journal du cnrs · 2009. 9. 3. · 6 viedeslabos reportage viedeslabos 7 le journal du cnrs n° 236...

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dépasser les frontières ZOOM Anniversaire Comment Jean Perrin a fondé le CNRS il y a 70 ans Qui sont vraiment les jeunes ? N° 236 SEPTEMBRE 2009 Entretien avec Catherine Bréchignac et Arnold Migus RÉFORME UN NOUVEAU CONTRAT POUR LE CNRS

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dépasser les frontières

ZoomAnniversaire

Comment Jean Perrin a fondé le CNRS il y a 70 ans

Qui sont vraiment

les jeunes ?

N° 236 SEPTEmBRE 2009

Entretien avec

Catherine Bréchignac

et Arnold migus

RéfoRmE

Un noUveAU contrAt

poUr le cnrS

sommaireLe journal du CNRS

1 place Aristide-Briand92195 Meudon Cedex Téléphone : 01 45 07 53 75Télécopie : 01 45 07 56 68Mél. : [email protected] journal en ligne :www2.cnrs.fr/presse/journal/CNRS (siège)3 rue Michel-Ange75794 Paris Cedex 16

Directeurde la publication :Arnold MigusDirectricede la rédaction :Marie-Hélène BeauvaisDirecteur adjoint de la rédaction :Fabrice Impériali

Rédacteur en chef adjoint :Matthieu RavaudChef de rubrique :Fabrice Demarthon

Rédactrice :Anne LoutrelAssistante de la rédaction et fabrication :Laurence WinterOnt participé à ce numéro :Kheira BettayebJean-Philippe BralyPatricia ChairopoulosAlexandra DejeanCamille LamotteSebastián Escalón Mathieu GroussonXavier MüllerPhilippe Testard-VaillantSabine VaillantGéraldine VéronCharline Zeitoun

Secrétaires de rédaction :Olivia DejeanAnne-Solweig GremilletConception graphique :Céline HeinIconographe :Marie GandoisCouverture :P.Brault/OEIL PUBLIC ; CNRS/Palais de la DécouvertePhotogravure :Scoop CommunicationImpression :Imprimerie Didier Mary6 route de la Ferté-sous-Jouarre77440 Mary-sur-MarneISSN 0994-7647AIP 0001309Dépôt légal : à parutionPhotos CNRS disponibles à :[email protected]://phototheque.cnrs.fr/

La reproduction intégrale ou partielledes textes et des illustrations doit faire obligatoirement l’objet d’unedemande auprès de la rédaction.

Un supplément de six pages « Le contrat d’objectifs du CNRS avecl’État 2009-2013 » est diffusé avec cenuméro.

SOMMAIRE 3

Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

VIE DES LABOS P. 6.> REPORTAGEUnis pour vaincre le diabète> ACTUALITÉS P. 8Les derniers résultats de la recherche > MISSION P. 12Passer le littoral au laser

INNOVATION P. 14 Soigner grâce aux peptidesEntretien avec Robert Zimmer

PAROLE D’EXPERT P. 16 Dur, dur d’être un artisteEntretien avec Pierre-MichelMenger

RENCONTRE AVEC P. 17.Le charme discret de l’arithmétiquePortrait de Jean-Loup Waldspurger

L’ENQUÊTE P. 18.

Qui sont vraimentLES JEUNES ?La longue route vers l’âge adulte > 19 Ces jeunes qui flirtent avec les limites > 24

ZOOM P. 28.Le CNRS a 70 ansRetour sur la création du CNRS à l’initiative de Jean Perrin et surson histoire jusqu’à aujourd’hui

IN SITU P. 32Un nouveau contrat pour le CNRSEntretien avec CatherineBréchignac, présidente du CNRS, et Arnold Migus, directeur général

HORIZON P. 36> ILS ONT CHOISI LA FRANCE ET LE CNRSUne Anglaise à ParisPortrait de Rachel Sherrard

GUIDE P. 38Le point sur les livres, les expos, les films, les manifestations…IN SITU > Un nouveau contrat pour le CNRS, p. 32

VIE DES LABOS > Passer le littoral au laser, p. 12

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VIE DES LABOS >Sur les traces d’un charançon disparu, p. 8

Dans le n° 234-235,p. 26, l’auteur del’illustration représentantun poisson Edestide est Alain Bénéteau.

RECTIFICATIF

© F. Guiter/IMEP/CNRS

ÉCLATS4

Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

Pour la première fois, deschercheurs sont parvenusà restaurer les cellulesnerveuses détruites par la maladie de Parkinson en greffant à des sourismodèles de nouveauxneurones. La maladie deParkinson se caractérisepar une dégénérescencede certains neurones de la substance noire, une zone du cerveau située dans la région dite du mésencéphale. Ces neurones, quisécrètent la dopamine,relient la substance noire àune autre zone, le striatum,et forment ainsi ce que les spécialistes appellent

la voie nigrostriée. Chez les patients parkinsoniens,cette voie est lésée.Jusqu’à maintenant, l’une des approchesthérapeutiques – plus ou moins efficace –consistait à greffer desneurones embryonnairesdirectement dans le striatum afin d’y rétablirles niveaux de dopamine.On pensait en effet que, chez les adultes, lesneurones ne repoussaientpas. En théorie, des cellulesgreffées dans la substancenoire ne parviendraientdonc pas à se projeterjusqu’au striatum. Les chercheurs de l’Institut

de physiologie et biologiecellulaire 1, à Poitiers,viennent de prouver lecontraire. Afsaneh Gaillardet ses collègues ont montréque des neuronesembryonnaires dumésencéphale greffés dansla substance noire de sourisatteintes de la maladie sedéveloppent correctementen neurones sécrétant de la dopamine etrejoignent le striatum. Cettereconstruction de la voienigrostriée s’accompagnealors d’une récupérationfonctionnelle. Ces résultatsoffrent donc de nouvellespossibilités thérapeutiques.1. Institut CNRS / Université de Poitiers.

Ô LE SUCCÈS SCIENTIFIQUE

Des neurones migrateurs pour soigner Parkinson

Le 30 juillet 2009, le CNRS, le CEA et l’Institut français du pétrole (IFP)ont créé l’Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie (Ancre). Elle a pour butde « mieux coordonner et derenforcer l’efficacité des recherchessur l’énergie menées par les diversorganismes nationaux ». Ainsi, elledevra favoriser les partenariats entreses membres, sachant qu’en plus des trois fondateurs, de nombreuxorganismes sont impliqués en tantque membres associés (CPU, Ifremer,Andra, BRGM, CSTB, Ineris, IRSN,

Inrets, Onera, Inra). Mais elle auraaussi pour missions de « proposer,dans le cadre de la politique nationalede l’énergie définie par l’État, une politique de recherche et de développement commune »,allant de la recherche fondamentale à des résultats de rechercheappliquée, ou encore d’identifier les différents verrous – scientifiques,économiques ou sociétaux – quibloquent le développement industrielde telle ou telle filière énergétique. > www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/CP_ANCRE_Vf_cle6fbb1b.pdf

Ô L’ÉVÈNEMENT

Une énergie très collective FLORILÈGE DE PRIX POUR LE CNRSCette année, la Société européenne de physique a décerné son prestigieux prix de la division « Physique des hautes énergies et des particules » à la collaborationGargamelle. Cette expérience menée au débutdes années 1970, qui a impliqué le Laboratoirede l’accélérateur linéaire (CNRS-IN2P3 /Université Paris-XI) et le Laboratoire Leprince-Ringuet (CNRS-IN2P3 / Écolepolytechnique), a permis la découverte de nouvelles interactions entre les neutrinos,appelées « interactions par courants neutres ».

Par ailleurs, quatorze chercheurs du CNRS ont reçu les grands prix 2009 de l’Académie des sciences. Citons parmi euxJean-Claude Laprie, du Laboratoire d’analyseet d’architecture des systèmes (Laas),fondateur de l’école française de la sûreté defonctionnement des systèmes informatiques,qui s’est vu décerner le grand prix de la Fondation d’entreprise EADS en informatique. Ou encore Laurent Meijer,de la Station biologique de Roscoff (CNRS /Université Paris-VI), lauréat du grand prixÉmile-Jungfleisch pour ses travaux sur lesprotéines kinases. Au total, 35 chercheursCNRS figurent parmi les lauréats des 76 prix2009 de l’Académie.

> www.academie-sciences.fr

Ô19%C’est le pourcentage de projets lauréats du 11e Concours national d’aide à la création de technologies innovantesissus du CNRS. Cette année, 171 projets ont été sélectionnés sur plus d’un millier de candidatures. Pas moins de la moitiémettent en œuvre des résultats de la recherche publique, dont une trentaine du CNRS. Les projets concernent sixdomaines : l’informatique, la chimie et les matériaux, la mécanique, la santé et les biotechnologies, le génie des procédés et enfin l’électronique et les télécommunications. Les lauréatsbénéficieront d’une aide pouvant atteindre450 000 euros pour financer leurs projets.

> Le palmarès surwww.enseignementsup-recherche.gouv.fr

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’adolescence » entendue comme concept pour désigner

une période de la vie n’a pas toujours eu cours. La notion

a été « inventée » par les psychologues au début du

XXe siècle pour décrire et analyser la « crise » qui suit les

transformations psychologiques et physiologiques liées

à la maturation sexuelle. Ce point de vue a longtemps dominé

dans les sciences humaines où les spécialistes reconnus de l’ado-

lescence étaient des médecins, des psychologues ou des psychia-

tres. Cette perspective permettait d’ailleurs de situer assez préci-

sément le début de l’adolescence, surtout pour les filles grâce aux

premières règles. Les statistiques rassemblées à ce sujet ont d’ail-

leurs montré que l’adolescence physiologique était devenue plus pré-

coce, passant de 13–14 ans à 12–13 ans en un siècle.

Les recherches, complétées par des enquêtes épidémiologiques,

ont également porté sur les troubles de l’adolescence. Sur ce point,

les travaux de psychiatres de l’adolescence ou d’épidémiologistes ont

apporté des connaissances précieuses. Marie Choquet, de l’Inserm,

par exemple, a dressé récemment une cartographie précise des

addictions, des conduites déviantes ou à risque des adolescents, en

montrant notamment leur caractère très sexué : en résumant à gros

traits, les filles sont dépressives et les garçons sont violents.

En parallèle à ces recherches de nature psychologique ou épidé-

miologique, une autre approche, anthropologique et sociologique,

a commencé à se développer depuis quelques années en envisageant

l’adolescence comme un nouvel âge de la vie en formation. La rai-

son de ce nouvel intérêt des sciences sociales est liée à des trans-

formations de la nature même de l’adolescence. En effet, celle-ci tend

sociologiquement à se distinguer de plus en plus nettement des deux

âges qui l’encadrent : l’enfance et la jeunesse

plus avancée. Les adolescents modernes ne

sont plus des enfants, au sens où ils disposent

aujourd’hui d’une grande autonomie par rap-

port à leurs parents dans la gestion de leurs

déplacements et de leurs relations amicales.

Mais ils ne sont pas non plus des jeunes adul-

tes car ils ne disposent d’aucun des attributs de l’indépendance : ni

logement personnel ni, sauf exception, revenus propres. C’est cette

combinaison inédite de l’autonomie et de la dépendance qui défi-

nit l’adolescence moderne et justifie un nouveau regard des scien-

ces sociales sur elle. De nombreux travaux anthropologiques récents

portent donc sur cette nouvelle « autonomie relationnelle » des

adolescents qui a bien sûr été amplifiée par l’extraordinaire déve-

loppement des nouvelles technologies de la communication.

Mais l’adolescence ne forme pas toute la jeunesse : la période qui

va de la fin de l’enfance à l’entrée dans la vie adulte se décompose

aujourd’hui en plusieurs phases très distinctes. Car si l’autonomie

culturelle est de plus en plus précoce, l’indépendance économique

et la stabilisation familiale sont de plus en plus tardives et progres-

sives. Ainsi, à l’adolescence peut succéder une forme de « post-

adolescence » qui combine autonomie et semi-dépendance à l’égard

des parents (les étudiants vivant dans un logement séparé des

parents tout en étant toujours à leur charge) et de jeunesse plus avan-

cée qui rassemble tous les attributs de l’indépendance économi-

que tout en repoussant le moment d’entrer dans les rôles fami-

liaux (les jeunes, de plus en plus nombreux, qui vivent seuls pendant

quelques années avant de fonder une famille). De nombreux travaux

portent donc sur ces transformations du début du cycle de vie et sur

la redéfinition du processus de socialisation qui les accompagne.

5ÉDITO

Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

éditoedito

Regards croisés sur la jeunesse

Olivier GallandDirecteur de recherche CNRS au Groupe d’étude des méthodesde l’analyse sociologique (Gémas)

DR

VIEDESLABOS Reportage6 VIEDESLABOS 7

Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

SANTÉ

Campus Calmette de Lille, en début d’après-midi, dans une petite salle au deuxième étaged’un bâtiment cerné par la chaleur estivale.Deux techniciens extraient l’ADN issud’échantillons de sang de patients diabéti-

ques. Plus bas, des automates décryptent à une cadenceinfernale les gènes provenant de cellules de malades.Au fond d’un couloir, bio-informaticiens et biostatisti-ciens analysent des données génétiques sur leurs écransd’ordinateur. En ce début d’été, les équipes de l’unitéde recherche « Génétique des maladies multifacto-rielles »1, un des trois laboratoires qui constituent le toutnouvel Institut européen de génomique du diabète(European Genomic Institute for Diabetes, Egid) lancéen mai dernier, ne ménagent pas leurs efforts !Il faut dire que leurs récentes découvertes les galvani-sent. En effet, le directeur, Philippe Froguel, et ses col-lègues ont été les premiers à établir la carte génétiquedu diabète de type 2 (DT2), c’est-à-dire à identifier lesgènes impliqués dans le développement de cette formede la maladie. Mais aussi celle de l’obésité sévère, quiprédispose fortement à cette pathologie. Le DT2, en pleinessor, touche déjà plus de 180 millions de personnesdans le monde (lire l’encadré). Ils ont également démon-tré un lien entre la perturbation de l’horloge biologiqueinterne et la survenue du DT2… Et ils ne comptentpas s’arrêter en si bon chemin !

DU GÉNOME À LA CHIRURGIE« Notre objectif est désormais dedécouvrir les mutations de l’ADN,plus rares, impliquées dans le dia-bète de type 2 », annonce PhilippeFroguel. Pour y parvenir, le labo-ratoire dispose d’une des meil-leures plateformes haut débit degénomique françaises. « Ce nouvelappareil est si puissant qu’il est théo-

riquement capable de séquencer l’intégralité du génomehumain en une semaine », lance un ingénieur. Enoutre, l’équipe possède l’une des plus importantesbanques génétiques au monde. « Dans ces chambresfroides, nous conservons près de 25000 échantillons d’ADNissus de familles diabétiques et obèses, précise-t-il. Et nosbases de données contiennent sous forme anonyme lesinformations biologiques et médicales d’environ 40000 per-sonnes au total. » L’équipe de Philippe Froguel, quianime également le laboratoire de médecine géno-mique à l’Imperial College de Londres, va égalements’atteler à découvrir les déterminants épigénétiques

du DT2, c’est-à-dire les facteurs environnementaux quijouent sur l’expression des gènes impliqués danscette pathologie.« Parmi nos divers travaux en cours, nous concentrons aussinos efforts sur l’étude du génome de patients obèses dont leDT2 semble fortement réduit après une intervention chi-rurgicale destinée à traiter leur surpoids en reliant l’esto-mac à une partie plus basse de l’intestin », ajoute-t-il.Pour ce faire, Philippe Froguel peut compter sur le chi-rurgien François Pattou, directeur de l’unité « Bio-thérapie du diabète » 2, un des deux autres laboratoi-res de l’Egid. Il pratique régulièrement cetteintervention sur ses patients du Centre hospitalierrégional universitaire (CHRU) de Lille. « Ce court-cir-cuit 3 semble provoquer une surproduction de peptidesintestinaux qui améliore la sécrétion d’insuline, expli-que-t-il à quelques pas des blocs opératoires. C’estpourquoi nous commençons à proposer cette interventionà des patients atteints de DT2, mais ne présentant pasforcément d’obésité sévère. » Toutefois, ce traitementchirurgical devrait rester réservé aux patients atteintsdes formes les plus graves de la pathologie. FrançoisPattou profite donc de ces opérations pour prélever destissus et les fournir au laboratoire de Philippe Fro-guel qui en analyse le génome. Objectif final : décou-vrir les gènes impliqués dans cette reprise de la sécré-tion d’insuline. Et la biothérapie effectuée dans l’unitédu chirurgien ne s’arrête pas là…

DES GREFFES CONTRE LE DIABÈTE DE TYPE 1Une de ses équipes, pilotée par la diabétologue Marie-Christine Vantyghem, vient en effet d’obtenir des résul-tats spectaculaires par greffe d’« îlots de Langerhans »,ces amas de cellules pancréatiques qui produisent l’in-suline et sont déficients dans l’autre type de diabète, ditde type 1. « Sur quatorze patients greffés, la moitié d’en-tre eux n’ont plus besoin d’injections d’insuline, et ce,

jusqu’à cinq ans après la greffe. C’est le meilleur résultatjamais obtenu au niveau international », annonce Fran-çois Pattou. Pour comprendre les clefs de ce succès, ilsuffit de traverser la cour. En face, dans des salles de chi-rurgie animale, l’équipe perfectionne sans cesse satechnique. Elle tente par exemple la greffe d’îlots de Lan-gerhans par voie intramusculaire sur des cochons.Mais la réussite du labo tient aussi pour beaucoup autravail effectué en amont de la greffe : demi-tour en direc-tion de la plateforme de biothérapie. Dans cet envi-ronnement ultraprotégé où on ne pénètre qu’affubléd’un masque, de sur-chaussures et de survêtements,l’équipe de Julie Kerr-Conte a acquis un savoir-fairemondialement reconnu dans l’isolement de ces îlots.Ces derniers sont prélevés sur le pancréas de donneursen état de mort cérébrale. À l’avenir, ils pourraient pro-venir de cellules souches embryonnaires différenciéesen cellules pancréatiques. Et quand les îlots humainsne sont pas assez nombreux ou s’avèrent de qualitéinsuffisante pour être transplantés, ils sont souventrécupérés par l’équipe de Philippe Froguel, qui en étu-die le génome.

LA QUÊTE DE MOLÉCULES THÉRAPEUTIQUESÎlots de Langerhans, tissus du foie, tissus graisseux etmusculaires… finissent aussi dans l’unité de recherche« Récepteurs nucléaires, maladies cardiovasculaires etdiabète » 4, le troisième laboratoire de l’Egid. Implan-tées à la fois sur le campus hospitalo-universitaire del’université Lille-II et sur celui de l’Institut Pasteur deLille, les équipes de Bart Staels y testent des moléculespharmacologiques susceptibles de réguler l’expressiondes gènes mis en cause dans le diabète de type 2 et lesmaladies cardiovasculaires qui en découlent. La grande expertise du laboratoire réside dans l’étudede protéines contenues dans le noyau des cellules.Nommées « récepteurs nucléaires », ces protéines

impliquées dans la transcrip-tion des gènes sont déficien-tes chez les diabétiques.« Nous tentons par exempled’améliorer les molécules phar-macologiques susceptibles d’agirsur un de ces récepteurs,dénommé PPARg », expliqueainsi Bart Staels. Le chercheur est aussi l’undes fondateurs de la société

Genfit, qui développe un nouvel antidiabétique jouantsur ce type de récepteurs. L’efficacité de ce dernier estactuellement testée sur un petit nombre de patients.« Notre laboratoire s’intéresse aussi aux macrophages, descellules immunitaires impliquées dans la maladie, et aulien entre acide biliaire et diabète. Là encore, certainsrécepteurs nucléaires semblent avoir un rôle important »,ajoute-t-il.On l’aura compris, les trois labo-ratoires de l’Egid s’attaquent à lapathologie par de nombreuxmoyens grâce à une réelle synergieentre leurs équipes, toutes déjàreconnues internationalement.« Notre ambition est de faire de l’Ins-titut un des leaders mondiaux de larecherche et de la lutte anti-diabète,lance même Jean-Benoist Duburcq,délégué régional du CNRS et chef de ce projet Egid,porté par l’université Lille-II. Pour y parvenir, nous met-trons tous les moyens en œuvre pour attirer les meilleurschercheurs et étudiants étrangers et des partenaires privésde renom et pour fédérer les cliniciens français du dia-bète. La priorité sera également donnée à une formationde haut niveau et à la communication envers le grandpublic. » Fin 2012, les trois équipes, qui totalisent actuel-lement 137 collaborateurs, seront réunies sur un seulet même site. La région Nord - Pas-de-Calais, l’une desplus touchées par le diabète en France, attend beaucoupde l’Egid, dans lequel elle s’implique fortement. L’Ins-titut semble avoir toutes les cartes en main pour ne pasla décevoir !

Jean-Philippe Braly

1. Unité CNRS / Université Lille-II / Institut Pasteur de Lille.2. Unité CHRU de Lille / Université Lille-II / Inserm.3. De la partie haute de l’intestin.4. Unité Inserm / Institut Pasteur de Lille / Université Lille-II.

CONTACTSInstitut européen de génomique du diabète (Egid), Lille

Ô Philippe Froguel, [email protected]

Ô François Pattou, [email protected]

Ô Bart Staels, [email protected]

Ô Jean-Benoist Duburcq, [email protected]

Trois laboratoires lillois se regroupent pour créer l’Instituteuropéen de génomique du diabète (Egid). Objectif : mettre encommun leurs approches pour mieux prévenir, prédire et traiterles différentes formes de la maladie et leurs complications.Plongée au cœur de la lutte contre un fléau en plein essor.

Il existe deux types de diabète. Le diabète de type 1, dit insulinodépendant, estune maladie auto-immune qui détruit certaines cellules des îlots de Langerhanscontenues dans le pancréas, les seules à fabriquer l’insuline. Le manqued’insuline entraîne alors un taux de glucose dans le sang trop important(hyperglycémie) et des complications neurologiques, oculaires ou rénales. Le diabète de type 2 se caractérise par un défaut dans la sécrétion d’insuline et dans la sensibilité de l’organisme à l'insuline. Il est causé par des facteursgénétiques et environnementaux (prise de poids, sédentarité) et conduit aussi à une hyperglycémie. Il survient généralement après quarante ans.

J.-P.B.

LES DIABÈTESUnis pour vaincre le diabète

Extraction automatisée d’ADN àhaut débit, effectuée à partir desang de patients, grâce à unedes meilleures plateformesfrançaises de ce type.

Préparation des puces à ADN de patients. Grâce, entre autres, à cette technique, les chercheurslillois ont établi la première cartegénétique du diabète de type 2.

Ici, des chercheusesutilisent un séquenceurADN à haut débit pourtraquer les mutationsgénétiques impliquéesdans le diabète de type 2.

L’Institut héberge une des plusimportantes banques réfrigéréesd'ADN du monde avec25 000 échantillons issus de famillestouchées par le diabète et l’obésité.

Analyse, par micropuces ARN,d’îlots de Langerhans. Ladéfaillance de ces tissus,responsables de la sécrétiond’insuline, représente un facteurclé du diabète.

Plateforme de biothérapiedédiée à l'isolement des îlotsde Langerhans humains.Le savoir-faire des chercheurslillois pour cette technique estmondialement reconnu.

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Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

Il avait émis l’hypothèse de l’implicationde la dorsale du Chili en se rappelantque celle-ci plonge sous l’Amérique duSud depuis un peu plus de 10 millionsd’années, comme on le sait depuismaintenant quarante ans. Afin de valider cette théorie, BenjaminGuillaume – qui a réalisé sa thèse surle sujet – et Joseph Martinod, ainsi queleurs collègues, ont utilisé un modèlepermettant de calculer l’amplitude dusoulèvement théorique à partir des fluxde matière dans le manteau, mouve-ments dits de convection. Résultat : cemodèle a prédit un soulèvement théo-rique de la Patagonie de plus de1000 mètres sur 10 millions d’années.Puis les géologues ont estimé, en étu-diant des cartes topographiques prisespar satellite, le soulèvement réel, « afinde voir si cela collait avec les données du

modèle ». Bonne surprise, ils ont trouvédes valeurs de soulèvement similaires !Preuve que leur hypothèse était labonne. « Notre étude permet, de manièregénérale, de mieux comprendre l’histoiregéologique et l’évolution de la topogra-phie de la cordillère des Andes, cette chaînede montagnes qui longe la côte occidentalede l’Amérique du Sud et dont l’originen’est pas encore finement comprise », ter-mine Joseph Martinod.

Kheira Bettayeb 1. Laboratoire CNRS / Université Toulouse-III /IRD.2. Tectonics, 10 avril 2009.

CONTACTÔ Joseph MartinodLaboratoire des mécanismes ettransferts en géologie (LMTG),[email protected]

PHYSIQUE

Les spécialistes se le tenaientpour dit : lorsque l’on refroiditou que l’on comprime de l’eau

salée, elle forme un cristal dont tou-tes les impuretés sont évacuées.Autrement dit, la glace salée ne peutexister. Pour s’en convaincre, il suf-fit de congeler de l’eau salée : aucentre du glaçon se trouve un petitvolume opaque qui contient les selsrejetés. Cette certitude, les cher-cheurs de l’Institut de minéralogieet de physique des milieux conden-sés (IMPMC) 1, à Paris, de l’InstitutPaul Scherrer, en Suisse, et de l’Institut Laue-Langevin (ILL) 2, àGrenoble, viennent de la faire voleren éclats. Ils sont en effet parvenusà synthétiser un cristal de glacecontenant une importante concen-tration de sels. Une découverte quipourrait avoir des implicationsimportantes en planétologie. Plus précisément, la glace dont ils’agit là n’est pas celle que l’on trouvedans un réfrigérateur. Mais unephase solide de l’eau obtenue sousdes pressions supérieures à

20 000 bars, appelée « glace VII ».Comme le précise Stefan Klotz, àl’IMPMC, « sous haute pression, l’eauprésente une quinzaine de phases cris-tallines différentes qui se distinguentpar la manière dont les moléculesd’eau s’organisent les unes par rap-port aux autres ».Pour parvenir à intégrer des sels(sous forme d’ions) dans cet édi-fice, les scientifiques ont imaginél’expérience suivante. Ils ont d’abordrefroidi rapidement à – 200 °C del’eau chargée en chlorure de lithium.Dans ces conditions, les moléculesn’ont pas le temps de former uncristal et restent comme figées dansles positions qu’elles occupaient enphase liquide. Ce solide désordonnéa ensuite été comprimé jusqu’à40 000 bars avant d’être réchauffélentement. « Les molécules sont alorslibres de bouger, mais très peu. Si bienque le cristal qui en résulte incorporeles ions lithium et chlorure au sein decavités de sa structure microscopi-que », explique le physicien. Qui pour-suit : « Nous imaginons qu’une très

grande variété de glaces salées puisseexister. En particulier incorporant duchlorure de sodium (le sel de cuisine),très abondant dans l’Univers. »Ainsi, des observations récentes ontmontré que plusieurs corps du sys-tème solaire, tels les satellites Ganymède ou Titan, contiennentde la glace sous pression, ainsi quedes sels. Si à la diversité des glacespures connues, il faut désormaisajouter toute une liste de glacessalées encore à découvrir, le travaildes planétologues qui cherchent àdécrire la structure et les pro-priétés physico-chimiques deces objets célestes risque biende gagner en complexité.

Mathieu Grousson

1. Institut CNRS / Universités Paris-VIet VII / IPG Paris / IRD.2. Organisme de recherche internationalgéré par trois pays principaux dont laFrance, représentée par le CNRS et le CEA.

VIEDESLABOS Actualités

L a question taraudait les géologuesdepuis cent cinquante ans : pour-quoi la Patagonie, cette région qui

s’étend au Sud de l’Argentine et duChili, se soulève-t-elle ? Darwin, le pèrede la théorie de l’évolution des espèces,également géologue, avait constaté cemouvement étonnant après avoirtrouvé d’anciennes plages de l’océanAtlantique perchées sur le relief argen-tin. Jusque-là, personne n’avait donnéune explication pertinente à ce phé-nomène qui a débuté il y a plus de10 millions d’années, et qui se poursuitencore à l’heure actuelle. Or des cher-cheurs du CNRS menés par le Tou-lousain Joseph Martinod, du labora-toire des mécanismes et transferts engéologie (LMTG) 1, viennent enfin derésoudre le mystère 2 : ils ont montréque le soulèvement est lié à la ren-

contre de trois plaques tectoniques aularge du Chili : la plaque Nazca, quicouvre une partie de l’océan Pacifique,la plaque Antarctique, au pôle Sud, etla plaque continentale sud-américaine.Les deux premières glissent sousl’Amérique du Sud, tout en s’écartantl’une de l’autre. Leur frontière, que lesspécialistes appellent « dorsale duChili », plonge donc elle aussi sous lecontinent sud-américain.« Lorsque cette dorsale plonge sous l’Amé-rique du Sud, elle ouvre un passage dansle manteau, la couche intermédiaire entrele noyau planétaire et la croûte. Ce pas-sage modifie les courants profonds dematière et entraîne des déplacements ver-ticaux de la surface », explique JosephMartinod. Le chercheur s’intéresse ausoulèvement de la Patagonie depuisson premier voyage au Chili en 2002.

GÉOLOGIE

Le soulèvement de la Patagonie enfin élucidé

Des chercheurs CNRS ont modélisé le soulèvement (en mètres) de laPatagonie il y a 14, 12, 6 et 3 millions d’années.

En comprimant de l’eau à plus de20 000 bars, des physiciens

sont parvenus à synthétiser de laglace salée. Une première

jugée jusqu’alors impossible.

CONTACTÔ Stefan KlotzInstitut de minéralogie et de physiquedes milieux condensés (IMPMC),[email protected]

De la glace salée pour pimenter l’UniversGÉOCHIMIE

Sur les tracesd’un charançon disparu

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Lorsqu’ils ont commencé à étu-dier le contenu de carottes sédi-mentaires prélevées à Crozet,

un chapelet d’îles subantarctiques,Jean-David Chapelin-Viscardi et Phi-lippe Ponel, de l’Institut méditerra-néen d’écologie et de paléoécologie(Imep) 1, à Aix-en-Provence, ne s’at-tendaient pas à ce qu’un coléoptèreinconnu leur révèle une page d’his-toire de l’archipel. Soit le témoignaged’un bouleversement écologique sur-venu à la fin du XVIIIe siècle.Première surprise : les deux cher-cheurs observent, dans des sédi-ments datés entre 1400 et 1800,des restes par dizaines d’un cha-rançon n’appartenant à aucuneespèce connue. Or, comme le pré-cise Philippe Ponel, « lorsque l’ontravaille sur des fossiles récents d’in-sectes, la quasi-totalité des espècesobservées dans les sédiments ont desreprésentants actuels ». En l’occur-rence, non seulement l’espèce estnouvelle, mais aussi le genre !

par le fait que les sédi-ments n’ont révéléaucune modificationclimatique durantcette période.

Par ailleurs, Nathalie Van der Putten,au département de géographie del’université de Gand, en Belgique,qui a extrait les sédiments, a montré que la disparition de Pachnobium dreuxi coïncide nonseulement avec des changementsconsidérables dans les populationsd’autres espèces d’insectes, maisaussi avec la raréfaction de certainesplantes, comme le chou des Kerguelen. « C’est la parfaite illus-tration de l’extrême fragilité des éco-systèmes insulaires qui, du fait de leurisolement, sont sensibles à la moindremodification », conclut PhilippePonel.

Mathieu Grousson

1. Institut CNRS / Universités Aix-Marseille-I et III / Université d’Avignon / IRD.

CONTACTÔ Philippe PonelInstitut méditerranéen d’écologie etde paléoécologie (Imep), [email protected]

Ces restes d’uncharançon découvertsà Crozet témoignentdu bouleversementécologique survenusur l’archipelau XVIIIe siècle.

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Pour en apprendre davantage, lesdeux entomologistes expédient lesfragments de leur coléoptère, baptiséPachnobium dreuxi, à Jean-FrançoisVoisin, au Muséum national d’his-toire naturelle, à Paris. Ce spécialistedes collections subantarctiques lescompare alors avec l’innombrablematériel entomologique ramené deCrozet au cours du XXe siècle et dontune fraction importante n’a pasencore été étudiée de près. C’est ladeuxième surprise : il exhume deuxspécimens complets qui confirmentque l’insecte n’a jusqu’alors jamaisété décrit. « C’est extrêmement rare defaire une découverte dans ce sens.D’abord sous forme fossile et ensuitedans des collections entomologiquescontemporaines », s’enthousiasmePhilippe Ponel. Reste à comprendre comment uncharançon dont les restes pullulentdans les sédiments récents a pres-que totalement disparu aujourd’hui(à deux spécimens près). Pour Phi-

lippe Ponel, « il faut probablement yvoir la conséquence de l’arrivée del’homme sur Crozet, à la fin duXVIIIe siècle ». Découvert en 1772,l’archipel a en effet rapidement étéoccupé par des pêcheurs accompa-gnés d’un cortège d’animaux domes-tiques. Une hypothèse renforcée

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C’est le pourcentage de volume perdu, depuis 40 ans,par la calotte Cook, l’un des plus gros glaciers françaissitué sur les îles Kerguelen, dans l’océan Indien austral.En combinant des données historiques et satellitaires,les glaciologues du Laboratoire d’études engéophysique et océanographie spatiale (Legos)1, àToulouse, ont établi que le glacier avait perdu enmoyenne 1,5 mètre par an. Il a aussi perdu ensuperficie: il couvrait 500 km2 en 1967, 448 km2 en 1991,et seulement 403 km2 en 2003. Une partie de ce déclinsemble liée à la réponse tardive du glacier auréchauffement naturel qui a suivi le petit âge de glace,une période très froide qui a pris fin entre 1850 et 1900.Mais l’accélération observée depuis 1991 trouve sansdoute son origine dans le réchauffement lié auxactivités humaines.1. CNRS / Université Toulouse-III / CNES / IRD.

> ww2.cnrs.fr/presse/communique/1643.htm

Neandertal aurait-il étémangé par les hommesmodernes ? C’est ce quesuggère l’obervation de ces framents de mandibules.L’une de renne (à gauche), l’autre d’un individunéandertalien (à droite) présentent le type demarques habituellement rencontrées sur la faunechassée et mangée.

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Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

PRÉHISTOIRE

Des agressions par l’hommes moderne et un éparpillementgénétique pourraient expliquer l’extinction de Neandertal.

Qui était donc Homo neanderthalensis,l’homme préhistorique de Neandertal ?Deux équipes comprenant des cher-cheurs du CNRS viennent de publier

coup sur coup des études qui permettent demieux comprendre ce représentant fossile dugenre Homo. Espèce bien distincte de notreancêtre Homo sapiens, celle-ci a vécu en Europeet en Asie occidentale entre 250 000 et28 000 ans, environ, avant le présent. Effectuée par une équipe internationale menéepar Fernando Ramirez Rozzi, du laboratoire« Dynamique de l’évolution humaine: individus,populations, espèces » du CNRS, à Paris, la pre-mière de ces recherches suggère que les rela-tions entre l’homme de Neandertal et l’hommemoderne (Homo sapiens) n’étaient pas au beaufixe… puisqu’elle fait état d’agressions du premierpar le second 1 ! Réalisée par les chercheusesmarseillaises Silvana Condemi, Anna Degioanniet Virginie Fabre, du laboratoire « Anthropologiebioculturelle » 2, à Marseille, la deuxième étude,elle, confirme l’existence de trois sous-groupesde néandertaliens différents génétiquement 3.Fondamentaux, ces deux résultats pourraientpermettre de mieux saisir les raisons de l’ex-tinction de l’homme de Neandertal il y a environ30 000 ans, avant que l’Homo sapiens le rem-place définitivement en Europe. « Surprenants, nos résultats suggèrent que les néan-dertaliens ont été en contact avec les premiers repré-sentant des hommes modernes ; et ces derniers sem-blent avoir rapporté des corps de néandertaliensdans leur caverne pour les manger… »,précise Fernando RamirezRozzi. Pour parvenir àcette conclusion, lepaléoanthropolo-gue, spécia-liste dudévelop-pementdentaire, et

son équipe ont analysé des fossiles trou-vés sur le site préhistorique des « Rois »,à Moutiers (Charente) dans le Sud-Ouest de laFrance, un foyer de la culture aurignacienne, lapremière culture attribuée à Homo sapiens. Les fossiles étudiés correspondent à deux frag-ments de mâchoire inférieure et à des dents iso-lées. En analysant la croissance de ces dents, leschercheurs ont pu identifier que l’une des man-dibules appartenait à un homme moderne alorsque l’autre provenait très probablement d’unnéandertalien. Or, « point important : sur lamâchoire que l’on pense provenir d’un homme deNeandertal, on observe des marques de coupuressimilaires à celles laissées sur les mandibules d’ani-maux abattus par les hommes modernes, comme lerenne. D’où notre conclusion que les néanderta-liens ont pu être mangés par les humains », conti-nue le paléoanthropologue.« Pour ce qui est de nos travaux, pour la premièrefois nous avonsessayé d’en savoirplus sur l’hommede Neandertal sansle comparer àl’homme modernemais en faisant une

analyse génétique à l’intérieur de lapopulation même », enchaîne lachercheuse marseillaise SilvanaCondemi. Ses collègues et elle onttenté de savoir si Homo neander-thalensis, qui occupait une vasterégion allant de l’Atlantique à la

Sibérie, constituait une population homogèneou s’il formait plusieurs groupes distincts. Sur des bases anatomiques, comme par exemplela dimension des dents, plus grandes dans leNord de l’Europe, les paléoanthropologues envi-sageaient déjà que les néandertaliens se divi-saient en sous-groupes : un en Europe occiden-tale, un autour de la Méditerranée et un dernierau Proche-Orient. Pour confirmer cette hypo-thèse, l’équipe a recouru à des logiciels infor-matiques permettant de modéliser l’évolutiondémographique et génétique de la populationnéandertalienne à partir de quinze fragmentsd’ADN provenant de douze néandertaliens etdécodés depuis 1997.Au final, les chercheuses ont pu établir l’existencedes trois sous-groupes dans la population néan-dertalienne (un occidental, un méditerranéen et

un oriental). Elles suggèrent même l’exis-tence d’un quatrième en Asie occidentale.

Les petites variationsgénétiques de cesdifférents groupesseraient dues à une

microévolutioninduite par l’en-vironnement oùchacun desgroupes vivait.

L’existence d’une tellesubdivision génétique,avec peu de migrations

entre les sous-groupes,pourrait avoir fragilisé les néandertaliens

et favorisé leur extinction lorsque chaque popu-lation s’est vue soumise à une concurrence– parfois violente – avec l’Homo sapiens.

Kheira Bettayeb

1. Journal of Anthropological Sciences, vol. 87, 2009, pp. 153-185.2. Laboratoire CNRS / Université Aix-Marseille-II / EFSAlpes Méditerranée.3. Plos One, 15 avril 2009.

CONTACTSÔ Fernando Ramirez RozziLaboratoire « Dynamique de l’évolution humaine :individus, populations, espèces », [email protected]

Ô Silvana CondemiLaboratoire « Anthropologie bioculturelle »,[email protected]

VIEDESLABOS 11

ÉCOLOGIE

Amazonie : le leurre du développement

Des terres sans hommes pour deshommes sans terres. » Voilà leslogan (fallacieux) par lequel

le régime militaire brésilien tentaitde convaincre les paysans pauvresd’aller coloniser l’Amazonie dansles années 1970. On leur promettaitune vie prospère par la transfor-mation d’une forêt jugée inutile enchamps fertiles et beaux pâturages.Alors, promesse tenue ? C’est laquestion que s’est posée une équipeinternationale menée par Ana Rodri-gues, du Centre d’écologie fonc-tionnelle et évolutive (CEFE) 1 deMontpellier. « Nous voulions testerscientifiquement l’hypothèse selonlaquelle le défrichement de la forêtamazonienne est synonyme de déve-loppement pour les populations »,explique la chercheuse.

Les scientifiques ont utilisé les don-nées d’un recensement brésiliengrâce auquel a été calculé, pour cha-que municipalité du pays, l’indicede développement humain. Cetindice, créé par le Programme desNations unies pour le développe-ment (PNUD), combine divers cri-tères pour évaluer la qualité de viedes populations comme les revenus,le niveau d’alphabétisation ou l’es-pérance de vie. Ces données, leschercheurs les ont mises en relationavec des photos satellite montrantles zones où la ligne de déforestationavance. Ainsi, ils ont pu comparer leniveau de vie dans les régions où ladéforestation est en cours, danscelles où elle ne s’est pas encore pro-duite et enfin, dans celles où elle adéjà eu lieu depuis un certain temps.

Les résultats obtenus par les cher-cheurs, et publiés dans la revueScience du 12 juin, sont clairs :« Nous avons montré qu’effectivement,durant la déforestation, la qualité de viedes gens s’améliore ; les revenus aug-mentent, ainsi que le niveau d’alpha-bétisation et la santé des habitants.Mais ceci n’est que de courte durée. Eneffet, les ressources de la forêt s’épuisent,la productivité des terres agricoles chute,tandis que la population augmente.Lorsque l’essentiel de la forêt d’unezone a été rasé, les habitants retrouventleurs précaires conditions de vie », ana-lyse Ana Rodrigues. Le développe-ment de la région défrichée n’étaitqu’un leurre et la possibilité d’ex-ploiter durablement les ressourcesde la forêt amazonienne est irré-médiablement perdue.

Cependant, il reste un espoir. « AuBrésil, le gouvernement propose dés-ormais des aides pour développer desactivités économiques qui ne détruisentpas la forêt. Les négociations interna-tionales pour réduire les émissions degaz à effet de serre contribuent nette-ment à ce changement d’attitude vis-à-vis de l’Amazonie. »

Sebastián Escalón

1. Centre CNRS / Universités Montpellier I,II et III / Cirad / Supagro.

CONTACTÔ Ana RodriguesCentre d’écologie fonctionnelle etévolutive (CEFE), [email protected]

VIEDESLABOS Actualités

Aires de répartition de trois sous-groupesd’individusnéandertaliens. Lespoints bleus désignentles lieux d’où provientl’ADN qui a permisd’établir cette carte.

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Du nouveau sur la chute de Neandertal

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GÉOCHIMIE

Au Nord de la Tanzanie, dansle Rift africain, s’élève un vol-can unique au monde. Bap-

tisé Ol Doinyo Lengai, « la montagnedes dieux » en langue Masai, il est leseul à cracher des carbonatites. Ceslaves sont aussi fluides que dupétrole, très riches en dioxyde decarbone, exemptes de silice et émer-gent à des températures bien plusbasses que les autres laves (540 °Ccontre 800 °C voire 1200 °C). Quelleest leur origine ? Sont-elles issuesd’une zone du manteau 1 sous-jacentparticulièrement riche en carboneelle aussi ? Non, répondent aujour-d’hui des chercheurs du Centre derecherches pétrographiques et géo-chimiques (CRPG)2, à Nancy. L’abon-dance du dioxyde de carbone est liéeau mécanisme de production deslaves et non à la composition dumanteau à cet endroit 3. Un résultatqui montre, par la même occasion,l’uniformité de ce dernier. Pour parvenir à cette conclusion,

l’équipe dirigée par Pete Bur-nard et Bernard Marty 4 estmontée à l’assaut de l’Oldoi-nyo Lengai, à près de3 000 mètres d’altitude, audébut d’une phase éruptive.L’objectif : prélever des échan-tillons de gaz volcaniques.« Leur analyse permet deconnaître la composition enéléments volatils du manteaude la Terre : le dioxyde de car-bone mais aussi l’azote et lesgaz rares comme l’hélium etl’argon », explique Pete Burnard. EtBernard Marty d’ajouter : « Lors del’échantillonnage, la pression élevéedans l’édifice volcanique a facilité lacollecte sans contamination atmos-phérique. »Les analyses chimiques et isotopi-ques des gaz ont alors donné desrésultats très comparables à ceuxobtenus le long des rides médio-océaniques, les chaînes de reliefssous-marins où le magma issu du

manteau remonte, faisant s’écarterles plaques océaniques. Donc « lemanteau sous la Tanzanie est nor-mal et non enrichi en carbone, commele proposaient certains modèles degenèse des carbonatites », indiqueBernard Marty. C’est en fait le pro-cessus de fusion du manteau à l’ori-gine de ces laves qui est exception-nel. Il conduit à l’immiscibilité descarbonates et des silicates, à l’instarde l’eau et de l’huile, et ce sont les

carbonates fondus qui s’épan-chent à la surface et formentles carbonatites. Mais pourun temps seulement. Le vol-can a en effet terminé saphase carbonatique, qui durequarante à cinquante ans, etest entré dans une phase sili-catée. Un phase bien plusexplosive qui rend son appro-che dangereuse et remet àplus tard d’éventuelles expé-ditions.

Sabine Vaillant1. Le manteau est la zoneintermédiaire entre le noyaumétallique de la planète et la croûteterrestre.

2. Centre CNRS / Université Nancy-I / INPL.3. Les travaux ont été publiés dans Nature,vol. 459, n° 7243, mai 2009, p. 77.4. Bernard Marty est professeur à l’Écolenationale supérieure de géologie de Nancy.

CONTACTSCentre de recherches pétrographiques et géochimiques(CRPG), Nancy

Ô Peter Burnard, [email protected]

Ô Bernard Marty, [email protected]

À l’assaut de la montagne des dieux

Coulée de carbonatites ausommet de l’Ol DoinyoLengai, en Tanzanie, seulvolcan produisantactuellement de telles laves.

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Au-dessus des côtes de la Manche, unavion bimoteur au comportementbizarre passe et repasse, sans que l’onpuisse entrevoir son but. Ce n’est ni

un apprenti pilote qui fait ses heures ni unecampagne publicitaire destinée aux vacanciers.À son bord, des ingénieurs criblent le sol d’im-pulsions laser. Leur objectif : réaliser le relevé topo-graphique le plus précis et dense des côtes nord-ouest de la France. Nous assistons aux premièresmissions effectuées dans le cadre du projet« Contrôle par laser aéroporté des risques envi-ronnementaux côtiers » (Clarec), qui impliquetrois unités mixtes du CNRS 1, les quatre régionsqui se partagent la façade Manche-mer du Nord(Haute et Basse-Normandie, Picardie, et Nord-Pas-de-Calais) ainsi que leurs universités. En ce moisde septembre, c’est le Mont-Saint-Michel ques’apprêtent à survoler nos scientifiques.Nous le savons : nous n’échapperons pas auréchauffement global. Celui-ci entraînera destempêtes, des précipitations hivernales et descrues plus intenses, ainsi qu’une élévation duniveau de la mer. Les zones littorales seront par-

ciant les partenaires du projet, qui s’attaquera àdes problématiques très variées. Citons par exem-ple celle du recul du trait de côte : « Sur le littoralde la Haute et Basse-Normandie, la côte peut per-dre 5 mètres par an à certains endroits. Lors d’unetempête, le phénomène peut s’amplifier et atteindre15 mètres en 2 jours. Ce phénomène pourrait finir paraffecter des zones habitées ou des infrastructures »,explique Franck Levoy. Il est donc urgent pour lesscientifiques de bien comprendre le processus, etde savoir pourquoi certaines zones sont touchéestandis que d’autres semblent épargnées.Autre entreprise que le Lidar per-mettra de réaliser : une carto-graphie des zones à risques surtout le littoral, de la baie du Mont-Saint-Michel à la frontière belge,qui révélera les lieux les plusexposés aux diverses menacesliées aux aléas climatiques. Mais

des projets plus circonscrits pourront aussirecevoir l’aide précieuse du laser aéroporté. Parexemple, l’immense chantier de restauration ducaractère maritime du Mont-Saint-Michel, quirétablira les marées cernant le rocher, commeelles le faisaient jadis. Grâce au Lidar, les cher-cheurs pourront suivre les évolutions topogra-phiques – comme l’érosion des fonds sédimen-taires–, liées à ce chantier, et conseiller le syndicaten charge du projet.Le projet Clarec, lui, est l’aboutissement d’untrès long travail initié par les chercheurs du M2C,et en particulier par Franck Levoy, son coordi-nateur, avec le soutien de Stéphane Costa, duLETG, à Caen, et Edward Anthony, du laboratoire« Océanologie et géosciences », à Wimereux. Illeur aura fallu quatre ans de démarches avant depouvoir acquérir le Lidar. Pour donner une idéede l’effort, soulignons que l’accord-cadre ayantdonné naissance au projet Clarec et lancé l’in-vestissement nécessaire (de l’ordre de 1,3 milliond’euros) ne réunit pas moins de vingt signaturesau bas de la page. Vingt signatures qui ont per-mis aux régions côtières de la Manche et de la merdu Nord d’initier les recherches scientifiques àla base des prochaines politiques de préventionet de protection.

Sebastián Escalón

1. Le Laboratoire de morphodynamique continentale etcôtière (M2C, CNRS / Université Caen / Université Rouen),le Laboratoire de géographie physique et environnement(LETG, CNRS / Universités Nantes, Brest, Rennes-II, Caen)et le laboratoire « Océanologie et géosciences » (CNRS /Université du Littoral-Côte d’Opale / Université Lille-I).

VIEDESLABOS Actualités12

Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

PHYSIQUE NUCLÉAIRE

Un pépin en moins avec les noyaux

La collision de deux noyaux atomiques àtrès haute vitesse, dans les accélérateursde particules par exemple, provoque

l’éjection d’un nucléon (un proton ou unneutron), et, plus rarement, celle d’une pairede nucléons. Pourquoi, dans ce dernier casde figure, la collision peut-elle disperser à tousles vents les deux particules arrachées,comme les émettre dans une direction pri-vilégiée ? La question, qui taraude depuislongtemps les chercheurs, vient de trouverune réponse grâce à deux théoriciens duGrand accélérateur d’ions lourds (Ganil) 1, àCaen, et de l’Institut de physique nucléaired’Orsay (IPNO) 2 : l’éventuelle dispersiondes particules est liée à la distance qui lesséparait dans leur noyau d’origine avant lechoc. Une découverte prometteuse pourl’étude de la structure interne des noyaux.C’est en développant un modèle inédit d’in-teractions entre nucléons que Denis Lacroixet Marlène Assié sont parvenus à « entrer »dans le noyau comme personne auparavant.Le modèle, qui combine analyse théoriqueet simulations numériques, leur a en effetpermis de calculer l’ensemble des forces quis’appliquent sur chaque nucléon lors de lacollision, en particulier sur les deux quiseront éjectés. Avec à la clé ce résultat : si cesnucléons sont unis, ils le restent. Autrementdit, s’ils sont proches l’un de l’autre dans lenoyau, alors ils continueront de batifolerensemble une fois éjectés. L’inverse est vrai :s’ils occupent des positions diamétralementopposées, ils partiront dans des directionsdifférentes.

Outre qu’elles résolvent le mystère des col-lisions, ces recherches ouvrent une fenêtresur l’intérieur des noyaux. « En analysantl’angle d’éjection de paires de particules émises,on va dorénavant pouvoir remonter le film descollisions à l’envers et savoir quelle place occu-paient les nucléons dans le noyau », s’en-thousiasme Denis Lacroix. Le modèle a ainsidéjà permis de trancher le cas du bombar-dement de plomb 208 par un noyau d’hé-lium 6. Ce choc arrache deux neutrons àl’hélium. La théorie dominante échouait àsavoir si, avant leur éjection, les neutronsétaient accolés ou séparés dans l’hélium. Ilssont côte à côte, répond finalement le modèlede Denis Lacroix et Marlène Assié.L’étude de la structure des noyaux atomi-ques en général bénéficiera de ces travaux.Dans le domaine de la fusion nucléaire, parexemple, on s’interroge pour savoir si deuxnucléons s’effleurant dans un noyau peu-vent aider celui-ci à fusionner avec un congé-nère. Problème : des expériences témoignentdu phénomène, mais d’autres non. « Notremodèle devrait permettre de comprendre cesobservations différentes », promet le chercheur.

Xavier Müller

1. Unité CNRS / CEA.2. Institut CNRS / Université Paris-XI.

CONTACTÔ Denis LacroixGrand accélérateur national d’ionslourds (Ganil), [email protected]

Mission VIEDESLABOSVIEDESLABOS Actualités

Equipés d’un laser ultramoderne,des chercheurs survolent le littoral du Nord-Ouest pourprévoir les modifications dues au changement climatique.Prochaine étape : la baie du Mont-Saint-Michel.

ticulièrement exposées à ces menaces. « Pourpallier les conséquences du changement climatique,nous devons effectuer un lourd travail de modélisa-tion. Nous devons être capables de prévoir l’évolu-tion des caractéristiques physiques des milieux litto-raux », explique Frank Levoy, chercheur auLaboratoire M2C. « Or, globalement, notre connais-sance de la topographie des zones côtières est médio-cre, et sans cette donnée de base, on ne peut pas fairede prévisions sérieuses. »Là est la raison d’être du projet Clarec. Celui-cirepose sur un instrument hors du commun : lelaser à balayage latéral aéroporté, appelé aussiLidar. Ce petit bijou de technologie, aussi rare quecoûteux, permet de faire des relevés du reliefavec une précision de 10 centimètres sur sol nu.Le Lidar mesure la distance entre le sol et l’avionjusqu’à 200 000 fois par seconde. En couplantcet appareil à des GPS au sol et embarqués dansl’avion, les chercheurs obtiennent un relevé topo-graphique extrêmement dense, allant jusqu’à5 points par mètre carré. « C’est une technologietrès complexe, qui demande la mise en œuvre d’unedouzaine de logiciels différents, des équipes au solet des conditions météo excellentes. Mais, outre saprécision, elle permet de couvrir des surfaces trèslarges, jusqu’à 100 km2, en une seule sortie », affirmePatrice Bretel, chef de projet. Point fondamental :l’efficacité hors pair du Lidar permettra de refaireles relevés régulièrement sur les mêmes zonescôtières. Les chercheurs pourront alors obser-ver les évolutions du relief qui sont en cours surnotre littoral, afin de mieux prévoir leur futur.Autour du Lidar, s’est également constitué ungroupement d’intérêt scientifique (GIS), asso-

CLAREC

Passer le littoral au laser

Le Lidar, laser à balayagelatéral aéroporté, est uninstrument hors du commundont il n’existe qu’une poignéed’exemplaires en France.

Modèle numérique de surfaced’une dune de sable de la pointe

d’Agon, dans le Cotentin, en Basse-Normandie.

L’un des objectifs de cettemission est de mesurer l’érosiondes fonds sédimentaires de labaie du Mont-Saint-Michel.

Embarqué dans un avionspécialement équipé, le Lidarpermettra de réaliser des relevéstopographiques avec uneprécision de 10 cm.

CONTACTÔ Franck LevoyLaboratoire de morphodynamique continentale etcôtière (M2C), [email protected]

BRÈVE

Un virus à l’origine du placenta ?L’apparition des mammifères placentaires, dont l’embryon est alimenté et protégé dans unplacenta, il y a près de 100 millions d’années, serait-elle liée à une contamination virale ?C’est l’hypothèse que font les chercheurs du laboratoire « Rétrovirus endogènes et élémentsrétroïdes des eucaryotes supérieurs » 1, à Villejuif, après avoir découvert que le gènesyncytine A, d’origine virale, est essentiel au développement du placenta chez la souris. Ilest connu depuis longtemps qu’une part (environ 8 %) du patrimoine génétique denombreuses espèces, dont l’humain, contient des restes de virus : c’est le cas des gènes desyncytines, des protéines exprimées au niveau du placenta. En les étudiant chez la souris,les biologistes ont démontré qu’elles étaient indispensables à sa formation. En effet, lessyncytines en faisant fusionner les cellules entre elles, comme le fait un virus pour entrerdans une cellule, permettent la fabrication d’une « nappe cellulaire », constituant essentieldu placenta. Pour les chercheurs qui ont publié leurs travaux dans la revue PNAS du 21juillet 2009, une contamination virale pourrait donc avoir été un évènement fondateur dansle passage d’un développement embryonnaire externe, dans des œufs, à un mode interne.1. CNRS/Université Paris-XI / Institut Gustave Roussy

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pes de ces deux unités de recherche et le labo-ratoire « Régulation de la transcription et mala-dies génétiques » du CNRS. Baptisé HB19, ils’agit également d’un peptide. Testé sur des sou-ris, il a démontré sa capacité à réduire fortementla croissance de certaines tumeurs et à inhiberla formation des vaisseaux sanguins qui les irri-guent. Il agit en se fixant préférentiellement surla nucléoline, une protéine de surface plus abon-dante chez les cellules cancéreuses et les vaisseauxsanguins liés dont la croissance est alors inhibée.Fort de ces résultats, Immupharma France vientde financer le recrutement d’un thésard et d’untechnicien par le CRRET. Le HB19 pourrait éga-lement être indiqué pour le traitement du pso-riasis, de la rétinopathie diabétique et mêmepour la cicatrisation des plaies. Nous comptonstester ce candidat médicament dès l’an prochaindans le cadre d’un essai clinique. Là encore,nous exploitons un brevet déposé par le CNRS.Un deuxième brevet en copropriété protège laméthode de production du peptide.

Quelles autres pathologies ciblez-vous?R.Z. : Avec l’ICT, nous développons aussi un anti-biotique pour lutter contre les maladies noso-comiales générées par les bactéries résistantes àcertains antibiotiques actuels. Son mode d’ac-tion est assez novateur : il agit en détruisant lamembrane des bactéries. Il est actuellement austade de développement préclinique et est éga-lement protégé par un brevet CNRS et des bre-vets communs. Parallèlement, Immupharmadéveloppe un médicament contre les douleurssévères de type post-chirurgicales et cancéreuses.Nommé Cin-met-enképhaline, ce composé est undérivé d’analgésique naturel qui aurait moinsd’effets secondaires que les dérivés morphiniqueset une durée d’action prolongée. Enfin, notresociété possède une chimiothèque de près de300 000 molécules conjointement brevetéesavec le CNRS. Parmi elles, certaines semblentintéressantes pour le traitement des inflamma-tions, des allergies et de la malaria.

Propos recueillis par Jean-Philippe Braly

1. Laboratoire CNRS / Université Paris-XII.

Parmi tous les traitements que vous développezen collaboration avec le CNRS, quel est le plusavancé?Robert Zimmer : Il s’agit du Lupuzor, un candidatmédicament destiné au traitement du lupusérythémateux disséminé, une maladie auto-immune inflammatoire et chronique danslaquelle le système immunitaire des patientspeut s’attaquer à tous leurs organes. Grâce àune entrée en bourse sur le marché anglais en2006, notre holding a réussi à lever une quin-zaine de millions d’euros pour le tester en essaiscliniques de phase II. Les résultats sont trèsprometteurs. En effet, c’est la première foisqu’un traitement « anti-lupus » testé à ce stadeprésente une supériorité significative sur leplacebo. La société à qui nous avons cédé ledéveloppement du Lupuzor devrait pouvoirdémarrer les essais cliniques de phase IIIdébut 2010. Et si tout se déroule bien, sacommercialisation pourrait débuter fin2012. Il s’agit d’un réel espoir pour les1,4 million de malades recensés dans lespays du G8, dont près de 90 % sont des jeu-nes femmes de 18 à 30 ans. Car les médica-ments actuels ne sont ni curatifs, ni spécifiquesde cette pathologie qui provoque de nombreuxsymptômes : problèmes articulaires, dermato-logiques, neurologiques…

Mais alors, quelle est la particularité de cemédicament « anti-lupus »?R.Z. : Le Lupuzor est un peptide, c’est-à-dire unefraction de protéine constituée d’un enchaîne-ment bien particulier d’acides aminés. Il a étédécouvert en 2001 par le laboratoire strasbour-geois « Immunologie et chimie thérapeutiques »(ICT) du CNRS avec lequel nous coopérons viaun accord-cadre de collaboration signé avec leCNRS en février 2002. Contrairement à certainsimmunosuppresseurs qui affectent la globalitédu système immunitaire, ce peptide ne cible quela catégorie bien précise des cellules immunitairesimpliquées dans la pathologie. Notre société aobtenu l’exploitation du brevet CNRS qui le pro-tège et a déposé des brevets en copropriété avecle CNRS pour étendre sa protection. Nos liensavec l’ICT sont assez forts : quatre de ses cher-cheurs détiennent des parts au capital de notre

société depuis 2002. Immupharma France vientégalement de financer le recrutement d’un tech-nicien au sein de ce laboratoire.

Collaborez-vous sur d’autres projets avec leCNRS?R.Z. : Nous développons aussi un anticancéreuxen partenariat avec l’ICT et le laboratoire francilien« Croissance, réparation et régénération tissu-laires » (CRRET) 1. Il a été découvert par les équi-

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INNOVATION 15

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I l aura suffi d’un an. L’année dernière, la com-munauté scientifique écarquillait les yeuxdevant les caoutchoucs autocicatrisants, toutjuste sortis des éprouvettes du Laboratoire

« Matière molle et chimie » (MMC), à Paris 1.Aujourd’hui, le premier chimiste français, lasociété Arkema, ancienne Atofina, entre dans laphase de commercialisation de ces caoutchoucsquasi magiques : une fois cassés, ils retrouventleur intégrité au bout de quelques dizaines deminutes.Un an, c’est court en matière de développementindustriel. « Le passage du laboratoire au début dela commercialisation a été plus rapide qu’on ne lepensait », confirme Manuel Hidalgo, chef de pro-jet au Centre de recherches Rhône-Alpes d’Ar-kema, près de Lyon. La société, qui avait codéposéle premier brevet des caoutchoucs autocicatri-sants avec le CNRS, a mis à profit cette durée pourinventer des processus de fabrication rapides.Quand quelques grammes de matière étaientélaborés patiemment au laboratoire MMC, cesont aujourd’hui trente kilos qui peuvent êtreproduits d’un seul coup dans les creusets d’Ar-kema. On n’en est pas encore au stade industriel,mais c’est suffisant pour mener les études defaisabilité de production à l’échelle d’une usine.Arkema a déjà noué des contacts en vue d’uneindustrialisation et signé des contrats de secretsavec une cinquantaine d’entreprises. À terme,Arkema devrait leur fournir du caoutchouc auto-cicatrisant, à charge à elles ensuite de le formu-ler selon leurs spécificités propres. La liste deces sociétés, gardée confidentielle, couvre de lar-ges pans de l’industrie, du textile jusqu’à l’ex-ploitation pétrolière, en passant par l’automo-bile et la pharmacologie. Parmi les produitsmanufacturés prévus figurent des articles pourle sport, des revêtements anticorrosifs de tubesdans lesquels circule le pétrole, des joints deportière de voiture, des bouchons de bouteillesde médicaments.En fait, le terrain d’application des caoutchoucsautocicatrisants est potentiellement infini. Ilspossèdent en effet toutes les vertus des élasto-mères standard comme le caoutchouc naturel, en

particulier le même pouvoird’élongation. Autrement dit,ils peuvent les remplacer danspresque toutes les situations,avec naturellement un avan-tage en plus : leur faculté d’au-toréparation, une propriété quis’explique par la structuremême du matériau. Un élas-tomère standard est en effetun « paquet » de polymères 2

greffés les uns aux autres. Dansun caoutchouc autocicatrisant,les briques de base du maté-riau ne sont pas soudées entreelles, mais jointes par des liaisons hydrogènes par-faitement réversibles (le même type de liaison quiexiste entre les molécules H2O dans l’eau). Pourle vérifier, il suffit de couper un caoutchouc auto-réparant, d’en joindre les deux bouts : une heureaprès, les liaisons hydrogènes se sont reforméeset le matériau est redevenu comme neuf ! Leprincipe est tout droit issu de la chimie supra-moléculaire, qui a valu au chimiste Jean-MarieLehn 3 son prix Nobel et qui vise à construiredes édifices moléculaires en reliant des molé-cules par des liaisons faibles.La rapidité avec laquelle les caoutchoucs auto-cicatrisants sont sortis du laboratoire tient en par-tie à la coopération de longue date entre les ingé-nieurs d’Arkema et l’équipe de Ludwik Leibler,directeur du laboratoire MMC. Cette collaborationremonte à bien avant l’aventure des caoutchoucsautocicatrisants. « En termes de partenariat, notrecollaboration est exemplaire, se félicite ManuelHidalgo. Dialoguer avec des scientifiques de hautniveau nous apporte beaucoup. » Dans l’article deNature 4 de 2008 qui dévoilait ces caoutchoucs,Ludwik Leibler et ses collègues remerciaientManuel Hidalgo pour les discussions sur cer-tains aspects industriels. L’entente scientifiquefonctionne visiblement à double sens.Mais le caractère autocicatrisant n’est pas la seulequalité des caoutchoucs innovants qui allèchentles clients d’Arkema. « Le tour de force des scienti-fiques a été d’avoir pris des molécules existantes pour

fabriquer leur caoutchouc », rappelle ManuelHidalgo. Ces molécules (des dimères et trimèresd’acides gras) proviennent en effet d’huiles végé-tales (colza, pin, maïs…). L’intérêt écologique estévident quand on songe que les caoutchoucs stan-dard sont majoritairement d’origine pétrochi-mique. Bien que le latex naturel, issu de l’hévéa,puisse prétendre à la même provenance bio, cer-taines de ses propriétés, notamment l’obligationde lui faire subir une vulcanisation, restreignentson emploi. Plusieurs sociétés intéressées par lecaractère renouvelable des caoutchoucs auto-cicatrisants ont déjà frappé à la porte d’Arkema.

Xavier Müller

1. Laboratoire CNRS / ESPCI.2. Les polymères sont des macromolécules formées à partirde l’enchaînement d’un motif simple, le monomère.3. Aujourd’hui directeur du Laboratoire de chimiesupramoléculaire de l’Institut de Science et d’ingénieriesupramoléculaires (Isis, CNRS / Université de Strasbourg-I).4. Nature, vol. 451, n° 7181, 21 février 2008, p. 977.

IMMUPHARMA

Soigner grâce aux peptides

CONTACTÔ Manuel [email protected]

Ô Ludwik LeiblerESPCI, [email protected]

INNOVATION Entretien

Basée à Mulhouse, la société Immupharma France développeplusieurs médicaments à base de peptides, des fragments de protéines, découverts par des chercheurs du CNRS. Son président-directeur général, Robert Zimmer, nous dévoileles candidats les plus prometteurs.

CHIMIE

Ce caoutchouc que l’industrie s’arracheAprès un an de tests, la société Arkema s’apprête à commercialiser les caoutchoucsautoréparants codéveloppés par le CNRS. Plusieurs dizaines d’entreprises de produitsmanufacturés sont déjà sur les rangs.

CONTACTÔ Robert ZimmerImmupharma [email protected]

Les caoutchoucs de la sociétéArkema s’autoréparentrapidement d’une simplepression des doigts.

Les caoutchoucsautocicatrisants sont renforcéspar divers de composés comme ici le noir de carbone.

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« Pour la première fois, enphaseII des essais cliniques,un anti-lupus présente une supériorité significativesur le placebo. »

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Comme sa discipline – telle que la voit legrand public –, Jean-Loup Waldspurgerest énigmatique. D’aucuns diraient dis-cret. Rapidement, lorsque les mots ne

parviennent plus à traduire ses idées, il passeau tableau noir et dessine deux axes x et y, puisdes figures et des formules complexes. Spécia-liste de l’arithmétique, il vient de recevoir le prixClay 2009, une distinction internationale remisechaque année à des mathématiciens de haut vol.Hébergé « temporairement », à cause du dé-samiantage de Jussieu, rue du Chevaleret – dansun « paquebot orange » du XIIIe arrondissementde Paris –, ce directeur de recherche à l’Institutde mathématiques de Jussieu 1 justifie une tellerécompense par « une série de résultats qui ontramené le “lemme 2 fondamental” – et certainsénoncés connexes – à son “noyau dur”. Et il y a deuxans, le mathématicien vietnamien Ngo Bao Chaua ainsi pu résoudre ce lemme ». Le lemme fonda-mental ? En 1967, le canadien Robert Langlandsbouscule le monde mathématique en proposantl’existence de liens étroits entre plusieurs théo-ries mathématiques : géométrie, arithmétique,analyse… Il ouvre ainsi un nouveau domaine derecherche, couramment appelé « programmede Langlands » qui a pour but de démontrer cesliens et qui devient l’une des pierres angulairesdes mathématiques modernes. « Or en 1980, leprogramme s’est trouvé en quelque sorte “bloqué” parle fameux lemme, explique Jean-Loup Waldspur-ger. Sans intérêt en soi, la résolution du lemmefondamental était un passage obligé pour aller plusloin. » Ce qui fut donc fait, en partie grâce à sacontribution. Et pour son plus grand bonheur :le programme de Langlands ne cesse en effetd’inspirer une grande partie des recherches engéométrie algébrique et en théorie des nombres,qui occupent à plein temps l’esprit de Jean-LoupWaldspurger. On l’aura compris, l’homme tient beaucoup dumathématicien comme on l’imagine souvent : à

raisonner bien au-delà des capacités d’abstractionde ses semblables. Pas facile de trouver des motssimples pour traduire le vocabulaire qui émaillela discussion : conjecture locale de Gross-Prasad,endoscopie tordue, groupe p-adique… Mais pourlui, les mathématiques ont toujours été une évi-dence. « Comme j’étais bon élève au lycée et que lesystème éducatif pousse les forts en maths, j’ai suivinaturellement la vague. » Son « parcours stan-dard » le mène sur les bancs de l’École normalesupérieure. Après un petit crochet par la géo-métrie – « Je ne suis pas du genre débrouillardalors j’ai pris le sujet de DEA que l’on me propo-sait » – il entre en thèse d’arithmétique, sous lahoulette de Marie-France Vigneras. Et de seconsacrer à cette branche des mathématiquesqui le fascine, « parce que les problèmes d’arith-métique me parlent plus directement et que j’ai ludessus des choses assez éblouissantes ». Puis « toutnaturellement », le jeune homme de 23 ans intè-gre le CNRS. Soutenue en 1980 dans un domaineen pleine ébullition, sa thèse d’État explore ce quisera son sujet de référence, la correspondanceentre les différents types de « formes modulai-res ». « Les formes modulaires, précise-t-il devantnotre regard perplexe, sont des objets mathémati-ques, et plus précisément des fonctions, situés aucarrefour de l’analyse et de l’arithmétique. » Qui fas-cinent les scientifiques et suscitent bien desinterrogations, la plus célèbre étant l’hypothèsede Riemann : la résoudre permettrait de com-prendre – en partie – la répartition des nom-bres premiers 3. Après sa thèse, il s’investit dans la théorie dite del’endoscopie, toujours liée aux formes modulai-

RENCONTREAVEC 17

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res. « En fait, les évolutions de ma recherche sontintimement liées à celles des théories en elles-mêmes. » Les publications s’enchaînent au rythmede son cheminement intellectuel et des articlesde ses pairs. Encore faut-il savoir « se renouveler,envisager d’autres problématiques sur lesquellesvous avez des idées… » Les siennes sont reconnuesau niveau national et international : avant le prixClay, la médaille d’argent du CNRS était parexemple venue consacrer l’originalité et la qua-lité de ses travaux. Dans ce champ de recher-che, pas de course au budget comme ailleurs.Mais cela n’empêche pas une féroce compéti-tion entre spécialistes de la discipline, surtoutconcentrés en France et aux États-Unis. Au fait, a-t-il la « recette » du bon mathématicien?Sans hésiter, Jean-Loup Waldspurger met enavant la nécessité de « lire en profondeur les arti-cles d’autrui ». Et de savoir « déconnecter » detemps à autre. Pour lui, c’est le jardinage à l’écartdu tumulte parisien… Une belle façon de renoueravec le concret.

Patricia Chairopoulos

Ô Retrouvez les « Talents » du CNRS surwww.cnrs.fr/fr/recherche/prix.htm1. Institut CNRS / Universités Paris-VI et VII.2. Un lemme est une proposition intermédiaire, démontréeou admise, utilisée lors d’une longue démonstrationmathématique. 3. Un nombre premier est un entier naturel qu’aucunnombre ne divise, sauf 1 et lui-même : 2, 3, 5, 7,11, 13, etc.

Jean-LoupWaldspurger

Le charmediscret del’arithmétique

Mathématicien

CONTACTÔ Jean-Loup WaldspurgerInstitut de mathématiques de Jussieu, [email protected]

“Comme j’étais bon élèveau lycée et que le systèmeéducatif pousse les forts en maths, j’ai suivinaturellement la vague.

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(dans certains arts, comme la littérature, il n’ya d’ailleurs pas ou presque pas de formationinitiale). Si c’était le cas, la compétition seraitmoins incertaine, mais l’invention originaleserait réduite aussi. L’artiste et ses qualitésd’originalité et d’invention ne sont, dès lors,repérables qu’à travers les innombrablesrouages de la compétition directe ou indirecte.Quoiqu’il en soit, les outils de comparaison semultiplient : prix littéraires, hit-parades,tournois de célébrité, etc. Mais le vraiproblème est que la concurrence ainsiorganisée peut provoquer des écarts deréussite énormes, alors que les différences dequalité entre les artistes sont indéterminées :le lauréat du prix Goncourt qui vend500 000 exemplaires de son roman n’est pascinq cents fois plus talentueux qu’unromancier obtenant un succès d’estime. Lesmarchés sont des machines amplificatrices.

Alors au juste, c’est quoi être artiste aujourd’hui?P-M. M. : Les définitions possibles sontnombreuses. Elles finissent par s’accorderquand on analyse les carrières : être artiste, c’est savoir se maintenir dans un environnement de travail et de projetstrès turbulent, c’est traverser des épreuves decomparaison, prendre appui sur les qualitésqui ont été reconnues et apprendre sans cessepour savoir lancer des défis et se renouveler.Mais être artiste, c’est aussi réussir à se créerses réseaux de collaboration pour se procurerles informations, les idées nouvelles, et les projets de travail indispensables. Le paradoxe est qu’il faut savoir construire une carrière sans se laisser contrôler parl’objectif de vouloir réussir à tout prix et partous les moyens, qui est le plus sûr moyend’échouer.

Propos recueillis par Géraldine Véron

Ô À lireLe travail créateur, s’accomplir dans l’incertain, Pierre-MichelMenger, Gallimard-Seuil-Éditions de l’EHESS, 2009, 667 p.

1. Source Insee2. Ce qui correspond à la Loi de Pareto, applicable à denombreux domaines, selon laquelle 20 % des causes sont àl’origine de 80 % des effets.

Le métier d’artiste, sur lequel vous venez depublier une étude référence, attire de plus enplus : entre 1990 et 2005, le nombre deplasticiens a ainsi augmenté de 21 %, celui desartistes du spectacle vivant de 54 % et celui desauteurs (romanciers, écrivains, dialoguistes,scénaristes ou dramaturges) de 61 % 1. Commentexpliquer cet essor?Pierre-Michel Menger : Les arts incarnent lecontraire du travail utilitaire et instrumental.Une reconnaissance sociale élevée est promiseà ceux qui y réussissent, même si c’est pourdes durées très variables. Quant au travailcréateur lui-même, il a les qualités d’uneactivité beaucoup plus gratifiante que lamoyenne des emplois rémunérateurs :plus d’autonomie, plus de variété dansl’activité, moins de routine, et l’espoir de ne pas cesser de découvrir en soi des qualités et des aptitudes dont on ne sesavait pas doté. Toutefois, cet attrait pour les métiers artistiques est placé sous une loid’airain : la distribution de l’estime et de la reconnaissance reste très inégale.

En effet, selon vous, seuls 20 % des artistess’emparent de 80 % 2 de l’attention, de l’estime,du prestige ou des gains…P-M. M. : Le sous-emploi et le chômage desartistes augmentent alors même que lesecteur des arts est en croissance.L’organisation par projet – coûts variables,flexibilité du système d’emploi, rémunérationdes auteurs en fonction des résultats –maintient disponibles pour l’activité un très

grand nombre de professionnels, mais lesplace dans une relation discontinue avecl’emploi. De plus, comme personne ne peutprédire le succès, les mondes artistiquesrecourent à la surproduction et donc à l’excèsd’offres. Les rentrées littéraires, c’est 600 à700 romans ; le festival d’Avignon, c’est unefoule de pièces présentées. Et il en est demême pour la production cinématographiqueou discographique. Tout travail orienté versl’invention et l’originalité est incertain dansses chances de réussite.

L’incertitude serait donc inhérente au travail del’artiste?P-M. M. : L’art nécessite de tâtonner, essayer,bifurquer, s’arrêter, reprendre, ruminer, sanssavoir au juste à quoi on aboutira. Le résultatest adressé ensuite à des publics, dont les réactions sont malaisément prévisibles. La réputation de l’artiste réduit l’incertitudesur la qualité reconnue à son travail, mais n’équivaut pas à une rente. L’artiste doit chercher à se renouveler, pour éviter que l’estime ou l’attention qu’on lui porte ne faiblissent. D’autre part, beaucoup tropd’artistes surestiment leurs chances de succès, ils pensent avoir des qualités qui finiront par se révéler.

Avec des artistes de plus en plus nombreux, lacompétition est-elle devenue une nécessité?P-M. M. : Dans le domaine artistique, laformation initiale ne permet pas de filtrer le nombre de candidats à une carrière

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Dur, dur d’être un artiste

PAROLED’EXPERT16

CONTACTÔ Pierre-Michel MengerCentre de sociologie du travail et des arts, [email protected]

Pierre-Michel Menger, sociologue, directeur de recherche au Centre de sociologie du travail et des arts (CNRS / EHESS) à Paris

«L’art nécessite de tâtonner,essayer, bifurquer, s’arrêter,reprendre, ruminer, sans savoir au juste à quoion aboutira. »

LA LONGUE ROUTE VERS L’ÂGE ADULTE > 19 CES JEUNES QUI FLIRTENT AVEC LES LIMITES > 24

Un « petit ange » devenu diable-ment sensible, provocateur « parnature » et incorrigible opposant.Une « bête curieuse » qui ne parle(fort) qu’à son téléphone portable,

vit en bande et ne jure que par les marques. Unéternel fatigué à l’humeur en dents de scie quine s’aime pas, fume, boit et ne pense qu’à « ça »…Tels sont quelques-uns des poncifs, pour lemoins désespérants, qui collent aux basques denombreux adolescents en ce début de XXIe siècleet recouvrent d’un voile sombre cette phase dela vie. Qu’en est-il dans la réalité ? L’adolescenceest-elle ce « moment de crise » souvent décriépar l’opinion ou un âge paisible et agréable ?Bref, « nos » ados, à l’heure où vient de sonnerla rentrée des classes, vont-ils bien ou non ?Mais d’abord, combien sont-ils? Quatre millionspour la tranche d’âge des 10-14 ans (l’adoles-cence proprement dite), et 3 millions s’agissantdes 15-18 ans, soit environ 7 et 5 % de la popula-tion générale. Loin d’avoir toujours existé sousnos cieux, rappelle le sociologue du CNRS MichelFize, qui ausculte la « planète ado » depuis plusde trente ans et se trouve actuellement à la dis-position du ministère de la Défense, cette phasede l’existence n’est pas un « état naturel ». Lapuberté 1 est de tout temps et de tous lieux, maiselle est avant tout « une construction sociale ».C’est de l’extrême fin du XIXe siècle, avec le déve-

loppement de l’enseignement secondaire, « quel’on peut dater la naissance d’un âge adolescent, ditMichel Fize. En “enfermant” ses fils au collège pourmieux les contrôler et les tenir à distance de sonpropre pouvoir politique et économique, la bour-geoisie a inventé un vrai “nouvel âge” de la vie.Auparavant, les enfants étaient absorbés trop tôtdans le monde du travail pour connaître cet “entre-deux-âges” et devenaient adultes sans transition. Etil a fallu attendre les années 1960 et la massificationscolaire pour que l’adolescence devienne une adoles-cence pour tous : garçons et filles ».

Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

Ce mois-ci, des millions de jeunes et d’adolescents reprennent le chemin de l’école. Et cette annéeencore, c’est une kyrielle de nouveaux émois, de découvertes, de satisfactions, de peurs qui les attendent. Car cette période de la vie qui court de 10 à 18 ans, transition entre l’enfance et l’âge adulte, est beaucoup plus complexe que certains clichés persistants le laissent croire.Alors pour comprendre le mode de vie des jeunes, leur construction en tant que futurs adultes ouencore, pour certains, leurs excès, le regard des sociologues, anthropologues, psychologues, voiredes historiens est indispensable. Avec eux, Le journal du CNRS a mené l’enquête sur la jeunesse d’aujourd’hui.

de 10-18 ansen France

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La longue route vers l’âge adulte

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LES JEUNES ?

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par une mauvaise humeur chronique, des rebel-lions à répétition, une grave difficulté à vivre… ?Bref, adolescence rime-t-elle forcément avecsouffrance ? Non, répond François de Singly,directeur du Centre de recherche sur les lienssociaux (Cerlis) 2, pour qui « la crise est à l’ado-lescence ce que la grève est à la classe ouvrière :une arme de dissuasion. Autrement dit, elle estnécessaire à l’adolescence mais pas aux adolescents.Ce n’est que lorsque les parents entravent son droità s’affirmer que l’adolescent peut dégainer cette“arme fatale” ».L’immense majorité des teenagers (80 %), ren-chérit Michel Fize, double le cap de la pubertésans rencontrer « la crise », se porte bien et estheureuse de grandir, « même s’ils connaissenttous des pépins d’ordre familial, scolaire et autre.La plupart, sinon la quasi-totalité des parents, ipsofacto, ne connaissent pas de conflits majeurs avecleurs adolescents et sont plutôt fiers de leur progé-niture, bien qu’il leur arrive d’éprouver de temps entemps quelques problèmes de communication. Quel’on m’apporte la preuve scientifique que les incon-testables mutations pubertaires constituent unedéstabilisation et que la crise de l’adolescence est unenécessité quasi biologique ! L’adolescence n’est pasle “noir continent” décrit par certains. Il seraittemps de parler de “puberté-atout”. Et d’arrêter de

peu à peu le sien, apprendre à ne pas être prin-cipalement que « fils de » ou « fille de ». Ils par-ticipent de plus en plus aux décisions, ont ledroit de dire ce qu’ils ressentent, ce qu’ils pen-sent être bien pour eux. « Toutefois, je conteste fer-mement l’idée selon laquelle ce processus d’indivi-dualisation, qui ne veut pas dire laisser-faire total,se solderait par une perte d’autorité des parents etl’abolition des règles à la maison, dit François deSingly. Celles-ci continuent de s’appliquer, entreautres dans le domaine des horaires, des sorties etdu travail scolaire. » Reste que, sur cette routemenant à « la terre promise du monde contempo-rain : soi », dans ce mouvement général de valo-risation de l’émancipation et de l’autonomie qui« n’implique pas que la famille soit rejetée », lemétier de parent s’avère « plus fatigant que jamais.Pour un ado, devenir soi-même requiert alternati-vement la présence et l’absence des parents, qui doi-vent accepter ce mouvement ».

SOUCIS DE JEUNESSEQuittons les terres (relativement) riantes del’adolescence pour arpenter celles de la jeunesse(à partir de 15 ans). Attention! Changement radi-cal de décor. Capacités de réflexion élargies et cen-tres d’intérêt plus nombreux, attention accrue auxquestions de société, sens de l’amitié plus

gloser sur la “puberté-handicap” dont les docteursès adolescence, qui voient en elle le royaume de lapathologie ou de l’anormalité sociale parce qu’ils necroisent que des sujets souffrant de différentes patho-logies (boulimie, anorexie, troubles du sommeil,de l’humeur…) ou en mal-être, nous rebattent lesoreilles ».Les principes d’autorité, eux, ont bel et bienchangé. L’ère, dans la famille, est à la démocra-tie. Finie l’époque où un père incarnait, seul, lepouvoir auquel il fallait obéir le petit doigt surla couture du pantalon ou de la robe et qui n’avaitpas besoin de se justifier pour être légitime.L’adolescent moderne n’est plus un héritier, latransmission « à l’ancienne » ayant cédé la placeà une liberté de choix. On n’impose plus leschoses, on les discute, même si cette « pédago-gie de la négociation », définitivement implan-tée dans les classes supérieures qui l’ont inven-tée, s’impose semble-t-il moins facilement dansles milieux populaires et ceux issus de l’immi-gration. « La famille traditionnelle française fon-dée sur le modèle patriarcal a disparu, insisteFrançois de Singly. Les parents cherchent de plusen plus à respecter la nature originale de chacun deleurs enfants. » L’autonomie des adolescents s’ac-croît : devenir autonome signifiant découvrirpar soi-même d’autres mondes pour construire

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L’ENQUÊTE20

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L’ADOLESCENCE, UN MODE DE VIECe qui caractérise fondamentalement un ado-lescent en 2009 ? Son mode de vie, à com-mencer par son langage, largement basé sur leverlan, même dans les milieux aisés (une fille estune « meuf », verlan de « femme », y comprisà Neuilly-sur-Seine). La culture adolescentecontemporaine, par ailleurs, manifeste « un rap-port à l’espace et au temps particulier, poursuitMichel Fize. Seule compte, aux yeux des adoles-cents, la liberté de se déplacer, comme le montre leurengouement pour les pratiques de glisse, sous tou-tes leurs formes (skater, roller…). Et l’on pourraitpresque dire qu’ils sont des “oiseaux de nuit”. Ilscommencent à vivre quand les autres s’endorment ».Sans oublier de parer minutieusement leurcorps. Les vêtements, la coiffure, les bijoux, lemaquillage (pour les filles), le tatouage et le pier-cing font l’objet de la plus grande attention.

« L’emprise des marques est très forte chez lescollégien(ne)s, dit le même expert. À

l’adolescence, la liberté vestimentaireest une liberté surveillée. Nul n’est

censé ignorer les codes dumoment et celui ou celle quine s’y soumet pas s’exclut deson groupe d’élection. Le“look” est tout à la fois plai-sir et contrainte. »Au fait, débauchées, noschères têtes blondes ? Pas

plus que leurs parents, voireleurs grands-parents. Leur

libido a beau être exacerbée parla publicité, le cinéma, la télévi-

sion et Internet, et malgré ce que sug-gèrent certaines plaisanteries (« Mon fils,

mon petit, tu vas avoir dix ans, il faut que nous par-lions de sexe. – Oui papa, qu’est-ce que tu veuxsavoir ? »), « l’apprentissage amoureux continued’obéir aux mêmes rythmes lents que par le passé »,dit Michel Fize. L’âge du premier rapport sexuelcomplet n’a guère changé depuis plus de vingtans (17,5 ans environ). En clair, l’adolescence, bienplus « fleur bleue » qu’on ne l’imagine, n’estpas « l’âge des orgies » mais le temps des gran-des amitiés et des premières constructions amou-reuses, tâtonnantes, balbutiantes. Tout commecelui des « rêves raisonnables » (fonder unefamille, avoir des enfants, un travail intéressant,vivre en sécurité…). « Les ados font le choix d’unesituation stable et moralement convenable. Parmiles valeurs qu’ils citent le plus souvent, la famille,en toute logique, est littéralement plébiscitée »,résume Michel Fize.

UNE CRISE EN OPTIONEt la fameuse « crise d’adolescence » qui angoissetant de parents ? Tout adolescent traverse-t-ilune période sombre psychologique caractérisée >

LA MUSIQUE, UN BOUILLON DE CULTURESDans les années 1960, la plupart des jeuness’opposaient à la culture des adultes en généralet à celle de leurs parents en particulier, avant de renouer, l’âge venant, avec une partiede l’héritage culturel familial. Ce schéma, à en croire Dominique Pasquier, du Laboratoire« Traitement et communication de l’information »(LTCI)1, a volé en éclats. Aujourd’hui, « les jeunes, qu’ils soient issus des classespopulaires, moyennes ou supérieures, ont uneculture à eux, les adultes une autre, explique-t-elle. Le fait vraiment nouveau est la fin de la«transmission verticale» des valeurs culturelles.Celle-ci s’explique par le fait que les parents, àde très rares exceptions près (ceux du milieuenseignant), ne cherchent plus à encadrer laculture de leurs enfants. Ils acceptent l’idée queplusieurs types de préférences culturellescohabitent au sein du foyer. Certainsencouragent même leurs enfants à développerleur propre univers culturel », et ce d’autant queces derniers possèdent désormais beaucoupd’équipements personnels (ordinateurs, MP3,téléphones portables…) pour regarder,communiquer, écouter. De quoi est fait cet univers culturel?Essentiellement de musique (techno, rap, hiphop, RnB, rock…) et d’échanges sur Internet. Lalecture, la musique classique, le théâtre,l’opéra…, étant associés par l’immense majoritédes jeunes à une culture du « passé », au rayondes vieilleries. La musique, relayée par lesmédias de masse (télévision, radio) et discutéesur la Toile, est devenue le noyau dur de la« culture jeune » dominante, une cultureconsumériste loin de contester le modèle de société, comme le faisait la contre-culturedes sixties, et très éloignée des normesscolaires. La musique détermine les manières

de se vêtir, de parler, de marcher, de se coiffer,de placer un piercing… Les amateurs de hardrock ou de métal, proches de la sensibilité« gothique », s’habillent en noir de la tête auxpieds, portent des bagues plein les doigts, desDoc Martens bien lacées aux chevilles… « C’est aussi la musique qui permet de s’insérerdans un groupe d’appartenance en fonction deses préférences pour telle ou telle mouvanceculturelle, dit Dominique Pasquier. Le problèmeest que cette adhésion est en partie unecontrainte. Si l’on refuse de se situer dans ungroupe ou si l’on affirme des goûts individuelstrop différents de ceux des autres, on estmarginalisé, on risque la solitude. Or, à cet âgeoù solidifier des liens d’amitié est très importantpour se sentir exister soi-même, ne pas avoird’amis est une des choses les plus angoissantesà vivre. » Une pression du groupe, une « tyranniedu conformisme » lourde de conséquences.Dans un avenir proche, conjectureDominique Pasquier, le « décrochage » grandissantdes jeunes vis-à-vis de la « culture cultivée »,donc de l’école qui en estla principale dépositaire,risque de rendre lascolarité encore plus« douloureuse » etd’aboutir à « la productiond’élites déconnectées dureste de la population »parce qu’elles auront été lesseules à avoir fait le pari de laculture classique, humaniste etlittéraire dans un contexte où cette dernièreperd globalement de son importance.

P.T.-V.

1. Laboratoire CNRS / Ec. Nat. Sup. Telecom Paris.

CONTACT : Dominique Pasquier,[email protected]

l’âge du premierrapport sexuelcomplet

17,5ansenviron >

L’ENQUÊTE

La musique est le principalfacteur structurant de laculture des jeunes. De làdécoule, comme chez les« gothiques », la manière des’habiller, de se coiffer…

de la population

française

Les 10-18 ans

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sur la sélection » et où les jeunes, sans avoir l’im-pression que leur destin se joue à l’école, « peu-vent tenter des expériences après leurs études pourtrouver leur voie, en vivant cette période de leur exis-tence comme une source d’enrichissement et nond’instabilité destructrice » ? Une invitation qui serésume en deux mots : révolution culturelle.

Philippe Testard-Vaillant

1. Aujourd’hui, on estime qu’une puberté « normale »(laquelle correspond à l’apparition des caractères sexuels

secondaires) commence à 11 ans chez les filles et 13 anschez les garçons et dure, en moyenne, deux à trois ans. 2. Centre CNRS / Université Paris-V.3. Groupe CNRS / Université Paris-IV.

23

Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

de moins en moins sur les élèves, dit Olivier Gal-land. Moins le legs culturel issu du passé est par-tagé entre générations, moins la société peut exer-cer son pouvoir intégrateur », la sociologie ayantmontré que l’intégration sociale repose sur « lesentiment d’appartenir à une collectivité qui par-tage les mêmes valeurs ».Les jeunes, enfin, sont mal représentés dansles corps intermédiaires (syndicats, associations,partis) susceptibles de parler et de négocier enleur nom avec les pouvoirs publics, malgré lacréation récente d’un Haut Commissariat à la jeu-nesse. « Les jeunes sont des acteurs quasi invisibles,sauf lorsqu’ils descendent dans la rue pour protes-ter contre telle ou telle mesure les concernant, dit Oli-vier Galland. La sphère politico-administratives’interroge alors sur les racines du malaise, mais ellepeine à trouver dans la jeunesse elle-même desinterlocuteurs crédibles et légitimes, puisque celle-ci est très faiblement organisée. » Un vrai cerclevicieux.

UN SYSTÈME ÉDUCATIF ÀRÉINVENTERCrise de confiance, crise de valeurs, crise sociale :on comprend mieux pourquoi les jeunes trico-lores broient du noir. Et si ce « mal français » pro-venait, pour l’essentiel, d’un mauvais fonction-nement du système éducatif ? Olivier Galland enest convaincu. « Nous vivons toujours sur le modèleélitiste de l’école républicaine, dit-il. Or, ce modèleméritocratique, mal adapté à la massification del’accès à l’enseignement secondaire et supérieur,continue de vénérer le dieu Diplôme – qui sembledéterminer le destin de chacun pour la vie, de façonirréversible – et de nourrir l’obsession du classe-ment. Tout en affichant un idéal égalitaire defaçade, l’école française est tout entière conçue pourécrémer progressivement les meilleurs ou supposéstels, sélectionner les “pépites” qui formeront l’élite dela nation, et non pour promouvoir la réussite duplus grand nombre. » Les méfaits de cette« machine à casser des destins » sont patents :près de 20 % des jeunes quittent chaque annéel’école sans diplôme ni qualification, 23 % desélèves des filières professionnelles échouent auCAP, 26 % au BEP, et autant d’étudiants oupresque abandonnent leurs études supérieures.Un taux d’échec « scandaleusement élevé » quicharrie beaucoup de frustration, de fatalisme etde doutes sur leur valeur personnelle chez cel-les et ceux qui sont « mis de côté » et se sentent« condamnés à demeurer dans les strates inférieu-res de la société ». « Ne faudrait-il pas s’intéresser d’abord et surtout auxjeunes qui ne réussissent pas en améliorant, notam-ment, le système d’orientation? », s’interroge Oli-vier Galland. Plus largement, les politiques, dedroite comme de gauche, ne devraient-ils paslorgner vers les pays nordiques où les « méthodesscolaires ne sont fondées ni sur la compétition ni

L’ENQUÊTE22

Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

VOUS HABITEZ CHEZ VOS PARENTS ?

CONTACTSÔ Michel Fize, [email protected]

Ô François de Singly, [email protected]

Ô Olivier Galland, [email protected]

dance à protéger les “insiders” (ceux qui sont déjàintégrés dans l’emploi) que les “outsiders” (les pos-tulants) », même s’il ne faut pas noircir le tableauà l’excès. Entre 25 et 30 ans, 80 % des jeunesfinissent par obtenir un CDI. Bref, si l’ascenseursocial n’est pas bloqué, il hoquète, fonctionne auralenti.Outre ces facteurs économiques, la culture desjeunes a rompu les amarres avec les standardsde la « culture légitime » qui correspond aux nor-mes scolaires et aux normes des milieux sociauxles plus favorisés (lire « La musique, un bouil-

lon de cultures » p. 20). « Ceux qui ensouffrent probablement le plus sont les

professeurs, chargés de transmettreun patrimoine culturel qui accroche

élaboré, désengagement du mimétisme ves-timentaire imposé au collège, relations amou-reuses plus « sérieuses » et plus durables,réflexion sur des projets professionnels… : sesentir jeune, « c’est d’abord éprouver l’impressiond’appartenir à un “nouvel âge”, dit Michel Fize.La jeunesse est une réappropriation de soi où l’onpose mieux son identité en tenant moins compte duregard des autres. Vis-à-vis des parents, si conflit ila pu y avoir, il s’apaise. À 16, 17 ans, on est davan-tage dans une posture égalitaire, dans une confron-tation de personnes ».Un « nouvel âge » flanqué malgré tout d’unlong cortège de difficultés. L’enquête réaliséeen 2008 pour le compte de la Fondation pour l’in-novation politique montre en effet que seuls25 % des jeunes Français sont pleinementconvaincus que leur avenir est prometteur, contre60 % des jeunes Danois, par exemple, et autantqu’ils trouveront un jour un bon travail. 6 %font confiance aux « gens en général », 3 % augouvernement, 2 % aux médias. D’autres étudesindiquent que le pourcentage de jeunes« inquiets » a grimpé de 13 % en 1982 à 28 %en 2007. Un moral en berne qui situe la jeunesse

sont en situation

professionnelle

instable ou

au chômage

60%des jeunes actifs

de moins de 25 ans

L’ENQUÊTE

en France

23 ansl’âge moyen

de départ

du foyer familial

Comme dans le filmTanguy d’ÉtienneChatiliez, certainsjeunes quittent tardle domicile parental.

L’entrée dans la vie adulte estloin de revêtir les mêmes traitspartout en Europe occidentale.Tel est le constat de Cécile VanDe Velde, du Centre MauriceHalbwachs1, après avoirconduit 135 entretiensapprofondis auprès d’individusâgés de 18 à 30 ans auDanemark, au Royaume-Uni,en Espagne et en France 2. Au Danemark, où l’éthiqueprotestante a toujours valoriséla construction de l’identitéindividuelle dès la fin del’adolescence (rester chez sesparents est synonyme de pertede temps, voire de stigmatesocial), l’âge médian du départest de 21 ans. « Lorsque lejeune devient majeur, il estcensé ne plus être sous latutelle de sa famille mais souscelle de l’État-Providence, dit Cécile Van De Velde. La politique de financementdes jeunes adultes étudiantsou chômeurs, très généreuse(l’âge d’accès au RMI est fixé à 18 ans, contre 25 ans en France), institutionnaliseune autonomie très précoce. »Au Royaume-Uni, la prised’indépendance survient tout

aussi tôt, mais n’est pasgarantie financièrement parles pouvoirs publics. « Ellerelève plutôt de laresponsabilité individuelle,poursuit Cécile Van De Velde.Au cours des études,l’endettement et l’activitéprofessionnelle parallèle sontpréférés à la solidaritéparentale. La norme socialeinvite le jeune à tracerindividuellement son cheminau sein d’une société quivalorise l’intégration rapidesur le marché du travail. »En Espagne, la décohabitaiondu domicile familial estnettement plus tardive (autourde 27 ans) et n’intervient pastant que le jeune adulte n’a pastrouvé un emploi stable, scellédes liens de couple et épargnéassez d’argent pour acheter un logement. « La cohabitationdes jeunes adultes et de leursparents est souvent qualifiéed’“hôtel de luxe” par les jeuneshommes, dit la mêmeenquêtrice. L’absence relativede participation financière des jeunes ne leur pose que rarement de problème de culpabilité, car le sens

de la solidarité familiale estcensé se renverser au cours de la vie. Le prix de cet “hôtel”semble résider ailleurs,notamment dans le respect des valeurs parentalesqu’induit la cohabitation. »Les jeunes Français, quant à eux, quittent le foyer familialà 23 ans, en moyenne. « Le maintien sous “égideparentale”, contraint par larigidité du lien diplôme-emploiet la perspective d’uneintégration difficile sur lemarché du travail, est vécu surun mode plus frustrant qu’enEspagne et comme une formede “semi-dépendance”,observe Cécile Van de Velde.L’aspiration à l’autonomie des jeunes Français précèdeles moyens mêmes de cetteindépendance. »

P.T.-V.

1. Centre CNRS / EHESS / ENS Paris/ Université de Caen. 2. Cette recherche s’appuieégalement sur les données du« Panel Européen des Ménages »qui permet aux statisticiens etchercheurs de comparer l’évolutiond’échantillons de population desdifférents pays européens.

CONTACT : Cécile Van De Velde,[email protected]

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hexagonale au plus bas des scores d’optimismedans toute l’Europe.

UNE GÉNÉRATION EN RUPTUREComment expliquer une sinistrose aussi cara-binée? Selon Olivier Galland, du Groupe d’étudedes méthodes de l’analyse sociologique (Gemas) 3,trois explications générationnelles s’enchevê-trent : « La jeunesse française est discriminée éco-nomiquement, désocialisée culturellement et sous-représentée politiquement. » De fait, depuisquelques décennies, la précarité de l’emploi seconcentre de plus en plus sur les jeu-nes. Du début des années 1980 aumilieu des années 2000, le pour-centage de jeunes actifs demoins de 25 ans occupant unemploi instable ou pointantau chômage est passé d’unpeu plus de 40 % à près de60 %. « Les jeunes, surtout nondiplômés, sont plus que jamais laprincipale variable d’ajustement del’économie, avec les travailleurs âgés, ditOlivier Galland. Notre système a plutôt ten-

quittent l’écolesans diplôme

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à une épreuve personnelle afin de tester sa “légiti-mité à vivre”, dit David Le Breton. Le jeune en souf-france, qui estime que la société a émis un jugementnégatif à son encontre, se confronte volontairementà la mort pour se réapproprier symboliquementune existence qu’il perçoit comme ne bénéficiantd’aucune reconnaissance. Côtoyer la mort lui per-met de “fabriquer du sens” lorsque tout le reste sedérobe, de prendre une décision lui appartenant enpropre » et, s’il s’en sort, dans le meilleur des cas,de renouer avec le goût de vivre, au moins pro-visoirement. Avec un autre comportement à ris-que, le sacrifice, auquel correspondent les diver-ses formes d’addiction comme la toxicomanie etl’anorexie, le jeune « abandonne une part de lui-même pour sauver l’essentiel, paie le prix pour lapoursuite de son existence ». La blancheur, que l’on rencontre dans les jeuxd’étranglement, les fugues, l’errance, l’alcooli-sation, l’adhésion à une secte ou la recherche dela « défonce », signe quant à elle « la volonté dese défaire de toutes les contraintes d’identité, desortir ou de disparaître de soi pour ne plus êtreatteint par la souffrance liée au monde extérieur.C’est une recherche de perte de contrôle, de coma,et non de sensations fortes », dit David Le Bre-

Si l’immense majorité des jeunesOccidentaux n’a nul besoin de semettre en danger pour avancer dansla vie, diverses enquêtes anthropo-logiques montrent toutefois qu’en-

tre 15 et 20 % d’entre eux, issus pour la plupartde familles recomposées ou monoparentalesdont la figure paternelle est absente ou incon-sistante, sont aujourd’hui réellement en détresse,en plein brouillard identitaire. Et que, si les gar-çons semblent deux fois plus nombreux que lesfilles à éprouver un grave « manque à être » età tâter des conduites à risque, tous les milieuxsociaux sont touchés. Les conduites à risque, rappelle David Le Breton,du laboratoire « Cultures et sociétés en Europe »(CSE) 1, recouvrent une grande diversité de com-portements « mettant symboliquement ou réelle-ment l’existence en danger. Leur trait communconsiste dans l’exposition délibérée du jeune au ris-que de se blesser ou de mourir, d’altérer son avenirpersonnel ou de mettre sa santé en péril ». Quatregrandes catégories dominent : l’ordalie, le sacri-fice, la blancheur et l’affrontement. L’ordalie,dont l’archétype est la tentative de suicide,« consiste à jouer le tout pour le tout et à se livrer

ton. Reste l’affrontement, autrement dit laconfrontation brutale et spectaculaire aux autres(vitesse sur la route, violence verbale, bagarressanglantes, actes de délinquance, activités illé-gales…), privilégié par les garçons, plus mar-qués par la rivalité et la peur de passer pour des« bouffons ». Les filles intériorisent davantageleur souffrance, somatisent leur mal-être et« préfèrent » se détruire dans la solitude. Somme toute, le jeune conçoit le risque noncomme un but en soi (son intention n’est nul-lement de mourir, dans la plupart des cas), maiscomme « une nécessité intérieure, conclut le mêmechercheur. Ces jeunes entendent se révéler à traversune adversité créée de toutes pièces. Si les condui-tes à risque relèvent d’une interrogation doulou-reuse sur le sens de l’existence, elles sont en mêmetemps une manière de forcer le passage en brisantle mur d’impuissance ressenti devant une situa-tion, de tenter de s’en extraire pour continuer àvivre », coûte que coûte.

DES SCARIFICATIONS AUMASCULIN ET AU FÉMININAutre comportement attirant l’attention : lesscarifications. Si l’on manque de chiffres précis

et récents pour quantifier le phénomène 2, denombreux spécialistes des troubles adolescentss’accordent à dire qu’il est en augmentation.Pour Meryem Sellami, elle aussi en poste auCSE et auteur d’une enquête sur le sujet menéeen France et en Tunisie, ces entames corporellesdélibérées témoignent de façon tout aussi poi-gnante de la souffrance d’une fraction de la jeu-nesse. S’agissant des garçons, dit-elle, se couperfigure en bonne place parmi les conditions d’in-tégration dans un clan, dans les quartiers défa-vorisés. De surcroît, s’entailler les bras, les avant-bras ou le torse sous le regard de ses pairs avecun cutter, un couteau ou un compas, permetd’incarner l’image du « dur », de « l’hommefort », d’entrer dans la communauté de « ceuxqui n’ont pas peur d’avoir mal », le tout agré-menté de stéréotypes machistes et phallocrates. Ces adolescents, conscients du statut de tellesblessures dans l’imaginaire collectif, « cherchentà faire peur et à endosser le costume du délinquantsans verser systématiquement dans la transgres-sion des lois », explique Meryem Sellami. Surtout,au-delà de leur souci de perdre « le respect » desautres, l’enjeu pour ces jeunes est de « luttercontre l’indifférence, de prouver qu’ils existent.Menacés par l’exclusion du fait de la précarité deleur situation socio-économique, ces laissés-pour-compte font de leur peau l’exutoire de leur détresse.En se scarifiant, ils conjurent la violence symboli-que dont ils souffrent. Ils conçoivent leur corpscomme un “matériau”, une matière à puiser de la“force” dans la lutte symbolique qui les confronte auxautres ».Les entailles faites en solitaire, quant à elles,servent moins à intimider qu’à retourner contresoi une violence oppressante que les jeunes nepeuvent infliger à ceux ou celles qui les persé-cutent psychologiquement. Mais autant les gar-çons exhibent fièrement leur peau tailladée,autant les filles la dissimulent minutieusement.Pour les adolescentes victimes d’abus sexuels parexemple, estime Meryem Sellami, « la peau n’estplus considérée comme une source de plaisir etd’épanouissement », mais comme « uneenveloppe souillée qu’il faut purger ».

LA DÉLINQUANCECHANGE DE FORMEMaintenant, que disent les chif-fres sur la violence juvénile ?Augmente-t-elle et se durcit-elled’année en année, comme legrommellent de nombreusesvoix ? Les jeunes ont assurémentmauvaise réputation, ceux des« cités » au premier chef, et depuis ledébut des années 1990, le thème de ladélinquance des mineurs s’invite quasi quo-tidiennement à la table de l’ogre médiatique.En fait, les enquêtes en population générale font

L’ENQUÊTE 25

Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009 Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

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L’ENQUÊTE24

état d’une remarquable stabilité en la matière.Reste que, depuis trente ans, « la structure de ladélinquance enregistrée des mineurs s’est profon-dément modifiée », dit Laurent Mucchielli, direc-teur du Centre de recherches sociologiques surle droit et les institutions pénales (Cesdip) 3. Audébut des années 1970, les vols, notamment devéhicules à moteurs, représentaient les trois-quarts de la délinquance des mineurs poursui-vis par la police, contre moins de la moitié (40 %)désormais. En revanche, les « délinquances d’or-dre public » (usage et revente de stupéfiants surla voie publique, infractions à personnes dépo-sitaires de l’autorité publique, destructions-dégradations, en particulier celles visant lesbiens publics…), ainsi que les agressions inter-personnelles (agressions verbales, physiques et

sexuelles), « ont beaucoup progressé dans les sta-tistiques administratives qui mesurent toutefoisdavantage l’activité policière que celle des délin-quants », indique Laurent Mucchielli. Autre nouveauté : depuis 1990, les pouvoirspublics « ne cessent d’ordonner aux policiers, auxmagistrats et aux chefs d’établissements scolaires designaler toutes les formes de violence, même les plusbénignes ». Résultat, la justice se retrouve saisied’une quantité de petites affaires concernantsouvent des préadolescents, voire des enfants,survenues en famille, dans le voisinage et àl’école, autant de contentieux naguère traités >

Ces jeunes qui flirtent avec les limites contre 14,5%

en 2003

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des jeunes de 17 ans

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L’ENQUÊTE26 L’ENQUÊTE 27

Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

que de l’éducabilité » (la prise en compte ducontexte social du jeune et la volonté de privilé-gier sa réhabilitation), qui a prévalu jusqu’auxannées 1980, regagne du terrain. Certes, quelques acteurs de ce secteur essaientd’inventer des réponses éducatives pour remet-tre les jeunes déviants sur les rails de la citoyen-neté, mais ces innovations « sont très rarementvalorisées ». « Le pragmatisme, dit Philip Mil-burn, ne suggérerait-il pas de s’inspirer des dispositifstransversaux mis en place en Angleterre commedans d’autres pays d’Europe du Nord, et dans les-quels des professionnels de tous horizons (police,justice, santé, éducation sociale…), travaillant enétroite collaboration, diagnostiquent précocementles problèmes spécifiques à un jeune délinquant etle suivent collectivement sur le long terme? »

Philippe Testard-Vaillant

1. Laboratoire CNRS / Université Strasbourg-II.2. En 2001, une étude de l’Inserm, menée auprès de jeunesde 11 à 19 ans qui fréquentaient régulièrement l’infirmeriede leur établissement scolaire, avait apporté cetteindication : 11,3 % des filles et 6,6 % des garçons interrogésreconnaissaient s’être volontairement fait mal au moinsune fois, au cours des douze derniers mois. Mais ce chiffren’est pas révélateur du phénomène en général. 3. Centre CNRS / Ministère de la Justice /Université Versailles-St-Quentin.4. Cette ordonnance, promulguéepour faire face à une délinquancegrave des mineurs comme desmajeurs liée au déroulement dela Seconde Guerre mondiale(circulation « libre » des armesde guerre, marché noir etpénurie), repose sur leprincipe que les jeunes sontdes personnes en voied’intégration dans un statutd’adulte qu’il faut protéger etsoutenir grâce à des politiqueséducatives.5. Laboratoire CNRS / UniversitéVersailles-Saint-Quentin.

de façon informelle. D’où l’impression, répan-due mais trompeuse, d’un rajeunissement de ladélinquance. Ouvrir n’importe quel livre d’his-toire, assure le même sociologue, « devrait pour-tant suffire à nous prémunir contre les discours“décadentistes” et moralisateurs de type café ducommerce qui mythifient un passé idyllique quin’a, en réalité, jamais existé ». Exemple : le happyslapping, qui consiste à s’en prendre à une per-sonne lambda en pleine rue, à l’humilier et à fil-mer la scène pour la diffuser ensuite sur Inter-net et les téléphones mobiles. Dans les années1960 déjà, à l’époque des « blousons noirs », dejeunes crapules enregistraient leurs méfaits àl’aide des premiers magnétophones.

IDÉES FAUSSES SUR LA VIOLENCESi le phénomène des « bandes », dénoncé depuisplusieurs siècles, continue bel et bien de sévir,en particulier dans les quartiers « très ghettoï-sés » des grandes agglomérations, aucune don-née fiable n’autorise à conclure qu’il est enhausse. Lors d’une recherche conduite par leCesdip en 2007-2008 au tribunal de Versailles,sur 557 affaires d’infractions à caractère violentcommises par des mineurs, 78 % concernent unmineur ayant agi seul, 18,3 % un petit groupe de2 ou 3 personnes, 3,4 % un groupe de 4 ou 5 per-sonnes et… 0,4 % un groupe de plus de 5 per-sonnes, lequel « pourrait effectivement res-sembler à l’image que l’on se fait d’une“bande” », dit Laurent Mucchielli. Comment expliquer, alors, que lesidées reçues sur l’hyperviolence pré-tendument nouvelle et croissante dela jeunesse rencontrent un tel créditdans l’opinion ? « Nos sociétés sontrendues amnésiques par des médias enquête de nouveauté et de sensation-nalisme, et qui se complaisent dansle traitement des faits divers au pointde décupler les peurs et de faire naîtrede véritables paniques morales », argu-mente le même sociologue. D’autrepart, l’exploitation du thème de la

violence des jeunes à des fins politiques fait tou-jours recette. Marteler, à destination de l’électo-rat, que « la société est peuplée d’adolescents cri-minels que les juges des enfants se contententd’admonester gentiment avant de les renvoyer chezleurs parents, faire peur pour mieux s’ériger ensuiteen garant du “retour à l’ordre” par la répression, atoujours été une rhétorique payante. Et force est deconstater une homogénéisation progressive des dis-cours des partis politiques, de droite comme de gau-che, sur cette question ». Or, conclut Laurent Muc-chielli, pour s’attaquer à la délinquance juvénile,il existe d’autres moyens « que la matraque et lacontention, même si ces dernières sont parfois néces-saires. La répression, qui se limite fatalement àdésigner des coupables (les jeunes et leurs parents),n’est qu’une façon de gérer l’urgence. Seule la pré-vention est une véritable politique au sens oùelle cherche à préparer l’avenir ».Qui dit mobilisation sécuritaire dit aussiréformes législatives à répétition sur la

>À LIRE> Les adolescents, de Michel Fize, éd. duCavalier Bleu, 2009Du même auteur : > Manuel illustré à l’usage des adolescentsqui ont des parents difficiles, éd. du Temps,2009> Antimanuel d’adolescence, toute la vérité,rien que la vérité sur les adolescents, éd. del’Homme, 2009> Les adonaissants, de François de Singly,éd. Armand Colin, 2006.Du même auteur : > Comment aider l’enfant à devenir lui-même?, Les éditions de l’Homme, 2009> Les jeunes Français ont-ils raison d’avoirpeur?, de Olivier Galland, éd. Armand Colin,2009> Devenir adulte, Sociologie comparée dela jeunesse en Europe, de Cécile Van deVelde, éd. PUF, 2008> En souffrance, Adolescence et entrée dansla vie, de David Le Breton, éd. Métaillé, 2007.> La violence des jeunes en question, deLaurent Mucchielli et Véronique Le Goaziou,Champ social éditions, 2009> Quelle justice pour les mineurs? Entreenfance menacée et adolescencemenaçante, de Philip Milburn, éd. Érès, 2009

À VOIR> Dans la tête des filles (2001, 22 min), deLaure Delesalle et Michèle Chouchan,produit par Amorce films et CNRSImages/media – à visionner en ligne sur :http://videotheque.cnrs.fr/index.php?urlaction=doc&id_doc=915> Rites de passage (2004, 27 min), de Jean-Pierre Mirouze, produit par Flight Movie etCNRS Images – à visionner en ligne sur :http://videotheque.cnrs.fr/index.php?urlaction=doc&id_doc=1193

Contact : Véronique Goret (Ventes), CNRSImages – Vidéothèque Tél. : 01 45 07 59 69 –[email protected]

POUR EN SAVOIR PLUSdélinquance des jeunes et son traitement. Depuis

2002, six textes de loi et un décret ad hoc ont étéadoptés en France, une production endiabléequi « place notre pays dans une position excep-tionnelle en Europe et dans le monde, les autres paysprenant, en général, beaucoup de temps pour pro-céder à des réformes de la justice des mineurs », faitobserver Francis Bailleau, du Cesdip.

LES LIMITES DE LA PÉNALISATIONAutre originalité de l’Hexagone : alors que la plu-part des législations européennes, depuis lesannées 1980, tendent à réduire le rôle et l’impactde la privation de liberté des mineurs en réponseà la délinquance des jeunes, la France a choisi lastratégie inverse. En effet, les modifications

apportées par les derniers gou-vernements à l’ordonnance

pénale du 2 février 1945 4

vont en effet dans le sensd’une remise en ques-tion du statut de mineur.Elles dénotent « unebanalisation de l’interven-ont été poursuivis par la justice

tion pénale vis-à-vis de la jeunesse, analyse FrancisBailleau. La volonté de considérer l’enfant comme un“adulte en miniature”, et de juger de plus en plus fré-quemment les mineurs comme des majeurs (notam-ment les jeunes de seize à dix-huit ans pour lesquelsl’excuse de minorité devient l’exception plutôt que larègle), est unique en Europe occidentale ». Le choixfrançais peut-il s’avérer « rentable » à long terme ?La prudence est de règle, mais « l’histoire nousenseigne que les politiques d’ordre et la répressionpénale n’ont jamais permis d’endiguer la délinquancejuvénile, si ce n’est durant un court temps, sans s’at-taquer réellement à ses origines », plaide l’expert.Face à cette judiciarisation galopante des dévian-ces juvéniles, comment les acteurs de terrain, res-ponsables au quotidien de la prise en chargedes jeunes délinquants (policiers, magistrats,éducateurs, psychologues…), s’adaptent-ils ?Dans la réalité de la relation avec les enfantsdifficiles, « la pédagogie de la sanction, qui necesse de se renforcer, fonctionne très mal, constatePhilip Milburn, du laboratoire « Professions,institutions, temporalités » (Printemps) 5, sur labase de ses recherches menées depuis unedizaine d’années sur la question, et de travauxen cours de publication. Les professionnels sontplongés actuellement dans le désarroi : les magis-trats sont sommés de ne s’intéresser qu’au prononcédes peines et pas aux moyens de leur exécution, etles policiers de faire de plus en plus de gardes àvue. Quand un jeune placé dans un centre éduca-tif fermé quitte ce foyer sans autorisation, ce n’estpas une fugue, mais un délit passible d’une peine,y compris de prison. Comment doit réagir l’éduca-teur qui souhaite malgré tout préserver la relationéducative avec ce jeune ? En signalant le délit ? Ets’il ne s’y résout pas, qu’en est-il de sa responsabi-lité professionnelle? » Et de souhaiter que la « logi-

des infractions violentes

commises par des mineurs,

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CONTACTSÔ David Le [email protected]

Ô Meryem Sellami [email protected]

Ô Laurent [email protected]

Ô Francis [email protected]

Ô Philip Milburn, [email protected]

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Créé le 19 octobre 1939 à l’initiative de Jean Perrin,le CNRS révolutionne la recherche française. Il donneun statut aux chercheurs et favorise le travail enéquipes associant plusieurs disciplines. Soixante-dixans ont passé, et il ne réunit aujourd’hui pas moinsde 30000 personnes et de 1100 laboratoires.L’historien Denis Guthleben revient sur cette épopéedans un ouvrage à paraître. Flash-back en images…

1 De gauche à droite : un appareilà ailes battantes, une machine à laver la vaisselle, un cornetacoustique pour le repérage des avions, etc. : dans lesannées 1930, les recherchesappliquées sont menées par l’Office national des recherchesscientifiques et industrielles et des inventions (ONRSI), financéessentiellement par les recettes du Salon des arts ménagers, et doivent déboucher sur desapplications à brève échéance…

2 … comme cette sélection de poireaux géants, en 1930.

3 À la fin des années 1920, près devingt ans avant la création du CNRS,le site de Meudon abritait l’ONRSI.

4 Jules-Louis Breton (avec lacanne), directeur de l’ONRSI, et lephysicien Aimé Cotton (à droite),devant le premier grand instrumentfrançais : l’électro-aimant inauguréen 1928 à Meudon.

5 Culture de fruits en tubes à essai, menée à la fin des années1950 au Phytotron de Gif-sur-Yvette.Ce laboratoire, dédié à l’étude des facteurs de croissance des plantes, notamment grâce à de grandes serres où lumière,température et humidité étaientcontrôlées, était à sa constructionl’un des plus grands laboratoirespropres du CNRS.

6 À gauche, étude sur la peauartificielle, au laboratoired’automatique et d’analyse dessystèmes (Laas) de Toulouse; à droite, une pile solaire : dans les années 1960, la recherchefrançaise, structurée grâce à la création du CNRS, devient une priorité nationale.

7 Antarctique, base franco-italienne Concordia, 2006.Les chercheurs effectuent deslâchers de ballon pour étudier lescaractéristiques de l’atmosphère.

A vant la création du CNRS, en 1939, il n’yavait pas de véritable ambition nationalepour la recherche française », analyse DenisGuthleben, ingénieur de recherche, atta-

ché scientifique au Comité pour l’histoire du CNRSet auteur d’un livre à paraître sur ce sujet. « Songezsurtout que le métier ou l’appellation même de cher-cheur n’existait pas ! On parlait plutôt de “savants”,et ces hommes, qui travaillaient souvent chacun seulde son côté, étaient salariés de l’État en tant que pro-fesseurs dans les universités ou dans les grandes écoles.Leurs travaux de recherche n’étaient donc pas consi-dérés comme leur occupation principale et devaient pas-ser après les tâches d’enseignement dans leur emploi dutemps », rappelle l’historien. Le CNRS a donc litté-ralement révolutionné la recherche française en« inventant » un statut pour les chercheurs et enorganisant leur travail en équipes, souvent pluri-disciplinaires, fortes des synergies que l’on sait.Bien sûr, créer un tel organisme, aujourd’hui acteurincontournable au niveau international, ne s’est

pas fait en un jour. L’idée et la volonté tenace d’y par-venir en reviennent tout au moins à un seul homme,Jean Perrin. Quand il reçoit le prix Nobel de phy-sique pour ses travaux sur la structure de la matière,en 1926, le savant de renom constate que la recher-che scientifique dans notre pays aurait beaucoup àgagner en s’inspirant de nos voisins allemands.« Chez eux par exemple, la KWG 1, organisme publicpour le développement de la science, avait instaurédès 1911 le principe du financement des recherchesscientifiques au sein de grands instituts », souligneDenis Guthleben. Tandis qu’en France, qui fonc-tionne surtout à coup de prix et de distinctions, onne pense qu’à récompenser ceux qui ont déjà faitune découverte… Pour mettre fin à cette situationqui a dû décourager nombre de vocations, et pour« décloisonner » la recherche française, Jean Perrinva œuvrer en plusieurs temps. En 1927, grâce à l’appui finan-cier du philanthrope Edmond de Rothschild, JeanPerrin crée d’abord à Paris l’Institut de biologie

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tifiques et des inventions (ONRSI), principalementfinancé par les recettes du Salon des arts ména-gers, et qui s’apparente plutôt à un concours Lépinegéant. « Comme l’écrira un journaliste de l’époque, lamobilisation des laboratoires français équivaut à laconstitution d’un nouveau régiment », commentel’historien. « Au lieu de les envoyer se faire décimer aufront comme en 1914-18… »Le CNRS est créé le 19 octobre 1939. Ses chercheursne disposeront hélas que de neuf mois avant ladébâcle pour contribuer à l’effort de guerre, en effec-tuant par exemple la désaimantation des naviresfrançais afin qu’ils cessent d’activer les mines magné-tiques allemandes à leur passage. Après les heuressombres de l’Occupation, le CNRS sera réorganiséet vivra un très fort développement, surtout dans lesannées 1960. Jean Perrin reconnaîtrait-il les traitsde son « enfant » aujourd’hui? « Oui, car il a conservésa mission première : coordonner, faire, et faire faire larecherche. Il a aussi gardé son ambition de s’intéresserà toutes les sciences en stimulant les recherches depointe, ainsi que son esprit de liberté, souligné l’an der-nier par Jean Weissenbach, médaillé d’or du CNRS »,

analyse Denis Guthleben. « En revanche, leCNRS a bien sûr énormément changé par saforme et sa taille. » Il est en effet passé d’unmillier de personnes et d’une quarantainede laboratoires essentiellement situés à Pariset Meudon en 1945, à environ 30 000 per-

sonnes et 1 100 laboratoires dans toute la Franceen 2009 ! « Du coup, cela le fait souvent passer pourun organisme trop gros, ingérable, alors que depuissoixante-dix ans il n’a jamais cessé de s’adapter à soncontexte et aux attentes placées en lui. Il a subi deséchecs, sans aucun doute. Mais ses réalisations, lesprogrès qu’il a permis et sa contribution à la sciencedurant cette période ont été absolument immenses »,conclut Denis Guthleben.

Charline Zeitoun

1. Kaiser-Wilhelm-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften (Société Kaiser-Wilhelm pour le développement des sciences).2. Parmi eux, citons Henri Bergson (littérature, 1927), Marie Curie (physique, 1903 ; chimie, 1911), Louis de Broglie(physique, 1929).3. Il s’agit de : mathématiques, mécanique, statistique et astronomie ; physique ; chimie ; biologie ; sciencesnaturelles ; histoire et philologie ; philosophie et sciencessociales.

physico-chimique, avec le chimiste André Job etle physiologiste André Mayer. « Cette volonté derassembler différentes disciplines marque clairement ledébut du projet de Perrin », insiste Denis Guthleben.Bien vite, le savant songe à ce que la même démar-che pourrait donner à l’échelle du pays… « Il saitqu’elle permettrait une meilleure répartition des moyenset d’en finir avec le financement au coup par coup »,ajoute l’historien. En quelques années, Perrin mobi-lise les « troupes ». Sa « pétition pour la recherchefrançaise », qui porte la signature de plus de quatre-vingts savants, dont huit Prix Nobel 2, lui permet enavril 1933 de convaincre le ministre de l’Éducationnationale d’établir un Conseil supérieur de la recher-che scientifique. Cette instance, sorte de « Parlementde la science » qui représente toutes les disciplines« qui ont joué un rôle […] dans l’évolution de l’Hu-manité » 3, est la première brique du futur CNRS.La deuxième, créée en 1935, sera la CNRS, Caissenationale de la recherche scientifique, organismepurement financier chargé d’harmoniser les actionsdes différentes institutions préexistantes de soutienà la recherche. « L’année suivante, Jean Perrin,devenu sous-secrétaire d’État àla Recherche, crée un Service cen-tral de la recherche scientifiquequi a le pouvoir de fonder deslaboratoires », reprend Denis

Guthleben. Désormais, tout est là pour former leCNRS : une assemblée où débattre démocratique-ment des questions scientifiques, une caisse definancement, et un organe gouvernemental d’exé-cution des décisions. Reste à les rassembler… « Celan’arrivera qu’en 1939 : avec la déclaration de guerre àl’Allemagne, la nécessité d’unir les forces scientifiquesfrançaises devient impérieuse. » Il faut dire que depuisla défaite de 1918, l’Allemagne a fait fructifier les tra-vaux de ses chercheurs en matière d’armement.Tandis qu’en France, la recherche appliquée ne dis-pose que d’un Office national des recherches scien-

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8 À gauche : un laboratoire de chimie dans les locaux de Meudon, à la fin desannées 1930. À droite : le mêmetype de laboratoire, plus desoixante-dix ans plus tard…

9 Dans la France occupée du début des années 1940, cette chambre sans écho futréalisée par le CRSIM, centre de recherches scientifiquesindustrielles et maritimes de Marseille, grâce à 400 couvertures cédées par les services de santé de la ville.

10 Restes d’australopithèquedécouverts en Afrique en 1968 par les chercheurs du Centre de recherches anthropologiques du musée de l’Homme.

11 Haroun Tazieff, le célèbrevolcanologue, ancien directeur de recherche au CNRS, prélevantun échantillon de lave dans une coulée de l’Etna.

12 Radiotélescope du site du laboratoire d’astronomie de Bordeaux, qui a été rénové et transformé. Ses données sont à présent mises à disposition du public via une interface web.

CONTACTÔ Denis GuthlebenComité pour l’histoire du CNRS, [email protected]

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REPÈRES

19 octobre 1939Création du CNRSpar décretgouvernemental.Dans l’immédiat, il se concentre sur l’effort de guerre.

1940Après la défaite, le CNRS est soumisau régime de Vichyet contraintd’appliquer lesmesures anti-juives.

1944À la Libération,Frédéric Joliot-Curieprend la tête du CNRS qu’il veutréorienter vers la recherchefondamentale.

1958Avec l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle,la recherche estérigée en prioriténationale et le budgetdu CNRS est doubléen deux ans.

1966Création des laboratoiresassociés, ancêtresdes unités mixtes de recherche (UMR).Celles-ci connaîtrontun immense succèset représententaujourd’hui la grande majoritédes laboratoires du CNRS.

1975Lancement dupremier programmeinterdisciplinaire de recherches et création du département des Sciences pourl’ingénieur. Signaturedu premier contrat du CNRS, en tantqu’organisme, avecun gros industriel,Rhône-Poulenc.

1982La loi d’orientation etde programmation dela recherche prévoit,entre autres, d’offriraux chercheurs lestatut de la fonctionpublique qu’ilsobtiendront en 1984.

1999La loi sur l’innovationencourage les chercheurs à créer leur propreentreprise. De nombreusesstart-up voient le jour.

2009Le CNRS disposed’un budget de plusde 3,3 milliardsd’euros.

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Georges Charpak.

François Mitterrand.

Frédéric et IrèneJoliot-Curie.

Jean Perrin.

ChristianeDesroches-Noblecourt.

Jean-Marie Lehn.

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13 Jean Perrin, Prix Nobel de physique qui s’est battu pourorganiser la recherche française,est considéré comme le « père »fondateur du CNRS.

14 Fréderic Joliot-Curie, ici avecsa femme Irène en 1935, année de leur prix Nobel de chimie. Il futl’un des tout premiers boursiers de la Caisse nationale de larecherche scientifique, prémissedu futur CNRS dont le chercheur a pris la direction en 1944.

15 Visite du général de Gaulle au laboratoire Aimé Cotton, pilier de la recherche française en physique atomique, mars 1965.

16 Après son élection en 1981,François Mitterrand tient sa promesse : les chercheursdeviennent fonctionnaires en 1984.

17 Christiane Desroches-Noblecourt,égyptologue, fut la premièrefemme lauréate de la médaille d’or du CNRS, en 1975. Le chimisteJean-Marie Lehn (au milieu),récompensé en 1981, obtient le prix Nobel six ans plus tard.Georges Charpak (à droite), ancien élève de Frédéric Joliot-Curie, fut lauréat du prixNobel de physique en 1992.

Ô Retrouvez toutes les manifestations sur www.cnrs.fr/70ans

Histoire duCNRS de 1939à nos joursPar Denis Guthleben,Éditions Armand Colin,septembre 2009

À LIRE

ChristianeDesroches-Noblecourt.

Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

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Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

Un nouveau contrat pour le CNRS

Le 25 juin dernier, le conseil d’administration du CNRS, réuni au Cern, a approuvé le contratd’objectifs 2009-2013 de l’organisme avec l’État.Quelles en sont les grandes lignes?Catherine Bréchignac : Le contrat d’objectifs signéavec l’État est la mise en œuvre, pour les années2009 à 2013, du plan stratégique « Horizon2020 » du CNRS. Il s’agit d’une déclinaison enactions concrètes des priorités scientifiques décri-tes dans ce plan. Je rappelle ses trois priorités. Lapremière – et c’est notre mission principale – estde faire avancer le front de la connaissance, grâceà une recherche à la fois libre et programmée ;la seconde est de relever les grands défis plané-taires et de répondre aux enjeux de société; la troi-sième est de faire émerger les nouvelles tech-nologies de pointe. Avec ce contrat, nous pouvons nous engageravec détermination sur l’avenir de notre maisonet sur la place qu’elle occupera dans le paysagenational de la recherche. Le CNRS, seul orga-nisme de recherche pluridisciplinaire en France,se trouve conforté dans son rôle structurant depilotage et de coordination nationale de la recher-che en conformité avec les priorités de l’État.Mais il était nécessaire de l’adapter.Arnold Migus : Ce contrat d’objectifs s’inscrit eneffet dans un contexte national lui aussi en évo-lution. C’est pourquoi nous avons réformé l’or-ganisation du CNRS en tenant compte des chan-gements survenus au niveau national avec lacréation de l’Agence nationale de la recherche(ANR), de l’Aeres, et la mise en œuvre de la loipour l’autonomie des universités, dite « loi LRU ».C’est le second aspect de ce contrat dont un despoints forts est une nouvelle organisation en dixInstituts 2, avec la création de l’Institut des scien-ces informatiques et de leurs interactions (voirsupplément fourni avec ce numéro).

Justement, au cours des derniers mois, descritiques se sont fait entendre sur le contexte de la réforme venant de directeurs d’unités, des

syndicats et même du conseilscientifique du CNRS. Dans unclimat parfois tendu, commentêtes-vous parvenu à cet accord?C.B. : Il est nécessaire à ce niveaude distinguer le volet « stratégiescientifique » du volet « organi-sation ». Concernant le premier,un travail de concertation avecnos chercheurs et l’ensemble denos personnels a débuté enmême temps que la réflexionsur le plan stratégique en 2007.Ils ont fait remonter, dans toutesles instances du CNRS, leurspropositions sur les tendancesscientifiques, la conjoncture et laprospective. C’est à partir d’untravail de synthèse que nousavons fait émerger douze prio-rités (voir supplément) pour notre

programmation scientifique. Ce sont les grandsenjeux de notre recherche d’aujourd’hui et dedemain. Ils ont bien évidemment été discutésavec le ministère et dans toutes les instancesde notre maison.A.M. : Parallèlement, nous avons entrepris il y aun an, avec nos directions scientifiques et fonc-tionnelles, un important travail de réflexion surla réforme de l’organisation du CNRS. Le pre-mier texte sur l’organisation a été discuté auconseil d’administration (CA) du 27 novembre2008, et un premier document global a été

donné aux instances à la mi-décembre. À partirde là, les conseils scientifiques des départementsse sont réunis et ont discuté longuement entrejanvier et avril. Le conseil scientifique du CNRSs’est saisi trois fois de différents sujets, dontcelui de l’opportunité de créer ou non un dixièmeInstitut. Le texte a été débattu avec les repré-sentants des personnels en comité techniqueparitaire (CTP) et dans le cadre des séances duconseil d’administration. Il a été aussi très dis-cuté, en dehors des instances, par les directeursd’unités et les personnels. Bref, il y a eu énor-

mément de discussions, de concertations, d’évo-lutions et de fortes inflexions, en particulier ence qui concerne l’organisation. Au final, j’ensuis certain, le contrat satisfait les deux parties :l’État, parce que l’organisation du CNRS évo-lue pour prendre en compte ses priorités, et lacommunauté scientifique du CNRS, parce queses valeurs demeurent.

C’est-à-dire?C.B. : La première valeur qui est fondamentale,c’est la liberté de nos chercheurs. Ceux-ci ontpour mission première de repousser les fron-tières de la connaissance. La seconde valeur a traità l’esprit partenarial, à travers les UMR, qui res-

mission nationale que l’État pourra confier auxorganismes, et donc aux Instituts du CNRS.

Un autre point fort de la réforme est le renforcement de l’interdisciplinarité.Comment sera-t-il assuré?A.M. : À trois niveaux. D’abord au niveau descommissions interdisciplinaires (CID) pour lerecrutement de chercheurs sur des profils inter-disciplinaires : elles auront pour nouvelle missionde suivre aussi leur carrière. Puis, au niveau deslaboratoires, avec la création des soutiens croisésinterdisciplinaires (SCI), un laboratoire pourradépendre d’un, de deux, voire de trois Instituts,s’il souhaite développer des projets interdisci-plinaires. Le laboratoire aura un Institut réfé-rent ; les autres Instituts pouvant lui affecter desmoyens (crédits, personnels…). Déjà, cette année,11 % des moyens des Instituts seront consacrésà des unités dont ils ne sont pas référents. L’an-née prochaine, le quota à atteindre sera de 15 %.Enfin, les trois pôles transversaux placés auniveau de la direction générale constituent letroisième niveau de l’interdisciplinarité. Leursrôles ? Piloter les outils de l’interdisciplinarité etfaire travailler ensemble les Instituts sur les prio-rités scientifiques transversales décrites dans lecontrat d’objectifs. C.B. : L’interdisciplinarité n’est pas un but ensoi, c’est un outil. Et nous devons la renforcerpour répondre aux grands enjeux scientifiquesd’aujourd’hui. Dans les faits, plus de 20 % deslaboratoires sont déjà pluridisciplinaires. L’in-terdisciplinarité a toujours existé au CNRS – elleest d’ailleurs, avec la création du Programmeinterdisciplinaire de recherche (PIR) « Environ-nement » en 1978 à l’origine de la création del’Institut « Écologie et environnement » (INEE) –et, grâce à ces nouveaux dispositifs, elle sera plusvisible et plus efficace.

Le contrat d’objectifs met aussi en avant unemission d’agence de moyens, plutôt dévolue à l’ANR. Pouvez-vous nous expliquer commentce concept va s’appliquer à notre organisme?C.B. : En tant qu’opérateur, le CNRS joue unrôle scientifique et technologique. Il définit lastratégie scientifique selon différents angles : lesrecherches qui lui sont propres, celles qu’il réa-lise en partenariat, avec les universités par exem-ple, celles qui utilisent les grands instruments,celles qui se font à l’international… En tantqu’agence de moyens, il met en œuvre des pro-grammes sur le long terme, mais peut laisser

INSITU INSITU

Le contrat d’objectifs 2009-2013 du CNRS1 avec l’État a été approuvé fin juin par le conseil d’administration du CNRS. Priorités scientifiques, nouveaux Instituts,unités mixtes… Catherine Bréchignac, présidente du CNRS, et Arnold Migus, directeur général, nous livrentleur analyse des points clés de ce contrat qui concrétisele plan stratégique « Horizon 2020 » du CNRS.

tent le pilier de l’organisationde la recherche. Grâce à elles,80 % de nos activités de recher-che continueront à se faire avecles universités.

Passons au concret. Que va-t-ilse passer dans les prochainessemaines?C.B. : Pour mettre en œuvre laréforme, il faut que le décretorganique du CNRS soit modi-fié. À partir de là, nous pour-rons créer les dix Instituts quiont été approuvés par le conseild’administration du 25 juin etmettre en place leur mode defonctionnement. Les directeursdes Instituts seront par la suitesélectionnés par un comité indé-pendant qui conseillera la pré-sidence dans son choix.

Pourquoi fallait-il transformerles départements scientifiquesen Instituts disciplinaires?C.B. : Les Instituts sont nos outilspour l’avenir. Ils seront aptes àprendre en charge de nouvellesmissions. Ils afficheront une dou-ble composante : l’une de ges-tion des laboratoires – ce que fai-saient les départements – etl’autre d’agence de moyens surdes opérations soit thématiquessoit pluridisciplinaires mais par-faitement ciblées. Les Institutsauront une plus grande autono-mie et plus de flexibilité dans

leur nouvelle fonction stratégique de coordina-tion nationale. A.M. : Il faut comprendre qu’à partir du momentoù les universités deviennent autonomes – etc’est un point important de la réforme –, lacoordination et la cohérence nationale de larecherche sont désormais assurées par les orga-nismes. Les universités auront leur politiquepropre, elles pourront entrer en compétition,elles vont pouvoir s’associer, mais elles défen-dront leurs intérêts comme elles l’entendent. Ilappartiendra donc aux organismes d’avoir unevision nationale en matière de recherche, defaire de la prospective, et de mettre en placeune programmation concertée. C’est ce type de >

RÉFORME

« Le CNRS se trouve conforté dans son rôle structurant de pilotage et de coordination nationale de la recherche en conformité avec les priorités de l’État. »

Catherine Bréchignac

« Un laboratoire pourra dépendre d’un, de deux, voire de trois Instituts, s’il souhaitedévelopper des projets interdisciplinaires. »

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la gestion financière des laboratoi-res à ses partenaires, principalement lesuniversités.A.M. : Alors que 80 % de nos activitésse font avec les universités grâce auxUMR, l’État a décidé que ces derniè-res devaient être au centre du systèmede recherche, à l’instar de ce qui sepasse dans les grands pays industriels.En donnant plus de responsabilités auxuniversités, il fallait simplifier le systèmede gestion des UMR. De là, a été mis enplace le concept de délégation globalede gestion financière (DGGF), qui sti-pule que l’établissement (l’université,l’organisme de recherche…) qui hébergeles activités de recherche a pour missionde gérer financièrement les UMR. Ceconcept s’accompagne de principes desimplification des pratiques de gestionconcernant les procédures d’achats, lesmarchés publics ou encore le rem-boursement des frais de mission. Lors-que toutes les compétences et les outilssont réunis pour appliquer ce cahierdes charges, un laboratoire peut passersous un mandat global de gestion finan-cière par une des parties et une seule.Quand la partie est une université, celasignifie que le CNRS devient agencede moyens pour le laboratoire. Ilconfiera à l’université les crédits à luidistribuer. Elle gérera l’ensemble desressources du laboratoire, excepté le personnelqui restera CNRS.Actuellement ce concept est testé, dans des labo-ratoires volontaires, par l’université Paris-VI. Àterme, si cela fonctionne, beaucoup d’UMR sontsusceptibles de passer sous un mode de gestionuniversitaire de leurs ressources financières.

Ces UMR n’appartiendront donc plus au CNRS?A.M. : Si ! La notion d’UMR est indépendante dumode de gestion financière. C’est le pilotagescientifique, parce qu’il est partagé par le CNRSet ses partenaires, qui définit une UMR.

Comment se fera le choix?A.M. : Le choix s’effectuera sur la base d’accordsentre le CNRS et l’université, sous réserve quel’établissement gestionnaire volontaire soit capa-ble d’assumer cette fonction. C.B. : Il ne faut pas oublier également que lenombre de tutelles pour une UMR sera limité,en principe, à deux, un organisme et une uni-versité, en accord avec les recommandations dela Commission d’Aubert. Cela va encore simpli-

fier la gestion. Les autres partenaires, minori-taires, deviendront « associés » et ne seront plus« tutelles ».

Ces derniers mois ont été marqués par la première alliance entre organismes de recherche sur les sciences du vivant et la santé. En quoi consiste cette alliance?A.M. : Quand l’État demande aux organismesd’assurer le pilotage et la coordination de la recher-che, se pose inévitablement la question du recou-vrement des champs disciplinaires et de la com-plémentarité entre les organismes. Ces derniersont pu, au fil du temps, faire évoluer leurs mis-sions : certains, appliqués, comme l’Inserm, sontallés explorer le fondamental, tandis que le CNRSa intensifié ses actions vers l’appliqué. C’est pour-quoi il peut y avoir des recouvrements dans cer-tains grands domaines. Nous en avons identifiétrois qui nécessitent des alliances entre organis-mes. La première alliance est celle des sciencesdu vivant et de la santé avec, principalement, l’In-serm, le CNRS et le CEA, la seconde est celle del’énergie dont les membres fondateurs sont le

CEA, le CNRS et l’IFP, et la troisième porterasur l’informatique et sur les technologies de l’in-formation avec comme partenaires principauxle CNRS, l’Inria, le CEA, l’Institut Telecom…C.B. : Le maître mot en la matière est réseau.Les alliances vont connecter les organismesnationaux entre eux. Prenez l’exemple de l’al-liance entre les sciences de la vie et la santéconcernant la pandémie de grippe A/H1N1. Trèsrapidement, les équipes travaillant sur ce sujetont pu être identifiées et mises en contact. Desfonds ont été débloqués pour financer les travauxde recherche sur ce nouveau virus. L’alliance apermis d’être plus réactif et plus efficace, là oùla force d’un seul organisme, Inserm ou CNRS,n’était pas suffisante.

Ces derniers temps, des progrès sensibles ont été remarqués dans les domaines de la modernisation de l’administration et de la valorisation. Le CNRS est-il en train de changer en profondeur?C.B. : C’est évident. Notre organisme est à l’ori-gine de nombreuses innovations en matière demodernisation et de simplification administra-tive : délégation de signature aux directeurs d’uni-tés, carte Affaires, carte Achats, régime d’exemp-

tion pour les marchés publics. Il faut d’ailleursrendre hommage au secrétaire général, AlainResplandy-Bernard, et à ses équipes pour le tra-vail colossal qui est mené pour moderniser lesprocédures. Le CNRS est aujourd’hui un orga-nisme qui fonctionne bien. Dans le domaine de la valorisation, la direction dela politique industrielle (DPI) qui s’y consacreest efficace et défend les intérêts des chercheursau mieux. Elle les encourage à travailler en étroitecollaboration avec le monde économique. Notreimage auprès des industriels s’améliore. C’estd’autant plus important en temps de crise : ilfaut nous investir auprès de nos entreprises et lessoutenir pour préparer l’avenir, malgré les diffi-cultés qu’elles rencontrent actuellement.

Le CNRS se distingue également par les grandsaccords qu’il passe à l’international. C’est unepriorité pour vous?C.B. : Tout à fait. Il est primordial de valoriser larecherche française. Pour cela, nous disposonsde quatre outils : les programmes internatio-naux de coopération scientifique (Pics), les grou-pements de recherche internationaux (GDRI), leslaboratoires internationaux associés (LIA) et lesunités mixtes internationales (UMI). Nos accordsinternationaux sont en pleine expansion. Notreprincipal partenaire reste évidemment les États-Unis, mais nous nous investissons beaucoupen Asie, notamment avec le Japon, la Chine,l’Inde, le Vietnam et, de plus en plus, Singapour.

L’Amérique latine, avec le Brésil, le Chili oul’Argentine, et l’Afrique ne sont évidemment pasoubliées. Nous sommes également en train deconsolider nos relations avec les pays du pourtourméditerranéen, comme souhaité par le prési-dent de la République. Notre démarche à l’in-ternational est véritablement originale et faitd’ailleurs quelques envieux : nous avons uneméthode efficace pour démarrer des opérationsque nous menons dans le cadre de nos pro-grammes internationaux. Très vite, nous savonspasser aux GDRI, aux LIA (des laboratoires « vir-tuels » qui rapprochent des laboratoires étrangerset français), puis, pour certaines de ces actionsde coopération, nous passons ensuite aux UMI,qui inscrivent ces relations dans la durée. Cedispositif constitue notre force et s’avère trèsapprécié par nos partenaires étrangers.

Catherine Bréchignac, vous avez été élueprésidente de l’International Council for Science(ICSU). Vous avez aussi été nommée récemment

présidente du Haut Conseil desbiotechnologies. Quel lien faites-vousentre le CNRS et ces autres missions?C.B. : L’ICSU est une organisation nongouvernementale qui regroupe notam-ment cent seize membres représentantcent trente-six pays et une trentained’unions scientifiques internationales.Il a pour objectifs de mettre en réseauet en synergie toute la communautéscientifique sur des sujets qui intéres-sent la planète, d’encourager et de pro-mouvoir l’activité scientifique et techno-logique internationale pour le bénéficeet le bien-être de l’humanité, de stimu-ler, préparer, coordonner ou mettre enœuvre des programmes internationaux,scientifiques et interdisciplinaires, depromouvoir l’accès du grand public à lascience. C’est une sorte de super-alliance, un liant au plan mondial entreles politiques et les acteurs de la recher-che. Par exemple, l’ICSU a porté, avecl’Organisation météorologique mon-diale, la IVe Année polaire internationaleavec une implication très forte du CNRS.Nous nous focalisons maintenant surl’Arctique en lançant une réflexion surles bases de données. L’Institut del’information scientifique et technique(Inist) du CNRS va y jouer un rôleimportant, car il s’agit pour nous d’un

support technologique fort. Concernant le HautConseil des biotechnologies, j’en suis la prési-dente en tant que citoyenne. Notre rôle est d’éclai-rer les politiques sur les décisions à prendre enmatière de biotechnologies. Nous sommes parexemple amenés à définir ce qu’est le « sans-OGM » ou à évaluer les risques et bénéficessocio-économiques des biotechnologies. Pourmoi, c’est un travail important qui trouve faci-lement son écho au CNRS, car les relations entrescience et société sont aussi très fortes dansnotre organisme.

Propos recueillis par Fabrice Impériali1. http://www.cnrs.fr/fr/une/docs/Contrat-CNRS-Etat-20090625CA.pdf 2. Institut national des sciences de l’Univers (Insu), Institut de chimie (INC), Institut « Écologie etenvironnement » (INEE), Institut de physique (INP),Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3), Institut des sciences biologiques(INSB), Institut des sciences humaines et sociales (INSHS),Institut des sciences mathématiques et de leurs interactions(INSMI), Institut des sciences informatiques et de leursinteractions (INS2I), Institut des sciences de l’ingénierie et des systèmes (Insis).

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« Notre organisme est à l’origine de nombreusesinnovations en matière de modernisation et de simplification administrative. » Catherine Bréchignac

« La notion d’UMR est indépendante du mode de gestion financière. » Arnold Migus

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dans le cadre du dernier appel. Les deux premiers étudient le phénomène d’accumu-lation du nickel dans les végétaux dans uneoptique de dépollution des sols. Le troisièmeconcerne l’étude des propriétés structuralesd’un système composé de titane et de vana-dium, un métal rare, ayant des applications enjoaillerie. Plusieurs chercheurs du CNRS et deSoleil participent à ces projets.Depuis 2004, sous l’impulsion d’Alain Fon-taine, ancien directeur scientifique adjoint dudépartement « Sciences physiques et mathé-matiques » du CNRS, mais aussi grâce à l’enga-gement de ses directeurs successifs, Soleil estdonc parvenu à tisser de solides liens avec l’Afri-que du Sud. « En 2007 et 2009, les chercheurs deSoleil et du CNRS se sont particulièrement impli-qués dans les deux séminaires Science at Synch-rotrons destinés aux scientifiques du pays, ajouteAnne Corval. En outre, le CNRS a un partenariatde longue date avec la NRF. » Renforcée par cerécent accord, cette collaboration semble doncavoir de beaux jours devant elle ! Et si l’Afriquedu Sud décide de construire son propre synch-rotron, les équipes de Soleil pourraient lui êtred’une aide précieuse.

Jean-Philippe Braly

pourront travailler ensemble, explique Anne Corval,directrice du bureau du CNRS en Afrique sub-saharienne. Le pays a en effet une expertise recon-nue dans certains domaines : paléontologie et archéo-logie, santé (comme la malaria ou le sida), matériaux(minerais, diamants, nanomatériaux), environne-ment… ». Comme dans tout accord de ce type,chaque publication de travaux scientifiques ayantnécessité l’utilisation de Soleil devra mentionnerce dernier. Enfin, la propriété intellectuelle géné-rée par les travaux communs sera partagée.« Pour l’heure, Soleil attend les propositions deschercheurs sud-africains suite au dernier appel àprojets qui court jusqu’au 15 septembre, préciseMichel van der Rest. La divulgation des dossiersretenus interviendra vers la mi-décembre. » Troisprojets franco-sud-africains ont déjà été retenus

C’est un cap important que la commu-nauté scientifique sud-africaine vient defranchir dans l’utilisation du rayonne-ment synchrotron, une technologie consi-

dérée comme essentielle au pays pour atteindreses objectifs de recherche. En effet, grâce à l’accord de partenariat signé le 16 avril dernier àPretoria, les chercheurs de la National ResearchFoundation (NRF, voir encadré) vont être mieuxsoutenus pour accéder à l’utilisation du synchrotron Soleil de Gif-sur-Yvette (Essonne)détenu par le CNRS et le CEA. Ainsi, si leurs projets de recherches sont retenus par Soleil, laNRF s’engage à financer le séjour de certainsd’entre eux, si leurs projets coïncident avec lespriorités nationales : scientifiques (santé, environ-nement, sciences des matériaux…), mais aussipolitiques via un soutien prioritaire aux équipesprésentant des membres issus des communau-tés historiquement défavorisées. « De notre côté,nous les accueillerons pour des séjours de courte oude longue durée, annonce Michel van der Rest,directeur général de Soleil. Les premiers –de quel-ques jours à quelques semaines– leur permettront demener les expériences sélectionnées. Grâce auxseconds –de quelques semaines à quelques mois–, ilsseront accueillis dans le cadre de collaborations scien-tifiques avec nos équipes. »Les chercheurs de Soleil et du CNRS y gagnenttout autant ! « En effet, les Sud-Africains vont leurapporter des thématiques nouvelles sur lesquelles ils

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HORIZON Ils ont choisi la France et le CNRS36

Seize heures, Jussieu, en plein mois dejuin. La chaleur est étouffante dans lelaboratoire frappé par le soleil. RachelSherrard, en jupe et haut pastel, s’ex-

cuse de n’avoir rien d’autre à proposer et versepoliment de l’eau filtrée dans un mug. Prévenanteet vaguement distante, telle qu’on se figure lesBritanniques avec bonheur. Difficile d’imaginerque cette Anglaise née à Bath vient de passer prèsde vingt ans en Australie. Comme si ses annéesde recherche au pays de Crocodile Dundeen’avaient pu entamer le capital british de cetteexperte ès neurosciences, connue pour ses tra-vaux originaux sur la réparation du cervelet lésé.Mais reprenons du début.

Quand elle commence sa médecine à l’univer-sité de Sheffield en 1977, Rachel est loin de sedouter que c’est le point de départ d’un très longvoyage. Elle enchaîne, parallèlement à son cur-sus, une licence en biologie cellulaire, une thèseen neurosciences sur le développement du cer-velet, et trois ans d’externat dans une clinique.Mais alors qu’elle termine juste ses études, sonmari décroche un poste d’enseignant-chercheur

à Brisbane en Australie. Les deux médecins-chercheurs partent à l’assaut de ce climat subtropical. Traversant tous les cinq à sept ans l’île-continent de part en part, au gré des muta-tions. « C’était tough ! » 1, résume-t-elle. Surtoutà Townsville, dans l’extrême nord, et à Perth, oùle couple crée chaque fois un cursus spécialisédans le domaine médical. Dans ces deux facultés de médecine, Rachel lance un nouveaulaboratoire, trouve les financements, manageéquipes et étudiants. Tout en menant de front sespropres recherches sur le cervelet et la fameuseprotéine cérébrale Brain Derived NeurotrophicFactor (BDNF). « C’est une protéine produite parnotre organisme, qui favorise les connexions dans le

cerveau, donc le bon fonctionnementd’activités essentielles comme l’appren-tissage, la mémoire, l’élocution, lesémotions, la motricité, résume-t-elle.Lorsque le cerveau est lésé par un trau-matisme crânien, un AVC, unetumeur ou une maladie dégénérative,cela endommage les connexions entreles cellules et provoque un déficit fonc-tionnel. » Ainsi, un rat au cerveletblessé montre rapidement une mau-vaise synchronisation des patteslors de tests dans une roue. Dansune piscine, il est incapable d’iden-tifier la plateforme comme uneéchappatoire à l’eau et nage sanss’arrêter. « Mon hypothèse était que l’injectionde cette protéine cérébrale naturellepouvait permettre au rat de réparerles circuits neuronaux lésés puis deretrouver une meilleure coordinationdes gestes, et une action continue. » Etmiracle : les expériences montrentque la motricité du rat s’amélioreeffectivement. Un premier articlesur l’injection de BDNF paraît en2001. « C’était une vraie première !La protéine a permis de recréer un circuit naturel, de dessiner une nouvellecartographie entre des cellules autrefoisisolées, explique Rachel. Avec ces

connexions reformées, le rat a retrouvé l’enchaînementdes commandes qui aboutissent à un geste. » Maiscomment les connexions choisissent-elles le bonpassage vers les bonnes cellules cibles ? « Ça, c’estencore un mystère, sourit-elle. À nous d’expliquercet équilibre fragile. »Et ving-neuf articles plus tard, pas question des’octroyer une pause. « En Australie, je n’avais plusassez de temps pour mes recherches. En 2007 j’ai

donc demandé un poste de chercheuse via la bourseMarie-Curie de la Commission Européenne au seinde l’unité Neurobiologie des processus adaptatifs 2 duPr Jean Mariani avec qui je collaborais régulière-ment. Et je viens de décrocher une chaire interna-tionale intitulée Réparer un cerveau vieillissant. » Passer des crocodiles de mer aux irréductiblesGaulois, n’est-ce pas tomber de Charybde enScylla ? Elle rit : « Non, mon mari et moi avons passébeaucoup de vacances ici, j’adore ce pays. Les genssont si polis. Souvent, je vois dans les yeux de moninterlocuteur que j’ai dit un chose bizarre [sic] maispersonne ne rit. C’est incroyable mais les Françaissont vraiment… flegmatiques! »

Camille Lamotte

1. « C’était dur. »2. CNRS / Université Paris-VI.

CONTACTÔ Rachel Sherrard Laboratoire «Neurobiologie des processusadaptatifs» (NPA), [email protected]

Rachel SherrardUne Anglaise à Paris

BRÈVE

Le premier laboratoire européenassocié (LEA) franco-hongrois vientd’être créé avec la Fondationhongroise Bay Zoltàn pour larecherche appliquée. AppeléSkinChroma, il associe des équipesde l’Institut de génétique et biologiemoléculaire et cellulaire (IGBMC) 1, à Illkirch, près de Strasbourg, à cellesde l’Institut de génomique des plantes,de biotechnologie humaine et debioénergie (Baygen), à Szeged. Ce LEA,d’une durée de quatre ans, s’intéresseau remodelage de la chromatine, unesubstance compacte combinant ADNet protéines. Ce processus permet detranscrire et traduire cet ADN en protéines. Les chercheurs du LEAétudieront le mode d’action descomplexes protéiques en charge du remodelage et leur implication dans les réactions immunes innées de la peau, à la base de maladiesinflammatoires. Une collaboration qui devrait permettre de développer de nouvelles thérapies.1. CNRS / Université de Strasbourg / Inserm

Le premier LEAfranco-hongrois

HORIZON 37

Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

PARTENARIAT

CONTACTSÔ Michel van der RestDirecteur général de [email protected]

Ô Anne CorvalDirectrice du bureau du CNRS en Afrique [email protected]

LA NRF MISE SUR LES SYNCHROTRONS

Le synchrotron francilien vient de signerun accord avec la National ResearchFoundation (NRF). Les objectifs :faciliter l’accès des chercheurs sud-africains à cet équipement de pointe et des recherches communes.

Créée en 1999 par le gouvernement de l’Afrique du Sud, la NRF a pour mission de soutenir et promouvoirla recherche. Elle a identifié l’utilisation du rayonnement synchrotron comme un moyen de faireprogresser les connaissances scientifiques du pays, où le développement des sciences et destechnologies fait partie des priorités nationales. La construction d’un synchrotron a été un temps évoquée,tout comme l’idée de gérer une ligne de lumière spécifique sur un synchrotron européen. C’est finalementla facilitation de l’accès de ses scientifiques aux synchrotrons européens qui est pourl’instant retenue. L’accord avec Soleil entre dans ce cadre.

UN SYNCHROTRON

est une installation utilisant la lumière émisepar des électrons circulant dans un anneau àune vitesse proche de celle de la lumière, puisdéviés par des dispositifs magnétiques. Cettelumière, dite « rayonnement synchrotron »permet d’analyser, au niveau atomique, deséchantillons de matière de toutes sortes. Lesapplications sont nombreuses : matériaux,sciences de la vie, santé, chimie,environnement, patrimoine…

Soleil rayonne sur l’Afrique du Sud

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ISLe synchrotron Soleil s’invite dans la recherche sud-africaine. Photomontage mêlant le grand instrumentau premier plan et la ville de Pretoria en fond.

3 questions à…

GUIDE 39

Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

Acteur, metteur en scène, théo-ricien et pédagogue, Mikhaïl Tchekhov (Saint-Petersbourg, 1891 –Hollywood, 1955), neveu d’AntonTchekhov, est l’une des figures clésdu théâtre du xxe siècle. Admiréepar son maître Stanislavski,

sa technique, inspirée directement de la philosophie de Rudolf Steiner (1861-1925) grâce à l’utilisation de l’« euryth-mie », a servi à bien des acteurs, de Clint Eastwood à Marilyn Monroe – et continue d’être utilisée. Le principe del’eurythmie ? La combinaison harmonieuse chez l’humain deslignes, des couleurs et des sons afin de retrouver l’« harmoniespirituelle de l’Univers ». Pour la première fois, des chercheurs, universitaires, pédagogues et praticiens internationaux se sont associés pour apporter les piècesmanquantes au puzzle de sa vie et de son œuvre. Publication de référence.

Mikhaïl TchekhovDe Moscou à HollywoodDu théâtre au cinéma

Marie-Christine Autant-Mathieu, éd. L’Entretemps,coll. « Les voies de l’acteur »,juin 2009, 528 p. – 30 €

GUIDE Livres38

Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

Belles de ParisUne ethnologie du music-hall

Cette première enquête ethnologique menée dans quatre music-halls parisiens (Paradis Latin, Moulin Rouge, Lido etFolies Bergère) pénètre le milieu des « petites femmes deParis », lieux sans cesse menacés de fermeture qui renaissent de leurs cendresdepuis leur apparition à la fin du XIXe siècle. Loin de l’apologie ou de la démysti-fication, cet ouvrage montre clairement l’efficacité de la « bonne distance »chère à Lévi-Strauss. Appliquée ici, chez les « cancaneuses », elle fait merveille :élaboration des spectacles, corps de métiers et, surtout, étapes de la « fabri-cation » de la « nudité » légendaire chère au « bourgeois », au « provincial », au« branché », ou à l’« habitué » anonyme. Contribution réussie à l’histoire des rites.

Francine Fourmaux, préface de Claudine Vassas,éd. du CTHS, juin 2009, 288 p. – 28 €

BiologieL’ère numérique

La biologie se convertit au numérique, et c’est une révolution. Il y a moinsde vingt ans, rappelle en préambule Magali Roux, directrice de recher-che au CNRS, un chercheur consacrait ses journées, voire sa carrière àl’étude d’un seul gène. Aujourd’hui, une journée suffit pour analyser desdizaines de milliers de gènes. Résultat : la quantité de données « brutes »double tous les sept mois. D’où la nécessité d’une « e-biologie » capablede profiter de cette accumulation et des progrès de l’informatique pourmieux approcher la complexité du vivant. Un ouvrage collectif de référencepour comprendre cette mutation profonde et ses enjeux, parmi lesquelsse dessine une nouvelle approche médicale, davantage personnalisée,basée notamment sur l’analyse du patrimoine génétique du patient.

Magali Roux (dir.), CNRS Éditions, juillet 2009, 260 p. – 27 €

La sociologie a beaucoup parlé desinégalités sociales à l’école, quiseraient comme un mal inhérent àdes sociétés inégales. L’importantesynthèse que vous proposez sur lesujet, de la maternelle au lycée etparticulièrement en France, sem-ble aller à l’encontre de cette visionfataliste : quels sont les principauxchangements que vous mettez icien lumière?Certains changements vont dans lebon sens, comme la très nette amé-lioration des performances des filleset celle des parcours scolaires desenfants issus de l’immigration. Onconstate, toutefois, un maintien desinégalités entre les groupes sociaux,mais celles-ci ont changé de natureà cause du phénomène appelé par

les sociologues « la translation desinégalités » : autrefois massives àl’issue de l’enseignement primaire,ces inégalités dans les carrièresscolaires sont aujourd’hui visiblesdans l’enseignement secondaire etsupérieur. Le problème n’est plusseulement celui de l’accès à la sco-larité, mais celui des inégalités à l’in-térieur de l’école, d’abord entre lesfilières d’enseignement. Ainsi, l’ori-gine sociale des élèves de la filièrescientifique au lycée a peu changédans le temps et ce sont les autresfilières de l’enseignement général,technologique et professionnel quiont absorbé la démocratisation.S’ajoutent à ceci des différencescroissantes entre les publics et lesrésultats des établissements.

Quel est le rôle des différents ac-teurs, parents et enseignants, dansla production de ces inégalités?Ces résultats pourraient laisser pen-ser que l’école est une machine àproduire des inégalités. Pourtant lesenseignants dans leurs classes dis-posent d’une marge d’action – on apu constater qu’avec le même typed’élèves, certains enseignants et établissements ont des meilleursrésultats (« l’effet établissement »des sociologues). Les choix péda-gogiques des enseignants pour compenser les inégalités crééesdans la famille (c’est là que naissentles plus déterminantes) s’avèrentessentiels mais il est important queces choix s’inscrivent dans une mobi-lisation collective. Malheureusement,cet effet est limité dans les cas defortes concentrations d’élèves en dif-ficulté dont l’école n’est pas seuleresponsable. Les politiques du loge-ment comme les stratégies résiden-tielles déterminent fortement lepublic des établissements – ce quidonne un rôle important aux parents :quand ces derniers choisissent descolariser leurs enfants à l’extérieurde leur secteur d’habitation ou dansl’enseignement privé, ils contribuentinvolontairement à accroître la ségré-gation et les inégalités dans les éta-blissements. Se superposent à ceciles possibilités qu’ont certaines famil-les d’accompagner plus étroitement

la scolarité de leurs enfants grâce àleur propre investissement dans lafamille et l’école. Les inégalités sont,en fait, coproduites au niveau micro-social par les enseignants, lesparents et les élèves.

Et quel est le rôle des politiques dansce paysage?Même très mobilisés sur le terrain,les enseignants et les parents seheurtent au manque de cohérencedes politiques éducatives. Plus qu’undéficit d’intervention, ce que l’onobserve, c’est un empilement desdispositifs qui souvent finissent pardevenir des voies de relégation pourles élèves en difficulté. C’est l’ab-sence d’un regard attentif sur lesdynamiques à l’œuvre sur le terrainqui engendre une véritable myopiede l’action administrative à l’éche-lon local comme au niveau national.Pour que les politiques éducativesportent vraiment leurs fruits, il fau-drait un suivi plus rapproché de leurmise en œuvre et une évaluationrigoureuse de leurs effets.

Propos recueillis par Anne Loutrel

Agnès Van Zanten est sociologue, membre de l’Observatoire sociologiquedu changement (OSC, CNRS / IEP Paris) et dirige le groupement derecherches du CNRS « Réseau d’analyses pluridisciplinaires des politiqueséducatives » (Rappe).

Agnès Van Zanten et Marie Duru-Bellat (dir.), éd. Puf, coll. « Licence »,août 2009, 256 p. – 15 €

Agnès Van ZantenSociologie du système éducatifLes inégalités scolaires

Pour la première fois, la bande dessinée, la BD, sevoit traitée et analysée comme n’importe lequel desmédias, à égalité avec la télévision et la radio. Universitaires ou professionnels questionnent ici cette mise en images et en textes, tentent une définition, interrogent son manque de légitimité originelleafin de saisir comment cet art majeur du XXIe siècle est capable de créer desliens aussi forts avec son lectorat, de constituer et souder des communautés,des publics divers, en suscitant des solidarités aussi concrètes entre ses différents acteurs.

La bande dessinée : artreconnu, média méconnuÉric Dacheux en collaboration avec JérômeDutel et Sandrine Lepontois, Hermès 54,CNRS Éditions, août 2009, 250 p. – 25 €

Atlas des migrants en Europe

Cet atlas engagé vise à mettre en évidence, cartes à l’appui, les inco-hérences et conséquences négatives au niveau planétaire de laquestion des flux migratoires pour l’Union européenne. Chacun desquelque trente thèmes examinés (la politique européenne des visas, les camps de transit, le regroupement familial…) donne lieu à un dossier de trois pages didactique etrichement illustré par de nombreux documents photographiques.

Olivier Clochard, association Migreurop, éd. Armand Colin,août 2009, 144 p. – 19,50 €

Résultat d’un travail exhaustif d’analyse d’archives, éclairé parles témoignages de grandes personnalités, médecins praticienset chercheurs, cette histoire de la recherche médicale en Franceretrace les étapes de la véritable révolution qu’a connue cedomaine au XXe siècle. Il met en évidence la mise en place, à par-tir des années cinquante, d’une double voie du progrès médical

devant avancer désormais entre clinique et laboratoire, c’est-à-dire face à une technolo-gie de pointe qui imprègne de « science » l’approche du médecin.

Jean-François Picard et Suzy Mouchet, éd. Puf,coll. « Sciences, histoire et société », juin 2009, 250 p. – 26 €

Dominique Proust (dir.),Daniel Abbou – Nasro Chab,Yves Delaporte, CaroleMarion, Blandine Proust,éd. Burillier, septembre 2009,352 p. – 39 €

ET AUSSI

OÙ ALLONS-NOUS VIVREDEMAIN?Alfred Vidal-Madjar, éd. Hugo&Cie,juin 2009, 168 p. – 14,95 €

VOYAGES DANS LE FUTURL’AVENTURE COSMIQUE DEL’HUMANITÉNicolas Prantzos, préface deHubert Reeves, éd. Le Pommier, coll. « Poche – Le Pommier »,juin 2009, 380 p. – 10 €

MATIÈRES ET ANTIMATIÈRE À LA RECHERCHE DE LA MATIÈRE PERDUEAlain Mazure et Vincent Le Brun, éd. Dunod,« Univers Sciences », juin 2009, 192 p. – 18 €

Les mains dans les étoilesDictionnaire encyclopédique d’astronomiepour la Langue des signes française (LSF)

Les Arabes parlent aux ArabesLa révolution de l’information dans le monde arabe

Qu’elles soient étatiques ou privées, libres d’accès oucryptées, les chaînes télévisées qui diffusent en arabe par satellite se comptent aujourd’hui par centaines. Mêmemontée spectaculaire pour la diffusion par Internet. Leschercheurs réunis ici analysent cette « révolution » del’information et s’interrogent sur les hommes et les capitaux qui ont rendu possible la diffusion de cesimages et, en aval, sur les pratiques qui matérialisentcette « révolution ».

Yves Gonzalez-Quijano et Tourya Guaaybess (dir.), éd. Actes Sud,coll. « Sindbad », juin 2009, 272 p. – 25 €

La métamorphose de la médecine

GUIDE Livres40

Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

Les médias et la banlieue

Pourquoi, lorsqu’ils traitent des quartiers défavorisésde banlieue, les médias accordent-ils une place pré-pondérante à la violence ? Cette étude sociologiquesur les enquêtes des journalistes de presse écrite etaudiovisuelle menée dans deuxcités de la banlieue parisienne (le Luth à Gennevilliers et les Courtillières à Pantin) analyse lesévolutions majeures de cesgrands ensembles d’habitatsocial, les transformations dufonctionnement journalistique etla façon dont les acteurs locauxtentent de peser sur l’évènement.

Julie Sedel, éd. Le bord de l’eau, coll. « Penserles médias », juin 2009, 252 p. – 18 €

La vie, la mort, l’ÉtatLe débat bioéthique

« Dans leur état présent, les lois bioéthiques et d’au-tres du même genre relatives à la procréation et à lafin de vie, n’ont rien de particulièrement permissif… »Ruwen Ogien donne ici des raisons d’aller dans unedirection opposée, moins paternaliste, plus respec-tueuse des libertés individuelles, faisant remarquerque ces « crimes sans victimes » pourraient être exclusdu système pénal d’un État qui voudrait limiter sonintervention aux cas de torts causés aux autres. Uneidée qui ne s’est pas encore imposée dans le domainede la procréation et de la mort assistée.

Ruwen Ogien, éd. Grasset, juin 2009,coll. « Mondes vécus », 232 p. – 16,50 €

LA CONSOMMATION ENGAGÉESophie Dubuisson-Quellier, éd. Pressesde Sciences Po, coll. « Contester »,juin 2009, 152 p. – 10 €

LE GOLFE DU LIONUn observatoire de l’environnementen MéditerranéeAndré Monaco, Wolfgang Ludwig,Mireille Provansal et Bernard Picon(dir.), éd. Quae, coll. « UpdateSciences et Technologies »,juin 2009, 372 p. – 45 €

LA PRÉHISTOIRESophie Archambault de Beaune etAntoine Blazeau, CNRS Éditions,coll. « Chronique de l’homme »,juin 2009, 200 p. – 29 €

HISTOIRE POLITIQUE ETÉCONOMIQUE DES MÉDIAS EN FRANCENicolas Hubé, Ivan Chupin et NicolasKaciaf, éd. La Découverte, coll. « Repères / Culture –Communication », n°537, juillet 2009,128 p. – 9,50 €

VIOLENCES À L’ÉCOLEÉLÉMENTAIREL’expérience des élèves et des enseignantsCécile Carra, éd. Puf, coll. « Éducation et société »,septembre 2009, 192 p. – 19 €

MOYEN ÂGE ET RENAISSANCE AU COLLÈGE DE FRANCELeçons inauguralesTextes rassemblés par Pierre Toubertet Michel Zink avec la collaborationd’Odile Bombard, éd. Fayard, juin 2009,668 p. – 32 €

LÈVE-TOI ET MARCHEPropositions pour un futur de l’humanitéJacques Arnould et JacquesBlamont, éd. Odile Jacob, août 2009,336 p. – 25 €

LES SCIENCES DE L’INFORMATIONET DE LA COMMUNICATIONÉric Dacheux, CNRS Éditions,coll. « Les Essentiels d’Hermès »,août 2009, 168 p. – 8 €

L’INVENTION DU MASTODONTEAux origines de la paléontologiePascal Tassy, éd. Belin, coll. « Pour la science », juin 2009,168 p. – 18 €

Retrouvez les publications de CNRS Éditionssur le site : www.cnrseditions.fr

AUTRES PARUTIONS

Ce premier volume, d’un pro-jet en coédition avec Einaudiqui en comporte quatre,rappelle que l’aventure desmathématiques est aussi

celle des écoles culturelles aux prises avec les grands problèmes de leur temps. Réunis autour d’uncomité scientifique comptant quatre médaillés Fields,

les plus grands spécialistes internationaux livrentici une somme qui s’impose dès à présent comme l’encyclopédie de référence des mathématiques. Del’invention du boulier à la théorie des jeux, du nombre d’or à la résolution du théorème de Fermat,les auteurs brossent l’histoire d’une science indis-pensable car « sans outils mathématiques, pas dephysique, de biologie, de chimie, d’informatique ».

Coordination Sir Michael F. Atiyah, Alain Connes, Freeman J. Dyson,Yuri I.Manin et David B. Mumford, CNRS Éditions, coll. « Sciences »,septembre 2009, 1000 p. – 89 €

Spécialiste des zones polaires et responsable de l’équipe Cryosphère à l’observatoire Midi-Pyrénées, Frédérique Rémy pro-pose ici une jolie histoire des pôleset de l’attraction qu’ils exercèrentsur les esprits les plus sages. Une véritable « saga »avec ses nombreux mythes – parmi lesquels une Atlantide des Glaces et un Paradis ! – car tous, poètes, philosophes, naturalistes astronomes et explo-rateurs, projetèrent sur le Nord espérances, crainteset fantasmes, de Descartes à Emmanuel Kant jusqu’àRétif de la Bretonne qui eut la prémonition de la montée des mers sous l’effet « d‘une fonte des glaces ».

Histoire des pôlesMythes et réalités polairesXVIIe-XVIIIe sièclesFrédérique Rémy,éd. Desjonquères, juin 2009,216 p. – 20 €

Publié à l’occasion de l’anniver-saire de la chute du mur de Berlin,cet ouvrage propose un point devue sur la construction de l’Europeécrit à la première personne par

une vingtaine de chercheurs de différentes disciplinesauxquels s’associent des écrivains. En mettant enscène le destin d’hommes et de femmes à travers deslieux ou des pratiques différentes, ils rendent évidentsles changements survenus dans les rapports Est-Ouestqui peuvent autoriser, aujourd’hui, à penser un avenireuropéen délivré de ses anciens carcans.

Jean-François Gossiaux et Boris Petric (dir.),éd. Autrement,coll. « Frontières »,septembre 2009, 256 p. – 22 €

Europa mon amour1989-2009 : un rêve blessé

La mathématiqueLes lieux et les temps

GUIDE 41

Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

EXPOSITIONS

Nous sommes actuellement aucœur de la Saison culturelle turqueen France… Pour explorer la diver-sité de ce pays, le musée proposecette exposition sur Xanthos, sitearchéologique classé par l’Unescoau Patrimoine mondial de l’huma-nité. L’occasion de découvrir cette

cité située dans la province antique de Lycie, au Sud de la Turquie,l’un des principaux sanctuaires antiques de la région. À l’image dela Turquie actuelle, Xanthos est au carrefour d’univers culturels etfait une synthèse originale des influences perse, hellénistique puisromaine, en particulier dans son architecture religieuse et funé-raire. L’exposition fait le bilan de cinquante ans de fouilles et présentela mise en valeur de ce site majeur de l’Antiquité, fouillé par la mis-sion française « Xanthos Létoôn » sous l’égide du ministère desAffaires étrangères et du CNRS. L’exposition a ainsi bénéficié de lacollaboration du Centre Ausonius (CNRS / Université Bordeaux-III)et du musée des Moulages (Lyon). À noter : un programme de conférences et concerts.

XanthosDu mardi 15 septembre 2009au dimanche 28 février 2010,musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal (69).Tél. :04 74 53 74 01 – www.musees-gallo-romains.com

À travers objets, films (dont 16 issus des laboratoires du CNRS) et espè-ces vivantes (comme les méduses), cette exposition claire et très complèteaborde tous les aspects d’une question brûlante : la place de l’eau dansle développement de l’humanité. Elle débute sur les formes que prendl’eau dans notre quotidien, à travers des objets hétéroclites, puis exa-mine les propriétés de l’eau, sa capacité à créer la vie, sa présence depuisl’espace jusqu’aux racines des plantes. Pour finir, la gestion de l’eau estmise en débat. Son iné-gale répartition entre leshumains, sa pollution parles activités industriellesou agricoles sont exami-nées à l’échelle localecomme à l’échelle mon-diale. Laissez-vous gui-der au fil de l’eau.

EauxJusqu’à l’été 2010, Le Compa, Chartres (28).Tél. : 02 37 84 15 00 – www.lecompa.com

LES MURS MURMURENT,GRAFFITIS GALLO-ROMAINSJusqu’au 27 septembre 2009,Vesunna, musée gallo-romain,Périgueux (24). Tél. : 05 53 53 00 92– www.vesunna.frPoétiques, coquins, humoristiquesou politiques, les graffitis du passésont, comme ceux d’aujourd’hui, lereflet du langage populaire et depréoccupations universelles. Lesretrouver tient du miracle et lesdéchiffrer est un défi pour leschercheurs comme Alix Barbet(CNRS), l’une des commissairesde l’exposition. Comme eux,découvrez ces témoignages del’époque romaine, à la lumièred’une lampe de poche.

L’ÉTONNANTE MIGRATION DESBALEINESJusqu’au 30 septembre 2009,Nausicaä, Centre national de lamer, Boulogne-sur-Mer (62). Tél. :03 21 30 98 98 – www.nausicaa.frLes baleines, comme 50 % desespèces répertoriées, sontmenacées d’extinction notammenten raison des activités humaines.Pour sensibiliser le public,Nausicaä expose lesphotographies de Joe Bunni,fondateur de l’association SOSOcéans, ainsi que de nouvellesfiches pédagogiques, actualités etanimations pour les enfants.Entendez-vous le chant desbaleines ?

ET AUSSI

Rubrique réalisée par Olivia Dejean

En 1908, Gabriel Lippmann recevait le prix Nobel de physique pour saméthode de reproduction des couleurs en photographie obtenue en 1891grâce à un procédé révolutionnaire basé sur le phé-nomène d’interférence. Cent ans plus tard, cetteexposition conçue avec l’aide de nombreux scien-tifiques revient sur cette invention et son héritagedans les nanotechnologies actuelles ! En plus despremières photographies couleur, le visiteur verrascintiller dans un parcours délibérément sombredes coffres à trésor, et apprendra à travers diversesexpériences la différence entre couleurs pigmen-taires et couleurs structurelles.

Un monde en couleursDe Gabriel Lippmann à la nanophotoniqueJusqu’au 10 janvier 2010, palais de la Découverte,Paris (VIIIe).Tél. : 01 56 43 20 20 – www.palais-decouverte.fr

Comment ressentons-nous les piqûres ? Qu’est-ce qui nous pique ? Et com-ment piquons-nous ? Ces trois questions guident le parcours de l’exposition,ponctué d’expériences interactives. Ortie, seringue, poivre… nos cinq sensidentifient le piquant chacun à sa manière et en informent notre cerveau.Chez les animaux, les aiguillons peuvent servir seulement à se défendre maisaussi à se nourrir… tandis que chez les végétaux, c’est généralement unmoyen de défense, car les plantes ne peuvent pas s’enfuir. Mais l’humain nese prive pas de développer lui aussi ses techniques, pour cuisiner, coudre,chasser, injecter, prélever, et même soigner. Une exposition qui ne manquepas de piquant !

Qui s’y frotte s’y piqueJusqu’au 16 mai 2010, muséum Henri-Lecoq, Clermont-Ferrand (63).Tél. : 04 73 91 93 78 – http://museelecoq.clermont-ferrand.fr

L’exposition Eaux mêlefilms, objets, et espècesvivantes. ©

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Le journal du CNRS n° 236 septembre 2009

Si vous ne connaissez pas les collections multimédias éditées par la Mis-sion de la recherche et de la technologie du ministère de la Culture et de laCommunication, il est temps d’y remédier !Deux collections sont disponibles. « Recherches ethnologiques » proposedéjà neuf sites sur des thèmes aussi variés que « Féminin, masculin, histoiresde couples et construction de genre », « Charpentiers d’Europe et d’ail-leurs », « Café, cafés », « Hip hop, art de rue, art de scène ». On y trouve biensûr des vidéos et témoignages de chercheurs ainsi qu’une riche iconogra-phie sur chaque sujet.Dans la collection « Grands sites archéologiques », la vie des hommes d’au-trefois, de la Préhistoire au Moyen Âge, est relatée par les plus grands spé-cialistes, à travers des parcours accessibles à tous. Parmi les derniersopus, signalons « Lattes en Languedoc, les Gaulois du Sud », réalisé encollaboration avec les chercheurs de l’unité « Archéologie des sociétésméditerranéennes ».

Recherches ethnologiques : www.ethnologie.culture.frGrands sites archéologiques : www.culture.gouv.fr/culture/arcnat/fr/

EN LIGNE

Sites d’ethnologie et d’archéologie

Profitez des Journées du patrimoine pour découvrir ou redécouvrir letemps d’un week-end des lieux de sciences et de techniques un peupartout en France. Rendez-vous au musée EDF Electropolis à Mulhousepour revivre l’aventure de l’électricité, à l’abbaye du Mont-Saint-Michel pour percer les secrets de sa construction, au domaine de Saint-Cloud pour connaî-tre l’art des fontaines et le fonctionnement d’un réseau hydrique, à la Réunion pour retracerl’histoire des lazarets, lieux de quarantaine au XIXe siècle… En route pour un tour de Francedu patrimoine !

Les 19 et 20 septembre 2009, dans toute la France.Tél. : 08 20 20 25 02 – www.culture.fr

Journées du patrimoine

Le vendredi, c’est la veille du week-end, mais c’estaussi le jour de La vidéo du vendredi, un rendez-vousen ligne lancé en janvier 2009 par le CNRS. Chaquesemaine vous est proposé un extrait de documen-taire ou un film court de 3 à 5 minutes sélectionnédans le catalogue de films de CNRS Images et enrelation avec une actualité scientifique ou événe-mentielle. En cette rentrée, vous découvrirez notam-ment In vitrum veritas, sur la lutte contre la fraude et lacontrefaçon de bouteilles de vin prestigieuses, Le pro-jet Pegase, sur le site pilote de la centrale solaire Thé-mis dans les Pyrénées-Orientales, et Le cerveau par-tagé, sur les avancées de la connaissance sur lecerveau grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Ô Et jusqu’au 13 novembre, la famille de podcasts « Des étoiles plein lesyeux » du CNRS et du Cnes, produite à l’occasion de l’Année mondiale del’astronomie 2009, continue de s’agrandir.http://www.cnrs.fr/cnrs-images/production/podcast/

L’ÉVÈNEMENT

Le 25 septembre 2009, dans toute la France.Tél. : 04 34 26 81 30 – www.nuitdeschercheurs-france.eu

La Nuit des chercheurs est chaque année une occasionprivilégiée pour les scientifiques de parler de leurs métiersétonnants aux réalités multiples. Cette année 2009 est mar-quée par l’Année mondiale de l’astronomie et l’Année Dar-win. Les chercheurs investissent des lieux aussi surpre-nants que des centres commerciaux. Sans oublier latendance actuelle d’associer artistes plasticiens et cher-

cheurs dans des projets communs. Le programme complet de plus de 150 manifestationsprévues dans 18 villes est accessible sur le site de l’évènement, où seront aussi diffu-sées des vidéos de portraits de chercheurs.

Nuit des chercheurs

Le vivant devient une vraie réserve à « biobriques » quel’on peut assembler comme des Lego. Voilà qui soulèvede nombreuses questions éthiques et environne-mentales. C’est l’objet de ce cycle de conférencesdébuté en mars, qui portera le 1er octobre sur les « Enjeuxindustriels, économiques et sanitaires », le 5 novembresur « La biologie synthétique est-elle possible ? » avantsa séance de clôture le 3 décembre.

Cycle de débats publics, de 18 h 30 à 21 h, àl’Institut de recherche et d’innovation (IRI) du centreGeorges Pompidou, Paris (Ier) – www.vivagora.org

Ingénierie du vivant 2.0La biologie synthétique en question

Les Mardis de l’Espace des sciences reprennent du ser-vice, avec le 15 septembre (à 19 h) « L’histoire de l’Univers »par l’astrophysicien et écrivain Hubert Reeves, le 22 sep-tembre « Une histoire naturelle de la monogamie », par lebiologiste Franck Cézilly (Biogéosciences, CNRS / Uni-versité de Dijon) et le 29 septembre « Les premiers peu-plements de l’Ouest de la France », par Jean-LaurentMonnier, géologue et archéologue du CNRS au Creaah.

Conférences. Les mardi à 20 h 30, salle deconférences Hubert Curien, Les Champs libres,Rennes (35).Tél. : 02 23 40 66 40 – www.espace-sciences.org

Les mardis de l’espace des sciences

RENCONTRES

MANIFESTATION

RENDEZ-VOUS

La vidéo du vendrediwww.cnrs.fr/fr/science-direct/video/video.html.

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Œil de verreCe n’est pas le vent soufflant dans le désert qui a façonné cet étrange œil ourlé de dunes. L’ovaleest en fait la trace laissée par l’appareil – une sonde ionique – qui a servi à dater ce morceau de la météorite Semarkona vu au microscope, en fausses couleurs : en violet, des cristaux, ici de clinopyroxène, et en vert la matrice vitreuse. D’après les analyses effectuées par une équipedu Centre de recherches pétrographiques et géochimiques 1, à Nancy, et publiées dans Sciencele 21 août dernier, il s’agit là du plus vieux verre connu, formé moins d’un million d’années après le début de la naissance du système solaire il y a 4,6 milliards d’années. Pour le déterminer, leschercheurs ont utilisé une technique inédite, similaire à la datation au carbone 14 pour les objetsterrestres, mais utilisant l’aluminium 26. Isotope radioactif de l’aluminium qui se transforme enmagnésium 26 au cours du temps, l’aluminium 26 n’existe plus aujourd’hui. Mais on peut connaîtrel’âge d’un corps primitif en mesurant la quantité de magnésium 26 qu’il contient à l’aide d’unesonde ionique. Ayant démontré par ailleurs que l’aluminium 26 était présent uniformément dans lesystème solaire, les scientifiques ont maintenant à leur disposition un chronomètre très précis pourdater les évènements ayant eu lieu très peu de temps après la naissance du système solaire. F.D.

1. Centre CNRS / Université Nancy-I / INPL Nancy.

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