùl’évêqueleuraccordaunecharte très avantageuse que l’empereurHenri IV leur confirmaquelquetempsaprès.Ainsi:

«Àlaveilledescroisades,lescommunautésrhénanesétaientdevenues les dépositaires des études juives, en raison durayonnementde leursmaîtresetdunombreconsidérablesdemanuscrits qui s’y étaient accumulés. Une intense soif desavoir y régnait (…)L’hommeversé dans les études sacréesétaitdevenuunmodèlequ’onimitait11.»

L’essorreligieuxd’autrescommunautésàpartirduXIesiècle

Grâce à l’impulsion venue de la région rhénane, une viereligieuse intense va se mettre à fleurir au XIe siècle, toutparticulièrementaunordetàl’estdelaFrance,maisaussidanslemidi.C’est l’époqueoù les rabbins commencent à jouer unrôletrèsimportant.Beaucoupsontdegrandequalitéhumaineettrès respectés. Leur rôle est bien sûr avant tout l’étude de laTora. Ce sont eux qui créent et dirigent les yeshivot12. Ilsexercentà l’égarddesenfants touteune fonctionpédagogique,car«lemondeestsuspenduausouffledel’enfantquiétudie».Làaussi,lesélèvespartagentlaviedurabbin.Dèssanaissance,l’enfant est voué à l’étude et le niveau de ces études est trèsremarquable.Undiscipled’Abélardapudireavecadmiration:«ParzèlepourDieuetparamourpourleurLoi,ilsinstruisenttouslesenfantsqu’ilspeuventavoir,afinquechacuncomprennelaLoideDieu.»Etilarrivemêmequedesfemmes,ellesaussi,étudientetaientdetrèsbonnesconnaissancesreligieuses13.

EnProvence

Descommunautésprospèress’installentàNarbonneetArles

l’encontre des Juifs, alors ils sont pris comme « boucsémissaires » dans une société qui ne reconnaît guère la«différence»,nilerespectetlatoléranceàl’égarddeceuxquipensentetagissentd’uneautremanière.Lapremièreaccusationde meurtre rituel, nous l’avons dit, date de cette période (àBlois,en1171).

Autreexempledecesfluctuations:B.Philippeparled’une«communauté rayonnante»enChampagne, sous laprotectiondes comtes de Champagne, à l’époque des grandes foiresauxquelles lesJuifsparticipentpleinement.Maisvers lafinduXIIe siècle, quand les liens se resserrent entre Champagne etFrance,lesortdesJuifs,souventjalousés,commenceàenpâtir.Il faut d’ailleurs noter avec cet exemple qu’il est bien souventpréférablepourlesJuifsdenepasdépendredupouvoircentral,cequiestencorelecaspourunmomentdansplusieursrégionscommelaFranche-ComtéoulaProvence.

Cependant, en même temps, l’époque se prête auxsolidarités.Onnepeutpasêtre individualistedansunesociétéoù l’on est forcément proche les uns des autres dans lesmoments difficiles : guerres, incen-dies, famines, épidémies etmaladies, etc.Le Juif adonc forcémentdes liens de proximitéavecleschrétiensetceslienspeuventmêmedevenirdesliensdeconvivialité et d’amitié. Il ne faut donc pas trop noircir letableaudelaviejuiveàcetteépoque.

Unesociétéprofondémentreligieusedepartetd’autre

L’historien J. Katz, attire l’attention sur la réciprocité desattitudesetdes relationsentre Juifsetchrétiens. Ilconstateentoutpremierlieuqu’ilyaune«exigencemutuelled’exclusiondes chrétiens comme des Juifs, fondées sur leurs convictions

religieuses29».

LeregardportéparlesJuifssurleschrétiens

Toutd’abord,lesJuifsnesesententnullementeninférioritédanslasociétéchrétienne,nitroublésnonplusparletriompheduchris-tianisme.Ilsontl’espoird’unjugementcélestequiseraleur récompenseetunchâtimentpour l’impie. Ilsnevoient eneffetquetropbienlesimperfectionsdelasociétéquilesentoureet ils l’expriment parfois. Au XIIIe siècle, lors de la fameusecontroversedeBarcelonedont ilsortiravainqueur30, lecélèbreJuifNahmanides’adresseainsiauroi:«Depuisl’avènementduchristianisme,lemondeestpleindeviolence(…)etcombienilteseraitdifficileàtoi,Monsieurleroi,(…)etauxchevaliersiciprésents de ne plus vous exercer à la guerre. » Mais, trèsgénéralement, la plupart des réflexions juives sur les chrétiensdemeurentsecrètes,carilsontpeurdes’exprimerpubliquement.Le rapport de force est trop inégal : les Juifs n’ont passuffisamment de pouvoir pour imposer ce qu’ils pensent auxchrétiens, alors que les chrétiens, eux, ont la possibilité derecouriràlaforcepourtenterd’imposercequ’ilscroient.

Les Juifs se considèrent comme les seuls héritiers del’Alliance biblique et à leurs yeux cela signifie qu’eux seuls«détiennenttoutelavéritérévélée».«Ilsfontpartieintégrantedel’AllianceavecDieu,alorsquelesGentils,eux,entrentdanslacatégoriedesfilsdeNoé,lesquelssontliésparlepactejadisconclu entre Dieu et Noé et valable pour toute l’humanité ».Seul le lien entre Dieu et Israël est une intime relation demutuelle dépendance, confinant pour certains à l’unionmystique,commeleprouvelapoésiejuive.Deplus,ilsontunetrèsfortenotiond’appartenanceàleurcommunauté,laKenesset

Israël.Les gentils sont exclus des clauses de l’Alliance au plein

sens du terme et l’élection d’Israël s’inscrit dans toute unetraditionjuive:lechoixdeDieus’estportésurIsraëlàcausedesadisponibilitéàaccepterlejougdelaTora,paroppositionaux«nations»quireculèrentdevant lesresponsabilitésreligieusesque cela impliquait. Rachi répète à trois reprises dans sescommentairesdelaBibleque«leTrèsSaint,Bénisoit-Il,invitales Édomites et d’autres nations à recevoir la Tora. Ce n’estqu’après que les autres l’eurent refusée qu’Israël devint legardiendelaSainteLoi».C’estàIsraëlseulqueDieuoctroiesaChekhina,sadivineprésence.PourRachi,l’exiln’apasprivéIsraëldesonstatutd’exception:laDivinePrésenceaccompagnele peuple d’Israëlmême en exil. «Cette affirmation se veut laréponse directe aux allégations de l’Église selon lesquellesIsraëln’estplusdésormaislepeupleéludepuisl’avènementdeJésus » (J. Katz). De plus, pour les Juifs duMoyen Âge, lessouffrancesdel’exilserontrécompensées.

Toutl’enseignementjuifauxjeunesgénérationsvisedoncàaffirmer très fort des points qui prouvent la séparation et lesdivergencesd’avec ladoctrinechrétienne : leMessien’estpasencorearrivé;DieuestUn…LeChemaIsraël:«ÉcouteIsraël,l’Éternel, le Seigneur ton Dieu est Un » (Dt 6, 4) est laprofessionde foi juive, et celle-cipeutdoncparaître auxyeuxdesJuifscommeincompatibleavecledogmedelaTrinité.Poureux, le judaïsmen’arienperdudesapertinencedepuisMoïse,alorsquelareligionchrétienne–avecsesdogmes,sessymboles,sesfastes,sareprésentationduvisagedeDieu–apparaîtcommeunvrairepoussoir.Pourbeaucoupd’entreeuxlepluschoquant,c’estqueleschrétiensadorentunhommequ’ilsélèventaustatutde Dieu et dont ils vénèrent l’effigie. Rabbenou Guershomdisait:«IlsnousordonnentdenepointenappelerauSeigneur

delalettre,etsoncultedanslesangdesbêtesetdesanimaux.»C’estainsiquelefiguieraproduitdefaussesfigues,puisn’enaplusproduitdutout:«Demandez-vousquandcelaestarrivéàcepeuple.C’estlorsqu’ilatuéJésus-Christ.»

Au sermon 79, cependant, on retrouve une théologie pluspositive :une fois converti, cepeupleaurauneplacedechoixdans l’économie du salut. Il rappelle que « le Salut vient desJuifs»(Jn4,22).Àlafindestemps,lasynagogueseraconvertieau Christ par l’Église qui, par « un grand excès de bonté »,« fera part à son ennemie de Celui qu’aime son âme ». C’estalorsquelaSynagogue,commel’Église,deviendral’ÉpouseduChrist.

Etilécritàlafindecesermon:

«Que le Sauveur retourne au lieu d’où il est parti, afin desauver les restes d’Israël. Que les branches ne soient pasingratesenversleurtronc,nilesenfantsenversleurmère.Quelesbranchesn’envientpasàlaracinelasèvequ’ellesonttiréed’elle,nilesenfantsàleurmèrelelaitqu’ilsontsucédesesmamelles.Quel’ÉglisedonctiennefermementleSalutquelaJudéeaperdu, jusqu’àceque laplénitudedesnationsentredans leCieletqu’ainsi tout Israëlsoitsauvé.Elleveutbienqu’elleparticipeauSalutcommun,parcequetousypeuventavoir part, sans que cela fasse tort à chacun en particulier.Elle fait plus. Elle lui souhaite le nom et la beauté del’Épouse.»

Ainsi, à travers l’attitude de deux grands personnagesreligieuxduXIIesiècle,onpeutsaisiràlafoiscequirapprocheleurfaçondepenser:l’erranceméritéedupeuplejuifpouravoirtuéleChrist,etcequileséloignel’undel’autre:pourPierre,il

n’yarienàespérerdesJuifs,pourBernard,Israëlauraunjour«labeautédel’Épouse»…

L’artchrétien,miroirdelasociétéIl est difficile de parler de l’art d’une façon trop générale,

tant les représentations peuvent être différentes d’un artiste àl’autreetd’unerégionàl’autre.Mais,auxXIeetXIIesiècles,ilsemble que l’art chrétien reflète encore vis-à-vis des Juifs unecertainesérénité.

Ilyadesœuvresqui fontun liendirectentre l’héritagedel’Ancien Testament et celui du Nouveau Testament : sur lesvitraux de Chartres, par exemple, les quatre grands prophètesportentlesquatreévangélistessurleursépaules.

LareprésentationduChristencroixn’apasencorel’aspectextrêmementdouloureuxettourmentéqu’elleauraverslafinduMoyen Âge. On voit même apparaître le thème de la Croixsourcedevie,commeàl’égliseSaint-ClémentdeRome.

Onpeut citer encoreunvitrail deSaint-Denis, doncd’uneéglise très officielle, où l’Église et la Synagogue sont sous leregarddeDieuquisemblelesbénirl’uneetl’autre48.

IV–LescroisadesetleursconséquencespourlesJuifs

LesdifférentescausesdelacroisadeNous sommes tellement habitués à employer ce terme de

« croisade » que nous en venons à oublier l’extraordinaireaventurequ’elleareprésentéepourlachrétientéduMoyenÂge.On avait jusque-là guerroyé entre pays voisins, oumême entre

seigneurs voisins, on avait eu à repousser un certain nombred’invasions,mais jamais leschevalierschrétiensn’avaienteuàs’aventurer jusqu’en de si lointaines contrées encore très malconnues,etpouruneduréeaussilongue.C’estcecontextequ’ilfaut saisir si l’on veut comprendre pourquoi les Juifs ont étéparmi les victimes d’une telle aventure. Car les croisades leurontfaitbeaucoupdetortetcelamériteexplication.

Lesmotifsreligieuxdelacroisade

Les motifs religieux de la croisade étaient les premiersinvoqués–etcertainementaveclaplusgrandesincérité–parlescroisés. Il s’agissait de reprendre le tombeau du Christ auxmusulmans et de réimplanter le christianisme dans cet Orientberceau de la religion chrétienne. Les pèlerinages à Jérusalemétaientdevenusdifficiles,lamotivationreligieuseexistaitdonc.

Mais les convictions religieuses des croisés étaientsimplistes : il y avait « les bons », c’est-à-dire les chrétiensfidèles à Rome, et puis tous ceux qui avaient refusé dereconnaître le Christ, vrai Dieu et vrai homme, Juifs oumusulmans, ou encore tous ceux qui avaient dévié de la vraiedoctrine:lesorthodoxesdel’Empirebyzantin,parexemple.

Ilyavaitaussilesrumeursquicirculaient:certainsdisaientqu’enOrient,lesJuifspersécutaientleschrétiens,ilfallaitdonclescombattre;oubienundésirsimplistes’exprimait:ilfautlesconvertir,mêmeparlaforce.

De plus, tout ce monde de la croisade ne connaissait sareligion que de façon orale, puisque l’on était généralementanalphabète à cette époque. Alors, si un prédicateur commePierre l’Ermite, ou d’autres orateurs s’enflammaient de façoninconsidérée,leurparolepouvaitfairedesravages49.

l’argent, au développement de la recherche du gain. » Et ilexpliqueque,sousleurimpulsion,unecertaineméfiancevis-à-vis de l’argent et des affaires va apparaître chez nombre dechrétiensetqu’ungranddébatsurargentetreligionvas’ouvrirauXIIIe siècledans lemondecatholique2.En fait, d’aprèsunerecherche récente, il semble que les franciscains et les autresordresmendiantsconsidéraientleprêtàintérêtcommelégitimes’il n’était pas usuraire, dans la mesure où il se voulaitd’«utilitépublique»,motivéparuneintentionchrétienne,pourlebiendelacommunautédesfidèles,etnonparlacupiditédugainpersonnel3.

Le débat est donc très confus, car l’Église est en pleinecontradictionavecelle-mêmesurcettequestion :ellevoitbienla nécessité du prêt à intérêt, puisqu’elle emprunte elle-mêmeaux Juifs. Elle sait aussi que la législation ecclésiastique vacontre l’intérêt économique des marchands chrétiens en leurrefusant l’accès au commerce de l’argent. Elle ferme donc deplusenpluslesyeuxquandceux-ciselancentàleurtourdanslegrandmarchéfinancieretenécartentlesJuifs.

Seul,Thomasd’Aquin–répondantàlacomtessedeBrabantquiveutaugmenter lacontrainteexercéepar lepouvoir sur lesusuriersJuifs–adopteuneattitudenuancéesurcettequestion.Sansdoutesa réponseest-elleassezambiguë,maiselleprouvebien en même temps que pour lui le sort des Juifs n’est pasenviableetqu’il faut secomporteravechumanitéà leurégard.Certes,dit-il,lesprinces,suivantledroit,pourraientregarderlesbiensdesJuifscommeappartenantàl’Étatetgreverlesusuriersd’amendes plus lourdes que leurs gains. Certes, il seraitpréférablequelesJuifss’adonnentàd’autrestravaux,commeenItalie, plutôt que de vivre oisifs grâce aux intérêts qu’ilsperçoiventdel’usure.Toutefois,sachantqu’enFlandrelesJuifs

n’ontpasd’autresressourcesquececommerce,ilrecommandeàladuchessed’agiravecmodérationàleurégardpournepaslespriverdeschosesnécessairesàlavieetaggraverleursort.Ellepeutpréleverdestaxessureux,maisdanslamesureoùelleenfaitusagepourlebienpublicenrestituantainsiauxvictimesdel’usurecequileurestdû4.

LesJuifsdeplusenplusprisdansuncerclevicieux

PlusonvaverslafinduMoyenÂge,plusleursconditionsdevieleurimposentdepratiquerleprêtàintérêtusuraire5.Carl’usureestdevenuepoureuxunevéritablenécessitééconomiqueet le seul moyen de vivre décemment, puisque dans bien desrégions ils n’ont plus le droit d’être comme autrefois de vraisagents de développement économique et que de plus ils sontaccablésd’impôtsetdetaxestrèslourdes.

Dansbiendes régions, ils sont contraints désormais à êtreseulement de « petits prêteurs », faisant leurs affaires avec lescouches modestes de la population qui vivent dans un granddénuement et sont obligés de recourir de plus en plus àl’emprunt. Les Juifs deviennent ainsi le « point demire de lahainepopulaire6 ».Laquestionduprêt à intérêt estdonc l’undes principaux facteurs de la diabolisation des Juifs par lapopulation.

Parailleurs,aumomentoùl’Europerenonceauservagedansla société chrétienne, les Juifs, eux, sont de plus en plusconsidérés comme des inférieurs, du fait qu’ils sont presqueentièrement cantonnés dans un seul type de commerce jugéinfamantparlasociétéquilesentoure.Ilshéritentdonc–àleurmanière–d’unstatutéquivalentàcestatutde«serf»,dontles

chrétienssontdésormais libérés.LatranIVnelesdéfinit-ilpasd’ailleurscommedes«serfsperpétuels»delachrétienté7?Eten Allemagne, à partir de 1236, ils ne sont plus considéréscomme des hommes libres, mais comme des « serfs de laChambreimpériale».

L’attitudedesroisvis-à-visdececommerceLesroissontlesprotecteursdesJuifs,commeilslesontde

tousleurssujets.C’estlepremierdevoirdusouverainmédiéval.Ils les protègent aussi parce qu’ils sont héritiers de cettetraditionchrétienneoù leJuifestconsidérécomme« témoin»du sort malheureux de ceux qui n’ont pas reconnu le Christ,mais par lesquels – comme le disait saint Bernard – le salutarriverapourtoutel’humanitélorsqu’ilsseconvertirontàlafindes temps.Lesrois lesprotègentégalementparceque lesJuifssont leur « bien propre », dont ils parlent en disant « nosJuifs»…

Tout cela veut dire que souvent l’attitude royale est fortambiguëàleurégard:ilspeuventavoirdelabienveillancepoureux, leur accorder des faveurs, les défendre quand ils sontfaussement accusés.Mais, étant bien souvent à court d’argent,ils peuvent aussi leur imposer des contraintes financièresd’autantplusimportantesqu’ilsméprisentl’usure,etilspeuventmêmeallerjusqu’àdevéritablescoupsdeforceàleurendroit.

Au fil des derniers siècles duMoyenÂge, nombre de roisvont de plus en plus pratiquer avec les Juifs le « système del’éponge » : taxes spéciales ou remise de la moitié ou de latotalitédescréancesquileursontdues.LouisVIII,parexemple,fera ce type de ponction sur une partie de leurs biens, enparticulier sur des maisons, trois années durant (1224, 1225,1226).Dans lesmomentsdifficiles, on continueàprocéderde

précédent : en attendant que les Juifs participent au « Salutcommun»etseconvertissent,ilavaitrappelédanssalettreauxévêquesdeFranceetd’Allemagne, lorsde la2eCroisade, quepourlesJuifs,«sansdoute,quimeurt“demeuredanslamort”(1, Jn 3,14) ». Il faut donc convertir les Juifs pour qu’ils nedemeurentpasdanslamort!

AuXIIIesiècle,unouvragequiseratrèslu,laLégendedoréede JacquesdeVoragine,prêtrepuis évêquedeGênes, rapportedes histoires touchantes de familles juives entières qui seconvertissent après l’intervention d’un saint, ou après unmiracle23.Ilyasouventd’ailleursunecertainenaïvetéautourdecesconversions : lebaptêmeaune sortedepouvoirmagique ;l’eau baptismale chasse immédiatement le démon du Juif quidevientinoffensifetnefaitpluspeuràpersonne.Mêmel’aspectphysique du Juif baptisé change, si l’on en croit certainesreprésentations : il devient du même type physique que le«bon»chrétienetperdletypeorientalqu’ilavaitauparavant24!

Au XVe siècle, on trouve souvent dans les expressionsemployées par le clergé des qualificatifs tels que « faux », ou«fourbes»pourdésignerlesJuifsnon-convertis.Parcontre,lesJuifsconvertissontqualifiésde«vrais»JuifscomparablesauxApôtres25.

Lesthéologiens

Au XIIIe siècle, plusieurs théologiens chrétiens sepassionnentpourlaphilosophiejuive,carilya,àcetteépoque,un apport de la pensée juive au christianisme. AuXIIe siècle,Maïmonide (1135-1204), avait été animédu désir de faire unesynthèseentrelaphilo-sophiehelléniqueetsareligion.DansLe

Guide des Égarés, il s’interrogeait sur la « véritéphilosophique » telle que la concevait Aristote et la « véritérévélée»delaTora.C’esttoutàfaitlemêmegenredequestionsque se posent plusieurs grands théologiens du XIIIe siècle,AlbertleGrand(1200-1280),Thomasd’Aquin(1225-1274),ouencore Thomas d’York (v. 1225-v. 1269), et ils vont êtreinfluencésdediversesmanièresparlapenséedeMaïmonide26.

La grande recherche de Thomas d’Aquin, en particulier,n’est-ellepasdefairelelienentrefoietraison?Onditdeluiqu’ilavoulu«christianiserlaraison».SaSomme théologiqueest une remarquable suite de questions et de réponses quitentent d’apporter des explications pour que les chrétiens« comprennent ce qu’ils croient ».Dans ce sens, on peut direquesarelationaveclesJuifsaétébeaucoupplusprofondequecelle de ses prédécesseurs. Quand il aborde des questionsconcernant les Juifs et la Loi, on sent chez lui un très grandrespect pour ce dont il parle, même si sa pensée reste trèsnuancéeàleurégard27:

-LaLoiancienneétait-ellebonne?-ÉcoutonsSaintPaul :«LaLoiestvéritablementsainte ;soncommandementestsaint,justeetbon»(RomVII).Onjugedelabontéd’uneloiparsaconformitéà laraison.LaLoimosaïqueavait sanscontreditcetteconformité.Est-ceàdirequ’elleétaitparfaite?Nonsansdoute.LaLoimosaïque,nepouvantconférerlaGrâce,privilègeréservéauChrist,étaitimparfaite.-LaLoianciennevenait-elledeDieu?-CetteLoivenaitdeDieu.ElledisposaitleshommesàlavenueduRédempteur en les éloignant de l’idolâtrie, en les attachantau culte du vraiDieu. Comment le démon aurait-il pu donneruneloiquiconduisaitleshommesauChrist,parlequelildevra

êtrechassé?-LaLoianciennefut-elledonnéeparleministèredesanges?-Oui.IlconvenaitquelaLoiparfaitedelanouvelleAlliancefutdonnée par le Dieu fait homme ; et la Loi imparfaite del’ancienneallianceparsesministresquisontlesanges.-LaLoianciennenedevait-elleêtredonnéequ’aupeuplejuif?- Quoique le Salut qui devait s’opérer en Jésus-Christ futdestinéàtouslespeuples,iln’enfallaitpasmoinsqueledivinSauveur naquît d’un seul peuple, qui devait obtenir par celamêmedesprérogativesparticulières.- Tous les hommes étaient-ils obligés d’observer la Loiancienne?- Certains préceptes obligeaient tous les hommes parce qu’ilsappartenaientaudroitnaturel.LesautresneliaientquelesJuifs.Eneffet,lebutdelaLoimosaïqueétaitd’éleverlesIsraélitesàune grande sainteté, par respect pour Jésus-Christ qui devaitnaîtredecepeuple(…).-LaLoianciennedevait-elleêtredonnéeautempsdeMoise?Pour répondre, St Thomas explique qu’il y avait une«insuffisancedeslumièresnaturelles»autempsd’Abrahametil ajoute : « Il était temps, après cette expérience, que la Loiécrite, remédiant à l’ignorancehumaine, fit connaître lepéché.La Loi mosaïque fut accordée à propos pour conduire leshommesàlaperfection.ElleaétéconvenablementdonnéeentrelaloidenatureetlaLoideGrâce.»

Ainsi, même si l’on sent chez Thomas d’Aquin uneperplexité et une ambiguïté qui demeureront celles de tous lesthéologiensjusqu’auconcileVaticanII,onsentaussidesapartun trèsgrand respectpour cepeuple auquelDieu adonnédes«prérogativesparticulières»etilneditàaucunmomentquecesprérogativesluiontétéretirées.Pour lui, laLoiestsainte,elle

communautés dont la vie n’était tout de même pas toujoursmenacée.Plusréservée,B.Philippeintituleundeseschapitres:«Laviemalgrétout…».Lavitalitéjuive,danscettepériodesidifficilepourlescommunautés,serévèleparleurprésencedanscertaines régions où elles sont installées de longue date,maisaussiàtraversleursdéplacementsd’unerégionàl’autre,quandellessontcontraintesderechercherunsortmeilleur.

EnEuropecentrale

EnAllemagne

Auplanéconomique,nousditL.Poliakov:

« Il existe des témoignages indiscutables d’une vive activitécommercialedesJuifssepoursuivantauseuilduXIVe sièclelelongduRhin,etdesordonnancesimpérialesduXVesiècleattestent la présence enAutriche demarchands juifs faisantcommerce de tissus, de vin ou de porcelaine, ainsi qued’artisans.»

Depuis la première Croisade, en effet, les Juifs étaientdevenus« serfsde la chambre impériale», cequi leurdonnaitdroit à une certaine protection47. L’auteur ajoute que, après laPeste Noire, les Juifs ont été rappelés dans certaines villesd’Allemagne qui avaient grand besoin de leurs services et deleurs créances. Les municipalités ou les princes locaux leuraccordaient alors de nouvelles chartes à titre temporaire. Ilsfurentainsi«traitéspendantunedécennieoudeuxcommeuneespècededenréerare48».

UneexpositionauMuséedeClunyaprésentéen2007 les« trésors»deColmaretErfurt. Ils’agitdepiècesd’orfèvrerie,tantprofanesquereligieusesretrouvéesdanslequartier juifdeces deux villes qui prouvent la prospérité de ce commerced’objets précieux entre l’Alsace et la Thuringe jusqu’à unepériode avancée du Moyen Âge ; comme d’autres trésors leprouvent d’ailleurs pour la Saxe (Weissenfels, Lingenfeld) oupourlaRhénanieduNord(Münster)49.

EnAlsace,auXIVesiècle,onvoitapparaîtredanslessourcesle personnage de Vivelin le Roux, un prêteur d’argent juif deStrasbourg, qui semble avoir eu des capitaux forts importantspuisqu’ildevientlecréancierdel’archevêque-électeurdeTrèvesen1336,puisduroiÉdouardIIId’Angleterrependantquelquesannées, puis de l’archevêque deMayence et de l’entourage del’archevêquedeTrèves.Onperd sa trace en1347, aurait-il étévictimel’annéesuivantedelaPesteNoire?

Après la peste, bien que la décision ait été prise par lamunicipalitédeStrasbourgd’expulserlesJuifspendantcentansdufaitdesaccusationsquel’onavaitportéescontreeux,onserésignaàfairerevenirsixfamillesjuives,tantonavaitbesoindeleur aide au plan financier. On voit alors apparaître dans lessources, en 1365, Simon Le Riche – de Deneuvre, près deStrasbourg–quidevient lecréancierde lanoblessealsacienneet de la maison comtale de Savoie et semble lui aussi êtreprospère. Mais il meurt en 1390 et sa famille est ensuiteexpulsée de Strasbourg. Il s’agit, bien sûr de cas particuliers,maisquiprouventquel’argentcirculeetqu’ilyaparmomentsune vitalité financière dans la communauté juive de cetterégion50.

Au plan culturel, à travers les témoignages de la vieculturelleetintellectuelledesdernierssièclesduMoyenÂge,il

est possible de saisir aussi quelque chose de la vitalité descommunautés juives d’Allemagne, même quand leur existencedevient de plus en plus restreinte et difficile. Gabrielle Sed-Rajnaobserveàcesujetquelesconditionsdevienesontpaslesmêmes,loindelà,pourtouslesJuifsd’Allemagne:

«Lacivilisation juiveenpaysgermaniquess’estdéveloppéesur une scène autrement vaste et sur une période beaucouppluslonguequecelledelaFrance.Cedéveloppementnefutd’ailleurspaslinéaire;desfacteurspolitiques,doncexternes,autantquedes facteurs internes à la communauté, bienplusdifficilesàcerner,ont favorisé l’essordecertainscentres, ladiffusiondecertainscourants,créantunecarte intellectuellefor inégale quant à son impact et à son influence surl’ensembledelaculturejuive51.»

Quand elle énumère toute la richesse des manuscrits à la«créativitéétonnante»,«foisonnante»,celledesenluminures,des livresdeprière,desHaggadot illustrées,ons’aperçoitquelavie s’estmaintenuedans l’uneou l’autredes régions,mêmeaprèslaPesteNoireetmalgrélesvicissitudesdel’histoire.

Au plan juridique, on constate également que, pendant lapremière moitié du XIVe siècle, le modèle communautaire, siimportant pour la vie en diaspora, se consolide et s’unifie àtraversl’Allemagne.MalgrétouteslestourmentestraverséesparlesJuifs, leurauto-juridictionnesera jamaisremiseencauseàtraverslepays52.

Cespreuvesunpeudiffusestémoignentindirectementdeceque la vie juive en Allemagne demeure vivante et va mêmepouvoiraideraudéveloppementd’autrescommunautésdansdenouvellesrégionsd’Europe.

Léo J. ELDERS, Éducation et instruction selon saint Thomas d’Aquin(ParoleetSilence,2012),ch.II,p.27etsuiv.28.JosyEISENBERG,op.cit.,p.33629.Ilvafinirparenflammerl’Espagneentièreparsesprêchesvirulents.VoirchapitreIX,p.270.30.J.DELUMEAU,op.cit.,p.281.31.ÉlieBARNAVIetDenisCHARBIT,op.cit.,voirlacartedelatrajectoiredesFlagellants,p.111.32. Il semble qu’il y ait aussi des Juifs tenus à les entendre dans certaineséglises italiennes (cours de Jean-Pierre SAVY, mars 2011, au Centrecommunautairejuif).33.MicheleLUZZATI,«HistoireetmémoiredesJuifsd’ItalieduMoyenÂgeauXXesiècle»(Tsafon,n°48,automne-hiver2004-2005).34.BernardLAZARE,L’antisémitisme,sonhistoireetsescauses, (1894): ill’appelaitle«fléaudesHébreux»…35.BernhardBLUMENKRANZ,leJuifmédiévalaumiroirdel’artchrétien,op.cit.,p.104.36.Ibid.,p.121.37.ArnouldGREBAN,LeMystèredelaPassion(Folio,n°1881).38.JeanDELUMEAU,ibid.,«LesagentsdeSatan»:II-LeJuif,malabsolu(Fayard,1978).39.FreddyRAPHAELetR.WEYL,LesJuifsenAlsace,p.44(Privat,1977).40.JeanDELUMEAU,op.cit.,p.273.41. Hedwig ROCKELEIN, « Marie, l’Église et la Synagogue. Culte de laViergeetluttecontrelesJuifsenAllemagneàlafinduMoyenÂge»(revuecanadienne«Sciencesreligieuses»,vol.282/1999).42. La première accusation a eu lieu près de Norwich, en Angleterre, en1144.Nous avons vu aussi la première accusation prononcée en France, àBlois,en1171,entraînantlamortde38Juifs.43. Voir la carte dans Élie BARNAVI et Denis CHARBIT,op. cit., p. 107(meurtresrituelsetprofanationsd’hosties).44.AuXIXesiècle,cecultesepoursuit toujours.Voir IIIepartie,ch.V,p.624.45. Voir la carte des fausses accusations dans l’Atlas d’Élie BARNAVI etDenisCHARBIT,op.cit.,p.107.46.GilbertDAHAN,LapolémiquechrétiennecontrelejudaïsmeauMoyenÂge(AlbinMichel,coll.«PrésenceduJudaïsme»,1991),p.23-24.47. Léon POLIAKOV,op. cit., p. 98-99. La protection des empereurs est

variableselonlescas,etl’onn’estpastrèsétonnéquecesoit,parexemple,l’empereurFrédéricIIdeHohenstaufen,réputépoursonouvertured’esprit,quiaittentédeprotégerlesJuifsenpromulguantuneBulled’Orcontre lesaccusationsdemeurtresrituelsauXIIIesiècle.48.LéonPOLIAKOV,op.cit.,p.134.49.Cesobjets,retrouvésplusieurssièclesaprès,avaientétécachésdansdesmursduquartierjuifaumomentdelaPesteNoire,cequivautàl’expositionletitreassezsurprenantdeTrésorsdelaPesteNoire–ErfurtetColmar!50.GerdMENTGEN,«DeuxmagnatsjuifsdelafinancealsacienneVivelinLeRouxetSimonLeRichedeDeneuvre»(Archivesjuives,n°29,1996).51.GabrielleSED-RAJNA,inMilleansdeculturesashkénazes,op.cit.,p.49.etpourtoutceparagraphe,voirdumêmeauteur,L’Artjuif(CitadellesetMazenod,1995),p.229etsuiv.52. Sylvie-Anne GOLBERG, « L’émergence du modèle communautaire :législationsetprivilèges(SaintEmpireromaingermaniqueetEmpireaustro-hongrois)»,inMilleansdeculturesashkénazes,op.cit.,p.63.53.C’estdansceyiddishpolonaisquecommencerontàs’introduiredesmotsd’origine slave, mais il reste compréhensible par tous les Juifs d’Europecentraleetorientale.54.DanielTOLLET,ÊtreJuifenPologne–milleansd’histoire,duMoyenÂgeà1939,(AlbinMichel2010),pp.15etsuiv.55. Ibid., p. 22. De plus, en 1453, les prêches de Jean de Capistrano àWroclawvontentraînerunvéritablepogrom.56.AlessandraGUETTA,«Les Juifs ashkénazes en Italie ; unepagebrèvemaisimportante»,inMilleansdeculturesashkénazes,op.cit.,p.70.57. Béatrice PHILIPPE, op. cit., p. 51. En même temps, Louis XIencourageralaconversiondesJuifs.58.BernardBLUMENKRANZ(sousladir.de),HistoiredesJuifsdeFrance,p.17etsuiv.59.BéatricePHILIPPE,op.cit.,p.41-42.60.Henri-ClaudeBLOCH,op.cit.,p.129etsuiv.61. Danièle IANCU, Être juif en Provence au temps du roi René (AlbinMichel,1998),p.9etsuiv.62.Ibid.,ch.II,«Lavieéconomique».63.JulietteSIBON,op.cit.,p.27etsuiv.64. René 1er d’Anjou (1409-1480), fils de Louis II, roi de Sicile et ducd’Anjou. Ilpossédaitdenombreux territoireset il futpeuàpeudépossédéde la plupart d’entre eux au cours de sa vie. Dès 1456, il renonça à la

conduite effective de ses affaires, préférant s’entourer d’artistes et desavants,particulièrementenProvenceoùilseretiraen1471.65. Il y aura un terrible soulèvement contre eux à Manosque en 1427 etd’autres troubles importants ont lieu dans la seconde moitié du siècle enparticulieràDigneen1475.66.DanièleIANCU,op.cit.,p.135-136.67.Voirch.IX,p.264-265.68.ExpressionemployéeparJ.EISENBERGpourparlerdessièclesdelafinduMoyenÂge.69.CecilROTH,op.cit.,p.252.

AuXIIIesiècle,onaunbonexempledelaparticipationdesJuifs à la Reconquête avec l’épisode de la reconquête deMajorque par le roi d’Aragon, dont témoigne le Libro delRepartimientode123211.

L’île, tenue par les Almoravides, puis par les Almohades,était un repaire de « pirates » dangereux. En 1228, Jaime Ierd’Aragon lance sa reconquête en concluant un accord avec un« consortium » de seigneurs ecclésiastiques et séculiers duRoussillon,delaCatalogneetduBéarnauxquelssesontjointsdeux barons aragonais qui sont les « sponsors » (et les futursbénéficiaires)del’expédition.

Leroilanceunappelàtouslessujetsdesacouronne,appelquiestélargilorsqu’ilobtientdupapeunebulledecroisade.Onsait que des Juifs ont répondu à cet appel puisqu’ilsbénéficierontensuiteàtitreindividueloucollectifdeterresdanslerepartimiento.

Lorsdu repeuplementde l’îlepardesAragonais,Catalans,Béarnais,Occitans,CastillansetFrançais12, les Juifs reçoiventd’emblée un statut de communauté Universitatis JudeorumCalliMajoricarum, leurquartier s’appelant leCall ; alorsqueles musulmans, eux, sont assez systématiquement réduits enesclavageetnereçoiventpasdestatutdemorería,commec’étaitlecasjusque-là13.Onvoitapparaîtrelàunetactiquede«guerretotale»comparableàcellequiestappliquéelorsdelacroisadecontrelesAlbigeois,mêmesiàMajorque, lacroisadeaunbutclairementéconomique,puisqu’ils’agitdes’emparerdes terrespourlesrépartirentrelesReconquistadores.

La communauté juive de Majorque va être importante etprospère,jusqu’auxtueriesde1391quientraînentsaconversionmassive. C’est l’origine des fameuxChuetas, crypto-juifs quifurentensuitepersécutésparl’Inquisition.

Mêmedanscettepériodefaste,duXIe auXIIIe siècle, ilnefaut pas croire que la situation ait été vraiment idyllique entreJuifsetchrétiens :si les fueros semblentmontrerque lesJuifssont traités sur un pied d’égalité avec les chrétiens14, on peutconstaterenmêmetempsquelamortestrequisepourlafemmechrétiennequiestsurpriseenayantdesrelationssexuellesavecunmoro ouun Juif : lesdeuxamantsdoivent êtrebrûlésvifs,alorsquel’hommequivioleunemusulmanen’arienàcraindre!Ce type de condamnation à mort reflète bien la séparationsoigneusement entretenue entre lesdeux communautés juive etchrétienne.

LeconciledeCoyanza,en1050interditmêmeauxchrétiensde demeurer dans des maisons juives et de manger avec desJuifs. Et le même interdit se retrouve dans les règles descommunautés juives. La menace pour l’intégrité religieuse estréciproque, mais du côté chrétien, ces recommandations secompliquentdelanécessitédemaintenirlesconversoséloignésdelacontaminationjuive.

Déjà à cette époque, on constate des poussées de haineantijuive:en1035,soixante-dixmortsàCastrojeriz;en1047,même nombre de morts à Albelda. Et les pierres tombalesretrouvées à Léon (1026-1135) indiquent que sur huit tombesjuives,deuxconcernentdesmortsviolentes ;unedans laville,unesurlechemindeSaint-JacquesdeCompostelle.

Malgrécela,lesJuifsarriventàcetteépoquenonseulementd’Al Andalus mais de toute l’Europe, à cause des conditionsfavorablesquileursontfaites.Mêmesicettepériodeestconfusedufaitde laReconquête,etmêmesi lasécuritédece«refugeespagnol » reste très relative, la situation en Espagne devientpréférable à celle que l’on connaît dans d’autres pays lorsquecommencent les persécutions liées aux croisades à partir de la

finduXIesiècle.

L’épanouissementdescommunautésjuivesdans«l’EspagnedesTroisCultures»

LeXIIe siècle est une période riche et créative, oùpeuvents’épanouirdescommunautésjuivesgrandesoupetites,quisontappelées aljamas, comme en terre musulmane. Il y a à cetteépoquetroiscentscommunautésjuivesquireprésentent20%dela population urbaine d’Espagne. Elles sont protégées par lesfueros:«QuiconquetueunJuifserajugéparleroi,commes’iltouchaitauTrésorduroi»,disentilstousàcetteépoque.

L’Espagne devient alors pour les Juifs une terreparticulièrement aimée, même si cet amour vient toujoursderrièreceluipour la terred’Israël.Leurpenséeet leurculturemûrissentetsestructurentdefaçondécisive,cequiexpliqueraleurtrèsgrandattachementàcepaysàtraverslessiècles,malgrél’expulsionde1492.

Tolède, Léon, Burgos sont alors les juiveries les plusimportantes de Castille. C’est Tolède, capitale du royaume deCastille-Léon, qui est le centre de cette « Espagne des TroisCultures ».Audébut duXIIe siècle, le roiAlphonseVII y estmêmeappelé«l’Empereurdestroisreligions».Lacommunautéjuive de Tolède est particulièrement importante car elle estnourrie depuis plus d’un siècle par de nombreux courantsmigratoires.

C’estàTolèdequesedéveloppeauXIIesiècleuneécoledetraducteurs.Lesthéologienschrétiens–etenparticulierl’undesévêquesdeTolède,RaymonddeSalvetat–reconnaissentquecesont lesJuifsquiont le texteoriginalde l’Écriture,enplusdeleursconnaissancesenlanguearabe.Grâceàcetteécole,ilssont

conversiontotaledesJuifs.En1412,DoñaCatalina,régentedeCastille, promulgue une ordonnance en vingt-quatre articlesprescrivant une législation authentiquement antijuive. Ce quientraîne un véritable « enfermement » des Juifs. Si cettelégislation inhumaine ne s’applique pas en totalité à partir de1415, elle laisse le champ libre à tous les arbitraires, enparticulier à celui des pouvoirs locaux qui vont multiplier lesvexationsetlesdiscriminationscontrelescommunautés.

Surfondd’hostilitélatente,uneaccalmied’undemi-siècle

Cependant, il y a à la même époque dans la péninsuleibérique un fort renouveau chrétien autour de l’Ordre desHiéronymites,crééen1373.CesmoinesnesontpashostilesauxJuifs et rejettent la législation discriminatoire de 1412 enouvrant la porte de la congrégation aux nouveaux chrétiens.Grâceàcette influence,onpeutconstater–àpartirde1420–une pause, un répit pour les Juifs, ce qui va permettre aujudaïsmeespagnol de lancer ses derniers feuxpendant prèsdetroisquartsdesiècle.

De même, un théologien connu, Alonso de Madrigal(v.1400-1455), que l’on appelle aussi le Tostado (le bronzé),s’exprimeavecunegrandelibertédepenséesurl’accusationde«peupledéicide»:pourlui,lesdignitairesquituèrentleChristnesavaientpasqu’ilétaitDieuetMessie, ilsnepeuventdoncpas être accusés de déicide. Le Christ n’a-t-il pas dit sur lacroix:«Père,pardonne-leur:ilsnesaventcequ’ilsfont»(Lc23,34);argumentquiserareprisausièclesuivantparleconcilede Trente. Le Tostado annonce déjà les humanistes du XVIesiècle,etsapenséeinfluenceraBartolomédeLasCasasouJuan

GinèsSepulveda25.En1432,lestatutdeValladolid,organiselavieinternedes

communautés : avec un comité de notables à leur tête, uneassembléegénérale,untribunal,unesynagogue,uneécole,unebibliothèqueetlapossibilitédefairedesoeuvrescharitables(unhôpital, par exemple).Une telle initiative prouve que les Juifsreprennentconfianceenl’avenir.

Entre1432et1492,laprincipalecommunautéjuive,celledeCastille, est à nouveau assez florissante sous l’autorité desgrandsrabbinsquisesuccèdent:AbrahamBienveneste,MaestroSamayaquiestmédecin,JacobAbenNuñez,AbrahamSeneor…Legrand rabbin est nommépar lepouvoir royal et il en est lefidèle serviteur. Mais il se trouve dans une situationinconfortableentrelamonarchieetlanoblessequiestopposéeauxJuifsetdontcertainsmembres–commelepartidesLuna–n’hésitent pas à utiliser une démagogie antijuive qui «marchebien»auprèsdel’opinion.

Les violences reprennent par moments contre les Juifs etmême contre les conversos. À Tolède, en 1449, est établi lepremierstatutdelalimpiezadesangre, la«puretédesang»:désormais,pourpouvoiraccéderàdehautesfonctions,àlacouretdansleroyaume,ilfautpouvoirprouverparsagénéalogiequel’on n’a aucun « sang juif » dans ses veines. On ne peut pasencore parler de « racisme », au sens où le XIXe siècle l’aemployé,mais–pourlapremièrefoisdansl’histoire–onsemetàétablirdesdistinctions,ouplutôtdesdiscriminationsliéesauxoriginesphysiquesd’un individu.Cestatutest contestépardehauts personnages comme Fernan de Toledo, luimêmeconverso : il cherche à démontrer que, vue l’ancienneté desconversions,le«sangjuif»estprésentdanstouteslesfamilles

espagnoles, y compris celle du roi ! En fait, ce problème vaempoisonner la société espagnole pendant trois siècles encore,carmêmeaprèsl’expulsionons’attaqueraàdesconversosjugéssuspects.

Quandarrivent aupouvoir lesRois catholiques, Isabelle etFerdinand,onpeutdirequ’ilsn’ontaucunehostilitéenverslesJuifs. Les documents nous montrent les Juifs partout commefournisseurs de l’armée royale en guerre contre Grenade, oucomme financiers (Isaac Abravanel, Abraham Seneor), oumédecins (LorenzoBadoc) proches du pouvoir. À une époqueoù les mesures discriminatoires se multiplient – quoiqued’ailleursplutôtmoinsenEspagnequedanslerestedel’Europe– les Rois soutiennent souvent les Juifs contre les pouvoirslocaux. La justice royale est plus sûre pour les Juifs et plus« juste».Parexemple,entre1477et1490,vingt-troisplaintesde Juifs remontent auprès des tribunaux royaux, à cause desabusdesmunicipalitésetdesjusticeslocalesd’Andalousiequisontpartialesvis-à-visd’eux.

Ces documents judiciaires permettent en même tempsd’approcherlesréalitéssocio-économiquesconcernantlesJuifs,etellessonttrèsdiverses.Tousnesontpasrichesetpuissants:ils ont des propriétés agricoles souvent modestes, ils sontboutiquiers,artisans…Lestroismétierslesplusfréquentssontprêteuràgages,vendeurdevêtementsd’occasion,colporteur.Ily a aussi des cordonniers, des tondeurs, des bouchers et desinterprètes.

Audébutde leurrègne, lesRoisCatholiquesappliquent lapolitique traditionnelle vis-à-vis des Juifs : ils les protègent,maisenéchangelesJuifssontleur«bien»etpaientdesimpôtsplusélevésqueleursautressujets.

Le1erdécembre1478,cependant,vaavoirlieul’institution

Conclusion

Comment conclure un livre qui vient de parcourir dix-neufsièclesd’histoire?

Letempsdel’histoiren’estpascomparableàceluid’uneviehumaine. On peut faire une conclusion au terme d’unebiographie, puisqu’elle est enserrée entre deux dates butoir:celled’unenaissanceetcelled’unemort.

Mais l’histoire d’un peuple n’est jamais terminée.L’avenirse construit pour lui de jour en jour à travers d’innombrablesvies qui s’entremêlent et s’enchaînent les unes aux autres,générationaprèsgénération,donnantlesentimentd’unparcourssanslimitesetdontnulnepeutprévoir,àvuehumaine,quelseral’achèvement.

L’histoire,trophâtivementconcluepeutêtretrompeuse.EnFrance,aprèsl’innocentementducapitaineDreyfusetla

fraternisation dans les tranchées, les Juifs se crurentdéfinitivementintégrésdanslepays.Quiauraitpualorspenserque les anciens combattants eux-mêmes et leurs descendantsporteraientl’étoilejauneetseraientsoumisauxdeuxstatutsdesJuifssuccessivementdécrétésparVichy?

Dans les empires centraux, s’il n’avait pas été trèssurprenant de voir les Juifs être parmi les boucs émissaires del’humiliante défaite de 1918, il semble que nul ne pouvaitencore prévoir l’arrivée de Hitler au pouvoir, l’Anschluss,l’ouvertureprogressivedescampsdelamort,ladécisionsecrèted’une«solutionfinale»,lesmassacresenEuropedel’Est,etlefait que près de six millions de Juifs d’Europe allaient être

vouésàlamort…AprèslechocentraînéparladécouvertedelaShoah;après

que Jules Isaac ait réveillé les consciences chrétiennes enattribuant à « l’enseignement du mépris » propagé par lesÉglises une part de responsabilité dans ce drame inouï,monstrueux,ils’enestsuivi,tantchezlescatholiquesquechezles protestants, une grande période de réflexion et de« repentance ». Elle porte déjà des fruits et nous vivonsactuellementunmomentprécieux,carunerelationdeconfiances’est nouée entre certains Juifs et certains chrétiens et ellepermet d’espérer qu’il est possible de construire ensemble unavenir.

Maiscemomentprivilégiéestenmêmetempsfragile.Combien de Juifs ne seraient-ils pas encore traumatisés et

blessésparce«passéquinepassepas»?Combiendechrétiensont-ils vraiment pris conscience de la nécessité de « fairerepentance » à leur égard ? Combien ont-ils compris les liensprofondsquiunissentleurreligionàcelledesJuifs?Combienserendent-ilscomptequelaprésencejuiveestimportantepourl’humanitétoutentière?

Quant à la civilisation environnante, elle reste toujoursporteuse de ces réalités qui devraient avoir disparu depuislongtemps : l’anti-sémitisme, voire le néonazisme, et d’unefaçonplusgénéraleleracisme,laxénophobie…ettantd’autresphobiesquijettentleursombressinistressurlemonde.

Cependant, tropd’effortsontété faitsde touscôtésdepuisplusieursgénérationspourqu’ilspuissentavoirétéfaitsenvain.Les innombrables démarches, rencontres, gestes d’amitié,paroles de paix, études et écrits qui viennent de précéder letempsquenousvivons,peuventvraimentfaireespérerquenous

sommes dans un moment opportun pour pouvoir travaillerensembleauTikkounOlam,àla«Réparationdumonde».

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CZARTORYSKI(Jerzy)579

DACOSTA(Isaac)352DACOSTA(Tristan)289DACOSTA(Uriel)375DAGOBERT,roidesFrancs159DAIRNVAELL(Georges)523,538DAMASE(St),Pape113DAMERSTETER(frères)608DARWIN(Charles)637DAUDET(Alphonse)642DÈCE,Empereurromain98DEHON(Père)651DELLATORRE(Lellio)511DEREMBOURG(famille)608DESCARTES(René)374DESCHAMPS(Nicolas)657DESGENETTES(Abbé)601DEZA(Diego)290DIDEROT(Denis)466DINIS(Dom),RoidePortugal298DIOCLÉTIEN,Empereurromain98,110-111DIOSCORIDE(Pedanius)255DISRAËLI(Benjamin)512-513DOHM(ChristianWilhemvon)433,466DOMINIQUE(St)218DONIN(Nicolas)224-226,268DOUBNOV(Simon)594DREYFUS(Affaire)648,653,655,665-666,672,674DREYFUS(Camille)527DREYFUS(Capitaine)530,562,609,669,677DREYFUSS(Camille)648

DRUMONT(Edouard)527,534,635,642-644,657DUARTE(Dom),RoidePortugal299DUPLESSIS-MORNAY(Philippe)371DUPORT(Adrien)471,473DURAN(Profet)272DURAN(Simon)311DURCKHEIM(Émile)672

ECK(Jean)390ÉDOUARDIer,Roid’Angleterre217ÉDOUARDIII,Roid’Angleterre240ÉLÉAZAR,filsd’Aaron58ÉLIÉZER(Rabbi)54EÖTVÖS(Joseph)499,504EPHRAÏMDEBONN209ERLICH(Paul)668ERTER(Isaac)506ESDRAS38,52ESTE(familled’)343-344ÉTIENNE(St)78,81EUCHEL(Isaac)434EVRARD,«magisterjudeorum»172

FAÏLOVITCH(Jacques)564FELLER(François-Xavierde)622FÉNELON(Françoisde)400FERDINANDIerdeHabsbourg,Empereur501-502FERDINANDIerdeMédicis312FERDINANDVlecatholique218,276,418FERDINANDVII,Roid’Espagne290FERNANDES(Catherinede)351

FERNANDEZ(famille)554FERRIER(StVincent)230,273FERRY(Jules)520,524,527FICHTE(JohanGotlieb)644FICIN(Marsile)334,366FLAVIUSJOSÈPHE20,30-31,74FLÉCHIER(Esprit)401FLEURY(Abbé)403,412FLORUS,gouverneurromain30,39,4894FORD(Henry)665FOULD(Achille)523FOULD(famille)482,522FOURICHON(L.)532FOURIER(Charles)538FRANCK(Adolphe)608FRANÇOIS,Pape693FRANÇOISd’Assise(St)218,231FRANÇOISIer,RoideFrance336,393FRANÇOIS-JOSEPHdeHabsbourg,Empereur497,502-503,619

FRANK(Jacob)451FRANKE(AugustHerman)421FRANKEL(Abraham)615FRANKEL(Zacharias)547FRANKL(LudwigAugust)506FRANZOS(KarlElil)506FREDERICIIdeHOHENSTAUFEN,Empereur239FRÉDÉRICII,roidePrusse420,430,432,489FRÉDÉRIC-GUILLAUMEIIIdePrusse489,492FRÉMONT(Abbé)674FREUD(Sigmund)667

Table

Avant-proposRemerciementsPréfaceduP.JeanDujardin

PREMIÈREPARTIE

IntroductionI–LesJuifsaupremiersiècledenotreère,enterred’Israëletendiaspora

II–L’élaborationduTalmudenPalestineetenBabylonie,delafinduIersiècleàlafinduVesiècle

III–Lavenued’unJuifnomméJésusetsespremièresconséquences

IV–Juifsetchrétiensdansl’Empireromain,duIIesiècleàlafinduIVesiècle

V–LesJuifsàl’estdelarégionméditerranéennependantleMoyenÂge

VI–LesJuifsàl’ouestdelaMéditerranéeduVeauXesiècleVII–LesJuifsenEuropeoccidentaleetchrétienne,duXeau

XIIesiècleVIII–L’aggravationdelaconditionjuiveenEuropeoccidentalependantlesdernierssièclesduMoyenÂge

IX–LesJuifsdansl’Espagnedestroisreligions,jusqu’àleurexpulsionen1492

DEUXIÈMEPARTIE

IntroductionI–Lesconséquencesdel’expulsiondesJuifsdanslapéninsuleibériqueetdanslesautresterritoiresespagnolsouportugais(XVIe-XVIIIesiècles)

II–LesSéfaradesenterred’islam,delafinduXVesiècleauXIXesiècle

III–EnEuropeoccidentale,SéfaradesetAshkénazesenterrecatholique,duXVIesiècleàlafinduXVIIIesiècle

IV–EnEuropeoccidentale,SéfaradesetAshkénazesenterreprotestante,duXVIesiècleàlafinduXVIIIesiècle

V–L’ÉglisecatholiqueetlesJuifsenEuropeoccidentale,duXVIesiècleàlafinduXVIIIesiècle

VI–LesJuifsdansl’Empiregermanique,duXVIesiècleàlafinXVIIIesiècle

VII–LesJuifsdePologne,delafinduMoyenÂgeàlafinduXVIIIesiècle

VIII–L’émancipationdesJuifsdeFranceparlaRévolutionetsessuitesimmédiates

TROISIÈMEPARTIE

IntroductionI–Àtraversl’Europe,lamarcheversl’émancipation,delafinduXVIIIesiècleauxannées1870

II–LeparcoursdesJuifsdanslasociétéfrançaise,dudébutduXIXesièclejusqu’auxannées1880

III–LesJuifsàtraverslemondeauXIXesiècleIV–LesJuifsdeRussieauXIXesiècleV–EnEurope,lesrelationsentreJuifsetchrétiens,delafindu

XVIIIesiècleauxannées1880VI–LesdernièresdécenniesduXIXesiècleenEurope

ConclusionPostfacedeRaphyMarciano

AnnexesBibliographieChronologiedesprincipalesétapesconcernantle«nouveauregard»del’Égliseàl’égarddupeuplejuifIndexdesnomsdepersonnes

Achevéd’imprimersurlespressesdel’imprimerieenavril2013

N°d’imprimeur:XXXXX

Dépôtlégal:mai2013ImpriméenFrance

CompositionetmiseenpagesréaliséesparCompo66–Perpignan

541/2013