jacques pialoux et abelle vinel - médecine de l’ancienne egypte et médecine traditionnelle...

44
Abelle Vinel et Jacques Pialoux Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise Conférence donnée au Congrès du R.E.F.S. (Registre Européen et Français de Sinergétique) à Aix-en-Provence le 31 octobre 2005 © Fondation Cornelius Celsus 1976 Erde - CH 2005

Upload: raskar-asar

Post on 28-Oct-2015

190 views

Category:

Documents


6 download

TRANSCRIPT

Page 1: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

Abelle Vinel et Jacques Pialoux

Médecine de l’Ancienne Egypte

et Médecine Traditionnelle Chinoise

Conférence donnée au Congrès du R.E.F.S. (Registre Européen et Français de Sinergétique)

à Aix-en-Provence le 31 octobre 2005

© Fondation Cornelius Celsus 1976 Erde - CH 2005

Page 2: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise
Page 3: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

Table des matières

Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise 3

Introduction 5 Les Sources principales: Papyrus et Bas-Reliefs 7

Statut des Médecins 11

Mythes, Incantations et Magie 15

Anatomo-Physiologie I: Energétique 21

Anatomo-Physiologie II: Denderah 27

Anatomo-physiologie III: Haty et Ib 31

Facteurs pathogènes 35

Thérapeutique 39

Bibliographie 43

Page 4: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise
Page 5: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

Introduction

La médecine des anciens Égyptiens est celle sur laquelle nous possédons des documents authentiques remontant à plus de quatre millénaires. Elle jouissait d’une immense renommée et, comme le phare d’Alexandrie, elle illumina le monde antique: Cyrus et Darius appelèrent à leur cour les méde-cins du Pharaon. Homère, Hérodote, Strabon, Diodore de Sicile en font men-tion; Théophraste, Galien, citent des formules thérapeutiques égyptiennes.

Au cours de cet exposé sur la Médecine égyptienne, nous verrons donc tout d’abord quelles sont les sources dont nous disposons à son sujet; puis, quels étaient la formation et le statut des médecins en Egypte antique.

Nous appuyant sur ces données, nous aborderons l’anatomo-physiologie et, parallèlement, «l’énergétique» égyptienne en parallèle avec l’énergéti-que traditionnelle chinoise.

Enfin nous découvrirons les principaux facteurs pathogènes ainsi que les traitements appliqués aux malades tels qu’ils sont décrits dans la littérature médicale de l’époque.

Cet ensemble est suffisamment vaste pour que nous ne puissions aborder l’aspect chirurgical de la médecine égyptienne, ce qui dépasserait d’ailleurs largement le cadre de cet exposé.

Page 6: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise
Page 7: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

Les Sources principales: Papyrus et Bas-Reliefs

Lorsque l’on aborde la médecine égyptienne, les seules sources écrites dont nous disposons sont celles des papyrus médicaux rédigés pour la plupart en hiératique, la forme d’écriture des prêtres. Cependant quelques peintures murales, l’étude des momies, quelques ostraca ou encore certains bas-reliefs, en particulier ceux du plafond de la salle hypostyle du temple de Denderah, apportent un certain nombre de précisions ou de confirmations sur les connaissances des médecins égyptiens.

Papyrus Ebers

Page 8: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

8 MÉDECINE DE L’ANCIENNE EGYPTE

Il semble qu’à l’origine, 42 livres de Thot Djehouty, l’Hermès Trismégiste grec, composaient une sorte de cosmologie, encyclopédie officielle religieu-se, une «philosophie» regroupant les trois connaissances, Théologie, Astro-logie et Médecine. Ils étaient conservés dans les bibliothèques des «Maisons de Vie», institutions de haut savoir situées à proximité des grands temples. Ces Maisons de Vie accueillaient des savants, des lettrés, des scribes, des prêtres-médecins, tous philosophes voués à la réflexion, à la recherche et à la méditation.

D’après Clément d’Alexandrie, les six derniers des 42 ouvrages de Thot concernaient la science médicale; ils portaient les titres suivants: • Delaconstitutionducorpshumain• Desmaladies• Desorganes• Desmédicaments• Desmaladiesdesyeux• Desmaladiesdesfemmes

Les ouvrages de cette bibliothèque n’existent plus depuis longtemps, mis à part la fameuse «Table d’Emeraude» d’Hermès Trismégiste et peut-être le «Shaï-en-sinsin» Livre des Respirations1 traitant de la réincarnation. Sans doute le «Livre des Morts» lui-même en provient-il également, ainsi qu’une traduction latine du «Logos teleios», le Discours parfait, dont l’original grec cité par Lactance (Div. Instit. VII. 18) a disparu: «Asclepius ou Hermetis Tris-megisti Asclepius, sive de natura deorum dialogus. »

Thot Djehouty

Attribuée à Apulée de Madaure, cette traduction d’un dialogue entre Her-mès et son disciple Asclépios, traite particulièrement de la nature de Dieu: «Aucune de nos pensées dit Thot-Hermès à son disciple, ne saurait conce-voir Dieu, ni aucune langue le définir. Ce qui est incorporel, invisible, sans forme, ne peut être saisi par nos sens; ce qui est éternel ne peut pas être mesuré par la courte règle du temps: Dieu est donc ineffable. Il est la vérité

1 Texte, traduction et analyse par P.J. de Horrack - Ed. Klincksieck Paris 1877 et Arbre d’Or - Ge-nève 2005

Page 9: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

LES SOURCES: PAPYRUS ET BAS-RELIEFS 9

absolue, le pouvoir absolu; et l’immuable absolu ne peut être compris sur la terre…»2. Ce texte tendrait à prouver que les «Neterou» que nous consi-dérons classiquement comme les «dieux» égyptiens ne sont sans doute pas des dieux, mais des attributs ou des expressions du Dieu unique; ils seraient alors à considérer en tant que Puissances de la Nature pouvant intervenir sur la santé des hommes.

Papyrus Ebers

On peut supposer qu’il demeure certains fragments des livres de Thot-Hermès repris dans les papyrus que nous connaissons. C’est d’ailleurs ce que pensait Ebers, un grand égyptologue du XIXe siècle, du papyrus médi-cal qu’il acheta, en 1873, à un Arabe qui l’aurait trouvé 10 ans auparavant entre les jambes d’une momie.

Il existe ainsi une quinzaine de papyrus médicaux dont le plus ancien est le papyrus de Kahoun rédigé vers 2000 avant J.C. Les plus importants d’en-tre eux sont le papyrus de Berlin, le papyrus chirurgical Edwin Smith et le papyrus Ebers lui-même3.

Conservé à Leipzig, daté de 1.550 avant J.-C, ce dernier papyrus, traité scientifique le plus complet que nous connaissions, comporte des copies de traités remontant au moins au début du troisième millénaire av. J.-C.

Ces papyrus portent en général le nom de leur «découvreur», du lieu d’où ils proviennent ou encore du lieu où ils sont conservés. Il faut noter à ce pro-pos que les auteurs des papyrus médicaux ne sont eux-mêmes jamais cités4. La rédaction des papyrus est le plus souvent attribuée à une transmission divine à laquelle chacun se réfère.

C’est à Thot Djehouty, messager de Râ, «le scribe excellent, aux mains pures, maître de pureté, qui chasse le mal, qui écrit ce qui est exact5…» que

2 Cité par Ernest Bosc in Isis Dévoilée ou l’Egyptologie sacrée – Nice 1891 et Arbre d’Or – Genève 2005 3 Papyrus Ebers, transcription, translittération, traduction: Dr. Bernard Lalanne et Sylvie Griffon 2003. Les citations "Papyrus Ebers" qui suivent sont extraites de cet ouvrage.4 La Médecine au temps des pharaons – p. 216 – Bruno Halioua 20025 Le Livre des Morts des Anciens Egyptiens (chap. 182).Trad. Paul Barguet. 1967

Page 10: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

10 MÉDECINE DE L’ANCIENNE EGYPTE

revient bien souvent cet honneur… Ou bien encore à Imhotep, «Grand mé-decin des dieux et des hommes» qui vécut vers 2700 av. J.-C., sans doute à Memphis résidence du roi Djezer, deuxième pharaon de la troisième dynas-tie. Imhotep fut déifié, nous dirions sans doute aujourd’hui canonisé, seize siècles plus tard. Vizir, grand prêtre d’Héliopolis, il fut également architecte de la pyramide à degrés de Saqqarah. Patron des scribes, magicien, guéris-seur, il était le chef du clergé et des médecins de l’époque.

Ceci nous amène tout naturellement à parler du statut des médecins et de leur formation dans l’Egypte antique.

Page 11: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

Statut des Médecins

Trois types principaux de praticiens coexistent dans l’Egypte antique:• LesOuabou, prêtres-médecins, médecins de la Cour du Pharaon• LesSounou, médecins du peuple • LesSaou, magiciens, sorciers, rebouteux

Les ouabou, prêtres exorcistes attachés au culte de Sekhmet ou à celui de Thot, soignent l’aristocratie et le Pharaon lui-même. La médecine que pratique l’ouab s’appuie sur la religion en même temps que sur les textes médicaux sacrés, car il tient de Dieu, de Râ et de ses Avatars, mais aussi de ses Neterou, les Puissances de la Nature, le pouvoir de guérir.

Les sounou, les médecins du peuple, «médecins aux pieds nus», exercent auprès des plus humbles et tirent leurs connaissances des livres et de leur pratique empirique.

Les saou, disciples de Serqet le Neter-scorpion, à la fois magiciens, sor-ciers et rebouteux, luttent contre les puissances invisibles à l’origine des maux inexplicables ou contre les atteintes dues aux scorpions, aux ser-pents… Ils soignent à l’aide de formules, d’incantations, d’amulettes...

Formation des médecins

D’après Hérodote6: «La médecine est, chez eux (les Egyptiens), divisée en spécialités: cha-

que médecin soigne une maladie, et une seule. Aussi le pays est-il plein de

6 Hérodote II, 84: Hérodote - traduction d'Andrée Barguet 1964

Page 12: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

12 MÉDECINE DE L’ANCIENNE EGYPTE

médecins, spécialistes des yeux, de la tête, des dents, du ventre, ou encore des maladies d’origine incertaine.»

Diodore de Sicile écrivait de son côté: «Ils établissent le traitement des malades d’après des préceptes écrits,

rigides et transmis par un grand nombre d’anciens médecins célèbres. Si, en suivant les préceptes du livre sacré, ils ne parviennent pas à sauver le ma-lade, ils sont déclarés innocents et exempts de tout reproche. S’ils agissent contrairement aux préceptes écrits, ils peuvent être accusés et condamnés à mort.»

Ainsi, même si les incantations et les amulettes, comme la croix de Vie Ankh, représentent une part importante de la médecine, celle-ci s’appuie sur l’utilisation de formules thérapeutiques précises utilisant particulièrement des minéraux, des plantes et des produits animaux. Nous allons en reparler dans un instant. En règle générale, l’approche médicale reste d’ordre pure-ment symptomatique. Elle comporte un diagnostic, un pronostic d’affection curable – avec l’indication d’une formule thérapeutique – ou incurable, avec celle des incantations et amulettes à utiliser dans ce dernier cas.

Sekhmet

Par ailleurs, il existe déjà une réglementation de la profession médicale: «Grand des médecins du palais», sous l’égide de Thot-Djehouty, le méde-

cin personnel de Pharaon est le chef de tous les médecins – et des prêtres – de Haute et de Basse Egypte, ainsi que nous l’avons vu pour Imhotep. Nous dirions aujourd’hui qu’il est «président du conseil de l’ordre».

Les médecins de la Cour de Pharaon, les ouabou, sont particulièrement chargés, en reprenant les anciens textes, de la rédaction des livres médicaux destinés à l’enseignement dans les «maisons de vie» et à la formation des médecins du peuple, les sounou.

La transmission du savoir médical s’effectue d’abord oralement, de père en fils. La formation peut ensuite, pour les ouabou, les prêtres-médecins, être complétée dans «les maisons de vie», véritables universités de l’époque, qui, en plus de praticiens de haut niveau, comptent des copistes, des scribes, ca-pables de déchiffrer et de transcrire sur papyrus les textes anciens.

Page 13: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

STATUT DES MÉDECINS 13

Les principales maisons de vie se trouvent toujours à l’ombre des grands temples: entre autres, à Héliopolis, Saïs, Memphis, Thèbes… Les élèves, eux, sont traités à la dure: l’adage «l’oreille du garçon est sur son dos, il écoute quand on le bat»7 justifie l’emploi fréquent du bâton!

Cependant, pour toutes les catégories de thérapeutes, qu’ils soient prê-tres-médecins, «médecins aux pieds nus» ou magiciens-rebouteux, le my-the religieux demeure présent en toile de fond de toute approche de la ma-ladie.

7 La Médecine au temps des pharaons – p. 31 – Bruno Halioua 2002

Page 14: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise
Page 15: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

Mythes, Incantations et Magie

Le mythe religieux repose particulièrement sur le thème de «la querelle entre Horus et Seth»8, entre le bien et le mal, querelle faisant suite à la mort d’Osiris.

Osiris était fils de la Vierge Nout, fécondée par l’Esprit divin, Toum. Se-lon la légende, Osiris fut assassiné par son demi-frère Seth. Seth jeta alors le cercueil d’Osiris à la mer. Les flots le portèrent jusqu’aux rives du Liban. C’est là qu’Isis, sa sœur-épouse, le retrouva, pris dans les racines d’un aca-cia, et le ramena en Egypte.

Cependant, profitant d’une absence d’Isis, Seth réussit à s’emparer du cadavre d’Osiris, et, afin d’en être définitivement débarrassé, le découpa en quatorze morceaux qu’il dispersa dans le delta du Nil. Isis parvint à les retrouver tous, sauf un, le phallus dévoré par l’oxyrinque, le pagre et le lé-pidote, trois poissons alliés de Seth. Elle réunit alors les fragments de la dépouille d’Osiris et, avec l’aide de Nephtys sa soeur, ramena celui-ci à la vie par des pratiques magiques. Osiris devint alors le Maître de la Douat, le lieu de séjour des morts.

Horus, fils d’Isis et d’Osiris, va tenter, au cours de neuf épreuves, de ven-ger son père et de reconquérir son trône usurpé par son oncle Seth. Arché-type de l’homme sur le sentier de l’évolution, Horus, aidé par Isis sa mère, démontre alors la suprématie de l’esprit capable de dominer progressive-ment la matière.

8 Papyrus Chester Beatty No 1, XXe dynastie, règne de Ramsès V. Gustave Lefebvre: Romans et contes égyptiens de l'époque pharaonique. 1982.

Page 16: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

16 MÉDECINE DE L’ANCIENNE EGYPTE

Formules de protection pour le prêtre ouab de Sekhmet

C’est sur ce canevas mythique que sont bâties les formules magiques de protection du médecin. Le papyrus Ebers débute avec trois de ces formules.

Dans la première, le médecin s’adresse à Rê, au Principe divin lui-même:Ebers 1, 1 à 11:«Début de la formule concernant l’application d’un remède sur toute par-

tie du corps d’un homme: «C’est d’Héliopolis que je suis sorti avec les Grands du Grand Temple,

les possesseurs (des moyens) de protection, les souverains de l’éternité, et assurément, c’est de Saïs que je suis sorti avec la mère des dieux. Ils m’ont donné leurs moyens de protection…

«J’appartiens à Rê et il a dit: «C’est moi qui le protège contre ses ennemis, Thot est son guide, lui qui fait en sorte que parle l’écrit, qui fait les recueils (médicaux), lui qui donne le pouvoir aux savants et aux médecins qui sont dans sa suite, de délivrer (de la maladie). Celui qui est aimé de Dieu, il le gardera en vie.» Je suis un aimé de Dieu, il me gardera donc en vie.

«Parole à dire lors de l’application d’un remède sur toute partie du corps d’un homme qui est souffrante, une méthode véritablement efficace un mil-lion de fois.»

Il faut comprendre ici, non pas que le médecin est malade, mais que les puissances du mal l’assaillent et entrent dans son corps, mettant ainsi sa santé en danger. La conjuration est là pour le protéger.

Osiris

Le deuxième texte concerne la dépose d’un bandage et les dangers qu’en font courir les souillures évoquant la semence-poison de Seth. La formule magique, nouvelle conjuration, consiste à obliger Isis à intervenir en faveur du médecin placé dans une condition donnée, similaire à celle de son fils Horus, et à lui faire croire qu’elle va défendre son fils. Une demande directe lui est adressée. Ebers 2 (1, 12-20) et 2 (2-1):

Page 17: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

MYTHES, INCANTATIONS ET MAGIE 17

«Autre formule pour enlever tout bandage, pour être continuellement dé-livré par Isis:

«Ô Isis, grande de magies, puisses-tu me délivrer de toute chose maligne, mauvaise, rouge, du fait de la menée malfaisante d’un dieu, de la menée malfaisante d’une déesse, du fait d’un mort, d’une morte, du fait d’un oppo-sant, d’une opposante qui viendrait à s’opposer dans moi, de même que tu as délivré et de même que tu as délié ton fils Horus et parce que c’est dans le feu que je suis entré et que c’est de l’eau que je suis sorti, je ne pourrai pas tomber dans le piège de ce jour.»

Une méthode véritablement efficace, un million de fois.»

Il semble que le feu et l’eau dont il est question ici, se réfèrent tout autant aux désirs du bouillant Seth et à sa semence néfaste, qu’au feu de la maladie et à ses sécrétions que seule l’aide d’Isis peut anéantir.

Isis

Un troisième texte intitulé «Formule pour boire un remède» (Ebers 3 [2, 1-6]), accompagne la prise d’une médication. Là encore, le médecin est assi-milé à cet «Horus agissant» rencontré dans la formule magique précédente et que Seth arrive parfois à malmener. C’est que la magie préventive peut être insuffisante, que le mal peut parfois atteindre le médecin et que dès lors l’emploi de la médication se justifie. Cette médication est assortie de mena-ces contre Seth en lui rappelant qu’il fut condamné devant le Grand Tribunal d’Héliopolis et qu’Horus fut acquitté et lavé de tout soupçon de souillure…

Dans certains textes, le malade se voit comparé à Horus. Il s’agit alors de l’Horus tout petit enfant caché par sa mère, incapable de se protéger lui-mê-me «Horus subissant». Ce n’est que plus tard qu’il sera de taille à se mesurer avec les forces du désordre. Il y a donc proximité de fait entre le médecin et son malade, ils combattent ensemble, mais jamais le médecin ne prend sur lui la maladie de son patient.

D’autres textes montrent les rapports particuliers qui lient le malade et son médecin devant un péril commun; ainsi ce passage du papyrus Hearst (160) destiné à conjurer une maladie de la peau et qui est intitulé: «Conjura-tion de la substance-mechepent»:

Page 18: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

18 MÉDECINE DE L’ANCIENNE EGYPTE

«Ecoule-toi ! Ressors ! Toi qui n’auras pas de fruits, éloigne-toi, toi qui n’auras pas de bras en ta possession, tiens-toi donc (aussi) éloignée de moi! Je suis Horus. Recule donc, (car) je suis le fils d’Osiris et les formules ma-giques de ma mère sont la protection de mes différents endroits du corps. (Aussi) aucune chose maligne ne se développera dans ma chair superfi-cielle, aucune substance-mechepent ne sera dans mes différents endroits du corps. Ecoule-toi!»

«(Dire) sept fois. Paroles à dire sur la «conyze». (Ce) sera cuit, moulu et appliqué à cela.»

Horus

Cette conjuration est suivie d’un paragraphe intitulé «son remède (contre la substance-mechepent)» et où est proposée une liste de produits dont on enduira la partie malade: «miel fermenté, oliban sec, graines de coriandre. (Ce) sera broyé avec de la lie de liquide-pa-our. Enduire avec (cela)».

Ces conjurations visent donc en priorité la protection du médecin. Ce n’est que lorsque le médecin sera protégé et immunisé par l’emploi de la conyze, plante probablement destinée à faire fuir le mal du corps du patient et à l’éloigner ainsi du médecin, qu’il pourra mettre sa main sur la souillure à traiter9; notre asepsie moderne en quelque sorte !

Une autre formule permet de repousser les vents-souffles appartenant aux souffles morbides des massacreurs et des incendiaires, ces envoyés de Sekhmet (Smith 18, 11-16):

«Arrière, massacreurs! Aucun souffle ne m’atteindra, de sorte que s’en iront ceux (les démons) qui viennent pour se mettre en colère contre moi. Je suis Horus qui passe au travers des démons errants de Sekhmet!»

«Ô Horus, ouadje (sceptre crochet) de Sekhmet, je suis l’unique, le fils de Bastet. Je ne mourrai pas à cause de toi (Sekhmet).»

«(Ces) paroles (sont) à dire par l’homme (à protéger) qui tiendra à la main une branche d’arbre khed-des. Alors il ira dehors et fera le tour de sa mai-son. Il ne mourra pas du fait de la morbidité annuelle.»

De son côté, le papyrus Brooklyn donne une description très détaillée des

9 Bardinet p. 51

Page 19: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

MYTHES, INCANTATIONS ET MAGIE 19

serpents, tant de leur apparence (Brooklin 28: vipère à cornes…47a: cobra à col noir…) que des manifestations de leurs morsures (Brooklin 60: altéra-tions cutanées… 72a: gonflement… 76: hébétude…), avec pour conjuration:

«Remède pour rendre la santé à celui qui a été blessé par n’importe quel serpent: plante itjerou (Capparis decidua)… Dire sur elle comme formule magique: «Ô cette plante-itjerou qui pousse sur le flanc d’Osiris, provenant des sécrétions corporelles de ceux qui sont dans la Douat, tue le venin de l’abominable (du Rouge, Seth). Que tombe Seth! Que le chat (Bastet) le dé-coupe!»

Seth

Page 20: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise
Page 21: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

Anatomo-Physiologie I: Energétique

Les Metou ou conduits «Met»

Selon Lefébvre (1952 p. 7), le mot «met» a plusieurs sens:Il désigne d’abord les faisceaux de tissus fibreux que nous appelons liga-

ments, et ceux, contractiles, qui forment les muscles.Un autre sens de «met» (le plus fréquent) est «vaisseau» au sens où les

Egyptiens entendaient ce mot10…

Pour Jonckheere (1947 p. 17, n 9):«Met» est un mot anatomique omnibus, désignant pour les Egyptiens

aussi bien les vaisseaux, les tendons, les muscles, que les formations «ca-naliculaires» en général.

Pour Bardinet (1995 p. 64, 65):Le mot égyptien «met» se rapporte aux différents conduits et vaisseaux

du corps.Ce ne sont pas des cordes pleines, ils ne sont là que pour faire passer le

courant dynamique (c’est à dire la source du mouvement, donc comme sys-tème de conduction). Dans les conduits-met du corps passent tous les élé-ments nourriciers, les différents liquides corporels ainsi que le souffle vital.

Dans les papyrus Ebers et Berlin, différentes descriptions sont faites à propos des conduits «met», de leurs emplacements et de leurs trajets.

10 Ne serait-ce pas aussi celui auquel l’entendent les Chinois: conduit pour l’énergie vitale !

Page 22: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

22 MÉDECINE DE L’ANCIENNE EGYPTE

Dans Ebers, dans un premier temps, sont décrits particulièrement les ca-naux-met qui concernent les mucosités et le sang. Il existe ainsi:

• 12 ou 14 canaux-met pour les liquides corporels: • Ebers 854b: Il y a quatre canaux-met dans ses narines: Ce sont deux qui

donnent la sécrétion-nechat, et deux qui donnent du sang. • Ebers 854c: Il y a quatre canaux-met à l’intérieur de ses deux tempes

qui donnent ensuite le sang des deux yeux. • Ebers 854d: Quatre canaux-met se divisent pour la tête, se déversent

dans la nuque et créent ensuite un réservoir, une source de âaâ (sans doute le sébum et la sueur), c’est ce qu’ils forment sur le sommet de la tête.

• Ebers 854e: Quant à ce par quoi les oreilles sont sourdes, ce sont deux canaux-met qui le provoquent et qui conduisent à la racine de l’œil. Autre formulation: quant à ce par quoi les oreilles sont sourdes, c’est ceci: les tempes de l’homme sont atteintes d’un souffle dû à une fuite.

Ceci tendrait à montrer qu’il s’agit en 854e, de deux des quatre canaux des tempes décrits en 854c. On a bien alors 12 canaux-met pour les liquides organiques, un nombre qui nous rappelle celui des 12 méridiens en énergé-tique chinoise.

Cependant, si les deux canaux en 854e sont distincts des douze autres, il s’agirait alors au total de quatorze canaux-met ayant une analogie avec les «14 kaou de Rê», les quatorze aspects spirituels, expressions de Dieu dans l’Univers11. Mais alors, n’oublions pas qu’en énergétique chinoise, on parle aussi de quatorze méridiens: douze méridiens principaux et deux merveilleux vaisseaux, Du Mai, vaisseau gouverneur, et Ren Mai, vaisseau conception. Cette hypothèse est donc à retenir.

Puis, toujours dans Ebers:

• 1 canal-met central • Ebers 855c: …un canal-met dont le nom est «receveur» … donne le

liquide au cœur-haty…

11 Livre des Morts. Chap. 15 op. cité

Page 23: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

ANATOMO-PHYSIOLOGIE I: ÉNERGÉTIQUE 23

On serait tenté de trouver ici des analogies, en médecine traditionnelle chinoise, avec le merveilleux vaisseau Chong Mai, central, analogue au tri-gramme de la Terre, «le réceptif», mais aussi en relation avec la Rate don-nant le «liquide» au coeur, selon «la Voie de l’eau et des céréales»12:

Dans un troisième temps, Ebers donne une autre description concernant cette fois les souffles de vie et de mort. Huit canaux sont ainsi décrits:

• 8 canaux-met pour les souffles de vie et de mort: • Ebers 854f: Il y a quatre canaux-met pour ses deux oreilles, et deux

canaux-met pour son épaule droite et deux pour son épaule gauche. C’est dans son oreille droite qu’entre le souffle de vie, et c’est dans son oreille gauche qu’entre le souffle de mort. Autre formulation: c’est dans son épaule droite que le souffle de vie entre, c’est dans son épaule gauche qu’entre le souffle de mort.

Les huit vaisseaux merveilleux de l’énergétique chinoise trouvent ici une curieuse analogie avec les huit canaux-met des épaules et des oreilles pour les «souffles de vie et de mort», 4 yin à droite et 4 yang à gauche.

D’autant que l’on trouve à leur suite:

• 12 canaux-met pour les bras et pour les jambes: • Ebers 854g: Six canaux-met conduisent aux bras, trois à droite, trois à

gauche, puis conduisent à ses doigts. • Ebers 854h: Six canaux-met conduisent aux jambes, trois pour la jambe

droite, trois pour la jambe gauche, pour atteindre la plante du pied.

Jambes et bras, Yin et Yang: une manière simple de décrire les trois grands méridiens yin bilatéraux qui vont des pieds aux bras et aux mains… et les trois grands méridiens yang bilatéraux qui vont des mains aux jambes et aux pieds, en médecine traditionnelle chinoise.

12 Pour tout ce qui concerne l’énergétique chinoise et l’acupuncture, voir J. P.: "Guide d’Acu-puncture et de Moxibustion" Ed. Fondation Cornelius Celsus.-1976 Erde - CH

Page 24: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

24 MÉDECINE DE L’ANCIENNE EGYPTE

La description des canaux-met se poursuit avec un ensemble en relation avec les productions de l’organisme:

• 22 canaux-met (10+ 12) composent un ensemble en relation avec les pro-ductions liquides ou solides de l’organisme:

• Ebers 854i: Il y a deux canaux-met pour ses testicules: ce sont eux qui donnent le sperme.

• Ebers 854k: Il y a deux canaux-met pour les fesses, un pour une fesse, l’autre pour l’autre fesse.

• Ebers 854l: Il y a quatre canaux-met pour le foie: ce sont eux qui don-nent le liquide et le souffle.

• Ebers 854m: Il y a quatre canaux-met pour la trachée-poumons et pour la rate (également quatre [donc huit au total])13: ce sont eux qui don-nent liquide et souffle.

• Ebers 854n: Il y a deux canaux-met pour la vessie: ce sont eux qui don-nent l’urine.

• Ebers 854o: Quatre canaux-met s’ouvrent pour l’anus: ce sont eux qui donnent ce que produisent pour lui le liquide et le souffle.

Toujours dans Ebers, mais cette fois-ci à propos de la circulation et du traitement des «énergies perverses»-oukhedou, une autre description nous est donnée:

• 12 canaux-met pour le cœur, 22 canaux-met pour distribuer le «souffle»: • Ebers 856b: Douze canaux-met sont dans lui (l’homme) pour son

cœur-haty. Ce sont eux qui donnent le souffle à chaque endroit de son corps.

• Ebers 856c: Deux canaux-met sont dans lui au niveau de la surface de son sein.

• Ebers 856d: Deux canaux-met sont dans lui pour sa cuisse. • Ebers 856e: …Ce sont les canaux-met (2 ?) pour le cou qui ont reçu un

mal… • Ebers 856f: Deux canaux-met sont dans lui pour son bras. • Ebers 856g: Deux canaux-met sont en lui pour sa nuque Deux canaux-met sont en lui pour son front. Deux canaux-met sont en lui pour son œil Deux canaux-met sont en lui pour ses sourcils14

Deux canaux-met sont en lui pour sa narine Deux canaux-met sont en lui pour son oreille droite. C’est en eux qu’en-

tre le souffle de vie. Deux canaux-met sont en lui pour son oreille gauche. C’est en eux

qu’entre le souffle de mort.

De son côté le papyrus de Berlin confirme cette description, toujours à propos des énergies perverses-oukhedou, avec cependant une omission, celle des canaux-met du cou, ce qui réduit leur nombre à 20. Par ailleurs, une modification importante – vingt-deux canaux-met pour le cœur, au lieu de douze – semblerait indiquer une erreur de transcription dans Ebers 856b:

13 Voir Bardinet 1995 p.99 14 Traduction de cette ligne omise dans Lalanne 2002.

Page 25: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

ANATOMO-PHYSIOLOGIE I: ÉNERGÉTIQUE 25

• Berlin 163b: Sa tête (de l’homme) est concernée par vingt-deux des vais-seaux de l’homme. Ils tirent le souffle jusqu’à son cœur-haty et ce sont (donc) eux qui donnent le souffle à chaque endroit du corps.15

Ainsi les vingt-deux canaux-met décrits dans le détail du papyrus Ebers16 correspondraient bien aux vingt-deux canaux (ou vaisseaux) qui «tirent le souffle jusqu’à son cœur-haty…» et qui «donnent le souffle à chaque endroit du corps».

En analogie avec ce que nous venons de découvrir, souvenons-nous sim-plement, en énergétique chinoise, des 10 fonctions/organes et viscères et des 12 méridiens (6 grands méridiens doubles, bilatéraux)… soit au total vingt-deux fonctions !

Cependant, les contradictions relevées dans Ebers comme dans Berlin nous conduisent à nous poser la question suivante: la connaissance s’est-elle progressivement estompée au cours des âges, perdue en partie, ne lais-sant subsister que des bribes de savoir, sans que l’on ne sache plus tout à fait à quoi correspondent les conduits-met: 10 + 12 ou 8 + 12?

En effet, étudié sous un autre angle, Ebers 856b et suivants ainsi que Ber-lin 163b et suivants laissent apparaître une configuration différente des ca-naux-met, celle-ci étant conforme à Ebers 854f-g et h définie plus haut: 8 + 12 = 20. Dans Berlin, il n’est pas question de canaux-met du cou; Ebers qui, de son côté, en fait mention, ne précise pas leur nombre (nous avons supposé qu’il y en avait deux comme pour les autres localisations). Se confondent-ils avec, peut-être, ceux de la nuque? Dans ce cas leur nombre est bien réduit à vingt.

Notons au passage une nouvelle correspondance avec la médecine tra-ditionnelle chinoise, lorsque Ebers 856e précise : «Ce sont les canaux-met pour le cou qui ont reçu un mal…». Il est bien connu que les «fenêtres du ciel», points d’acupuncture situés sur le cou, sont le lieu privilégié de péné-tration des énergies perturbées externes.

Pour clore cette description des canaux-met, dans Berlin (163h) comme

dans Ebers (856h), une même conclusion particulièrement intéressante concerne l’ensemble de ces canaux:

• Ebers 856h: C’est vers le cœur-haty qu’ils (les canaux-met) vont tous, c’est à sa narine qu’ils se divisent, c’est à son anus qu’ils se rassemblent…

On semble nous indiquer ici, comme source et estuaire des canaux-met, le merveilleux vaisseau Gouverneur, Du Mai, de l’énergétique chinoise, dont le trajet, en sens inverse, va de la pointe du coccyx, de l’anus, à la gencive supérieure, au nez, rassemblant et gouvernant, en liaison avec le cœur, l’en-semble des souffles-énergies du corps, !

15 Berlin 163b: Traduction Thierry Bardinet 199516 Ebers 856c à 856g

Page 26: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

26 MÉDECINE DE L’ANCIENNE EGYPTE

Du Mai: Vaisseau Gouverneur

En définitive, les papyrus nous ont donc transmis une vision globale des canaux-met. Mais ils ne rentrent pas dans le détail, pas plus dans leur des-cription que dans les thérapies mises en œuvre: seules précisions, des ré-gions sont signalées au passage, intérieur-ib, cœur-haty, nez, anus, doigts, orteils etc… en relation avec deux grands systèmes, le premier pour la circu-lation des liquides organiques, le second pour celle des «souffles».

Dans le cas des canaux pour les souffles, leur organisation, selon diffé-rents points de vue, semble bien être la même, ainsi que nous l’avons dé-couvert, que celle des énergies en médecine traditionnelle chinoise: • Huitcanaux-met pour les souffles de vie et de mort, analogues aux huit

merveilleux vaisseaux.• Sixgrandscanaux-met bilatéraux, trois allant aux mains et trois aux pieds,

comme les six grands méridiens bilatéraux. • Vingt-deuxcanaux-met pour tout le corps, analogues, là encore, aux dix

fonctions internes des organes et des viscères, et aux douze fonctions externes des méridiens.

Les médecins égyptiens avaient-ils une connaissance plus détaillée des fonctions propres à chacun de ces vaisseaux? A priori, il ne semble pas. Mais la découverte de nouveaux papyrus pourrait, bien entendu, tout remet-tre en question.

Page 27: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

Anatomo-Physiologie II : Denderah

Voyons maintenant l’enseignement qui nous est apporté par les bas-re-liefs du plafond, dans la salle hypostyle du grand temple de Denderah17. L’un des soffites ou caissons de ce plafond décrit, sous une forme allégorique, mais avec certaines précisions supplémentaires, la constitution de l’homme telle que nous venons de la découvrir dans les textes des papyrus médi-caux.

Traditionnellement, la lecture de ces bas-reliefs devait s’effectuer de droite à gauche, ce qui permettait de remonter des effets aux causes, de la constatation de ce qui est apparent à la découverte de ce qui est voilé dans l’ombre des origines. Cependant, pour une meilleure compréhension étant donné notre mode de pensée actuel, nous avons procédé à une lecture de gauche à droite, dans un développement allant des origines des choses à leur aboutissement.

Dans une partie du deuxième caisson18, (partie représentée ci-dessous sur deux lignes, pour une meilleure visibilité), Horus et Hathor, sous un naos, et dans une seconde barque, Ihi, leur fils, Maître de la musique, de l’harmonie, de la gamme cosmique, président à la création de l’Homme. A l’aide des deux gouvernails, Sia celui du discernement, de la connaissance, de la science, et Hou celui de la mise en pratique, le Neter timonier de la seconde barque assure l’application des lois et des règles universelles. Le Neter masculin accroupi sur une colonne confirme qu’il est bien question de la genèse de l’Homme.

17 Jacques Pialoux: Denderah – Sept soffites du plafond de la salle hypostyle du grand temple. 18 Ligne inférieure du 2e soffite.du plafond

Page 28: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

28 MÉDECINE DE L’ANCIENNE EGYPTE

Seconde ligne du 2ème Soffite

Dans un premier temps, quatre puissances primordiales, quatre Neterou, sont mis en œuvre dans un ensemble analogue aux trois réchauffeurs et aux trois foyers de l’énergétique chinoise:• TroisChacalsenchaînésàunecolonne,grouped’oùémergeunSerpent,

sont les trois Puissances de digestion, de transformation, auxquelles se soumettent les quatre Cynocéphales qui suivent, Puissances divines que gouverne Thot, Messager de Rê, (analogues aux énergies originelle, ali-mentaire, respiratoire et ancestrale de la tradition chinoise).

• Plus loin, troisNeteroumasculins tenant lecorpsd’unsecondSerpent,sont les trois Puissances qui servent à transmuter les quatre puissances déjà en partie digérées par les trois Chacals, «afin d’en faire de l’homme». Les deux Serpents en sont la quintessence; Puissances nourricière et pro-tectrice de l’Être qui s’incarne, ils sont aussi analogues aux deux serpents primordiaux, Kem Atef, «Un dont le souffle s’accomplit», et Ir Ta son fils, «Créateur de la Terre».

• Dans la barque intermédiaire, leNeter timonier, l’IbisThot, Maître des scribes, rappelle que la science, la connaissance des lois et des règles, est ici mise en œuvre avec, dans l’Homme en devenir que représente Horus, sous un naos, quatre Puissances, les Neterou suivants, deux masculins, et deux féminins représentés par Isis et Maât, Mère et Conscience divines. Un passeur avec sa perche et le Cynocéphale de Thot, à la proue, les gui-dent sous l’égide de la Loi céleste.

Suivent quatre barques et huit Puissances intermédiaires:Le Neter timonier de la première des quatre barques est là avec ses deux

gouvernails, Sia et Hou, ceux du discernement et de la mise en pratique, pour affirmer et diriger la mise en œuvre de la Loi cosmique: les huit Ne-terou qui suivent, occupant les quatre barques, sont les symboles, les ar-chétypes «des Quatre conduits-met pour les Souffles de Vie, et des Quatre conduits-met pour les Souffles de Mort» du papyrus Ebers, mais aussi des huit merveilleux vaisseaux de l’acupuncture chinoise.

En tant que représentants, à ce niveau, des huit Grenouilles et Serpents, enfants de Kem Atef et de Ir Ta, Maîtres des «Huit Lieux célestes» égyptiens,

Page 29: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

ANATOMO-PHYSIOLOGIE II : DENDERAH 29

honorés dans la ville de Khmounou plus tard Hermopolis, ces huit Neterou transmettent les deux Puissances primordiales des deux serpents, énergies nourricière et protectrice, yin et yang, centrifuge et centripète.

À noter, toujours dans la première barque, à la proue, la présence de Thot lui-même, Messager de Rê, Maître des Paroles divines, tenant dans ses mains la Pierre cubique, symbole de la Terre, de l’incarnation terrestre.

Enfin, apparaissent 22 Neterou, 22 Puissances, 10 + 12:Ils constituent les vingt-deux Puissances, les vingt-deux Souffles, par

l’intermédiaire desquels s’expriment les deux Puissances primordiales des deux serpents que l’on retrouve, présents sur leurs colonnes respectives. Ce sont les analogues des vingt-deux conduits-met que nous avons découverts avec le papyrus de Berlin et le papyrus Ebers: • Les dix premiers, neuf masculins et un féminin, ce dernier donnant la vie

comme le cœur la distribue, sont les symboles des conduits-met internes de l’Homme, des fonctions des organes de l’énergétique chinoise.

• Lesdouze,féminins,coiffésdudisquesolaire,symbolisentlesconduits-met périphériques, analogues aux méridiens de l’acupuncture.

Allant plus loin dans l’analyse des souffles vitaux, un autre soffite du pla-fond du temple de Denderah19 traite même de leur mise en œuvre dans la transmission de la vie: • 64soufflessontencause,commeles64partiesdel’œild’Horus, Oudjat,

comme les 64 codons du code génétique, mais aussi comme les 64 hexa-grammes du Yi King chinois. Cependant, ceci n’est plus tout à fait de la médecine, mais de la génétique, tout en appartenant aux mathématiques universelles.

19 Le Soffite VI ttraite de l’évolution et de la constitution de l’Homme

Page 30: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise
Page 31: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

Anatomo-physiologie III: Haty et Ib

Une partie du papyrus Ebers constitue le «Traité du Cœur» et concerne les rapports entre «Haty» et «Ib». Mais que signifient ces deux termes ?

Pour ce qui est du haty, il semble qu’il corresponde à une réalité anato-mique relativement précise, celle du muscle cardiaque, mais également à ce qui est décrit comme «en avant du cœur» et possède des mouvements autonomes perceptibles.

Dans Ebers 854a (99, 1):«Début du secret du médecin: apprendre à connaître le déplacement du

cœur: apprendre à connaître le cœur.»

En ce qui concerne le ib et ses relations avec le cœur-haty, notre connais-sance de «la voie de l’eau et des céréales» en énergétique chinoise, va don-ner un éclairage particulier sur ce que dit le papyrus Ebers.

Certains égyptologues, comme B. Long, ont choisi de traduire ib par épi-gastre.20 Selon l’interprétation d’Ebell, précisée par Stracmans21, le mot ib aurait désigné l’estomac. En effet, le ib reçoit de la nourriture (Ebers 284 [50, 21]); ce qui est confirmé dans un texte cité par Piankoff22 «De la nourriture pour l’intérieur de mon corps, de l’eau pour mon ib.»

Pour Bardinet enfin, (p. 71): «Le ib est un ensemble. Il comprend la totalité des parties corporelles situées derrière le cœur-haty, dans ce grand creux

20 B. Long: Le "ib" et le "haty" dans les textes médicaux de l'Egypte ancienne p. 483 § Q21 Stracmans: BdE 32 (Mélanges Mariette) p 125 à 135.22 Piankoff: Le "cœur" dans les textes égyptiens depuis l'Ancien jusqu'à la fin du Nouvel Em-pire, p. 43

Page 32: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

32 MÉDECINE DE L’ANCIENNE EGYPTE

du corps qui forme ce que les Égyptiens appellent le Shet.» Cette «totalité des parties corporelles…» semblerait indiquer la totalité des organes et des viscères.

À ce propos, Bardinet soulève le problème des quatre vases «canopes» disposés dans les tombeaux égyptiens à proximité du sarcophage. Dans ces quatre vases, sont déposés certains organes ou viscères du défunt pouvant constituer le ib. Ces organes sont confiés aux quatre suivants d’Horus, Am-set, Hapy, Douamoutef et Qebhsenouf:• ÀAmset, avec une sorte de face d’homme, était attribué le foie• À Hapy, le cynocéphale, les poumons• ÀDouamoutef, le chacal, la rate et (ou) l’estomac• ÀQebhsenouf, le hiéracocéphale, les intestins

Les quatre Chemsou d’Horus

Une indication particulière concernant le foie, les poumons et le cœur, est donnée par Ebers 855d (99, 21-22):

«Quant à la colère qui survient dans le cœur-haty, c’est une torsion (des canaux-met) vers la limite de la trachée-poumons et du foie.»

Cette affirmation est, nous semble-t-il, révélatrice de connaissances égyp-tiennes sur le «psychisme des organes» tel qu’il est décrit en médecine tra-ditionnelle chinoise: on sait le rôle du foie dans la colère, en relation d’une part avec les poumons (cycle de victoire inversé des 5 éléments chinois), et d’autre part avec le cœur (cycle de génération des 5 éléments chinois).

Par ailleurs, un texte complémentaire du canope de Mendès concernant Qebhsenouf et les intestins, est cité par Yoyotte23:

«Qebhsenouf… tu enrichis ceux qui sont en toi (les intestins)…Ils sont comblés de ce qui est venu de toi. Tu fais vivre tes frères et le flux qui monte de ton eau ne cesse pas, au profit de l’Osiris-Mendès pour toujours.»

Souvenons-nous, là encore, de «la voie de l’eau et des céréales» en mé-decine traditionnelle chinoise, avec la séparation du pur et de l’impur par

23 Yoyotte: Tanis, l'or des pharaons p. 172

Page 33: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

ANATOMO-PHYSIOLOGIE III: HATY ET IB 33

l’estomac et l’intestin grêle… la transmission du pur à la rate, puis la relation avec le cœur, les poumons, le foie.

En définitive, tout en conservant à l’esprit la primauté de l’estomac et de l’intestin pour leur rôle dans «la voie de l’eau et des céréales», nous pou-vons nous rallier presque totalement à Bardinet (p.81):

«L’intérieur ib se prolonge dans tous les membres, animant ceux-ci, leur apportant la force vitale… Le haty, «notre muscle cardiaque», est en fait l’élément réalisateur de la volonté qui siège au plus profond de l’intérieur-ib. C’est par sa propre force que le cœur-haty envoie dans les conduits-met les courants dynamiques, transmet la pensée élaborée au plus profond de l’in-térieur-ib et la réalise… L’intérieur-ib et le haty sont indissociablement liés, et toute atteinte de l’un doit avoir des répercutions sur l’autre.»

La vision du haty en tant que «muscle cardiaque»demanderait seulement à être précisée en tant que fonction «Sang» et fonction «Chen» du cœur, fonctions physiologique et psychique. Bardinet semble dailleurs le sous-en-tendre lorsqu’il parle du haty, «élément réalisateur de la volonté (des reins en médecine traditionnelle chinoise) qui siège au plus profond de l’intérieur-ib».

Le papyrus Ebers peut alors préciser la méthode à utiliser pour l’examen du ib et du haty (Ebers 854a [99, 2 à 5]):

«Quant au fait que place tout médecin, tout prêtre-ouab de Sekhmet, tout magicien, ses mains, ses doigts, sur la tête, sur la nuque, sur les mains, sur la place du ib, sur les jambes, sur tout (endroit du corps), c’est pour le cœur-haty qu’il procède à l’examen, parce qu’il y a des canaux-met pour toutes ses (de l’homme) parties du corps, et c’est un fait qu’il (le cœur) s’exprime devant les canaux-met («devant» = à la surface, au niveau apparent, contrô-lable, des canaux-met) de chaque endroit du corps.»

Une variante de ce qui précède est donnée dans le papyrus Smith 1, 12, débutant comme suit:

«Si tu procèdes à l’examen d’un homme…»

Glose À (Smith 1, 3-9):« Quant à l’expression «tu examines un homme», cela veut dire faire un

bilan de quelqu’un, faire un bilan de choses (différentes) avec la mesure-oipé24…»

Il s’agit ici de la prise des pouls en divers endroits du corps. Les thérapeutes égyptiens comptaient-ils les pulsations (63/64e d’oipé ?!) à l’aide d’une clepsy-dre, l’horloge à eau inventée sous Thoutmosis III (XVIIIe dynastie: XVe siècle avant J.C.), et faisaient-ils un bilan quantitatif et qualitatif de ces pulsations? C’est vraisemblable, même si, selon la tradition, c’est Hérophile, de l’école d’Alexandrie (IVe siècle avant J.C.) qui serait le premier à avoir utilisé la clepsy-dre dans ce but. Mais on n’a, pour l’instant, aucune certitude à ce sujet.

24 La mesure-oipé est en relation avec l'œil Oudjat et ses fractions de 1/2 à 1/64e.

Page 34: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

34 MÉDECINE DE L’ANCIENNE EGYPTE

Ceci nous amène tout naturellement à aborder les facteurs pathogènes ainsi que la thérapeutique selon les papyrus médicaux de l’Egypte antique.

Page 35: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

Facteurs pathogènes

Quatre principaux facteurs pathogènes sont décrits dans les différents papyrus médicaux:• Âaâ: sécrétions corporelles – sébum… sueurs… cérumen… facilitent le développement d’énergies perverses• Setet: êtres pathogènes provoquant des douleurs hiératiques• Oukhedou: Démons, «énergies perverses» qui rongent les tissus • Ouhaou: secondaires aux oukhedou: amas, pus, tumeurs…

Les âaâ sont des liquides corporels parfois dangereux en ce sens qu’ils peuvent faciliter certaines pathologies.

Dans Ebers 854 d (99, 10-22):«Quatre canaux-met se divisent pour la tête, se déversent dans la nuque

et créent ensuite un réservoir, une source de âaâ, c’est ce qu’ils forment sur le sommet (de la tête).»

Selon Ward (1978, p. 108) cité par Bardinet (p. 121), il s’agirait du sébum.

En définitive, il semble que les âaâ correspondent aux diverses sécrétions corporelles, sébum, sueur, cérumen etc. et que ces sécrétions facilitent le développement de parasites, de vermine… mais aussi celui «d’énergies per-verses» particulières comme les oukhedou dont nous parlerons plus loin.

D’après Ebers (62), à propos d’un traitement pour des parasites: «Roseaux: 1; pyrèthre:1. (Ce) sera broyé finement, cuit dans du miel. (A) in-

gérer par l’homme qui a de la (vermine-)hererou dans l’intérieur de son corps.

Page 36: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

36 MÉDECINE DE L’ANCIENNE EGYPTE

C’est le liquide âaâ qui crée cela, et elle (la vermine) ne peut mourir par aucun autre médicament.

Les setet sont des «êtres pathogènes», des énergies perverses, qui circu-lent dans le corps. Ebers 102 ou 296:

«Si tu examines quelqu’un qui est sous (l’effet) des setet, (ceux-ci agis-sant) comme (s’il avait ingéré) des figues de sycomore non-entaillées, son ventre est dur à cause de cela (les setet), il souffre de l’entrée de son «ib», et ses setet qui se trouvent à l’intérieur de son corps, ne peuvent pas trouver le chemin de la sortie… Cela ne devra pas se transformer en vermine…(Si) cela est évacué par lui, cela devient agréable pour lui.»

Les setet se déplacent donc en provoquant des douleurs: on devra simple-ment les faire sortir du corps.

Dans Berlin (142-143). «Remède pour chasser les setet dans les endroits atteints…Autre remède pour extraire (du corps) les setet en faisant ses be-soins.»

Les oukhedou, quant à eux, sont des démons qui rongent la substance corporelle, alors que le sang élabore cette même substance, (en liant les éléments dispersés provenant de l’alimentation). Cependant, le «sang-vicié» pourra agir comme les oukhedou.

Cette action rongeante va provoquer des amas, des obstacles, qui pour-ront eux-mêmes se transformer en «pus-ouhaou» ou en inflammation loca-lisée.

Sur un plan thérapeutique, on pourra soit tuer les oukhedou, soit les bri-ser avec l’aide de Nekhbet, le vautour symbole de vigueur :

Ebers 86: «Remède pour briser les oukhedou qui sont dans le corps: vian-de de bovidé fraîche (litt. vivante!): 5 ro; résine de térébinthe: 1/64; mélilot: 1/8; baies de genévrier: 1/16; pain frais: 1/8; bière douce: 25 ro. À filtrer puis à ingérer quatre jours de suite.»

En revanche, en ce qui concerne les ouhaou, amas ou pus, secondaires aux oukhedou, on devra soit les chasser, soit les extirper, soit les tuer.

Page 37: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

FACTEURS PATHOGÈNES 37

Ebers 91-92: «Autre (remède) pour chasser les ouhaou, alors qu’il existe une pesanteur vers la superficie du corps (menacé par les ouhaou) et les tuer véritablement à l’intérieur du corps… Autre remède pour extirper les ouhaou qui sont dans le corps ou bien (pour) les tuer: figues: 1/32; sel du Delta: 1/8; pain frais: 1/8; bière douce: 25 ro. (Ce) sera cuit, filtré, puis ingéré dans la journée.»

En définitive, si les ouhaou apparaissent à la suite de l’action rongeante des oukhedou, ces derniers se développent grâce à l’action fertilisante des liquides âaâ qui sont également, ainsi que nous l’avons vu, à l’origine de la vermine.

Ebers 138: «Autre (remède) pour chasser les âaâ qui sont dans un homme, tuer les oukhedou, chasser les dommages (ouhaou) qui adviennent contre l’homme, soigner l’anus et le rafraîchir: (plante) sam: 1/8; baies de genévrier: 1/16; miel: 1/32; bière douce: 10 ro. Filtrer, ingérer quatre jours de suite.»

Page 38: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise
Page 39: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

Thérapeutique

«L’absence de détermination de la plupart des noms des différentes dro-gues proposées par les textes, ne permet guère, à quelques exceptions près, de parler des modes d’action présumés des différentes substances entrant dans la pharmacopée25.»

Minéraux, végétaux, produits ou sous-produits animaux et humains sont à la base de la pharmacopée égyptienne.

Parmi les produits et sous-produits animaux ou humains, on trouve: la graisse et le fiel de taureau ou de chèvre, les écailles de tortue, le lait de va-che, les viscères de poissons, de crustacés, les excréments d’animaux, d’in-sectes, de reptiles, les urines animales et humaines, le sang de mouches.

De nombreux végétaux secs ou frais composent cette pharmacopée. Cer-tains nous sont familiers tels: les pois, l’acacia, le genièvre, la valériane, le mélilot, l’orge, les dattes et les figues, le térébinthe, le ricin, l’ail, la corian-dre, les mucilages, les gommes, le goudron végétal…

D’autres sont plus exotiques: le fruit «entaillé» du sycomore, l’huile de moringa, l’origan, le cumin…

Et puis, de nombreuses plantes pour lesquelles nous n’avons pas de des-criptif, et donc pas de traduction: plante-sâm, plante-djaret, fruit-cheny-ta, fruit-peret-cheny, résine-sa-our…

Les minéraux les plus utilisés sont l’ocre, la poudre d’albâtre, l’argile, le sel du nord, celui du sud ou encore le sel marin, le natron, la malachite, la galène, le minium26…

25 Bardinet 1995 p. 15726 Galène: sulfure naturel de plomb; Malachite: carbonate de cuivre; Minium: oxyde de plomb; Natron: carbonate de soude.

Page 40: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

40 MÉDECINE DE L’ANCIENNE EGYPTE

Broyés, malaxés, cuits ou crus, mélangés presque toujours à du miel ou à de la bière douce, certains de ces produits seront laissés au repos, la nuit à la rosée, filtrés ou non, et enfin appliqués ou absorbés, en moyenne quatre jours de suite.

De nombreux remèdes concernent les maladies de l’intérieur du corps. Ils sont «émétiques» pour chasser les concrétions, nettoyer et «faire tomber toutes les substances malignes qui sont à la superficie du corps»:• Fruitsetplantes,serontpréparésavecdumieletde labièredouce,ou

composés de pâte fraîche, de graisse, de miel, de cire… pour «retenir».• Pour assouplir les ankyloses dues à l’âge: natron, fèves, huile, graisse

d’hippopotame, de crocodile, de poisson mugile, de silure, térébinthe, oli-ban doux, miel… qui sont cuits et appliqués plusieurs jours de suite.

• Roseauetpyrèthreontlapréférencepourtoutcequiest«vermine»(cuitsdans du miel et mangés).

• Lesmauxdetêteserontsoignésavecdesgrainesdecoriandre,debryo-ne, de pyrèthre, de plante-sam; avec du natron (broyé dans de la graisse, du miel et de la cire), de la résine de térébinthe. Le pin, le genévrier, le lotus, l’ocre, la malachite sont aussi très employés (en application).

• Pourlesaffectionsdentaires:ocre,malachite,fruitentaillédusycomoreetmiel…

• Pourlescoupsetenflures,lemielpourrasuffire,maisaussil’argile,laré-sine de térébinthe, la graisse de taureau, l’urine humaine, le vin de dattes, la malachite, le natron… (en application).

• Pour les os: natron, minéral-ouchebet, silex noir, graisse de taureau, miel… (en application).

• Les luxationset les fracturessansplaiessontd’abordréduitesmanuel-lement, puis maintenues par des attelles et soignées par application de viande fraîche, le premier jour, et ensuite de graisse, de miel et de tam-pons végétaux jusqu’à guérison.

• Lesabcèssont traitéspar«cautères»,puisde lamêmefaçonquepourles plaies. Ces dernières sont recousues, puis traitées par application de viande fraîche, sans pansement ni médicament, jusqu’à ce que passe la période douloureuse.

• Lesbrûlurespeuventêtretraitéesavecdulimon-noir,desexcrémentsdepetit bétail, de la résine d’acacia, de l’orge… (en application).

Le ricin faisait l’objet d’études particulières, pour les multiples utilisations de sa racine ou de ses graines broyées, tant pour les intestins que pour les céphalées, les problèmes cutanés, les cheveux…

Certains textes concernaient les fumigations. Les Egyptiens pensaient que tout individu pouvait être imprégné, avec une grande facilité, par les souffles néfastes les plus divers et par les démons et les substances patho-gènes qu’ils animent. Ce nouvel air dont on les imprègne paraît destiné à la fois à les éloigner et à les intoxiquer.

Les fumigations interviennent ainsi dans les soins à donner à l’intérieur-ib d’un homme blessé par un serpent ou un scorpion. La fumigation, ici, vise avant tout le symptôme (douleurs abdominales) et doit rendre le souffle au corps de la victime.

Page 41: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

THÉRAPEUTIQUE 41

Pour la toux chez l’enfant: fumigations de «réalgar», de résine-men et de plante-ââam qui seront broyés et placés sur des pierres chaudes.

Couramment employées dans les traitements gynécologiques, elles sont alors à base de térébinthe, de graisse et d’huile nouvelle.

Ebers 852 (98, 12-14b): «Fumigation préparée pour rendre agréable l’odeur de la maison ou des vêtements: myrrhe sèche; (fruit-) peret-cheny; résine de térébinthe; souchet comestible; bois de ti-chepes; chebet; roseau de Phéni-cie; inketoun; djemeten; (partie-) genen de l’(arbre-)meniben. Broyer fine-ment, préparer en une masse homogène. En mettre sur le feu.»

Cette même préparation ajoutée à du miel, cuit, mélangé et transformé en pastilles rendra agréable l’odeur de la bouche.

Enfin, notons qu’il existe également une recette pour lutter contre les pa-rasites et autres hôtes indésirables de la maison (puces, serpents), par as-persion d’eau de natron.

Cependant, l’application de cette pharmacopée n’aura de valeur que si les incantations et conjurations ont bien été effectuées dans les règles.

Tout cela, bien entendu, représente une méthode véritablement efficace, un million de fois !

Abelle Vinel et Jacques PialouxCongrès R.E.F.S. Aix en Provence 31 octobre 2005

Page 42: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise
Page 43: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

Bibliographie

Bardinet T.: Les Papyrus médicaux de l’Egypte pharaonique – Ed. Fayard Paris 1995

Barguet A.: Hérodote – Ed. Gallimard Paris 1964Barguet P.: Le Livre des Morts des Anciens Egyptiens – Ed. du Cerf Paris

1967Halioua B.: La Médecine au temps des pharaons – Ed. Liana Levi Paris 2002Jonckheere F.: Le Papyrus médical Chester Beatty (La médecine égyptienne

no 2) Ed. Fond. Egyptologique Reine Elizabeth – Bruxelles 1947Lalanne B. et Griffon S.: Papyrus Ebers. Nouvelle transcription, translitté-

ration, traduction – Ed. Association égyptologique de Gironde – 33600 Pessac (France) 2003

Lefebvre G.: Tableau des parties du corps humain mentionnées par les Egyp-tiens. Supplément aux Annales du Service des Antiquités, Cahier no 17 – Le Caire, IFAO 1952

Lefebvre G.: Romans et contes égyptiens de l’époque pharaonique. Ed. Mai-sonneuve Paris 1982.

Long B.: Le «ib» et le «haty» dans les textes médicaux de l’Egypte ancienne, in Hommages à François Daumas, Université de Montpellier 1986

Pialoux J.: Denderah – Sept soffites du plafond de la salle hypostyle – Ed Fondation Cornelius Celsus – Vatseret – 1976 Erde (CH) 2003

Pialoux J.: Guide d’Acupuncture et de Moxibustion – Ed. Fondation Corne-lius Celsus – Vatseret - 1976 Erde (CH) 2001

Piankoff A.: Le «cœur» dans les textes égyptiens depuis l’Ancien jusqu’à la fin du Nouvel Empire. Ed. P. Geuthner – Paris 1930

Page 44: Jacques Pialoux et  Abelle Vinel - Médecine de l’Ancienne Egypte et Médecine Traditionnelle Chinoise

44 MÉDECINE DE L’ANCIENNE EGYPTE

Sidhom N. M.: Description de l’Egypte.(Imprimerie Impériale – Paris 1809) Ed. Institut d’Orient – Paris 1988

Stracmans M.: Les termes ib et hâty considérés sous l’angle métaphorique dans la langue de l’Ancien Empire, in BdE 32 (Mélanges Mariette) p. 125-135 – 1961

Yoyotte J.: Tanis, l’or des pharaons. Ed. Association française d’Action Ar-tistique – Paris 1987