jean marc gaspard itard : entre autisme et surdimutité

ANNALES FRANCAISES D'OTO RHINO LARYNGOLOGIE ET DE PATHOLOGIE CERVICO-FACIALE62 RUE CAMILLE DESMOULINS92442 ISSY LES MOULINEAUX CEDE - 01 71 16 55 00

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Eléments de recherche : INJS DE PARIS ou Institut National des Jeunes Sourds DE PARIS : appellation citée, organisme de prise en chargeéducative/scolaire, toutes citations

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HISTOIRE DE L'ORL

Jean Marc Gaspard Itard : entre autismeet surdimutité

G. Dupuis

20, place Edouard Normand, 4400 Nantes, France

Introduction

Jean Marc Gaspard Itard (1774-1838) est repere auxfondements de ['ORL et de la pédopsychiatrie - on pourraitajouter, a leurs confins, l'orthophonie et l'éducation specialisee ll est tres étonnant de remarquer que les praticienscontemporains en ORL situent Itard surtout a la faveurde sa sonde gutturale, maîs également de son «Traite desmaladies de l'oreille et de l'audition >1 considère commele premier ouvrage clinique et nosographique moderned'otologie (1821), tandis qu'ils méconnaissent la dimensionmorale de l'œuvre —au sens de l'époque, c'est a dire psychologique centrée sur l'éducation de l'enfant sauvagede l'Aveyron Parallèlement, les pedopsychiatres, s'ils onten tête l'histoire principale de Victor et de son educationmedico philosophique comme borne mythique de figuration

Adresse e mail drguydupuis@orange fr1 Traite des maladies de l'oreille et de l'audition J M G Hard,

docteur en medecine de la faculté de Pans, medecin de l'institutionroyale des Sourds Muets, membre de l'Académie royale de medecine, chevalier de la Legion d'honneur Tome premier Anatomie,physiologie et maladies de l'oreille / Tome second Maladies del'audition A Pans, chez Mequignon Marvis Librairie pour la partiede medecine Rue de l'Ecole de medecine n°3 De l'imprimerie deL T Cellot et Hubert 1821 - documents d'archives 53 et 54 Tousles écrits d'Itard mentionnes dans cet article donnent lieu aux references originales et a un renvoi numérote au recueil archivistiqueque nous avons constitue [1]

du premier enfant autiste, ignorent tout de l'activitémedicale prolifique d'Itard en otologie et surdimutité llexiste un « clivage > manifeste au sein des représentationsactuelles attachées a Itard élaboration nosographiqueet technique relative a l'oreille, d'une part, conceptualisation éducative et psychopathologique dans l'autismeavant l'heure, d'autre part Dans le cadre d'une thesed'epistemologie et histoire des sciences [1], nous avonstravaille sur les tiraillements conceptuels profonds traversant actuellement le domaine de l'autisme affrontemententre conceptions neurodeveloppementales reeducativeset psychodynamiques inspirées cle la psychanalyse- et, acet effet, rassemble en un archivage numérise l'ensemblede l'œuvre d'Itard afin d'y dégager les <problématiquesfondamentales ayant préside a l'avènement de l'enfantsauvage en tant que précurseur de l'enfant autiste» Troissources archivistiques ont ete explorées manuscrits etimprimes (Institut national des jeunes sourds, Bibliothequeinterumversitaire de medecine), dossiers medicaux (fondsfamilial Charpin) et inventaire apres deces (Minutier deFrance, mis a jour par Gineste [2]) Nous avons ainsi misen évidence les grandes thématiques auxquelles Itards'est interesse et précise des liens méconnus entre sespreoccupations morales et otologiques - donnees que noussouhaitons présenter en suivant l'histoire même d'Itard2.

2 Nous empruntons aux excellents travaux biographiques deGineste [3]


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Pourquoi un jeune chirurgien éduque-t-il unenfant sauvage ?

Hard est né le 24 avril 1774à Oraison (Basses-Alpes) dansune famille de négociants ; troisième d'une fratrie de cinq,il en est l'unique survivant Formé au petit seminairelocal, son père l'envoie compléter son instruction chez lesOratonens de Marseille, avec pour mission de perpétuerl'entreprise familiale maîs aussi la lignée Itard; en 1789,a 15 ans, il revient seconder son pere. C'est l'heure desremous post-révolutionnaires: Hard a un oncle prêtre quis'engage pour le changement, prête serment à la constitu-tion civile du cierge promulguée en juillet 1790 et devientadministrateur du directoire puis vice-président du dis-trict de Digne; chargé d'organiser, en 1793, la levée enmasse des volontaires pour les armees de la Revolution,il part pour Marseille en avril 1793 accompagné de sonneveu Jean Marc Gaspard qu'il va confier à son ami Arnoux,directeur de l'hôpital militaire de l'armée d'Italie ins-talle à Sollers. C'est ainsi qu'ltard échappe à l'inévitableconscription et aux affres qui s'annoncent — l'oncle estretrouve noyé en novembre de la même année. Il intègrel'armée, est nomme aide-chirurgien a l'ambulance de Port-Cros dans la rade de Toulon début 1794, puis placé sous lesordres de Dominique Larrey, chirurgien en chef de l'arméed'Italie en attente de l'expédition en Corse. Début 1796,dans le sillage du célèbre organisateur des cours publicsd'anatomie, H gagne Paris et, remarque pour ses qualitesintellectuelles et pratiques, intègre d'emblée la carrièremedicale au Val-de-Grâce ; inscrit a l'École de medecinede Paris en 1797, il devient chirurgien de troisième classeen 1798. La question du logement, en cette période trèstroublée -le coup d'État du 18brumaire an VIII (octobre1799) par Bonaparte signe la fin du Directoire et l'entréedans le regime autoritaire du Consulat- se résout pourItard a la faveur d'un evènement singulier qui le faitêtre nomme, en décembre 1800, médecin de l'Institutiontoute proche des sourds-muets et, à ce titre, disposer d'unappartement.

En effet, le hasard voulut qu'y soit accueilli en août1800 un enfant abandonne, découvert en janvier de la mêmeannée dans les bois de Lacaune en Aveyron. Le represen-tant local du gouvernement, Constans Samt-Esteve, anciendéputé sous la Constituante, avait aussitôt fait remonterà Paris qu'on avait découvert la un «Sauvage» et qu'ilconviendrait qu'il fût confié aux soins du gouvernement,surtout du vénérable abbe Sicard, instituteur grammairiendirecteur de l'Institution des sourds-muets, maîs aussi «desphilosophes et des naturalistes » qui s'intéressent a l'humain«se rapprochant de l'état de nature» — l'enfant s'essuyaitles mains mouillées avec de la cendre et sentait tout ce qu'ilmangeait. La nouvelle se répandit dans le pays grâce auxjournaux et, rapidement, l'enfant est reclame a Pans par laSociété des observateurs de l'homme, maîs aussi par LucienBonaparte, nouveau ministre de l'Intérieur du Consulat, sou-tenu par son protége Degerando, jeune philosophe membrede la Societé et récemment primé par l'Institut pour ses tra-vaux sur « l'influence des signes sur la formation des idees ».En fait, c'est cette Sociéte qui est à la manœuvre pour faireacheminer l'enfant, d'existence courte (1799à 1804), elleregroupe une soixantaine d'idéologues aux origines diverses

- naturalistes, philosophes, explorateurs, historiens, medecms, écrivains— qui tous s'intéressent a l'anthropologienaissante, c'est-à-dire a l'histoire naturelle de l'hommesous son triple aspect physique, moral et intellectuel. Ceprojet s'inscrit dans le progressif eloignement, durant lesdeux siècles précédents, du discours sur l'homme de la refe-rence théologique, position qui se radicalisera a la faveur del'effusion intellectuelle post-révolutionnaire, où, tous azimuts, intellectuels et scientifiques, encore étourdis de lachute mortelle du Roi, representant divin, se voient char-ges d'élaborer un discours sur l'homme détaché de Dieu.La decouverte en 1800de l'enfant sauvage de l'Aveyroncristallisera alors toutes les attentions, jusqu'au sommetde l'Etat, car on venait de trouver l'homme de natureen charge d'enseigner ce qui, de l'homme, relève de lanature ou de la culture. Qui trouve-t-on, outre Sicard etDegerando, dans cette Societé? Itard et son professeurde pathologie interne, Pmel, le fondateur de la medecinedes aliénés à Bicêtre qui diffuse en France l'idée qu'onpeut soigner les aliènes en les regroupant par pathologieset en les soumettant au traitement moral. Pme! est unardent défenseur de l'approche hippocratique ou la mala-die est une entité naturelle a décrire et circonscrire parla seule observation externe; il a, a l'Ecole de Pans, unadversaire en la personne de Corvisart, le professeur de cli-nique interne, moins cultive maîs plus novateur, qui veutconnaître les maladies en confrontant les signes au lit dumalade et les donnees des dissections. Itard prend partiepour Pmel dont les publications font alors fureur : un premierouvrage francais de nosographie en 1797 («La nosographiephilosophique» [4]) maîs aussi en 1800un Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale ou la mame [5], quisensibilisent Itard a la rigueur de l'observation clinique enreference au neohippocratisme de la fin du xvm6 siecle, autraitement moral renvoyant a une lecture médicale despassions dans le sillage de l'Écossais Cnchton —passionsqui sont «les causes les plus fréquentes de l'aliénationde l'esprit» et ont des manifestations à la fois physiologiques et psychologiques - enfin a l'exploration des troublesde l'intelligence selon le condillacisme, philosophie del'esprit humain qu'on peut qualifier d'ancêtre lointain de lapsychologie.

C'est dans ce contexte que l'enfant sauvage arrive enaoût 1800. Sicard, euphorique, attend de soumettre l'enfanta sa technique d'enseignement où les sourds-muets uti-lisent des signes figuratifs intégres dans une syntaxe inspiréede la grammaire française3. Il se rend vite compte quel'expérience est risquée car l'enfant est inaccessible et pro-bablement idiot, ce que confirmera la commission de laSociete des observateurs de l'homme en la personne dePmel a l'automne 1800. Pour résoudre l'affaire, il décided'affecter un médecin a l'Institution des sourds-muetsen charge de la sante physique (notamment la vaccina-tion par la vaccine) maîs qui, en pratique, va s'atteler à

3 ll s'agit des signes «réduits» intégres dans des phrasesdont l'organisation est inspirée de la grammaire alors en coursd'élaboration, en opposition avec ceux, dits «méthodiques», del'Abbé de l'Epee, le prédécesseur de Sicard, lequel Abbe de l'Epeese limita a consigner les signes naturels des sourds muets afin qu'Ussoient utilises dans des séquences manuelles spontanées.


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«l'éducation medico philosophique» de l'enfant sauvagePrudence de Sicard qui reste en attente que se dévoilele mythe de l'homme sauvage, prudence de Pinel qui,certes, dit que l'enfant est idiot maîs se reserve quanta son ineducabilite -, il ne fera part de ses conclusionsque six mois apres — , energie et creativite de l'étudianten medecine Hard et, en arrière-plan, du jeune philosophe Degerando, qui tous deux postulent, en s'identifianta l'enfant longuement observe, le caractère acquis deshabitudes singulières en lien avec l'abandon précoce et levécu en pleine nature, maîs aussi avec l'immobilité desorganes par défaut d'utilisation en d'autres termes, la«dimension socialement construite du tableau d'idiotisme»et, par conséquent, sa potentielle mobilisation Itard meten oeuvre son education de 1801 a 1804, basée sur cinqvues attacher l'enfant a la vie sociale en la lui rendantplus douce et plus analogue a celle qu'il venait de quit-ter/reveiller la sensibilité nerveuse par les stimulants etquelquefois les vives affections de l'âme/etendre la sphèredes idees en donnant des besoins nouveaux et en multipliant les rapports avec les êtres environnants/conduire al'usage de la parole en déterminant l'exercice de l'imitationpar la loi impérieuse de la nécessite4 Cette experienceextrêmement creative Itard est un concepteur hors pairde protocoles et matériels educatifs sera relatée dansun premier memoire en 18015, ou Itard combatif veutmontrer la validité de son hypothèse en affichant les changements de l'enfant qui culmineront dans une ameliorationnotable de l'attention, dans l'usage des lettres du mot« L A I T » et dans l'acquisition de competences pragmatiques sommaires, décrivant les modalités de sa pratiquede modification de l'esprit et des habitudes, il veut surtout obtenir la poursuite du financement par l'Etat Maîs,des 1804, Hard «délaisse cette education» devant le peud'evolutwite de l'enfant et surtout la presence d'une masturbation compulsive qui le déborde totalement Un secondmemoire est pourtant écrit en 18066 a la demande deChampagny, ministre de l'Intérieur et proche de Degerando Itard, qui dit vouloir taire son experience négative,rédige, avec rigueur et sans doute par soumission, unnouveau rapport sur les developpements de l'enfant, quisera en fait utilise par Degerando et l'Institut pour poserles bases théoriques de la structuration de l'instructionpublique.

4 Nous reprenons les formulations adoptées par Itard pour rendrecompte des axes de son education medico philosophique

5 De l'éducation d un homme sauvage, ou des premiers developpements physiques et moraux du jeune homme sauvage del'Aveyron E M Itard, medecin de l'Institution des Sourds Muets,membre de la Societe medicale de Paris Paris Goujon fils,imprimeur libraire, rue Tnenne n°787 Septembre octobre 1801(vendémiaire an X) — document d'archives 5

6 Rapport fait a son Excellence le ministre de l'Intérieur, sur lesnouveaux developpements et l'état actuel du Sauvage de l'AveyronE M Hard docteur en medecine de l'Institution imperiale dessourds muets Imprime a Pans, par ordre du Gouvernement et parles soins de J J Marcel, directeur general de l'imprimerie impenale, Membre de la Legion d'honneur 1807 - document d'archives16

L'abandon du moral pour les oreilles etl'hydropisie

Hard abandonne son education morale7, maîs aussi Pinel— en 1802, il défend son arm Bayle dans un affrontement avec Pinel sur la distinction faite par le maître dedeux maladies différentes la ou Bayle voit deux varietes d'une même pustule en reference aux inoculationsvaccinales8- travaille avec Laennec sur le pneumotho-rax qu'il décrit9 puis oriente sa pratique vers l'étude desmaladies des oreilles et de l'audition A partir de 1805,il debute l'éducation de six sourds muets auxquels il propose un accroissement des reliquats sensoriels par leurmise en action répétée10 L'idée lui est venue apres avoirobserve que les sourds muets, a l'écoute d'instrumentsde musique, manifestaient des reactions motrices croîssantes aux sons se répétant, maîs aussi en reference al'éducation séparée et graduelle des organes des sens del'enfant sauvage suivant le modele condillacien - «ence sens, l'approche medicale des sourds muets au semde l'Institution s'enracine dans une experience medicophilosophique» ll faut savoir qu'ltard séjournera toute savie rue Saint Jacques, au service de la surdimutite et dePotologie naissante, sa contribution sera bien medicale carHard cherchait prioritairement a rétablir la fonctionnalitédes organes et non a faire en sorte que les sourds muetscommuniquent entre eux -ce qui lui sera abondammentreproche, conjointement a son défaut d'intérêt pour le lan-gage des signes— il eduque séparément l'audition et laparole, s'appuie sur l'écrit et proscrit l'usage des signesmanuels.

7 Signalons l'abandon contemporain, en 1802, de l'écriture d'untraite sur les vesames correspondant a une nosographie aliemsteVesanies J M G Hard Manuscrit Archives du Fonds CharpinDate de courant 1802 - document d'archives 10 et inauguralement publie dans Gineste T (1988) — Presentation des Vesaniesde Jean Marc Gaspard Itard (1802) Evolution psychiatrique, 53, 3p 573-610

8 Reflexions sur l'état actuel de l'enseignement medical al'occasion de l'ouvrage du citoyen Bayle Hard Le Moniteur Universel 27 mars 1802 (26 ventôse an X) document d'archives 6

9 ll s agit de sa these dissertation sur ie pneumothorax ou lescongestions gazeuses qui se forment dans la poitrine E M Hard,medecin de l'Institution nationale des sourds muets et de la chantematernelle medecin adjoint du troisieme et du quatrieme dispensaire, chirurgien en second de l'hôpital militaire de Pans, membrede la Societe medicale et de plusieurs autres Societes savantesPrésentée et soutenue a l'Ecole de medecine de Paris Paris imprimené des sourds muets Faubourg Saint Jacques n°115 1803(30prairial an Xl) document d'archives 1110 Memoire sur les moyens de rendre l'ouïe aux sourds muets HardD M medecin de l'hospice des sourds muets Manuscrit Archivesde l'Institut national des jeunes sourds de Pans Lu a la Societe desprofesseurs de l'Ecole de medecine (Mrs Halle et Moreau, commissaires) Rapport fait a la séance du 18 fevrier 1808 26 novembre1807 document d archives 17 Memoire sur les moyens de rendrela parole aux sourds muets Hard D M , medecin de l'hospice dessourds muets Manuscrit Archives de l'Institut national des jeunessourds de Paris Lu a la Societe des professeurs de l'Ecole de Medecine (Mrs Halle et Moreau, commissaires) Rapport fait a la séancedu 9 juin 1808 14 avril 1808 document d'archives 18


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Dans un article de 181611, Itard précise nourrir le desseind'écrire un traite des maladies des oreilles et de l'auditiondepuis 1801 —il ne paraîtra qu'en 1821- ce qui attestecertes d'un projet de longue haleine illustrant l'opiniâtretéd'Itard maîs aussi d'une conception contemporaine de lamise en place de l'éducation medico philosophique Hardpréparera ce traite par de nombreux articles ou il dit tester l'accueil des lecteurs, sans doute dans les suites de lamédiatisation initiale de ('experience du Sauvage12 se soldani pourtant par un echec cuisant, maîs aussi parce qu'ilse doit de renouer avec des objets medicaux plus academiques et conquérir la reconnaissance de ses pairs grâcea des contributions de nature «anatomoclimque» Ecrirequ'ltard a formalise la premiere nosographie des mala-dies des oreilles est, du point de vue epistemologique,lourd de sens car il a dû proposer des reperes pour organiser les < représentations de la pathologie dans l'internede l'oreille» Les autopsies de l'appareil auditif étant trescompliquées a realiser et s'avérant le plus souvent normales, Hard n'avait pour se représenter l'intérieur de cetorgane que les elements dynamiques faisant lien entre mierieur et exterieur Deux maladies attirent alors son attention— la surdite par engouement et l'otorrhee— renvoyant a unobstacle par un corps etranger et a un écoulement du dedansvers le dehors C'est grâce a une reflexion topologique etdynamique de ce type qu'on comprend mieux l'attentiond'Itard pour l'intégrité de la membrane tympanique Bienqu'il fut le premier en 1811 a obtenir la guenson d'unsourd-muet par la paracentèse13, il expérimentera sur unecohorte importante son inefficacité et, parce que la membrane était sensée préserver la conduction du son, il prôneratoujours son respect, développant ainsi un autre acces versl'oreille interne par la trompe d'Eustache — d'où sa sonderestée a la postérité14 Nous pensons que cette positionrenvoie a des représentations antiques selon lesquelles lamembrane joue, dans l'oreille, un rôle a la fois protecteur -proteger l'air inné de la caisse-et fonctionnel -préserver la surface de transmission de la membrane pourfaire se mouvoir l'air inné qui s'est déplace dans le labynnthe On mesure, au fil du temps, le deplacement de cetair de la caisse vers les canaux semi circulaires, ou Itardcherchera a l'y déceler par des dissections du labyrinthe

11 Memoire sur les médications immédiates de l'oreille interne,extrait d'un ouvrage inedit sur les lesions de l'oreille et del'audition premier article Hard, medecin de l'Institution royaledes sourds muets Journal universel des sciences medicales 1816,tome 3, p 1 28 document d'archives 2712 Hard a traduit en anglais son premier memoire et son experience

deviendra si connue en Europe que l'Empereur de Russie AlexandreI , l'invitera a s'installer a Saint Petersbourg13 Tentative réussie de guenson de la surdite par perforation du

tympan Hard ln Analyse des travaux de la classe des sciencesmathématiques et physiques de l'Institut imperial pendant l'année1811 Magasin encyclopédique 1812, tome I, p 348 352 document d'archives 2214 ll s'agit de l'article mentionne a la note 11 et du suivant

Memoire sur les médications immédiates de l'oreille interne, extraitd'un ouvrage inedit, sur les lesions de l'oreille et de l'auditionsecond article Hard, medecin de l'Institution royale des sourdsmuets Journal universel des sciences medicales 1816, tome 4, p1-32 document d'archives 28

gelé — il ne dépassera absolument pas cette problematique

La preoccupation d'Itard pour «construire des representations de l'intérieur du corps» se retrouve dans sonintérêt étrange pour l'hydropisie ou epanchements internes,au sujet desquels il produira de nombreux articles pour leDictionnaire des sciences medicales Panckoucke15 Penserla constitution de ces volumes dans l'intérieur du corpsest une obsession, ce d'autant que de l'air est retrouveavec le liquide On voit, au fil des articles, apparaître lareference a Bichat et a ses travaux sur les membranes, etprogressivement être abandonnée la théorie humorale deslymphatiques pour celle des productions séreuses membranaires Itard est « au coeur des evolutions de la medecine dupremier quart du xixe siecle» et ses travaux seront reconnuspar la communaute car il sera du premier contingent nommea l'Académie de medecine en 1821

La controverse avec Deleau : la résurgence duphilosophique

Maîs Hard le travailleur acharne, l'expérimentateur, est unhomme malade un rhumatisme chronique tres douloureux mentionne des 180516- qui devra se faire seconder al'Institution a partir de 1815, et ralentir son activite pour seconcentrer sur les travaux des commissions de l'Académiell aura cependant a affronter, de 1821 a 1825, son jeune collègue aunste Nicolas Deleau, dans une joute publique ou ilsera ouvertement « remis en cause » Deleau reprend a soncompte la guenson par Hard en 1811 d'un sourd muet par laperforation du tympan , il invente, en 1821, un perforateura ressort et un systeme de miroirs métalliques pour explorer le conduit auditif, puis, en 1823, annonce l'utilisationd'une sonde plus flexible permettant la pénétration de latrompe controlaterale [6], ainsi que la mise en oeuvre d'uneeducation pour les sourds-muets qui recouvrent l'ouïe afinqu'ils articulent et soient «portes a apprendre a parler»[7] C'est en 1824 1825 que Deleau médiatise, avec l'appuide l'Académie des sciences, la guenson totale du jeunesourd-muet de naissance, Claude-Honore Trezel, au moyendu cathetensme de la trompe d'Eustache permettant laseule recirculation de l'air, associée a une education secondaire de la parole et de l'articulation [8] Devant cetteréussite, le conseil d'administration des sourds muets etl'Académie de medecine somment Hard de s'expliquer iltend a sous-estimer la valeur de la pression des «douchesd'air» et met en avant, comme critere de guenson dessourds muets, non seulement la seule recuperation descapacites d'audition et de parole mise en avant par Deleau,maîs aussi celle de la «pensée»17 Ce point est crucialdans l'éducation itardienne des sourds muets, renvoyant a

15 Douze articles de 1812 a 1818 allant de Ascite Hard Articledans le Dictionnaire des Sciences Medicales 1812, tome 2, p352-60 - document d'archives 23, a Hydrotite Hard Article dansle Dictionnaire des Sciences Medicales 1818, tome 22, p 508-9-document d'archives 4016 Une probable spondylarthrose ankylosante17 Rapport sur un mode de traitement récemment employe avec

succes contre la surdite de naissance Hard, medecin de l'institutroyal des Sourds Muets de Paris Manuscrit Archives de l'Institut


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la conception globale du sujet —il s'agit la du «vitalisme»dont atteste un article majeur de 1828 sur « la parole consideree comme moyen de developpement de la sensibilitéorganique»18- maîs aussi de l'intérêt puissant d'Itard pourle «developpement des competences intellectuelles et lecerveau ». Il faut la signaler le monumental article relatifa l'hydrocéphalie de 181819, celui sur les phlegmasies cerebraies de 182320 ou Itard fait un lien entre otite interne ethydrocéphalie aigue, enfin celui de 1828sur «le mutismepar lesion des fonctions intellectuelles» aux confins du phy-sique et du moral21 Cet article prévaut pour la defense,face a Deleau, d'une conception non uniquement fonction-nelle otologique des troubles de la parole car sont ici décritsdes mutismes avec audition normale et troubles spécifiquesde l'imitation — Itard, parce qu'il y est accule, fait « retoura son experience avec l'enfant sauvage » pour lequel il avaitfallu travailler non seulement les strictes fonctions de laparole et de l'audition, maîs aussi celles de «l'attentionet de l'imitation renvoyant aux fonctions supportées parle cerveau» Nous avons qualifie ce retour du Sauvage de«résurgence du philosophique» Notons que ces mutismespar lesions des fonctions intellectuelles sont aujourd'huidénommes psychoses sans langage, ou plutôt autismes ettroubles envahissant du developpement avec mutisme

Cet episode de l'histoire de l'otologie signe également,du point de vue histonco epistemologique, l'intégration desdonnees issues de la physique expérimentale car Deleaumet en œuvre les decouvertes de l'Académie des sciencessur la pression aerienne et la propagation des mouvementsvibratoires dans les solides et les liquides22 Hard ne pourraque «se soumettre» a ce mouvement' suite a l'épisodeDeleau et a la demande de l'Académie de medecine, ilconduira, en 1836, une recherche chez les sourds-muetsavec des injections pressurisées d'intensités variables23. Cetepisode confirme enfin « la continuité epistemologique chezHard d'un intérêt, dans une perspective vitalite, pour laboucle entendre/penser/parler» Grand fut notre plaisir delire, dans l'article sur le mutisme par lesion des fonctions

national des jeunes sourds, Paris 8 juillet 1825 documentd'archives 6518 De la parole considérée comme moyen de developpement de la

sensibilité organique M Hard, D M Revue medicale française etétrangère Juin 1828, tome 3, p 359 70 document d'archives8819 Hydrocéphale Hard Article dans le Dictionnaire des Sciences

Medicales 1818, tome 22, p 219-56 document d'archives 3020 Memoire sur quèlques phlegmasies cérébrales, présentées

comme cause de lievres intermittentes pernicieuses M Hard,medecin en chef de l'Institution des sourds muets, membre del'Académie royale de medecine Lu a l'Académie royale de medecine Revue medicale francaise et étrangère 1823, tome XII, p121-35 - document d'archives 6121 Memoire sur le mutisme produit par la lesion des fonctions intel(ecuelles M Hard, Membre titulaire et medecin de l'Institutionroyale des sourds muets Lu a la premiere séance publique del'Académie royale de medecine Memoires de l'Académie royale demedecine 1828, tome I, p 3-18 - document d'archives 9022 ll s'agit des travaux du physicien Savart23 Rapport de ses causes et de son traitement, par Gainai MHard Memoires de l'Académie royale de medecine 1836, tome 5,p 525—52 — document d'archives 118

intellectuelles, qu'ltard n'avait «jamais délaisse les enfantsidiots malgre son orientation otologique » en parallèle deséducations d'enfants sourds muets, Hard a toujours pour-suivi, dans l'ombre, des accompagnements d'enfants idiotsHard s'est ainsi «toute sa vie situe entre autisme avantl'heure et surdi mutité»

Conclusion

Notre etude archivistique conclut a des intérêts medi-caux complexes chez Hard24, qu'il convient de situer al'articulation de trois grandes influences

• «l'essor de la medecine anatomoclimque de l'Ecole dePans» — ses travaux otologiques en procèdent a partirdes trois bases epistemologiques que sont le regroupe-ment de patients similaires, le retour a l'observationclinique grâce au renouveau hippocratique et l'ouverturedes cadavres pour mettre en relation les symptômesexternes avec les lesions organiques internes, ceux sur lesepanchements s'ordonnent sur la dimension ubiquitairedu tissu membranaire formulée par Bichet25,

• « la pregnance des conceptions vitalistes hippocratiques »ou le corps se doit d'être appréhende en globalité commethéâtre des conflits humoraux, de déploiement de la sen-sibilité et du lien sympathique entre les organes — Hardest profondement attache a la notion d'«organisme»Nous pensons que son intérêt pour l'enfant sauvage, inau-gurant celui pour les enfants sourds muets, s'enracinedans cette conception vitalite de l'homme qui permetque soit accueilli, a la fin du xvm9 siecle, le corpus philo-sophique sur les passions dans le champ de la medecine,et que se structure une medecine morale pour les aliè-nes La position de Bichet, conjuguant localisationmsmedes organes et globalisme des membranes disséminées,parlait beaucoup a un Hard préoccupe de «ne pas dissocier les fonctions supportées par les organes de leurinscription dans l'organisme global» ;

• «la preoccupation philosophique de l'homme pour lui-même», au sens des Lumieres, ou l'homme, en referencea la notion kantienne d'Aufklarung -clairvoyance- réa-lise qu'il peut émerger par sa raison de la limite qu'ils'impose a ne penser que par lui-même Chez le medecm eclaire Hard, l'usage «adulte de l'esprit humain»selon Goulemot [9] renvoie tout a la fois a l'observationhippocratique des faits, a leur analyse sequencee en reference a Locke et Condillac, au doute philosophique et a lacritique des faits par la pensée, a l'impulsion epistemo-phihque poussant l'homme a se connaître et connaîtrele monde ou il vit histoire de l'homme, développement humain -enfance, langage, pensée- decouvertede l'homme social, bien sûr explorations scientifiques aumoyen des mathématiques Hard, désireux de faire penser les sourds-muets et les idiots, s'inscrit dans cette

24 Au sein des 130 pieces écrites par Hard, les thématiques serepartissent de la facon suivante surdimutite (37%), otologie (31%),médecine/hygiène (10%), epanchements (9%), sauvage de l'Aveyron(6%), aliénation mentale (2%), pathologie de la parole (1%), soit untotal de presque 70% pour les maladies de l'oreille et de l'audition25 Hard est un fervent admirateur de Bichet


FEV 13Bimestriel


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noble « préoccupation médico-anthropologique, toujoursd'actualité, pour l'homme pensant».

Déclaration d'intérêts

L'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts en rela-tion avec cet article.

Références

[1] Dupuis G. Pour une approche temporalisee et epistémologiquede l'autisme: le Sauvage de l'Aveyron au sein de l'œuvremédico-philosophique de Jean Marc Gaspard Itard (1774-1838)comme prémices de la complexe figure future de l'enfantautiste. These de doctorat d'epistemologie et d'histoire dessciences et des techniques. Universite de Nantes, 2008.

[2] Gineste T. Inventaire après-décès. Hard. Manuscrit. Arch NatlMinutier Central 2005;82:937 [17juillet 1838. Tire a part].

[3] Gineste T. Victor de l'Aveyron. Dernier enfant sauvage, premierenfant fou. 2e ed. Hachette; 1993, 510p.

[4] Pmel P. Nosographie philosophique. Pans: Maradan; 1797/an Vl.[5] Pmel P. Traite médico-philosophique sur l'aliénation mentale

ou la manie. 2e ed. Pans: Richard; 1800/an IX [Pans, Brosson,1809].

[6] Deleau N. Description d'un instrument pour rétablir l'ouïe dansplusieurs cas de surdite. Extrait des Annales de l'industrienationale et étrangère. Paris: Imprimerie de Fam; 1823.p. 5-36.

[7] Deleau N. Observations de deux sourdes et muettes quientendent et qui parlent, pour servir de preuve que beaucoupde sourds peuvent jouir du même bienfait. Quatrieme memoirerelatif aux maladies de l'oreille. Commercy: Denis, Imprimeur-libraire; 1823. p. 1-35.

[8] Deleau N. L'ouïe et la parole rendues a Honoré Trezel, sourd-muet de naissance. Paris: Mlle Delaunay; 1825, 42p.

[9] Goulemot JM. Lumieres (philosophie des). Encyclopaedia Uni-versalis version 12. 2006.

jean marc gaspard itard : entre autisme et surdimutité

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