jean-michel lamerant — Éleveur de porcs

58
Entretien avec Jean-Michel Lamerant Eleveurs de porcins à Fleurbaix (Pas-de- Calais) Entretien mené par Pauline Vanecloo Le 21 mars 2014 à Fleurbaix

Upload: viande-responsabilite

Post on 31-Mar-2016

234 views

Category:

Documents


2 download

DESCRIPTION

Jean-Michel Lamerant élève des porcins hors sol sur caillebotis, dans le Nord-Pas-de-Calais.

TRANSCRIPT

Entretien avec Jean-Michel Lamerant

Eleveurs de porcins à Fleurbaix (Pas-de-Calais)

Entretien mené par Pauline Vanecloo

Le 21 mars 2014 à Fleurbaix

  2

  3

Sur le porc comme animal a

Si de par le monde il y avait des scientifiques des plus ahuris, s’ils voulaient faire une bête qui puisse fournir le meilleur ratio entre l’aliment que l’on donne à la bête et la viande que l’on en retire, ce serait le porc qui serait le système le plus abouti. Un porc, c’est ahurissant en termes de qualités pour un animal. Le porcelet est le seul animal qui, quand il nait, est capable d’aller directement à la mamelle de la truie (entendu il sait marcher directement, ndlr). Les autres animaux ont besoin de leur mère, que ce soit un cheval, une vache… il faut toujours une aide extérieure. Le porc non. Le porc est parmi les seuls animaux à pouvoir être mère à un an. Il est pubère à 5 ou 6 mois et peut être capable de donner naissance à un an. C’est parmi les seuls animaux qui, en 6 mois de vie, vont pouvoir atteindre un poids entre 105 et 120 kg. C’est le

  4

seul animal qui ait des rendements de viande aussi ahurissants ; dans un cochon, tout est bon. Il y a très peu de déchets. Sur 100 kg, on va s’en sortir avec 10 kg d’os, de choses qui ne sont pas mangeables. Après, la rentabilité se situe aussi sur l’aliment que l’on va donner au porc pour qu’il te fournisse de la viande. Pour un porc, de la naissance à l’abattage, il faudra un ratio entre 3 et 4 kg de farine, d’aliments qui seront du soja, des céréales des protéines pour que que l’on obtienne 1 kg de viande. Pour un bovin, il en faudra 16 kg et 2 années pour qu’il soit abattu. Le porc, c’est la seule viande qui n’ait jamais eu de problèmes sanitaires. Pas de vache folle par exemple. Les seuls problèmes qui ont été dénombrés étaient à la fin du XIXème siècle (parasitisme). Le porc est capable de tout transformer pour produire de la viande. C’est un omnivore et c’est aussi cela qui fait qu’il a été diabolisé par le passé. Si on entourait les

  5

cimetières de murs au Moyen-Age, c’est parce que sinon les porcs allaient manger les corps. C’est un animal qui transforme tout en viande. a Pouvez-vous revenir un peu sur votre élevage ? a Nous, nous sommes naisseurs engraisseurs. Il y a différentes catégories d’élevage. Dans le porc, au niveau génétique, on ne peut pas avoir la panacée dans tout système. Si on opte pour une variété tournée vers la production de viande, cela ira au détriment du nombre de porcelets. Le ratio économique se situe surtout au niveau du nombre de porcelets que tu peux produire, qui te donneront de la viande derrière. Il y a différentes variantes dans le métier. On va choisir les truies et grâce ensuite à l’insémination, on choisira la semence de verrats (le porc mâle) aptes à faire de la viande, souvent de la race Piétrain,

  6

ou Landrace. Certaines races sont spécifiques à la reproduction, d’autres à la vitesse de croissance, d’autres spécifiques à la qualité de la viande. La panacée entre toutes les races n’existe pas. Et donc il y a différents types d’éleveurs. Nous, nous sommes naisseurs engraisseurs, c’est-à-dire qu’on a une partie « naissage », qui est composée de truies qui sont issues de notre élevage avec de la semence que l’on achète et qui est spécifique pour faire des animaux qui sont destinés à la reproduction. Maintenant, nos truies sont issues à près de 100% de notre élevage. C’est-à-dire que nous n’achetons pas les cochettes (porcelet femelle) à l’extérieur. Il y a un autre métier dans les élevages qui est celui de multiplicateur, qui lui produit des porcs uniquement destinés à la reproduction. C’est-à-dire qu’il fait des élevages de truies destinées à la reproduction. Nous, c’est vraiment un élevage destiné à la

  7

viande. On a des amis qui sont uniquement engraisseurs, donc qui vont acheter des porcelets chez un naisseur, qui lui aura peut-être acheté ses truies chez un multiplicateur. C’est ça le système. Ca dépend du type de ferme et de l’emplacement : nous, on avait déjà les maternités. C’est une question de choix. Tout ce qui est naissage prend beaucoup de temps. Alors que la partie engraissement, elle, est automatisée, c’est un ordinateur qui le fait 2 ou 3 fois par jour. On pourrait très bien ne pas être là ou être à distance. Les parties gestantes nécessitent beaucoup plus d’attention. De l’iPhone on pourrait contrôler l’alimentation et la distribution de l‘engraissement. Mais on ne le fait pas car nous sommes sur place. On nous a déjà montré comment le faire. A

  8

Est-ce que l’on peut donc considérer que c’est industrialisé ? a Mais industrialisé c’est quoi ? Quelle est la frontière ? a C’est là toute la question… a C’est pas parce qu’on est bien équipés technologiquement qu’on est industrialisés. Pour moi on n’est pas un élevage industriel. a Alors vous n’êtes pas intensifs ? a Alors là c’est différent. Si, on l’est, par le fait qu’on a déjà 84 truies. On a 1000 bêtes au total, donc on peut être considérés comme intensifs. Mais en structure, on est une petite structure. On est un élevage familial. C’est différent. C’est cela le problème : la frontière entre les termes est floue. Avant, les élevages de porcs étaient constitués comme polluants et donc il y avait

  9

une frontière administrative qui se plaçait à 450 places de porcs de plus de 30 kg vivant sur un seul site. En dessous, on était soumis à déclaration, au-dessus, on était obligés de faire une enquête d’utilité publique, 2 ans de procédure, 10 000 € d’instruction. Et donc la frontière se situait là. Tant qu’on se situait en dessous on était considéré comme un élevage familial. La frontière était soit on est encore dans le régime de déclarations ou soit on est dans le régime d’autorisations. Nous on est entre les 2. On est un peu industriels car on est à 643 bêtes (de plus de 30 kg). Mais avec les porcs inférieurs à ce poids (porcelets) on atteint près de 1000 bêtes. On est autorisés à 643 « équivalents animaux ». Pour le porc, ce sont des bêtes plus de 30 kg. Pour le poulet, l’équivalent animaux est différent. a

  10

Donc vous vous définissez comme un élevage familial, mais selon quelle définition ? a On est à 84 truies, la moyenne en France est à 140. Et cela se situe dans le Grand Ouest. C’est là-bas qu’il y a le plus d’élevages, parfois 400-500 truies. Donc si je résume bien, sur 643 bêtes de plus de 30 kg vous avez 84 truies, le reste sont des porcs en engraissement et enfin avec les porcelets on atteint autour de 1000 bêtes ? a Oui c’est cela. Et pour revenir sur la chaine de production : on insémine les cochettes pour qu’elles puissent avoir leur première mise bas à un an. On le fait dès qu’elles sont pubères, vers 5-6 mois. On va chercher des semences de porc, mais elles ne se conservent pas bien.

  11

C’est très fragile, différent du bovin (dans un container à -70°C on les conserve très longtemps). La durée de vie des semences est de 48h. a Donc vous inséminez ? a On insémine. On a un seul verrat sur place (porc mâle) mais on n’a pas sa semence. C’est un verrat que l’on appelle un verrat « souffleur ». Il faut l’odeur et la présence du verrat pour se révéler en chaleur. Une truie en chaleur, on ne la bougera pas. Immobilité parfaite. Pour déclencher ce système-là, il vaut mieux qu’elles aient une petite odeur. Et c’est pour cela qu’on a un verrat. a Les autres porcs ne peuvent pas le faire ? a Ce ne serait pas intéressant, il faut qu’on ait une semence de qualité qui donnera une qualité de viande différente. Car nous ce qui

  12

nous intéresse, c’est la qualité de la viande. On est payés en fonction de ça. Chaque porc lorsqu’il est abattu est passé au Fat-O-Meter. C’est un appareil qui mesure par rayons le taux de muscle et de graisse dans la viande. Et nous, on reçoit un relevé. En France, on n’aime pas le gras, donc il faut une viande avec le plus haut taux de muscle à l’intérieur. Donc entre 58 et 62% de muscle et suivant cette fourchette, on est plus ou moins payés. Les consommateurs français ont des attentes bien précises : une viande pas grasse, blanche… mais il faut savoir que ce n’est pas la meilleure viande. Ce sont les vieilles truies qui donnent la meilleure viande. Pour nous, c’est un souci car on est obligés de produire ce que le consommateur veut alors que ce n’est pas logique. Donc il faut qu’on insémine avec un verrat qui puisse nous donner cette qualité-là. On est conseillés par des techniciens. On prend des Piétrains ou des Piétrains Turbos et donc

  13

c’est de la semence contenue dans des centres d’insémination. Il y avait un moment, on prélevait la semence nous-même, mais elle est trop fragile. Il faut les manipuler avec énormément de précaution. Donc on va l’acheter en Belgique toutes les trois semaines mais on fait l’insémination nous-même. C’est quelque chose de très cyclique au niveau de l’élevage. Le cycle ovarien d‘une truie est de trois semaines donc si elle n’est pas prise, pas pleine quand on l’insémine (on le voit à l’échographie), elle va revenir en chaleur dans trois semaines, c’est la raison pour laquelle on d’articuler tout l’élevage en ce court laps de temps. Toutes nos truies sont divisées en 7 groupes. Si dans le groupe 1, toutes les truies ne sont pas pleines, elles vont être remises dans le groupe qui arrive dans trois semaines, s’il y a de la place. On n’a que deux maternités

  14

de douze places par contre. 7x12, ça fait 84 truies. Ce qu’on achète de temps en temps, c’est de la semence qui vient d’autres verrats. On sélectionne dans nos truies les hyper pros et on le note sur leurs fiches. Ce sont les meilleures truies en termes de calme, de production lactée, de sevrage, etc. On ré-insémine ces truies qui ont mis bas et qu’on aime bien avec un verrat dont la semence est destinée à faire des cochettes (futures truies destinées à la reproduction). Sinon, on prend un verrat pour faire des porcs destinés à la viande. Donc on va inséminer la cochette qui dans les trois semaines après va avoir la visite d’un technicien avec un échographe. On le voit au niveau de la veine utérine ou l’utérus. On voit s’il y a des poches. Au départ on peut avoir des millions d‘embryons fécondés pour arriver ensuite à 10-15. a

  15

Elle peut mettre bas de 10-15 porcelets ? a L’idéal c’est 10-12 car si on va outre ils sont trop petits. Cela peut aller jusqu’à 20-22 porcelets. Elle a 12 mamelles environ donc c’est l’idéal. Si on en a moins, ils sont plus gros et plus durs à faire sortir. Un porcelet bébé fait la taille d’un chaton. Et six mois après, il pèse 105 kg. Les verrats sont mis dans des centres de sélection. Pour déterminer leur qualité. Certains verrats sont à 1 kg de gain de poids par jour. Tu vois la vitesse de croissance des futurs porcelets. a Donc le prix des semences varie ? a Ça peut aller du simple au double. Nous faisons du basique mais parfois, on a de très bonnes truies que l’on sait repérer. Là, on achète une dose de verrat Landrace qui coute 15€ et avec cela on fait deux inséminations sur

  16

une truie. Une le mardi soir et une le mercredi matin. Les centres n’ont pas beaucoup de verrats comme cela, destinés uniquement à la reproduction. Sinon, les doses de verrats Piétrains ça doit coûter 5-6€. Mais c’est en Belgique, car en France, c’est beaucoup plus cher. Les systèmes sont différents entre les Belges et les Français. Le problème du porc, c’est le sanitaire. C’est un animal qui est génial en terme de résistance lui-même, sauf que s’il y a une agression extérieure, il est très fragile. Donc les centres de semences sont situés en pleine forêt, il y a des barbelés de deux mètres autour. Pour en visiter un il faut des tonnes de paperasse, on passe à la douche, on te donne des habits. Il ne faut pas faire entrer de germe extérieur car cela peut aller très vite. C’est pour cela qu’en France c’est très cher. Les Belges ont une technique un peu plus « casse gueule » mais pour l’instant ça marche.

  17

Les pestes qui se déclarent, ils arrivent à en retracer la chronologie et ça s’étend de manière exponentielle donc pour éviter cela les centres sont des enclaves très protégées. Parfois, ce sont des animaux nés sous anesthésie pour prélever uniquement les embryons sans qu’il y ait l’acte de mise bas et pour être sûr qu’il n’y ait pas de germes lors du passage. Nous, on a changé notre fusil d’épaule par rapport au renouvellement des truies. On travaillait avec des multiplicateurs. Parce qu’une truie, au bout de trois ans, fatigue. a Elle est envoyée à l’abattoir ? a Oui, les truies partent en Allemagne où elles sont abattues et leur jambon est envoyé en Espagne pour faire du super haut de gamme ou du saucisson. Les truies (qu’ils achetaient à l’extérieur, ndlr), avant de rejoindre le

  18

troupeau, étaient placées en quarantaine, pour ne pas qu’elles rapportent de germes extérieurs, mais ça n’empêche que cela ne marchait pas toujours, on avait toujours des soucis. Maintenant, on produit nous-même nos cochettes, car quand tu produis tes propres cochettes, tu as le même microbisme. Nous, on a un microbisme spécifique à notre élevage. On prend moins de risques. Cela nous demande plus de place, car il en faut pour faire les cochettes, mais l’avantage que l’on a c’est que les cochettes grandissent dans notre élevage, notre microbisme et on peut faire à la carte. a Donc vous avez une race particulière ? a Au niveau des races de truies, c’est un peu comme des voitures, on a plein de marques, et chaque marque est issue de autant de pourcentage d’une marque, autant d’une

  19

autre. En Europe, on a 5 races dominantes : le Large White, le Landrace (belge et français), le Hampshire d’Angleterre, le Danois et le Piétrain, qui vient d’Allemagne. Les Large Whites sont des porcs qui grossissent très vite, qui ont un gros gabarit et donnent beaucoup de porcelets, mais qui donnent aussi une qualité de viande déplorable. De l’autre côté, le Piétrain est un porc fragile, qui ne donne que très peu de porcelets, grossit moins vite mais dont la viande est très bonne. La meilleure des viandes vient des porcs chinois. Dans les années 1970, Giscard d’Estaing avait signé des accords avec la Chine et avait eu en cadeau trois femelles de porcs chinoises ; elles ne ressemblaient à rien, mais donnent en moyenne 17 porcelets. Pour nous, en Europe, on trouve que la viande n’est pas bonne mais là-bas c’est le top du top. Ces trois races ont été remises dans des centres et on s’est retrouvés avec des mix de races. Même

  20

maintenant on a énormément de génétique. On ne fragmente pas d’ADN pour mixer des races, car le porc a une croissance très rapide donc ce n’est pas la peine. Chez nous, on prend du Landrace français car avec le Large White on avait des soucis d’aplombs (pattes des cochons). a Donc vous ne faites pas d’abattage ? a Non on n’a même pas le droit. On ne peut plus en faire. a Comment cela s’organise donc ? Est-ce que vous les apportez ? Est-ce qu’un camion vient les chercher ? a On pourrait les apporter. Nos amis ont une boucherie donc ils ont un atelier de découpe chez eux mais n’ont pas le droit de tuer les bêtes sur places. Ils les emmènent à l’abattoir, les récupèrent, les transportent en camion

  21

réfrigéré et font la découpe après chez eux. Nous, on n’a pas de camion réfrigéré et les mesures en vigueur pour cela sont draconiennes. On envoie au maximum entre 80 et 100 bêtes toutes les trois semaines, donc on ne peut pas aller les porter nous-même. On passe par un intermédiaire, un négociant avec qui on travaille tout le temps. Il travaille dans les Flandres et place nos porcs gras dans tel ou tel abattoir. Nous, tous les porcs qui sortent d’ici partent pour Bigard, c’est un peu le groupe qui redonne de la noblesse à la viande. Généralement, l’abattoir tue les animaux et les met en demi-porcs. Et là, à côté, tu as l’atelier de découpe, mais ce sont deux entités différentes. Nous, notre négociant les vend à Bigard. Donc nos porcs vont à l’abattoir de Saint-Pol et ensuite une partie part pour l’atelier de découpe de Bigard de l’autre côté de la cour. Nos porcs sont des porcs avec un TVM (taux de viande maigre) bien placé, donc

  22

ce sera plus des animaux qui partent pour l’étal de boucher ou des barquettes déjà un cran au-dessus du bas de gamme. Après, il y a toutes les grandes surfaces qui veulent des porcs très homogènes car elles n’embauchent pas de personnel qualifié pour la découpe, donc vis-à-vis de ces personnes payées au lance-pierre, il faut des carcasses qui soient vraiment toujours de la même dimension. Donc eux vont faire la razzia sur les porcs les plus nombreux, entre 59 et 60 de TVM. C’est là qu’on a la majorité des porcs. Nous, on fait du 61-62, un peu au-dessus donc. Le boucher, lui, va savoir exactement ce qu’il faut faire en fonction des différentes carcasses, mais la grande surface, elle, veut des produits très homogènes. a Si je résume bien, vous avez un négociant, mais vous ne lui vendez pas vos bêtes ?

  23

C’est lui s’occupe du transport et de la vente. Généralement, cet aspect de la commercialisation se fait par la coopérative. a Donc le négociant transporte vos bêtes vers l’abattoir de Saint-Pol et ensuite une partie des carcasses part pour Bigard. a Oui et une autre partie repart en camion réfrigéré. a La découpe ne se fait pas en abattoir ? a Non, ce sont deux entités complètement différentes. L’un des chauffeurs nous disait que sur l’abattoir de Saint-Pol, il y a aussi un autre atelier de découpe à côté de celui de Bigard qui partage même le tuyau de réfrigération avec l’abattoir, mais cet atelier ne travaille absolument pas avec les viandes produites à 200m (entendu qui proviennent de l’abattoir). Ce sont des camions espagnols

  24

qui les ramènent. Ce sont les lois de l’économie. L’atelier de Bigard travaille avec une partie de la viande de l’abattoir de Saint-Pol mais pas toutes les viandes, d’autres vont partir pour les grandes surfaces ou la conserverie. Sinon, sur le fonctionnement, l’abattoir prend les porcs vivants. Nous, on les met à jeun douze heures avant, c’est l’obligation. Ce qu’il faut savoir, c’est que les porcs sont super fragiles donc tu peux avoir fait un beau métier d’éleveur pendant six mois, si tu les brutalises un peu pour les faire monter dans le camion, les viandes vont tout de suite avoir une moins bonne qualité. C’est un animal très fragile au stress. Maintenant, on a aussi une sélection par rapport à cela. Avant, quand ils anesthésiaient certaines bêtes, il y avait une réaction à l’halothane, le gaz qui anesthésie. Ça pouvait donner un animal qui était très sensible, donc ils ont sélectionné les animaux les moins

  25

sensibles pour continuer la sélection. 50% de la qualité de la viande qui sort de l’abattoir sera le résultat de la manipulation des animaux (transport, etc.) On ne frappe jamais les porcs. Les images de maltraitance qui ont été balancées, c’était dans des élevages roumains. Les éleveurs français n’ont aucun intérêt à maltraiter les bêtes. a Donc vous respectez le bien-être animal ? a On ne peut pas faire autrement, ce sont des animaux avec lesquels on vit. C’est notre gagne-pain. Notre revenu, c’est leur vie et leur mort, alors on ne va pas les maltraiter. Ce sont des animaux super sensibles. Avant, les meilleurs élevages étaient tenus par des abbesses. Les abbayes avaient leur petit élevage et là, il y avait beaucoup de silence, de calme, les gens étaient au petit soin des truies et ça donnait le meilleur rendement

  26

économique et les meilleurs taux de fertilité. Donc t’as vite compris que tu n’as aucun intérêt à taper sur les bêtes. a Finalement on fait attention aux bêtes pas pour eux-même mais juste parce qu’on ne veut pas sacrifier la qualité de la viande au résultat ? a Oui, mais les conséquences sont directes. Les viandes peuvent avoir des catégories. C’est par exemple une viande pisseuse, noire, presque impropre à la consommation. Tu vas ouvrir ta barquette et la viande sera noire, trempée. Ça, c’est un animal stressé. Ou des jambons avec des pétéchies, de petites veines qui ont éclaté dans le jambon. Pour contrôler cela, il y a des vétérinaires. La Direction des services vétérinaires (DSV). Eux, ils sont draconiens, ils ont presque le droit de vie ou de mort sur les éleveurs. C’est la Stasi.

  27

Eux surveillent les bêtes encore vivantes ? a Les deux. Ils les surveillent une première fois quand les bêtes sont en parc. Quand les bêtes sont débarquées, elles sont mises au repos dans des parcs. Maintenant, il faut savoir que les camions sont équipés d’un mécanisme de montée de charge pour ne pas que les animaux doivent monter d’eux-mêmes ou descendre. Les animaux travaillent toujours à plat. Un cochon n’aime pas descendre. Ca sait monter, mais pas descendre, donc c’était important pour eux qu’ils travaillent à plat. Ils ont même la ventilation dans le camion. Les animaux sont parfois mieux considérés que certains êtres humains. On nous oblige à plein de choses, exemple : sur le bâtiment qu’on nous a obligés à faire pour le bien-être animal, il faut savoir que nos bêtes ont plus d’espace qu’un étudiant à Paris.

  28

C’est 2,25m² par truie. Ça c’est une obligation, sinon on perd de l’argent, un agrément, on a une amende de 176€ d’amende par m². On aurait pu aller en prison et dans ce cas on passe direct par la case « mauvais traitement sur animaux ». a Donc pourquoi les associations sont-elles fortement opposées à tout cela ? a Car le porc a toujours été diabolisé en Europe. Je serais curieux de savoir où vont voir ces associations. C’est dans les pays de l’Est. Ce n’est pas en France, on est tellement réglementés. Ou alors ils vont voir les rustiques : le vieil agriculteur qui n’aura pas fait la mise aux normes car il n’a plus que quelques truies. Mais ça ne veut pas dire qu’il les maltraite.

  29

Sur le bien-être animal a On nous a obligés à faire une mise aux normes en sachant pertinemment qu’on a respecté des volumes mais qu’au niveau des caillebotis, les sols ne sont pas adaptés aux pattes de nos cochons. Les fentes doivent être de telle largeur, mais les jours sont trop larges et les pattes se coincent. Ca, tous les éleveurs le savent, mais la loi fait qu’on nous a obligés. Et quand notre bâtiment a été enfin fini, on a eu des contrôleurs qui sont venus vérifier qu’on était aux normes et ils ont signé un agrément, un procès-verbal. Donc le bien-être est respecté en tant que volume, mais pour l’animal, c’est pire qu’avant, car on a des animaux qui se blessent aux pattes et on ne peut rien faire. Un animal blessé, on ne peut plus l’envoyer à l’abattoir. Donc on est obligés, nous, de voir souffrir nos bêtes. Les truies ne sont pas dans des cages, c’est de la

  30

semi-liberté, donc quand elles se chamaillent, elles peuvent se prendre un ongle dans ces fentes. Les animaux font 200 kg, mais l’empreinte au sol est plus petite que cette tasse, donc tu imagines le poids qu’il y a sur leurs pattes ! Et si elles se blessent, ça veut dire boiterie. Et qui dit boiterie dit animaux qui se lèvent moins bien, qui boivent moins bien, mangent moins bien et donc elles dépérissent, ne savent plus allaiter. En ce moment, ça s’est calmé, mais à un moment c’était 10% de nos truies qui en souffraient. Et imagine si à ce moment-là on avait un contrôle de la DSV, on pouvait être considérés comme maltraitants car ça donne des animaux qui sont moches visuellement, qui sont maigres. Mais ce n’est pas de notre faute, ce n’est pas de la maltraitance physique. Moi ça me révolte. On en avait trois un jour qui avaient un problème de boiterie, et là le technicien nous a dit de ne surtout pas les envoyer à l’abattoir. Et même

  31

là le chauffeur ne peut pas les prendre. Car à l’arrivée à l’abattoir, le vétérinaire de la DSV va contrôler les bêtes et dire « là on a un souci de mauvais traitement envers les animaux ». Et du coup ils t’envoient les contrôleurs. On ne peut pas remonter ce genre d’informations car on risque trop gros. Personne ne va se risquer à critiquer ou à juger la DSV [il m’explique plus tard lors de la visite que le peu d’éleveurs qui ont critiqué la DSV ont eu affaire à des contrôles juste après et comme il semble impossible de répondre à toutes les directives, ils ont eu beaucoup de problèmes. Il m’explique aussi que « la DSV a presque le droit de vie ou de mort sur un élevage » car si elle décide de vous causer des ennuis, c’est impossible d’aller contre].

  32

Mais est-ce la DSV qui a mis en place ces directives pour les caillebotis ? a Non ce sont des directives européennes. Après, l’application dépend des Etats membres. Donc souvent, avec l’excès de zèle, les éleveurs de porcs sont la bête noire des écolos. Quand la politique s’en mêle, si on veut gagner des voix chez les écolos, on fait la misère aux éleveurs de porc. Sans vouloir se plaindre, en France on est très peu considérés. Un jour ou l’autre il n’y aura plus d’élevages de porcs. Avec ma femme, on est mariés depuis 20 ans et on ne connaît aucun nouvel élevage de porcs. Rien n’est fait pour nous, car c’est très mal vu. On a un copain qui veut reprendre un élevage de porcs existant, le maire en a fait son combat électoral. Le fait que cet élevage ne puisse plus exister [il demande toujours à sa femme s’il n’exagère pas et celle-ci, qui a plus de recul, corrobore

  33

tout de même ses propos]. Il y a 75% de la production porcine qui se situe dans le « Grand Ouest ». Cela devient de plus en plus rare. Dans le Nord-Pas-de-Calais, on doit être 240. a Vous votre élevage était déjà existant ou vous l’avez créé ? a On l’a créé dans les années 1980, et heureusement. Aujourd’hui, ce ne serait pas possible. Surtout à Fleurbaix, où le mètre carré côute 250€. Fleurbaix, c’est une ville dortoir, ce sont des gens aisés qui viennent s’installer. On veut bien vivre à la campagne ,mais sans les odeurs. Et d’ailleurs, il y a des normes. a Et vous avez des soucis avec la mairie à Fleurbaix ou les voisins ? a Non on n’en a jamais eu, on a beaucoup de chance. Mais nous faisons très attention. On ne fait pas l’épandage (répartir le lisier sur les

  34

champs comme engrais, ndlr) le weekend. Les gens rentrent de leur semaine de travail, ils n’ont pas envie d’avoir les odeurs le weekend. On a toujours un peu peur quand on a de nouveaux voisins car même s’il est arrivé après, c’est lui qui aurait raison. a Et donc vous êtes affiliés à une coopérative ? a Il y a des groupements. On est obligés de faire partie d’un groupement, c’est une obligation mais qui est intéressante. On peut choisir le groupement et on reçoit des aides techniques. On a toujours des contrôles vétérinaires. Nous, le groupement c’est le GPPMF : le Groupement des producteurs de porc des monts de Flandres. C’était l’un des seuls qui acceptaient les indépendants pour le commerce. Car généralement, quand tu adhères à un groupement, tu es obligé de

  35

passer par leurs négociants. Nous, on a toujours travaillé avec Albert Pagnier depuis 20 ans et on veut continuer. C’est une relation de confiance. Il peut vous mettre en faillite. Si tu vends 100 porcs ça fait 15 000€ et c’est lui qui va te donner le chèque pour faire tourner l’exploitation. Si tu reçois 30 000€ ce n’est pas ton revenu, c’est le produit de la vente. Sur un porc on va gagner 15€ mais on les vend à 120-130€. a

Sur l’insémination des truies a Une cochette peut mettre bas à un an. Elle va donc avoir une gestation de 3 mois, 3 semaines et 3 jours, plus ou moins, ce qui fait 112 à 116 jours de gestation. Elle peut mettre bas jusqu’à 20-22 porcelets. L’idéal, c’est 10-12. Elle va les allaiter pendant trois semaines minimum mais cela reste un choix d’éleveur. Nous, nous avons choisi quatre semaines

  36

d’allaitement, et après, il y aura la phase de sevrage, on sort les porcelets et la truie et celle-ci pourra être ré-inséminée cinq jours après. Les porcelets vont en post-sevrage pour un mois (ils ont deux salles de post- sevrage). Ils font déjà 10 kg et y restent jusqu’à ce qu’il atteignent 25 kg. Ensuite, on a le pré-engraissement, de 25 à 35 kg (ils ont trois salles de pré-engraissement), puis l’engraissement, de 35 à 105 kg. Ensuite, on les pèse : la moyenne est de 105 kg et là, ils peuvent partir à l’abattoir. Mais le poids varie entre les porcs. Les salles varient en fonction du poids, de la nourriture à donner. Une fois qu’on retire les truies de la maternité, on va laver la maternité et mettre trois-quatre jours de veille sanitaire pour désinfecter et ne pas faire entrer de germe. Et ensuite, on a de nouvelles truies qui rentrent, avec une semaine d’adaptation, quatre semaines de lactation et une semaine de vide. Ça fait 6

  37

semaines, soit 2 fois 3 semaines. Il y a toujours des sauts de 3 semaines pour pouvoir être sûr de recaser les truies dans une bande ou une autre. On a refait les salles de pré-engraissement, c’est plus propre, plus moderne, et les salles d’engraissement sont encore mieux. Nous, c’est au naissage que l’on passe le plus de temps.

Sur le bien être Les associations de défense critiquent le fait que l’on coupe la queue des porcs, mais ce que l’on ne dit pas, ce sont les conséquences qui arrivent si on ne le fait pas. Car ils se les bouffent et ça entraine des conséquences plus graves. On épointe les dents aussi car sinon, le porcelet, quand il nait, a quatre dents en haut et quatre dents en bas. Multiplié par 12 petits, ça fait une cinquantaine d’aiguilles qui piquent les mamelles de la truie. Donc on

  38

épointe pour que la truie n’ait pas mal. Nous faisons attention à nos bêtes : je ne connais aucun éleveur qui coupe les queues et les dents par plaisir, ils le font pour le bien des bêtes. Car le porc est un omnivore. Il mange tout. S’il voit des queues qui se baladent il joue, avec. Mais la queue n’est pas énervée jusqu’au bout, donc si un congénère mange le bout, ils ne le sentent pas. Ils le sentent uniquement quand la colonne vertébrale est atteinte et là, il est trop tard. Le sang attire le sang. Ce sont des animaux bourrés d’instinct qui ont un langage. Par exemple, les truies très maternelles claquent de la langue quand on s’approche de leurs petits. Elles veulent prévenir leurs petits qu’il y a peut-être un danger. En maternité, elles sont dans des cages, mais c’est pour protéger leurs petits. Les mamelles sont à 30°C (plus chaud que le reste du corps) alors les porcelets le sentent et sont directement attirés vers les mamelles.

  39

Mais c’est un animal qui fait 200 kg. Si la truie est debout, les porcelets vont avoir tendance à passer en dessous. La truie est dans une cage conçue avec des parois sur le côté de manière à ce que le temps qu’elle se couche, elle puisse laisser le temps aux porcelets de partir. On a un distinguo entre la surface de la truie et celle des porcelets. Il y a des Suédois qui ont essayé de faire des maternités sans barreaux, sans cages, avec des champignons pour former des obstacles (en fait, le but est de rendre difficile pour la truie de se coucher, tout du moins pour faire en sorte qu’elle ne puisse pas se coucher subitement et écraser ses petits. Avec des obstacles, ça laisserait le temps aux petits de partir). Mais ça n’a pas marché. Si cela vient dans les normes, ce sera à cause des mouvements écologistes.

  40

En parlant d’écologistes, quelles sont vraiment leurs revendications à votre sujet ? a On ne peut pas parler de pollution, je ne suis pas d’accord. Même si c’est ce qu’ils disent. Chez nous, tout le lisier qui est produit sur l’exploitation est stocké et sert comme engrais pour nourrir les plantes qui vont nourrir les bêtes. Dans notre cas on a des terres, mais les éleveurs qui n’en ont pas, pour s’installer, sont obligés de prévoir ce qu’on appelle un « plan d’épandage ». S’ils n’ont pas de terres, ils sont obligés de demander aux voisins l’autorisation d’épandre sur leurs terres. On ne peut pas s’installer éleveur si on n’a pas de moyen d’évacuer le lisier a Le lisier pollue ? a

  41

Ça pollue si c’est mal fait, mal dosé, mais sinon, c’est un engrais naturel, qui n’est pas chimique. Le compost est plus polluant. Mais dans la tête des gens, c’est bien d’avoir du compost au bout du jardin. Alors que c’est ce qu’il y a de pire, le protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre. Dans le lisier, il y a tout et rien, tout peut être polluant s’il est mal utilisé. L’épandage ne doit pas dépasser 170 unités d’azote à l’hectare provenant des déjections animales. On a des obligations. J’ai le plan d’épandage où j’ai toutes mes surfaces. La DSV ou Bruxelles peuvent se pointer pour vérifier. Les cultures ont besoin d’un certain élément pour se développer et donner une production. Moi je vais utiliser les déjections animales et le lisier pour nourrir les plantes qui vont servir pour les bêtes. Ça va être un peu autarcique, si tu veux. Tout cela dans un cadre très réglementé, très strict, très surveillé. On doit faire des analyses de la terre. Il y a 11

  42

organismes différents qui peuvent venir à l’improviste nous contrôler. Nous, en premier, on utilise le lisier pour alimenter le blé. Donc on va faire un premier épandage. a Donc finalement c’est très contrôlé et vous ne polluez pas plus qu’un autre ? a C’est plus une question d’image, le porc a été toujours une cible. Il y a eu un problème, si tu te souviens, d’un cheval mort dans la baie de Bretagne, à cause des algues qui étaient soi-disant le résultat de tous les élevages de porcs à proximité. Sauf qu’ils n’ont jamais précisé qu’il y avait une usine de traitement des eaux qui était beaucoup plus proches. Mais la cible sera toujours l’éleveur. Et ça c’est vraiment un truc franco-français. C’est comme cela. L’image de l’éleveur de porcs, tu passes la frontière, tu vas en Belgique, aux Pays-Bas, au Danemark (où il y a beaucoup d’élevage de

  43

porcs), c’est beaucoup mieux considéré. Au Danemark, ils exploitent 3 porcs sur 4. Eux, ils ont des statues dans les villages à l’effigie des porcs car là-bas, c’est un facteur de réussite nationale. En France, il y a un ministre de l’agriculture qui disait aux éleveurs de porc « Nous vous tolérons ». Tu vois un petit peu ce que cela signifie. Dans une commune proche, on a un ami qui ne peut pas reprendre un élevage car le maire en a fait son combat électoral. L’élevage existait déjà. a Mais quels sont les arguments du maire ? a Il dit que cela pollue, il veut en faire des terrains à construire. Il a pris la population avec lui en mettant en avant le bruit, la pollution, les odeurs. Donc les gens mal informés le suivent. a

  44

Le problème, c’est donc une mauvaise information ? a Oui exactement. On souffre de notre image. a Et que pensez-vous des labels ? a Les labels ça rassure quand tu as des soucis. Cela te fait un contrôle. Nous, on en a quand même un, on est VPF, Viande de porc française. On est certifiés Carrefour. Dans le porc, il n’y a jamais eu de problèmes sanitaires, ce qui fait qu’il n’y a jamais eu le besoin de rassurer les consommateurs. Les systèmes commerciaux pourraient se démarquer, mais ça ne marche pas. Car le porc reste toujours une viande basique. C’est presque la viande du pauvre. Tu trouves du porc à moins de 5€. Ils ont bien développé des labels mais ça n’a pas marché. Dans le Nord-Pas-de-Calais tu as le label PHP « Porc du Haut Pays ». Eux ils ont un

  45

cahier des charges qui dit « nos porcs sont élevés sur paille et sont destinés à l’étal. ». L’étal, c’est le boucher. Ce sont des marchés de niche. L’autre fois, je discutais avec des bouchers qui disaient « moi je ne veux pas de viande de ce label ». Ce n’est pas terrible, il vaut mieux rester dans le basique si tu veux vendre à n’importe qui. Car tes porcs en label, une partie va être vendue en label, certes, mais le reste va être vendu à des prix très bas de gamme. Et là, t’es mal. a Donc vous êtes labellisés VPF, mais qu’est-ce que cela vous rapporte concrètement ? a Cela veut dire que mon négociant peut vendre des porcs à Carrefour. Ça lui laisse toute la latitude pour commercialiser le porc, en contrepartie, on a un cahier des charges à respecter, on ne peut pas introduire au-delà de tel pourcentage de maïs, de betteraves. On

  46

a un cahier des charges alimentaire, etc. On peut avoir un contrôle d’un laboratoire. Dans le porc, les labels n’ont pas besoin de servir, il n’y a pas de hantise, pas de Creutzfeldt-Jakob etc. Et après, il y a un aspect du porc qui est génial, c’est que les porcs seront une voie de diversification au niveau des avancées de la science, pour reprendre des tissus pour le corps humain. Le cœur d’un porc, c’est le même volume qu’un cœur d’homme. On est en train de faire des expérimentations pour récupérer du sang de porc et qu’il puisse être accepté par le corps humain. Nous, on a déjà eu des porcelets qui sont partis à Jeanne de Flandres (hôpital de la région lilloise, ndlr) pour sauver des prématurés. C’est sympa non ? Au niveau respiratoire, les prématurés ne sont pas capables de créer une certaine substance que l’on trouve en revanche dans le porc et qui est assimilable. Alors ça, je ne dis

  47

pas que c’est une voie d’avenir car c’est méconnu du grand public. Mais si on disait aux gens à quoi pouvaient servir les porcs… Pourtant, ça n’empêcherait pas les gens de se mettre en groupement pour militer contre l’installation d’un élevage à proximité. Ils diraient « c’est super, mais pas à côté de chez nous ». a

Sur la responsabilité a Pour conclure, que serait un élevage responsable selon vous ? a C’est un peu ce que je ferais, mais pas en France. Parce qu’il y a toute une dimension sociétale. Je suis responsable dans mes pratiques, et je ne connais que des éleveurs responsables. Mais qui pourrait agir en maltraitance envers ses animaux par exemple ? Ce n’est pas possible, surtout si tu sais que

  48

ces animaux vont te le rendre directement. On ne triche pas, c’est la nature. On a des champs de blé, de pommes de terre, mais tout cela, c’est froid. Un animal, ça vit, ça te donne des sentiments. Et même si parfois tes choix sont anti-économiques, tu vas opter plutôt pour ceux-là ne serait-ce que parce que c’est plus dans le sens de ta passion envers les animaux. C’est un respect que j’ai envers l’animal. Les animaux que j’élève me donnent un revenu qui sert à nourrir nos trois enfants. Leur « mort », entre guillemets, c’est mon revenu. Il y a une forme de respect qui s’installe. a Donc pour vous la responsabilité passe à travers le bien-être des animaux ? a Envers TES animaux. Parce que le bien-être animal en général, c’est un mot qui est tellement galvaudé, utilisé pour n’importe

  49

quoi. Les éleveurs ne vont pas l’utiliser. Par exemple, tu vas dire que pour respecter le bien-être des animaux, il faudrait les mettre sur paille. Si tu les mets sur paille, il faudrait le noter en grand sur le bordereau de prélèvement, mais dans ce cas-là les porcs seront abattus en fin de journée, juste avant qu’ils nettoient la chaine, parce que sur paille, il y a beaucoup plus de soucis et de prolifération de germes. Moi, je note bien sur mes bordereaux que ce sont des porcs hors sol, pour qu’ils puissent les intégrer à n’importe quel moment de la journée à la chaine d’abattage. Donc ce que tu penses être bien ne peut pas l’être dans tous les sens. Moi, responsable, j’estime l’être vis-à-vis de mes animaux, de l’environnement, même si parfois je suis administrativement hors-la-loi, je m’estime être plus responsable dans mes choix, vis-à-vis de l’environnement. Le lisier qu’on utilise, je fausse un petit peu la

  50

donne, étant donné que la loi des 170 unités d’azote, c’est à l’hectare en moyenne. Moi je mets des féveroles qui sont des protéagineux qui n’ont pas besoin d’apport extérieur. Ils vont diminuer la quantité d’engrais, donc je vais pouvoir en mettre plus sur le maïs. Administrativement, il faudrait que je mette une partie de lisier et que j’achète une autre partie. C’est ce qu’ils voudraient que je fasse. Je ne suis pas d’accord, c’est complètement stupide de me faire acheter des produits qui sont bien plus polluants. Je préfère utiliser les déjections animales qui ont un cycle de transformation en azote et ça correspond très bien en premier pour le blé et ensuite le maïs. La transformation, c’est selon la température donc plus ça se transforme vite plus c’est chaud. Les maïs ont des cycles courts, donc on essaie d’apporter le mais après les semis. Le blé est semé bien plus tôt, donc on apporte le lisier avant. Là-dessus, je

  51

m’estime responsable, et je peux le prouver aussi, dans le sens où l’on fait des analyses de sol. Ce sont des prélèvements dans le sol qui te disent ce qu’il reste de tes apports. C’est suivant ce que les plantes auront pu absorber pour se nourrir et suivant aussi les conditions météo. Cette année, au mois de janvier, on était presque à 180% de plus que la normale. Je n’ai pas beaucoup de réserve d’azote, comme quoi, l’essentiel a déjà été valorisé. J’aime bien le système autarcique. Je produis des porcs qui produisent de la viande et des déchets, lisier qui est transformé par les plantes qui elles-mêmes se transforment en aliments. Moi, je vois ma responsabilité comme le fait d’être autosuffisant. On pourrait même aller plus loin, car une truie et l’ensemble des porcelets qu’elle produira, ça fait une tonne équivalent pétrole en niveau méthane. Ce sont des déjections qui sont extrêmement faciles à mettre en gaz pauvre.

  52

En France, ils en parlent beaucoup, mais le seuil minimum pour que tu puisses faire une usine à gaz pour produire l’électricité c’est 400 000€. Avec ce qu’on a ici, on pourrait chauffer et produire assez d’électricité pour toutes les maisons qui sont autour sans aucun souci. En Allemagne ils font des petites unités (entendu on peut mettre en place des plus petites usines donc on besoin de moins de fonds, ndlr). En France, les usines de méthane sont anecdotiques. Tu vas produire une unité de méthane, en Allemagne les voisins vont être super contents d’avoir l’électricité à bas prix, avec le système d’électrogène ; en France, il va falloir que tu fasses deux ans de procédure, mais les voisins risquent de se regrouper en disant « on ne veut pas d’un truc qui risque de nous exploser à la figure ». Je ne sais pas si tu vois un peu les images de l’un par rapport à l’autre.

  53

Donc en soi, vous pourriez créer une usine pour faire de l’électricité grâce aux porcs ? a Ah oui ! En Allemagne tu as des petits élevages au centre des villages. Et donc il y a des élevages de porcs, tu n’as pas d’odeurs étant donné que tu peux faire des pièges à odeurs et des systèmes de lavage d’air. Et ils arrivent à produire suffisamment de gaz pour alimenter une partie du village, faire chauffer les bâtiments de l’école et alimenter la petite piscine à côté. C’est sympa non ? Cela pourrait être l’avenir. Mais en France, les gens ne le voient pas de cette manière. C’est un vieux problème sociétal. a Pourtant cela pourrait résoudre des problèmes d’énergie … a Oui complètement, mais la perception est tellement différente. En France, tous les deux

  54

jours, il y a un agriculteur qui se suicide, on est la deuxième profession qui se suicide le plus. En général, c’est un éleveur. Je n’estime pas avoir des conditions de vie difficiles, je chausse mes bottes à 7h30 et je suis sur mon lieu de travail, je ne fais pas deux heures de bouchons comme certains travailleurs en France qui habitent en banlieue parisienne. Mais c’est sûr qu’au regard de la société, ce n’est pas la profession la plus acceptable. On n’a pas beaucoup de vacances, ma femme et les enfants en prennent, mais la dernière fois qu’on a pris des vacances ensemble, c’était il y a 8 ans. Ça ne me gêne pas, c’est un choix de vie. On a des avantages et des inconvénients. On est au contact d’animaux, ce n’est pas froid. Tous les jours, quand tu es éleveur, tu te remets en question, car tu bosses avec de la matière vivante, et on ne joue avec ça. Rien n’est écrit au préalable, ce sont des métiers que tu fais par passion. Si tu le fais pour le fric,

  55

tu ne vas pas gagner beaucoup. Je connais des ingénieurs qui ont fait beaucoup d’études mais qui finalement préfèrent être éleveurs. Mais on se retrouve un peu seul car c’est dur de trouver une épouse et ça a des conséquences sur ta famille. Les enfants sont exposés aux railleries : « ouais les porcs ça pue ». Moi mes enfants je leur tire mon chapeau, ils se défendent vis-à-vis de ça, ils sont bien dans leur bottes. Ce n’est pas évident. Les copines de ma femme, avant que l’on se marie, se moquaient du fait que j’étais éleveur de porcs, alors qu’elles ne m’avaient jamais vu. Tu vois un peu d’où on vient en tant qu’éleveurs de porcs… c’est très mal vu. L’image est très noire en France et à chaque fois que tu as des élections pas loin, il y a toujours un parti politique qui va essayer de récupérer les voix des écolos en tapant sur le dos des éleveurs et des règles draconiennes. On est de moins en moins d’éleveurs. Et ils sont en

  56

train de se rendre compte que moins d’éleveurs, ça veut dire moins d’achats d’aliments. Nous, il y a deux ans on a eu une obligation de mise aux normes, et ce qui était demandé avec le gouvernement précédent a été obligatoire avec le gouvernement suivant. Dans le sens où si vous n’êtes pas dans la norme de 2,25m2, vous avez deux mois pour faire les travaux et 170 euros d’amende par mètre carré non respecté. Vous passez directement au tribunal pour maltraitance envers animaux, dans un contexte où vendre les céréales que l’on produit peut nous donner plus de revenu que l’élevage de porcs. Donc tous ces gars se sont dit « les travaux de mise aux normes ont un coût ». Et si t’as plus de 50 ans et que tu ne vois pas de succession, tu te dis qu’il vaut mieux arrêter. Ce qui fait que les usines d’aliments qui fournissent des aliments à toutes ces personnes ont dû arrêter aussi car il y avait de moins en moins d’éleveurs.

  57

C’est le cas de Delesalle à Sailly, par exemple. Le résultat c’est que tu as une douzaine d’emplois qui ont été supprimés. Il n’y a plus d’usines à aliments, mais plus non plus d’abattoirs. A Hazebrouck, il y avait un abattoir, mais il a été supprimé car il n’y a plus d’animaux. Par contre, dans d’autres pays, ça carbure plein pot, c’est le cas en Allemagne et en Belgique. La Belgique, c’est un petit pays et avec les normes européennes ils se sont dit « on est un plus petit pays, on ne peut pas étendre la surface » du coup pour la surface d’épandage, plutôt que de produire des porcs de 105 kg ils se sont dits « on va se restructurer et ne produire que des porcelets », l’activité uniquement de naissage. Ça demande beaucoup de main d’œuvre. On a des élevages qui vont avoir 400 truies pour les naissages uniquement. Et après, l’engraissement se fait en Allemagne. Car en Allemagne, ils ont énormément de surface. Et

  58

donc ça, c’est la ligne économique qu’ont prise ces pays-là et ils sont en train d‘avoir le monopole. Donc en France, avant on exportait, maintenant on se met à importer. Ca dépend des pièces. On importe plus de jambon qu’on en produit, par exemple. C’est toujours un micmac au niveau des échanges, mais bon c’est quand même du gâchis tout ça, c’est dommage. C’est vrai que question de responsabilité, tous les éleveurs que je connais le font par passion et c’est certainement pas à eux qu’incombe le fait que ce soit pollué. Quand tu leur parles, tu vois que dans leurs yeux, il y a un truc qui se passe.