jeux de hasard - avocats · la nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite...

50
LARCIER Jeux de hasard Renaud MOLDERS Avocat au barreau de Liège TABLE DES MATIÈRES Introduction 457 Section 1. Champ d’application de la loi 458 A. Présentation générale : articles 2 et 4 458 1. Notion de « jeux de hasard » : éléments constitutifs 458 1.1. Un jeu ou un pari 459 1.2. Un enjeu 461 1.3. Une perte ou un gain 463 1.4. Le hasard 464 2. Notion « d’établissement de jeux de hasard » et de « salles de jeu » 466 2.1. Répartition des établissements 467 2.2. Le régime des licences : article 25 469 3. Notion « d’exploitation » des jeux 471 B. Caractère limité du champ d’application : article 3 471 a. Les jeux relatifs à l’exercice de sports, ainsi que les paris engagés à cette occasion 472 b. Les jeux offrant au joueur ou au parieur comme seul enjeu, le droit de poursuivre le jeu gratuitement et ce, cinq fois au maximum 473 c. Les jeux de cartes ou de société pratiqués en dehors des établisse- ments de jeux de hasard de classe I et II, ainsi que les jeux exploités dans des parcs d’attractions ou parcs industriels forains à l’occasion de kermesses, de foires commerciales ou autres et en des occasions analogues, ne nécessitant qu’un enjeu très limité et qui ne peuvent procurer, au joueur ou au parieur, qu’un avantage matériel de faible valeur 473 d. Les jeux proposés dans le cadre de programmes télévisés 474 DOCTRINE

Upload: lexuyen

Post on 16-Sep-2018

215 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

l a r c i e r

Jeux de hasard

Renaud Molders

Avocat au barreau de Liège

◆ TABLE DES MATIÈRES ◆

Introduction 457Section 1. Champ d’application de la loi 458

A. Présentation générale : articles 2 et 4 4581. Notion de « jeux de hasard » : éléments constitutifs 458

1.1. Un jeu ou un pari 4591.2. Un enjeu 4611.3. Une perte ou un gain 4631.4. Le hasard 464

2. Notion « d’établissement de jeux de hasard » et de « salles de jeu » 4662.1. Répartition des établissements 4672.2. Le régime des licences : article 25 469

3. Notion « d’exploitation » des jeux 471B. Caractère limité du champ d’application : article 3 471

a. Les jeux relatifs à l’exercice de sports, ainsi que les paris engagés à cette occasion 472

b. Les jeux offrant au joueur ou au parieur comme seul enjeu, le droit de poursuivre le jeu gratuitement et ce, cinq fois au maximum 473

c. Les jeux de cartes ou de société pratiqués en dehors des établisse-ments de jeux de hasard de classe I et II, ainsi que les jeux exploités dans des parcs d’attractions ou parcs industriels forains à l’occasion de kermesses, de foires commerciales ou autres et en des occasions analogues, ne nécessitant qu’un enjeu très limité et qui ne peuvent procurer, au joueur ou au parieur, qu’un avantage matériel de faible valeur 473

d. Les jeux proposés dans le cadre de programmes télévisés 474

DO

CT

RIN

E

Page 2: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

456 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

e. Les loteries au sens de la loi du 31 décembre 1851 sur les loteries, de la loi du 19 avril 2002 relative à la rationalisation du fonctionne-ment et de la gestion de la Loterie Nationale et des articles 301, 302, 303 et 304 du Code pénal 474

C. La Commission des jeux de hasard 4751. Composition 4752. Fonctionnement 4753. Compétences 475

Section 2. Constitutionnalité de la loi : brève présentation 477Section 3. Aperçu des dispositions civiles de la législation 477

A. Article 5 4771. Approche civile 4772. Approche répressive 478

B. Article 58, alinéa 1 479Section 4. Les cinq objectifs principaux de la loi et leurs conséquences pénales 480

A. La protection des joueurs 4801. Limitation des pertes 4802. Restrictions à l’accès et exclusion des salles de jeux : article 54 4803. Interdiction de consentir aux joueurs ou aux parieurs toute forme de

prêt ou de crédit : article 58, alinéa 1er 4833.1. Interdiction originelle 4833.2. La loi-programme du 8 avril 2003 483

4. Mesures destinées à prévenir le recours illégal à toute forme de prêt ou de crédit : article 58, alinéas 3 et 4 484

5. Mesures destinées à empêcher une pratique excessive des jeux de hasard 484

B. La protection de la société et de l’ordre public 486C. La protection des exploitants de jeux 486D. La protection des intérêts fiscaux de l’État et des Régions 486E. La lutte contre le blanchiment d’argent : articles 20, alinéa 4 et 58,

alinéa 3 487Section 5. Analyse des dispositions pénales de la loi 488

A. Infractions prévues par la loi : articles 63 et 64 488B. Peines potentielles 489

1. Quant aux biens : article 67 4892. Quant aux personnes 489

2.1. Joueurs 4892.2. Exploitants : personne physique ou personne morale 4892.3. Cas particuliers 490

3. Cas d’aggravation possible des peines : article 65 4914. Applicabilité des principes généraux du Code pénal : article 69 4915. Responsabilité civile : article 70 492

5.1. Responsabilité civile du fait d’autrui 4925.2. Solidarité passive 4925.3. Possibilité de citation directe 492

C. Les sanctions pénales au quotidien : le cas particulier du développement de la pratique « privée » du poker 493

Page 3: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 457

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

1. Le régime théorique 4932. La répression du poker en pratique 494

Section 6. Le droit pénal international 495Section 7. La législation de 1999 au regard du développement des services de la

société de l’information 495A. Introduction 495B. La télévision 496C. La téléphonie mobile 497D. La radio 498E. L’Internet 498

1. L’applicabilité et l’effectivité de la loi de 1999 dans ce domaine 4982. Influence de la loi du 11 janvier 1993 en matière de blanchiment de

capitaux 5003. Influence du droit communautaire en la matière 500

3.1. La directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique 5003.2. Le Traité instituant la Communauté européenne 500

4. Proposition de loi 502Section 8. Conclusions 503

◆ ◆ ◆

INTRODUCTION

Les jeux de hasard sont « indissociablement liés à l’homo ludens et ont été à toutes les époques une source de plaisir, mais aussi de misère »(1). Pire, l’assué-tude à ces jeux peut parfois être l’origine de meurtres destinés à favoriser le vol ; ainsi, la Commission des jeux de hasard rappelle qu’« au cours de l’année 2003, quatre accusés ont été poursuivis devant différentes cours d’assises pour avoir tué dans le but d’obtenir de l’argent afin de pouvoir jouer au bingo »(2). La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant, celle-ci fut marquée pen-dant près d’un siècle par la tolérance qui entoura la pratique des jeux de hasard. En effet, au milieu des années 1990, huit casinos étaient exploités en Belgique depuis plus de cinquante ans, alors que l’existence même de ceux-ci constituait une infraction au regard de la loi en vigueur. Toutefois, les parquets généraux

(1) Exposé introductif du ministre de la Justice, Doc. parl., Chambre, 1998-1999, 1795/8, p. 14.(2) Voy. site officiel de la commission des jeux de hasard : http://gamingcommission.fgov.be/website/FR/pages/informations %20Horeca.htm.(3) Pour un exposé de cette loi : L. Arnou, « De strafbepalingen omtrent het kansspel. Overzicht van wetgeving en rechtspraak 1970-1973 », in Liber amicorum Armand Vandeplas, Gand, Mys en Breesch, 1994, pp. 1-48.

Page 4: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

458 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

les toléraient pour « des raisons fiscales et historiques »(4), et pour autant que les exploitants se plient à une série de conditions rigoureuses.

La loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs, qui fait l’objet de ce travail, clarifia la situa-tion en instaurant une interdiction générale d’exploitation de jeux de hasard ou d’établissement de jeux de hasard. Afin toutefois de « trouver un équilibre réa-liste entre la pratique du jeu et la nécessité de limiter le danger qu’elle représente sur le plan social »(5), le législateur a prévu une exception à ce principe pour les établissements autorisés par la loi moyennant une licence écrite préalable.

Schématiquement, les objectifs de cette contribution, ainsi que le cadre dans lequel elle s’effectue, justifient le plan suivant : après une longue analyse du champ d’application de la loi et des éléments constitutifs de la notion de jeux de hasard, une brève présentation de la constitutionnalité et des disposi-tions civiles de celle-ci sera effectuée. Ensuite, les cinq objectifs principaux du législateur seront présentés tour à tour, avant de concentrer l’analyse sur les implications pénales, tant nationales qu’internationales, de la loi. Enfin, le déve-loppement des services de la société de l’information retiendra notre attention, afin de permettre une brève conclusion.

De plus, notons de manière générale qu’en dépit des septante-huit articles qui la composent, la loi est une sorte de loi-cadre exigeant un grand nombre d’arrêtés d’exécution. Ceux-ci seront dès lors analysés au même titre que la loi elle-même.

SECTION 1. CHAMP D’APPLICATION DE LA LOI(6)

A. Présentation générale : articles 2 et 4

1. Notion de « jeux de hasard » : éléments constitutifs

« Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde »

A. camus

L’un des principaux apports juridiques de la loi de 1999 est de donner une définition légale à la notion de « jeu de hasard ». En effet, celui-ci est désor-mais défini à l’article 2, 1° : il s’agit de « tout jeu ou pari pour lequel un enjeu de nature quelconque est engagé, ayant pour conséquence soit la perte de l’enjeu

(4) Exposé introductif du ministre de la Justice, Doc. parl., Chambre, 1998-1999, 1795/8, p. 14.(5) Exposé introductif du ministre de la Justice, Doc. parl., Chambre, 1998-1999, 1795/8, p. 14.(6) Pour un aperçu complet : K. Andries, N. Carette et N. Hoeckx, Les jeux de hasard. Analyse critique des éléments de la définition légale, Bruxelles, Larcier, 2007.

Page 5: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 459

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

par au moins un des joueurs ou des parieurs, soit le gain de quelque nature qu’il soit, au profit d’au moins un des joueurs, parieurs ou organisateurs du jeu ou du pari et pour lequel le hasard est un élément, même accessoire, pour le déroulement du jeu, la détermination du vainqueur ou la fixation du gain ». Le législateur a donc opté pour une « large description du jeu de hasard »(7).

De cette définition relativement longue, quatre éléments constitutifs peuvent être dégagés : un jeu ou un pari, un enjeu, un gain ou une perte et le hasard.

1.1. Un jeU oU Un pari

1.1.1 Un jeu

Curieusement, on ne trouve ni dans la loi, ni dans les travaux prépara-toires, aucune précision quant aux contours exacts de cette notion. Dès lors, « le sens clair et correct de ce terme est […] inexistant »(8). Afin de combler cette lacune juridique, K. Andries, A. Carette et N. Hoeckx vont s’attacher à définir ce terme. Selon eux, le jeu au sens « populaire » (par opposition au sens juridique du contrat de jeu(9)) est « l’activité ludique », c’est-à-dire « une activité humaine où un résultat final est atteint, lequel permet de parler de gagnants et de perdants »(10).

Apparaissent immédiatement les esquisses d’une autre difficulté : faut-il nécessairement identité entre les parties à ce jeu et les joueurs ? Une réponse négative peut être apportée, car une activité ludique ainsi définie « comporte soit une compétition entre plusieurs joueurs, soit la réalisation d’un certain résultat par un seul joueur »(11). En conséquence, il est dès lors suffisant mais nécessaire qu’au moins une des parties participe à l’activité(12). Controverse lexicale aca-démique ? En aucun cas, car cela permet de faire entrer dans le champ d’appli-cation de la loi analysée les jeux contre une machine (le bingo et les machines à sous en étant les illustrations les plus célèbres) ou contre la banque du casino (le black-jack par exemple), avec toutes les conséquences légales que cela peut engendrer et qui sont présentées dans les sections suivantes.

(7) E. Marique et P. Rosseel, « La nouvelle loi sur les jeux de hasard », Vigiles (F) 2001, p. 92.(8) K. Andries, N. Hoekx et N. Carette, « Faites vos jeux : qu’est-ce qu’un jeu de hasard ? », Rev. dr. pén., 2007, p. 660.(9) Sur cette notion, notons de manière générale que le contrat de jeu, tout comme le contrat de pari, est un contrat aléatoire. L’article 1964 du Code civil stipule que le contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain. (10) K. Andries, N. Hoekx et N. Carette, op. cit., p. 660.(11) K. Andries, N. Hoekx et N. Carette, op. cit., p. 660.(12) En effet, si aucune partie ne participe à l’activité, il s’agira plutôt d’un pari.

Page 6: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

460 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

1.1.2 Ou un pari

La question se pose ici de la distinction entre le jeu et le pari. Un détour par les conceptions de la doctrine traditionnelle peut s’avérer efficace : le pari est « une promesse de verser une somme d’argent ou d’accomplir une prestation de nature patrimoniale à l’issue d’un jeu ou d’un fait quelconque subjective-ment incertain. À la différence du jeu, le pari n’implique aucune participation à l’événement pris en considération. Le gain escompté dépend uniquement de la vérification d’un fait, déjà accompli mais inconnu des parieurs, ou d’un fait futur étranger à leur action »(13). En d’autres termes, les parties sont « actives » lors d’un jeu (on peut alors parler de joueurs-parties) et « passives » quant au résultat lors d’un pari(14).

Deux problèmes semblent toutefois se poser. D’une part, une partie de la doctrine néerlandophone estime « qu’une participation active du joueur est nécessaire »(15) pour fonder l’élément constitutif du jeu ou du pari, ce afin de pouvoir différencier le jeu des loteries qui sont concernées par des lois spécifi-ques(16). D’autre part, il est indéniable que les notions « d’actif » et de « passif » restent des concepts aux contours pour le moins incertains. En effet, le joueur qui entre une pièce dans une machine à sous et qui ne fait que pousser sur le bouton « start » joue-t-il un rôle actif ? Et comment distinguer le parieur qui dépose sa mise et attend le résultat du match, de la personne qui achète un quick-pic dont la particularité est que les six chiffres sont choisis par l’ordi-nateur ? Enfin, comment définir les paris sur ses propres prestations, question éminemment importante au vu du climat de méfiance actuel pesant sur le tennis mondial ? Certes, ces difficultés ont peu d’importance au niveau civil, « le régime du jeu et du pari étant le même »(17), mais « cela importe dans le cadre d’une quali-fication pénale »(18), les sanctions étant potentiellement différentes. En synthèse, retenons pour mettre fin aux controverses que le pari est « un jeu par lequel l’activité ludique est la différence d’opinion, la participation à un concours avec des points de vue contraires »(19). Le pari peut dès lors être en principe assimilé au jeu ou du moins être considéré comme une espèce de jeu(20).

(13) R. Guillien et J. Vincent, Lexique de termes juridiques, 6e éd., Paris, Dalloz, 1985, v° « Pari », p. 323.(14) Cette passivité des parties au contrat de pari est également soulignée par A. Benabent, « Contrats aléatoires – Généralités », Juris Classeur, no 127.(15) T. Heremans et K. Ongena, « Verkoopspromoties en de nieuwe Wet op de kansspelen », R.D.C., 2001, p. 666.(16) Loi du 31 décembre 1851 sur les loteries et loi du 19 avril 2002 relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale (cfr infra sur ces lois).(17) K. Andries, N. Hoekx et N. Carette, op. cit., p. 655.(18) K. Andries, N. Hoekx et N. Carette, op. cit., p. 655.(19) K. Andries, N. Hoekx et N. Carette, op. cit., p. 655.(20) A. Kohl, « La loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs », J.T., 2001, note de bas de page no 10.

Page 7: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 461

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

Enfin, il importe de relever à ce stade qu’une espèce particulière de pari, à savoir ceux engagés à l’occasion d’événements sportifs, sont explicitement exclus du champ d’application de cette loi (article 3.1 : cfr infra).

1.2. Un enjeU

La notion d’enjeu constitue un des éléments constitutifs de la définition légale d’un jeu de hasard. En d’autres termes, les jeux gratuits, c’est-à-dire ceux dont la participation n’est pas soumise à l’engagement d’un enjeu, tombent hors du champ d’application de la loi et ne sont, par conséquent, pas visés par la prohibition de l’exploitation des jeux de hasard (cfr infra article 3 de la loi).

Afin d’appréhender au mieux cette notion, deux questions doivent être traitées successivement.

1.2.1 La nature de l’enjeu

Certes, la loi prévoit que la qualité de l’enjeu peut être de n’importe quelle nature. Cependant, les auteurs s’accordent pour préciser que celui-ci doit être appréciable en argent : un intérêt purement moral ne constitue en effet pas un enjeu. En d’autres termes, « le jeu de hasard doit pouvoir mener à un gain ou à une perte d’une valeur patrimoniale »(21).

1.2.2 La notion de gratuité

En revanche, il existe bien moins de cohésion doctrinale concernant la notion de jeu gratuit (ou l’absence d’enjeu). Afin de mieux saisir la portée pratique de cette question théorique (ou rhétorique), tout en évitant trop d’en-volées lyriques, le recours à une illustration peut s’avérer efficace. Dès lors, prenons le cas d’un concours gratuit organisé par une agence de voyages dans un but promotionnel. Au cours de celui-ci, les participants doivent répondre à une question quelconque, les gagnants étant désignés par tirage au sort(22). Le premier prix est un voyage sur une île paradisiaque faisant bien entendu partie intégrante de la gamme offerte par la société organisatrice du concours. Ce jeu étant gratuit, peut-on parler d’enjeu, et partant, interdire ce genre d’activité promotionnelle sur la base de la loi étudiée ?

Deux questions doivent être distinguées sur la notion de gratuité.

1) Les frais de participation constituent-ils un enjeu ?Trois types de frais peuvent être envisagés : l’obligation d’achat, les frais

de communication et les frais d’envoi. Pour chacun d’eux, « la notion « gratuite »

(21) K. Andries, N. Hoekx et N. Carette, op. cit., p. 668.(22) Le sort étant assimilé au hasard.

Page 8: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

462 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

peut être approchée en choisissant deux perspectives »(23). Selon une première approche, tout frais de participation constitue un enjeu (quel qu’en soit le type). Si l’on applique cette perspective à notre illustration de départ, celle-ci sera donc interdite si elle exige du joueur qu’il délie les cordons de sa bourse, et ce sans considération du moment ou de la cause pour laquelle il devra le faire. Selon une seconde approche, l’enjeu n’existerait que « comme contre-prestation pour la participation »(24). En d’autres termes, « il n’y a pas d’enjeu aussi long-temps que le paiement est attribuable à une autre prestation que la participation, donc aussi longtemps que la transaction de base est fournie à prix normal »(25). En synthèse, l’enjeu est alors constitué par la partie du paiement qui excède ce prix normal. Dès lors, dans l’illustration présentée plus haut, si le journal local est vendu au même prix que celui auquel il se vend quotidiennement, malgré la présence du bon de participation à compléter et à renvoyer, il n’y a pas de jeu de hasard répréhensible. À l’inverse, si une augmentation du prix du journal est constatée, il y a dans ce cas enjeu et par conséquent jeu de hasard potentielle-ment illicite.

La jurisprudence belge semble favoriser à l’heure actuelle la seconde approche, en décidant notamment « qu’il n’y a pas d’enjeu si le prix payé est en équilibre avec la transaction de base »(26).

2) Dans le cas d’un jeu sans aucun frais de participation (quel qu’il soit), le gain espéré constitue-t-il un enjeu ?a. Doctrine francophone :La notion d’enjeu, dans la conception francophone classique, peut avoir

une double signification : « elle peut concerner la mise qu’un joueur individuel ‘met en jeu’, mais elle peut aussi se référer à la somme entière ‘qui se trouve en jeu’ et qui parviendra donc au gagnant. [...] Si on interprète la notion ‘enjeu’ comme la somme entière qui se trouve en jeu, il y a enjeu et en conséquence jeu de hasard dès qu’il y a une chance de gain quelconque. L’exploitation d’un jeu avec chance de gain serait alors défendue, même à défaut d’une mise par au moins un des joueurs »(27). Cette partie de la doctrine conclut en constatant que « la loi sur les jeux de hasard utilise le mot enjeu dans les deux sens indiqués ci-dessus »(28). Dès lors, selon cette thèse, l’enjeu pris littéralement peut être aussi le gain espéré. En conséquence, un voyage sur une île paradisiaque constituant un gain, notre jeu promotionnel serait en toute hypothèse illicite car tombant sous le coup de l’interdiction de la loi étudiée.

(23) Voy. C. Goyet, « La gratuité dans la promotion commerciale en droit pénal », R.T.D. com., 1975, pp. 35-58.(24) K. Andries, N. Hoekx et N. Carette, op. cit., p. 673.(25) Voy. C. Goyet, op. cit., pp. 35-58.(26) Comm. Tongres (prés.), 12 mars 2002, Annuaire Pratiques du Commerce & de la Concurrence, 2002, p. 366.(27) K. Andries, N. Hoekx et N. Carette, op. cit., p. 675.(28) K. Andries, N. Hoekx et N. Carette, op. cit., p. 675.

Page 9: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 463

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

b. Doctrine néerlandophone :Selon les auteurs néerlandophones, la lecture du texte faite par leurs

homologues francophones « ne tient pas la route et contredit d’ailleurs le texte néerlandais »(29). En effet, la version néerlandophone de la loi semble plus claire sur cet aspect lorsqu’elle parle de « voordeel » (l’avantage, le profit). Dès lors, l’enjeu, pris au sens littéral néerlandais, ne peut être le gain espéré. Le champ d’application de cette nouvelle loi serait donc « limité aux seules opérations dans lesquelles est exigée une mise du joueur »(30).

En conséquence, selon cette autre partie de la doctrine belge, coexistent à l’heure actuelle deux régimes en matière de jeux de hasard :

– les jeux gratuits, tels les jeux promotionnels, qui sont autorisés (légaux). En réponse à notre illustration de départ, la participation étant gratuite, ce jeu ne serait pas illégal(31) ;

– et les jeux payants, c’est-à-dire ceux nécessitant une mise de départ (qui ne peut se confondre avec le droit d’inscription ou le gain espéré), qui sont interdits ou soumis à autorisation.

Notons que dans son large pouvoir d’appréciation, la jurisprudence semble faire peu de cas des considérations qui précèdent puisqu’une décision vient récemment d’établir, assez curieusement, que l’absence d’enjeu était sans inci-dence sur la qualification de l’opération comme jeu de hasard(32). De manière heureuse en regard du principe de sécurité juridique, elle ne semble toutefois pas constituer un précédent suivi par les cours et tribunaux.

1.3. Une perte oU Un gain

La loi sur les jeux de hasard exige « soit la perte de l’enjeu par au moins un des joueurs ou des parieurs, soit le gain, de quelque nature qu’il soit, au profit d’au moins un des joueurs ». Du texte et des travaux préparatoires, on peut déduire « qu’il existe trois niveaux de concrétisation des concepts de gain et de perte »(33).

Premièrement, un jeu de hasard doit en toute hypothèse offrir une chance de gain au joueur. Cette exigence est la conséquence de l’article 3, 2° (cfr infra) qui exclut du champ d’application de la loi tout jeu offrant au joueur comme

(29) T. Heremans et K. Ongena, « Verkoopspromoties en de nieuwe Wet op de kansspelen », R.D.C., 2001, p. 666.(30) R. Verstringhe, « De Wet van 7 mei 1999 op de kansspelen, de kansspelinrichtingen en de bescherming van de spelers », T. Strafr. 2000, p. 138 (traduction libre).(31) Dès lors, seules seraient d’application dans ce cas les conditions de l’article 23-10 de la L.P.C.C., à savoir la conviction chez le consommateur que le hasard a eu ou aura un effet prépondé-rant sur l’attribution des gains.(32) Comm. Bruxelles (prés.), 26 novembre 2002, V.S. 1986/2002, inédit.(33) K. Andries, N. Hoekx et N. Carette, op. cit., p. 678.

Page 10: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

464 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

seul avantage le droit de poursuivre le jeu et ce, cinq fois au maximum. A for-tiori, les jeux qui n’offrent aucune chance de gain au joueur, pas même un jeu gratuit, ne peuvent être considérés comme des jeux de hasard. Ainsi, les jeux « truqués »(34), pour lesquels aucun gagnant n’est désigné parmi les joueurs, tels l’utilisation de dés pipés ou d’un jeu de cartes incomplet, n’entrent pas dans le champ d’application de la loi. Par contre, l’« exploitant » de tels jeux tombera sous le coup de l’article 496 du Code pénal qui vise à réprimer l’escroquerie et la tromperie et sera dès lors passible d’une peine d’emprisonnement d’un mois à cinq ans, et d’une amende de 26 à 3 000 euros.

Deuxièmement, le joueur doit avoir une chance de gain directe, c’est-à-dire fonction uniquement du résultat de l’activité ludique.

Troisièmement, la loi prend en considération tout type de possibilité de gain, contrairement à l’enjeu qui doit nécessairement être de nature patrimo-niale. La loi instaure de la sorte une notion de gain « technico-juridique »(35) incluant ainsi tous les avantages gagnés par le joueur. Le législateur de 1999(36) a voulu de la sorte maintenir le système prévu sous l’empire de la loi de 1902 prévoyant que « l’attribution de jetons, objets ou titres quelconques est considéré inévitablement comme un enrichissement ou un avantage matériel »(37).

1.4. le hasard

« Tout dépend du hasard, et la vie est un jeu »

Jean De rotrou

Sous l’empire de la loi de 1902 sur les jeux, la Cour de cassation définis-sait le jeu de hasard comme « le jeu dans lequel, soit par lui-même, soit en raison des conditions dans lesquelles il est pratiqué, le hasard prédomine sur l’adresse et les combinaisons de l’intelligence »(38). En vertu de cette définition, il fallait donc « mettre en balance le poids du hasard avec celui des facultés intellectuelles ou physiques auxquelles le jeu fait appel »(39). Un jeu était dès lors qualifié de

(34) Marcel Pagnol disait : « Si on ne peut plus tricher avec ses amis, ce n’est plus la peine de jouer aux cartes ! » …(35) Par opposition au sens comptable du gain (ou de la perte), qui implique que le patrimoine du joueur ait augmenté (ou diminué) à la fin du jeu. Cette divergence est inspirée par le souci d’éviter les problèmes de preuve liés à la notion de gain comptable. (36) Rapport, Doc. parl., Sénat 1998-1999, 1-419/17, pp. 62-64.(37) Voy. not. Cass., 4 avril 1989, Arr. cass., 1988-1989, p. 869 ; Pas., 1989, I, p. 778 et R.W., 1989-1990, p. 1024, note L. Arnou.(38) Jurisprudence constante de la Cour de cassation : voy. not. Cass., 26 mars 1956, Pas., I, 793 ; Cass., 22 mai 1967, Pas., I, 1107 ; Cass., 15 mars 1983, Pas., I, 773 ; Cass., 4 septembre 1984, Pas., 1985, I, 10.(39) Gand, 8 février 2001, Annuaire Pratiques du commerce & Concurrence 2001, p. 414, note P. De Vroede.

Page 11: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 465

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

jeu de hasard si la part de la chance l’emportait sur l’adresse physique ou intellectuelle ; si par contre celles-ci primaient, il s’agissait d’un jeu d’adresse exclu du champ d’application de la loi. Cette interprétation donnait lieu à des discussions sans fin sur la part du hasard dans chaque jeu organisé et conduisait les juges à effectuer des contorsions intellectuelles rarement (jamais ?) heureuses pour la sécurité juridique(40)...

Pour illustrer ce propos, une anecdote quasi caricaturale mérite d’être relevée, tant son compte rendu permettra au lecteur de se forger une opinion sans concession quant aux lacunes de cette définition. L. De Brouwer présente parfaitement celle-ci dans son article au titre évocateur « Le poids d’un potiron et la légèreté du hasard (ou les aléas des jeux et concours) »(41) :

« Dans un journal régional, l’exploitant d’un commerce de fruits et légumes avait invité les consommateurs à venir déguster une pomme ou un melon tout en remplissant un bulletin de participation à un concours doté d’une voiture et de centaines de bouteilles de champagne.

Les participants devaient répondre à deux questions principales à choix mul-tiples, la première revenant à trouver le pays de provenance des oranges de montagne en hiver (Italie – Espagne – France), et la deuxième à indiquer d’où venaient les meilleurs kiwis (France – Nouvelle Zélande – Portugal). Quant à la question subsidiaire destinée à départager les bonnes réponses, elle invitait les participants à soupeser du regard ou de la main le poids d’un potiron exposé à l’étalage.

Le premier juge disqualifia le concours en jeu de hasard en considérant que les réponses dépendaient soit d’une appréciation subjective du commerçant, soit de paramètres variables […]. Ainsi, à l’endroit de la question subsidiaire, puisque le poids du potiron pouvait, selon lui, diminuer avec le temps, la réponse exacte dépendait par conséquent du jour de sa pesée par l’organisa-teur et que le consommateur ne pouvait pas connaître. Mais selon la cour d’appel, la conclusion du juge était excessive, car si les approximations du concours induisaient peut-être une part de hasard pour les joueurs, encore fallait-il se demander si son influence était telle qu’il fallait la tenir pour prépondérante. Même s’il n’existe pas de méthode scientifique et infaillible pour faire la part entre le hasard et l’intervention intelligente ou habile des joueurs, le juge ne peut se dispenser de ce travail d’appréciation. La consul-tation d’un dictionnaire permettait à l’évidence d’objectiviser suffisamment la bonne réponse aux deux premières questions pour maintenir la part d’im-précision et du hasard dans une zone marginale. Quant aux variation éven-tuelles pendant la période du concours du poids du potiron, du reste très limitées, selon la cour, elles n’autorisaient pas plus la disqualification du concours en jeu de hasard ».

(40) Le fait que la part du hasard dans le jeu litigieux soit déterminée par voie d’expertise n’em-pêchait évidemment pas les controverses, le juge n’étant pas lié par les conclusions d’une expertise. Voy. J. Defroidement, « Recherches pour l’application de la loi sur les jeux. Jeux mixtes, paris au hasard », Rev. dr. pén., 1927, p. 328.(41) Note de L. De Brouwer sous Gand, 8 février 2001, R.D.C., 2001, p. 700.

Page 12: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

466 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

Comment définit-on le hasard aujourd’hui ? La loi de 1999 précise que le jeu de hasard n’est plus celui qui fait appel de manière prépondérante au hasard, mais celui dans lequel « le hasard est un élément, même accessoire, pour le déroulement du jeu, la détermination du vainqueur ou la fixation du gain » (article 2). Cette définition, qui n’exige plus qu’une dose minime de hasard, fut rédigée par les auteurs de la loi dans le souci majeur « [de] contribuer au ren-forcement de la sécurité juridique, [de] permettre un meilleur contrôle a priori de tous les jeux de hasard et [de] faciliter la tâche des organes de contrôle »(42). « Cette exigence s’est en réalité transformée en une exigence qui sera presque tout le temps remplie (sic) »(43). En effet, il est difficile de trouver un jeu totalement dénué de hasard.

De plus, au contraire du passé, « le hasard ne doit plus être présent à la détermination du résultat (détermination du vainqueur), mais il suffit que le hasard détermine la valeur du gain remporté »(44). Ainsi, par exemple, un jeu au cours duquel tous les participants seront désignés comme gagnants s’ils répon-dent correctement à une question de logique mathématique (n’appelant par définition qu’une seule réponse exacte), mais dont la valeur du gain sera à par-tager entre tous les vainqueurs, est un jeu de hasard. En effet, la détermination du gain sera fonction du nombre de personnes ayant trouvé la bonne réponse, et sera donc dépendante du hasard.

En conclusion, on peut quasiment en déduire qu’il existe à présent une présomption de hasard.

Remarque : il est important de souligner que chacun des éléments consti-tutifs de la notion de jeux de hasard est une donnée factuelle et non juridique qui est soumise au pouvoir d’appréciation du juge. Dès lors, le plaideur ne sera pas complètement démuni face à la rigidité des limites du champ d’application de cette loi que l’on a tenté de tracer ici.

2. Notion « d’établissement de jeux de hasard » et de « salles de jeu »

La loi définit la notion d’établissement de jeux de hasard comme « les bâtiments ou les lieux où sont exploités un ou plusieurs jeux de hasard ». Quant aux salles de jeux, il s’agit des « lieux au sein des établissements de jeux de hasard où sont exploités les jeux de hasard ».

La règle générale de la loi de 1999 est l’interdiction d’exploiter un ou plu-sieurs jeux de hasard ou établissements de jeux de hasard. Une exception n’est prévue que pour les jeux et les établissements autorisés par la loi et moyennant une licence écrite préalable. Autrement dit, personne ne peut exploiter un éta-

(42) Doc. parl., Sénat, sess. 1995-1996, no 419-I, p. 5 initio.(43) K. Andries, N. Hoekx, et N. Carette, op. cit., p. 685.(44) K. Andries, N. Hoekx, et N. Carette, op. cit., p. 685.

Page 13: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 467

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

blissement de jeu s’il n’a pas reçu au préalable et par écrit une licence selon les modalités de la loi.

Pour permettre d’établir ces exceptions et moduler les conditions de délivrance de ces licences, la loi répartit les établissements en trois classes (article 6) : les casinos, les salles de jeux automatiques et les débits de boissons. Cette distinction s’effectue selon trois groupes de critères(45) tenant notamment à la nature et au nombre de jeux de hasard exploités dans l’établissement, au montant maximum de l’enjeu, de la perte et du gain, et à la nature des activités connexes autorisées dans les établissements respectifs (à savoir des activités du secteur horeca et des activités socioculturelles dans les casinos, la vente de boissons dans les débits de boissons et aucune activité dans les salles de jeux automatiques).

2.1. répartition des établisseMents

La loi prévoit la distinction entre trois types d’établissements de jeux de hasard. En fonction de cette classification est établie une classe de licence dis-tincte dont l’obtention est soumise à des conditions plus ou moins rigoureuses (cfr infra).

2.1.1 Les établissements de classe I ou casinos (article 28)

Les casinos sont des établissements qui exploitent « les jeux de hasard auto-risés par le Roi », à savoir les jeux qui sont expressément cités par l’article 1er de l’arrêté royal du 19 juillet 2001(46), à savoir les jeux de table (le baccara, le big wheel, le black jack, le poker, le chemin de fer, le craps, le mini punto banco, la roulette française, la roulette américaine, la roulette anglaise, le sic bo et le bingo) et les jeux automatiques (les jeux à rouleaux de type reel slot, les jeux de type vidéo slot, les jeux de type wheel of fortune, les paris sur des courses de chevaux à terminaux multiples et les jeux de type kéno). Le nombre de jeux automatiques autorisés est limité à quinze par table de jeu présente et ouverte pendant au moins cinq heures (article 2 de l’arrêté royal). Enfin, l’article 3 de ce même arrêté prévoit que le montant de la perte horaire moyenne est limité à 70 euros par appareil de jeux automatiques(47) lorsqu’un seul joueur est prévu ou par terminal lorsque les automates sont composés de plusieurs terminaux. Cette disposition fait bien entendu partie de l’ensemble des mesures destinées à protéger le joueur (cfr infra).

(45) J. Mine, « Chronique de législation pénale (année 2000) », Rev. dr. pén., 2000, p. 259.(46) Arrêté royal du 19 juillet 2001 établissant la liste des jeux de hasard dont l’exploitation est autorisée dans les établissements de jeux de hasard de classe I, M.B., 31 juillet 2001.(47) Le Conseil des ministres du 18 mai 2001 a de la sorte décidé de faire application de l’alinéa 3 de l’article 8 de la loi qui permet la possibilité de fixer pour les établissements de classe I une perte horaire maximale.

Page 14: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

468 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

Toutefois, les établissements de classe I ne peuvent se limiter à cette exploi-tation et doivent également organiser des activités socioculturelles telles que des représentations, des expositions, des congrès et des activités du secteur horeca.

Enfin, seuls neuf casinos sont autorisés, à savoir un seul sur le territoire de chacune des communes de Blankenberge, Chaudfontaine, Dinant, Knokke, Middelkerke, Namur, Ostende, Spa, ainsi que sur le territoire d’une des dix-neuf communes de la Région de Bruxelles-Capitale(48) (article 29). À cette fin, chaque exploitant a dû conclure une convention de concession avec la com-mune concernée.

2.1.2 Les établissements de classe II ou salles de jeux automatiques (article 34)

Ce sont les établissements qui exploitent exclusivement des jeux de hasard(49). Leur nombre est limité à cent quatre-vingt répartis de manière objec-tive entre les communes du Royaume(50) et leur exploitation doit s’effectuer en vertu d’une convention à conclure entre l’exploitant et la commune du lieu de l’établissement (en vertu de son pouvoir discrétionnaire en cette matière).

Notons que seule l’exploitation des jeux de hasard automatiques y est autorisée. Ceux-ci sont répartis par les articles 3 à 7 de l’arrêté royal du 26 avril 2004(51) en cinq catégories : les jeux de black jack sur écran, les jeux de courses, les jeux de dés mécaniques ou électroniques, les jeux de poker sur écran et les jeux de roulettes automatiques. Chaque salle de jeux automatiques ne peut par ailleurs exploiter que trente appareils au maximum. Dans l’optique de protec-tion du joueur, l’article 8, alinéa 2 de la loi précise également que le joueur ou le parieur ne peut subir, dans ces établissements de classe II, qu’une perte en moyenne inférieure à 25 euros par heure. On peut toutefois se poser légitime-ment la question de l’applicabilité d’une telle disposition au vu de l’absence de contrôle effectué à l’intérieur de ces établissements(52).

(48) Avant l’entrée en vigueur de cette loi n’existaient que huit casinos. Les travaux parlemen-taires rappelèrent toutefois que certains candidats exploitants avaient demandé à plusieurs reprises que l’on tolère l’ouverture de casinos supplémentaires. La loi fait donc partiellement droit à leur demande en autorisant un casino supplémentaire sur le territoire d’une des dix-neuf communes de la Région de Bruxelles-Capitale. (49) Il s’agit principalement des établissements de type « Circus » et « Lunapark ». (50) Arrêté royal du 22 décembre 2000 relatif au fonctionnement, à l’administration des établisse-ments de jeux de hasard de classe II, aux modalités des demandes et à la forme des licences de classe B, M.B., 30 décembre 2000.(51) Arrêté royal du 26 avril 2004 établissant la liste des jeux de hasard automatiques dont l’ex-ploitation est autorisée dans les établissements de jeux de hasard de classe II, M.B., 4 mai 2004.(52) Il suffira au lecteur, pour s’en convaincre, de pousser la porte de l’un de ces établissements et de jouer une somme supérieure à 25 euros à l’un des jeux proposés. N’importe quel client habituel (et objectif) de ce genre de salles de jeux confirmera d’ailleurs qu’il perd en moyenne bien plus que 25 euros par heure.

Page 15: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 469

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

De manière anecdotique, indiquons enfin que la jurisprudence précise que l’usage du nom casino est interdit pour les établissements de cette classe(53).

2.1.3 Les établissements de classe III ou débits de boissons (article 39)

Sont visés les établissements combinant la vente de boissons qui, quelle qu’en soit leur nature, doivent être consommées sur place, et l’exploitation de deux appareils de jeux de hasard au maximum, de type « bingo » ou « one ball »(54) (c’est-à-dire essentiellement les cafés). L’article 8, alinéa 3 de la loi ajoute que le joueur ou le parieur ne peut subir, dans ces établissements de classe III, une perte en moyenne supérieure à 12,50 euros par heure. La même question d’applicabilité se pose toutefois à l’égard de cette disposition.

2.2. le régiMe des licences : article 25

Il existe cinq types de licence permettant de contourner l’interdiction de principe prévue par la loi :

1) Les casinos supposent une licence de classe A pour pouvoir être exploités. Celle-ci est octroyée pour une période de quinze ans renouvelable. L’ar-ticle 31 énonce les conditions auxquelles le demandeur doit satisfaire pour obtenir une telle licence. L’article 32 énonce quant à lui les exi-gences auxquelles le titulaire de la licence doit répondre pour pouvoir conserver celle-ci.

2) L’exploitation d’une salle de jeux automatiques nécessite une licence de classe B, octroyée pour une période de neuf ans renouvelable.

3) Une licence de classe C est prévue pour les débits de boissons et doit être renouvelée tous les cinq ans.

4) Le personnel qui est employé dans les casinos et les salles de jeux doit disposer d’une licence de classe D et doit être en permanence porteur de la carte d’identification attestant de la possession de cette licence(55) (article 44). On relèvera à cet égard qu’il est logiquement interdit aux membres du personnel, aux termes de l’article 46, de prendre part, per-sonnellement ou par intermédiaire, aux jeux de hasard exploités, d’ac-

(53) Comm. Bruges (prés.), 26 octobre 2006, Annuaire Pratiques du commerce & Concurrence, 2006, p. 243 : « L’usage du nom ‘Casino’ pour un établissement de classe II est une publicité trom-peuse créant la confusion et un acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale (article 23, 2° et article 23, 8° L.P.C.C.) ».(54) Cfr l’article 1er de l’arrêté royal du 2 mars 2004 établissant la liste des jeux de hasard dont l’exploitation est autorisée dans les établissements de jeux de hasard de classe III, M.B., 18 mars 2004 pour plus de précisions sur ces jeux.(55) Aucune sanction directe n’est cependant prévue quant au non-respect de cette obligation. On peut toutefois déduire de l’article 45 une sanction indirecte consistant en la suppression de sa licence par la commission des jeux de hasard.

Page 16: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

470 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

cepter des indemnités financières ou matérielles autres que celles prévues dans leur contrat de travail ou de consentir aux joueurs ou aux parieurs toute forme de prêt ou de crédit(56). Cependant, si les joueurs doivent être âgés de 21 ans pour pouvoir accéder aux établissements de classe I et II, le personnel peut, quant à lui, être engagé dès l’âge de 18 ans.

5) Enfin, les entreprises qui s’occupent de la vente, la location, la location-financement, la fourniture, la mise à disposition, l’importation, l’expor-tation, la production, les services d’entretien, de réparation et d’équi-pements de jeux de hasard, doivent disposer d’une licence de classe E (article 48).

Ces licences, à l’exception de celle de classe D, peuvent être accordées aussi bien à une personne physique que morale. Elles sont octroyées à titre personnel, ou in personam, ce qui explique qu’elles ne peuvent être ni cédées (article 26) ni cumulées (article 27)(57).

Quant aux conditions d’octroi d’une licence de classe A, B et E, l’exploi-tant doit répondre à des exigences strictes concernant la moralité, la solvabilité et ses moyens financiers (articles 31, 36 et 50). Afin de conserver sa licence, il doit de plus, de manière générale, respecter tant la lettre que l’esprit de la loi et ne pas abuser des faiblesses des joueurs incapables de contrôler leur passion du jeu. Il doit enfin faire preuve, à l’égard des autorités, d’une politique claire de transparence (articles 32, 36 et 51)(58).

Pour être tout à fait complet, notons enfin qu’outre les licences, il existe des « agréments qui concernent tout modèle de matériel ou d’appareil utilisé lors de l’exploitation d’un jeu de hasard. Avant que ces appareils ne puissent être vendus ou exploités, les modèles doivent être soumis en vue d’agrément à la commission des jeux de hasard, sur la base des contrôles effectués par le service métrologique du ministère des Affaires économiques ou par un établissement accrédité » (59).

(56) Sur les conséquences pénales de cet article, cfr infra. (57) Voy. à ce sujet Corr. Bruges (16e ch.), 6 septembre 2006, T.G.R. – T.W.V.R., 2006, liv. 5, p. 290 : « Les jeux de hasard ne peuvent être exploités qu’avec une autorisation conforme à la classe qui s’applique à l’exploitation. En cas de cession d’une exploitation, l’autorisation ne peut être cédée. Le nouveau propriétaire doit obtenir une autorisation personnellement. L’autorisation de classe A, B, C d’une part et l’autorisation de classe E d’autre part ne peuvent ni directement ni indirectement être exploitées par une seule et même personne physique ou morale. Cette interdiction de cumul implique que le titulaire d’une autorisation de classe E ne peut avoir de part dans l’exploitation de jeux de hasard de classe I ». (58) Ces conditions n’ont pas été instaurées à l’encontre des titulaires d’une licence de classe C et D (articles 41 et 45).(59) E. Marique et P. Rosseel, « La nouvelle loi sur les jeux de hasard », Vigiles (F), 2001, p. 93.

Page 17: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 471

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

3. Notion « d’exploitation » des jeux

L’article 4 de loi de 1999 instaure un concept d’interdiction de principe de toute forme d’exploitation des jeux de hasard et de leurs établissements, sauf exceptions limitativement énumérées par la loi et moyennant une licence écrite préalable(60). En d’autres termes, les jeux de hasard ne sont pas illégaux ; c’est l’exploitation sans licence de ces jeux qui est interdite.

Au sens de cette loi, la notion d’exploitation recouvre plusieurs réalités : c’est « mettre ou tenir en service, installer ou maintenir un ou plusieurs jeux de hasard ou établissements de jeux de hasard » (article 2, 2). De plus, l’article 4 stipule expressément que l’interdiction vise l’exploitation, en quelque lieu (les cercles privés sont donc visés), sous quelque forme et de quelque manière directe ou indirecte que ce soit, d’un ou plusieurs jeux de hasard autres que ceux autorisés conformément à la présente loi.

Trois remarques méritent d’être formulées. Tout d’abord, l’exploitation ainsi définie « n’implique pas nécessairement de se procurer un profit personnel, l’intention de procurer un profit à autrui suffit(61) »(62). Ensuite, l’article 4 précise bien que cette notion vise à la fois le fait d’assurer le fonctionnement des jeux ou appareils de jeux et l’activité de ceux qui les installent ou les dépannent. Enfin, afin de sauvegarder l’objectif de protection des joueurs, il faut se garder de considérer les joueurs comme exploitants, ce qui les rendrait punissables. Il est cependant bien entendu évident qu’un exploitant qui prendrait part à ses propres jeux de hasard sera passible des peines prévues par cette loi.

B. Caractère limité du champ d’application : article 3

L’article 3 énonce certaines catégories de jeux de hasard se trouvant dans un rapport d’exception par rapport à la loi de 1999 « qui doit être considérée comme le droit commun au niveau pénal »(63). Ces exceptions sont prévues soit parce qu’elles tombent dans le champ d’application d’autres lois spécifiques, soit parce que le législateur a voulu trouver un équilibre réaliste entre la pratique du jeu et la nécessité de limiter le danger qu’elle représente sur le plan social.

(60) J. Mine, « Chronique de législation pénale (année 2000) », Rev. dr. pén., 2000, p. 259.(61) Dès lors, l’organisateur d’un jeu de hasard doit être considéré comme un exploitant dès le moment où un enjeu quelconque est mis en jeu, puisque le gagnant repartira avec les profits engagés. Peu importe donc que cet organisateur ne retire aucun profit personnel du jeu de hasard, par exemple si l’entièreté des sommes mises en jeu est redistribuée entre les gagnants. (62) A. Kohl, op. cit., p. 202.(63) K. Andries, N. Hoekx et N. Carette, op. cit., p. 665.

Page 18: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

472 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

a. Les jeux relatifs à l’exercice de sports(64), ainsi que les paris engagés à cette occasion

L’organisation des paris sur les courses hippiques(65), et autres tournois sportifs, reste soumise aux dispositions de la loi du 26 juin 1963(66). Cette loi prévoit, à l’instar de la loi sur les jeux de hasard, un système de licence pour les concours de paris sur les résultats d’épreuves sportives. Cependant, seuls les résultats proprement dits entrent dans son champ d’application, à savoir la détermination du (ou des) vainqueur(s). Ceci implique que l’organisation de paris sur, par exemple, le nombre de buts marqués dans un match donné ou le nombre de fois que David Beckham modifiera son look capillaire au cours d’une même coupe du monde(67) ne sont pas assujettis à cette loi de 1963, tout en restant visés par l’exception prévue par l’article 3, 1° de la loi du 7 mai 1999. Il existe donc un « vide juridique »(68) pour de tels paris, étant donné qu’ils ne rentrent dans le champ d’application d’aucune de ces deux lois.

Cette première exception de la loi du 7 mai 1999 est motivée par le désir de contribuer à la popularité des sports et d’accroître le nombre de ses prati-quants(69). Cette argumentation est cependant critiquable à deux niveaux : d’une part, elle ne tient pas compte du danger social des enjeux excessifs ; d’autre part, un simple détour par les centres de paris sportifs permettra de se rendre compte que ce n’est pas dans les rangs clairsemés des parieurs qui y sont pré-sents que l’on trouvera nos prochains représentants aux jeux olympiques… Dès lors, pourquoi ne pas avoir prévu un quatrième type d’établissement de jeux de hasard, avec une licence spécifique, pour les paris sportifs ?

(64) Notons que les jeux sportifs restent des jeux de hasard. En effet, il suffit pour s’en convaincre de penser à l’influence des conditions météorologiques, d’une chute dans un peloton cycliste, voire de l’intervention du corps arbitral (on pense en particulier à l’annulation par un arbitre jamaïcain d’un but de la tête tout à fait valable dans un match opposant la Belgique au Brésil…). Le législateur semble confirmer cette idée en excluant le sport du champ d’application de cette loi. Cette exception implique en effet que le sport est un jeu au cours duquel le hasard joue un rôle, sans quoi il n’aurait pas été nécessaire de l’exclure.(65) C. Goux, « Exception de jeu et paris hippiques », J.T., 1998, p. 377.(66) Loi du 26 juin 1963 relative à l’encouragement de l’éducation physique, de la pratique des sports et de la vie en plein air, ainsi qu’au contrôle des entreprises qui organisent des concours de paris sur les résultats d’épreuves sportives, M.B., 25 décembre 1963, modifiée par la loi du 4 juin 1971, M.B., 21 juillet 1971 et M.B., 28 décembre 1973. (67) Les bookmakers anglais reçurent en effet les paris sur cette question existentielle au cours de la coupe du monde de football 2002 en Corée et au Japon.(68) K. Andries, N. Hoekx et N. Carette, op. cit., p. 666. Ces auteurs proposent dès lors d’uti-liser la terminologie de la loi de 1963 dans l’exception de l’article 3, 1° afin que les paris tombent soit sous l’une soit sous l’autre loi. (69) Rapport, Doc. parl., Sénat, 1998-1999, 1-419/17, p. 62.

Page 19: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 473

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

b. Les jeux offrant au joueur ou au parieur comme seul enjeu, le droit de poursuivre le jeu gratuitement et ce, cinq fois au maximum

Le législateur n’a pas voulu empêcher les jeux « qui n’ont d’autre but que la détente et auxquels le joueur participe pour le simple plaisir du jeu »(70), dans la mesure où le gain qui y est attaché consiste dans le droit de poursuivre le jeu gratuitement, et ce cinq fois au maximum. Il est dès lors interdit à l’organisa-teur d’attribuer aux jetons une valeur en argent ou tout autre avantage matériel autre que la poursuite du jeu.

Cette exception est d’une importance pratique en ce qui concerne les flippers et autres jeux électroniques de type « arcade » qui ne tombent plus dans le champ d’application de la loi ; ils peuvent donc être éventuellement exploités dans les débits de boissons aux côtés de deux jeux de hasard autorisés.

c. Les jeux de cartes ou de société pratiqués en dehors des établissements de jeux de hasard de classe I et II, ainsi que les jeux exploités

dans des parcs d’attractions ou parcs industriels forains à l’occasion de kermesses, de foires commerciales ou autres

et en des occasions analogues, ne nécessitant qu’un enjeu très limité et qui ne peuvent procurer, au joueur ou au parieur,

qu’un avantage matériel de faible valeur

Certes, comme précisé supra, un enjeu de nature quelconque suffit à faire entrer un jeu de hasard dans le champ d’application de la loi. Cependant, le but du législateur de 1999 était certes de maintenir une politique restrictive, mais plus conséquente et réaliste(71), d’où l’insertion de cette troisième exception. Dans cette optique, cet article vise à faire en sorte que la loi ne s’applique pas aux jeux de hasard qui se jouent souvent en famille – tels les pushers et les grues ou les pêches aux canards lors de kermesses –, eu égard aux risques relativement faibles qui y sont liés(72). Le même raisonnement prévaut en principe pour les jeux de cartes organisés dans les cercles privés dans la mesure où l’enjeu et le gain n’ont qu’une faible valeur.

Dans l’attente d’une réponse jurisprudentielle, on ne peut que s’interroger quant à la signification exacte des termes « enjeu très limité » et « avantage de faible valeur »(73)…

(70) E. Marique et P. Rosseel, op. cit., p. 92.(71) Amendement no 39 du gouvernement, Doc. parl., Sénat, 1997-1998, 19 janvier 1998, 1-419/4, p. 24.(72) Exposé introductif du ministre de la Justice, Doc. parl., Chambre, 1998-1999, 1795/8, p. 14.(73) Le Collège des Procureurs généraux a donné, comme exemple d’enjeu très limité et dans le cadre spécifique de la pratique « clandestine » du poker, les sommes de 0,22 EUR par jeux et de 6,20 EUR comme gain maximum.

Page 20: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

474 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

d. Les jeux proposés dans le cadre de programmes télévisés

Cette nouvelle exception, insérée par l’article 291 de la loi-programme du 27 décembre 2004, sera développée infra (section 7).

e. Les loteries au sens de la loi du 31 décembre 1851 sur les loteries, de la loi du 19 avril 2002 relative à la rationalisation du fonctionnement et

de la gestion de la Loterie Nationale et des articles 301, 302, 303 et 304 du Code pénal

La loterie se distingue du jeu de hasard en ce que le gagnant est désigné par le sort, par le hasard ou par une autre forme de chance sur laquelle le gagnant ne peut avoir aucune influence, en manière telle que sa participation active n’est pas requise(74). Un des intérêts majeurs de cette distinction entre jeux et loteries est que ces dernières sont susceptibles d’être exonérées de la taxe sur les jeux et paris (article 43 du Code des taxes assimilées aux impôts sur les revenus).

La loi du 19 avril 2002 reconnaît à la Loterie Nationale le droit d’orga-niser des paris(75). Le législateur a de plus veillé à garantir une certaine cohé-rence de sa politique socio-économique en précisant qu’elle ne devait « pas perdre de vue sa responsabilité sociale et [devait] également veiller à ce que les paris qu’elle organise respectent bien la ‘politique de canalisation’ en matière de jeux de hasard »(76). Cependant, cette exception ne signifie pas que toutes les activités de la Loterie Nationale n’entrent pas dans le champ d’application de la loi sur les jeux de hasard. Ainsi, si celle-ci projetait (comme ce fut le cas au cours de l’année 2000) d’installer un réseau d’appareils de loteries dans les débits de boissons, la Commission des jeux de hasard devrait examiner si elle ne doit pas octroyer de licence pour une telle activité.

Les articles 301 à 304 du Code pénal déterminent les cas dans lesquels l’organisation de loteries et les activités qui y sont connexes sont des infrac-tions(77). L’article 305 du Code pénal qui incriminait la tenue d’une maison de jeux de hasard fut quant à lui abrogé par l’article 73 de la loi du 7 mai 1999 « et remplacé par les articles 4 et 63 combinés de la loi nouvelle »(78).

(74) La Cour de cassation (Pas., 1998, I, p. 113) a cassé un arrêt de la cour d’appel d’Anvers qui avait considéré le « bingo » comme une loterie et non un jeu de hasard, « au motif que le fait de prêter attention à l’annonce de chiffres, l’indication de ces chiffres sur une carte et le fait de crier le mot ‘bingo’ […] ne constitue pas le fait de jouer requis pour qu’une loterie devienne un jeu ». (75) Articles 3, § 1er et 6, § 1er, 3° de la loi du 19 avril 2002.(76) Projet de loi relatif à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, avis du Conseil d’État, Doc. parl., Chambre, 2000-2001, 50-1339/001, pp. 64-65. (77) Voy. au sujet de ces infractions J. Constant, Manuel de droit pénal, Les infractions pièges, 2e partie, Imprimerie des Invalides, 1949, pp. 293-298, no 535-544.(78) A. Kohl, op. cit., note 18.

Page 21: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 475

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

C. La Commission des jeux de hasard

La loi instaure une Commission des jeux de hasard auprès du ministère de la Justice (article 9). Il s’agit d’un organe légal d’avis, de décision et de contrôle, relatif aux jeux de hasard.

1. Composition

La Commission est composée de douze membres (six de chaque rôle lin-guistique) et est présidée par un magistrat (article 10). Elle est de plus assistée par un secrétariat composé de fonctionnaires du ministère de la justice (article 14).

2. Fonctionnement

La Commission ne délibère valablement que si la majorité au moins de ses membres est présente. Elle décide à la majorité absolue (article 22). C’est un organe indépendant ; elle prend ses décisions et elle formule ses avis en toute autonomie. Ses décisions, en tant qu’autorité administrative, peuvent faire l’objet d’un recours au Conseil d’État (article 14 des lois coordonnées du 12 janvier 1973 sur le Conseil d’État). Il convient également de noter que l’ar-ticle 19 de la loi met à charge des titulaires de licence de classe A, B, C et E les frais de fonctionnement de celle-ci.

3. Compétences

Les compétences de la Commission ne se limitent pas à une exécution stricte des lois, arrêtés ou règlements. La loi donne en effet à la Commission de larges compétences.

Elle dispose tout d’abord d’une large compétence sur les initiatives légis-latives ou règlementaires relatives aux questions de jeux de hasard (article 20, alinéa 1er). E. Marique et P. Rosseel(79) précisent que « le ministre de la Jus-tice lui soumet ainsi régulièrement pour avis des initiatives d’ordre législatif. La Commission joue en outre, dans le cadre de cette phase de mise en œuvre, un rôle important dans la rédaction des différents arrêtés d’exécution de la loi. Le ministre a d’ailleurs dit à plusieurs reprises qu’il accordait une importance parti-culière aux avis de la Commission des jeux de hasard »(80).

La Commission octroie surtout les différentes licences présentées ci-dessus (article 20, alinéa 3).

Une autre tâche importante qui lui incombe consiste à contrôler l’applica-tion et le respect de la loi du 7 mai 1999 et de ses arrêtés d’exécution et à rece-

(79) Respectivement président et membre de la Commission des jeux de hasard.(80) E. Marique et P. Rosseel, op. cit., p. 95.

Page 22: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

476 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

voir des plaintes en cette matière(81) (article 20, alinéas 2 et 5). La Commission peut d’initiative contrôler le respect de la loi : l’article 15 lui a d’ailleurs conféré de larges compétences en la matière. Elle peut ainsi procéder à une enquête, contrôler ou auditionner et faire toutes les constatations utiles ; elle peut exiger que lui soient remis tous les documents qui peuvent être utiles à l’enquête. Elle peut se faire assister dans ses missions par des experts qui seront, tout comme les membres de la Commission, tenus au secret professionnel sous peine des sanctions pénales prévues par l’article 458 du Code pénal (article 17). Notons que le Roi peut attribuer la qualité d’officier de police judiciaire, auxiliaire du procureur du Roi, au président et aux membres de la Commission(82). Ces per-sonnes disposent dès lors de la compétence de pénétrer à toute heure du jour et de la nuit dans les établissements, locaux et pièces dont l’accès est nécessaire à l’accomplissement de leur mission. L’accès aux locaux habités(83) est toutefois limité : il faut qu’ils aient des raisons de penser qu’une infraction à cette loi et à ses arrêtés d’exécution est commise et il faut qu’ils disposent d’une autorisation préalable du juge du tribunal de police (article 15, § 1er, al. 3, 1°). La Commis-sion peut de plus, à l’instar du parquet, saisir tous les objets, documents, pièces, livres et jeux de hasard pouvant servir de pièces à conviction relatives à une infraction à la réglementation sur les jeux de hasard ou étant nécessaires dans la recherche des coauteurs ou des complices.

La Commission dénonce toute infraction dont elle a connaissance au pro-cureur du Roi. Les infractions sont constatées dans un procès-verbal qui fait foi jusqu’à preuve du contraire (article 15, § 2).

Enfin, la Commission dispose d’une compétence de sanction, organisée par l’arrêté royal du 20 juin 2002(84), lorsque les dispositions légales et régle-mentaires en cette matière ne sont pas respectées. Elle peut dès lors prendre à l’égard des titulaires de licence une sanction administrative telle qu’un aver-tissement, la suspension ou le retrait de la licence et imposer une fermeture temporaire ou définitive de l’exploitation. Dans ce cas, l’article 21 prévoit que l’intéressé peut consulter son dossier et que la Commission doit l’entendre, éventuellement assisté de son avocat, préalablement à la décision.

(81) Arrêté royal du 26 juin 2002 fixant les modalités de réception des plaintes et des réclamations par la Commission des jeux de hasard, M.B., 29 juin 2002.(82) Arrêté royal du 22 décembre 2000 relatif à la désignation des membres de la Commission des jeux de hasard et de son secrétariat qui ont la qualité d’officier de police judiciaire, auxiliaire du procureur du Roi, M.B., 30 décembre 2000.(83) Afin de préciser clairement les parties privées d’un établissement, les titulaires d’une licence de classe B devront transmettre à la Commission des jeux de hasard, au moment de l’introduction de la demande, un plan détaillé de l’établissement. (84) Arrêté royal du 20 juin 2002 relatif aux sanctions qui peuvent être prises par la Commission des jeux de hasard, M.B., 29 juin 2002.

Page 23: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 477

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

SECTION 2. CONSTITUTIONNALITÉ DE LA LOI : BRÈVE PRÉSENTATION

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 7 mai 1999, la Cour d’arbitrage, devenue entre-temps Cour constitutionnelle, a été saisie de plusieurs recours en suspension et en annulation contre nombre d’articles de cette loi.

Ces nombreux recours ne seront pas analysés pour deux raisons. D’abord, parce qu’ils ont tous été rejetés, ensuite, parce que cette contribution s’inscrit dans le cadre du cours de droit pénal des affaires qui n’est pas le lieu d’une analyse approfondie de la constitutionnalité d’une loi.

Notons toutefois que la Cour a généralement jugé que, compte tenu des objectifs poursuivis par le législateur, à savoir lutter contre le danger social que représentent les établissements de jeux de hasard, les limitations ainsi mises à l’ex-ploitation de ces jeux n’étaient pas déraisonnables(85) et qu’il n’y avait dès lors pas de situation discriminatoire au regard des articles 10 et 11 de la Constitution.

SECTION 3. APERÇU DES DISPOSITIONS CIVILES DE LA LÉGISLATION

A. Article 5

1. Approche civile

L’article 5 de la loi de 1999 prévoit que « la nullité des contrats conclus en vue de l’exploitation des jeux de hasard et des établissements de jeux de hasard autorisés conformément à la présente loi et à ses arrêtés d’exécution ne peut être invoquée en s’appuyant sur le seul motif que ces jeux de hasard ou ces éta-blissements de jeux de hasard seraient illicites ». Il constitue de la sorte « une des dispositions essentielles »(86) de cette loi. En effet, cet article consacre le principe selon lequel la seule illicéité d’un jeu ou d’un établissement de jeux ne suffit plus à entraîner la nullité des contrats conclus en vue de leur exploitation. En d’autres termes, la validité d’un contrat, quel qu’il soit(87), ne peut être affectée par le seul caractère illicite des jeux ou établissements de jeux pour lesquels il a été conclu. Il s’agit donc d’une « disposition protectrice à l’égard de ceux qui ont conclu des contrats en vue de l’exploitation de jeux ou d’établissements de jeux autorisés depuis la loi de 1999, et de ceux ayant contracté sans savoir si le jeu ou l’établissement de jeux est licite ou non » (88). Ainsi par exemple, un contrat de placeur de jeux pour un établissement de classe II auquel n’a pas été octroyé

(85) Voy. notamment arrêt no 52/2000 du 3 mai 2000, M.B., 13 juillet 2000 et arrêt no 100/2001 du 13 juillet 2001 ainsi que l’arrêt no 114/2001 du 20 septembre 2001.(86) A. Kohl, op. cit., p. 205.(87) Cfr la réponse donnée par le gouvernement lors de la discussion de l’article 5 au Sénat., Doc. parl., Sénat, session 1995-1996, no I-419, pp. 70-71. Notons qu’un amendement tendant à énumérer les types de contrats visés a finalement été retiré de la version définitive : Doc. parl., Chambre, session 1998-1999, no 1795-8, p. 17, initio. (88) A. Kohl, op. cit., p. 205.

Page 24: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

478 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

une licence de classe de B devra malgré tout être honoré. En effet, aux termes de cet article, ni le livreur, ni l’exploitant ne pourront se prévaloir du caractère illégal de l’exploitation pour en déduire la nullité du contrat les unissant.

Cette disposition fut insérée dans la loi de 1999 afin de condamner sans détour une pratique antérieure de la jurisprudence(89). En effet, sur la base de l’article 1695 du Code civil qui précise que « la loi n’accorde aucune action pour une dette de jeu ou pour le paiement d’un pari », celle-ci consacrait une application extensive de ce principe qu’elle appliquait de la sorte aux contrats portant sur la fourniture de jeux ou la prestation de services aux exploitants de jeux automatiques(90). Il reste cependant qu’il est possible, sur la base de la théorie générale des obligations, que de tels contrats soient atteints d’un vice indépendant du caractère illicite du jeu.

2. Approche répressive

A. Kohl précise que la portée de l’article 5 peut aussi être envisagée à partir d’une approche répressive. En effet, « les articles 63 et 64 de la loi de 1999 incriminent un certain nombre d’infractions à ses dispositions. Le fait qu’un contrat ait été conclu en connaissance de cause — et non par ignorance ou à la suite d’une imprudence — en vue de permettre la réalisation d’un délit (la loi de 1999 érige en délits les infractions qu’elle vise) et que l’article 69 consacre le principe de l’emprunt de criminalité, implique que, sur le plan pénal, la conclusion de ce contrat doit être considérée comme une aide qualifiée (cfr article 66, alinéa 3 du Code pénal) ou un acte de complicité (cfr article 67 du Code pénal). [Malgré tout, cet article 5] implique que l’illicéité d’un jeu ou éta-blissement de jeux de hasard et des contrats conclus en vue de leur exploitation, au niveau répressif, ne suffit pas à faire obstacle à une action civile en vue de l’exécution forcée de ce type de contrat dès lors qu’il n’est atteint d’aucun autre motif d’illicéité : le contrat en question constituerait-il une aide ou une assis-tance dans les faits qui ont consommé l’infraction principale (par exemple, le fait de louer à un exploitant de jeux autres que ceux autorisés conformément à la loi de 1999, un immeuble pour y installer ce type de jeux), que sa nullité ne pourrait être invoquée pour ce seul motif » (91).

(89) Une proposition de loi a été déposée devant la Chambre des représentants afin de mettre fin à une controverse d’ordre juridique : elle vise à déclarer licites les contrats visés par la loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard, même s’ils ont été conclus avant l’entrée en vigueur de cette loi.(90) Cfr notamment références citées in Les Novelles, « Droit civil », t. 4, vol. I, Bruxelles, Larcier, 1957, p. 352, no 1221. (91) A. Kohl, op. cit., p. 205.

Page 25: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 479

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

B. Article 58, alinéa 1

L’article 58 consacre l’interdiction généralisée de consentir aux joueurs et aux parieurs toute forme de prêt ou de crédit en vue de payer un enjeu ou une perte(92). Sous la seule réserve de l’utilisation des cartes de crédit ou de débit dans les casinos(93), cette disposition a une portée générale : toute forme de prêt ou de crédit est interdite. En conséquence, peu importe que cette opération ait été effectuée avant, pendant, ou après le jeu, que le prêteur y ait eu un intérêt ou y soit demeuré étranger, que l’avance de fonds ait été consentie en vue de la participation à un jeu licite ou illicite ou que le prêteur participe ou non au jeu.

Cependant, il faudra analyser la cause de l’acte litigieux pour pouvoir conclure au caractère illicite de celui-ci. Ainsi, « un prêt ou un crédit sont inter-dits s’ils visent à permettre la participation au jeu ou sa poursuite ; par contre, sous réserve des difficultés de preuve, un prêt ou un crédit consentis à un joueur sont licites s’ils ont pour objet, par exemple, de lui fournir les fonds nécessaires au paiement de ses frais de déplacement, après la partie du jeu »(94).

Ceux qui auront contrevenu à cette interdiction en octroyant, malgré tout, une avance de fonds à un joueur risquent d’être doublement sanctionnés. En effet, outre la menace des sanctions pénales présentées infra, aucune dis-position légale ne leur garantit bien entendu de récupérer ce qu’ils ont prêté, puisqu’il n’existe aucune obligation juridique pour le joueur d’honorer une dette de jeu ou le prêt qui lui a été consenti(95). En outre, « la reconnaissance de dette consentie par un joueur est nulle »(96).

Enfin, notons que cet article est considéré comme étant d’ordre public. En conséquence, le juge devra soulever d’office une fin de non procéder à une action en remboursement d’un prêt ou d’un crédit consenti à un joueur pour le paiement d’un jeu.

(92) Sur les implications pénales de cette disposition, voy. infra. (93) Exception introduite par l’article 135 de la loi-programme du 8 avril 2003 qui sera analysée infra. (94) A. Kohl, op. cit., p. 207.(95) A. Kohl note cependant qu’« en fait, il est courant que le joueur rembourse le prêt qui lui est accordé, sous la pression des mœurs, par crainte d’être exclu du milieu. Si même on considère qu’il s’agit là d’une obligation naturelle, il reste que celle-ci a une cause illicite : aucune obligation naturelle ne peut résulter de ce que la loi défend de faire ». (96) A. Kohl, op. cit., p. 207.

Page 26: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

480 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

SECTION 4. LES CINQ OBJECTIFS PRINCIPAUX DE LA LOI ET LEURS CONSÉQUENCES PÉNALES

Outre la poursuite d’un objectif évident de protection sociale, le Parle-ment a souhaité, par la voie d’un contrôle efficace, « identifier et combattre les possibles effets secondaires indésirables des jeux de hasard (dépendance, blanchi-ment d’argent, criminalité, fraude fiscale et financière) » (97).

A. La protection des joueurs(98)

La loi instaure explicitement une série de mesures de protection des joueurs et des parieurs : l’interdiction de jouer et d’accéder à la salle de jeux pour les personnes de moins de 21 ans, ainsi que pour certaines personnes socialement vulnérables ; l’interdiction de consentir un crédit aux joueurs ; l’obligation, pour les joueurs, de s’identifier ; l’interdiction d’attirer des joueurs et l’obligation d’informer le public des dangers du jeu(99).

1. Limitation des pertes

Afin de limiter les pertes du joueur, l’article 3 de l’arrêté royal du 19 juillet 2001(100) prévoit que le montant de la perte horaire moyenne est limité à 70 euros dans les casinos. L’article 8 de la loi du 7 mai 1999 précise quant à lui que la perte moyenne doit être limitée à 25 euros dans les salles de jeux automatiques, et à 12,50 euros dans les débits de boissons (cfr supra). « Cette moyenne doit être constatée machine par machine et mesurée suivant les méthodes reconnues du calcul statistique »(101). En outre, les arrêtés royaux du 22 décembre 2000(102) prévoient l’application d’un taux de redistribution théo-rique d’au moins 84 % dans les établissements de classe II et III afin d’assurer la sincérité du jeu.

2. Restrictions à l’accès et exclusion des salles de jeux : article 54

« La clef de voûte de la politique de prévention est que de nombreux joueurs peuvent être exclus, d’office ou à leur demande, de l’accès des salles de

(97) Doc. parl., Sénat, 1998-1999, no 1-419/4, pp. 25 et 36.(98) Pour une analyse criminologique de la situation de l’utilisateur des jeux de hasard, voy. B. Wegrzycka, « Le prix d’une passion : la carrière du joueur compulsif », Crim., 1/2007.(99) Exposé introductif du ministre de la Justice, Doc. parl., Chambre, 1998-1999, 1795/8, p. 14.(100) Arrêté royal du 19 juillet 2001 établissant la liste des jeux de hasard dont l’exploitation est autorisée dans les établissements de jeux de hasard de classe I, M.B., 31 juillet 2001.(101) E. Marique et P. Rossel, op. cit., p. 97.(102) Arrêtés royaux du 22 décembre 2000 relatif au fonctionnement des jeux de hasard de classe II et de III, M.B., 30 décembre 2000.

Page 27: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 481

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

jeux des établissements de classe I et II »(103). À partir de ce constat doivent être distingués six types de mesures.

1) L’accès aux salles de jeux des établissements de classe I et II est interdite aux personnes de moins de 21 ans, à l’exception du personnel majeur de ces établissements (article 54 initio).

Le législateur a estimé devoir introduire cette mesure au motif que la catégorie de la population majeure de moins de 21 ans était la plus vulnérable au risque d’assuétude et correspond plus ou moins à l’âge où les jeunes sont post-adolescents et deviennent indépendants économiquement(104).

Pour être effective, cette interdiction impose aux joueurs, en corollaire, de s’identifier pour obtenir l’accès à ces salles de jeux. Conformément à l’ar-ticle 62, l’accès aux jeux de ces établissements n’est en effet autorisé que sur présentation, par la personne concernée, d’un document d’identité et moyen-nant l’inscription, par l’exploitant, de l’identité complète et de l’adresse de cette personne dans un registre. Le contrôle de l’âge pourra dès lors être facilement effectué, avant que le joueur ne pénètre dans la salle de jeux, par l’exploitant lui-même ou par une personne qu’il aura déléguée à cette fin(105).

2) L’accès aux salles de jeux des débits de boissons est permis aux per-sonnes de moins de 21 ans, mais la pratique des jeux de hasard est interdite aux mineurs(106) (article 54, § 1er, al. 1er).

De plus, l’article 74 de la loi de 1999 rend inapplicable aux établisse-ments de jeux de hasard autorisés l’article 1er de la loi du 15 juillet 1960 sur la préservation morale de la jeunesse(107).

L’effectivité de cette mesure reste cependant à démontrer. En effet, un patron de débit de boissons « n’est pas habilité à demander à des clients majeurs de lui présenter leur carte d’identité. [Dès lors,] on peut difficilement attendre

(103) E. Marique et P. Rossel, op. cit., p. 101.(104) Doc. parl., Sénat, 1998-1999, no 1-419/17, pp. 31, 151 et 245. (105) Article 1er de l’arrêté royal du 15 décembre 2004 relatif au mode d’interdiction d’accès aux établissements de jeux de hasard de classe I et II, M.B., 10 janvier 2005.(106) La Cour d’arbitrage n’a vu aucune situation discriminatoire à cette distinction d’âge et aux obligations différentes posées aux exploitants en fonction de la classe de leur établissement : arrêt no 74/2000 du 14 juin 2000, M.B., 10 août 2000.(107) Cette disposition interdit la présence « dans les maisons de jeu » de tout mineur âgé de moins de 18 ans accomplis (article 1er, alinéa 1er). Dès lors, en synthèse : l’accès (et dès lors la présence) aux établissements de classe III pourvus de jeux de hasard est permis aux mineurs âgés de plus de 16 ans, mais la pratique des jeux leur est interdite tant qu’ils n’ont pas atteint 18 ans ; si le débit de boissons n’est pas pourvu de jeux, la présence de mineurs (non mariés) âgés de moins de 16 ans y est interdite pendant qu’on y danse, à défaut d’être accompagnés de leur père, de leur mère, de leur tuteur ou de la personne à laquelle ils ont été confiés (article 1er, alinéa 2 de la loi du 15 juillet 1960, modifié par l’article 1er de la loi du 9 juillet 1973).

Page 28: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

482 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

de lui qu’il ne commette jamais d’erreur en évaluant l’âge, s’il doit se baser sur le seul aspect physique »(108).

3) L’interdiction d’accès aux établissements de classe I et II est également applicable aux magistrats, aux notaires, aux huissiers et aux membres des ser-vices de police en dehors de l’exercice de leurs fonctions (article 54, § 2).

Il s’agit d’une mesure de protection absolue touchant les membres de ces catégories professionnelles eu égard à la nature de leur fonction au sein de la société et à la nécessité de préserver à tout moment leur indépendance profes-sionnelle et financière à l’égard des tiers(109) (afin d’éviter qu’il ne mette en jeu l’argent se trouvant sur leur compte tiers). La sanction pénale (cfr infra) ne tou-chera cependant pas ces catégories de personnes, mais uniquement l’exploitant de l’établissement de jeux qui les aura laissés entrer en connaissance de cause.

En ce qui concerne les avocats, la fréquentation de tels établissements pourrait constituer une infraction disciplinaire dont le Conseil de l’Ordre aurait à connaître (articles 455 et 457 du Code judiciaire). L’infraction ne sera cepen-dant établie que si cette fréquentation est de nature à compromettre la dignité de la profession(110).

4) La Commission des jeux de hasard prononce d’office l’exclusion des salles de jeux des établissements de classe I et II de certaines personnes (article 54, § 3)(111), à savoir les personnes qui l’ont volontairement sollicitée(112), par écrit, à la commission des jeux de hasard ; les personnes qui ont été placées sous statut de minorité prolongée ; les incapables, à la demande de leur représentant légal ou de leur conseil judiciaire et les personnes à qui, conformément à l’arrêté royal no 22 du 24 octobre 1934 portant interdiction à certains condamnés et aux faillis d’exercer certaines fonctions, professions ou activités, pareille inter-diction a été faite, après notification par le ministère public.

5) Enfin, la Commission prononce préventivement l’exclusion des casinos et des salles de jeux automatiques (article 54, § 4) des personnes à protéger pour lesquelles une requête a été introduite conformément à l’article 487ter du Code civil (requête de mise sous statut de minorité prolongée), à l’article 488bis,

(108) E. Marique et P. Rossel, op. cit., p. 103.(109) Doc. parl., Sénat, 419/4, p. 37 (amendement du gouvernement).(110) P. Lambert, Règles et usages de la profession d’avocat du barreau de Bruxelles, 3e éd., Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 421 : « La fréquentation d’une salle de jeux n’est plus aujourd’hui considérée en elle-même comme répréhensible ». (111) Voy. l’arrêté royal du 15 décembre 2004 relatif au mode d’interdiction d’accès aux établisse-ments de jeux de hasard de classe I et II, M.B., 10 janvier 2005.(112) Une personne se sentant particulièrement « fragile » face aux jeux et aux salles de jeux peut solliciter son exclusion, auprès de la Commission des jeux de hasard, indépendamment de toute mesure restrictive de sa capacité civile. Au sujet des types de cas dans lesquels pareils symptômes peuvent se présenter, voy. A. Porot et D. Pringuey, v° « Ludique », in A. Porot, Manuel alphabé-tique de psychiatrie, 6e éd., Paris, P.U.F., 1984, p. 400.

Page 29: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 483

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

b, du Code civil (requête en désignation d’un administrateur provisoire) et à l’article 5 de la loi du 26 juin 1990 relative à la protection de la personne des malades mentaux (requête de mise en observation).

6) L’article 55 prévoit la création, auprès du ministère de la Justice, d’un registre reprenant les différentes personnes exclues. Ce système de traitement des informations pourra être consulté « on line » par les établissements de jeux. Il s’agit d’ailleurs de la seule voie qui leur est ouverte pour vérifier une interdic-tion d’accès(113).

3. Interdiction de consentir aux joueurs ou aux parieurs toute forme de prêt ou de crédit : article 58, alinéa 1er

3.1. interdiction originelle

En vue de ne pas favoriser la pratique du jeu, « il est interdit à quiconque de consentir aux joueurs ou aux parieurs toute forme de prêt ou de crédit, de conclure avec eux une transaction matérielle ou financière en vue de payer un enjeu ou une perte ». L’objectif du législateur est évidemment d’éviter aux joueurs de s’endetter compulsivement dans le but d’assouvir leur passion du jeu.

Cette disposition doit être mise en parallèle avec l’article 46 qui interdit aux membres du personnel des établissements de classe I et II de consentir aux joueurs ou aux parieurs toute forme de prêt ou de crédit.

3.2. la loi-prograMMe dU 8 avril 2003

La loi-programme du 8 avril 2003, dans ses dispositions touchant à la loi du 7 mai 1999, avait pour objectif principal de trouver un équilibre entre la protection du joueur et une exploitation rentable des établissements de jeux de hasard, afin notamment de garantir la rentabilité et l’emploi dans ces exploita-tions. Or, les travaux préparatoires de cette loi notaient que l’interdiction des cartes de crédit (et l’interdiction de l’organisation de déplacements, des repas et boissons gratuites) constituait un obstacle qui mettait en péril la viabilité du secteur(114). Dès lors, l’article 135 de cette loi introduisit une exception à l’ar-ticle 58 de la loi du 7 mai 1999 pour les établissements de classe I(115) : désor-mais, l’utilisation des cartes de crédit et de débit est autorisée dans ces établis-

(113) Seule la condition relative à l’âge pourra en effet être vérifiée par le biais du contrôle de la carte d’identité. (114) Doc. parl., Chambre, 2002-2003, no 2343/001, pp. 73-77.(115) Quant à la distinction introduite entre les établissements de classe I et ceux de classe II et III, les travaux parlementaires précisent qu’elle est objective pour plusieurs raisons : dans les casinos, la perte horaire et donc les enjeux sont plus importants que dans les salles de jeux automatiques ; aucune demande n’a jamais été faite quant à l’usage de cartes de crédit dans les débits de boissons ; les casinos n’existent qu’en nombre très restreint (9), par rapport aux salles de jeux automatiques (180) et aux débits de boissons (plusieurs dizaines de milliers).

Page 30: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

484 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

sements. Cette exception doit toutefois être mise en parallèle avec les mesures destinées à éviter le blanchiment d’argent présentées ci-dessous.

Plusieurs éléments ont été avancés pour justifier cette permission :

– il s’agit d’un mode de paiement moderne qui faciliterait la fréquentation touristique des casinos belges. En effet, le contraire pénalise les établis-sements belges en favorisant de facto les casinos étrangers exploités à proximité de nos frontières (Pays-Bas, Allemagne,…) ;

– cela faciliterait l’identification de l’utilisateur et le cheminement de l’ar-gent ;

– l’utilisation de la carte de banque serait la meilleure garantie contre les hold-up ;

– enfin, la pratique fréquente de la fausse monnaie serait réduite par l’em-ploi des cartes de crédit.

4. Mesures destinées à prévenir le recours illégal à toute forme de prêt ou de crédit : article 58, alinéas 3 et 4

Deux mesures sont prévues afin de prévenir le recours au prêt ou au crédit.

1) Les exploitants d’établissements de jeux de hasard sont tenus d’informer leur clientèle, de manière lisible et bien apparente, dans tous les locaux accessibles au public, de l’interdiction de consentir un crédit (article 58, alinéa 2).

2) La présence de distributeurs automatiques de billets de banque est inter-dite dans tout établissement de jeux de hasard (article 58, alinéa 3).

5. Mesures destinées à empêcher une pratique excessive des jeux de hasard

Plusieurs types de mesures sont prévus pour limiter la pratique des jeux de hasard :

1) Les articles 32, 4° et 37, 4° : la salle de jeu d’un établissement de classe I ou II doit être strictement séparée des autres activités éventuelles de l’exploi-tant. Il ne peut en aucun cas être possible d’avoir, de l’extérieur de la salle de jeux, une vue sur les jeux de hasard. Le but de cette disposition est de permettre aux joueurs de se détacher physiquement de l’emprise morale que peut avoir sur eux la pratique des jeux de hasard.

2) L’article 59 : les jeux de hasard ne peuvent être pratiqués qu’avec des fiches ou des jetons payés comptant, propres à l’établissement concerné et fournis exclusivement par celui-ci à l’intérieur de celui-ci, ou encore avec des pièces de monnaie. Cette règle vise tous les jeux de hasard, en quelqu’établisse-

Page 31: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 485

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

ment qu’ils soient pratiqués. L’objectif de ce système est de réduire l’importance des enjeux engagés ; cependant, sa violation n’est pas sanctionnée pénalement (cfr infra).

3) L’article 60(116) : il interdit aux exploitants des établissements de classe II et III de démarcher leur clientèle en leur offrant un quelconque avantage matériel, comme le transport gratuit en bus, des cadeaux et des repas en vue d’attirer les clients potentiels.

4) L’article 61 : il prévoit, d’une part, que les exploitants devront col-laborer activement à la politique de prévention du jeu et, d’autre part, que des dépliants contenant des informations sur la dépendance au jeu, le numéro d’appel du service d’aide 0800 et les adresses d’assistants sociaux devront être mis à la disposition du public, dans un endroit visible de chacun des établisse-ments de jeux.

5) L’article 62 : il prévoit que l’accès au casino et salles de jeux auto-matiques n’est autorisé que sur présentation, par la personne concernée, d’un document d’identité et moyennant l’inscription, par l’exploitant, des nom com-plet, prénoms, date et lieu de naissance, profession et adresse de cette per-sonne dans un registre. L’exploitant doit faire signer ce registre par la personne concernée.

Une copie de la pièce ayant servi à l’identification du joueur doit de plus être conservée pendant au moins dix ans à compter de la dernière activité de jeu de celui-ci (ce qui aura une certaine importance, notamment, en vue de la lutte contre le blanchiment d’argent).

Outre les sanctions pénales attachées à l’absence de tenue ou à la tenue incorrecte de ce registre, ces faits ou ces négligences peuvent entraîner le retrait de la licence.

6) L’arrêté royal du 22 décembre 2000(117) contient un certain nombre de règles relatives au fonctionnement et à la gestion des établissements de classe III. Il s’agit entre autres de l’interdiction de faire de la publicité pour les activités de jeux (article 3), l’obligation d’afficher la licence (article 4), de mettre à la dispo-sition des joueurs le dépliant informatif relatif à la dépendance au jeu (article 5), et de veiller à la sincérité du jeu (article 6).

(116) Cet article a été modifié par l’article 136 de la loi-programme du 8 avril 2003 : désormais, cette interdiction ne s’applique plus aux casinos afin de leur permettre d’être concurrentiels vis-à-vis des établissements similaires limitrophes aux frontières (cfr supra pour les objectifs de cette loi). (117) Arrêté royal du 22 décembre 2000 relatif au fonctionnement, à l’administration des jeux de hasard de classe III, aux modalités des demandes et à la forme des licences de classe C, M.B., 30 décembre 2000.

Page 32: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

486 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

B. La protection de la société et de l’ordre public

Il est rapidement apparu aux rédacteurs de la loi que limiter la probléma-tique des jeux de hasard et de leur exploitation aux seuls casinos risquait d’avoir des conséquences néfastes pour l’ordre public et que traiter ce sujet de manière plus large en y englobant également le secteur des appareils de jeu et de débits de boissons permettrait notamment d’éviter au maximum le problème des salles de jeux clandestines et de faire respecter au mieux les lois sur la protection de la jeunesse et la scolarité obligatoire(118). D’où l’apparition, par rapport à la situation tolérée avant l’entrée en vigueur de la loi de 1999, de deux nouvelles catégories d’établissements (cfr supra).

Pour obtenir la licence correspondant à leur établissement, « l’exploitant ou, dans les cas d’une personne morale, les administrateurs ou gérants doivent offrir des garanties suffisantes en matière de moralité »(119) (articles 36, 41 et 44). De plus, les établissements de salles de jeux automatiques ne peuvent être exploités à proximité d’églises, d’écoles ou d’hôpitaux (article 36, 4°). Cette notion de « proximité » est toutefois relative et ne se mesure pas au moyen d’un critère fixe déterminé d’avance(120). La qualification de « proche » semble dès lors, pour être légitime, exiger un examen des circonstances concrètes(121). L’article 61 prévoit en outre que les exploitants devront souscrire à un code de déontologie.

C. La protection des exploitants de jeux

Du point de vue des exploitants des établissements de jeux de hasard, la principale innovation de la loi du 7 mai 1999 est l’introduction du système de licence, ce qui a pour effet de légaliser et de professionnaliser leur activité. En outre, les preuves de solvabilité devant être fournies seront de nature à éviter les faillites, ou à faciliter l’excusabilité des faillis le cas échéant.

D. La protection des intérêts fiscaux de l’État et des Régions

L’article 43 du Code des taxes assimilées aux impôts sur les revenus pres-crit une taxe sur les sommes engagées dans les jeux et paris, dont l’assiette est le montant brut des sommes engagées (à savoir toutes les sommes que les par-

(118) Exposé des motifs de la proposition de loi visant à créer un cadre légal pour l’exploitation et la pratique des jeux de hasard, Doc. parl., Chambre, 1995-1996, 17 juillet 1996, 661/1, pp. 2-5.(119) E. Marique et P. Rossel, op. cit., p. 97.(120) Il a par exemple été précisé que lors de l’appréciation de la proximité des établissements tels que des écoles, il faut considérer la distance réelle par la route et non pas la distance à vol d’oiseau (C.E. (12e ch.), 8 juillet 2003, no 121.438, http ://www.raadvst-consetat.be (4 août 2004) ; C.D.P.K., 2004 (sommaire), liv.2, 315).(121) C.E. (12e ch.), 17 juin 2003, no 120.648, http ://www.raadvst-consetat.be (4 août 2004) ; C.D.P.K., 2004 (sommaire), liv. 2, 314.

Page 33: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 487

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

ticipants misent à l’occasion de ces jeux et paris)(122). Cette taxe a un caractère prohibitif : elle a été instaurée pour enrayer les excès relatifs aux gains d’argent dans les jeux et paris(123). Elle relève d’une compétence fiscale régionale (les Régions peuvent dès lors fixer des seuils différents)(124).

De plus, il n’est pas inutile de préciser que le fait que le jeu soit ou non considéré par une disposition pénale comme jeu de hasard ou d’argent illicite est sans incidence pour l’application de dispositions fiscales(125).

Enfin, rappelons que les officiers du ministère public près les cours et tri-bunaux doivent informer le ministère des Finances des indices de fraude fiscale dont ils ont connaissance dans le cadre d’une information dont ils sont saisis (article 2 de la loi du 28 avril 1999)(126).

E. La lutte contre le blanchiment d’argent : articles 20, alinéa 4 et 58, alinéa 3

Outre les contrôles du respect de la législation en matière des jeux de hasard au sens strict, des contrôles en matière de transparence financière et de solvabilité des casinos et des salles de jeux automatiques sont également prévus à charge de la Commission des jeux de hasard. Ces contrôles s’inscrivent dans la lutte contre la fraude fiscale (article 18) et le blanchiment. En effet, l’article 20, alinéa 4 de la loi prévoit explicitement que la Commission des jeux de hasard est l’autorité de contrôle et de tutelle visée aux articles 21 et 22 de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux. En vertu de ces articles, la Commission des jeux de hasard devra dès lors avertir la cellule de traitement des informations financières (CTIF) si elle constate des faits susceptibles de constituer la preuve d’un blanchiment de d’argent (ou d’un financement du terrorisme).

Dans une perspective préventive, l’article 58, alinéa 2 prévoit également que les opérations dont la somme s’élève à 10 000 euros ou plus doivent obli-gatoirement être effectuées au moyen d’une carte de débit ou de crédit. Cette disposition a été insérée par la loi-programme du 8 avril 2003 à la suite d’un avis du CTIF du 19 mars 2001 stipulant que l’utilisation des moyens de paie-ment par cartes faciliterait l’identification de l’utilisateur et le cheminement de

(122) K. Andries, N. Carette et N. Hoeckx, Les jeux de hasard. Analyse critique des éléments de la définition légale, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 178.(123) Exposé des motifs du projet de loi portant création de nouvelles ressources fiscales, Doc. parl., Ch. repr., 1920-1921, no 296, p. 19.(124) Loi spéciale du 13 juillet 2001 portant refinancement des Communautés et extension des compétences fiscales des Régions, M.B., 3 août 2001.(125) G. De Neef, « Kans – en geldspelen : nieuwe B.T.W.-regeling », Fiscoloog, 1994, p. 476.(126) Loi du 28 avril 1999 visant à transposer la directive no 98/26/CE du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres.

Page 34: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

488 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

l’argent(127). Évidemment, cette modification doit être mise en relation avec l’article 58, alinéa 4 (prévoyant l’interdiction de la présence de distributeurs automatiques de billets de banque à l’intérieur de tout établissement de jeux de hasard) et l’article 59 (utilisation de jetons ou fiches propres à l’établissement), qui restent inchangés.

De plus, lorsque l’exploitant d’un casino ou d’une salle de jeux est inculpé dans le cadre d’une instruction relative au blanchiment de capitaux par la voie du jeu, le juge d’instruction pourra saisir la copie des pièces ayant servi à l’iden-tification des joueurs.

Notons enfin que seuls les casinos semblent faire l’objet d’une attention particulière dans ce cadre de lutte contre le blanchiment. Ceci pourrait s’expli-quer par le fait que ce sont ces établissements qui présentent les implications financières les plus importantes.

SECTION 5. ANALYSE DES DISPOSITIONS PÉNALES DE LA LOI

A. Infractions prévues par la loi : articles 63 et 64

La loi du 7 mai 1999 « distingue deux catégories d’infractions dont cha-cune est assortie d’une peine correctionnelle de niveau différent »(128) :

1) L’article 63 prévoit une peine d’emprisonnement de six mois à cinq ans et une amende de 100 à 100 000 euros(129), ou une de ces peines seulement, pour les auteurs des infractions aux dispositions des articles suivants :

– article 4 : organisation illégale de jeux de hasard ;– article 8 : infraction en matière de mise maximale ;– article 26 : cession de licence ;– article 27 : cumul des licences ;– article 46 : participation des membres du personnel aux jeux de hasard ;– article 58 : crédit autorisé.

2) L’article 64 prévoit une peine d’emprisonnement d’un mois à trois ans et d’une amende de 26 à 25 000 euros, ou une de ces peines seulement, pour les auteurs des infractions aux dispositions des articles suivants :

– article 54 : permettre la participation des catégories exclues ;– article 60 : offre gratuite d’avantages par les établissements de classe II et

III ;

(127) Doc. parl., Chambre, 2002-2003, no 2343/001, pp. 73-77.(128) A. Kohl, op. cit., p. 209.(129) Depuis le 1er janvier 2002, le montant des amendes auxquelles les décimes additionnels sont appliqués doit être automatiquement converti en euros (D. Vandermeersch, Éléments de droit pénal et de procédure pénale, 2e éd., La charte, p. 154).

Page 35: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 489

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

– article 62 : tenue des registres de visiteurs dans les établissements de classe I et II.

B. Peines potentielles

1. Quant aux biens : article 67

Cet article prévoit que seront confisqués, quelle que soit la forme de l’in-fraction, les fonds ou effets exposés au jeu ainsi que les meubles, instruments, ustensiles et appareils employés ou destinés au service des jeux. Malgré la loca-lisation de cette disposition parmi les infractions pénales, « cette confiscation constitue une mesure de sûreté et non une peine »(130). Dès lors, elle échappe au régime de la sanction pénale : « elle [peut être] prononcée même en cas d’ac-quittement ou de renvoi des poursuites en raison de la prescription de l’action publique »(131). De plus, « la confiscation ainsi prévue ne peut être prononcée en l’absence de toute poursuite, mais il n’est pas requis que les choses à confisquer appartiennent au condamné »(132). Enfin, « elle est opposable aux héritiers »(133).

2. Quant aux personnes

2.1. joUeUrs

Il est nécessaire de rappeler ici que l’objectif principal de la loi est la pro-tection des joueurs. Si le titre de la loi ne suffit pas à s’en convaincre, la lecture des travaux préparatoires finira de dissiper tous les doutes. Dès lors, le simple joueur, considéré comme un agent potentiellement pathologique digne de pro-tection, n’encourra jamais de peine sur la base de cette loi. La seule crainte qu’il peut avoir sera de se voir confisquer les fonds qu’il aura mis en jeu lors de la participation à un jeu de hasard illégal au sens de la loi.

2.2. exploitants : personne physiqUe oU personne Morale

2.2.1. Mesures spécifiques aux personnes physiques

L’interdiction de l’exercice de certains droits peut être prononcée, confor-mément à l’article 33 du Code pénal (article 66). L’interdiction ne peut être relative qu’aux droits énumérés par l’article 31 du Code pénal(134). De plus,

(130) Cass., 23 décembre 1986, Pas., 1987, p. 517.(131) Cass., 23 décembre 1986, Pas., 1987, p. 517.(132) A. Kohl, op. cit., p. 209.(133) A. Kohl, op. cit., p. 209.(134) Il s’agit des droits de remplir des fonctions, emplois ou offices publics ; d’éligibilité ; de porter aucune décoration, aucun titre de noblesse ; d’être juré, expert, témoin instrumentaire ou certificateur dans les actes ; de déposer en justice autrement que pour y donner de simples renseignements ; d’être

Page 36: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

490 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

la décision doit, à peine de nullité, préciser si l’interdiction porte sur tous les droits énumérés par l’article 31 du Code pénal, ou seulement sur certains d’entre eux(135).

Notons également que, contrairement à ce qui était prévu sous l’ancienne législation, le juge d’instruction peut délivrer un mandat d’arrêt puisque dans chacun des deux cas présentés ci-dessus, la peine maximum est supérieure à un an d’emprisonnement (article 16 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la déten-tion préventive).

2.2.2. Mesures spécifiques aux personnes morales

L’article 41bis, § 2(136) prévoit que les amendes applicables aux infractions commises par les personnes morales sont, lorsque la loi prévoit une peine pri-vative de liberté et une amende, ou l’une de ces peines seulement, une amende minimale de cinq cents euros multipliés par le nombre de mois correspondant au minimum de la peine privative de liberté, et sans pouvoir être inférieure au minimum de l’amende prévue par le fait (en l’espèce 100 euros) ; le maximum s’élève à deux mille euros multipliés par le nombre de mois correspondant au maximum de la peine privative de liberté, et sans pouvoir être inférieur au double du maximum de l’amende prévue pour le fait (en l’espèce 2 000 euros). En d’autres termes, pour les infractions prévues par l’article 63, les personnes morales pourront être condamnées à une amende allant de 3 000 euros (500 euros x 6 mois) à 120 000 euros (2 000 euros x 60 mois). En cas d’infrac-tion prévue par l’article 64, elles encourent une amende allant de 500 euros à 72 000 euros.

2.2.3. Mesure commune : article 68

Le juge peut ordonner la fermeture définitive ou temporaire de l’établis-sement. Dans ce cas, la Commission des jeux de hasard est tenue de retirer la licence concernée. Cette fermeture est une peine accessoire, de caractère facul-tatif et elle peut être prononcée à l’égard de tout établissement de jeux(137).

2.3. cas particUliers

Les exploitants ne sont pas les seuls à encourir une condamnation pénale sur la base de cette loi ; en effet, plusieurs autres catégories de personnes phy-

appelé aux fonctions de tuteur, subrogé tuteur ou curateur ; de port d’armes, de faire partie de la garde civique ou de servir dans l’armée. (135) Cass., 8 août 1940, Pas., I, 199.(136) Inséré par l’article 8 de la loi du 4 mai 1999 relative à la responsabilité pénale des personnes morales, M.B., 22 juin 1999.(137) A. Kohl, op. cit., p. 210.

Page 37: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 491

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

siques sont également explicitement visées par l’article 64, alinéa 2 : seront punies de la peine prévue par l’alinéa 1er :

– toute personne qui aura participé à la tenue d’un établissement de jeux de hasard non autorisé par cette loi en qualité de banquier, d’administrateur, de préposé ou d’agent dudit établissement ;

– toute personne qui, par tout moyen, fait de la publicité ou s’occupe du recrutement de joueurs pour un établissement de jeux de hasard prohibé par la loi ou non explicitement autorisé en vertu de la loi ou d’un établis-sement similaire situé à l’étranger.

3. Cas d’aggravation possible des peines : article 65

Les peines prévues par les articles 63 et 64 peuvent être doublées en deux hypothèses :

1) En cas de récidive dans les cinq années suivant une condamnation en vertu de la présente loi. Il s’agit donc d’une récidive spéciale(138), puisqu’elle implique une condamnation antérieure en vertu de cette loi ou de ses arrêtés d’exécution, et temporaire, car limitée à cinq années après une première condamnation. Toutefois, en vertu de l’article 69 de cette loi (cfr ci-dessous), les articles 54 à 57 du Code pénal restent applicables à titre résiduel, c’est-à-dire lorsque les conditions prévues pour la récidive spéciale ne sont pas remplies(139).

2) Lorsque l’infraction a été commise à l’égard d’une personne de moins de 18 ans. La minorité n’est pas ici un élément constitutif de l’infraction mais « une cause possible d’aggravation de la peine »(140).

4. Applicabilité des principes généraux du Code pénal : article 69

Cet article prévoit que toutes les dispositions du livre Ier du Code pénal, sans exception du chapitre VII relatif à la participation comme auteurs ou complices et de l’article 85 relatif à l’incidence des circonstances atténuantes, sont applicables aux infractions prévues par la loi du 7 mai 1999. En d’autres termes, toutes les dispositions générales reprises dans le livre Ier du Code pénal sont applicables, « y compris celles qui les ont modifiées ou les modifieront »(141). Cette règle nous a permis, pour rappel, de calculer les amendes applicables aux personnes morales dans le cadre d’infractions aux articles 63 et 64, et de pré-

(138) Par opposition à la récidive générale pour laquelle la nature des infractions successives est au contraire indifférente : voy. F. Tulkens et M. van de Kerchove, Introduction au droit pénal, Kluwer, 2005, p. 437.(139) Cass., 2 juin 1975, Pas., I, p. 941.(140) A. Kohl, op. cit., p. 210.(141) A. Kohl, op. cit., p. 210.

Page 38: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

492 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

ciser que la récidive générale prévue par le Code pénal reste applicable à titre résiduel.

5. Responsabilité civile : article 70

5.1. responsabilité civile dU fait d’aUtrUi

L’article 1384 du Code civil ne prévoyant pas de principe général de responsabilité civile du fait d’autrui(142), un texte spécifique était dès lors requis pour instaurer un tel système en matière d’infraction sur les jeux. D’où l’inser-tion dans la loi de l’article 70 qui prévoit que « les personnes physiques, ainsi que les administrateurs, gérants, gestionnaires, organes, préposés ou mandataires de personnes morales sont civilement responsables des condamnations aux dom-mages-intérêts, amendes, frais, confiscations et amendes administratives quel-conques prononcées pour infraction aux dispositions de la présente loi. Il en va de même pour les associés de toute société dépourvue de la personnalité civile, lorsque l’infraction a été commise par un associé, gestionnaire, préposé ou man-dataire, dans le cadre des activités de la société ». De plus, il n’est pas inutile de rappeler que la société personne morale pourra être tenue comme pénalement responsable dans les conditions fixées par l’article 5 du Code pénal.

5.2. solidarité passive

De manière générale, l’article 1202 du Code civil prévoit que la solida-rité doit être expressément stipulée dans le contrat, sauf dans les cas où elle a lieu de plein droit en vertu d’une disposition de loi. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, cet article ne concerne pas les engagements qui, résultant de délits ou de quasi-délits, se forment sans convention(143). Il était dès lors nécessaire, à l’instar de la responsabilité civile du fait d’autrui, de prévoir une disposition instaurant la solidarité passive des associés de sociétés dépourvues de la personnalité civile ; l’article 70, alinéa 2 in fine s’en est chargé explicitement.

5.3. possibilité de citation directe

L’article 70, alinéa 3 permet au ministère public et à la partie civile de citer directement devant la juridiction répressive les personnes physiques ou morales qui sont civilement responsables des infractions aux dispositions de cette loi. Cet article déroge donc au principe selon lequel l’action civile ne peut être exercée devant les juridictions répressives contre les personnes morales,

(142) Cfr en ce sens : Cass., 19 juin 1997, J.T., p. 582 et conclusions du ministère public ; J.L.M.B., p. 1122 et note Th. Papart.(143) Voy. not. Cass., 15 février 1886, Pas., I, 76 ; Cass., 29 juillet 1889, Pas., I, 298 ; Cass., 14 mars 1907, Pas., I, 160 ; Cass., 3 janvier 1922, Pas., I, 117 ; Cass., 24 janvier 1924, Pas., 1924, I, 159 ; Cass., 11 décembre 1991, Pas., 1992, I, 278.

Page 39: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 493

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

sauf lorsqu’elles interviennent comme civilement responsables(144). A. Kohl pré-cise de plus qu’il s’agit « d’une règle de portée générale, valable en cas d’infrac-tion aux dispositions de la loi de 1999 ou à d’autres dispositions : par exemple, la victime d’un abus de confiance commis par la société qui exploite un établis-sement de jeux peut, en vertu de l’article 70, alinéa 3 citer directement celle-ci devant la juridiction répressive »(145).

C. Les sanctions pénales au quotidien : le cas particulier du développement de la pratique « privée » du poker

1. Le régime théorique

S’il existe des phénomènes de mode ayant le vent en poupe ces derniers mois, le poker en fait partie. Ceci explique le développement d’organisation de tournois clandestins dans des cercles privés, au mépris total des règles légales présentées ci-dessus. En effet, le poker répond bien à la définition d’un jeu de hasard, soit : « un enjeu de quelconque nature (vaut également pour les frais de participation qui constituent un enjeu déguisé), une possibilité de gain sous n’im-porte quelle forme ou la perte de l’enjeu et où le hasard, même de manière acces-soire, est présent dans le déroulement du jeu, la détermination du vainqueur ou la fixation du gain (des cartes sont des générateurs de chances) »(146). Or, actuel-lement, au terme de l’article 4 de la loi du 7 mai 1999, les jeux de poker ne sont autorisés que dans les établissements de classe I (life, électroniques et sous forme de tournoi) et de classe II (uniquement sous forme électronique) ayant obtenu la licence correspondante.

En conséquence, la seule possibilité d’échapper à l’interdiction de prin-cipe visée par cet article est de rentrer dans les conditions d’application de l’article 3, 3° qui autorise en effet les jeux de cartes ou de sociétés pratiqués en dehors des établissements de jeux de hasard (c’est-à-dire dans des cercles privés), à la condition sine qua non que ceux-ci ne nécessitent qu’un enjeu très limité et qu’ils ne puissent procurer au joueur ou au parieur qu’un avantage matériel de faible valeur. On ne peut que regretter l’utilisation de notions aussi vagues que celles d’« enjeu très limité » et d’« avantage matériel de faible valeur », créant une sorte d’incertitude juridique à propos de laquelle tout ou presque a été écrit. Nombreux sites Internet affirment en effet, en fonction du site consulté, que l’enjeu maximum ne peut être que de 5 EUR ou de 12,50 EUR (faisant de la sorte une confusion avec les sommes mentionnées à l’article 8 inapplicable en la matière).

En conclusion, ces notions restent soumises à l’appréciation souveraine du juge. Toutefois, le collège des procureurs généraux en charge de la politique

(144) M. Franchimont, A. Jacobs et A. Masset, Manuel de procédure pénale, 2e éd., Larcier, p. 182.(145) A. Kohl, op. cit., p. 211.(146) Circulaire informative de la Commission des jeux de hasard.

Page 40: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

494 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

criminelle (col 8/2004) a donné, à titre exemplatif d’un enjeu très limité, la somme de 0,22 EUR par jeux et un gain maximum de 6,20 EUR(147). En pra-tique dès lors, le respect de telles sommes permettra d’éviter les poursuites.

2. La répression du poker en pratique

Les différents parquets du royaume semblaient au départ avoir d’autres priorités que la répression de ces pratiques. Mais depuis le 14 mai 2007, date à laquelle une fusillade a fait deux blessés lors d’un tournoi clandestin organisé à Gembloux, les choses semblent évoluer. En effet, ceux-ci se sont depuis lors décidés à poursuivre. Toutefois, n’a été prononcée à l’heure actuelle qu’une seule condamnation(148) d’organisateurs d’un tournoi d’arrière-salle ; celle-ci n’a malheureusement pas encore été publiée. Lors de l’instance de plaidoirie(149), le parquet requit trois mois de prison et des amendes pour les organisateurs, mais le tribunal correctionnel de Namur s’est finalement contenté d’infliger des peines d’amende. Constatant que les organisateurs se procuraient de substan-tiels revenus par cette activité, mais tenant compte de « la répercussion sociale limitée de ces pratiques », le tribunal a en effet condamné le premier prévenu à 5 500 EUR d’amende et le coorganisateur à 4 950 EUR d’amende, dans les deux cas avec sursis de deux ans pour la moitié.

Il est intéressant de noter que certains étudiants en droit ne semblent pas apprécier la lecture de leur Code pénal : le cercle « La Basoche » va en effet orga-niser fin mars un tournoi de poker(150). Quoi qu’en pensent les organisateurs de ce tournoi, il s’agit bien d’un jeu de hasard au sens de la loi du 7 mai 1999, et ils tombent dès lors sous le coup de l’application de l’article 63 de cette loi ! Il serait intéressant alors d’examiner le degré de participation de l’ULg qui a auto-risé l’affichage de publicités pour ce tournoi : un « substitut zélé » ne pourrait-il pas retenir la qualification de complicité à l’égard de cette personne morale ?

(147) Il est intéressant de remarquer que cette somme de 6,20 EUR est également prévue à l’ar-ticle 43, 2° du C.T.V.A. qui dispense de l’impôt « des divertissements populaires qui ne comportent que des droits d’inscription ou de participation répartis sous forme de prix ou affectés aux frais normaux d’organisation, pour autant que le montant total de ces droits ne dépassent pas 6,20 EUR par jour et par personne ». (148) Corr. Namur, 28 janvier 2008 (inédit).(149) Pour l’anecdote, notons que Madame la présidente du tribunal correctionnel de Namur avait envisagé, en souriant, de convoquer Patrick Bruel pour le faire témoigner, celui-ci ayant fait du poker une passion publiquement étalée. Elle y avait toutefois renoncé lorsque les avocats lui avaient rappelé, toujours en clin d’œil, qu’il s’était « cassé la voix » et qu’il ne pourrait donc pas témoi-gner…(150) Toujours pour l’anecdote, remarquons que ce tournoi est organisé dans la salle « Le musée du TEC », qui se situe juste en face du Commissariat central de la ville de Liège.

Page 41: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 495

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

SECTION 6. LE DROIT PÉNAL INTERNATIONAL

En application du principe de territorialité du droit pénal, toutes les infractions réalisées sur le territoire d’un État peuvent donner lieu à des pour-suites et à une sanction pénale, dans l’État où elles ont été commises, quelle que soit la nationalité de l’auteur(151). En vertu des articles 3 du Code pénal et 69 de la loi du 7 mai 1999 combinés, ce principe est applicable à la législation sur les jeux de hasard. Dès lors, lorsqu’une infraction à cette loi a été commise en Belgique, elle tombe dans le champ d’application des articles 63 et 64 de cette loi de 1999.

De plus, en vertu de la théorie de l’ubiquité objective(152), les tribunaux belges seront également compétents lorsqu’un seul des éléments constitutifs de l’infraction d’exploitation illégale de jeux de hasard a été réalisé en Belgique.

Enfin, lorsqu’une infraction à la loi sur les jeux est commise en Belgique, « les actes de participation commis à l’étranger (par exemple, la fourniture de fonds pour l’exploitation de jeux de hasard ou d’établissements de jeux de hasard autres que ceux autorisés conformément à la loi de 1999) sont réputés avoir été commis en Belgique ; [en d’autres termes] l’étranger qui participe à l’étranger, à une infrac-tion commise en Belgique tombe sous l’application de la loi belge » (153).

Enfin, concernant les problèmes posés au niveau des poursuites ou de l’exécution d’une peine lorsque le délinquant n’est pas (ou plus) en Belgique, il n’est pas dérogé aux principes classiques en matière d’extradition(154).

SECTION 7. LA LÉGISLATION DE 1999 AU REGARD DU DÉVELOPPEMENT

DES SERVICES DE LA SOCIÉTÉ DE L’INFORMATION

A. Introduction

Ces dernières années s’est considérablement développée une nouvelle forme d’exploitation de jeux de hasard : l’offre de participation à des « concours » via les différents moyens de communication mis au service des consommateurs par la société de l’information. La loi de 1999, dans sa première version, s’est rapidement révélée incapable de réguler cette nouvelle offre de service. Pour-tant, les travaux préparatoires notaient, dès 1996, qu’il était « indispensable d’élaborer une politique du jeu qui reste en phase avec l’évolution en matière de législation sur les jeux de hasard dans le cadre international et avec les évolu-tions technologiques les plus récentes sur le marché des jeux de hasard, essentiel-

(151) F. Tulkens et M. van de Kerchove, Introduction au droit pénal, Kluwer, 2005, p. 245.(152) Cass. (ch. réunies), 23 décembre 1998, J.L.M.B., 1999, p. 61.(153) A. Kohl, op. cit., note 82.(154) Pour une présentation de ceux-ci, voy. A. Kohl, op. cit., p. 207.

Page 42: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

496 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

lement dominé par l’électronique »(155). Force est de constater, dix ans plus tard, que cela n’a pas été le cas.

B. La télévision

Depuis quelques années est apparu un phénomène télévisuel nouveau : les émissions consacrées entièrement à la participation du téléspectateur à des jeux au moyen de numéros payants (par exemple 0905, SMS, MMS payants du type 3xxx ou 4xxx). E. Marique remarque à ce sujet que « ces jeux étant dif-fusés en heures creuses, ils sont principalement regardés par des pensionnés, des chômeurs, des personnes handicapées ou des mineurs. […]. Certains gros joueurs peuvent appeler jusqu’à cent fois par jour. À 2 euros l’appel, ils peuvent vite se retrouver en surendettement »(156). Estimant à juste titre qu’il s’agissait de jeux de hasard tombant dans le champ d’application de la loi du 7 mai 1999 (les éléments constitutifs de l’article 2 étant tous réunis), la Commission des jeux de hasard a en conséquence transmis une cinquantaine de plaintes au parquet…

Le législateur réagit rapidement par la loi-programme du 27 décembre 2004, insérant une quatrième exception à l’article 3 (cfr supra). Reprenant à son compte le raisonnement de la Commission, l’exposé des motifs de cette loi-programme précisa tout d’abord que ces jeux devaient bien être considérés comme des jeux de hasard : « la participation se déroulant au moyen de numéros payants, le coût de participation demandé dépasse le prix normal des conversa-tions téléphoniques standards ou — SMS ou — MMS et compte tenu qu’il est éventuellement nécessaire de tenter plusieurs fois sa chance pour pouvoir réelle-ment participer, cette manière de procéder peut être assimilée à une mise. Il se peut également qu’à tout instant, un prix soit gagné ou que, le cas échéant, la mise soit perdue. De plus, ces jeux sont conçus de telle manière qu’un élément de hasard y est toujours présent ne fût-ce que d’une manière accessoire : tirage, roue de la fortune, nombre de joueurs, énigmes… »(157).

Fort de ce constat, le législateur a choisi cependant d’exclure ces jeux du champ d’application de la loi en insérant une quatrième exception à l’ar-ticle 3 : « ne sont pas des jeux de hasard […] les jeux proposés dans le cadre de programmes télévisés au moyen de séries de numéros du plan belge de numé-rotation pour lesquels il est autorisé de facturer à l’appelant, en plus du prix de la communication, également le prix du contenu étant entendu que ce prix est limité aux séries pour lesquelles le tarif de l’utilisateur final ne dépend pas de la durée de l’appel, et qui forment un programme complet de jeu ». De plus,

(155) Exposé introductif du ministre de la Justice, Doc. parl., Chambre, 1998-1999, 1795/8, p. 14.(156) http ://www.lalibre.be.(157) Doc. parl., Chambre, 2004-2005, 1438/1, p. 167.

Page 43: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 497

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

ces jeux doivent satisfaire aux conditions fixées par le Roi(158). Si la démarche semble parfaitement louable, cette définition reste pour le moins ambiguë et source de nombreuses complications.

D’une part, seuls sont visés les jeux de hasard combinant un programme télévisé et un moyen de téléphonie surtaxé (mobile ou non) et aucunement les autres jeux de hasard. Or, l’exposé des motifs justifie la réforme en ces termes : « (…) on ne peut ignorer que ces jeux, à côté de l’aspect attractif, ont un aspect commercial et concurrentiel (tant national qu’international) important à tel point qu’une solution doit être trouvée afin de maintenir l’équilibre entre l’offre et la protection du joueur. C’est pourquoi [l’idée est] non pas de placer ces jeux parmi les jeux de hasard classiques mais parmi les exceptions de l’article 3 de la loi du 7 mai 1999 à condition qu’ils satisfassent à plusieurs critères d’accepta-tion qui doivent pouvoir éviter préventivement la prolifération de tels jeux. Ce n’est donc pas le contenu du jeu lui-même, mais bien les facteurs qui peuvent mener à un comportement de jeu excessif surtout auprès des joueurs à problèmes ou des jeunes joueurs, qui doivent être examinés et freinés [par la présente modi-fication] »(159). Dès lors, on perçoit mal pourquoi ne sont pas visés les jeux à distance utilisant d’autres technologies…

D’autre part, T. Verbiest remarque que « le champ d’application de la réforme est encore plus étroit puisque seuls sont visés les jeux ‘qui constituent un programme complet à la télévision’, au motif qu’ils seraient à l’origine des plus grandes difficultés de comportement exagéré vis-à-vis des jeux. Cette res-triction est difficilement compréhensible car l’on ne perçoit pas la différence de nature entre ces jeux et ceux qui ne sont disponibles que pendant une partie de l’émission, voire les jeux SMS qui sont indépendants d’un programme audiovi-suel »(160).

C. La téléphonie mobile

Au vu des considérations qui précèdent, on doit légitimement conclure que le principe général d’interdiction d’exploitation des jeux de hasard s’ap-plique aux jeux de hasard proposés directement par l’opérateur de téléphonie mobile par SMS à son abonné, et impliquant une réponse de celui-ci par SMS

(158) Arrêté royal du 13 octobre 2006 qui prévoit notamment que les organisateurs et fournisseurs du jeu en télévision informent en continu les spectateurs du tarif le plus élevé de la communication, qu’ils mettent à disposition des joueurs le règlement, un numéro de téléphone gratuit et les informa-tions pour porter plainte. De plus, le présentateur ne peut pas pousser à jouer de manière excessive et doit rappeler régulièrement que ces jeux sont interdits aux mineurs. Quant aux opérateurs de téléphonie mobile qui fournissent les numéros surtaxés, ils doivent prévenir les joueurs quand ils dépassent 50 euros de frais d’appel et doivent pouvoir bloquer le numéro « contenu pour jeux » à toute personne qui le demande personnellement ou à la demande du représentant légal dans le cas des mineurs. (159) Doc. parl., Chambre, 2004-2005, 1438/1, p. 167.(160) T. Verbiest, « Les jeux, paris et concours sur internet », in X., Les pratiques du commerce électronique, Bruxelles, Bruylant et C.R.I.D., 2007, p. 111.

Page 44: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

498 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

– ou MMS – surtaxé. En effet, n’étant pas explicitement exclus du champ d’ap-plication de la loi du 7 mai 1999 par l’article 3, 4°, ces jeux sont illégaux. En d’autres termes, si « la participation se déroule au moyen de numéros payants, et que le coût de participation demandé dépasse le prix normal des conversations téléphoniques standards, il y aura mise, et donc jeu illégal »(161).

A contrario, la jurisprudence a admis la licéité des jeux par SMS « sous réserve que le coût du SMS corresponde au prix du marché »(162). Solution logique puisqu’il n’y a aucun enjeu si le prix payé est en équilibre avec la transaction de base(163).

D. La radio

Le même raisonnement peut être tenu concernant les jeux proposés à la radio et pour lesquels le hasard entre en ligne de compte. Ces jeux sont donc illégaux, mais une certaine tolérance des différents parquets du royaume semble être de mise à l’heure actuelle.

E. L’Internet

1. L’applicabilité et l’effectivité de la loi de 1999 dans ce domaine

L’importance d’Internet dans le monde des jeux et paris est en constante augmentation. Rien qu’en Belgique, le nombre de joueurs en ligne s’adonnant aux jeux d’argent sur le Net se situerait entre 60 000 et 80 000, pour un chiffre d’affaires de 64 millions de dollars(164). À l’échelon européen, on atteindrait les 20 millions de joueurs, pour un chiffre d’affaires estimé à 30 milliards de dollars…

T. Verbiest décrit le fonctionnement de ce type de site : « les joueurs ou parieurs sont d’abord invités à s’enregistrer pour recevoir un mot de passe. Ils doivent également ouvrir un compte « offshore » situé dans le pays hôte du site, qui sera préalablement approvisionné d’une mise de départ. La procédure se

(161) Comm. Tongres, 12 mars 2002, confirmé par une décision de la cour d’appel d’Anvers du 27 mars 2003, inédits.(162) T. Verbiest, « Les jeux, paris et concours sur internet », in X., Les pratiques du commerce électronique, Bruxelles, Bruylant et C.R.I.D., 2007, p. 111.(163) Bruxelles, 7 juin 1961, R.W., 1962-1963, p. 152 ; Bruxelles, 7 juin 1961, Rev. dr. pén., 1961-1962, p. 884. Voy. également Comm. Tongres (prés.), 12 mars 2002, Annuaire Pratiques du Commerce & de la Concurrence, 2002, p. 366 qui décide que l’offre d’un opérateur de téléphonie mobile, adressée aux abonnés ou aux utilisateurs existants de son réseau de téléphonie, de participer à un concours où la réponse devait être donnée par SMS, ne constitue pas un jeu de hasard dans la mesure où l’envoi d’un message SMS ne peut pas être considéré comme un enjeu. (164) Voy. http ://www.lalibre.be.

Page 45: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 499

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

déroule entièrement de manière électronique (« en ligne »). À l’heure actuelle, les mises sont payées généralement par cartes de crédit, tandis que le règlement des gains par l’opérateur du site s’effectue par compensation sur la ligne de crédit du joueur, par chèques ou virements bancaires. Toutefois, des sites commencent à proposer des méthodes de paiement entièrement électroniques dans les deux sens (« E-money »), qui facilitent de manière très appréciable les transactions sur Internet »(165).

L’applicabilité de la loi étudiée au réseau des réseaux est sans conteste : en application de la théorie de l’ubiquité objective déjà présentée, l’interdiction d’exploitation de jeux de hasard vaut dès lors également pour Internet, par extension de l’article 4, « et ceci sans distinction aucune quant au lieu à partir duquel ces paris sont proposés. En ce sens, proposer des paris sur un site Internet à partir d’un site Web se trouvant à l’étranger est illégal en Belgique »(166).

Pourtant, d’aucuns estiment que la loi contient une faille en ce qu’elle permettrait aux détenteurs d’une licence d’offrir accès à des jeux virtuels auto-risés dans les casinos qu’ils exploitent : ils tirent argument de l’article 6 de la loi et des termes « activités connexes »(167). On peut toutefois raisonnablement se demander si l’organisation de jeux de hasard sur Internet est une activité connexe… à l’organisation de jeux de hasard !

L’effectivité de cette loi est beaucoup plus problématique. En effet, la plu-part des serveurs sont situés dans les Caraïbes et dans quelques pays d’Amérique Latine(168), « où les jeux de hasard sur Internet sont légaux, voire encouragés par les autorités locales, comme étant une source de revenus faciles pour les caisses publiques »(169). Par conséquent, un type de jeu, licite dans un État, peut être diffusé à partir de celui-ci dans tout le « village planétaire ».

(165) T. Verbiest, « Les casinos virtuels. Les jeux de hasard et les loteries sur Internet », J.T., 1999, p. 17.(166) B. Geradin, http ://www.droitbelge.be/fiches_detail.asp ?idcat=18&id=21.(167) Note du ministre de la Justice, Doc. parl., Chambre, 2000/2001, 1339/9, p. 44.(168) Notamment : République dominicaine, Turks and Caico Islands, Belize, Bahamas, les Bermudes, la Grenade, Antigua et Barbuda, Curaçao, Costa Rica, Equateur. Voy. G. Barry, Where is Cybergaming legal ?, http ://www.rgtonline.com/nambling.html.Antigua et Barbuda, par exemple, offrent depuis 1997 des licences aux opérateurs de sites de jeux de hasard, contre une redevance annuelle forfaitaire de 100 000 $. La procédure pour l’obtention d’une telle licence est même disponible sur le site gouvernemental http ://www.atgftppzone.com/gamlicen/gamelic.htlm. Ces licences rapportent environ 3 millions de dollars par an à Antigua ; P. Macguigan, Stakes are high in battle to bar Internet Gambling, http ://www.ljextra.com/internet/1103gambling.html. (169) T. Verbiest, « Les casinos virtuels. Les jeux de hasard et les loteries sur Internet », J.T., 1999, p. 17.

Page 46: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

500 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

2. Influence de la loi du 11 janvier 1993 en matière de blanchiment de capitaux(170)

L’application de la loi relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux aux sites Internet mériterait qu’y soit consacré un travail spécifique, d’autant que doivent être prises en compte des règles internationales en la matière. Liberté est donc prise de renvoyer aux articles de doctrine traitant spécifique-ment du sujet(171).

3. Influence du droit communautaire en la matière

3.1. la directive dU 8 jUin 2000 sUr le coMMerce électroniqUe(172)

L’article 1er, alinéa 5 de la directive 2000/31/CE(173) du Parlement euro-péen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, dans le marché intérieur, exclut explici-tement certains domaines du champ d’application de la directive. Il s’agit de la fiscalité, du droit des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel, des questions de droit de la concurrence, des activités des notaires ou autres officiers publics, des activités de représentation de clients et de défense en justice, et des activités de jeux d’argent, comprenant jeux de hasard, loteries et transactions sur des paris, avec des enjeux en valeur moné-taires(174). Cette directive ne présente donc que peu d’intérêt dans le cadre de cette étude.

3.2. le traité institUant la coMMUnaUté eUropéenne

Le principe général est, au regard des exigences du droit communautaire et des règles relatives à la libre prestation de services prévues à l’article 49 du Traité instituant la Communauté européenne (Traité CE), qu’« une société de jeux en ligne légalement établie dans un État membre de l’Union européenne ne pourrait se voir imposer une exigence de licence administrative pour offrir ses services en Belgique, sans porter atteinte au fondement même de la libre presta-tion de services intracommunautaire »(175).

(170) Loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, M.B., 9 février 1993.(171) Voy. notamment, parmi d’autres articles, M. Dantine, Paris sportifs via Internet et blanchi-ment de capitaux, Larcier, 2006, p. 69.(172) Voy. à ce sujet A. Strowel, N. Ide et F. Verhoestraete, « La directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique : un cadre juridique pour l’Internet », J.T., 2001, p. 133.(173) J.O.C.E., 17 juillet 2000, L 178/1 à 16. (174) En revanche, les concours ou jeux promotionnels qui visent à encourager la vente de biens ou de services (avec paiement en vue d’acquérir ces services) sont visés par la directive (voy. considérant 16).(175) T. Verbiest, Jeux d’argent, bientôt régulés en Belgique ?, http ://www.droitbelge.be/news_detail.asp ?id=391.

Page 47: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 501

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

Toutefois, la C.J.C.E.(176) a nuancé ce principe dans ses arrêts Gambelli et, plus récemment, Placanica : la Cour y rappelle qu’un certain nombre de raisons impérieuses d’intérêt général, telles que les objectifs de protection des consommateurs, de prévention de la fraude et de l’incitation du citoyen à une dépense excessive liée au jeu, ainsi que de prévention de troubles à l’ordre social en général, ont été admises par la jurisprudence. En outre, dans ce domaine, un large pouvoir d’appréciation est reconnu aux autorités nationales du fait des particularités d’ordre moral, religieux ou culturel, ainsi que des conséquences moralement et financièrement préjudiciables pour l’individu et la société qui entourent les jeux et les paris. Les États membres sont donc libres de fixer les objectifs de leur politique en matière de jeux de hasard, étant entendu que les restrictions légales doivent répondre au principe de proportionnalité. Dès lors, selon la Cour, un système de concession (ou de licences, pour faire un parallèle avec les restrictions belges analysées) peut constituer un mécanisme efficace per-mettant de contrôler les opérateurs actifs dans le secteur des jeux de hasard.

Poursuivant son raisonnement, la Cour de justice rappelle qu’une loi qui interdit, sous peine de sanctions pénales, l’exercice d’activités dans le secteur des jeux de hasard en l’absence de concession ou d’autorisation de police déli-vrées par l’État, comporte des restrictions à la liberté d’établissement ainsi qu’à la libre prestation des services. En application des principes rappelés plus haut, la Cour procède donc à un examen de proportionnalité des restrictions à ces principes fondamentaux du marché commun. L’objectif invoqué par l’Italie pour justifier la nécessité d’une concession est celui de prévenir l’exploitation des activités dans le domaine des jeux de hasard à des fins criminelles. La Cour admet qu’un système de concessions peut constituer un mécanisme efficace permettant de contrôler les opérateurs actifs dans ce domaine. En revanche, la Cour considère que la règlementation italienne qui exclut du secteur des jeux de hasard les opérateurs constitués sous forme de sociétés de capitaux dont les actions sont cotées sur le marché, est disproportionnée par rapport à l’objectif visé. En effet, d’autres moyens existent pour contrôler les comptes et les activités des opérateurs, tout en restreignant de manière moindre la liberté d’établissement et la libre prestation des services (par exemple, recueillir des informations sur leurs représentants ou leurs principaux actionnaires).

Quid dès lors de la légalité des sanctions pénales attachées à ces restric-tions ? « En principe, la législation pénale relève de la compétence des États membres, mais le droit communautaire impose des limites à cette compétence : la législation pénale ne peut pas, en effet, restreindre les libertés fondamentales garanties par le droit communautaire. La Cour réaffirme qu’un État membre ne peut pas appliquer une sanction pénale pour une formalité administrative non remplie, lorsque l’accomplissement de cette formalité est refusé ou rendu impossible par l’État membre concerné en violation du droit communautaire.

(176) L. Defalque et P. Nihoul, « Chronique de droit communautaire », J.T., 2008, p. 81.

Page 48: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

502 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

La République italienne ne saurait donc appliquer des sanctions pénales pour l’exercice d’une activité organisée de collecte de paris sans concession ou sans autorisation de police »(177). En conséquence, la Cour décide que les sanctions pénales du cas d’espèce sont contraires au droit communautaire.

À la lumière de ces développements, il est malaisé d’anticiper la réac-tion qu’aurait la Cour de justice face au système belge. Difficile dès lors de savoir si celui-ci est en porte à faux avec le contexte communautaire ou si le gouvernement belge arriverait à prouver que les restrictions qu’il impose sont justifiées. Toutefois, remarquons qu’« en soumettant l’ensemble des jeux et paris au contrôle de la Commission des jeux de hasard, le projet de loi [présenté ci-dessous] permettrait à la Belgique d’avoir une politique de jeu plus conforme aux exigences de cohérence et de systématisme imposées par le droit commu-nautaire. Cette conformité serait aussi assurée par la possibilité pour les opéra-teurs européens, au terme de la nouvelle loi, d’obtenir un certificat de fiabilité auprès de la commission moyennant le respect des conditions mentionnées [plus avant] »(178).

4. Proposition de loi

Selon une étude de la KULeuven, « le régime actuel ne répond pas aux exigences de cohérence et d’uniformité pourtant indispensables à une protection réelle et efficace des joueurs. Malgré la loi sur les jeux de hasard, le contrôle de l’exploitation des jeux de hasard reste trop fragmenté et opaque »(179). Une proposition de loi visant à modifier la loi étudiée a dès lors été déposée le 11 juillet dernier sur le bureau de la Chambre des représentants. Il a pour prin-cipal objectif de renforcer la compétence exclusive de la Commission des jeux de hasard et d’uniformiser le régime applicable aux jeux et paris en interdisant l’organisation des jeux de hasard sur Internet.

Concernant spécifiquement Internet, cette proposition de loi vise à redé-finir le concept d’« établissement de jeux de hasard », qui recouvrirait doréna-vant « les bâtiments, les lieux ou les sites informatiques où un ou plusieurs jeux de hasard sont organisés ». Un site informatique serait ensuite défini comme un « ensemble de pages informatiques accessibles via un réseau de télécommunica-tion interne ou externe sur un serveur identifié par une adresse ». Cependant, la portée et l’utilité de cette proposition restent insaisissables. En effet, elle ne fait qu’appliquer un régime d’interdiction général au cas particulier d’Internet,

(177) T. Verbiest et E. Wéry, Après Gambelli, voici Placanica : la Cour de justice enfonce le clou, http ://www.droit-technologie.org/actuality-1023/apres-gambelli-voici-placanica-la-cour-de-justice-enfonce-le-clou.html.(178) T. Verbiest, « Les jeux, paris et concours sur internet », in X., Les pratiques du commerce électronique, Bruxelles, Bruylant et C.R.I.D., 2007, p. 111.(179) B. Tilleman et A. Verbeke, N. Hoeckx, K. Andries et N. Carette, « Jeux de hasard : défi-nition juridique – Mise en application », étude réalisée pour le S.P.F. Justice, Commission des jeux de hasard, 2005.

Page 49: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège – 2008/4 ◆ 503

DO

CT

RIN

E

l a r c i e r

alors que ce mode de communication est, comme démontré infra, visé par l’article 4 de cette loi. De plus, « ne risque-t-on pas de mettre la porte grande ouverte aux opérateurs de jeux de hasard illégaux utilisant d’autres technologies de communication (SMS, télévision digitale, etc.) qui pourraient tirer argument de la modification envisagée, en soutenant que la loi sur les jeux de hasard ne prévoit pas d’interdiction explicite à leur égard et, partant, que leurs activités ne sont pas interdites ? »(180).

Par conséquent, « non seulement cette proposition est-elle superflue, mais elle risque de créer de nouvelles incertitudes juridiques n’existant pas aupara-vant »(181). Cette proposition de loi semble de toute manière être bloquée dans les méandres de la procédure législative parlementaire.

SECTION 8. CONCLUSIONS

Le vaste champ d’application de la loi du 7 mai 1999 recèle nombre de difficultés qui n’ont pas toutes été résolues par la jurisprudence. Toutefois, la doctrine s’est attachée, de manière quasi exhaustive, à résoudre celles-ci, avec cependant quelques dissensions des côtés Nord et Sud du pays, notamment au niveau de la notion d’absence d’enjeu.

De plus, et de manière tout à fait humoristique(182), ne pourrait-on pas également affirmer que bon nombre d’autres domaines rentrent dans la défini-tion légale du jeu de hasard ? En effet, concernant, par exemple, la plaidoirie de l’avocat de la défense en Cour d’assises, n’y a-t-il pas l’enjeu de la libération de son client (enjeu patrimonial sous la forme des salaires potentiellement perçus par celui-ci en cas de libération), le gain d’un acquittement ou la perte d’années de réclusion pour l’accusé, et des réactions aléatoires du jury ? Il ne resterait plus qu’à soutenir que la justice est un jeu…

Plus sérieusement, la loi sur les jeux de hasard rencontre bien, au travers de toutes les dispositions analysées au cours des quelques pages précédentes, les cinq objectifs qu’elle s’était assignée dès 1999, et surtout son but principal de protection des joueurs.

Quant aux sanctions pénales encourues, elles sont théoriquement relati-vement lourdes, mais restent par contre symboliques dans la pratique, d’autant que les différents parquets du royaume ne semblent pas attacher une impor-

(180) C. De Preter, « Proposition de loi visant à modifier la loi sur les jeux de hasard (… ou de la suractivité du législateur) », http ://www.droit-technologie.org/actuality-575/proposition-de-loi-visant-a-modifier-la-loi-sur-les-jeux-de-hasard.html.(181) En revanche, les concours ou jeux promotionnels qui visent à encourager la vente de biens ou de services (avec paiement en vue d’acquérir ces services) sont visés par la directive (voy. considérant 16).(182) Note humoristique en référence à la citation de R. Kipling : « Prenez tout très au sérieux, à l’exception de vous-même ».

Page 50: Jeux de hasard - AVOCATS · La nécessité de légiférer en la matière a dès lors très vite été perçue par le législateur qui adopta, dès 1902, une loi sur les jeux(3). Cependant,

504 ◆ Jeux de hasard

l a r c i e r

tance primordiale au respect de cette législation. Seule la Commission des jeux de hasard semble veiller à une stricte application de la loi du 7 mai 1999, mais son arsenal répressif (au sens large) est relativement restreint et limité à des sanctions administratives. On peut dès lors s’interroger sur l’effectivité de l’ap-plication de certaines dispositions de cette loi, en particulier quant à l’article 8 qui limite les pertes horaires subies par chaque joueur en fonction de l’établis-sement dans lequel il joue.

Enfin, il semble de plus en plus évident que le développement de nou-veaux modes de communication appelle une réforme en profondeur de cette loi, réforme qui n’a été que trop partiellement entamée par la loi-programme du 8 avril 2004. En effet, la nécessité de prendre en considération l’ensemble des services de la société de l’information, Internet en tête, de réformer et d’uniformiser les différentes législations applicables à ceux-ci et de les intégrer dans un corps de règles visant toutes les formes de criminalité, se fait de plus en ressentir. Il est dès lors grand temps que le législateur arrive enfin à actualiser cette législation vieille de dix ans, pour prendre toute la mesure du développe-ment de ces nouveaux modes de diffusion de jeux de hasard et les incriminer en conséquence, au risque de voir la plupart des consommateurs se tourner de plus en plus massivement vers ce moyen d’assouvir leur passion du jeu, et ainsi annihiler l’objectif majeur de protection du joueur instauré par la loi sur les jeux de hasard. On parie ?