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Chapitre 2 Préhistoire vidéoludique : le jeu avant les années 1960 Toute Histoire possède son prélude, ses prémices et ses fondateurs. Les bases du jeu vidéo sont à rechercher aux débuts des années 1950, alors que plusieurs ingénieurs américains s’évertuent à dompter les premiers ordinateurs et à tenter de concevoir la meilleure « télévision du monde ». L’on connaît parfaitement le point d’arrivée de ces pre- mières tentatives, à savoir ce jour de 1972 où l’ingénieur en électro- nique Nolan Bushnell, ayant créé l’entreprise Atari, parvint à déve- lopper la même année le premier jeu vidéo à grand succès : Pong. À l’inverse, la période de pré-jeux vidéo est bien plus complexe à cerner, tant elle repose sur un essaimage de trouvailles et d’expérimentations plus ou moins réussies, qui peuvent fournir autant de points de com- mencement à la sphère vidéoludique. Tentons néanmoins d’en donner le meilleur aperçu. Une nouvelle image du jeu Tout d’abord, qui dit « jeu vidéo interactif » dit évidemment « jeu » : la plupart du temps régi par des règles, ce dernier est, depuis la nuit des temps, une activité prioritaire- ment plaisante, ce qui ne le soustrait ni au hasard, ni aux contraintes phy- siques ou cognitives (sports, échecs et jeux de réflexion divers), ni à son caractère éducatif. Sans refaire ici – assez inutilement – toute l’histoire du jeu, on pourra réfléchir aux ingrédients qui rattachent encore l’actuel jeu vidéo aux jeux les plus

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http://www.moutons-electriques.fr/livre-358 De Pong et Space Invaders à l’avènement de la 3D en passant par Super Mario, Tomb Raider, Les Sims, GTA ou World of Warcraft, le jeu vidéo a su se construire depuis la fin des années 1950 comme un divertissement, une industrie et un art à part entière. Pilier majeur de la culture populaire contemporaine, entre dénigrement et émerveillement il concentre aujourd’hui l’attention des marchés du loisir et de la consommation, poussant les joueurs de tous âges à une expérience immersive sans cesse renouvelée. Cette révolution techno-ludique, portée par ses héros, ses genres et ses chef-d’œuvre, de la salle d’arcade des années 1970 aux consoles et ordinateurs de salons, réinitialise l’imaginaire et l’énergie de la littérature, du dessin, du sport et du cinéma, en portant le gameplay et l’interaction jusqu’au seuil des vertiges de l’interdit…

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Page 1: Jeux Vidéo !

Chapitre 2

Préhistoire vidéoludique : le jeu avant les années 1960

Toute Histoire possède son prélude, ses prémices et ses fondateurs. Les bases du jeu vidéo sont à rechercher aux débuts des années 1950, alors que plusieurs ingénieurs américains s’évertuent à dompter les premiers ordinateurs et à tenter de concevoir la meilleure « télévision du monde ». L’on connaît parfaitement le point d’arrivée de ces pre-mières tentatives, à savoir ce jour de 1972 où l’ingénieur en électro-nique Nolan Bushnell, ayant créé l’entreprise Atari, parvint à déve-lopper la même année le premier jeu vidéo à grand succès : Pong. À l’inverse, la période de pré-jeux vidéo est bien plus complexe à cerner, tant elle repose sur un essaimage de trouvailles et d’expérimentations plus ou moins réussies, qui peuvent fournir autant de points de com-mencement à la sphère vidéoludique.

Tentons néanmoins d’en donner le meilleur aperçu.

Une nouvelle image du jeu

Tout d’abord, qui dit « jeu vidéo interactif » dit évidemment « jeu » : la plupart du temps régi par des règles, ce dernier est, depuis la nuit des temps, une activité prioritaire-ment plaisante, ce qui ne le soustrait ni au hasard, ni aux contraintes phy-siques ou cognitives (sports, échecs et jeux de réflexion divers), ni à son caractère éducatif. Sans refaire ici – assez inutilement – toute l’histoire du jeu, on pourra réfléchir aux ingrédients qui rattachent encore l’actuel jeu vidéo aux jeux les plus

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traditionnels : évoquons son aspect convivial, l’invitation au dépas-sement de soi, son irréalité (incarner un autre personnage, à une autre époque, etc.), mais aussi la confrontation avec des adversaires souvent plus puissants, la présence de la mort (échec et mat ou game over !) ou la motivation gratifiante (argent et récompense, quête et enquête résolue, amour et domaine possédé, etc.).

Donnons à présent deux exemples emblématiques et complémen-taires de l’évolution radicale du jeu traditionnel à l’époque contem-poraine. En 1931, sur la base de The Landlord’s Game, un jeu créé en 1904 par Elizabeth Magie pour dénoncer les enjeux du monopole économique au pays de l’Oncle Sam, le chômeur Charles Darrow ob-tient un fulgurant succès en imaginant le Monopoly. Racheté par Par-ker Brothers, devenue une filiale de la société Hasbro, le Monopoly symbolise déjà l’interaction entre le jeu et la réalité (augmentée) de la société américaine.

Autre révolution dans les années 1970 : Nintendo, sereine entre-prise multinationale japonaise, fondée en 1889 par Fusajiro Yamauchi près de Kyoto, au Japon, abandonne alors la fabrication des cartes à jouer, les hanafudas, pour se tourner vers le secteur émergeant du jeu électronique. Un changement radical en terme de positionnement marketing et surtout « d’image ».

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C’est ainsi que, du jeu d’adresse au jeu de société, du jeu de cartes au jeu d’argent, du sport au jeu de rôle, s’est successivement et précisément imposé le support imagé : terrain ou aire de jeu (dont la marelle), table de roulette et plateau de jeu, carte à jouer, puzzle et grille, livre dont vous êtes le héros… Au xxe siècle, c’est naturellement avec l’écran de ci-néma et l’écran de télévision que tout un chacun va s’imaginer pouvoir vivre ou revivre l’aventure vécue par ses personnages préférés : le jeu vidéo allait à l’évidence rendre cet incroyable rêve réalisable…

La révolution des écrans

Les premiers ordi-nateurs purement élec-troniques sont appa-rus après la Deuxième Guerre mondiale, en commençant par l’ENIAC (Electronic Numerical Integrator Analyser and Compu-ter) en 1946. Ce calcu-lateur géant, pesant 30 tonnes, est alors une version modernisée de l’ancienne première machine à calculer, la Pascaline, mise au point dès 1642 par Blaise Pascal. L’ordinateur n’est encore toutefois destiné qu’à suppléer le cerveau humain, en l’aidant à résoudre par la programmation la cal-culabilité des modèles algorithmiques, concepts révolutionnaires du mathématicien et cryptologue Alan Turing1. La télévision est pour sa part un moyen de diffusion de l’image, imaginé depuis la fin du xixe

siècle par des œuvres d’anticipation (La Journée d’un journaliste amé-ricain en 2889, nouvelle de Jules Verne publiée en 1889) et réellement

1. Voir le film Imitation Game (Morten Tyldum, 2014) dans lequel Turing, interprété par Benedict Cumberbatch, tente de percer les secrets de la célèbre machine de codage nazie Enigma. Le titre du film fait référence à un article de 1950 dans lequel Turing présente ses recherches sur l’intelligence artificielle.

Un ordinateur de la taille du

salon !

Glen Beck et Betty Snyder

en train de programmer

l’ENIAC (Elec-tronical Nume-rical Integrator and Computer)

à Philadelphie (Pennsylvanie) au début des années 1950.

(U.S. Army Photo).

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mis au point par des inventeurs comme l’Allemand Ferdinand Braun, qui dépose le brevet du tube cathodique en 1892. En 1928, à une date bien antérieure aux repères de notre conscience collective, l’ingénieur arménien Hovannes Adamian montrera à Londres les premiers es-sais d’une télévision… en couleur ! Rappelons toutefois que ce n’est qu’en 1951 que débuteront aux États-Unis les premières émissions publiques en couleurs.

L’univers profond du jeu vidéo mêle et entremêle avant 1972 les fils tissés conjointement et jusqu’à cette date par l’industrie du jouet (de la fin du xixe siècle aux années 1930), par les jeux mécaniques (une horlogerie de précision interne simulant le mouvement), par l’ordinateur (première géné-ration de 1936 à 1956) et par la télévision (en France, de 1935 à 1947, avec les premières émissions officielles). Ceci sans négliger le pouvoir d’achat, renouvelé chez les ado-lescents dans la société consumériste occidentale des an-nées 1950, et qui s’exprime à plein outre-Atlantique dans les emblématiques drive-in (cinéma de plein air apparu dès 1933), fast-food (depuis 1921) et salles d’arcades. Ces dernières font partie de la grande mythologie des jeux vidéo : c’est en effet là, sous les voûtes et plafonds de bruyants établissements de loisirs (bar, centre commercial, bowling, multiplexe, etc.) que seront installés, entre billards, flippers et baby-foot, dans une ambiance rappelant les grands parcs d’attrac-tions, les premiers jeux vidéo monnayeurs. Il s’agit d’un meuble impo-sant et coloré, rapidement rebaptisé « borne d’arcade » et contenant un jeu payant. Les premiers titres deviendront cultes et légendaires : Galaxy Game et Computer Space (1971), suivis de Pong en 1972 et, plus tard, de Space Invaders (1978).

Très vite, cette nouvelle forme ludique concurrence comme on l’a vu le jouet traditionnel, aussi moderne soit-il : trains et circuits auto-mobiles électriques sont renvoyés à l’âge de pierre en quelques an-nées, alors que des éditeurs jusqu’ici inconnus s’emparent de juteux bénéfices au nez et à la barbe des entreprises classiques, en des lieux également contrôlés conjointement, alcool et tabac obligent, par les autorités fédérales aussi bien que par la pègre ou la mafia…

La révolution de la couleur

Page d’an-nonce publiée dans The New York Times le 25 juin 1951 pour vanter les qualités d’un poste de télévision CBS-Columbia, fabriqué par Air King.Le prix ? 499, 95 $

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Le premier jeu vidéo ? (1948-1958)

Les machines d’arcade initient à partir de 1970 une ère propice aux développeurs de génie ainsi qu’aux premiers studios et sociétés spécialisés dans ce nouveau créneau. Mais, entre la fin de la Deuxième Guerre mondiale et cette décennie historique pour le monde du jeu, il existe vingt-cinq années où furent – de manière plus ou moins of-ficielles – pensés et créés bien des brevets, des programmes et finale-ment des logiciels qui anticipèrent la déferlante à venir.

Citons ainsi à titre emblématique le nom de Thomas T. Golding Junior, professeur de physique à l’Université Furman, en Caroline du Sud, qui inventa en compagnie de son ami Estle Ray Mann un

Une ambiance de salle d’arcade à Hopkins (Minnesota) en 1973.

Des flippers (Gottlieb’s King Rock, Four Square, Flying Car-pet, Pro Football, etc.) et des billards nombreux, face à un unique jeu vidéo (Pong)  : une situation qui allait radicale-ment s’inverser...

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« appareil de divertissement à tube cathodique » (Cathode Ray Amu-sement Device ou… CRAD !), dont le brevet fut déposé le 25 janvier 1947 et officiellement publié le 14 décembre 1948. Ce jeu, qui ne sera jamais commercialisé ni vendu à quiconque, simulait le tir de missiles fictifs sur des cibles en papier transparent, au moyen d’un écran et d’un oscilloscope, selon un principe général inspiré par les écrans radars de la Deuxième Guerre mondiale. Selon ses créateurs, ce jeu requiert « attention » et « adresse », notamment pour manipuler l’appareil. Cette intuition fondamentale du bon gameplay (les sensa-tions ressenties par le joueur, selon un terme anglo-saxon dérivé de la maniabilité et de la jouabilité) ne débouchera cependant – et étrange-ment – pas sur un développement réel du produit.

En 1947, le fameux ma-thématicien britannique Alan Turing écrivit un programme informatique théorique contenant les germes d’une intelligence artificielle : il est adapté en novembre 1951 par le scientifique allemand Die-trich Prinz, qui créé à son tour un programme assez limité permettant au cé-lèbre calculateur Ferranti Mark 11… de jouer aux échecs. Notons que cet

ancêtre du jeu « vidéo » était dénué d’écran et que la faiblesse de la mémoire de l’ordinateur lui interdisait de jouer une partie complète.

Le 05 mai 1951, la société Ferranti présente au premier Festival britannique des Arts, Sciences et Technologies un ordinateur nommé NIMROD. En dépit d’un aspect toujours aussi massif et monumental (la machine pèse plus d’une tonne !), il s’agit bel et bien du premier computer conçu uniquement pour jouer. Le jeu en question s’appelle

1. Livré à l’université de Manchester en février 1951, il s’agira du premier ordinateur électronique généraliste commercialisé du monde. Il porte le nom de son fabricant : la société britannique Ferranti, également installée à Manchester.

Alan Turing (à droite) et ses collègues, occupés autour de l’ordinateur Ferranti Mark 1 en 1950.

Science & Society Picture Library/Getty Images

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Nim ; le principe, séculaire1, en est aussi simple que stratégique, et donc parfaitement adapté à un algorithme informatique, puisqu’il consiste en un affrontement où deux joueurs doivent retirer à tour de rôle et jusqu’au dernier les jetons installés sur plusieurs piles.

Au regard des trois tentatives précédemment citées, il demeure étonnant que, pour de nombreux « historiens » et « spécialistes » du médium, la première personne généralement créditée comme ayant eu l’idée du jeu vidéo… ne soit aucun des protagonistes évoqués !

Dans cette course technologique fondatrice, c’est donc un autre nom qui l’emporte haut la main : celui de Ralph Baer, un inventeur al-lemand né en 1922 qui, dès 1949, sera le premier élève de l’American Television Institute of Technology de Chicago à obtenir le diplôme d’ingénieur en télévision. Lorsqu’on lui y demande en 1951 de créer

1. Le jeu de Nim est déjà connu dans la Chine ancienne (sous le nom de fan-tan) et en Europe depuis le début du xvie siècle. L’origine de son nom proviendrait soit du mot allemand nimm (prends !) soit du verbe anglais to win (gagner), lu à l’envers !

Les prémices d’une console

de jeux : la Brown Box

(1966 à 1971)

Source : PC Ga-mes Hardware, Computerspie-

le Museum

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un téléviseur plus performant que les autres disponibles sur le mar-ché, il proposera – assez vaguement – d’intégrer une sorte de jeu au téléviseur, mais cette idée sera rejetée. Baer reprendra donc son idée en 1966 en la perfectionnant, imaginant un boîtier électronique se ratta-chant au téléviseur, soit rien moins que la toute première esquisse… d’une console de jeu vidéo de salon. On comprendra un peu mieux, dès lors, son surnom aux États-Unis de « père des jeux vidéo ».

En 1952, une autre étape jugée décisive est franchie : à l’Université anglaise de Cambridge, Alexander S. Douglas (1921-2010) illustre sa thèse sur les interactions homme-machine en écrivant le programme OXO. Conçu sur l’ordinateur électronique EDSAC (Electronic De-lay Storage Automatic Calculator, imaginé en 1949), OXO est tout simplement un jeu de morpion (Tic-tac-toe), basé – comme son nom l’indique – sur l’alignement de O ou de X. Petits inconvénients : le produit n’était jouable que sur EDSAC, lui-même ordinateur unique n’existant que sur le campus de Cambridge, et ne présentait aucun mouvement à l’écran. Il s’agissait donc d’un « jeu graphique », plus que d’un véritable « jeu vidéo » au sens actuel. En 1958 et 1959, une version plus élaborée et plus interactive de ce jeu de morpion verra le jour sur TX-O, un ordinateur expérimental déployé par le MIT (Ins-titut de technologie du Massachusetts) dans la ville – américaine cette fois-ci – de Cambridge, non loin de Boston (voir chapitre suivant). Cette nouvelle variante permettait d’utiliser un stylo optique pour tracer cercles ou croix contre son adversaire électronique.

La dernière étape de ce parcours aussi lent que rapide dans la pré-histoire vidéoludique s’effectue également en 1958, dans un contexte international marqué par l’affrontement politique et militaire entre les blocs occidentaux et soviétiques. Dans cette Guerre froide où pointe la terreur de l’utilisation de l’arme atomique1, scientifiques et labora-toires cherchent parfois à distraire le public comme les journalistes des sombres présages annoncés par les divers médias. C’est ainsi que le physicien américain William A. Higinbotham (1910-1994), pour-tant ex-membre du désormais célébrissime Projet Manhattan (selon le nom de code du projet secret qui devait aboutir à la réalisation de la première bombe atomique en 1945), décida d’organiser sous un angle

1. En août 1958, les États-Unis déploient les missiles balistiques américains (Thor IRBM) sur le sol du Royaume-Uni. En 1958 et 1959, Fidel Castroachève sa révolution et prend le pouvoir à Cuba.

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plus ludique la traditionnelle journée portes ouvertes du Laboratoire national de Brookhaven, lequel est situé à New York sur l’île de Long Island.

Higinbotham utilisa le seul véritable outil à sa disposition, l’oscil-loscope – un instrument de mesure des tensions électriques –, pour créer un jeu vidéo adoptant le titre transparent de Tennis for Two. Présenté le 18 octobre 1958, ce jeu simule de manière novatrice le rebond d’une balle effectuant des allers et retours sur un trait hori-zontal figurant le terrain, par-dessus une petite barre verticale repré-sentant le filet. Un contrôleur équipé d’un bouton et d’une molette permet aux utilisateurs émerveillés de frapper la balle et de varier son angle de tir : le son qui accompagne le coup frappé attire des centaines de visiteurs qui seront donc les premiers de l’histoire à jouer à une simulation de tennis.

Tennis for Two (1958)

Un trait, un point rebon-

dissant… et un écran

d’oscilloscope, relié à deux

« manettes »

Source : Mu-seum of Elec-tronic Games & Art (MEGA)

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L’année suivante, en 1959, Higinbotham améliore le principe initial avec un écran plus grand et un choix de gravité différenciée : celle de la Terre, de la Lune ou de Jupiter. Le physicien ne songera pas un instant à faire breveter son invention, expliquant rétrospectivement que, même si ce choix avait été entériné, le brevet aurait appartenu au gouvernement fédéral, ne lui procurant donc aucun enrichissement supplémentaire. Si le jeu a été l’objet d’une commémoration en 1997 et en 2008, pour son 50e anniversaire, il avait à l’époque lentement sombré dans l’oubli jusqu’aux années 1970 et 1980, au profit de son proche successeur, Pong (1972). Ce n’est donc qu’en 1982 et 1983 que la presse spécialisée anglo-saxonne (Creative Computing, 1982 et Video Review, 1983) réattribua enfin à ce titre pionnier et à son créateur des lettres de noblesse bien méritées.

La conquête d’un espace de jeu (1960-1962)

Au seuil d’une nouvelle décennie qui allait se clôturer par une étape insensée – les premiers pas de l’homme sur la Lune, le 21 juillet 1969, à 20 h 56 –, le jeu vidéo est encore un inconnu quasi total aux yeux du très grand public. Pourtant, tout est déjà réuni pour créer et po-pulariser le médium : cerveaux, moyens technologiques et ingéniosité ne manquent guère dans les principaux instituts américains, dont le fameux Institut de technologie du Massachusetts. Le MIT abrite no-tamment le laboratoire Lincoln, une unité de recherche et développe-ment travaillant pour le département de la Défense, dans lequel est mis au point en 1956 le TX-O, surnommé Tixo, soit le premier ordinateur terminal informatique à transistors. Plus petit, plus léger et plus robuste que l’ancien tube électronique, le transistor (créé en 1947) permet au TX-O de fonctionner jour et nuit sans véritables restrictions, attirant en conséquence une kyrielle de jeunes étudiants curieux.

En 1961, une bonne partie de ce groupe d’étudiants chercheurs a intégré un club féru de modélisme ferroviaire, nommé Tech Model Railroad Club (TMRC). Tous se considèrent comme des « hackers », terme nouveau basé sur le verbe « to hack » (tailler, couper) et qui va peu à peu définir, dans le royaume de la programmation, l’habileté à trouver une solution rapide – et bricolée – pour contourner un pro-blème, quel qu’il soit. Bientôt, certains tels Alan Kotok, Bob Saunders

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ou Peter Sampson passent des nuits entières à concevoir le poinçon-nage de code informatique sur des bandes de papier pour créer de meilleurs outils de programmation, des gammes musicales ou des jeux basiques, équivalents du Tic-tac-toe de 1952.

Durant l’année 1961, le TX-O est rejoint par un ordinateur encore plus performant et plus compact nommé PDP-1 (Programmed Data Pro-cessor-1) : ce dernier attire les étudiants Steve Russell, Martin Graetz et Wayne Witanen, tous grands fans des romans et nouvelles de science-fic-tion écrits par Edward Elmer Smith1. C’est donc tout naturellement que les trois jeunes gens vont imaginer un jeu, nommé SpaceWar! : dans l’es-pace intersidéral, deux vaisseaux s’affrontent en un combat mortel…

Après six mois de codage, SpaceWar! est lancé en février 1962 : chaque joueur peut contrôler son engin spatial au moyen de quatre boutons (rotations horaire et antihoraire, avancer, tirer) sur un dé-cor composé d’un fond étoilé et d’un soleil possédant un dangereux champ gravitationnel. Inutile de dire que ce jeu sur écran vectoriel, qui constitue à l’époque une réelle performance technologique, passionne

1. Docteur en chimie devenu un auteur américain réputé (1890-1965) avec le Cycle du Fulgur, publié de 1937 à 1948. Il est considéré comme l’un des pères fondateurs du sous-genre space opera.

Dan Edwards (à gauche) et

Peter Samson en train de jouer à Spacewar! sur PDP-1 type 30

(1962)

L’écran est rela-tivement grand mais l’interface encore minima-liste : quelques

points lumineux sur un fond en-

tièrement noir suffisent à sym-boliser étoiles et

vaisseaux spa-tiaux.

Les effets spé-ciaux issus de la saga Star Wars

sont encore loin-tains (1979)…

Photo : Com-puter History

Museum

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et devient un passe-temps très apprécié des étudiants du MIT. Plus encore, c’est déjà un « classique », qui sera par la suite adapté (Galaxy Game en septembre 1971) et reprogrammé, notamment par un cer-tain Nolan Bushnell, futur fondateur d’Atari. Avec SpaceWar!, qui ne fonctionne pourtant encore que sur du matériel coûtant des centaines de milliers de dollars, la société scientifique et industrielle américaine commence à entrevoir la possibilité de produire, à grande échelle, un jeu vidéo à succès et donc commercialement rentable. Ce rêve encore fou allait finalement devenir très vite accessible entre la fin des années 1960 et le début des années 1970.

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Pong, le Merveilleux« [...] Le fait de jouer à Pong dans un bar

avait quelque chose de particulièrement ins-tinctif, bien plus qu’avec L’Odyssey, que l’on utilisait chez soi. A l’instar du flipper et des autres jeux d’arcades qui précédèrent Pong, ce dernier n’exerçait pas sa séduction sur les enfants, mais sur les adultes, qu’il poussait à jouer. Il rivalisait avec l’alcool, le juke-box et le flipper pour vous soutirer votre argent. Comme si c’était la dernière créature sexy à avoir dé-barqué en ville, son écran vidéo vous faisait constamment des signes aguicheurs. »

[...] «  Et, comme un voyeur épiant à travers une

fenêtre, le joueur devait plonger son regard dans la borne pour se confronter au mystère de l’écran en-châssé à l’intérieur. Tout, dans Pong, était attractif, même la manière dont la machine engloutissait les pièces que le joueur avait en poche tout en le mettant au défi de maîtriser le jeu. Une fois qu’on y était parvenu, on pouvait se vanter de ses exploits dans tout le bar - ce que faisait constam-ment tout le monde, homme ou femme. »

Extraits de AYBABTU : comment les jeux vidéo ont conquis

la pop culture en un demi-siècle, par Harold Goldberg, Editions Three Rivers Press (2011) et Allia (2013). Page 66.

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PIXEL LOVELes films Les Blues Brothers (J. Landis, 1980 et jeu par Titus Interactive en 1991), Indiana Jones (Les Aventu-riers de l’Arche perdue, S. Spielberg, 1981 ; adaptation par Atari en 1982), Rambo : First Blood (T. Kotcheff, 1982 et jeu par Pack-In-Video et Mindscape [2e vo-let] en 1985), Dune (D. Lynch, 1984 et jeu par Virgin, 1992), Ghostbusters (I. Reitman, 1984 et jeu par Toku-ma Shoten et Activision en 1986), Gremlins (Joe Dante et jeu par Atari en 1984),, Retour vers le futur (R. Ze-meckis et jeu par LJN en 1985 et 1990 pour les por-tages des deux volets suivants) et Batman (T. Burton, 1989 et jeu par Ocean Software la même année) seront tous déclinés de manière plus ou moins probante, sans compter la présence de Michael Jackson – via l’adap-tation du film musical Moonwalker, sorti en 1988 – ou les portages des différents héros Disney.

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Les films Les Blues Brothers (J. Landis, 1980 et jeu par Titus Interactive en 1991), Indiana Jones (Les Aventu-riers de l’Arche perdue, S. Spielberg, 1981 ; adaptation par Atari en 1982), Rambo : First Blood (T. Kotcheff, 1982 et jeu par Pack-In-Video et Mindscape [2e vo-let] en 1985), Dune (D. Lynch, 1984 et jeu par Virgin, 1992), Ghostbusters (I. Reitman, 1984 et jeu par Toku-ma Shoten et Activision en 1986), Gremlins (Joe Dante et jeu par Atari en 1984),, Retour vers le futur (R. Ze-meckis et jeu par LJN en 1985 et 1990 pour les por-tages des deux volets suivants) et Batman (T. Burton, 1989 et jeu par Ocean Software la même année) seront tous déclinés de manière plus ou moins probante, sans compter la présence de Michael Jackson – via l’adap-tation du film musical Moonwalker, sorti en 1988 – ou les portages des différents héros Disney.

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