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1 JOURNAL DU CŒUR D’UN FRANC-MAÇON Un secret sans mystère Jak BOAZ ________________________________________________________ 2009 -2010

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JOURNAL DU CŒUR D’UN FRANC-MAÇON

Un secret sans mystère

Jak BOAZ ________________________________________________________ 2009 -2010

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PREAMBULE

On a tous entendu parler un jour de la Franc-maçonnerie.

Société secrète, chargée de mystères agrégés au fil de l’histoire d’hommes de bien, depuis le moyen âge en passant par le siè-cle des Lumières ou simple volonté discrète d’être avant tout une démarche pour tenter la rencontre avec soi-même ?… « C’était un soir de 1998, à la suite d’une conférence humanis-te menée par Patrick KESSEL alors Grand Maître du Grand Orient de France et fils de l’écrivain, qu’il m’avait semblé im-portant d’en savoir plus et pourquoi pas, tenter d’entrer en Franc-maçonnerie. Une fois encore, j’allais m’apercevoir qu’il faut vivre les choses afin de pouvoir s’en étonner peut-être… » Loin du traitement connu de ce sujet autour des mystères et du sensationnel, ce témoignage largement romancé, souhaite vous faire découvrir ce dont on ne parle que peu ou mal : pourquoi devient-on franc-Maçon, que fait-on réellement en Franc-Maçonnerie et quels changements profonds cela peut-il opérer sur une femme ou un homme. Véritable journal intime comme si vous y étiez, vivez cette aventure au cœur de la Franc-maçonnerie pour en saisir, si-non les codes et ses « secrets », le sens et la profondeur d’une démarche humaine transmise depuis des siècles.

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« Le seul véritable voyage, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux »

Marcel PROUST

Chapitre I

Il était une fois…

Au sol, les pavés brillaient du reflet de cette lumière verte que font les lampadaires urbains quand la nuit est installée. Mon pas était assuré. Malgré la pluie, on était loin d’une ambiance singing in the rain d’autant que j’avais oublié de prendre le parapluie. Seul, le bruit des talons de rares pas-sants pressés de rentrer chez eux, m’accompagnait. Ce soir, je me rendais à cette convocation que j’avais reçu quelques jours auparavant. L’adresse du rendez-vous don-né, n’était en fait qu’à une dizaine de minutes de marche depuis mon domicile...

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À l’heure dite, j’étais arrivé. Le 33 était une cour sombre qu’il fallait franchir sans aucune indication apparente. Bon, je ne m’attendais pas à une enseigne sur laquelle aurait été écrit « Franc-Maçonnerie, bienvenue au club !», mais quand même, c’était plus que discret.

Je sonnais, un bip déclencha la grande porte d’entrée, j’entrais. Dans le hall où quelques vitrines exposaient des objets maçonniques, un des types qui montaient et descen-daient un grand escalier l’air très affairé, me jeta : « Salut mon Frère ! ». Je me demandais où je mettais les pieds. Mon frère ? Frère de qui ? De quoi ? ça démarrait fort, il ne man-querait plus que ce soit une secte ! Il avait dû se rendre compte de sa méprise et rectifia : « Monsieur, c’est pour quoi ? ». Je lui indiquai que j’avais été convoqué. Il acquiesça aussitôt en ajoutant : « Attendez ici, quelqu’un va venir vous accueillir ». J’attendais patiem-ment avec l’idée de repartir qui me traversa l’esprit quand arriva un grand gaillard avec une voix douce et posée : « Bonjour, je m’appelle Bernard, nous sommes heureux de vous recevoir, je vous propose un verre de bienvenue en « salle humide ».

« Salle humide », ça m’a fait penser cave ou cachot. Faut dire que j’étais mûr pour penser n’importe quoi à ce mo-ment-là. Intrigué sans être inquiet mais quand même un peu plus rassuré lorsqu’on accéda au bar après une porte battante. C’est ça la « salle humide », le restaurant et le bar ! Son éclairage chaleureux m’invitait autant que les mines réjouies de ceux qui étaient là.

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« Bonsoir, vous êtes Jean ? Tenez, prenez ce que vous vou-lez, je reviens dans quelques instants »… Même si j’avais été mis à l’écart dans la salle, ma curiosité m’obligeait à obser-ver, tenter d’écouter les conversation dont je ne captais pas grand chose et moins encore, le sens complet de leur conversation. Rapidement, je lançais un regard à l’autre bout du bar. Quelques hommes en costume sombre, chemise blanche et cravate noire, discutaient, prenant l’apéro debout contre le bar. Habillés comme ça, on aurait vraiment dit des pin-gouins, entre garçons de café et musiciens d’orchestre… Lumière tamisée, l’ambiance de ce qui m’apparaissait com-me un club pour homme un peu à l’anglaise, était celle de joyeux quadras parlant boulot, de leurs familles et de leurs gosses… Bizarre, anachronique parfois mais pas vraiment dangereux en fait !

Adossé au fond du bar en train de siroter un martini, une main se posa sur mon épaule. « Vous êtes Jean ? Bonsoir, venez et suivez moi » furent les seuls mots d’accueil. Je fi-nissais mon verre avec empressement et le suivis. On em-prunta un couloir qui avait le charme d’une caserne au car-relage à damiers noir et blanc. Le long du mur, étaient ac-crochés des portraits d’hommes sans doute importants au vu des décors qu’ils portaient. Colliers, tabliers, médailles, ils me rappelaient mon service militaire…On entra dans une pièce, le silence était pesant. « Je vais vous passer un ban-deau sur les yeux…Voilà, il est bien mis » et s’assura que je ne voyais rien. Noir absolu, j’étais aveugle. « Restez là, Ber-nard vient vous chercher dans un moment ». Comme si j’allais bouger, privé de la vue dans un endroit qui tout à coup devenait hostile.

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Tout de suite mon nez avait pris le relais. Une odeur de craie ou celle d’une classe d’école qui aurait été fermée pendant les vacances. Malgré tout, je me sentais calme et confiant, enfin, c’est ce que je me disais fort pour me rassu-rer. Les mains moites étaient la vérité de mon état, j’entendais mon cœur, un peu trop. C’est long, très long, au point que j’essayais de deviner jusqu’à la couleur du papier peint pour passer le temps. Des pas lointains dans le couloir, c’est pour moi… Des voix qui s’éloignent, des rires, des gloussements puis, à nouveau le silence. « Qu’est-ce que je fous là ? » Je n’eus pas le temps d’y réflé-chir vraiment, tout à coup, la porte s’ouvre, Je reconnais la voix douce de Bernard. « Voilà, comment cela va se passer, nous allons ensemble rejoindre une salle où vous serez assis au milieu de gens qui vous poseront des questions, il conviendra d’apporter des réponses spontanées, sincères et sans malice », il ajouta que mes yeux resteraient bien sûr bandés jusqu’au retour. Curieusement, ce qui sonnait à mon oreille était sa façon parfois de s’exprimer, ou plutôt le français employé. Cela me faisait penser à des tournures de vieux français, presque désuètes. « C’est ok ? » conclut-il, je répondis oui. « Alors, tenez vous fermement à moi, et faites-moi confiance, marchons !».

Il m’aida à me lever de ma chaise puis, comme ces infirmiè-res qui vous tiennent le bras pour faire prudemment quel-ques pas, il me guida dans les dédales du bâtiment. J’essayais de réaliser la marche que j’effectuais, comptant jusqu’à mes pas, tournant là à gauche puis ensuite à droite.

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Très vite, je perdis le sens de l’orientation et me retrouvais totalement guidé.

Un dernier escalier en colimaçon, soudain, une porte fer-mée devant mon nez. On s’arrêta net. Il frappa curieuse-ment mais fermement ; on parla et l’on vint nous ouvrir. « Accompagnez le profane au centre, donnez lui un siège et assurez-vous qu’il ne voit rien ». Combien étaient-ils autour de moi, impossible à dire mais en nombre important. Seuls, des bruits de chaises au sol, de frottements de vêtements, de bribes et de murmures inaudibles m’indiquaient la proximi-té de ces gens à quelques mètres et moi au centre. Un grand silence succéda au brouhaha de mon arrivée, la voix qui semblait venir de la même direction dit alors : « Monsieur, vous avez marqué le souhait de nous rejoindre. Avant toutes choses et permettre de savoir si vous en êtes digne, vous devez répondre à nos questions sans détour, en êtes-vous d’accord ? » Je disais oui comme un automate trop occupé à tenter d’imaginer ce qui devait m’encercler. Des gens, ça, il y en avait mais combien ? Impossible de s’en faire une idée. Mon cœur battait fort. Le fait d’être assis ne l’aidait pas et cou-pait ma respiration. Je tentais de regagner mon calme. Une chose était sûre, ils me voyaient, me regardaient et me scru-taient tandis que moi, pas. Privé de lumière, je me sentais pour la première fois de ma vie affaibli et me cramponnais à cette petite virgule de lu-mière que faisait mon bandeau à la lisière du creux de mon nez et de mes joues. « Monsieur, qu’est-ce qui vous amène ainsi à vouloir nous rejoindre ? » Dramatique ! Immédiatement, aucune réponse ne me venait !

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Je me sentais aussi honteux que lorsque, écolier sur l’estrade, il m’arrivait de rester muet à la question du pro-fesseur, où le silence s’éternisait marquant lourdement mon ignorance et surtout la leçon pas apprise. Retour en arrière : ça n’était pas un hasard si j’avais reconnu l’odeur de la craie et de l’école !

La question, si elle ne manquait pas de sens, provoquait en moi une incapacité à exprimer le moindre sentiment où tout du moins, réveilla cette gêne que l’on a parfois à dire les choses tellement on les ressent. Conscient que chacun des mots que j’allais prononcé avait une importance, et s’il me paraissait plus simple de tout me-surer et de contrôler ; là, pour le coup, la machine s’était grippée et me laissait stupidement sans voix. À ce moment précis, par ce détail, je comprenais combien dans mon exis-tence, mes positions et convictions s’exprimaient davantage par le filtre de la forme que par l’élan du fond et du cœur. J’en fus gêné...

Pour être honnête, j’avais déjà été furtivement dans cette difficulté, c’était lors d’un des entretiens préalables à cette étape. On appelle ça les « enquêtes ». Trois rencontres avec des frères désignés pour se renseigner et permettre un compte-rendu sur l’éventuel candidat. Comprendre leurs motivations réelles, leurs valeurs et la quête qui les porte. De mon point de vue, cela s’était bien passé, j’étais tombé sur des types très bien et brillant dans des genres différents. Jacques avait été le premier. Nous nous étions rencontrés dans un troquet de son quartier, et la conversation s’était engagée rapidement.

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En fait, comme cela m’arrivait parfois, je prétendais à une question en considérant dans la seconde suivante où je l’avais posée, de son utilité… Victime d’une sorte d’idéalisation abstraite, je m’attachais avec obstination à l’idée toute faite d’un genre humain, entre fleur bleue et ringardise. Un peu comme si, une fois monté dans un taxi, vous aimeriez être d’emblée assez intime avec le chauffeur au point qu’il puisse deviner l’adresse à laquelle vous sou-haitez vous rendre…pas simple ! C’était un peu à l’image de ma vie, réclamant d’autrui intensité et profondeur d’âme, j’avais moi-même la consistance d’un bouchon de liège. Ré-tif à tous ces gens qui se prennent au sérieux, j’oscillais gen-timent entre légèreté, dérision et cynisme. J’appelais ça « humour », on se rassure comme on peut.

Jacques, toujours en face de moi, m’avait entrepris sur tou-tes sortes de questions les plus diverses. Celles auxquelles la banalité de la vie quotidienne ne laissent plus trop de place. J’avais le sentiment réel qu’il s’intéressait à ce que j’étais. C’était très agréable, pourtant il me donnait la sensation de se passionner plus encore pour ce qu’il disait. Non pas au point de s’écouter parler mais un peu comme un prof…qu’il était d’ailleurs. Je le découvris plus tard dans la conversa-tion. Puis vint une question totalement saugrenue : « L’amour fait-il parti de ta vie ? » J’étais stupéfait par cette question. Stoppé net. Ramené d’un coup à une sorte d’écoute primordiale. Qu’est-ce que ce type d’un mètre quatre-vingt-dix que je ne connais pas vient me parler d’amour ? Je tentais de m’échapper. J’ai ba-ragouiné deux, trois banalités, famille, femme, enfant, ami-tié… Ça avait eu l’air de le contenter.

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Sauf que là, j’étais au milieu d’eux, un bandeau sur les yeux, assis sur une chaise et que la question me fut reposée avec insistance : « Excusez-moi monsieur, mais pourriez-vous nous dire ce qui vous amène ainsi à vouloir nous rejoin-dre ?! » À bien y réfléchir et par l’éducation que j’avais reçue, rien ne me prédisposait un jour, à m’intéresser à la Franc-maçonnerie et encore moins à imaginer la rejoindre. D’ailleurs, je ne connaissais rien, ni de la franc-maçonnerie et encore moins des francs-maçons. Où alors si, juste cha-que année lors des vacances sur la plage au bord de la mer lézardant au soleil, le magazine de presse sur la serviette que vous lisez distraitement, contient toujours un article du genre « La franc-maçonnerie, société et réseau secret » ou mieux encore « L’argent et le pouvoir des francs-maçons »…Bref, juste à lire pour participer à l’effort éco-nomique de presse ! Pour le reste, rien à apprendre concer-nant l’éventuel sens d’une telle démarche. Enfant turbulent et imprévisible, auteur de toutes les bêti-ses et coups tordus, j’avais fait suer tous mes professeurs et instituteurs, aumôniers, chefs scout, bref, tous les symboles d’une éducation « catho-classique ». Pas par conviction, on s’en doutera. Sans être rebelle, j’étais plutôt le prototype du petit morveux. Contre tout ce qui était pour et inversement, j’en avais fait très tôt un principe…sans fondement. Mon seul luxe, rêveur. Je l’avais toujours été. Sur mon carnet scolaire, chaque mois était inscrit : élève indiscipliné, fai-sant preuve de « mauvais esprit », doublé d’une sorte d’absence parce que toujours dans les nuages !

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Être dans la lune était mon adresse, j’y étais bien, comme ces écoliers qui ont le regard tourné vers la fenêtre mâ-chonnant le bout de leur crayon. Plus tard, une seule chose me révoltait, l’injustice. Pour le reste, ce curieux sentiment de ne rien avoir jamais décidé de ma vie, je m’étais habitué à me laisser porter par les événe-ments…

Cette insouciance me quitta à l’adolescence par le décès prématuré d’un père à l’âge de quarante-trois ans, suivi quelque temps après par celui de ma mère. Les obligations de l’aîné que j’étais, m’avaient contraint à devenir sage et responsable, arrêtant net les frasques de l’enfance. Puis il y eut des rencontres dans le cadre professionnel, des actions militantes, des mandats sociaux, quelques engagements. Parallèlement, un mariage pendant 18 ans, une magnifique fille qui grandissait belle comme un soleil. Puis un divorce, issue d’une histoire sans fin…juste pour lui tenter de lui en donner une. Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai décidé de faire les comptes. Quarante ans passés pour apprendre à compter, il était peut-être temps.

De la Franc-maçonnerie, je ne savais rien. C’est un pur ha-sard que je l’aie rencontré. Le tout premier contact avait eu lieu un soir de 1998, Une conférence était donnée dans un grand théâtre de la ville, sur les rapports mondiaux nord-sud. Celle-ci était menée par un animateur brillant et géné-reux, Patrick KESSEL, le fils du célèbre écrivain... J’apprenais incidemment ce soir-là qu’il était alors Grand Maître du Grand Orient de France. Il avait disséqué les grands questionnements géopolitiques de notre monde, ses échanges déséquilibrés, ces injustices flagrantes sur une

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planète où, pourtant, les richesses ne manquent pas. Rappe-lant que les systèmes sociaux malgré leurs complications, devaient rester au service des hommes et non l’inverse. Ces dissonances développées, racontées, argumentées avec pas-sion et visiblement vécue par l’orateur, m’avaient touché en plein cœur.

Je n’avais pas attendu un tel rassemblement pour agir moi-même depuis longtemps dans des projets caritatifs, mais le discours que je recevais ce soir-là me touchait particulière-ment. Un cocktail succéda à l’intervention, des questions furent posées par certains, une réponse en guise de conclu-sion pourtant retint mon attention. « …Voilà, j’ai été ravi de vous rencontrer, mais sachez que s’il s’agit de la fin de ma conférence, c’est sans doute le début, pour vous qui m’avez écouté ce soir, de comprendre et agir en conscience dans un monde qui en manque !». Longuement applaudi, il quitta rapidement les lieux, mais les échanges continuèrent avec l’équipe d’organisateurs de la soirée. Ils dirent leur appar-tenance à la Franc-Maçonnerie, et nous engagèrent à venir les rencontrer si nous souhaitions continuer la conversa-tion. C’était la toute première fois que j’entendais parler de Francs-maçons et de Franc-Maçonnerie, et il m’avait semblé important d’en savoir plus. À la suite de quoi, j’avais pris mon téléphone et appelé le numéro pour un rendez-vous, tout est parti de là…

Comme une injonction, je fus brutalement ramené à la ré-alité : « S’il vous plaît Monsieur, nous attendons votre ré-ponse ! ». Je dis enfin : « Excusez-moi…Jusqu’à présent ma vie s’est déroulée sans accroc, je peux même dire avec un

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certain bonheur. J’ai bénéficié d’une enfance heureuse, je n’ai pas de revanche à prendre sur la vie. Je fais un métier que j’aime, j’essaie de participer à ma mesure au bonheur des autres, mais tout cela ne me suffit plus aujourd’hui. Il n’y a pas de cohésion ni de sens réel à mon existence. J’attends plus, je veux plus de cette vie qui s’écoule si vite que souvent, je ne m’en sens pas totalement l’auteur. C’est pour tenter d’en comprendre l’essentiel qui m’échappe, c’est pour mettre de l’ordre aujourd’hui dans cette sorte de confusion que je souhaite vous rejoindre…enfin, si cela peut être… ».

Il y eut un silence et aucun commentaire ne vint troubler celui-ci. Tout était venu d’un trait comme si le cœur avait parlé plus vite que l’esprit. Puis d’autres questions s’enchaînèrent : « Qui êtes-vous vraiment ? », « Etes-vous croyant et si oui, en quoi ? », « La liberté est-elle pour vous une vertu à défendre ? », « Votre compagne ou épouse est-elle d’accord avec votre projet ? »…Venant de tous côtés, j’étais interpellé et chacune de mes réponses appelait un commentaire. Parfois, j’avais le sentiment et la légèreté de vivre un match de ping-pong, à d’autres moments plus pé-nibles, celui d’être un boxeur sonné sous les coups au cen-tre du ring. J’avais hâte d’en terminer quand surgit une dernière ques-tion : « Monsieur, si nous vous acceptions au sein de notre groupe, et qu’à visage découvert vous reconnaissiez quel-qu’un qui, dans la vie profane aurait eu maille à partie avec vous, accepteriez-vous de lui pardonner ? ». Je répondis immédiatement : « Ça dépend !». Le silence qui s’en suivit m’obligea à compléter : « Ça dépend du différend. S‘il s’agit d’un conflit engageant seulement un préjudice matériel, je

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peux sans doute passer dessus, par contre si cela devait tou-cher un individu, un proche, un ami, je ne pense pas ! ». Au moment même de le dire, je prenais conscience que mon commentaire n’était pas celui qu’on attendait. Pressentant que répondre « cash » ne paierait paradoxalement pas, je n’avais rien changé à ma réponse. Quelques questions encore et l’on annonça qu’on allait me raccompagner. On me remercia. Je quittais la salle en déambulant à nouveau et me retrouvais vite dans ce qui me semblait être le couloir d’entrée. Là, on m’ôta mon ban-deau, me salua chaleureusement sur l’air de « on vous écri-ra ». Le portail se referma derrière moi. Après tant de densi-té, le vide, le froid de la nuit fraîche. Il ne pleuvait plus, j’étais frigorifié, sans doute la tension qui retombait et la fatigue accumulée aussi. En marchant de retour chez moi, je repensais à cette curieuse soirée. En deux heures et quel-ques phrases, j’avais plus parlé de moi qu’en toute ma vie ! Dans la rue, j’entendais mes pas et marchais hâtivement, j’en avais marre et voulais me coucher. Quelques semaines après, je recevais un courrier qui m’annonçait « l’ajournement de ma candidature ». J’attends toujours !…

Un temps était passé, les obligations de la vie, son train ex-cessif qui perd l’individu qui n’y prend pas garde, m’avaient englouties. Oubliées les bonnes résolutions, mise de côté la volonté d’un rendez-vous avec moi-même. Une inconstance de plus, juste quelques fulgurances ; je m’en voulais. Sans doute ni tenais-je pas autant qu’à me perdre ! Rien que de bonnes excuses. Mon travail, la famille, mon épouse et ma fille bien sûr, me demandaient de consacrer du temps, de l’attention; mais l’exigence et le tourbillon des responsabili-tés ne pouvaient me cacher l’essentiel : quand m’entendrai-

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je enfin ? Où aller chercher ce courage pour n’être qu’à soi ?

Il a fallu un week-end que nous avions prévu de longue date avec un couple d’amis. Partir ensemble pour souffler avait-on dit. Quitter le gris de la ville pour le gris bleu des nuages changeants de l’océan. Direction Biarritz. Nos compagnes étaient dans un véhicule devant nous et moi avec Mathieu, en suivant dans l’autre. Blabla boulot, blabla responsabilités et projets professionnels, échanges convenus, passages où le silence ronronnait autant que le moteur du véhicule, les yeux parfois hagards à suivre distraitement les essuie-glaces qui chassaient cette petite pluie fine qui accompagne sou-vent un séjour au Pays basque. Puis Mathieu me posa une question, « As-tu une passion dans la vie ? » je répondis oui, qu’il s’agissait de l’art, de la peinture surtout qui permet de m’évader de toutes contingences, d’élaborer mes rêves en images, de rentrer aussi dans l’art et la création des autres. De sentir la vie, mieux, le seul moment où j’avais le senti-ment de respirer ma vie. J’avais été sincère et direct. Je m’en voulais un peu de ne pas avoir spontanément ré-pondu « ma fille !». D’avoir été surpris par cet élan, d’avoir fait cette réponse personnelle, égoïste. Il avait dû sentir ma gêne car il ajouta : « Tu sais, il est sans doute essentiel de donner et d’apporter aux autres, à ceux qui sont importants à nos yeux et à notre cœur, mais il est encore plus important de l’être à nos propres yeux…Ne serait-ce que pour pouvoir partager ou mieux donner ». Ce genre d’argument elliptique m’agaçait toujours un peu et réveillait curieusement en moi, une sourde colère. Vous sai-sissez le sens général mais jamais réellement une explication

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tangible, une démonstration immédiate. Comme une bonne recette efficace à appliquer, à consommer. Attente puérile mais rassurante. Je prenais la mesure que rien n’était décidément écrit, comme parfois on le voudrait confortablement, comme lire une feuille de route, la suivre et avancer dans sa vie. J’entrevoyais bien que cette discussion était d’une certaine façon, une boîte de Pandore que j’allais ouvrir et Dieu seul savait où cela me mènerait…

J’avouais à mon ami m’être parfois perdu, disant même l’avoir préféré afin de m’éviter…et surtout ne pas me trou-ver. Je disais même que cette passion pour la peinture, n’avait pas été poussée au bout, que j’entretenais avec elle un lien très fort bien sûr, mais que jamais je n’avais eu le courage d’aller au fond, pour voir qui j’étais enfin. J’avais même usé de l’argument que la peinture des autres m’intéressait bien plus que la mienne… Si ce médium si précieux avait échoué, que pouvais-je sérieusement envisa-ger alors ? Les kilomètres passaient, la campagne basque présentait un ciel dégagé plus nous avancions vers l’océan. Notre discus-sion calme, mais parfois pressante me faisait du bien, rien n’avait été négocié, et Mathieu ne m’avait guère ménagé. « Chacun de nous, à son heure, se pose des questions de fond et de sens sur sa propre vie. Ton acuité à constater ce qui peut être apparenté à une sorte de fuite, et ta gêne au-jourd’hui à la vivre tend peut-être, à démontrer qu’il est sans doute l’heure d’un vrai changement. Pourquoi n’accepterais-tu pas l’idée d’aller justement à ta propre ren-contre ? ».

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Nous arrivions dans les faubourgs de Biarritz, la mer au loin était grise et belle avec ses rouleaux cadencés, le ciel deve-nait bleu, seuls quelques nuages récalcitrants étaient les derniers témoins de ma colère passée. Seul subsistait à cet instant précis, un embarras à essayer de saisir l’idée d’aller vers soi…

Replié dans mes pensées, considérant les vertus de la sim-plicité et sans doute de l’humilité, Mathieu m’avoua comme un coup de tonnerre : « Jean, je suis franc-maçon, accepte-rais-tu nous rejoindre. La conversation que nous avons me-née ensemble me laisse à penser que cette expérience peut t’être enrichissante et profitable. Réfléchis et donne-moi ta réponse dans quelque temps. Si cela devait te tenter, sache que j’en serai fier et serai ton parrain. Par contre, reviens vers moi pour me le dire, car de mon côté, je ne t’en repar-lerai plus, jamais ». J’étais abasourdi. Je connaissais ce garçon depuis plus de vingt ans, nous avions partagé ensemble par le passé, des moments forts, lors d’engagements professionnels et avant tout une profonde amitié. La fidélité trouvée en lui, m’avait depuis longtemps, réconcilié avec les hommes, enfin cer-tains. Mais jamais je n’aurai pu l’imaginer Franc-Maçon ! Mais en fait, je ne savais rien de sa vie et lui, si peu de la mienne et pourtant, en quelques instants, dans cette voiture lors de ce voyage, je m’étais livré à lui sincèrement. Rare-ment dans ma vie, je ne m’étais laissé aller en confiance à ce point. Il était Franc-maçon ! Sans saisir le moindre mot de tout cela qui me rassurait dans cet instant à nommer « hasard », j’avais le pressentiment de l’importance capitale du moment. La vie parfois, nous fait faire mille circonvolu-

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tions pour vous ramener en un centre à la vitesse d’un éclair. Ce dernier détail, je devais le comprendre. C’était même urgent.

Le week-end était passé. Un peu de temps aussi, mais rapi-dement je l’avais rappelé, j’avais besoin de lui poser des questions. D’abord, ça veut dire quoi être Franc-Maçon ? Pour quoi faire ?. Cela restait abstrait pour moi, d’ailleurs, je ne voyais pas de rapport qui pouvait exister entre notre conversation et la Franc-maçonnerie. J’attendais plus d’informations. Je fus assez déçu. Il m’avait donné quelques réponses qui ne pouvaient me satisfaire. « C’est difficile à expliquer, il faudrait que tu le sois pour comprendre concrètement. Rajoutant : Difficile car tout passe par toi-même et ce que je pourrais t’en dire ou expliquer ne serait pas d’un véritable intérêt… ». Une savonnette dans des mains humides ne m’aurait pas mieux parlé ! Et j’aurai aimé qu’on puisse me dire clairement ce que pouvait être un « accomplissement de soi » par la Franc-Maçonnerie, et sur-tout comment ?

Ainsi une démarche initiatique au sein de la Franc-maçonnerie, et l’initiation plus précisément, serait de natu-re à provoquer une radicale et fondamentale modification de notre pensée et de notre être, de notre manière de pen-ser et de notre manière de vivre. Sentant ma frustration, Mathieu avait repris : « Bon, je vais essayer de t’en dire plus ». Je percevais son embarras à ren-dre concret, une chose qui ne l’était apparemment pas. Une chose du cœur avant celle de l’esprit et une expérience sans doute difficile à raconter, qui ne vaut que parce qu’on l’a vécu.

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« Concrètement, il s’agit, comme le disent nos vieux rituels, de passer des ténèbres à la Lumière. Et par cette lumière qui nous illumine, de changer notre être et notre vie ». En même temps reprit-il, « il ne s’agit pas seulement d’aller vers la Lumière et de se reposer dans une vaine contempla-tion, mais par celle-ci, de nous entraîner à une action plus efficace et plus juste ». « Il faut comprendre que le but essentiel d’une initiation maçonnique est de changer l’homme que tu es pour t’ouvrir, d’abord à toi-même et grandir. Et pour passer du stade où tu te trouves à celui « d’homme nouveau », une sor-te « d’homme conscience ». Il convenait donc, d’accepter dans ce qu’il convient de nommer une renaissance symboli-que, une nouvelle naissance et ainsi, de rendre possible cet-te promesse de changement. « Mais pour atteindre cet objectif, il convient que tu répon-des et te soumettes à certaines conditions: La première de toute initiation aux mystères de la Franc-Maçonnerie, est d’être un homme « né libre et de bonnes moeurs ». La deuxième condition, consiste dans une mort symbolique que tu devras accepter. En effet, celui qui aspire à la lumiè-re doit d’abord, dans une première épreuve, se dépouiller de tout son passé, des préjugés que la vie profane a pu ac-cumuler en lui. Il doit « mourir à ce qu’il était », redevenir en quelque sorte un enfant, un « enfant nu ». Mais cette re-mise en question, cette renaissance ne saurait se passer n’importe où et n’importe comment. Elle ne peut s’effectuer que dans un lieu séparé du monde et dans un temps diffé-rent de celui qui est le nôtre au quotidien. Un espace et un temps séparés, secrets, non pas dans un quelconque édifice, mais dans un Temple sacralisé par le Rite lui-même. Com-prends-tu ? ».

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Pas vraiment. Pour moi, tout cela à entendre n’était que des phrases abstraites, n’en saisissant pas grand-chose, je me surprenais à être plutôt inquiet. Qu’est-ce donc que ce ri-tuel qui vous fait renaître dans un lieu sûr et caché du mon-de ? Sacré, avait-il même dit… Toutefois, je ressentais confusément la présence d’une véri-té dans ses paroles, sans en comprendre le sens, j’y sentais intuitivement quelque chose en accord et de bon pour moi.

« Attention, continua-t-il profitant de mon attention, ce n’est pas une décision à la légère. Se découvrir à ses pro-pres yeux est sans doute passionnant mais souvent, une ré-vélation brutale ou incommodante. J’ai vu beaucoup d’hommes changer, se modifier pour gagner l’harmonie in-dispensable à la réalisation de soi mais cette mutation ne s’est pas faite sans difficulté. Avoir le projet d’une initiation maçonnique est donc de permettre à tout homme de devenir un « autre homme », un homme véritable, c’est-à-dire de découvrir en lui ce qui est sagesse, force et beauté. Trouver le chemin de sa propre spiritualité, ce qui en soi est amour et vérité, rendre percep-tible ce qui s’adresse au cœur en premier. Cependant, il ne pourra y parvenir qu’en accomplissant dans sa recherche, une action et une oeuvre qui sont à la fois la condition et la raison d’être de ce dépassement. Il s’agit, une fois encore, de savoir découvrir notre dimension « verticale » ou spiri-tuelle, et de vouloir l’accomplir et la réaliser ».

Bénis des Dieux ! C’était l’exaltante impression que me fai-saient les mots reçus de Mathieu. Vite, il me ramenait sur

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terre, insistant sur le fait que toute démarche entamée n’aurait de sens que si elle s’accomplissait jusqu’au bout. « Comprends bien que l’initiation n’a d’intérêt que parce qu’elle nous permet d’appréhender une certaine idée de notre être et de la vérité qui le constitue. Elle n’a de valeur que parce qu’elle est une découverte, liée à une démarche elle-même vécue, que l’on peut qualifier d’existentielle. Si l’émotion poétique consiste dans une sorte de perception naissante en une tendance à voir le monde autrement, l’initiation s’offre alors à toi comme une façon originale de percevoir et d’appréhender autrement l’Univers et les hommes comme nous-mêmes ». Il conclut sa très longue réponse en citant Marcel Proust dans « A la Recherche du Temps Perdu : « Le seul véritable voyage, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux ». « De la même façon, Jean, la vocation de l’initiation maçonnique est de nous apprendre à voir différemment, sinon de nous donner « d’autres yeux ». Bref, de nous donner un autre regard, sur les autres mais surtout et avant tout, sur nous-mêmes. Cette nouvelle façon de voir, constitue une conversion de notre âme tout entière et doit entraîner un changement profond en nous pour mo-difier notre vie ». J’avais reçu ses paroles studieusement et avec application, c’était bien le moins que je pouvais faire après mes ques-tions. Ce que j’ignorais encore, c’est que celles-ci où plutôt les réponses qu’avait faites Mathieu, allaient bousculer en moi des idées bien ordonnées, rangées et à ce moment en-core, tranquille. D’un coup, j’étais embarrassé, n’étant pas si sûr au fond de vouloir m’exposer, « m’ouvrir » pour aller à la rencontre de

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moi-même… J’entrevoyais sans doute, inconsciemment le prix. Et cette idée ne me rassurait en rien. Il m’était venu l’idée d’en parler, oui, mais à qui ? Vous êtes interpellé par un sujet auquel vous ne vous attendiez pas vraiment, vous ne connaissez rien ou pratiquement, à propos de celui-ci ; vous avez par moment la sensation de rentrer dans la troi-sième dimension et votre réflexe serait d’en parler, d’échanger. Oui, mais de quoi précisément et surtout avec qui ? Et pour quelle réponse d’ailleurs. Non, je refermais tout cela en moi de cette façon de faire que je me connais-sais bien. Tout cela avait participé à me perturber…mais pas au point de me faire renoncer, bien au contraire.

J’avais besoin néanmoins de faire le point et les jours sui-vants, j’appelais au numéro de téléphone que l’on m’avait communiqué afin de poser ces questions qui, insidieuse-ment s’installent en vous. Jovial, Yves me répondit. Il était avocat et s’attendait à mon appel. « Écoute mon ami, le plus simple serait que tu viennes au cabinet, nous pourrions par-ler de tout cela et surtout répondre à tes questions ». Il ajou-ta : « Mardi, 18h, si s’était possible ce serait bien. Je t’explique, un autre profane souhaitant nous rejoindre doit passer me voir dans la soirée au même moment. Ce sera pour vous l’occasion de faire connaissance».

Le mardi suivant, à l’heure dite, j’entrais dans la salle d’attente de l’avocat. Deux autres types étaient là. Lequel était le mien ? J’avais beau les détailler leur attribuant des points sur la base de critères ridicules pour tenter de le de-viner, les deux me semblaient être des candidats potentiels. « Non, celui qui a des chaussettes rouges, ça colle mal » me disais-je, « et puis ses cheveux en brosse…oui, mais l’autre,

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il a ce côté « caliméro » tombé du nid… ». Je me calmais vite de ces à priori stupides à l’instant où je croisais leur regard, ils m’inspectaient à leur tour et devaient faire exactement la même chose… Dentiste, toubib, coiffeur, avocat, c’est fou comme il y a des professions où les types sont incapables de vous prendre à l’heure ! Une quarantaine de minutes s’étaient écoulées, puis, l’un des deux fut reçu. Clair, c’était celui qui restait. N’y tenant plus, je l’interpellais : « Bonsoir, vous venez pour rencontrer Yves ? ». Il répondit sèchement par l’affirmative, avait-il lu mon regard au point de s’y voir caliméro ? « Allez, entrez, asseyez-vous » dit Yves qui était venu nous chercher et comme pour bien appuyer, il ajouta : « je n’ai pas été trop long !». Là, je compris définitivement qu’un Franc-maçon, quel qu’il soit, reste avant tout un homme !... Il fit les présentations : « Jean-Baptiste, Jean, je suis heu-reux de vous recevoir et avant tout, j’ai quelque chose d’important à vous dire ». On échangea un regard d’incompréhension. « Vous allez être initié ensemble, en clair, vous serez « jumeaux » en Maçonnerie ». La dimension du détail nous échappait, et nous étions tous deux, très éloignés du grand bonheur signifié par son souri-re béat, lorsqu’il nous annonça « cette importante nouvel-le ». Puis on posa des questions sachant qu’on n’aurait pas de réponses directes. Ça tombait bien, cet avocat était incapa-ble de répondre à une simple question. De l’art de l’ellipse et de ses secrets maçonniques… Tout en transposition, par images, bref, le truc incompréhensible. Cela, ponctué de temps en temps par un clin d’œil entendu, du genre, on s’est bien compris ! Un avocat brillant, quoi !…et adorable

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aussi. En quittant le cabinet, Jean-Baptiste m’avoua la mê-me difficulté à suivre parfois la discussion, aussi, décidions-nous d’aller dîner ensemble. La soirée s’était écoulée sans qu’on y prenne garde, le plai-sir était partagé, il était fort tard. Ce garçon était charmant, simple et franc. Nous partagions les mêmes vues sur la vie et plein de points communs. Tout de suite, il m’apparut d’une grande sensibilité, n’intervenant qu’à bon escient, presque timide. Il me rappelait mon père. Un type qui gardait et en-tassait en lui avec une formidable capacité de retrait en tou-te chose, ne laissant filtrer que de rares émotions dans une façon toujours calme de s’exprimer, mais dont on supposait quelque part des orages à venir…le feu sous la cendre. Cette rencontre restera longtemps dans ma mémoire et, décidé-ment, mon « caliméro » et futur jumeau me plaisait beau-coup ! Les quelques jours suivants, j’avais décidé de garder pour moi les secrets de cette discussion et de tenter de faire le point sur toutes ces choses, tous ces sentiments nouveaux et brouillons. Ma vie de famille était un refuge, une manière de ne pas revenir sur le sujet et de m’accorder une pause. Je ne me sentais aucune vocation mystique, je ne nourrissais aucune curiosité de bazar, pourtant, celui-ci revenait sans cesse. Sans doute, accepter d’aller à ma propre rencontre était le sentiment le plus fort, ma décision étais prise, je deviendrai Franc-maçon. Pour mieux décanter les échanges que j’avais eu lors de ces dernières, je décidais d’en connaître plus sur le principe de l’initiation. Retrouver ces temps perdus où celle-ci faisait partie et marquait la vie des hommes. Des

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temps éloignés mais pas si perdus que cela en fait. J’allais découvrir que si nous ne pratiquions plus ces « passages » initiatiques dans nos contrées, d’autres cultures, d’autres pays, en avait fait le ciment de l’avancement des hommes mais aussi de leurs traditions qui faisaient leur histoire, marquant ainsi leur identité pour finalement témoigner du sens de l’Humain.

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Chapitre II

L’initiation, le temps du silence…

Initiation. Ce mot qui était encore presque inconnu pour moi il y avait quelques semaines à peine, m’avait incité à des recherches que j’avais effectuées pour mieux en compren-dre l’histoire et le sens. Celles-ci me permirent de prendre la mesure de nos « évolutions sociétales » comme ils di-sent…mais à la baisse ! En effet, les occidentaux ont depuis longtemps perdu le sens de certaines valeurs sans doute parce que les passages marquants d’une vie d’homme ont disparu, leur faisant per-dre des repères essentiels mais aussi, les vertus de l’instant

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présent, éperdu à vivre toujours soit dans le passé ou dans l’avenir. Si souvent l’homme d’aujourd’hui obéit, grandit, exige, gère, planifie, vit en couple, dépense, s’ennuie, rem-plit, court, consomme, réussit, dépasse, gagne et vieil-lit…rarement, il regarde, il écoute, il profite, il s’inscrit dans des plans de progrès, met à profit, accepte résigné… Plus rarement encore, il décide et agit « en conscience », prenant ainsi la réelle mesure du monde et de la nature qui l’entoure afin de recevoir pleinement ses bienfaits et les transmettre à son tour. Bref, aimer et vivre ! Par le passé, ces « passages », ces rites initiatiques partici-paient à cette prise de conscience de la relation à la vie, à l’univers, à ses croyances et concourraient à tenir sa propre place dans une famille, un clan, une société. Il est curieux de constater la présence encore très forte de rites de passa-ge ancestraux dans certaines régions du monde, notamment dans les pays africains. Le plus classique étant celui qui célèbre le passage du mon-de de l'enfance à celui de l'âge adulte. Considéré jus-qu’alors comme asexué, le jeune adolescent va devenir une femme ou un homme reconnu et prendre sa place d'indivi-du à part entière au sein de la communauté. Mis en retrait de la tribu pendant un temps variable, il reçoit durant cet éloignement un enseignement sur ses devoirs futurs et doit aussi subir des épreuves parfois très douloureuses. Son courage et sa détermination seront rudement mis à l’épreuve pour mériter le droit de se nommer "membre". Cette période terminée, l'initié devra jurer de garder le se-cret sur ce qu'il a vécu et appris. « Le temps de l'enfance n'est plus, celui de l'homme qu'il devient pour tous est ve-nu, un homme nouveau qui vient de naître ».

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Le fait d’avoir ainsi grandit le portera à s’occuper des plus faibles, des plus démunis. De s'occuper du culte des ancê-tres, d’entretenir et de garder les légendes et histoires orales de la tribu. Je retrouvais bien là, les termes exacts des expli-cations lors des discussions avec Matthieu sur la Franc-Maçonnerie. Comme en Franc-maçonnerie, s’il s’agit moins là d’une ini-tiation « primaire » que primordiale permettant de trouver sa place au sein d’une communauté, il existe aussi des « hauts grades » que seuls certains, par leur travail et volon-té, pourront atteindre. En Afrique, si les initiés des « grades supérieurs » sont connus de la tribu, il n'en est pas de mê-me des savoirs qu’ils détiennent qui ne peuvent être divul-gués en dehors d'un cercle autorisé. Dans certaines com-munautés, celui qui trahirait son serment serait passible de mort ! Là, aussi, des signes, attouchements et mots de reconnais-sance permettent de se reconnaître et d’échanger en toute sécurité. Ces initiés ont aussi vocation à conserver les lé-gendes orales et traditions qui font l'histoire et l'identité des tribus. Ils en feront de même pour leurs connaissances mé-dicales, leurs savoirs sorciers et leurs nombreuses croyances tout en étant reliés aux « esprits des ancêtres ». Il leur est alors possible de devenir un lien entre le monde des morts et celui des vivants. Quelle que soit la forme de ces tradi-tions, une chose est certaine: l'humilité est bien présente au sein de ces peuplades. Les jeunes respectent les plus âgés, leurs anciens, ainsi la chaîne n’est jamais rompue et le sa-voir se transmet.

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Qu’il s’agisse d’un pays africain ou de quelconque autre continent, et pour n’importe quel individu au monde, je prenais conscience que tout semble partir de nous mêmes, de notre volonté de nous améliorer, de devenir un être dé-pouillé de l'inutile mais curieux de sagesse et de véritables connaissances, non pour satisfaire un ego mais pour servir le monde…ou sa tribu. Si internet m’avait bien aidé à me documenter à propos de l’initiation en général, là, il s’agissait de la mienne en parti-culier. Plus du tout la même chose ! Bien sûr je l’avais at-tendue, souhaitée mais ce moment qui se rapprochait à grands pas, me mettait dans une étrange fébrilité…

Mon initiation. Voilà l’exemple même d’un objet de curio-sité dont rien ne peut être raconté. Non pas par culture du secret, ou de l’engagement que prend tout Franc-maçon concernant le silence qu’il promet sur les rites et secrets qui lui sont transmis, mais en fait parce que cette aventure est si personnelle, si intime, une émotion dont vous n’êtes pas seul dépositaire, que rien qui serait dit, n’aurait un sens réel et vivant pour quiconque d’autre. Un peu comme partager l’album de photos de famille d’un autre. Cela vous est forcément arrivé. Au détour d’un dîner chez la tante d’un de vos amis, lorsque celle-ci vous lan-ce : « Tiens, venez voir, je vais vous montrer des photos où il était si mignon mon Phiphi !». Et là, sous prétexte de voir un ou deux clichés du Phiphi en question (n’est-il pas votre ami ?..), vous êtes partis pour l’arbre généalogique complet en images !…Tonton par ci, tata par là, la cousine raymon-de, sans oublier le cousin tartempion, etc…

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Étonnamment, si une photographie peut vous émouvoir quand il s’agit de votre femme ou de votre enfant, précieu-sement gardée au fond de votre portefeuille, rien ne passe vraiment devant des photos qui vous concernent peu ou pas. Vous vous sentez étranger à tout cela, étant dans l’histoire des autres sans y avoir une place. Au mieux com-patissant, mais l’œil torve ou presque éteint.

Il en va de même pour l’initiation. En fait, si vous deviez être assez curieux pour en savoir plus, il vous suffirait d’aller sur internet ou dans n’importe quelle librairie au rayon « Esotérisme », rubrique « Franc-maçonnerie ». Tout y est indiqué, expliqué, et disséqué au plus loin de son histoi-re et de ses traditions mais aussi, ses aspects symboliques jusqu’au plus techniques. Et alors ! Rien, vous ne tireriez rien, à ce moment précis, car rien ne vous est personnellement destiné. Cette histoire, cette démarche, cet engagement ne sont pas les vôtres tout simplement. Ce faisant, vous prendriez juste le risque d’apparaître comme ces gens qui demandent à ceux qui ont vu un film, de le leur raconter jusqu’à en connaître la fin et qui se retrouvent bêtas au point de renoncer à aller le voir eux-mêmes ! La Franc-maçonnerie est exclusivement du domaine du vi-vant au sens d’un art vivant, d’attitudes et de comporte-ments qui se pratiquent et se partagent entre les Hommes. Aller à la conquête de soi, pour soi seul mais qui paradoxa-lement ne peut se faire sans les autres. Difficile à expliquer, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il faut le vivre ! Pour cette raison, je veux vous faire ici, état de ce qui me paraît l’essentiel de ma démarche, vous faire part de mes impres-

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sions et sensations, de mes hésitations aussi et du réel bou-leversement de cette aventure unique que fut mon initia-tion. Vous parler des hommes, de leur cœur partagé, de ces regards que je n’oublierai jamais ce jour d’un mois de fé-vrier où le dehors était triste et humide et à cet endroit, chaud et brûlant d’humanité…

C’était le grand soir. J’avais bien sûr en tête le passage sous le bandeau que j’avais vécu et passé quelques années aupa-ravant. Si cette rencontre avec cet ami et ce voyage vers Biarritz n’avait pas eu lieu, il n’est pas certain que j’aurai eu à nouveau rendez-vous avec la Franc-maçonnerie. Deux ré-flexions m’étaient d’ailleurs venues à ce sujet. Première-ment, mon inconstance était-elle à ce point si patente qu’après « l’ajournement » prononcé comme seule conclu-sion au courrier que j’avais reçu de cette loge du Grand Orient de France, je ne m’étais relancé d’aucune manière pour aller à la rencontre une nouvelle fois, de la Franc-maçonnerie ? En second lieu, pouvais-je considérer la révélation de notre entretien lors de ce week-end avec Mathieu comme une simple coïncidence ? Pouvais-je et devais-je échapper à ce que je ressentais comme un appel ou plus simplement comme une piste? De la même façon puisque j’en ignorai alors tout du sens, il n’y a sans doute aucun hasard à ce faux départ qui m’a amené par la suite, vers la Franc-maçonnerie régulière et spirituelle. Aujourd’hui, avec le recul, ma réponse est tota-lement différente et ma conviction acquise, mais j’avoue qu’à l’époque où se déroulèrent ces faits, je n’aurai pu me poser la question, du moins en ces termes.

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Ce rendez-vous revêtait pour moi, la plus haute importance et n’avait rien de comparable avec l’aventure précédente. On touche ici une caractéristique de la Franc-maçonnerie : le temps ne compte pas. D’ailleurs, en loge par les différents rituels appliqués, on l’apprend mais surtout, on le vérifie. Là, il s’agit plutôt d’un temps de maturation. D’un temps qu’il m’avait fallu pour intégrer la nécessité de ma démar-che, une sorte d’imprégnation. Les choses se font-elles mal-gré nous lorsque, clairement, elles semblent nous être des-tinées ? Déjà, j’approchais l’importance de la séparation du cœur et de l’esprit. Raisonner est incontestablement une force, votre intelligence un atout pour appréhender, comprendre, tirer des conclusions mais vous éloignent parfois de vous-même. Cartésiens que nous sommes, nous avons tous eu un jour l’idée que telle chose était bonne pour nous, qu’il y avait là une option, un bon chemin, un choix raisonnable. Si cela nous semble confus parfois, c’est parce que notre esprit est en même temps juge et partie. Juge, tant on est sûr d’une certaine objectivité car celui-ci est brillant, fin et doué de nuances. Le guide qu’il nous paraît alors sera garant du dé-roulement idéal de la suite des événements. Partie, et c’est là que le bât blesse, c’est qu’il n’est qu’un élément d’une seule et même personne, d’une entité globale n’offrant, par conséquent, aucun recul sur soi. Comment, dans le concept adopté qu’un être forme un tout, une énergie vivante, inscrite dans l’Univers et la Création, pourrait-on se laisser à penser que le pouvoir même de notre forme d’intelligence indépendante, rationnelle, ne puisse pré-senter quelques faiblesses…

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Inconsciemment, nous devons en douter car nous savons d’emblée qu’une réflexion, remarque ou analyse extérieure à nos problématiques sont souvent des voix de meilleur conseil. Et si « l’intelligence du cœur », cette petite voix qui nous parle parfois, nous pousse ou nous retient selon les cas, présentait au fond un allié plus puissant que l’intelligence cartésienne ? Oui, mais alors quelle part de nous fera l’arbitre ? En effet, on n’a pas toujours le conseil extérieur d’un ami…C’est toute la force et la faiblesse de l’Homme et parfois son désarroi qui est décrit ici. C’est cette dimension qui ne répond à aucun critère tangible et que je crois être la cons-cience. Construite et rebelle, assise où parfois éthérée, elle est notre première force de vie lorsqu’elle est portée par le cœur ou « l’intelligence du cœur ». Plus question ici de parler stra-tégie, réflexion, développement, logique… « Être dans le cœur » est le moyen le plus efficace d’atteindre non pas la véri-té, mais avant tout autre chose et c’est sans doute le plus im-portant, notre propre vérité. Dans l’histoire que je conte ici, je soutiendrai volontiers donc que je suis revenu en « conscience » à moi-même par la Franc-Maçonnerie persistant à dire pourtant que rien n’a été décidé ou réfléchi de ma part.

Encore une fois, j’avais frappé et l’on était venu m’ouvrir... Ce n’était pas au même endroit, il s’agissait de la Grande Loge Nationale Française, différence d’obédience sans inté-rêt pour moi à ce moment. Contrairement à ma première expérience et approche de la Franc-maçonnerie, j’avais la chance et l’assurance qu’un parrain m’accompagnerait. Bé-néficier d’un bon parrain est indispensable car il est celui qui vous suivra tout au long de votre expérience. Il vous ex-pliquera, rassurera lorsque vous douterez et sera votre fil

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rouge au long de votre vie maçonnique. Il est aussi celui qui s’engage à vos côtés et qui répond de vous pour les autres, ce qui n’est pas rien. Bref, il est un personnage clé sur le-quel il est permis et recommandé de s’appuyer. Le mien était Mathieu, j’étais heureux que ce fut lui, vraiment.

La grande porte s’était refermée derrière moi. Un Frère m’accompagna dans le silence puis dans un lieu de retraite, une pièce particulière, très particulière, une sorte de cagibi lugubre revêtu de noir où juste une bougie reste votre uni-que compagne… Mais là, commence l’Initiation et pour les raisons expliquées, le temps du silence est venu…Il contient bien sûr ses secrets, si l’on souhaite les qualifier ainsi, mais plus encore cette mémoire séculaire des hommes et de leur cœur qu’ils allaient me donner ce soir. Mes sentiments personnels sont libres, d’une toute autre nature et c’est l’idée de ce récit que de vous les rapporter. Les choses sont bien faites, tout avait été organisé afin que je puisse vivre mon initiation comme un moment de grâce. J’étais ému, impressionné et honoré à l’avance de savoir que ce que j’allais connaître (même si j’en ignorai le contenu et son déroulement), était à l’identique de la cérémonie d’initiation d’un profane, il y a près de trois cents ans ! Semblable en tout point aux rites et traditions rituelliques de cette Franc-maçonnerie issue du Siècle des Lumières et plus encore, l’héritage des bâtisseurs de cathédrales. J’avais le sentiment que tous ces hommes qui m’avaient précédé et disparus depuis si longtemps, allaient m’accompagner eux aussi. L’histoire vibrante dont on est, tour à tour, le tout ou seulement un maillon, n’était plus à ce moment une formu-le, j’allais m’inscrire dans cette édification en apportant modestement ma pierre...si on m’acceptait…

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Quels que seraient les arguments à entendre, le prix à payer, les engagements à prendre, rien à ce moment n’aurait su m’arrêter. Il était temps pour moi, malgré mes craintes de l’inconnu qui se présentait maintenant, de me laisser porter en toute confiance. Mais à ce point où j’étais, pou-vais-je faire autrement ?…Oui, car à plusieurs reprises, on vous rappelle votre état d’homme libre, libre de rester ou de partir. Bientôt, votre serment contracté d’abord avec vous-même, vous obligera, pour le moins, à tenir secret les Us et Coutumes de la Franc-Maçonnerie partagés par tous vos Frères.

Décrire l’indescriptible est vain. Les deux heures qui ve-naient de se passer resteraient le moment le plus fort de ma vie, venant juste après la venue au monde de ma fille, Sté-phanie. Quelle que soit votre origine, éducation, capacité intellectuelle et émotionnelle, autant que la conscience que vous ayez de vous-même, il arrive que nous soyons en prise directe avec ce qui se passe. Pourquoi porter plus d’importance à tel ou tel moment de notre vie, il est difficile de le dire. Là, je n’avais pas perdu une miette de mon initia-tion. Emmené et porté par celle-ci et tous ces hommes qui ce soir m’acceptaient parmi eux, j’avais tour à tour été un enfant, un corps, un esprit, une conscience, le bien et le mal et tant de choses encore. Mais jamais je ne fus comme ce jour-là, autant avec moi-même au plus profond de moi. Oui j’avais cherché, persévéré et souffert parfois, par ce doute qui vous assaille, ne serait-ce qu’en vous remettant libre-ment et en toute confiance dans les mains des autres, ces inconnus, ces hommes qui deviendront bientôt vos Frères à jamais. Mais quel sens donner au mot « Frère » ?

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Pour moi, alors sans aucune culture Maçonnique, il revêtait pourtant dès ce premier soir une signification forte, car mon initiation, m’avait-on dit, s’était déroulée de façon par-ticulière. Avoir été initié avec une autre personne, comme cela ne se pratique qu’exceptionnellement, signe la création d’un lien fort et unique. Ces moments que j’ai donc vécu, Jean-Baptiste les a partagés. Ces épreuves symboliques que j’ai traversé, il les a découvert avec moi et sa main posée fé-brilement sur mon épaule alors que nous étions privé de notre vue, restera un attachement indéfectible pour cet homme que je ne connaissais pas mais qui, pour sans doute d’autres raisons, avait décidé de vivre le même engagement que moi. Tout cela m’avait paru long, parfois stressant et éprouvant. Je m’étais senti nu, au point de sentir le bruit de mon sang dans mes veines, les battements assourdissants de mon cœur, le ronflement de ma respiration…Et comme l’aveugle privé de lumière, décuplant ses autres sens, je peux témoi-gner que dans la situation, les miens étaient plus qu’affûtés ! Ma main prise et serrée par un guide, nous avancions au milieu de multiples cliquetis métalliques et bruissements de tous côtés, des odeurs de bougies qui vous prenaient le nez, des crissements de pas, leur souffle autour de nous qui indiquaient leur présence. Mais qui étaient-ils, que faisaient-ils ?…Ça aussi, j’allais le découvrir… Mon initiation terminée, la tenue s’était déroulée selon l’ordre du jour défini. Ce qui fut « ma première Tenue » restera présente long-temps à ma mémoire. Tout d’abord le lieu. Curieux endroit ce temple maçonnique ! Des décors et divers symboles re-couvraient les murs et le plafond. L’avantage quand on ne

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connaît rien de rien de ces choses-là, est que l’on ne se pose pas de questions. De toute façon, il y en a tellement qui viendrait à l’esprit, les réponses seraient trop longues et les réponses certainement incompréhensibles. Revenu à la lu-mière, les yeux écarquillés comme un gosse, le lieu me pa-raissait « kitch » à souhait. Nerveux, je gardais un rire étouf-fé, décidément sale gosse, on le reste pour la vie ! Bénéfice du doute et respect, c’est bien le moindre que je pouvais témoigner en prétendant à un tel engagement et vous com-prendrez que je ne peux pas tout dire ! L’air de plaisanter de tout pourrait-on penser, accordez-moi qu’impressionné à ce point et fatigué, on puisse avoir un comportement puéril. Ayant été reçu mes « outils et tenue, les mots, signes et at-touchements de mon grade » (on dit comme ça), matériali-sant cette transmission au travers de cette initiation que j’avais été jugé digne de recevoir et avant de commencer mon travail, on m’avait fait reconnaître les différents « Officiers et Maîtres de la Loge », mené par le Maître de Cérémonie. Nous faisions le tour de la Loge allant de poste en poste les rencontrer. Ils se levaient et m’embrassaient. Par ces baisers fraternels, mon père revint instantanément à ma mémoire, lui qui m’avait quitté si brutalement en 78… Plus précisément, le contact du dernier baiser que j’avais reçu de lui. Il avait jeté l’étudiant que j’étais encore à une gare de banlieue, il y avait du soleil, du ciel bleu et quelques nuages ce matin de février, il s’était tourné pour me dire « Bonne journée mon fils », on s’était embrassé. J’ai le sou-venir de sa peau râpeuse pas si bien rasé que ça, qui com-mençait à marquer le temps. Il n’avait que 43 ans en fait, plus un gamin mais pas si loin. Tout cela était passé si vite…

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De contact charnel avec des hommes, je n’en avais jamais eu depuis. Ensuite, on m’invita à rejoindre ceux de mon rang, sur la colonne du nord, là où se tiennent les Appren-tis, mon « jumeau » Jean-Baptiste, à mon côté. Après avoir été l’acteur principal, je devenais figurant à mon plus grand bonheur. Attentif et reprenant mon calme, j’allais assister, muet, à une sorte de ballet d’interventions, de circulations diverses mais ordonnées, de prises de paro-les cadencées et parfois répétitives, tout cela dans une hié-rarchie respectée… Bon sang, où j’avais foutu les pieds !!! Très vite, près des autres apprentis, je compris que la règle était le silence. Se taire, observer et écouter. Ce soir-là, vous vous en doutez, je n’avais sur ce point aucune prétention et me terrais dans une immobilité heureuse et bienvenue. Je regardais tour à tour ces visages que tout à l’heure je n’avais pu que deviner. Personne ne m’était connu, pourtant com-me avec une femme dont on serait amoureux, j’avais l’impression de tous les connaître depuis longtemps. La pleine lumière maintenant régnait ce qu’il convenait d’appeler le « Temple », où j’avais circulé tout à l’heure et vécu mille morts…pour renaître. Immédiatement, à l’écoute des différentes interventions rythmées par un ordre du jour bien tenu, certains sujets me donnaient l’envie de réagir et participer. Pourtant, cet espa-ce à l’égal d’une organisation presque militaire, ne laissait à première vue, peu de possibilité pour s’exprimer librement. Du moins, c’est l’idée que je m’en faisais ce premier soir. Mais d’ici là, j’aurai tant de choses à essayer de comprendre. D’abord, le langage et expressions, l’accoutrement aussi. Comme une pièce de théâtre ! Des acteurs qui connaîtraient

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bien leur rôle et leurs textes mais dans un français du XVIIIème siècle. Je vous assure, c’est vraiment curieux la première fois ! Chacun d’entre eux tenait un emplacement précis mais dont la signification m’échappait, des bougies étaient installées, dont les petites flammes vivantes et libres virevoltaient in-disciplinées au scénario qui se déroulait. Captivées par cel-les-ci, elles concouraient aux délices de ce moment de grâce dont je m’emplissais pour mieux m’en souvenir plus tard…

Après la fermeture des travaux de l’atelier, les frères pre-naient le temps d’un apéritif. Je trouve déjà qu’on boit pas mal chez les francs-maçons…Enfin, surtout ceux qui ne rangeaient pas ! Oui, j’ai vite noté que les « bleus » avaient certaines obligations d’apprentissage dont l’installation et le rangement de la Loge. Pour cette première, j’en fus exemp-té, mais on m’avertit que cela ne durerait pas…Chanceux, mais juste un soir, ce soir ! Les Apprentis apprennent aussi par ces vertus, acquérant ainsi les rudiments, sinon une vé-ritable compréhension de tout cela et sur le « tas », comme on dit ! Rapidement, tous les Frères furent rappelés à l’ordre pour passer à table : l’Agape allait commencer. C’est un moment fort où les Frères prolonge leur tenue en partageant un re-pas. Pour l’instant, c’était encore celui d’un verre partagé en salle humide. Dans un élan généreux, les frères venaient tour à tour, me congratuler chaleureusement en me souhai-tant chacun la bienvenue d’une manière différente. À mes côtés, Jean-Baptiste, mon jumeau et Frère en recevait au-tant. Nos regards semblaient partagés la même surprise. Ha-gard par les sollicitations et dans le brouhaha ambiant, j’étais, je dois le dire, comme absent, emporté par de nou-

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veaux questionnements. Oui, pourquoi avais-je voulu à ce point, rejoindre la Franc-maçonnerie ? Une fois encore, je vérifiais que je n’échappais décidément pas à ces sentiments confus qui me font parfois agir ou réagir à contretemps. Ac-tion d’abord, réflexion ensuite. Non, là, je suis un peu sévè-re car bien sûr j’y avais pensé et repensé. Mais déjà, le sou-venir de ma cérémonie d’initiation si récente me déstabili-sait, me faisant prendre toute la mesure de l’engagement pris d’abord avec moi-même. J’avais donc reçu le titre inté-ressant de « Frère », quel sens donner à ce mot ? Je savais si peu de choses sur les Francs-maçons, si ce n’est le « hasard » qui, par deux fois, me les avaient mis sur mon chemin. Ma culture maçonnique était courte, très courte, je savais tout juste que des hommes illustres avaient été Francs-maçons, qu’ils avaient contribué à l’avancement de l’Humanité…Ma démarche était fort modeste et me parais-sait dérisoire au regard de ceux-là. Mais après les quelques rudiments fournis par Matthieu pour assouvir mon impa-tience sur le sujet et le résultat de mes recherches sur le concept social plus que spirituel de l’initiation, il fallait que je comprenne les règles de cette confrérie si particulière que me semblait la Franc-Maçonnerie : son histoire, ses co-des, ses usages et ses obligations pour accomplir le mieux possible l’engagement que je m’étais assigné. Bien qu’historiquement la Franc-maçonnerie est l’héritage des tailleurs de pierre et maçons « opératifs » du Moyen-Âge qui travaillaient sur les chantiers des abbayes romanes et des cathédrales gothiques, ils étaient de simples artisans, détenteurs d'un savoir de métier qui leur avait été pieuse-ment transmis, qu'ils gardaient hermétiquement secret et

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qu'ils transmettraient un jour à ceux qui reprendront leur flambeau. Ça n’est qu’au milieu du XVIIIème siècle qualifié des Lumières, qu’elle se structura pour devenir un Art pra-tiqué par des intellectuels, des nobles et militaires souvent, qui, souhaitant s’inspirer de leurs illustres prédécesseurs mais dans une dimension symbolique, professèrent celui-ci dans une symbolique dite « spéculative ». Dès lors, la seule cathédrale à construire est celle de l'Homme lui-même, mais rien ne change quant aux méthodes et aux outils. Les tours de main d'antan deviennent des tours d'esprit et de cœur, voilà tout. L'Homme est à considérer ici comme véri-table un chantier. Tout reste à construire, à créer, à édifier. Guidé par une idée essentielle, la croyance en un Architecte Suprême où Grand Architecte de l’Univers qui indique la voie, celle de l'harmonie universelle ou, encore, de la beau-té, de la sagesse et de la force créatrices. Aujourd’hui encore, la Franc-Maçonnerie est une associa-tion de personnes qui ont en commun un idéal d’amélioration de soi-même, de construction d’une société meilleure, basée sur des principes de tolérance, d’égalité entre tous les êtres humaine, de liberté de pensée et de condition, de fraternité ou de solidarité entre elles et le res-te de l’humanité. Attention, vous êtes ainsi de plein pied dans « l’immatérialité » la plus extrême, au sens que rien ne vaut et n’existe que par le sens que vous lui portez. La Franc-maçonnerie, si elle n’est absolument pas religieu-se, est une croyance, au sens littéral du mot. D’ailleurs, c’est une société initiatique qui ne dispense pas d’enseignement, mais propose une méthode de réflexion symbolique dont résultera pour celui qui la pratique, une amélioration personnelle.

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L’initié devra travailler sur la signification des symboles, ce faisant, il pratique alors son premier travail symbolique : « polir la pierre brute » qu’il est, c’est-à-dire sur soi-même, afin qu’elle puisse faire partie « d’un édifice harmonieux ». Pour progresser lui-même en vertu de ce qu’il connaît de lui. Pour se connaître, il faut un travail personnel d’introspection, d’observation de ses propres réactions confrontées au groupe. C’est dans les rencontres et les dis-cussions qui s’ensuivent que l’on apprend alors, à mieux se connaître tel qu’il est en société, ou tel qu’il réagit face à des opinions divergentes ou des situations conflictuelles. Le travail réalisé dans ces groupes, s’appelle « loges » ou ateliers, et se déroule dans un cadre harmonieux, régi par un rituel symbolique qui prédispose à l’ouverture, à la tem-pérance et à la concentration. Ces rituels pratiqués dans les ateliers, constituent une rup-ture avec la vie de tous les jours et placent les hommes qui les fréquentent, dans un contexte hors du temps. Lors des travaux en loge, des discussions s’ouvrent et peu-vent porter sur des sujets sociaux, de préoccupation univer-selle ou sur des symboles et l’analyse des rites pratiqués. Cela, dans une discipline où la parole s’exprime en liberté mais dans un autocontrôle de l’expression, permettant l’écoute de l’autre, et l’argumentation intellectuelle et sen-sible. La Franc-maçonnerie se méfie des dogmatismes et des vérités révélées, elle prétend juste à chercher la vérité, et non pas la détenir. A ce point de ces quelques explications succinctes sur l’histoire de la Franc-Maçonnerie, il convient d’ajouter que diverses branches sont la résultante de l’histoire de l’évolution de la Franc-maçonnerie, mais deux voies princi-

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pales sont aujourd’hui constatées et marquent une réelle différence même si tous sont Frères avant tout. D’une part la Franc-maçonnerie « Régulière », nommée ainsi car elle est l’héritière fidèle à la tradition de la Grande Loge de Londres. Elle provient de la première forme de maçonnerie moderne instituée en 1717, qui s’est répandue très rapide-ment en Europe et dans le monde. Elle est aussi la plus an-cienne, à vocation spirituelle et donc, personnelle, résolue à consacrer ses travaux a un être divin. Elle n’admet que des hommes croyants cherchant à se perfectionner avant tout, eux-mêmes. La deuxième branche est née en France en 1877, s’assignant aux lois républicaines et de la laïcité, ac-ceptant sur un même pied les croyants et incroyants, athées ou déistes. Elle participe par ses idées « au progrès de l’humanité », discutant de problèmes sociaux et se propose de rechercher parmi les discussions en loge des solutions pour faire avancer l’Humanité. Bien sûr, d’autres façon d’aborder la Franc-maçonnerie se sont développées tout au long du XVIIIe siècle, des obé-diences dites spiritualistes, ou ésotériques, qui placent au centre de leurs préoccupations le symbolisme qu’il soit de nature métaphysique, alchimique, kabbalistique, ou les ri-tuels égyptiens. Elles constituent de nombreuses branches, dont certaines accueillent aujourd’hui les femmes distinc-tement et la mixité. Dans mes recherches concernant le sujet, j’avais appris que quelle que soit la voie entreprise en Franc-maçonnerie, cet-te démarche est éminemment personnelle, obligeant au per-fectionnement et à la recherche de sens. Elle engage aussi, une relation de ce que nous sommes face à l’histoire ou plus simplement à notre histoire. À ce point, elle nous aide à

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prendre la mesure de notre insignifiance mais aussi à cette dimension sublime de l’être humain. Elle nous fait prendre conscience du maillon que nous sommes dans une chaîne en faisant de nous des messagers ou plutôt, des transmet-teurs dans le respect du messages transmis. Messagers d’un passé, messagers d’un avenir, tout cela en même temps avec pour seule ambition, l’exemplarité. Enfin, si devenir Franc-maçon (on n'est pas Franc-maçon, on le devient indéfini-ment), c'est surtout avoir cette foi inébranlable en ceci que la vocation ultime de l'homme est de construire un Temple qui le dépasse infiniment. Un Temple qui le transcende ra-dicalement, en ceci que l'homme n'a de sens qu'au service de ce qui le dépasse, alors, avec la plus grande modestie, il est une évidence que la Franc-maçonnerie est un chemin, un support de perfectionnement parmi d’autres, mais il of-fre et nous le verrons dans ce récit, de connaître le cœur des hommes et surtout le meilleur de ce qu’ils sont. Parce que la Franc-maçonnerie est aussi et surtout une fraternité, tous les Maçons du monde sont des Frères. Elle rappelle que le Maçon doit s'efforcer de fonctionner avec ses Frères en communauté d'esprit et engageant, avant tout, sa volonté de mettre son ego de côté.

Au "Connais-toi toi-même" socratique, répond un "Oublie-toi toi-même" maçonnique. Seule l'œuvre importe. Seul le chantier et le travail qui s'y fait reste, et les individualités qui y évoluent s'effacent devant le Temple qui s'érige peu à peu. La Fraternité maçonnique répond parfaitement à Saint-Exupéry : « L'Amour, ce n'est pas se regarder dans les yeux, c'est regarder ensemble dans la même direction". Et cette direction unique, c’est précisément le service du Grand Architecte sur le chantier de l'Univers et de l'homme

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dans le monde. Ce qui unit les Francs-maçons et justifie la Franc-maçonnerie bien au-delà des sympathies et amitiés interpersonnelles, c'est le processus d'accomplissement que chacun expérimente à chaque heure de sa vie d'homme en quête de perfectionnement et de création de soi, en d’autres termes, une sorte de besoin vital dans un ordre symbolique qui nous relie les uns aux autres par le cœur, aux mystères de notre devenir…

Mais ce soir n’était pas le moment des savoirs, encore moins des explications mais le temps de l’émotion partagée. Nous passions à table pour ce moment attendu de l’Agape. Instal-lés de part et d’autre d’une table en « U », je constatais que la disposition et les places de certains étaient identiques à la Tenue en loge, une sorte de continuité en deux rangées, appelées Nord et Midi. J’étais d’ailleurs bien placé pour voit tout ça car j’avais une place de choix, à la gauche du Véné-rable Maître., « Mes Frères debout, veuillez prêter atten-tion ! »…il s’agissait des « premières santé d’Ordre » ! Qu’est-ce que c’est que ce truc ? À l’invite du Vénérable Maître, il convient alors de tous se lever et porter une sorte de toast à ceci ou cela… Tout à coup vous replongez dans un bal militaire où ne manque que Fanfan la Tulipe !… Puis les apprentis se levaient et immédiatement par solidarité et mon désir d’intégration, je me levais pour les suivre. On fit me rasseoir. « Reste assis, aujourd’hui, nous célébrons ton arrivée et celle de Jean-Baptiste parmi nous, comme lui ce soir, tu es un invité de marque. En nous rejoignant, vous donnez du sens et de la vie à cette Respectable Loge, la pro-chaine fois, tu participeras avec les autres »… Comme des serveurs de restaurant, les apprentis courraient, servant et desservant les plats et assiettes, nous attendions

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qu’ils finissent, reviennent à table pour commencer à man-ger ensemble. Le dîner avançait, entrecoupé par quelques informations concernant la loge, son actualité, les prochaines tenues, sor-ties, visites et manifestations… Puis, vint le temps des prises de paroles. Enfin quand je dis prise de parole, j’exagère, car personne ne prend la parole tant qu’elle ne lui a pas été donnée ! Un protocole décide de l’ordre dans lequel vient, s’il vient, votre tour pour vous exprimer. Le plus souvent, respectant cette logique protocolaire, celle-ci est donnée aux frères visiteurs d’autres ateliers. Ceux de passage, ayant souhaité passer un moment de fraternité, sont invités à dire quelques mots. Après les politesses d’usage, la reconnaissance de la qualité des travaux de la Loge auxquels ils ont participé et divers remerciements, ces discours, se ressemblent et ne devront leur richesse qu’à la qualité émotionnelle de ceux qui les prononcent. Ce soir-là, Luc reçoit la parole. Il se lève, prend le temps du silence pour organiser son intervention, qu’il sait devoir être brève et concise. Debout derrière sa chaise, il a presque du mal à porter le regard autour de lui. Ses mains se crispent sur le dossier, il n’entend que le battement de son propre cœur et là, tout bascule. Les quelques couteaux et fourchettes grinçants sur les assiettes s’étaient tus. Tous avions les yeux tournés vers lui, nous saisissions son émotion à la limite du malaise. Il bafouilla : « Excusez-moi Vénérable Maître et vous tous mes Frères, mais je n’y arrive pas… » Immédiatement, sans connaître la raison qui bloquait ce Frère dans sa volonté de s’exprimer, deux frères, de part et d’autre de Luc, se levè-

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rent lui tenant la main, chacun le regardant avec ce regard de soutien que seuls les gens aimés ont le bonheur de connaître, puis promptement et discrètement ils se rassi-rent. Luc pu enfin parler. Nous en étions tous heureux. Je ne sais d’ailleurs plus très bien ce que fut l’objet exact de son message, ça n’a d’ailleurs que peu d’importance. Se sentant mieux, c’est courageusement qu’il expliqua en-fin : « Pardonnez mon émotion mes Frères, pour tout vous dire, aujourd’hui, je ne souhaitais pas venir. J’ai appris une grave nouvelle, ma femme a eu la confirmation qu’elle était atteinte d’une sale maladie. Le pire, c’est qu’en sortant de chez le toubib, j’étais plus mal qu’elle ! »… « En fait, elle m’a poussé à venir en Tenue, sans elle…je perds mes repè-res et j’ai lâchement dit oui ». « Mais là, avec vous, j’ai res-sassé toute la Tenue, me reprochant de l’avoir laissé seule, vous comprenez ? ». L’ensemble de l’assistance était attentif attendant la suite de l’intervention de leur Frère. J’avais l’étrange sentiment qu’ils le portaient ainsi ; chacun, un peu, prenait sa part des problèmes de cet homme. « Curieusement, reprit-il, au moment de passer à table, je l’ai eu au téléphone, je lui ai indiqué ma gêne, elle a insisté pour que je reste et savez-vous ce qu’elle m’a dit, mes Frères ? ». Bien sûr, personne n’en avait la moindre idée. « Et bien, elle m’a dit : Reste mon Chéri, tu es bien avec eux et sans doute, grâce à cette soirée, tu iras mieux toi aussi, et le fait de te savoir ainsi et te retrouver après, m’apportera un rayon de soleil ». « Voilà pourquoi, Vénérable Maître et vous tous mes Frères, la raison pour laquelle j’ai eu du mal à m’exprimer tout à l’heure, je vous remercie de votre indulgence ».

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Si l’usage des Francs-maçons veut qu’ils manifestent discrè-tement et uniquement en tapotant la table de leurs doigts, là, tous applaudirent franchement et se levèrent pour aller l’embrasser. Troublé par ce qui venait de se passer, par cet instant de vérité simple et crue, je ne savais plus quel attitu-de tenir. Et si simplement, je me laissais aller à moi-même. Etre, non pas ce que l’on a décidé, mais, être, tout simple-ment. Ce soir-là, j’ai ressenti les bienfaits de pouvoir s’ouvrir sin-cèrement à l’autre sans crainte. C’était la première fois de ma vie.

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Chapitre III

Le temps des questions…

Les femmes qui prétendent connaître les hommes disent souvent d’eux qu’ils ont quelques difficultés à se livrer, à parler d’eux-mêmes. C’est vrai pour la plupart. Bien sûr, ils savent souvent être provocateurs dans les lieux collectifs, au bureau, salons et salle de sport…mais rarement, ils livreront leur cœur avec des mots simples et vrais. Le temps maçon-nique dans lequel se retrouvent un ou deux soirs par mois les frères d’une Loge en un lieu discret, est un moment sor-tant de l’ordinaire. Hors du temps, alors que quelques ins-tants auparavant ils étaient encore à leurs affaires au travail,

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silencieux après avoir quitté un monde bruyant, il semble qu’une bulle les accueille. Un lieu préservé. Une dimension où l’heure n’existe plus. Cette ambiance particulière force le recueillement, appelle une concentration et une présence à ce que l’on va vivre ensemble, encore une fois. Vous devenez fragile ressentant un total dénuement. Pourtant, rien ne peut ici vous arriver de mal. Tous seront là, autour de vous pour vous soutenir, vous encourager dans vos recherches et bien avant de les commettre, par-donner déjà vos erreurs. J’allais le vérifier dès la première fois. Le mois était passé lentement tant j’avais hâte de vivre cette « tenue ». Rien de comparable à la fois précédente et c’est volontaire comme un écolier guilleret le jour de sa rentrée, que je me rendais à ma loge. On m’avait fait venir plus tôt afin d’installer le Temple. « Jean, peux-tu aller chercher et installer le tapis mosaï-que » !?... De quoi me parlait-il ? Je n’en étais pas très sûr. Le temps de me poser la question, un Frère apprenti était déjà à me désigner l’objet en question et me dit ; « Viens, on le prend à deux ». J’avisai un tapis enroulé, gris sale et très lourd, de près de quatre mètres de large. On le déroula ensemble pendant que s’affairaient autour de nous d’autres frangins. Ils mettaient en place les éléments du décor qui nous permettraient de jouer notre pièce… À faire les choses parfois, on ne prend pas le temps de regar-der, je voulais montrer ma bonne volonté. Pourtant, si ce tapis que nous avions déroulé était vieillissant, il possédait une vraie beauté patinée par les effets du temps. Il devait en

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avoir vu des choses et si les tapis ne volaient pas, j’aurais aimé qu’ils puissent parler… Remplit de dessins et symboles, mon front se plissait à force d’y chercher une logique, une signification, ne serait-ce qu’entre ses signes. Une lune blafarde en haut à gauche, à l’opposé, un soleil usé mais rayonnant. Au dessus, ce qui m’apparut comme une corde avec des boucles qui formaient des nœuds. Au bas du tapis, quelques marches, sept je crois bien. Puis une sorte de parvis en damier noir et blanc, face à une porte entourée de deux colonnes. Au centre du tapis, une étoile à cinq branches comportant la lettre « G » en son centre. Autour, disposés en triangle, trois outils étaient re-présentés. En bas, de part et d’autre, un dessin représentait une sorte de pierre difforme à gauche, en face d’une belle pierre taillée, presque cubique à droite du tapis.... je ne comprenais rien à tout cela mais j’étais fortement impres-sionné par l’ordonnancement parfait de tous ces signes de ce grand tapis de toile peinte et vieillie. Rien ne semblait être positionné au hasard. Décidément ; il me faudrait de la patience, de l’acceptation pour que mon temps vienne pour comprendre. Petit à petit, l’ensemble des Frères arrivait et se retrouvait. Incursion au bar, non pardon, en « salle humide » pour les plus anciens maçons, ce qui tendait à démontrer que le pri-vilège de l’âge et de l’expérience en Franc-maçonnerie sem-blait proportionnel au temps que l’on peut s’octroyer devant son whisky préféré…pendant que les plus jeunes frères bos-sent ! J’observais cela depuis l’interstice de la porte battante lors-que je reçus une bourrade dans l’épaule de Jean-François, un Frère d’expérience de la Loge qui me glissa : « Tu sais,

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on passe tous par là tour à tour. La Franc-maçonnerie est une tradition qui se répète, se transmet depuis si longtemps que ton étonnement d’aujourd’hui a été le mien hier, qu’il est le tien aujourd’hui et sera celui d’un autre demain… », «Alors, rappelle-toi bien de ce moment si anodin en appa-rence et pense à t’en souvenir le moment venu ! ». Mon vi-sage avait dû parler pour moi, révélant les paroles que je n’avais pas prononcées…j’étais impressionné qu’il ait pu lire aussi facilement mes pensées. Après le temps des retrouvailles au vestiaire, où chacun s’habillait convenablement des différents ornements de son grade, l’indiscipline des grands « post-ados » dissipés à qui nous ressemblions alors, fit place immédiatement au silence exigé. À l’invitation d’un des frères, nous nous étions ras-semblés dans l’ordre, prêt à renter dans le temple maçonni-que. Conduit tour à tour par un autre frère dont visiblement c’était l’office, nous étions amenés à nos places respectives, attendant debout, l’entrée du Vénérable Maître de la loge et de son collège d’Officiers…eh oui, c’est ainsi qu’ils sont nommés ! L’entrée de celui-ci me parut très solennelle… Précédé par deux Frères appelés « Surveillant », le cortège le conduisit à son poste. Déjà la lumière allait se répandre sur nos travaux et le temps du travail fut annoncé. Un peu comme une association, je constatais que le Véné-rable Maître était en quelque sorte son président et qu’il était entouré d’un frère secrétaire, d’un autre, trésorier et d’autres frères aux rôles bien particuliers. La fois précédente, si j’avais pu rejoindre ma place dans la loge et mes nouveaux frères après mon initiation à la fin de

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la tenue, je n’avais gardé aucun souvenir précis du temple, sans doute en raison de mon émotion, seulement la présen-ce de multiples symboles dans un fouillis apparent. Ce soir, il en était autrement, la première différence et pas la moin-dre, était que j’étais l’un d’entre eux. Cette condition chan-ge le regard. Mais la Tenue commence vraiment lorsque cel-le-ci est dans le temps sacré. Cette sacralisation du lieu est le fait du Vénérable Maître bien sûr, mais surtout par le recueillement et la communion de tous les Frères présents. Elle confère un regard collectif, s’agrégeant de tous les Frères présents que la Loge prend vie ! Cette communion, ce partage, ce recueillement est l’Egrégore de la Loge. Cet état collectif indescriptible mais presque palpable… J’apprenais ainsi la première leçon : « Etre franc-maçon est une démarche personnelle qui n’existe, prend forme et n’a de sens qu’avec les autres ! ». Paradoxe difficile à expliquer. Ce qui me frappait le plus, c’est cette coordination des ges-tes, prise de parole et avant tout la façon avec laquelle trois personnages se renvoyaient le texte comme une balle de tennis. Question, réponse puis reprise de la question, bref, un dialogue rythmé par la nature même du texte, une répé-tition relayée par chacun des trois frères, le fameux rituel. Devant mon front plissé, un frère à ma gauche s’amusant de mon étonnement, me chuchota à l’oreille : « Moi aussi, la première fois, ça m’a fait bizarre »… Le Vénérable Maître se tourna vers le Frère Secrétaire pour lui demander le point suivant de l’ordre du jour. Si j’avais reçu comme tous le programme de la soirée, je n’y avais pas vraiment porté attention et découvrais au moment de

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l’entendre que le temps fort de la soirée allait être une ini-tiation ! En clair, j’allais revivre mon expérience…mais cette fois de l’intérieur grâce à un impétrant qui se trouverait ce soir dans l’exacte situation qui fut la mienne dernièrement. J’étais tout à mes pensées lorsque j’entendis le Vénérable Maître dire : « Mon frère, allez quérir le Frère Apprenti Jean ». Je sursautais. Bon sang, j’avais totalement oublié que j’allais devoir être sollicité pour dire mes « impressions d’initiation ». Conduit face au Vénérable Maître, debout, on me donna la parole pour exprimer celles-ci. J’étais empoté, ne sachant déplier les quelques feuilles de papier sur lesquelles j’avais griffonné mes souvenirs. Faut dire qu’avec des gants de co-ton, ce n’est pas évident. Venant à ma rescousse, le Vénéra-ble Maître m’invita à les ôter. Dans un profond silence, j’allais pouvoir enfin, m’acquitter de ma lecture. Se sentir le « centre » de la Loge, est une sensation forte, presque char-nelle vous rendant une fois encore, à une totale fragilité. Sans dire le secret de la teneur des propos qui relatent for-cément l’initiation elle-même, vous pouvez imaginer mon émotion à revivre par les mots, les sensations que furent ces moments vécus ce soir-là. En les disant, je les faisais visi-blement revivre à tous les Frères présents. La force d’un récit est parfois telle, qu’il pénètre les cœurs. À ce point, qu’après l’avoir fini, porté par le texte et presque absent à l’ambiance autour de moi, je me reconnectais avec l’instant présent…où régnait alors un profond silence. A leur manière, chacun des frères présents, se remémo-raient sa propre initiation. Il faut dire que pour certains, ils s’agissait d’un retour dans des souvenirs de près de trente

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ans ! Rappelez vous du mariage de votre couple d’amis, lorsque au moment de leurs vœux respectifs, insensibles à leurs sentiments ayant vous-mêmes tellement vécus, vous ne pouvez réprouver ce réflexe lacrymal furtif ridicule, ba-layé d’un coin de manche, presque ignoré mais bien pré-sent. Dans leurs yeux et par leurs mots exprimés après mon intervention, ils me remerciaient surtout de la simplicité avec laquelle je leur avais livré ce qui avait marqué le pre-mier temps fort de ma vie maçonnique. Ils insistaient, à jus-te titre mais cela je le vérifierais avec le temps, que j’avais la chance unique d’exprimer avec la fraîcheur naïve dont seul les débutants sincères sont capables, des secrets qui me se-raient révélés plus tard. Ce dernier commentaire, agaçant en fait, me signifiait que j’étais juste assez grand pour dire, mais sans doute trop petit pour comprendre…mes propres paroles ! D’un coup et sans baguette magique, j’étais renvoyé à mon enfance, là où confusément les souvenirs et l’égo reprenaient malin plaisir à se mélanger.

Tout à coup, on frappe brutalement à la porte, de cette ma-nière si particulière des francs-maçons. Tous, sommes rap-pelés à notre rang et au plus profond silence. Le Vénérable Maître avait pris le temps de suspendre les travaux pour rappeler à chacun son rôle dans la loge pour être à la hau-teur de l’événement. Toute cette mise en scène, tout ce cé-rémonial est important. Pas simplement pour la qualité de la réception de ce futur frère, car lui au fond, ne connais-sant rien à ce qui l’attend, rien ne lui semblera manquer, mais surtout parce que l’exigence première d’un franc-maçon est le respect du rite et de ses règles immuables qui doivent être perpétrées. De Mozart au XVIIIème siècle au

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profane qui deviendra « Frère » ce soir, ce qui est vécu en loge d’apprenti pour une initiation est semblable en tout point. C’est tellement vrai que si vous souhaitez le vérifier, il vous suffit de regarder une gravure d’époque ! Ce respect, cette exigence, sont les garants de la transmission à travers le temps et font la première richesse de la Franc-maçonnerie. Je n’ai jamais eu de mal à le comprendre. Ma résonance à l’histoire, aux pierres et monuments, bref, ce qui fait la filia-tion entre ce que je suis et ceux d’où je viens, est une vérité essentielle que je porte en moi. De même le respect de ceux qui vous m’ont précédé, dont on fait, en quelque sorte revi-vre les traces, est un honneur et un vrai bonheur naturels. Être quasiment obligé à la confiance tant ce qui vous entou-re échappe à votre compréhension, le mieux est alors de se laisser porter. Lumière baissée, à la seule lueur des bougies, l’impétrant rentre accompagné et conduit fermement comme celui que j’avais été quelques jours auparavant. Je me voyais en lui, même si je le distinguais à peine. Absorbé par ce que vivait cet homme, je portais ses hésitations. Sa fragilité animale se ressentait, lui qui à ce moment, affaibli et privé de lumière, devait avoir tous ces sens en alerte. Je savais l’odeur acre du tissu qui lui couvrait les yeux et son nez. J’habitais ses oreil-les attentives au simple bruissement de la respiration que l’on perçoit ainsi. Cherchant à mesurer l’endroit où l’on se trouve, le nombre de personnes présentes. Est-on dans une arène, dans un hémicycle, sont-ils debout assis, l’air sérieux ou compatissants ? Tout devait ainsi se bousculer dans son esprit. Il me sem-blait même l’avoir vu pris de quelques tremblements... Au-

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tour, les Frères étaient silencieux, conscients de l’importance du moment à venir. Bientôt, lui aussi allait fai-re ces voyages initiatiques...par le cœur. « Mes Frères, for-mez la Loge ! » Absorbé par ce qui se passait, je pris cette injonction comme un réveil. La discipline n’avait jamais été mon fort, pourtant, avec Jean-Baptiste, nous obéissions dans une sorte de ballet organisé. Sans que nous sachions encore nous placer ni comprendre tout ce qui se déroulait sous nos yeux. La magie du moment, les chuchotements des Frères officiers plus anciens, à nos oreilles, nous amenaient à nous tenir correctement. Tout cela dans le plus grand si-lence et recueillement… Depuis toutes ces années qui ont passé, je peux confirmer que voir une initiation et un homme la recevoir, reste tou-jours aussi fort. Il ne peut que se livrer. Il doit se laisser porter en toute confiance. La mode, les médias nous met-tent aujourd’hui l’expression « lâcher prise » en vedette. Ici, cette acceptation est le garant de l’émotion. Non, seulement pour celui qui reçoit mais sans doute plus encore, pour tous ses hommes qui l’accompagnent. C’est ici le secret maçon-nique le plus parfait. Celui que tout le monde cherche, par-fois toute une vie… Etre face à soi-même n’est plus une ex-pression, c’est la source de vie qui fait prendre la mesure de notre dimension énergétique universelle. C’est quitter l’esprit, pour n’entendre que les bruissements de son pro-pre cœur. C’est se donner la chance de se savoir vivant pour l’éternité. La cérémonie ayant pris fin. Le nouveau Frère avait été raccompagné à l’extérieur quelques instants. Pour remettre la Loge en état, les travaux suspendus, chacun se congratulait, échangeant ses émotions, et notant les points sur lesquels certaines hésitations avaient été ressenties.

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Ce travail est important, c’est par la volonté de perfection de faire ainsi les choses que le Franc-maçon trouve sa récom-pense mais surtout, reste le gage de la continuité de cette tradition maçonnique dans le respect des règles ancestrales qu’impose le rituel. Les apprentis que nous étions, étaient invités à s’exprimer. Sous l’émotion, nous préférions nous taire. Être présent, observer, ressentir, me semblaient un déjà grand privilège. Ainsi, il y après de trois cents ans, cet-te cérémonie avait eu lieu, avec les mêmes textes et ser-ments, dans les mêmes circonstances ! Les derniers points prévus à l’ordre du jour étant terminés, laissez-moi évoquer une particularité de notre rite : « La chaîne d’union », sans doute le moment le plus fort et inat-tendu de la fin de soirée. Il n’y a pas que chez les Francs-maçons qu’elle se pratique, mais c’est là que je l’ai toujours ressentie le plus fort. Tous les Frères se rassemblent au cen-tre de la Loge, autour du pavé mosaïque, ils se donnent la main et forment ainsi une chaîne d’amitié fraternelle. Lors-que j’ai donné la première fois ma main, j’étais un peu gê-né. En effet, la dernière fois que j’avais donné ma main à un homme, nous étions avec mon père, sans doute pour aller au cinéma. Cette main paternelle, enfant, je n’y faisais pas attention. Elle me revenait en mémoire, là, avec ses hom-mes : mon père était avec nous. Le Vénérable Maître dit une sorte de prière, et, chacun re-cueilli à la seule clarté de quelques chandelles, semblait être descendu en lui-même. J’avais fermé les yeux et faisais défi-ler le visage des personnes chères à mon cœur. Puis, un long silence, juste le souffle des frères. Ma gorge se serrait, ressentant l’intensité qu’impose un tel dépouillement. La trentaine de Frère debout dans cette pénombre, le temps suspendu à la volonté de nos cœurs dans un calme appa-

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rent. « Rompons la chaîne mes Frères ». Par ces mots, nous revenions à nos places et clôturions la Tenue.

Il faisait un soleil éclatant, assis à la terrasse d’un café, je m’adonnais à mon sport favori : regarder les badauds, faire des remarques et critiquer intérieurement les passants. Tout à coup, m’interrogeant une fois encore, sur la futilité de mon esprit, je convenais, déçu, que la Franc-maçonnerie n’avait pas opéré de changements notables à ce que j’étais : toujours aussi con ! En fait j’ai depuis longtemps entretenu l’espoir d’une réalité de changements immanents qui nous sont promis et qui nous font évoluer dans la vie. J’avais en-core à l’esprit, l’exemple du souvenir marquant, lorsque ma grand-mère me félicita pour l’anniversaire de mes sept ans me garantissant, m’avait-elle dit « l’âge de raison »… Je lui avais demandé quelques précisions sur ce nouveau statut, elle avait bredouillé des arguments pas vraiment sé-duisants et retenais qu’il y aurait, si tout se passait bien des obligations, des responsabilités nouvelles qui me permet-traient d’acquérir la confiance des grandes personnes, ce dont je me fichais pas mal. D’ailleurs, la plus grande trom-perie à ce sujet, je l’avais toujours sur l’estomac et m’avait rendu définitivement méfiant à l’égard des adultes et des grands changements… J’avais eu 12 ans, je m’étais réveillé dans l’appartement pari-sien que nous habitions alors. J’étais super heureux ! Enfin, le grand jour était arrivé ! Sous ma couette, que j’avais tâché de ce que l’on nommait alors pudiquement quelques « pollutions nocturnes » (j’adore cette expression), je prenais la mesure avec gaité de ma vie qui allait fatalement changer comme me l’avait révélé ma mère quelques mois plus tôt.

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Celle-ci m’avait entretenu discrètement d’une évidence de la nature imminente, qui chacun sait, est quand même su-per bien faite ! Un matin, je l’avais surprise dans la salle de bain, son antre où il m’arrivait souvent de l’observer en train de se maquiller. À moitié nue, concentrée à l’extrême, le cou tendu et son visage tourné vers le miroir, elle portait vers ces yeux un étrange ciseau à courber les cils, puis, s’était penchée vers moi pour me dire : « Mon chéri, tu de-viens un grand garçon maintenant, il faudrait que je t’explique... ». Suspendus tous deux comme dans une bulle, elle me gratifia sur le ton d’un impérieux secret, des quel-ques rudiments de la sexualité et de ses changements qui ne tarderaient pas à s’opérer sur moi. Précisant que les filles se voyaient transformer ainsi et les garçons comme cela. Je l’écoutais à peine et étais tout à la fierté de notre nouvelle complicité. C’était drôle, c’était elle ! ça lui était venu comme ça, d’un coup, comme un merveilleux cheveu sur la soupe ! Je ne retenais aucune de ces explications et encore moins des transformations physiques notables qu’elle s’était pourtant échinée à me décrire, ni plus encore qu’une étonnante sen-sation de plaisir les accompagnerait. Se voulant rassurante, elle m’affirma en conclusion, que cela s’inscrivait dans la normalité des choses de la vie… De cet exposé, seul m’intéressait l’idée qu’un jour, je de-viendrai un homme ! Puis, souhaitant donner toute la so-lennité à de telles révélations, elle s’accroupit devant moi, me prit par les poignets et fixant son regard dans le mien, elle insista : « Mais tu sais Jean, lorsque cela t’arrivera, ne sois pas inquiet, tout ceci est naturel et surtout un grand bonheur !».

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Dieu que ma mère était belle ! Je venais de comprendre l’intense bonheur qu’un instant peut offrir, retenant mon souffle de peur qu’il ne s’échappe. J’en profitais intensé-ment en la regardant fixement. J’étais heureux mais honnê-tement, ce qui venait de rentrer dans mon oreille gauche était déjà ressorti par celle de droite…

J’avais effectivement tout oublié quand un matin, ce jour arriva : « j’étais un homme !». Encore dans mon lit, je pre-nais un soin méticuleux pour bien vérifier que les indices dont elle m’avait fait la liste étaient bien réunis. Ça m’aurait bien embêté de me tromper. Mais non, c’était clair, pas d’erreur possible, j’étais donc devenu un homme. Ah mais ça change tout ! Plus jamais on me parlerait comme avant, le regard même des gens allait changer. Mieux, juste à me voir, ils auront deviné que je n’étais plus un enfant. Maintenant on me prendrait au sérieux. Je pensais avec joie à ce nouveau statut, au respect engendré qui me ferait du bien et surtout, à ce pouvoir envié au monde des adultes et que j’allais certainement gagner. Bref, que du bonheur ! Je me souviens de ce matin heureux. Arrivant au petit-déjeuner, je disais bonjour à chacun, un peu déçu qu’ils n’aient pas l’air d’avoir deviner ma transformation, sans doute étaient-ils encore tous endormis. En fait, c’est moi qu’ils réveillèrent brutalement : « Jean, une fois que tu as fini ton petit-déjeuner, rince ton bol, va te laver les dents et apporte-moi tes devoirs...» me lança ma mère devant toute la famille. Consternant ! Rien n’avait donc changé, le mira-cle n’avait pas opéré. Ce fut ce jour-là, une énorme décep-tion. Bien sûr, il y en aurait d’autres m’étais-je dit alors, fai-sant preuve déjà, d’un bel optimisme.

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De mon enfance, la comparaison me paraissant semblable sur ce point, la Franc-maçonnerie, ayant apporté toutes ses lumières nécessaires, allait-elle, avec moi raté sa conver-sion ? Etais-je à ce point réfractaire ? Avec le recul, il s’agissait plutôt de méfiance. On ne fait jamais attention aux déceptions des enfants, mais ce sont des traces indélébiles. Déjà, j’avais été triste lors du décès de mon grand-père. C’était mon premier mort. Avant, son principe n’existait pas et comme tous les enfants, j’étais immortel. La mort est chez les autres, mais jamais chez soi, c’est bien connu… Lorsqu’il est parti, nous étions tous à notre peine, mais la cellule familiale, cette tristesse partagée était une commu-nion comme un rempart inaltérable entre les membres de la famille. La douleur de l’événement, c’est à l’extérieur que je l’ai ressentie. Non pas qu’au dehors, la solitude marquée par ceux qui vous manquent aurait été insupportable, mais parce que j’exigeais presque du monde qu’il s’arrête pour être tout à ma peine. En fait, je n’étais pas en peine, mais en colère de voir que la terre tournait encore et ne s’était pas arrêter une seconde au décès de mon grand-père… J’avais donc été déjà déçu par les règles de la vie et restait, sinon méfiant, réticent aux changements annoncés. Seule la curiosité me faisait accepter les expériences, considérant que mon avancement était à ce prix. Elles furent nombreuses et éclectiques comme tout en cha-cun. J’ai le souvenir d’un de ces petits livres « sur le chan-gement personnel » que j’avais lu quelques années aupara-vant. Il disait en substance : « Pour que le changement sur-vienne dans votre comportement, trois choses indispensa-bles : 1/ écoutez les règles du changement promis, 2/ les as-

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similer et les retenir, 3/ enfin, les appliquer. L’auteur (un Indien au nom imprononçable) concluait avec malice : « Et comme vous compléteriez un régime alimentaire en prati-quant assidûment le sport, n’oubliez pas que lorsque vous l’arrêtez, les kilos reviennent ! ». La vie est bien faite, non ?... En fait, la Franc-maçonnerie n’est différente en rien. Il nous faut appliquer les vertus que nous prônons et bien évidemment aussi, en dehors de la loge. La Fraternité par exemple, en passant un coup de fil à ceux de nos Frères qui sont absents ou qui nous semble éloignés. Comme nous, ils ont leur famille, leurs problèmes et d’autres priorités que la Maçonnerie. À nous de le comprendre en les appelant, en leur faisant part de notre présence et pour leur témoigner notre attachement fidèle et sincère. La Franc-maçonnerie accompagnant la démarche d’une femme ou un homme dans la recherche de lui-même, doit être un complément de plénitude à sa vie, pas un handicap ou quelque chose qui lui pèserait. C’est pour cette raison qu’il est souvent rappelé que la démarche entreprise ainsi, passe toujours après les impératifs familiaux et professionnels. Pour progresser, il était donc de ma responsabilité d’appliquer les principes reçus en Loge afin que la promesse d’un changement pos-sible aient une chance de se réaliser. Immédiatement, et quelle que fut la tentation tant il y avait à dire sur les gens qui étaient autour de moi à la terrasse de ce café, j’arrêtais de faire preuve de mauvais esprit, payais l’addition, et m’en allais. Jean-Baptiste avait souhaité que nous dînions ensemble. C’était à chaque fois un réel plaisir que de partager un mo-ment de complicité avec mon jumeau. J’apprenais à le

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connaître, à le découvrir et notre relation devenait une belle amitié. Après les quelques discussions professionnelles et potins, il voulut connaître si mon entourage acceptait ma démarche, m’encourageait où en était détaché. « Pas simple en fait, répondis-je, si ma copine approuve mais reste peu impliquée, ma fille, depuis le début m’a semblé assez réti-cente. Elle garde très pudiquement une distance avec res-pect pour la démarche de son père. Quant à moi, sentant cette réserve, nous évitons ce sujet et parlons d’autres cho-ses. » Jean-Baptiste devait se retrouver dans mes propos et à le voir silencieusement hocher la tête, j’imaginais que son en-tourage réagissait à peu près de la même façon. « Tu sais, curieusement, je suis assez gêné avec la Franc-maçonnerie. C’est un sujet assez nouveau pour moi et je me doute que pour ceux qui m’entourent, ça doit être sensiblement pareil. Au point que je préfère garder ça pour moi ». Ce que je n’osais dire clairement à mon frère et surtout ami, c’est que mon intransigeance trouvait souvent ridicule ces gens qui entamant un travail sur eux-mêmes, vous assomment de conseils et contrevérités dès le lendemain de leur première séance. De l’art de la révélation ! Ils se sentent obliger de dispenser leurs conseils qui pourtant ne s’adressaient qu’à eux au point de les élever au rang de solutions radicales et universelles… Insupportable ! Ne voulant prendre le risque de leur ressembler, ou de paraître donneur de leçon, j’avais pris avec prudence, l’option de me taire, goûtant ainsi, aux charmes et vertus du silence !

Puis avec Jean-Baptiste, nous échangions nos premiers res-sentis en Loge. On s’étonnait de tous ces symboles et sur-

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tout, de tous ces salamaleks protocolaires. La franc-maçonnerie est un Ordre, on ne le redira jamais assez. Elle a été véhiculée entre autres, par les garnisons militaires de tous les pays d’Europe surtout au XVIIIème siècle et en a gardé la discipline. Après tout, les choses sont simplissi-mes : puisque vous avez consenti en homme libre à rentrer dans cet Ordre, si cela ne vous convient pas, vous en sortez. Un point c’est tout. Rien ici, ne vous appartient et ne vous appartiendra jamais pour l’unique raison que vous êtes de passage, juste un maillon, une pierre de l’édifice, seulement un messager qui, à son tour transmettra dans les mêmes conditions qu’il les a reçues, ces traditions séculaires.

Nous nous quittions mais heureux de savoir nous revoir ra-pidement lors d’une prochaine « cayenne ». Que je vous ras-sure tout de suite, rien à voir avec le bagne, une « cayenne », terme venu tout droit du Compagnonnage, est l’occasion d’une réunion informelle entre frères, chez l’un d’entre eux. Réunissant plutôt des frères d’un même grade mais encadré de quelques frères d’expérience, c’est l’occasion idéale de poser des questions, d’évoquer tel ou tel point du rituel qui vous échappe et surtout de mieux se connaître. Décontracté, c’est un moment de simplicité où tout s’échange autour de quelques cochonnailles et bon vin. Chez Paul, ce jour-là, nous devions n’être qu’une quinzaine. Un peu intimidé au début, je découvrais son intérieur. Il y avait des tableaux sur tous les murs. Le regard perdu dans une magnifique lithographie de la fin des années cinquante de Zao WouKi, très bien encadrée, je retrouvais dans celle-ci la période où l’artiste commençait à se dépouiller de sa culture natale, dont la peinture presque écrite, se libérait,

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offrant de grands espaces que les peintres de l’école de Pa-ris lui suggéraient alors. Lui aussi, avait dû remettre en question une vie qui, sans doute, n’offrait plus de perspecti-ve assez grande à ses propres yeux. « Tu t’intéresses à l’abstraction lyrique ? » me demanda Paul. « Tu sais, la pein-ture est une plus qu’une passion, mon véritable oxygè-ne… ». « Alors, ça nous fait un sacré point commun ! Viens avec moi, on va boire un verre pour fêter notre plaisir partagé. » Sa femme, magnifique brune élancée, me portait un verre et ensemble, ils insistèrent pour me faire visiter leur maison. Leur maison était grande, accueillante et en plein centre ville, elle vous donnait la conviction d’être à la campagne avec son jardin de curé. Ils avaient décidé de se faire plaisir dans celle dont ils pensaient qu’ils finiraient leur vie. Fiers de tel ou tel gadget et heureux comme des gosses décou-vrant leurs jouets à Noël, je les suivais dans chacune des pièces heureux de leur bonheur visible mais restais captivé par tous les tableaux présents sur les murs. Redescendu avec les autres, l’ambiance était rieuse et conviviale. Per-sonne ne boudait le plaisir d’une plaisanterie et le travail maçonnique n’était guère à l’ordre du jour, du moins pour l’instant. Seule femme parmi nous, la maîtresse de maison faisait de son mieux pour satisfaire nos besoins. Je l’observais attenti-vement, elle virevoltait, joyeuse au milieu de cet aréopage masculin. Plus que discrète, elle s’appliquait presque à être transparente, ne voulant gêner cette importante réunion et ne prêtait que peu d’attention à nos discussions. Je pensais à tous ces hommes qui avaient une femme comme compa-gne, épouse ou amie, que leur disaient-ils de la Franc-

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maçonnerie ? Difficile de partager ce que l’on est en train de découvrir soi-même. Elles ont souvent ce rôle rassurant d’accepter notre démarche sans l’approuver totalement mais sans la réfuter. Une acceptation de confiance semblable au principe que ce qui est bon pour leur conjoint, le sera cer-tainement pour elle-même ou leur couple… On mesure cette distance lors des repas « des Dames ». Ces soirées où les femmes sont conviées pour un dîner qui leur est dédié. Les œillades complices des frères sont autant re-marquées que l’attitude introvertie de la gent féminine. Souvent guindé, cet événement ne remplit que rarement son objectif. Plongées dans cet univers, elles semblent pas-sablement étrangères à cette fête organisée pourtant en leur honneur. C’est ainsi que les Francs-maçons, conscients de consacrer du temps à leurs recherches souvent passionnées, témoi-gnent leurs remerciements à celles qu’ils considèrent com-me la femme la plus importante à leurs yeux. Mais souvent, même dans ces soirées qui leurs sont consacrées, elles vien-nent pour faire plaisir à leur homme ! D’ailleurs, lorsque vous leur proposez la sortie en question, leur première in-quiétude, est de savoir si telle autre femme sera bien là…et en attendant, vous réserve sa réponse. Nous avons beaucoup de progrès à faire pour les convaincre de notre travail. Expliquer ce qui nous fait bouger, évoluer, ce qui nous trouble aussi. Raconter cette fraternité mais aussi, les doutes que nous vivons au contact de certains comportements. Dire notre passion, nos croyances et ce qui nous re-constitue lorsque nous sommes tous unis lors d’une chaîne d’union par exemple. S’exprimer par la voix du cœur

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que trop souvent nous leur tenons fermer ou tout juste en-tre ouverte. Certains l’ont apparemment fait et leurs compa-gnes semblent plus impliquées à leur côté.

La « cayenne » se poursuivait. Un Frère Maître avait eu la bonne idée d’expliquer le principe de la bonne façon d’appréhender une « planche » et surtout, son principe. Cel-les-ci consistent en un travail de réflexions rédigées que les frères réalisent à leur rythme. Les thèmes donnés sont les symboles des rituels pratiqués, un peu comme un catéchis-me, le but étant d’en acquérir la meilleure connaissance possible pour tenter de découvrir les clés symboliques. « C’est simple avait-il dit, vous vous souvenez des disserta-tions, c’est un peu la même chose. Il y a un plan de cons-truction à respecter. Sachez tout d’abord que votre guide, votre référent, est le rituel. Repérez-y donc le thème de vo-tre sujet, puis, recoupez les exemples et symboles qui l’illustrent. Ensuite, donnez et développez le sens de votre traduction symbolique. Enfin, donnez votre sentiment per-sonnel, votre compréhension…». Nous étions contents de ces quelques explications car il est vrai qu’apprentis et compagnons, nous ressentons parfois l’importance de notre ignorance face à tous ces symboles, rites et d’évidence, la façon même d’envisager ces questions tant le sujet est vaste. Il était déjà tard et la soirée bien avancée, nos débats étaient passionnés. Nous étions très largement sortis du cadre et les nombreux sujets que nous avions abordés présentaient l’avantage d’apprendre à nous connaître tous. Paradoxale-ment plus encore qu’en Loge, car l’environnement, la disci-pline, l’apprentissage de ce curieux univers autant que les rôles de chacun, dont dépend le bon fonctionnement de

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celle-ci, demandent une attention soutenue qui ne favorise pas de la même façon, les échanges aussi directs entre Frè-res. C’est au fil du temps, de ces réunions improvisées chez les uns ou les autres et de la mécanique de répétition du rituel accompli lors des Tenues en loges, que le travail commence à produire ses effets. Un peu comme des moines, sans être refermés sur nous mais recentrés. C’est dans ces moments privilégiés, par notre écoute et du soin porté à l’autre com-me à nous mêmes, que s’édifie ce qu’il convient d’appeler en franc-maçonnerie, « le temple intérieur ». Ces changements imperceptibles se révèlent par une façon de se laisser aller et porter par le groupe, cette collectivité que sont tous les Frères réunis. Cette nouvelle capacité que je me découvrais à me faire l’allié du calme et du silence, d’abandonner totalement pour quelques instants, mon es-prit mais ses affres aussi, pour n’être qu’avec moi dans le recueillement. Goûter aux plaisirs simples de l’instant où la fraternité entre les hommes est palpable, tout cela me faisait l’effet d’une douce et rassurante chaleur. Enfin, découvrir les bienfaits de la tolérance, l’acceptation sans retenue de l’autre et de ses différences, c’est incontestablement en pra-tiquant l’art de la Franc-maçonnerie que je l’ai trouvé. Jamais je n’avais envisagé le sens du mot « sérénité », cette façon sérieuse et si légère de prendre la vie pour en goûter le meilleur. Longtemps désinvolte, j’avais appris à considé-rer sans cynisme aujourd’hui mais avec bonheur, cette poé-sie que contenait une courte et belle phrase du journaliste et romancier Gérard Sire, que je tenais depuis toujours dans un coin de mon portefeuille :

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« On se retrouve seul, on a peur quelquefois et l'on regarde autour de soi, guettant sur un visage un soupçon de ten-dresse. Mais personne ne s'intéresse à personne, et ainsi tout va de mal en pis. Parfois le malheureux reste sur le tapis, comme à la vie plus rien ne le rattache, il crève dans son coin, sans que nul ne le sache. Un sourire pourtant l'aurait tiré de là. Sourions mes amis, quittons ces airs trop las, faisons-nous l'amitié, si rare à notre époque, de sourire pour rien, d'être aimable avec n'importe qui, pour n'importe quoi ».

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Chapitre IV

Dessine-moi une Etoile…

Le nez au vent dans le petit cabriolet alfa, nous serpentions sur les routes de campagne. Il faisait très beau. Le soleil nous accompagnait et je me demandais comme lorsque j’étais enfant, quel caprice faisait qu’il semblait sautiller comme la lune en soirée, de droite à gauche de la voiture jouant à cache-cache avec mon regard. A mes côtés, Jean-Baptiste profitait d’un repos mérité. Jeune papa à 50 ans, il avait occupé ses dernières semaines, et surtout ses nuits, à reprendre le service couches culottes dont le savoir-faire s’était émoussé au fil des années.

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J’aimais de plus en plus mon ami, mon frère, c’était un homme qui avait choisi d’aimer et d’adopter les conséquen-ces de son nouvel véritable engagement. Là, il s’agissait pour lui d’être père à nouveau, ce qu’il accomplissait avec un réel bonheur tout en rouspétant à la fois. J’admirais sa constance à l’effort, étant incapable moi-même de faire ce qui avait entrepris. Pas vraiment dupe de l’admiration pour lui à ce moment, tant celui-ci est souvent le solde de nos propres déficits, j’avoue que j’étais un peu jaloux, tant il me ramenait aux tendres souvenirs d’enfance de ma fille, Sté-phanie. Loin de ses nouvelles obligations paternelles et di-vers biberonnage, Il semblait prendre plaisir à cette balade qui devait nous amener à la fête annuelle de notre loge pour la Saint-Jean d’été ce 21 juin. Depuis toujours, les solstices d’hiver et d’été rythment le temps des deux grandes saisons. Repères indispensables aux hommes depuis des temps immémoriaux, ils ont tou-jours été l’occasion de marquer ce passage où le soleil inonde de sa lumière la plus longue durée du jour, en oppo-sition à la nuit, où ses ténèbres les enveloppent. Signes de force et de fragilité pour les uns, ces moments ont toujours été l’occasion de célébrations païennes d’abord et poursui-vies par les croyants de la même façon. Nous avons tous le souvenir de ces fêtes de campagne où les jeunes faisaient un grand feu pour l’événement. Riant et sautant, parfois au dessus de celui-ci, la Saint-Jean est ve-nue jusqu’à nous, ayant perdu quelque peu de son sens ini-tial. Chez nous, Francs-maçons, ce sont deux moments impor-tants et symboliquement plus chargés de sens encore. Pour

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plusieurs raisons, la première d’entre elles, est que l’on nomme traditionnellement ainsi « Loges de Saint-Jean », car toutes les respectables loges ou règnent « la paix, la concorde et la charité » portent le même nom. L’opposition des ténèbres à la clarté lumineuse qu’apporte la lumière dans sa vérité, fonde la dualité des hommes travaillant en conscience à leur amélioration. C’est un premier et véritable travail à accomplir. La seconde est que ces deux moments de l’année marquant les solstices, sont l’illustration naturelle et symbolique du Franc-maçon : la plus longue nuit d’hiver évoquant l’obscurité, la perte de repère, la lumière disparue peut-être pour l’éternité ? L’évocation de la mort….en revanche au jour de juin qui sera le plus long. Nimbé de cette lumière que procure le soleil, il s’élève dans le ciel depuis l’orient, rappelant l’espérance pour celui qui la reçoit, à se trouver après avoir chercher péniblement parfois, le début d’un chemin. De tout temps, cet astre reste l’expression du divin. Des temps les plus reculés, des hommes des cavernes en passant par les aztèques jusqu’à nos récentes civilisations, cette aura de lumière est celle rassurante des bons présages, bienveil-lante, elle est un refuge qui nous conduit au savoir, à cette volonté d’amélioration de soi, à cette dimension que l’on présume supérieure. Elle révèle par la force de nos convictions, de nos croyan-ces, sinon la part de religieux en nous-mêmes, plus sûre-ment encore cette quête, ce besoin d’absolu. Nous étions en vue du clocher du petit village d’Ariège de-vant nous rassembler. Cette fête est avant tout le plaisir de nous retrouver, de mieux nous connaître dans nos vies.

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C’est vrai qu’en Tenue, nous n’avons guère le temps de par-ler de nous, nos vies, notre quotidien. Si le temps en Loge est le temps des travaux, chacun a laissé sa vie profane et ce qu’on appelle ses « métaux » au dehors du temple. Là, c’est tout le contraire, épouses, compagnes, enfants, bref, toute la famille est conviée à ce rassemblement. C’est notre garden-party à nous ! Un véritable élysée mais dé-pouillé, où tout n’est que simplicité et plaisir. « Jean ! gare la voiture à l’entrée de la clairière ». Nous sor-tions du véhicule avec Jean-Baptiste, échangeant un clin d’œil car nous constations que nous étions les seuls à être venu en célibataire. « Alors, où se trouve Jean-Michel ? » demandais-je. Il s’agissait du frère qui avait tout organisé que j’allais salué pour prendre des nouvelles de sa santé. L’année avait été longue depuis le jour d’hiver où j’avais suggéré l’idée de confier la Saint-Jean d’été à notre ami. Ce Frère, déjà bien affecté par sa maladie insidieuse, avait reçu cette proposi-tion comme un rayon de soleil prometteur. C’était le but et à le voir de si bonne allure, cela semblait réussi. La clairière, le buffet sous cette sorte de halle en pleine campagne près d’un lac. C’était sublime. Nous surplom-bions celui-ci et je voyais le vent coucher les champs de blé encore verts comme des vagues ondulantes. Un verre en main, je me sentais apaisé, porté par les conversations que je recevais sans les entendre comme des gazouillis d’oiseaux. Je sentais des gens heureux, c’était rare, c’était simple, c’était bon.

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Ce sont dans ces moments où l’on pense au chemin parcou-ru en maçonnerie et surtout à sa propre vie, à ce que cela vous apporte, change ou plus modestement, modifie. Il serait fastidieux et sans intérêt d’en dresser une liste. Je me satisfais surtout d’une chose que je ne possédais pas, j’avais gagné en « acuité ». Je parle de celle du cœur mais aussi d’une conscience de soi. De celle qui vous permet de vous sentir vivant, bien là, présent à ce que vous faites. Pas dans ce qu’il s’est passé la veille ou à demain avec ce qui vous attend au bureau. Profiter dans la légèreté, comme ce vent dans les prés, du simple plaisir d’être bien, ici et maintenant, me satisfaisais avec bonheur. Appelé à passer à table, j’avais rejoint Jean-Baptiste qui m’avait réservé une place à ses côtés. De gauche à droite, des rires, des bruits de couverts et d’assiettes qui s’entrechoquaient ; les conversations allaient bon train et se croisaient, se quittaient puis reprenaient à l’envie. « Ta fille est au courant de ton engagement maçonnique ? » me demandait Jacques en face de moi. « Oui, mais ça a été un peu compliqué » répondis-je. « D’abord, j’ai mis du temps à lui en parler. Ça ne m’est pas venu comme ça. Elle m’a toujours connu rationnel, concret et parfois un peu trop sûr de moi en apparence. Lui parler de mon entrée en maçonnerie me semblait difficile à expliquer. Se confronter à de gens qui ne sont pas d’une grande importance pour soi, n’est pas grave, en revanche, prendre ce risque avec ceux qu’on aiment, c’est une autre affaire ! Quoi qu’il en soit, je n’ai pas osé facilement. Il a fallut du temps ». « C’est arrivé naturellement au fil d’une conversa-

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tion. Elle était attentive, mais je la sentais méfiante. Elle fut surprise, un peu… il n’était-il pas évident de faire le lien entre son père qu’elle connaît et la Franc-maçonnerie qui reste un sujet abstrait pour elle. En tous les cas, j’ai senti qu’elle avait plein de questions à me poser mais je décidais de la laisser venir. J’ai pensé que c’est préférable ». « Tu vois c’est curieux mais pour moi, avec Laure mon épouse, ce fut exactement l’inverse » dit Alain, un Frère ve-nu en famille, rebondissant sur la conversation. « D’emblée, j ‘ai senti son approbation, d’autant plus touchante qu’elle aussi, elle ne connaissait rien à tout cela ». « Ah, non, di-sais-je, je n’ai pas dit qu’il y avait réticence de ma fille ou quelconque réprobation, mais seulement un étonnement à mettre d’emblée en perspective son père et ce milieu. C’est sans doute lié à sa méconnaissance d’ailleurs, dès que j’ai pu répondre à ses premières questions, tout fut plus facile ». « Si je ne suis pas certain qu’en me dévoilant, elle ait com-pris le sens de ma démarche, en revanche, j’ai pu percevoir la confiance qui nous unis et ça vaut tout l’or du monde !». Jean-Baptiste écoutait, je le sentais sur la réserve. Tout à coup comme souvent le font les personnes au caractère ré-servé, il s’adressa à moi presque brutalement comme par défi : « Ecoute Jean, bien sûr que notre engagement peut être entendu de notre entourage le plus proche mais fau-drait-il encore que l’on sache l’expliquer pour le faire com-prendre aisément, savoir ce que concrètement cela trans-forme en nous. Par exemple, tu saurais témoigner des chan-gements opérés en toi ?

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Couteaux et fourchettes s’étaient soudain tus, les quelques personnes voisines de cette discussion prenaient conscience que celle-ci allait sortir des poncifs habituels et peut-être délivrer des sentiments plus évidents à comprendre. « Jean-Baptiste a raison, je vais tenter d’être concret et sur-tout honnête. Même si tout ne s’explique pas, il est indénia-ble qu’en moi, des changements notables dans la façon d’aborder les choses et de les appréhender ont considéra-blement modifier mon comportement. Où, plus précisément, si les émotions, sensations et réflexes s’adressent à moi et me parviennent comme lorsque j’avais vingt ans, on ne se refait pas, ce que j’ai appris de moi-même en franc-maçonnerie m’oblige à une retenue. Ça ne fait pas de moi une autre personne ou un hypocrite, pas du tout, bien au contraire, j’ai appris à comprendre mon carac-tère, ma façon de réagir et, à vaincre mes passions où cet élan naturel de ma personnalité, j’ai acquis une réserve face à moi-même. En ce sens, la tolérance devant s’adresser à tous, doit d’abord s’appliquer à soi. Prendre en compte nos propres fragilités, nous rend plus fort à l’écoute des choses, des problèmes ou tout sentiment que nous rencontrons. Voilà le changement principal que la franc-maçonnerie à pu opérer sur moi ». Alain avec Laure m’écoutait, il me dit : « Tu veux dire quoi, que tu t’obliges, te contrains…mais tu deviens qui dans tout ça ? ». « Pas du tout Alain, ce n’est pas ce que je dis. J’ai conscien-ce bien au contraire, d’être resté exactement le même. Je frémis et ressens avec la même émotion tout ce qui me par-

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vient, mais ma façon de réagir s’est construite. Avant tout, en retenant les leçons de mes propres expériences, ce que je ne faisais ou n’étais pas capable de faire auparavant ». « Vois-tu, continuais-je, ma grand-mère que j’adorais, avait ce défaut qui vient souvent avec la vieillesse, de rabâcher au quotidien des choses toutes simples. Pourtant, une parmi d’autres, m’agaçait au plus au point. Dès que nous devions sortir et qu’il pleuvait, elle répétait sans cesse : Bon sang, il pleut, ça va encore mouiller ! Je lui répondais : Mamou, tu ne découvres plus rien de nouveau là-dedans, oui, quand il pleut, ça mouille ! En fait, ce qui m’étonnait dans sa sempiternelle remarque, était que l’on puisse tout une vie, revenir et ressassé ce que l’on sait déjà. Mon sentiment est bien différent. Une fois que l’on sait, qu’on a appris quelque chose ou qu’un constat a été fait, il faut le prendre pour acquit et ainsi pouvoir avancer. Retenir la leçon des êtres ou bien des choses qui nous entourent, apprendre, retenir et accepter permet de passer à la suite, à avancer ». « Indéniablement, l’exercice de la Franc-maçonnerie m’a, sur ce point, aidé à me comprendre mieux et bien sûr, à m’accepter ». Claudine, une invitée du couple qui était présente, intervint amusée : « Oh là là, et bien les garçons, vous faites de plus en plus fort ! La Franc-Maçonnerie, voix de sagesse, il ne manquait plus que ça ! » Dit-elle avec son impertinence ha-bituelle. « C’est curieux ce que tu dis mais pas totalement éloigné de ce que je pense en fait ». « J’ai effectivement, au regard de biens d’autres façons que cela puisse être considérer ainsi.

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Mais alors, c’est une voix parmi d’autres, elle parle à cer-tains et pas à tous. Et surtout, elle ne peut être réduit pas qu’à ça ». « Dans un autre ordre d’idée, il m’est arrivé de comparer mon engagement à l’apprentissage d’une philosophie. J’ai d’ailleurs une amie qui a fait un parcours intéressant en pratiquant depuis de nombreuses années l’indouisme, et nous avons trouvé, dans nos conversations des points de convergence très intéressants. Par exemple, concernant l’épanouissement de soi. Beau-coup d’entre nous et plutôt dans nos civilisations occidenta-les, considèrent cela comme futile ou au mieux, égoïste. Seulement voilà, savoir être soi, chercher à se comprendre soi-même est une étape indispensable au bonheur. C’est ce que les orientaux appelle atteindre la paix intérieure. Ga-gner cet état permet évidemment d’être mieux sinon d’être totalement heureux, mais surtout d’être mieux avec les au-tres. Avez-vous remarqué le nombre de personnes atones, tristes, parfois limite dépressives autour de nous, ayant perdues toutes convictions et se laissant juste porter, attendant dès le lundi que le prochain week-end arrive…pour vous avouer pourtant que ce fameux week-end, elles se sont ennuyées à mourir… Et qui pourtant, au détour d’une conversation, n’auront de cesse de vous convaincre que de toute manière, avant elles-mêmes, il y a les autres, leur femme, mari, com-pagnon, enfants et amis. Bref, que l’important, pour eux, ce sont les autres… Alors, c’est bien et certainement très beau (il serait d’ailleurs intéressant de s’interroger sur les motivations pro-fondes de ce « don de soi »…), je pose juste une question,

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que peut-on attendre de quelqu’un qui va mal ? De quelle nature est cet apport ? Quelle confiance peut-on recevoir d’une personne qui précisément, dit ne pas se faire confian-ce ? Que peut-on recevoir d’amour de quelqu’un qui ne s’aime pas lui-même ? Que peut-on attendre de quelqu’un qui n’a pas pris le temps de se s’entendre, de se compren-dre elle-même ? J’ai des doutes, de très gros doutes !… Cette amie a cultivé durant toute sa vie une philosophie ap-pliquée chaque jour : être d’abord « bien » elle-même. Bien dans sa tête et dans son corps. Ses moyens sont les siens, méditation quotidienne, exercices de respiration, lectures et divers travaux… Cette façon de « descendre en soi-même » lui permet de prendre du recul sur les choses et surtout des idées négatives nuisibles ou qui ne lui apportent rien. Faire ce point quotidien lui permet une sorte de détache-ment pour se concentrer sur ce qui la fait vibrer. Si toutes les approches pour chacun d’entre nous, sont différentes pour tendre à un tel état, la sienne est convaincante, je vous l’assure ! Elle est visiblement en accord avec elle-même. Plus claire avec ses émotions, ne confondant pas les causes et leurs conséquences. Plus mûre pour prendre ses déci-sions, systèmes ou changements de cap, elle regarde sa vie sans peur, se sentant capable de tout et de toutes les auda-ces…Résultat, Isabelle est « rayonnante » et du coup, son entourage profite de son rayonnement, du meilleur d’elle même. J’ai constaté qu’être « d’abord à soi » est la façon la plus positive d’être mieux avec soi-même, et donc par conséquent, avec les autres ». « Et votre travail en Franc-maçonnerie s’apparente à cela ? » reprit Claudine. « Pour une part, oui, indéniablement. C’est

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en cela qu’on peut la nommer voix de sagesse. Mais cela ne peut être réduit à une recherche de bien-être uniquement. Il convient que cette voix intérieure, concoure à la voix de conscience par la voix spirituelle. C’est ça, être Maçon, mais si le moyen consiste d’abord et avant tout travailler sur soi-même pour sonder notre intériorité, l’objectif est de parve-nir à un état de conscience de chacune de nos pensées, de nos actes et tenter d’approcher la réalité de la vraie Lumiè-re ». Vraie lumière… suspendus à cette formule, qui curieuse-ment ne semblait pas vraiment claire, tous, autour de la ta-ble, écoutaient attentivement nos échanges. Hardie, Hélène, une amie de Claudine s’exclama : « Je suis vraiment impres-sionnée d’être entourée d’autant de types bien ! ». « Ah ça ! c’est malin !» répondit joyeusement Bernard, un frère. « Si tous les Francs-maçons étaient des hommes d’exception, cela se saurait ! » répondis-je. « Disons qu’ils tendent à l’être, ils viennent avec ce qu’ils sont : des êtres imparfaits, soumis à leur histoire personnelle, parfois quelques névro-ses et beaucoup d’incertitudes ». « Ils apprennent à parler sincèrement avec leur coeur, ils se cherchent et avec coura-ge en essayant de se respecter ! ». « Entrer en Franc-maçonnerie, c’est chercher, souffrir, per-sévérer. Et peut-être atteindre un état de conscience qui fait de soi quelqu’un de plus éveillé qu’un autre. Pas meilleur, mais responsable de ses actes. Après, chacun choisi libre-ment sa voix ». Claudine attentive, avait écouté l’échange et reprenait la discussion avec le désir évident d’en découdre. Mais, man-

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quant de simplicité, à l’endroit où sa timidité se révélait, elle préféra avoir recours à l’humour … Je jouais le jeu avec complicité, attentif à ses remarques, m’attachant au fond, plus qu’à la forme. Sciemment provo-cante, elle posa d’ailleurs une dernière question ; « Mais alors, dis-moi, ce que tu es en train de nous décrire, c’est carrément une psychothérapie !? »… Nous éclations tous d’un même rire. « Il m’est difficile de te répondre à ça. D’abord je ne m’y connais en rien dans ces choses-là. D’emblée je te répondrais non. Du moins pour le sens que j’en connais, car ce ne peut-être l’objectif recher-ché d’une démarche initiatique. En revanche, on peut bien admettre que si l’idée présente de « l’édification d’un tem-ple symbolique universel » additionnant les pierres repré-sentées par tous les frères qui y travaillent, on peut convenir que l’introspection personnelle que nécessite une telle en-treprise pour que se fonde « un collectif d’harmonie et d’amour », peut s’apparenter à une sorte de psychothérapie pour certains d’entre nous, notamment par ce quelle nous révèle ». « Disons que l’objet est absolument différent mais que les moyens et les voies utilisées peuvent amener à y voir quel-ques similitudes…un peu comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir… ». « Eh bien, vaste programme, messieurs ! » Claudine conclut la conversation par cette pirouette mais insista pour me dire l’intérêt qu’elle aurait à reprendre celle-ci. Quand tu le voudras …pensais-je, car elle était jolie Claudi-ne, avec ses yeux noirs pétillants des femmes malicieuses qui s’appliquent tantôt à s’aligner au fonctionnement des hommes, tantôt à bien marquer leurs différences surtout

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quand ça les arrangent, tout cela avec une précision inso-lente qui lui donnait du chien.

La chaleur cognait fort sur le préau et la fraîcheur des étangs alentours, avait du mal à nous parvenir. Des « santés d’ordre » étaient alors portées. Les hommes se levaient au grand étonnement des femmes présentes. Seuls, ces petits signes nous rappelaient que cette sortie familiale comme nous en avons tous connu, était différente. Qu’ils mar-quaient la volonté, la rigueur voulue et souhaitée par nous, Maçons, de saluer ainsi la chaîne de transmission de tous ces hommes qui, jusqu’à nous, ont pratiqué la Maçonnerie dans le même engagement à rechercher la perfection en soi dans l’idéal d’un monde meilleur et plus fraternel. Naïfs peut-être mais nos femmes à nos côtés, devaient sentir cette conviction car plus aucune à ce moment précis, n’arborait ce petit sourire gentiment moqueur ou condes-cendant au coin des lèvres. Devant ces coutumes surprenantes, elles étaient simplement respectueuses et complices de cette ambiance recueillie et profonde… Puis, les rires et les bruits du chahut des enfants repre-naient le dessus ainsi que les bavardages des adultes. Cha-cun se levant et allant se resservir au buffet. Cette journée à la campagne, s’étirait au rythme du soleil de cette fin d’après midi. Déjà les claquements de quelques portières indiquaient le départ des uns et des autres. Nous prîmes congé et rentrions avec Jean-Baptiste.

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La petite Alfa roulait plein vent, le soleil jouait de ses reflets sur les bordures chromées du pare-brise, nous aveuglant parfois au point que je proposais à mon ami de nous arrêter quelques instants C’était dans un virage. Mauvais arrêt, presque dangereux. Mais qui pourrait passer là, dans cet endroit perdu de cam-pagne où, depuis plus de dix minutes, nous n’avions croisé personne ni même une seule auto ! Silencieux, nous étions à contempler avec Jean-Baptiste la campagne à perte de vue, ces collines doucement vallonnées d’où monte une légère brume de chaleur accumulée. Puis, vint le couché de soleil que nous regardions comme deux grands dadais, là-bas vers l’occident, à l’opposé de cet orient magique et prometteur. Cette journée avait été sublime et douce, les frères étaient heureux et moi aussi.

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Chapitre V

Vous avez dit Maître ?

« On ne connaît que les choses qu'on apprivoise ». Que Saint-Exupéry fut ou non Franc-maçon, n’a pas d’importance. Il l’était assurément par les yeux de son cœur. Cette étoile qui guide le Petit Prince est exactement celle qui doit nous guider, nous gouverner, pour interroger notre conscience. Le compagnon que j’étais alors avait bien com-pris que celle-ci se situe à l’exacte intersection du très bas et du très haut spirituel. Le Franc-maçon, cherchant, persévérant et souffrant dans sa quête part de tout en bas, du plus profond de lui-même, il avance vers la lumière qui se lève et lui vient de l’Orient.

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Cette lumière est son idéal. Pour certain, elle peut se limiter à soi. Pour d’autres, elle est évocatrice de l’Etre supérieur qui nous gouverne, le Grand Architecte de l’Univers. Peu importe au fond, elle constitue ce qui relie les hommes de bien aux autres hommes. Par là, se créé l’obligation de comprendre en conscience chacun de nos actes, travailler à être dignes par une conduite irréprochable chaque jour, à cultiver cet idéal. Bref, habiter en cœur et en conscience notre existence pour donner du sens à la vie. « Mes Frères, debout et chapeaux bas, apprêtez-vous à rece-voir votre Vénérable Maître ! ». A la tenue suivante, nous avions le bonheur de recevoir des frères visiteurs de passage comme cela est souvent le cas en Franc-maçonnerie. Les Frères invités à voyager, vont, au gré de leurs déplacements professionnels, rencontrer d’autres frères d’autres Loges de toutes les régions de France et d’ailleurs… Ce soir, c’était l’inverse. Des frères venus en délégation du Danemark nous rendaient visite. Difficile de communiquer lorsqu’il s’agit de Danois ! Tous étaient là devant un verre, fraternellement partagé. La dégustation de vin organisée par un de nos Frères, nous laissa dépité : les trente gaillards avaient siphonné les bouteilles sans s’embarrasser des ex-plications de notre œnologue d’un soir. Interloqué, notre Frère regardait les cadavres de bouteilles alignés sous l’œil goguenard de nos Frères Danois peu rassasiés… Pourtant, la délégation de ces Frères visiteurs rentra en Lo-ge dans un ordre impeccable, suivi par l’aréopage Provincial dont le Très Respectable Grand Maître Provincial tenait la tête.

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Après les échanges protocolaires dus à leur rang, divers dis-cours sur la Fraternité des hommes furent échangés et ren-forcés par le fait que sans partager la même langue, nous recevions le message au cœur. Il est effectivement à ce point incroyable que sans parler le français ni le comprendre, leur comportement, visage et sourire portaient la conviction de leur message. J’ai cru même un moment que je connaissais le danois !... C’est dans ces instants là que nous nous sentons plus Franc-maçon encore. Prendre la mesure, quelque soit votre origine, nationalité ou niveau culturel où social, que vous partager des valeurs du cœur les plus fortes qui unissent les hommes, c’est une communion spirituelle que je vous invite à connaître un jour. Ces moments sont rassurants pour moi mais bien plus encore lorsqu’ils expriment ce en quoi je crois. Nos idéaux, nous les envisageons souvent sans constance et c’est sans doute pour cette raison qu’il ne reste qu’au stade de belles intentions… Les voir vivre par un groupe d’hommes, signe une extrême vivacité et donc leur indénia-ble vérité. Le lien qui nous unis, jamais je ne l’ai senti aussi fort qu’en étant compagnon. Tôt, j’avais l’envie de partager avec les jeunes apprentis récemment initiés. Comprendre que cette démarche que l’on nomme les Loges bleues et dont les trois degrés universels sont Apprenti, Compagnon et Maître, ne peut être une fin en soi mais un commencement. C’est lors de mon élévation au grade de Maître que justement j’allais le comprendre comme un ouvrier qui aurait lors de son ap-prentissage, remplit sa caisse de tous les outils pour travail-ler. Il me resterait alors qu’à me mettre au travail !

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J’avais été « élevé » depuis quelque temps déjà presque sans m’en rendre compte hormis le merveilleux endroit où cela s’était déroulé qui restait gravé en moi. Non pas que la cé-rémonie qui vous fait « Maître » ne soit pas un souvenir par-ticulier, fort et inoubliable, mais comme à l’école, si l’on est studieux, les classes se succèdent presque naturellement, sans à coup et le parcours s’accomplit de soi. L’avancement en Franc-Maçonnerie est si personnel qu’aucun plan de carrière ne pourrait s’y concevoir. Le moteur principal est votre envie, votre capacité révélée à faire vivre votre enga-gement, à travailler, visiter d’autres loges, d’autres rites et par comparaison mieux comprendre le sien. C’est vouloir comprendre ce qui n’est qu’intangible, presque invisible, c’est chercher, persévérer et souffrir encore et encore, sans fin…et l’accepter. Mais à l’inverse, pourrait-on concevoir que l’homme puisse trouver sa vérité ? Que tout ceci puisse avoir une fin comme un bon film américain ? Tout est fluctuant, bougeant et in-saisissable, nous courrons après nous-mêmes toute la vie…mais nous cherchons. C’est là, la seule et unique ambi-tion d’un Maître Maçon et plus on avance plus s’ancre les vertus de l’humilité, du doute mais aussi, de la force d’une conscience éveillée, petit début vers la sagesse. Je participais à la vie de la Province par enthousiasme, conviction et passion bien sûr mais surtout pour le plaisir que j’avais à échanger, partager et débattre des idées et pro-jets que tous voulions mettre en œuvre afin que l’on connaisse mieux le sens de ce que nous étions et ce qui pouvait être le sens de nos de nos travaux. Un projet avait particulièrement demandé une attention soutenue. Celui-ci, imaginé et mené par mon frère Jacques, devait animer des

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journées Portes ouvertes. L’idée en était simple, visite de nos lieux par le public le plus large possible qui ainsi, pren-drait mieux la mesure de ce que nous étions vraiment. Ces actions ou plutôt ces démonstrations simples, sont efficaces, car nous sommes au contact du public et il peut nous inter-peller selon ces besoins, sa curiosité en toute spontanéité concernant la réalité concrète de la démarche maçonnique. Il nous restait à mettre en œuvre une sorte de fil rouge. Jacques m’avait entretenu quelques mois auparavant de son idée et souhaitait m’y associer connaissant mes ressources d’imagination en la matière. « Tu vois, le thème serait « Une Loge de Francs-Maçons comme si vous y étiez »...qu’en penses-tu ? ». J’appréciais beaucoup cet homme, sous son apparente allure psychorigide qui en bloquait plus d’un, c’était un monstre d’humour, de gentillesse et d’attention. J’ai toujours aimé les doubles personnalités. Cette partie qui apparaît des hommes au-delà de ce qui semble, témoi-gnant ainsi de la curiosité de gratter la carapace. Jacques était souvent tout en retenu mais sous la cendre, le feu brû-lait et se montrait intense de passion et d’envie. Je répon-dais que le concept me séduisait beaucoup et qu’il nous fal-lait établir un scénario pour le déroulement de cette anima-tion. « L’idée, reprit-il, serait de mettre des mannequins en situation, habillés de nos tenues et décors ». Cet aspect figé de la Loge permettrait deux avantages : le premier, obligeait à se concentrer sur le texte et la musique qui serait donnés à entendre; le deuxième, était qu’ainsi on montrait sans découvrir vraiment, respectant ainsi l’intimité de nos cérémonies et l’anonymat de tous nos frères ». Il fi-nissait de me convaincre, j’acceptais avec bonheur de contribuer en scénarisant son idée.

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Un autre de nos frangins, musicien talentueux finaliserait la bande son afin que l’animation puisse donner un spectacle de qualité, vrai et sensible… Le jour dit était très vite arrivé, nous étions prêts. Non seu-lement le public avait répondu présent mais il était partout. Les Temples de l’étage et du rez-de-chaussée étaient bon-dés ! Dans les salles de restaurant, des frères expliquaient l’Agape, ce prolongement du travail réalisé en atelier autour d’un repas fraternel. Les gens découvraient ainsi la mise en place de la table reconstituant la Loge. Mais aussi, dans le bureau du Grand Maître Provincial, jusque dans la biblio-thèque, les frères animateurs présents répondaient avec leur cœur, aux multiples questions posées. A l’occasion de ces journées portes ouvertes, il avait été dé-cidé de laisser un accès total à nos locaux, nos outils, nos habitudes et à une partie de nos pratiques…dans les limites de l’acceptable pour un vrai Maçon. Si par sagesse et en respect de nos serments, il n’était pas question de dévoiler l’intimité d’une cérémonie d’Initiation, notre projet était de tenter d’en faire partager sa force et sa beauté. Comme convenu notre animation était prête. Dans le grand Temple, les mannequins vêtus et portant décors et insignes de leurs fonctions représentaient des Maçons dans la loge. Sans tête, figés dans un instant d’éternité, assis pour certains, debout sur les colonnes pour d’autres, éclairés dans la pénombre par ces quelques bougies dont peu de personne ne comprendrait l’importance, donnaient le sen-timent d’un atelier reconstitué, prêt pour l’ouverture des travaux.

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Puis les visiteurs entraient dans le temple. Ils semblaient tous impressionnés par ce lieu étrange, chargé de symbole sur les murs qu’ils devinaient à peine tant la pénombre les accueillait, un grand silence aussi. On les accompagnaient pour les installer de part et d’autre du grand carrelage noir et blanc appelé pavé mosaïque, semblant prendre place eux aussi comme des Frères l’auraient fait. La bande-son accompagnée de différents mouvements mu-sicaux s’élevait, faisant renaître Mozart et son génie…Tous les spectateurs présents étaient attentifs. Leur recueillement les renvoyait à l’histoire des Hommes…à leur propre histoi-re. La voix des témoignages enregistrés de frères expliquant ce qui les avait amené à rejoindre la Franc-maçonnerie, ponctuait et illustrait ce voyage hors temps, cette ballade dans l’intimité où chacun peut s’écouter au plus profond de lui-même. L’émotion montait à son comble lors de la chaîne d’Union qu’à la fin de cette animation, une simple invitation proposait. Déjà, tous s’étaient levés et spontanément pre-naient la main de son voisin et pouvait écouter une sorte de prière que font les Maçons dans un de leurs rites: “Le toast du Tuileur” : « A l'heure où nous allons nous séparer momentanément, recueillons-nous un instant, et tournons nos pensées vers tous les Francs-Maçons du Monde. Souhaitons à ceux qui sont heureux et puissants, la sagesse et la modération dans l'usage des biens de ce monde... Souhaitons à ceux qui sont malades ou malheureux, la santé et le retour au bonheur. Enfin, à ceux qui vont nous quitter, à ceux qui vont connaî-tre l'ultime initiation que le Profane appelle la Mort, souhai-tons leur courage et force devant l'Eternel Orient »...

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L’un après l’autre et sans discontinuer toute la journée, les groupes s’étaient succédés… A voir tous les visages de ceux qui sortaient du Temple, les arrivants supposaient le char-me indicible qui avait à l’évidence opéré et se montraient curieux et impatients du spectacle. Là-haut, dans l’autre Temple, je continuais les visites en expliquant ou en répondant aux multiples et diverses ques-tions de nos visiteurs. « Mais c’est quoi tous vos secrets? Vous avez beau dire que vous êtes simplement discrets, on a quand même le sentiment que vous avez le goût persistant du mystère ! ». S’égosillait la petite dame aux cheveux gris qui posait cette question. Elle avait un regard acéré comme une perruche ! Ses mains rapprochées sur le dépliant qu’on lui avait donné à l’entrée, donnaient l’impression qu’elle se tenait ferme à un perchoir. De sa voix stridente, la phrase prononcée fut incisive et dans le silence revenu, elle attendait sa répon-se. « Madame, il n’y a pas de mystère maçonnique à pro-prement dit, encore moins un intérêt de quelconque secret. Je vous invite à vous rendre dans n’importe quelle librairie, vous y découvrirez sans peine toute la littérature nous concernant. Vous y lirez l’histoire de la Franc-maçonnerie, ses rites, ses symboles parfois rangés dans un dictionnaire et ses cérémonies les plus intimes livrées à tous…C’est dire que pour des secrets, ça reste assez accessible ! Mais de même que si vous achetiez un ouvrage sur l’électronique, si vous n’en n’avez pas reçu l’enseignement, ni acquit une ex-périence en la matière, ce livre ne vous dira rien en fait, car il ne vous concerne pas…ou pas encore. Prenons encore l’exemple d’une belle randonnée que vous auriez eu la chance d’avoir fait. Découvrant une belle colline au bout de

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quelques heures de marche. Fatiguée, mais le sentiment plein d’avoir méritée votre arrivée au sommet, vous savourer le plaisir d’un paysage à l’horizon époustouflant…Mais, l’est-il vraiment en fait ? Pour vous, à coup sûr. Pourriez-vous pour autant partager ce sentiment et l’émotion qui est la vôtre en le racontant ? » En fait, là encore, rien ne vaut que pour celui qui accomplit, qui vit l’instant, qui découvre, qui aime. Etant à ce point impliqué dans une démarche personnelle qui n’a de sens que pour soi, pour en recevoir en retour, tous les bienfaits. En clair madame, il est des choses, des expériences qui ne peuvent être racontées, ni partagées. Non pas qu’on vou-drait les cacher mais l’émotion qu’elles portent allant par-fois jusqu’au bouleversement, n’est pas transmissible ». Loin de m’écouter parler, je sentais pourtant en moi un ton trop sûr presque déplacé, confinant à l’insolence. C’était juste l’élan de ma passion, ma volonté d’offrir à l’autre l’envie de connaître mais de suggérer aussi, l’implication que cela impose. Dire et répéter qu’ouvrir sa conscience aux choses de l’humanité, était s’ouvrir soi-même telle une boîte de Pandore pouvant vous emmener plus loin qu’on l’aurait souhaité… Je m’imposai donc de revenir au silence, au cal-me nécessaire marquant le respect dû à l’auditoire et à cette dame en particulier. A cet instant, je jetais un bref coup d’œil circulaire sur tout ce monde qui avait envahi nos locaux, démontrant le succès de notre initiative. Rien n’était de la curiosité déplacée, tou-tes les questions posées signifiaient une recherche de sens. Qu’est-ce qu’une démarche initiatique ? L’intérêt de la compréhension des symboles qui nous entourent ? La signi-

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fication de ces rituels maçonniques ? Que vient-on faire en Loge ? Cette quête éperdue de l’être humain, de l’autre, de soi-même… Tout autant, le sujet récurent de la trace de l’humanité et de la transmission. D’où venait la Franc-Maçonnerie, qui étaient ces acteurs principaux et surtout que signifiait être un Franc-Maçon en 2010 ? Au soir de cet-te manifestation, j’avais reçu largement « mon salaire » et j’étais content. Une réconciliation avec le genre humain, qui est un peu le début de la réconciliation avec soi-même. Nous faisions la preuve que la Franc-Maçonnerie pouvait s’ouvrir vers les autres, dire ce qu’elle est vraiment et rester dans l’intime sans dévoiler sa richesse. Elargir son champ de vision du Monde auquel elle prétend participer en disant toute son attention, lui permet indéniablement tout recro-quevillement qui lui serait fatal. Depuis les temps anciens des Maçons opératifs, l’action des Frères à toujours été por-tée vers et pour les hommes… rien n’avait changé. Revenu au bar après que cette belle journée ne soit termi-née, quelques personnes tardant à quitter ce cocon, se dé-saltéraient. Ultime satisfaction, j’apercevais ces yeux noirs et brillants qui avaient intercepté mon regard un fragment de seconde…tout à l’heure, au moment de l’interpellation de la petite perruche. Réels, Comme deux éclats de malice au mi-lieu de son visage ovale. Souligné rimmel, son regard s’était posé sur moi, je l’avais senti, je l’avais vu. Elle était là…devant moi, un verre à la main. Je réalisais soudain le risque à me tourner franchement vers elle, une très belle femme aux cheveux courts. Immobile pour mieux en profi-ter, je savais qu’elle m’avait vu et jouais merveilleusement

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l’impression du contraire. Comme un oiseau posé à quel-ques centimètres, je retenais mon souffle de peur qu’il ne s’envole…Mes doigts enserraient mon verre à le casser. Elle s’était approchée au point de comprendre l’appel, je déci-dais de croiser son regard à mon tour en me retournant. Je n’en eu pas le temps, sa main tapota mon épaule : « Bonjour, moi c’est Marie, je n’ai pas osé vous interrompre tout à l’heure mais j’avais une question… », « Bien sûr, que puis-je pour vous ? » Faisais-je en plus de l’étonné… « Je suis venue avec une amie intéressée par la Franc-maçonnerie et surtout pour comprendre ce que c’était et qu’y faisaient ces hommes depuis tant d’années. Ma ques-tion est toute bête. Pourquoi n’y a-t-il pas de femmes ? ». « Mais il y en a ! » répondis-je. « Ah, oui ? Et bien, elles semblent bien cachées ! ». Grande, belle, sa peau mate lui donnait une distinction discrète, élancée. Elle avait le souri-re éblouissant d’un éclat de soleil. Contente d’elle visible-ment et prenant conscience du temps de réponse que je n’avais pas encore faite, elle rajouta : « Vous étiez là depuis longtemps ? » tentais-je maladroitement. Elle répondit du tac au tac : «Non, mais vous ne répondez jamais aux ques-tions que l’on vous pose ? ». « Vous savez, nous aimons beaucoup les femmes » tentais-je pour garder la main. Enfin je voulais le croire car au fond, j’avais déjà perdu et le savais. C’est fou ce que les hommes peuvent être mauvais parfois ! J’en étais bien un. Intelligente ou opportuniste ou les deux, elle sauta ma ré-plique et enchaîna «Vous les aimez mais ailleurs, c’est ça ?! ». « Non, enfin oui…non, pas seulement ». J’étais dans la nas-se, pire, je me sentais comme un homard au court bouillon !

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« Alors, ces femmes, reprit-elle, elles ont une petite pla-ce ? ». J’étais à l’exacte croisée des chemin de ce type de situation, où, tout en maudissant de vous sentir prisonnier, dans l’instant d’après, vous y trouver un certain bon-heur….à l’abandon. Spectateur obligé, on est tout à coup plus réceptif à l’autre et à ce qui se passe. Cette femme était belle. Physiquement, sa silhouette longue était élégante. Son esprit acéré mais bienveillant soulignait un caractère bien trempé. Et surtout sa voix, posée et d’un calme…presque énervant. Bravache, elle paraissait timide presque fragile. La dépassant, sa force de caractère l’incitait à relancer l’échange. J’enchaînais les yeux dans les yeux : « Mais les Femmes ont toujours été pré-sentes en Franc-Maçonnerie…même si elles y sont entrées à la dérobée dès le XVIIIème siècle! Au fil du temps, elles se sont construit une juste place. Autant que les hommes, elles ont légitimement voulu re-vendiquer l’idée de la liberté et de la fraternité. Qui mieux qu’elles, donnant la Vie auraient pu être étrangères de ces combats essentiels la condition humaine ? Le paradoxe est qu’elles aient du se battre pour l’égalité…pour affirmer ces valeurs…et cela il est vrai, qu’elles ne le doivent pas au gen-re masculin ! Mais revenir sur ces raisons nous entrainerait trop loin du sujet, mais j’y reviendrais…courageusement ! ». « Un homme drôle en plus ! J’adore ça ! Pardonnez-moi, je vous laisse continuer » dit-elle amusée. « Pour faire court, reprenais-je, autant votre question aurait pu être un vrai débat, il y a quelques années, autant aujourd’hui, ce débat semble dépassé tant l’offre en Franc-Maçonnerie répond à toutes les souhaits. Obédience mixtes, féminines ou mascu-lines, répondent largement à une demande plurielle ».

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« Un peu court, jeune homme !... ». Me lança Marie, ajou-tant : « Me permettez-vous de vous appeler Jean ? ». Je ré-pondis oui. « Alors Jean, pourquoi avez-vous choisi une obédience exclusivement masculine ? ». « Marie, en premier lieu je dois vous avouer qu’un profane, s’il choisit de nous rejoindre librement parce qu’il partage nos idéaux, ne fait pas pour autant un choix d’obédience. Il suit celui qui l’a parrainé tout simplement. Au début, lorsqu’il a été initié, tellement de choses se sont offertes à lui : symboles, rituels, codes…bref, tout est compliqué et difficile à assimiler. Plus avancé sur son cheminement maçonnique, il lui sera loisible de choisir, d’abord le rite qui lui convient le mieux et bien sûr, l’obédience qui répondra le mieux à se aspirations. Un Franc-maçon restant avant tout, un homme libre…et de bonnes mœurs. Ma seconde raison, procède en revanche d’une opinion per-sonnelle qui risque de vous choquer mais il s’agit de ma conviction et n’engage que moi… ». « Vite, me dit Marie, je suis curieuse d’être choquée…! ». Devant ma réticence à continuer, elle me lance, mutine : « Courage Jean! Je suis sûre que je vous trouverais encore sympathique après ! ». De mon côté, j’en étais moins convaincu mais lui avoua : « Je ne crois pas aux vertus de la mixité en franc-maçonnerie ! ». J’ajoutais vite : « Ce que j’entends par là, n’est pas lié aux femmes en particulier mais plutôt au com-portement des hommes, souvent inconscients, au contact des femmes ». « Ouh là là, et qu’ont-elles les vilaines comme mauvaise influence ? » interrompit Marie pour me chicaner. « Imaginez un homme sans fard, ne prêtant plus attention à ce qui doit paraître mais se laissant à être tout simplement.

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Ce moment est rare. Il le devient au fil d’un long processus, au contact de ses frères et aussi d’un travail sur lui même, que le temps seul, permet d’apprivoiser. Mais si une femme devait alors se trouver là, il y a fort à parier que le charme exquis du sexe opposé, perturberait quelque peu le com-portement et sans doute, inconsciemment cet homme qui serait à son contact ». « Comme vous, là maintenant ?!! », m’asséna Marie comme un scud lancé à pleine vitesse. « B4 coulé ! » répondis-je beau joueur…ou essayant de le paraître. Et comme pour finir de croquer le pauvre gars que j’étais devenu, elle assé-na moqueuse : « Décidément, j’adore les hommes qui ne se laisse pas troubler ! ». Je la trouvais sublime et lumineuse. « Vous êtes toujours comme cela avec les hommes ? ». « Et vous, toujours ainsi à l’égard des femmes ?... Elle riait, moi aussi. Le temps sem-blait s’être arrêté, et une partie de ping-pong, c’était un bon début. « Plus sérieusement, je peux entendre certaines véri-tés dans vos propos mais vous ne m’empêcherez pas de vous trouver un peu « basic-macho » sur le coup !». « Marie, je vous propose d’en discuter une autre fois, mais j’ai aussi une question, je peux ? ». « Bien sûr » fit-elle. « Au delà d’une simple curiosité, j’ai le sentiment que vous avez un intérêt certain pour la Franc-Maçonnerie, je me trompe ? ». « C’est vrai, ça m’intéresse » répondit-elle, « les hommes sont mystérieux…ou ils sont de grands enfants, ou ils se prennent au sérieux, et dans tout cela, je ne sais trouver ce qu’ils sont vraiment…peut-être un peu des deux ? ». Je pen-sais la même chose mais n’avais pas le temps de le lui dire,

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elle répondit à son portable, raccrocha et me dit : « Mais je crois qu’on en reparlera une autre fois, il faut que j’y aille ». Puis elle s’est éclipsée aussi vite qu’elle était arrivée, comme un coup de vent. Debout entre les deux colonnes et les deux surveillants, Nous étions en Loge au grade de Maîtres, j’étais prêt à lire mon travail mais cette conversation m’avait laissé songeur et ne me quittait plus…ou c’était plutôt Marie en fait. Les frè-res attendaient mon travail. La lumière était baissée pour mieux accompagner la lecture. Je me lançais, offrant à l’auditoire une planche (c’est ainsi qu’on nomme un travail de Frère) sur le Chevalier Michaël de Ramsay. Très vite par le ton employé, ma lecture appliquée que j’espérais at-trayante, m’identifiait à ce chevalier, parcourant la France du XVIIIème siècle depuis l’Ecosse. Ils me suivaient tous à dos de cheval dans les brumes, et emmenais ainsi tous mes Frères rencontrer les personnages qui deviendront les fon-dateurs des justes et parfaites loges…les premières ! Sus-pendus à mes aventures, il m’écoutaient leur raconter Féne-lon, Montaigne, jusqu’à Montesquieu, tous ces esprits les plus éclairés de l’époque et fini par leur délivrer le fameux discours de Ramsay qui fera date comme un des textes fon-dateurs de l’esprit de la Franc-Maçonnerie. Que de lieues parcourues depuis cette demi-heure, le miracle de l’écoute, le rêve partagé de quelques auteurs immémoriaux était là, dans leurs yeux, leurs sourires signifiant un soutien indéfec-tible. Puis les questions, des compléments d’informations par des Frères plus instruits encore, enrichissaient notre débat. La soirée avait été belle et l’agape qui suivit, se dé-roulait dans cette même envie de partage…

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Maîtres, nous avions à offrir le meilleur de nous-mêmes, ensemble, sans retenue et comme des ouvriers qui auraient passé leur temps d’apprentissage à remplir leur caisse à ou-tils, aujourd’hui, ils semblaient commencer à savoir s’en servir…tout juste. A suivre...

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CHAPITRAGE

Chapitre I

Il était une fois… Le narrateur dit ce qui l’amène à la rencontre de la Franc-maçonnerie mais surtout, ce besoin d’interrogation personnel-le à un moment précis de sa vie. Et au-delà de ce qui a, jusqu’à présent, construit son histoire, comprendre ses fonctionnements récurrents, ces dénomina-teurs communs qui le fondent, points de départ déterminant ses orientations, sa vie…et du sens de sa démarche au-jourd’hui.

Chapitre II L’initiation et le temps du silence…

L’espérance de partages et d’échanges en franc-maçonnerie passe avant tout, par l’écoute et le silence ! Diffici-le de comprendre pour ce jeune maçon, que cette obligation soit le ferment essentiel du voyage initiatique qui commence à peine. Frustration, incompréhension et parfois décourage-

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ment accompagnent celui-ci dans sa démarche. Il en saisira plus tard le sens, mais pour accepter d’être écouté, il faut ac-cepter cette modalité : goûter au silence pour descendre en soi-même et peut-être, « entendre » ce que l’on est vraiment...

Chapitre III Le temps des questions…

Le narrateur raconte ici ses premiers progrès ; alors qu’on lui donne la possibilité de s’exprimer, il note que ce besoin n’est plus aussi essentiel. Où plutôt que se raconter est moins im-portant que de livrer l’impression curieuse « d’une extraordi-naire aventure personnelle qui ne peut se faire sans les au-tres »… !?

Chapitre IV Dessine-moi une Etoile…

Saisir le sens du travail en franc-maçonnerie dans une am-biance d’échange et de partage, est assurément le meilleur moyen d’apprendre et de grandir. Comprendre que l’être hu-main est au centre d’un système supérieur, sans chercher for-cément à le nommer, relève du premier apprentissage accom-pli. Le narrateur nous fait part de ce chemin si particulier du « Cœur »…

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Chapitre V Vous avez dit Maître ?

Convaincu des résultats de son travail et de son engagement et récompensé par le grade de « Maître », le narrateur nous fait part de ses progrès et par conséquent, de la prise de conscien-ce du chemin qu’il lui reste à réaliser, bref, c’est juste le vrai commencement… Déjà, son office comme pour tous les francs-maçons sera de transmettre à défaut d’instruire.

Chapitre VI Ce qui ne s’expliquera jamais…

Saint-Exupéry nous l’avait pourtant dit : « On ne voit bien qu’avec le cœur ». C’est dans cette aventure en Franc-maçonnerie, au coeur de la voix symbolique, que le narrateur nous explique avoir trouvé foi en l’Homme …et en lui-même.

Chapitre VII De l’ordre et du chaos…

Un commencement dans l’ordre, la paix et l’harmonie…Puis, ici comme ailleurs, gâché par l’homme avide, viendra l’heure du chaos. Notre héros, destabilisé, tentera avec peine de com-prendre la symbolique du Texte à l’aune de la réalité offerte par les Hommes. A l’épreuve des difficultés, le lecteur mesure-ra tel un anthropologue, la force de conviction de cet aventu-rier maçonnique…

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Epilogue Si compliqué de faire simple…

Peut-on réussir sa propre transformation, perdre sa chrysalide et devenir papillon ? Nul n’est besoin d’être ou de devenir un jour Franc-maçon pour y arriver. La franc-maçonnerie est avant tout « un support », avec ses rites et ses codes. Son avan-tage essentiel est qu’elle est l’héritage de traditions humaines transmises depuis des siècles, conférant à ceux qui la prati-quent quelques progrès essentiels à leur propre vie : aimer et s’aimer soi-même pour un jour, être aimé de l’Autre.