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Cover - Guiseppe Penone Continuerà a crcscere tanne che in quel punto,1968, Jean-Christophe Norman 2OjO

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Cover - Guiseppe Penone Continuerà a crcscere tanne che in quel punto,1968, Jean-Christophe Norman 2OjO

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Exposltlon au musée du Temps de BesançonII OU6MARSAU30MAI 2OlO

Jean ChristopheNorman

La Correctionde I'Atlas

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Klaus Soeidel

Transfert, continuité et différence

Des romans de voyage entièrement réécrits à la main, accrochés comme d'énormes dessins au mur, des images iconiques del'histoire de I'art contemporain précieusement recouvertes de graphite, des photographies prises dans la pénombre pendant delongues marches en Norvège, des vidéos statiques à I'apparence si fragile qu'on n'ose les décrire... Voici autant d'éléments del'univers de Jean-Christoohe Norman.

Connu pour ses performances où il passait parfois 24 heures à marcher dans un lieu ou à patiemment écrire le temps, le travail deNorman s'enrichit maintenant d'une réflexion sensible et personnelle sur I ' image et, plus largement, la représentation.

1. Fluxus

Parlant de ses performances, Jean-Christophe Norman signale souvent que dans le cadre d'une certaine performance, il n'étaitpas distinguable des autres visiteurs (lorsqu'elle avait lieu dans un musée) ou des autres passants (lorsque ça se passait dans unevil le).

Ce n'est qu'en voyant la vidéo up and down,2009, plus précisément en écoutant la bande-son de la vidéo, que j 'ai compris qu' i lexprimait là quelque chose quiavait été très important pour son art pendant longtemps. Sur la bande-son de lavidéo up and down,I'artiste Jeffrey Perkins évoque son arrivée à New York et sa décision consciente d'être un artiste qui conduit un taxi, ce qu'il a faitpendant 22 ans. Cette décision artistique radicale a amené I'artiste Nam June Paik à parler de Perkins comme de " I'ultime artistefluxus '. Tel Perkins, Norman recherchait l'art en deçà de I'emphase, peut-être la fusion entre vie et art. Si cet aspect de son travail n'apas disparu et que ces ceuvres ne sont jamais criardes, Norman va dans une direction nouvelle. Je voudrais ici établir quelques-unesdes continuités et (aussi) différences.

2. Écriture

Jean-Christophe Norman est un artiste qui écrit beaucoup.

Phrase aussi juste que trompeuse. Nous associons habituellement l'écriture à la production de contenus, la production d'un textenouveau. Lorsque nous lisons: " Joseph Kosuth et Andrian Piper sont des artistes qui écrivent beaucoup ", nous entendons qu'ilsoynrimonf doc npnqépc r lanc lor r rc énr i tc | 'Ânr i t r t rê êqf inctrr rmontalê nâr rânn^rt arrv i r {éoc ovnr imÂoc Ainci - Âr i af lar Dhi lnonnhrr . .

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2. Écriture

Jean-Christophe Norman est un artiste qui écrit beaucoup.

Phrase aussi juste que trompeuse. Nous associons habituel lement l 'écr i ture à la product ion de contenus, la product ion d'un textenouveau. Lorsque nous l isons : " Joseph Kosuth et Andrian Piper sont des art istes qui écr ivent beaucoup . , nouS entendons qu' i lsexpriment des pensées dans leurs écr i ts. L 'écr i ture est instrumentale par rapport aux idées exprimées. Ainsi , " Art af ter Phi losophy.de Kosuth peut être imprimé et réimprimé, traduit et reproduit , prat iquement sans pertes. Ce qui compte est moins la forme que lecontenu, les idées et éventuellement le choix des mots.

Le phi losophe Nelson Goodman indique que l 'écr i ture est un art . al lographique >: nous avons accès à l 'æuvre or iginale Hamlet,que nous la l is ions dans une édit ion de poche à 1Ê ou dans la première édit ion. l l y oppose la peinture comme art " autographique " .selon Goodman, la reproduct ion d'une peinture de Rubens, même indist inguable, ne nous donnerai t pas accès à l 'æuvre or iginale.La peinture est un art autographique, l 'écr i ture un art al lographique.

Revenons maintenant à l 'écr i ture de Jean-Christoohe Norman:

Qu'est-ce qui se passe lorsqu'il réécrit à la main Le Navire de Bois de Hans Hennv Jahnn?

Je pense que nous entrons dans un espace intermédiaire. Si la reproduction est complète et sans erreur - ce qu'on peut supposer - lareproduct ion du texte par I 'art iste nous donne accès à l 'æuvre or iginale. Mais el le fai t plus: tel le une æuvre i l lustrée, où I ' i l lustrateursuperpose une deuxième æuvre à la première, Norman crée par la réécriture une nouvelle ceuvre qui lui est propre. Les manuscritsde Norman perpétuent à la fois une æuvre (cel le de Joseph Conrad et Hans Henny Jahnn respect ivement) et donnent existence àune nouvelle æuvre. L'ceuvre perpétuée est allographique, la nouvelle autographique.

lmaginons maintenant que toutes les éditions des æuvres de Conrad et de Jahnn disparaissent dans une catastroohe culturelleterr ible et que le seulexemplaire du Navire de Bois qui survi t est celui qui a été réécr i t par Norman. Un col lect ionneur quiaurai t acquiscette æuvre pourrait alors faire transférer l 'écrit de Norman pour pouvoir lire le texte de Hans Henny Jahnn sous forme de livre. Cettenottvel le edit ion pourrai t ensuite être réimprimée et sans mention aucune de Norman. l l n 'y aurai t aucune violat ion des droi ts d'auteurt l t l Nort l l r t t t ( lut r tc r ;onccrt tcnt qtrc la forme et non le contenu textuel de son ceuvre. La nouvel le édit ion donnerai t alors à nouveauiro(:r : i ; t I r l t tv tc rkr . I r l r r r r r l 'our ; rvoir i r r : r ; r \ : ; i \ I ' rnrrvrc dc Norman, i l faudrai t a l ler voir le roureau.

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3 Vlslon et voyage

Si quelqu un nous demandait de manière candide : " C'est quoiAu Cæur des Ténèbres ? " on pourrai t dans beaucoup de si lualronr; ,répondre " C'est un l ivre " . Nous associons tel lement le texte à son support que même à l 'époque de la numérisat ion massive, la l t i r t ;oet le livre dominent encore nos habitudes de lecture.

Si notre première impression face aux manuscrits de Norman est que I'on pourrait les lire en continu comme on lit habituellement un lexkrdans un livre, il n'en est en réalité rien. Face à cette masse de texte, nous sommes dépassés. Nous ne voyons que certains passages,des mots apparaissent et disparaissent, nous naviguons dans le texte plus que nous ne le lisons.

Si les æuvres de Jahnn et de Conrad persistent sur les rouleaux, I'accès qu'en a un lecteur est très différent de celui que donne unlivre. On peut même se demander s'il convient de continuer à parler de lecture. La lecture d'un texte n'est possible qu'à une certainedistance et à un angle prédéterminé. C'est d'ailleurs I'une des raisons pour lesquelles les visiteurs des musées se tassent et se gênenttoujours plus lorsqu'ils lisent les cartels que lorsqu'ils regardent les æuvres (la deuxième rarson étant qu'rls passent généralement plusde temps à lire qu'à voir). Dans la lecture, il faut cesser de voir (le noir des mots), dépasser la vision dans la compréhension d'un senspour éventuellement retrouver une vision intérieure.

Le fait que les Sans lrTres de Norman soient manuscrits leur confère une oualité visuelle au-delà de leur oualité textuelle. Leur tailleen rend la lecture continue difficile, voire impossible. Les manuscrits de Jean-Christophe Norman peuvent être perçus de distancesvariables, mais ils sont trop grands pour nous indiquer une distance idéale. Les mots qui se détachent de leur surface lorsque nous nousapprochons résonnent en nous comme s'ils formarent un texte secret enchâssé dans I'ensemble.

Ce texte caché est d'un ordre beaucoup plus personnel que l' intégralité d'un roman: les mots qui m'apparaissent ne sont pas les vôtres.Dans les va-et-vient devant et sur le côté de l' image-mot se créée comme un jeu entre lecture et vision. Ces manuscrits ne demandentpas un spectateur immobile qui contemple, mais un visiteur actif qui se meut physiquement devant et mentalement dans le texte.

Tantôt spectateur tantôt lecteur, ;e visite le texte, je voyage dans le texte. Je pense à Wittgenstein, qui dit que les remarques dans sesRecherches Philosophiques - auxquelles le support du livre convient si peu - sont comme des esquisses de paysage qui rendentcompte de voyages au cours desquels il a souvent touché les mêmes points, les approchant tantôt d'un côté, tantôt d'un autre.

La viston du livre comme carte est familière à Jean-Christophe Norman, voyageur, et qui a si souvent opéré des transferts entre descartes et des espaces réels, connectant des lieux éloignés par ses performances.

Le transfert du texte sur un support différent trouble autant la perception habituelle qu'il permet une appréhension nouvelle. Le " Schriftbild "- terme allemand qui signifie littéralement image d'écriture ou image-écriture - laisse apparaître des régularités de l'écriture de Normanet de Conrad qu'on ne perçoit guère dans le livre où I'on ne voit jamais plus que la double page.

4. Exercice

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Ce texte caché est d'un ordre beaucoup plus personnel que I'intégralité d'un roman: les mots qui m'apparaissent ne sont pas les vôtres.Dans les va-et-vient devant et sur le côté de l'image-mot se créée comme un jeu entre lecture et vision. Ces manuscrits ne demandentpas un spectateur immobile qui contemple, mais un visiteur actif qui se meut physiquement devant et mentalement dans le texte.

Tantôt spectateur tantôt lecteur, je visite le texte, je voyage dans le texte. Je pense à Wittgenstein, qui dit que les remarques dans sesRecherches Philosophiques - auxquelles le support du livre convient si peu - sont comme des esquisses de paysage qui rendentcompte de voyages au cours desquels il a souvent touché les mêmes points, les approchant tantôt d'un côté, tantôt d'un autre.

La vision du livre comme carte est familière à Jean-Christophe Norman, voyageur, et qui a si souvent opéré des transferts entre descartes et des espaces réels, connectant des lieux éloignés par ses performances.

Le transfert du texte sur un support différent trouble autant la perception habituelle qu'il permet une appréhension nouvelle. Le " Schriftbild "- terme allemand qui signifie lrttéralement image d'écriture ou image-écriture - Iaisse apparaître des régularités de l'écriture de Normanet de Conrad qu'on ne perçoit guère dans le livre où I'on ne voit jamais plus que la double page.

4. Exercice

Si Norman s'oppose à I'idée que son travail relève de I'ordre d'un exercice spirituel, il est évident que la patience et la persévéranceavec laquelle il le poursuit sont hors du commun. Le geste de réécriture de Norman est tellement archaïque qu'il évoque les monastèresdu Moyen-Âge plus que l'époque des livres électroniques.

Que Norman marche pendant 24 heures sans trêve, écrive le temps pendant une nuit, recopie un roman à la main ou passe une journéeà recouvrir de graphite une page de journal, il accomplit à chaque fois quelque chose dont peu de gens seraient capables. ll court lerisque de se voir supplanter le mérite du travail au mérite artistique, Car si I'ouvrier ne voit dans l'art souvent que le travail, " le respectmoral tenant lieu d'admiration esthétique " (Bourdieu et Darbel, L'amour de I'art), ce danger est d'autant plus grand que le travail estquantitativement important.

Si le respect pour I'ouvrier paraît au prime abord déplacé quand on parle d'art, il " reste à décider si regarder une æuvre d'art commeeffet d'un travail n'est pas une appréciation aussi valable que l'" admiration esthétique " " (Jean-Claude Lebenszleijn, Zigzag). Si I'exploitou l'exercice sont renvoyés aux coulisses par Norman, ils sont souvent nécessaires à son travail. Pour éviter que le regard se tourne tropvers le travail (si c'est là quelque chose qu'on veut éviter), il n'y a que le pouvoir esthétique, sensible et conceptuel. Quand une æuvreest riche de sens et de sensations, le travail n'importe plus. Et c'est cette richesse qui caractérise les nouvelles æuvres de Norman etque je veux développer ici.

5 Tlanslerts

Ârr rft ' r l rrr l t lr l)1" :;rr 'r :kr, ; \ urr rnoment où le monde (du web) s' interroge sur la question de savoir si le nouveau ipad de Applerr"nl ) l ;rr lr ;r lo Krrrt l l rr r lArrr;r/orr <trrrrs lc domaine du e-book et si ce même Amazon vend plus de l ivres électroniques qu' imprimés

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ce transfert ne donne pas simplemenl une nouvel le exislence au textc. le texle passe du domaine du l is iblc dirrx; t ;c l t rr r I r vr: ; r l r lc l r rreproduction du texte de Conrad ressemble plus à un dessin énorme ou à une carte du monde qu'à un livre.

Les rnanuscrlfs de Norman prolongent ainsi les travaux de transfert que Norman poursuit depuis plusieurs années, reproduisant leslimites d'une ville dans une autre ou reliant différentes villes par une marche discontinue mais suivant une ligne précise (ConstellationWalks,2008).

Si les photographies et vidéos produites lors de ces déplacements doivent beaucoup au hasard et à I' intuition, le chemin choisi enamont n'avait rien de vague ou de personnel et est entièrement structuré par un protocole (par exemple: marcher en suivant les limitesdu plan d'une ville dans une autre). La tension entre précision et hasard, protocole et démarche intuitive est structurante pour le travailde Norman, et fait surface à plusieurs endroits dans I'exposition.

Son travail ressemble à cet égard à celui de Hanne Darboven, artiste allemande décédée en 2009, qui réécrivait souvent de longs textes,pratiquement sans modifrcation et intervention personnelle, sur des feuilles standards. Comme celui de Norman, qui n'apparaît jamaisdans ses vidéos, I'engagement personnel de Darboven apparaît simplement dans l'æuvre ou " entre les lignes ", malgré et à l' intérieurdu protocole. Ainsi Darboven a pu remplir chaque jour d'un agenda de I'année 1987, de lignes ondulées et de calculs simplistes pourl'offrir à son ami Leo Castelli (Birthday Gift, 1987). Si l 'æuvre apparaît d'abord " en bloc ", difficile d'approche, la découverte d'undétail en transforme la lecture: I'unique jour où les lignes s'interrompent est le jour de l'anniversaire de son ami, où Darboven annote" Leo's birthday ". Le cadeau est celui de son temps d'écriture et d'un calendrier où aucun autre événement n'a trouvé place. Le gesteprotocolaire et abstrait se charge ainsi d'un poids personnel et intime. Je pense que quelque chose d'analogue est en æuvre danscertains travaux de Norman. Par sa performance Transplant Journey,2009, au Centre d'Art Transplant à Dale en Norvège, Normana relié une marche prétracée à un événement essentiel de sa vie personnelle, une greffe des poumons qu'il a reçue ily a plus de 10ans et qui avait mis fin à sa carrrère d'alpiniste professionnel. Pour Transplant Journey,2009, il a ainsi traversé le paysage des Fjordssuivant une ligne tracée sur une carte qu'on lui avail envoyée en amont, et qui reprenait la cicatrice de I'opération qu'il avait subie poursa transplantation. Cet acte charge les nombreux transferts dans son ceuvre d'un poids supplémentaire, sans pourtant en constituer unsens essentiel ou unioue.

6. Recouvrements (Négations)

Plusieurs des æuvres que Norman présente dans La Correction de I'Atlas impliquent un recouvrement, et donc une forme denégation. ll a ainsi recouvert de graphite L'æuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique,livre dans lequel Walter Benjaminthéorise la perte de I'aura subie par l 'æuvre d'art à l 'époque de sa reproductibilité technique. L'aura, nous dit Benjamin, n'existe qu'àcondition oue l'æuvre soit unioue.

Les gestes de recouvrement de Norman évoquent un geste bien antérieur: celui de Robert Rauschenberg qui avait demandé à WillemDe Kooning de lui donner un dessin qu'il pourrait effacer. L'ceuvre Erased De Kooning Drawing (1953) ainsi produite est devenue uneicône de I'art contemporain, interprétée et réinterprétée pendant des années, et dont le geste est repris et rejoué par les artistes jusqu'àaujourd'hui. Au contraire de ce qu'une première lecture suggère, Rauschenbero a sorrlioné or rÊ côn offanoman+ A+^i+ ̂ r'tiq-^': ̂ -

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suivant une ligne tracée sur une carte qu'on lui avait envoyée en amont, et qui reprenait la cicatrice de l'opération qu'il avait subie poursa transplantation. Cet acte charge les nombreux transferts dans son æuvre d'un poids supplémentaire, sans pourtant en constituer unsens essentrel ou unioue.

6. Recouvrements (Négations)

Plusieurs des æuvres que Norman présente dans La Correction de I'Atlas impliquent un recouvrement, et donc une forme denégation. ll a ainsi recouvert de graphite L'æuvre d'art à l 'époque de sa reproductibilité technique,livre dans lequel Walter Benjaminthéorise la perte de I'aura subie par l 'æuvre d'art à l 'époque de sa reproductibilité technique. L'aura, nous dit Benjamin, n'existe qu'àcondit ion que l 'æuvre soi t unique.

Les gestes de recouvrement de Norman évoquent un geste bien antérieur: celui de Robert Rauschenberg qui avait demandé à WillemDe Kooning de lui donner un dessin qu'il pourrait effacer. L'æuvre Erased De Kooning Drawing (1953) ainsi produite est devenue uneicône de I'art contemporain, interprétée et réinterprétée pendant des années, et dont le geste est repris et reloué par les artistes jusqu'àaujourd'hui. Au contraire de ce qu'une première lecture suggère, Rauschenberg a soul igné que son effacement étai t . célébrul ien . plusque " négation ". C'est quelque chose qui relie le travail de Rauschenberg à la plupart des reprises. J'ai essayé de condenser I' idéeparadoxale d'une célébration ou affirmation par la négation dans le néologisme Négaffirmation. Et le choix du terme Cover (qui signifie àla fois " recouvrir " €t " Ieorefldre ") comme titre de la série des recouvrements de Norman intèore cette ambivalence.

Dans un dialogue entre un critique et I'artiste, Rauschenberg aurait répondu : " Je ne crois pas " à la question de savoir s'il était nécessaired'aller voir le dessin effacé. Ce qui importait était que . ça avait été fait ". Le résultat sensible n'était qu'une trace, une preuve, el n'avaitpas beaucoup d'intérêt en lui-même. En ce sens, on pourrait dire que l'effacement par Rauschenberg était un " geste conceptuel ".

Qu'en est- i ldes recouvrements de Norman?

On peut d'abord constater que si Norman et Rauschenberg font disparaître l'æuvre originale, leurs processus sont opposés: la négationde Norman opère par un surplus - un trop - de matière (graphite) alors que Rauschenberg opère un retrait.

Par ailleurs, les ceuvres recouvertes par Norman (que ce soit le livre de Benjamin ou les pages de journal dans la série Cover) ne sont pasuniques. La radicalité du geste de Rauschenberg tenait au fait qu'il détruisait I 'ceuvre unique d'un artiste reconnu. Le geste de Normann'a pas cette violence car les æuvres qu'iltouche sont, justement, reproductibles, ce qui donne nécessairement un sens différent à sone,oslc.

l i r I r ' l l , rc l rnr ,n l ; r l ; r r lorrrrnc c l ; l r ; l l r i rcrrrcrr l la l racc d ' r rn geste humain, laspect poussiéreux et uni forme du recouvrement du l ivre del i 'n l , r t r r rn 1r,r t Nr)r nr , r r l ) r , r nr l l ( l r , ' , h,r l r r t r , : l r r r r l l r l rkr : l Srrrr ; phrs r f informal ions, cet objet semblerai t nous raconter quelque chose. On

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Au contraire du Erased De Kooning Drawing où on pouvait se demander quel type de dessin avait été effacé et s'imaginer des dessinspossibles, l'æuvre de Norman ne nous interroge pas sur ce qui a été recouvert - on le sait parfaitement - mais peut nous amener àimaginer les situations où un tel recouvrement se serait produit et ce que cela voudrait dire.

Au-delà de son potentiel narratif, quel sens peut-on donner à l'æuvre?

Recouvrant le livre, Norman opère une négation, mais la question est de savoir s'il nie le contenu ou le support. Benjamin, quithéorisaitune nouvelle époque, celle de la reproductibilité technique, serait-il devenu poussiéreux, dépassé par le temps? Le livre, en tantqu'objet culturel, serait-ilvoué à la disparition? L'ceuvre de Norman, annoncerait-elle la fin de la reproduction technique telle que nous laconnaissons, voire son dépassement par les nouvelles technologies? Flottant entre narration et concept, affirmation et négation, l'æuvreest tout sauf univoque. Le geste manueldu recouvrement s'oppose à I'art reproductible et, paradoxalement, le livre, objet reproductiblepar excellence, retrouve ici l'aura propre aux ceuvres uniques.

7 . Apparition (lmaginaire)

La série Cover part. elle aussi d'un recouvrement. Mais la précision de celui-ci est telle qu'il n'y a pas lieu à imaginer une histoire.Pourtant, I'imaginaire y joue un rôle essentiel

ll s'agit de photographies d'æuvres et de performances iconiques d'art contemporain. D'une part elles ont eu lieu en'1968 et d'autrepart elles ont été reproduites dans une publication d'art italienne, imprimée sur du papier journal en 2008. Nous y retrouvons notammentMao de Gerhard Richter, Slow Angle Walk de Bruce Nauman, ou Pile de Barry Flanagan. Lors d'un voyage en ltalie, Norman a trouvé cejournal et I'a ramené chez lui, sans trop savoir ce qu'ilvoulait en faire. C'est en 2009, qu'il a commencé à recouvrir les pages de graphite.

Lorsque Norman m'avait décrit cette série pour la première fois, je n'avais pas été certain de devoir la voir pour la comprendre. Ceci étantdit, I 'expérience sensible à l 'æuvre produit un impact quiest indéniable. Pourquoi?

Au prime abord, il s'agit, là encore, d'une négation. On pourrait penser à une tentative de tuer les pères, certes. Mais il y a beaucoupplus à voir qu'à penser.

L'effet du recouvrement est tel que les images apparaissent et disparaissent tour à tour et de façon multiple lorsqu'on se meut devant lesdessins. Là encore, nous parlons d'un visiteur, nécessairement mobile et qui tente différentes perspectives, dont chacune révèle un nouvelaspect du travail. Les Cover de Norman nous poussent à sortir du rapport frontal qui détermine habituellement notre rapport aux images.Elles recèlent de multiples images potentielles (Dario Gamboni, Potential lmages), qu'un visiteur doit co-créer. Par le recouvrement, laphotographie à peine visible de Norman acquiert ainsi une ambivalence que la photographie originale n'a pas.

Si la légende claire entre en conflit avec les images vagues - comme les lignes claires des marches de Norman entrent en conflitavec les événements et obstacles imprévisibles qui y apparaissent - elle n'arrive pas à en rétablir I'univocité. Rendant impossible lareconnaissance immédiate du représenté, Norman réintroduit cette part d'imaginaire que la photographie documentaire tend à bloquer

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Mao de Gerhard Htcnter, Slow Angle walK oe bruce Nauman, ou l'|rc Qe barry Franagan. LOrs u ul t vuyage et I traile, t\ur | ildr I il r.r uuve uujournal et l 'a ramené chez lui, sans trop savoir ce qu'il voulait en faire. C'est en 2009, qu'il a commencé à recouvrir les pages de graphite.

Lorsque Norman m'avait décrit cette série pour la première fois, je n'avais pas été certain de devoir la voir pour la comprendre. Ceci étantdit, I 'expérience sensible à l'æuvre produit un impact quiest indéniable. Pourquoi?

Au prime abord, il s'agit, là encore, d'une négation. On pourrait penser à une tentative de tuer les pères, certes. Mais il y a beaucoupplus à voir qu'à penser.

L'effet du recouvrement est tel que les images apparaissent et disparaissent tour à tour et de façon multiple lorsqu'on se meut devant lesdessins. Là encore, nous parlons d'un visiteur, nécessairement mobile et qui tente différentes perspectives, dont chacune révèle un nouvelaspect du travail. Les Coverde Norman nous poussent à sortir du rapport frontalquidétermine habituellement notre rapport aux images.Elles recèlent de multiples images potentielles (Dario Gambon| Potential lmages), qu'un visiteur doit co-créer. Par le recouvrement, laphotographie à peine visible de Norman acquiert ainsi une ambivalence que la photographie originale n'a pas.

Si la légende claire entre en conflit avec les images vagues - comme les lignes claires des marches de Norman entrent en conflitavec les événements et obstacles imprévisibles qui y apparaissent - elle n'arrive pas à en rétablir l 'univocité. Rendant impossible lareconnaissance immédiate du représenté, Norman réintroduit cette part d'imaginaire que la photographie documentaire tend à bloquerparce qu'elle essaie de tout donner à voir. L'engagement que les Covers demandent aux visiteurs est similaire à celui des anamorphoses,où une image cache une autre et où les déplacements du visiteur deviennent productifs.

8. Peinture

Si les anamorphoses montrent deux images figuratives concurrentes, les Covers ressemblent à des monochromes qui cacheraientune image figurative ambivalente, et leur reproduction ressemble à celle des petntures de Rothko. Comme dans les peintures deRothko, leur complexité est difficilement accessible à travers une reproduction. Les Covers, perçus comme monochromes, sont commeI'incarnation de I'un des aspects qui a été essentiel dans la genèse du monochrome: il s'est défini par opposition à la frguration. Lesmonochromes de Norman - qui résultent du recouvrement de I'image figurative par excellence, la photographie - nous mettent cetteopposition devant les yeux, et semblent suggérer de manière espiègle que le recouvrement ne peut jamais être total : monochromes deface, ce sont des images figuratives vues de côté

On est tenté de dire qu'une couche de peinture relie les nouvelles æuvres de Norman en profondeur et si le texte des æuvres de Jahnnet Conrad est donné à voir plus qu'à lire, c'est aussi que leur format est un format de peinture plus que d'écriture.

Porrrlanl, I 'ccuvrc ou celte parenté est la plus frappante n'est pas une ceuvre sur papier: il s'agit de la vidéo la dérive, 2008. L'expériencerkr <;clto irrriu;c rlc la rncr qtri disparaît presque dans la pénombre ressemble à celle que nous pouvons avoir en voyant les peinturesr| l ' l r r t t r r , t

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9Ê titte (Le navhe de bois Hentry Jahnn), 200 x 300 cm, encre sur papier, Jean-Christophe Norman 2010.

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Sansttue(LenavircdeboisHennyJahnn),détail,2OOx3OOcm'encresurpapier'Jean-ChristopheNorman20l0

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Covet - Gerhard Richter Mao 1968, 26 5 x 38 cm graph te sur paprer Jean Christophe Norman 2010