jacques brel paroles de 137 chansons

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Page 1: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

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Page 2: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

À jeun

Parfaitement à jeunVous me voyez surpris

De ne pas trouver mon lit ici

Parfaitement à jeunJe le vois qui recule

Je le vois qui bascule aussi

Guili guili guili

Viens-là mon petit litSi tu ne viens pas t'a moi

Ce n'est pas moi qui irai t'à toiMais qui n'avance pas reculeComme dit Monsieur Dupneu

Un mec qui articuleEt qui est chef du contentieux

Parfaitement à jeunJe reviens d'une belle fête

J'ai enterré Huguette ce matin

Parfaitement à jeunJ'ai fait semblant d'pleurerPour ne pas faire rater la fête

Z'étaient deux cents noirsLes voisins les amis

Y avait qu'moi qu'était grisDans cette foire

Y avait beau-maman belle-papaZ'avez pas vu Mirza

Et puis Monsieur DupneuQu'est chef du contentieux

Parfaitement à jeunEn enterrant ma femmeJ'ai surtout enterréla maitresse d'André

Je n'l'ai su que c'matinEt par un enfant de chœur

Qui m'racontait qu'sa sœur ah çaIl me reste deux solutionsOu bien frapper AndréOu bien gnougnougnafié

La femme d'AndréSur son balcon

Ou bien rester chez moiFeu-cocu mais joyeux

C'est ce que me conseille AndréAndré André Dupneu

Qu'est mon chef du contentieux

Parfaitement à jeunVous me voyez surpris

De ne pas trouver mon lit

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Page 3: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Aldonza

Paroles: Jacques Brel. Musique: Mitch Leigh 1968note: de la comédie musicale "L'homme de la Mancha"

Je suis née comme une chienne une nuit où il pleuvaitJe suis née et ma mère est partie en chantantEt je ne sais rien d'elle que la haine que j'en ai

J'aurais dû venir au monde en mourant

Eh bien sûr, il y a mon père, on dit, on dit souventQue les filles gardent leur père au profond de leur cœurMais je n'ai pas su mon père, mon père était plusieurs

Car mon père était un régimentJe ne peux même pas dire s'ils étaient andalous ou prussiens

Sont-ils morts vers le nord, sont-ils morts vers le sudJe n'en sais rien !

Une Dame, et comment veut-il que je sois une Dame ?

J'ai grandi comme une chienne de carrefour en carrefourJ'ai grandi et trop tôt sur la paille des mulesDe soldat en soldat, de crapule en crapule

J'ai connu les bienfaits de l'amourEt je vis comme une bête, je fais ça comme on se mouche

Et je vis sans savoir ni pour qui ni pour quoiPour un sou je me lève, pour deux sous je me couche

Pour trois sous je fais n'importe quoi !Si vous ne me croyez guère, pour trois sous venez voir le restant

De la plus folle des fiancés au plus crapuleux des brigands de la terre

Mais chassez donc vos nuages et regardez-moi telle que je suisUne Dame, une vraie Dame a une vertu, a une âme

Dieu de Dieu, de tous les pires salauds que j'ai connusVous qui parlez d'étoile, vous qui montrez le ciel,

Vous êtes bien le plus infâme, le plus cruelFrappez-moi, je préfère le fouet à vos chimères,

Frappez-moi jusqu'au feu, jusqu'au sol, jusqu'à terreMais gardez votre tendresse, rendez-moi mon désespoir

Je suis née sur le fumier et j'y repars,Mais je vous en supplie, ne me parlez plus de Dulcinéa

Vous voyez bien que je ne suis rien, je ne suis qu'Aldonza la putain.

AmsterdamParoles et Musique: Jacques Brel 1964 "Olympia 64"

autres interprètes: Isabelle Boulay

Dans le port d'AmsterdamY a des marins qui chantentLes rêves qui les hantentAu large d'Amsterdam

Dans le port d'AmsterdamY a des marins qui dormentComme des oriflammes

Le long des berges mornesDans le port d'AmsterdamY a des marins qui meurentPleins de bière et de drames

Aux premières lueursMais dans le port d'AmsterdamY a des marins qui naissentDans la chaleur épaisseDes langueurs océanes

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Page 4: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Dans le port d'AmsterdamY a des marins qui mangentSur des nappes trop blanchesDes poissons ruisselants

Ils vous montrent des dentsA croquer la fortuneA décroisser la luneA bouffer des haubansEt ça sent la morue

Jusque dans le cœur des fritesQue leurs grosses mains invitent

A revenir en plusPuis se lèvent en riant

Dans un bruit de tempêteReferment leur braguette

Et sortent en rotant

Dans le port d'AmsterdamY a des marins qui dansentEn se frottant la panseSur la panse des femmes

Et ils tournent et ils dansentComme des soleils crachés

Dans le son déchiréD'un accordéon ranceIls se tordent le cou

Pour mieux s'entendre rireJusqu'à ce que tout à coup

L'accordéon expireAlors le geste graveAlors le regard fier

Ils ramènent leur bataveJusqu'en pleine lumière

Dans le port d'AmsterdamY a des marins qui boiventEt qui boivent et reboiventEt qui reboivent encoreIls boivent à la santé

Des putains d'AmsterdamDe Hambourg ou d'ailleursEnfin ils boivent aux dames

Qui leur donnent leur joli corpsQui leur donnent leur vertu

Pour une pièce en orEt quand ils ont bien buSe plantent le nez au ciel

Se mouchent dans les étoilesEt ils pissent comme je pleureSur les femmes infidèlesDans le port d'AmsterdamDans le port d'Amsterdam.

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Page 5: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Au printempsParoles et Musique: Jacques Brel 1958

Au printemps au printempsEt mon cœur et ton cœurSont repeints au vin blancAu printemps au printempsLes amants vont prier

Notre-Dame du bon tempsAu printemps

Pour une fleur un sourire un sermentPour l'ombre d'un regard en riant

Toutes les fillesVous donneront leurs baisers

Puis tous leurs espoirsVois tous ces cœursComme des artichauts

Qui s'effeuillent en battantPour s'offrir aux badaudsVois tous ces cœurs

Comme de gentils mégotsQui s'enflamment en riantPour les filles du métro

Au printemps au printempsEt mon cœur et ton cœurSont repeints au vin blancAu printemps au printempsLes amants vont prier

Notre-Dame du bon tempsAu printemps

Pour une fleur un sourire un sermentPour l'ombre d'un regard en riant

Tout ParisSe changera en baisers

Parfois même en grand soirVois tout Paris

Se change en pâturagePour troupeaux d'amoureuxAux bergères peu sages

Vois tout ParisJoue la fête au villagePour bénir au soleil

Ces nouveaux mariages

Au printemps au printempsEt mon cœur et ton cœurSont repeints au vin blancAu printemps au printempsLes amants vont prier

Notre-Dame du bon tempsAu printemps

Pour une fleur un sourire un sermentPour l'ombre d'un regard en riant

Toute la TerreSe changera en baisersQui parleront d'espoir

Vois ce miracleCar c'est bien le dernierQui s'offre encore à nousSans avoir à l'appeler

Vois ce miracleQui devait arriver

C'est la première chance

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Page 6: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

La seule de l'année

Au printemps au printempsEt mon cœur et ton cœurSont repeints au vin blancAu printemps au printempsLes amants vont prier

Notre-Dame du bon tempsAu printemps

Au printempsAu printemps

Au suivantParoles et Musique: Jacques Brel 1964

Tout nu dans ma serviette qui me servait de pagneJ'avais le rouge au front et le savon à la main

Au suivant au suivantJ'avais juste vingt ans et nous étions cent vingt

A être le suivant de celui qu'on suivaitAu suivant au suivant

J'avais juste vingt ans et je me déniaisaisAu bordel ambulant d'une armée en campagne

Au suivant au suivant

Moi j'aurais bien aimé un peu plus de tendresseOu alors un sourire ou bien avoir le temps

Mais au suivant au suivantCe ne fut pas Waterloo mais ce ne fut pas Arcole

Ce fut l'heure où l'on regrette d'avoir manqué l'écoleAu suivant au suivant

Mais je jure que d'entendre cet adjudant de mes fessesC'est des coups à vous faire des armées d'impuissants

Au suivant au suivant

Je jure sur la tête de ma première véroleQue cette voix depuis je l'entends tout le temps

Au suivant au suivantCette voix qui sentait l'ail et le mauvais alcoolC'est la voix des nations et c'est la voix du sang

Au suivant au suivantEt depuis chaque femme à l'heure de succomber

Entre mes bras trop maigres semble me murmurerAu suivant au suivant

Tous les suivants du monde devraient se donner la mainVoilà ce que la nuit je crie dans mon délire

Au suivant au suivantEt quand je ne délire pas j'en arrive à me direQu'il est plus humiliant d'être suivi que suivant

Au suivant au suivantUn jour je me ferai cul-de-jatte ou bonne sœur ou pendu

Enfin un de ces machins où je ne serai jamais plusLe suivant le suivant

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Page 7: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

BruxellesParoles et Musique: J. Brel/G Jouannest 1962

C'était au temps où Bruxelles rêvaitC'était au temps du cinéma muet

C'était au temps où Bruxelles chantaitC'était au temps où Bruxelles bruxellait

Place de Broukère on voyait des vitrinesAvec des hommes des femmes en crinolinePlace de Broukère on voyait l'omnibusAvec des femmes des messieurs en gibus

Et sur l'impérialeLe cœur dans les étoilesIl y avait mon grand-pèreIl y avait ma grand-mère

Il était militaireElle était fonctionnaire

Il pensait pas elle pensait rienEt on voudrait que je sois malin

C'était au temps où Bruxelles chantaitC'était au temps du cinéma muetC'était au temps où Bruxelles rêvait

C'était au temps où Bruxelles bruxellait

Sur les pavés de la place Sainte-CatherineDansaient les hommes les femmes en crinoline

Sur les pavés dansaient les omnibusAvec des femmes des messieurs en gibus

Et sur l'impérialeLe cœur dans les étoilesIl y avait mon grand-pèreIl y avait ma grand-mère

Il avait su y faireElle l'avait laissé faire

Ils l'avaient donc fait tous les deuxEt on voudrait que je sois sérieux

C'était au temps où Bruxelles rêvaitC'était au temps du cinéma muet

C'était au temps où Bruxelles dansaitC'était au temps où Bruxelles bruxellait

Sous les lampions de la place Sainte-JustineChantaient les hommes les femmes en crinoline

Sous les lampions dansaient les omnibusAvec des femmes des messieurs en gibus

Et sur l'impérialeLe cœur dans les étoilesIl y avait mon grand-pèreIl y avait ma grand-mèreIl attendait la guerre

Elle attendait mon pèreIls étaient gais comme le canalEt on voudrait que j'aie le moral

C'était au temps où Bruxelles rêvaitC'était au temps du cinéma muet

C'était au temps où Bruxelles chantaitC'était au temps où Bruxelles bruxellait

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Page 8: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

C'est comme çaParoles et Musique: Jacques Brel 1955

Dans les campagnes y a les fillesLes filles qui vont chercher l'eau

A tire larigot

Les filles font la file gentilleEt tout en parlant tout hautLes filles font la file gentilleEt tout en parlant tout haut

Du feu et de l'eau

C'est comme ça depuis que le monde tourneY a rien à faire pour y changer

C'est comme ça depuis que le monde tourneEt il vaut mieux ne pas y toucher

Près des filles ya les garçonsLes longs les minces et les gras

Qui rigolent tout basLes noirs les roses et les blonds

Qui parlent de leur papaLes noirs les roses et les blonds

Qui parlent de leur papaEt des yeux doux d'Isa

Y a les garçons y a les papasQui ont l'air graves et sévères

Et qui sentent la bièreIls crient pour n'importe quoiEt sortent le soir par derrièreIls crient pour n'importe quoiEt sortent le soir par derrière

Pour jouer au poker

C'est comme ça depuis que le monde tourneY a rien à faire pour y changer

C'est comme ça depuis que le monde tourneEt il vaut mieux ne pas y toucher

Dans les cafés y a les copainsEt tous les verres qu'on boit à vide

Y a aussi les verres videsEt les copains qu'on aime bienVous font rentrer à l'aube livideEt les copains qu'on aime bienVous font rentrer à l'aube livide

Toutes les poches vides

Près des copains il y a la villeLa ville immense et inutileOù je me fais de la bile

La ville avec ses plaisirs vilsQui pue l'essence d'automobileLa ville avec ses plaisirs vils

Qui pue l'essence d'automobileOu la guerre civile

C'est comme ça depuis que le monde tourneY a rien à faire pour y changer

C'est comme ça depuis que le monde tourneEt il vaut mieux ne pas y toucher

Près de la ville il y a la campagneOù les filles brunes ou blondes

Dansent à la ronde

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Page 9: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Et par la plaine par la montagneLaissons-les fermer la ronde

Et par la plaine par la montagneLaissons-les fermer la rondeDes braves gens du monde

C'est comme ça depuis que le monde tourneY a rien à faire pour y changer

C'est comme ça depuis que le monde tourneEt il vaut mieux ne pas y toucherEt il vaut mieux ne pas y toucherEt il vaut mieux ne pas y toucher

Ces gens-làMusique: Jacques Brel 1966

D'abord il y a l'aînéLui qui est comme un melon

Lui qui a un gros nezLui qui sait plus son nom

Monsieur tellement qui boitOu tellement qu'il a bu

Qui fait rien de ses dix doigtsMais lui qui n'en peut plus

Lui qui est complètement cuitEt qui se prend pour le roiQui se saoule toutes les nuits

Avec du mauvais vinMais qu'on retrouve matinDans l'église qui roupilleRaide comme une saillie

Blanc comme un cierge de PâquesEt puis qui balbutie

Et qui a l'œil qui divagueFaut vous dire MonsieurQue chez ces gens-là

On ne pense pas MonsieurOn ne pense pas on prie

Et puis, il y a l'autreDes carottes dans les cheveuxQu'a jamais vu un peigne

Ouest méchant comme une teigneMême qu'il donnerait sa chemiseA des pauvres gens heureux

Qui a marié la DeniseUne fille de la ville

Enfin d'une autre villeEt que c'est pas fini

Qui fait ses petites affairesAvec son petit chapeauAvec son petit manteauAvec sa petite auto

Qu'aimerait bien avoir l'airMais qui n'a pas l'air du toutFaut pas jouer les richesQuand on n'a pas le souFaut vous dire MonsieurQue chez ces gens-làOn ne vit pas MonsieurOn ne vit pas on triche

Et puis, il y a les autresLa mère qui ne dit rienOu bien n'importe quoiEt du soir au matin

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Page 10: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Sous sa belle gueule d'apôtreEt dans son cadre en boisIl y a la moustache du pèreQui est mort d'une glissadeEt qui recarde son troupeauBouffer la soupe froide

Et ça fait des grands flchssEt ça fait des grands flchssEt puis il y a la toute vieilleQu'en finit pas de vibrer

Et qu'on attend qu'elle crèveVu que c'est elle qu'a l'oseilleEt qu'on écoute même pas

Ce que ses pauvres mains racontentFaut vous dire MonsieurQue chez ces gens-là

On ne cause pas MonsieurOn ne cause pas on compte

Et puis et puisEt puis il y a Frida

Qui est belle comme un soleilEt qui m'aime pareilQue moi j'aime Frida

Même qu'on se dit souventQu'on aura une maisonAvec des tas de fenêtresAvec presque pas de mursEt qu'on vivra dedansEt qu'il fera bon y êtreEt que si c'est pas sûr

C'est quand même peut-êtreParce que les autres veulent pasParce que les autres veulent pasLes autres ils disent comme çaQu'elle est trop belle pour moiQue je suis tout juste bon

A égorger les chatsJ'ai jamais tué de chatsOu alors y a longtempsOu bien j'ai oublié

Ou ils sentaient pas bonEnfin ils ne veulent pasParfois quand on se voit

Semblant que c'est pas exprèsAvec ses yeux mouillantsElle dit qu'elle partiraElle dit qu'elle me suivraAlors pour un instant

Pour un instant seulementAlors moi je la crois Monsieur

Pour un instantPour un instant seulementParce que chez ces gens-làMonsieur on ne s'en va pasOn ne s'en va pas Monsieur

On ne s'en va pasMais il est tard Monsieur

Il faut que je rentre chez moi.

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Page 11: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Chanson sans parolesParoles et Musique: J. Brel/F Rauber 1962

J'aurais aimé ma belleT'écrire une chansonSur cette mélodie

Rencontrée une nuitJ'aurais aimé ma belle

Rien qu'au point d'AlençonT'écrire un long poème

T'écrire un long " je t'aime "

Je t'aurais dit " amour "Je t'aurais dit " toujours "Mais de mille façonsMais par mille détoursJe t'aurais dit " partons "Je t'aurais dit " brûlonsBrûlons de jour en jourDe saisons en saisons "

Mais le temps que s'allumeL'idée sur le papier

Le temps de prendre une plumeLe temps de la tailler

Mais le temps de me direComment vais-je l'écrireEt le temps est venu

Où tu ne m'aimais plus{2x}

ClaraParoles et Musique: Jacques Brel 1961

Je t'aimais tant, ClaraJe t'aimais tant

Je t'aimais tant, ClaraJe t'aimais tant

Carnaval à RioTu peux toujours danser

Carnaval à RioTu n'y peux rien changerJe suis mort à ParisIl y a longtemps déjà

Il y a longtemps d'ennuiIl y a longtemps de toi

Je t'aimais tant, ClaraJe t'aimais tant

Je t'aimais tant, ClaraJe t'aimais tant

Carnaval à RioTu peux toujours chanter

Carnaval à RioTu n'y peux rien changerJe suis mort à Paris

Tombé au champ d'amourPour un prénom de filleQui m'avait dit toujours

Je t'aimais tant, ClaraJe t'aimais tant

Je t'aimais tant, Clara

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Page 12: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Je t'aimais tant

Carnaval à RioTu peux toujours tourner

Carnaval à RioTu n'y peux rien changerJe suis mort à ParisDe m'être trop trompéDe m'être trop meurtriDe m'être trop donné

Je t'aimais tant, ClaraJe t'aimais tant

Je t'aimais tant, ClaraJe t'aimais tant

Carnaval à RioTu peux me bousculer

Carnaval à RioTu n'y peux rien changerJe suis mort à ParisFusillé par une fleurAu poteau de son lit

De douze rires dans le cœur

Je t'aimais tant, ClaraJe t'aimais tant

Je t'aimais tant, ClaraJe t'aimais tant

Carnaval à RioTu peux toujours crier

Carnaval à RioTu n'y peux rien changerJe suis mort à ParisIl y a mille soirsIl y a mille nuits

Il n'y a plus d'espoir

Je t'aimais tant, ClaraJe t'aimais tant

Je t'aimais tant, ClaraJe t'aimais tant

Carnaval à RioTu peux bien me saouler

Carnaval à RioTu n'y peux rien changerJe suis mort à ParisA Paris que j'enterreEt depuis mille nuits

Dans le fond de mon verre

Je t'aimais tant, ClaraJe t'aimais tant

Je t'aimais tant, ClaraJe t'aimais tant

Carnaval à RioTu peux carnavalerCarnaval à Rio

Tu n'y peux rien changerJe suis mort à Paris

Que la mort me consoleLa mort est par ici

La mort est espagnole

Je t'aimais tant, ClaraJe t'aimais tant

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Page 13: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Je t'aimais tant, ClaraJe t'aimais tant

Comment tuer l'amant de sa femme ...Paroles et Musique: J. Brel/G. Jouannest 1968

note: Titre exact: "Comment tuer l'amant de sa femme quand on a été élevé comme moi dans la tradition"

Comment tuer l'amant de sa femmeQuand on a été comme moi élevé

Dans les traditions?Comment tuer l'amant de sa femmeQuand on a été comme moi élevé

Dans la religion?Il me faudrait du tempsEt du temps j'en ai pas.

Pour elle je travaille tout l'tempsLa nuit je veille de nuitLe jour je veille de jour

Le dimanche je fais des extras.Et même si j'étais moins lâcheJe touve que ce serait dommage

De salir ma réputation.Bien sûr je dors dans le garage.Bien sûr il dort dans mon lit.

Bien sûr c'est moi qui fait l'ménage.Mais qui n'a pas ses p'tits soucis?

Comment tuer l'amant de sa femmeQuand on a été comme moi élevé

Dans les traditions?Il y a l'arsenic ouaisC'est trop long.Il y a le révolver

Mais c'est trop court.Il y a l'amitiéC'est trop cher.Il y a le méprisC'est un péché.

Comment tuer l'amant d'sa femmeQuand on a reçu comme moi

La croix d'honneurChez les bonnes sœurs?

Comment tuer l'amant d'sa femmeMoi qui n'ose même pasLe lui dire avec des fleurs?Comme je n'ai pas l'courageDe l'insulter tout l'temps

Il dit que l'amour me rend lâche.Comme il est en chômageIl dit en me frappant

Que l'amour le rend imprévoyant.Il croit que c'est amusant

Pour un homme qui a mon âgeQui n'a plus de femme et onze enfants.

Bien sûr je leur fais la cuisineJe bats les chiens et les tapis

Le soir je leur chante "Nuit de Chine".Mais qui n'a pas ses p'tits soucis?

Pourquoi tuer l'amant d'sa femmePuisque c'est à cause de moiQu'il est un peu vérolé?

Pourquoi tuer l'amant d'ma femmePuisque c'est à cause de moi

Qu'il est péniciliné ?

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Page 14: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

De burgerij (Les Bourgeois)Paroles: Jacques Brel, adap: Ernst van Altena. Musique: Jean Corti 1965 "J'arrive"

Dronken, dol en dwaasBeet ik in mijn bier

Bij de dikke Siaam uit MonverlandIk dronk een glas met KlaasIk dronk een glas met Peer

En sprong er aardig uit de bandDie klaas hij voelde zich een Dante

Die Peer wou Casanova zijnEn ik de superarrogante

Ik dacht dat ik mezelf kon zijnEn om twaalf uur als de burgertroepHuisging uit hotel de Goudfazant

Dan scholden wij ze poepEn zongen vol vuurpet in de hand

Burgerij, mannen van het jaar nulVette burgerklikVette vieze varkens

Burgerij tamme zwijnenspulAl die burger is is een ouwe ...

Dronken, dol en dwaasBeet ik in mijn bier

Bij de dikke Siaam uit MonverlandIk dronk een vat met KlaasIk dronk een fust met Peer

En sprong er heftig uit de bandKlaas Dante danste als mijn tante

En Casanova was te bangMaar ik de superarrogante

Was zelfs voor mezelf niet bang

En om twaalf uur als de burgertroepHuisging uit hotel de Goudfazant

Dan scholden wij ze poepEn zongen vol vuurpet in de hand

Burgerij, mannen van het jaar nulVette burgerklikVette vieze varkens

Burgerij tamme zwijnenspulAl die burger is is een ouwe ...

Elk instinct dwaasZoek ik mijn vertier

's Avonds in hotel de GoudfazantMet meester-facteur Klaas

En met notaris Peer bespreek ik daar de avondkrant

En Klaas citeert eens wat uit DanteOf Peer haalt Casanova aan

En ik ik bleef de superarroganteIk haal nog steeds mijn eigen woorden aan

Maar gaan wij naar huisMeneer de brigadier

Dan staat daar bij die Siaam uit MonverlandEen hele troep gespuisDronken van al het bier

Dat zingt dan van

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Page 15: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Burgerij, mannen van het jaar nulVette burgerklikVette vieze varkens

Ja meneer de brigadierJa dat zijn ze

Burgerij tamme zwijnenspulAl die burger is is een ouwe …

De nuttelozen van de nacht (Les paumés du petit matin)Paroles: Jacques Brel, adapt: Ernst van Altena. Musique: François Rauber 1965 "J'arrive"

Ze ontwaken om een uur om vierZe ontbijten met een kleintje bier

Ze gaan uit omdat er thuis niets wachtDe nuttelozen van de nacht

Zij gedraagt zich arrogant omdat ze mooie borsten heeftHij is zeker en charmant omdat Papa hem centen geeft

Hun onmacht is hun hoogste machtDe nuttelozen van de nacht

Kom dans met mijVriendin, kom hier, vriendin, kom hier, kom Hier; nee, nee blijf!

Kom dans met mij, laat ons dansen lijf aan lijf

Ze braken zonder ziek te zijnZe braken zacht en zonder pijnZe nemen zich bedroefd de nacht

De nuttelozen van de nachtZe bespreken zonder end

De poezie die geen van hen kentDe romans die geen van hen schreefDe vrouw die bij geen van hen bleef

De grap waarom geen van hen om lachtDe nuttelozen van de nacht

Kom dans met mijVriendin, kom hier, vriendin, kom hier, kom hier; nee, nee blijf!

Kom dans met mij, laat ons dansen lijf aan lijf

In de liefde zijn ze zo berooid't Was, 't was, ze was zo zachtZe was, ach, dat begrijp u nooitDe nuttelozen van de nacht

Ze nemen nog een laatste glasVertellen nog een laatste grapEn met een allerlaatste glas

De laatste dansDe laatste stap

Het laatste verdrietDe laatste klacht

De nuttelozen van de nacht

Kom, kom, kom huil met mijVriendin, kom hier, vriendin, kom hier, kom hier, nee blijf

Kom, kom huil met mijLaat ons huilen lijf aan lijfDe nuttelozen van de nacht

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Page 16: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Demain l'on se marieParoles et Musique: Jacques Brel 1958

Puisque demain l'on se marieApprenons la même chansonPuisque demain s'ouvre la vieDis-moi ce que nous chanterons

Nous forcerons l'amourA bercer notre vieD'une chanson jolie

Qu'à deux nous chanteronsNous forcerons l'amourSi tu le veux, ma mieA n'être de nos vies

Que l'humble forgeron

Puisque demain l'on se marieApprenons la même chansonPuisque demain s'ouvre la vieDis-moi ce que nous y verrons

Nous forcerons nos yeuxA ne jamais rien voirQue la chose jolie

Qui vit en chaque choseNous forcerons nos yeuxA n'être qu'un espoirA deux nous offrirons

Comme on offre une rose

Puisque demain l'on se marieApprenons la même chansonPuisque demain s'ouvre la vieDis-moi encore où nous irons

Nous forcerons les portesDes pays d'orient

A s'ouvrir devant nousDevant notre sourire

Nous forcerons, ma mieLe sourire des gensA n'être plus jamaisUne joie qui soupire

Puisque demain s'ouvre la vieOuvrons la porte à ces chansonsPuisque demain l'on se marieApprenons la même chanson

Dites, si c'était vrai1958

© 1958 Editions musicales Pouchenel

Dites, dites, si c'était vraiS'il était né vraiment à Bethléem, dans une étable

Dites, si c'était vraiSi les rois Mages étaient vraiment venus de loin, de fort loin

Pour lui porter l'or, la myrrhe, l'encensDites, si c'était vrai

Si c'était vrai tout ce qu'ils ont écrit Luc, MatthieuEt les deux autres,Dites, si c'était vrai

Si c'était vrai le coup des Noces de Cana

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Page 17: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Et le coup de LazareDites, si c'était vrai

Si c'était vrai ce qu'ils racontent les petits enfantsLe soir avant d'aller dormir

Vous savez bien, quand ils disent Notre Père, quand ils disent Notre MèreSi c'était vrai tout cela

Je dirais ouiOh, sûrement je dirais oui

Parce que c'est tellement beau tout celaQuand on croit que c'est vrai.

Dors ma mieParoles et Musique: F. Rauber/J. Brel 1958

Dors ma mieDehors la nuit est noireDors ma mie bonsoir

Dors ma mieC'est notre dernier soirDors ma mie bonsoir

Sur les fleurs qui ferment leurs paupièresPleure la pluie légère

Et l'oiseau qui chantera l'auroreDors et rêve encor'Ainsi demain déjàSerai seul à nouveauEt tu m'auras perdu

Rien qu'en me voulant tropTu m'auras gaspilléA te vouloir bâtirUn bonheur éternelEnnuyeux à périr

Au lieu de te pencherVers moi tout simplementMoi qui avais besoin

Si fort de ton printempsNon les filles que l'on aimeNe comprendront jamaisQu'elles sont à chaque foisNotre dernier muguetNotre dernière chanceNotre dernier sursaut

Notre dernier départ notre dernier bateauDors ma mie

Dehors la nuit est noireDors ma mie bonsoir

Dors ma mie c'est notre dernier soirDors ma mie je pars

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Page 18: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Fernand1966

Dire que Fernand est mortDire qu'il est mort FernandDire que je suis seul derrièreDire qu'il est seul devantLui dans sa dernière bièreMoi dans mon brouillardLui dans son corbillardMoi dans mon désert

Devant y a qu'un cheval blancDerrière y a que moi qui pleureDire qu' a même pas de vent

Pour agiter mes fleursMoi si j'étais l'Bon Dieu

Je crois qu'j'aurais des remordsDire que maintenant il pleutDire que Fernand est mort

Dire qu'on traverse ParisDans le tout p'tit matinDire qu'on traverse parisEt qu'on dirait BerlinToi, toi, toi tu sais pas

Tu dors mais c'est triste à mourirD'être obligé d'partir

Quand Paris dort encoreMoi je crève d'envieDe réveiller des gens

J't'inventerai une familleJuste pour ton enterrementEt puis si j'étais l'Bon Dieu

Je crois que je ne serais pas fierJe sais on fait ce qu'on peut

Mais il y a la manière

Tu sais je reviendraiJe reviendrai souvent

Dans ce putain de champOù tu dois te reposer

L'été je ferai de l'ombreOn boira du silence

À la santé d'ConstanceQui se fout bien d'ton ombre

Et puis les adultes sont tellement consQu'ils nous feront bien une guerreAlors je viendrai pour de bonDormir dans ton cimetièreEt maintenant bon Dieu

Tu as bien rigoléEt maintenant bon Dieu

Et maintenant j'vais pleurer

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Page 19: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Fils de ...Paroles et Musique: J. Brel/G. Jouannest 1967

Fils de bourgeoisOu fils d'apôtresTous les enfants

Sont comme les vôtresFils de CésarOu fils de rienTous les enfants

Sont comme le tienLe même sourireLes mêmes larmesLes mêmes alarmesLes mêmes soupirs

Fils de CésarOu fils de rienTous les enfants

Sont comme le tienCe n'est qu'aprèsLongtemps après

Mais fils de sultanFils de fakir

Tous les enfantsOnt un empireSous voutes d'or

Sous toits de chaumesTous les enfantsOnt un royaumeUn coin de vague

Une fleur qui trembleUn oiseau mort

Qui leur ressembleFils de sultanFils de fakir

Tous les enfantsOnt un empireCe n'est qu'aprèsLongtemps après

Mais fils de bon filsOu fils d'étrangerTous les enfantsSont des sorciersFils de l'amourFils d'amourettesTous les enfantsSont des poètesIls sont bergers

Ils sont rois magesFont des nuagesPour mieux volerMais fils de bon filsOu fils d'étrangerTous les enfantsSont des sorciersCe n'est qu'aprèsLongtemps après

Mais fils de bourgeoisOu fils d'apôtresTous les enfants

Sont comme les vôtresFils de CésarOu fils de rienTous les enfants

Sont comme le tien

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Page 20: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Le même sourireLes mêmes larmesLes mêmes alarmesLes mêmes soupirs

Fils de CésarOu fils de rienTous les enfants

Sont comme le tien

Grand Jacques (C'est trop facile)Paroles et Musique: Jacques Brel 1955

C'est trop facile d'entrer aux églisesDe déverser toutes ses saletés

Face au curé qui dans la lumière griseFerme les yeux pour mieux nous pardonner

Tais-toi donc Grand JacquesQue connais-tu du Bon DieuUn cantique une image

Tu n'en connais rien de mieux

C'est trop facile quand les guerres sont finiesD'aller gueuler que c'était la dernièreAmi bourgeois vous me faites envie

Vous ne voyez donc point vos cimetières

Tais-toi donc Grand JacquesEt laisse-les donc crierLaisse-les pleurer de joie

Toi qui ne fus même pas soldat

C'est trop facile quand un amour se meurtQu'il craque en deux parce qu'on l'a trop pliéD'aller pleurer comme les hommes pleurent

Comme si l'amour durait l'éternité

Tais-toi donc Grand JacquesQue connais-tu de l'amour

Des yeux bleus des cheveux fousTu n'en connais rien du tout

Et dis-toi donc Grand Jacques {2x}Dis-le-toi bien souvent

C'est trop facileDe faire semblant. {2x}

20

Page 21: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Grand'MèreParoles et Musique: Jacques Brel 1966

Faut voir grand-mèreGrand-mère et sa poitrineGrand-mère et ses usinesEt ses vingt secrétaires

Faut voir mère-grandDiriger ses affaires

Elle vend des courants d'airDéguisés en coups de vent

Faut voir grand-mèreQuand elle compte son magot

Ça fait des tas de zérosPointés comme son derrière

Mais pendant c'temps-làGrand-père court après la bonne

En lui disant que l'argentNe fait pas le bonheur

Comment voulez-vous bonnes gensQue nos bonnes bonnesEt nos petits épargnantsAient le sens des valeurs

Faut voir grand-mèreC'est une tramontaneQui fume le Havane

Et fait trembler la Terre

Faut voir grand-mèreCerclée de générauxÊtre culotte de peau

Et gagner leur guèguerre

Faut voir grand-mèreDressée sous son chapeau

C'est WaterlooOù s'rait pas venu Blucher

Mais pendant c'temps-làGrand-père court après la bonne

En lui disant que l'arméeElle bat l'beure

Comment voulez-vous bonnes gensQue nos bonnes bonnesEt nos chers piou-piousAient le sens des valeurs

Faut voir grand-mèreS'assure sur la mort

Un p'tit coup d'presbytèreUn p'tit coup de r'mords

Faut voir grand-mèreEt ses ligues de vertu

Ses anciens combattantsSes anciens combattus

Faut voir grand-mèreQuand elle se croit pécheresseUn grand verre de grand-messe

Et un doigt de couvent

Mais pendant c'temps-là

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Page 22: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Grand-père court après la bonneEn lui disant que les curés

Sont farceursComment voulez-vous bonnes gens

Que nos bonnes bonnesEt nos petits incroyantsAient le sens des valeurs

Mais il faut voir grand-pèreDans les bistrots bavardsOù claquent les billardsEt les chopes de bière

Faut voir père-grandCaresser les roseauxEffeuiller les étangs

Et pleurer du Rimbaud

Faut voir grand-pèreDimanche finissantHonteux et regretant

D'avoir trompé grand-mère

Mais pendant c'temps-làGrand-mère se tape la bonneEn lui disant que les hommes

Sont menteursComment voulez-vous bonnes gens

Que nos bonnes bonnesEt notre belle jeunesseAient le sens des valeurs

Heureux© Éditions Tropicales

Heureux qui chante pour l'enfantEt qui sans jamais rien lui direLe guide au chemin triomphantHeureux qui chante pour l'enfantHeureux qui sanglote de joie

Pour s'être enfin donné d'amourOu pour un baiser que l'on boitHeureux qui sanglote de joie

Heureux les amants séparésEt qui ne savent pas encor'

Qu'ils vont demain se retrouverHeureux les amants séparésHeureux les amants épargnésEt dont la force de vingt ans

Ne sert à rien qu'à bien s'aimerHeureux les amants épargnés

Heureux les amants que nous sommesEt qui demain loin l'un de l'autre

S'aimeront s'aimerontPar-dessus les hommes

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Page 23: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Il neige sur LiègeParoles et Musique: Jacques Brel 1963

note: du film "Belgique vue du ciel"

Il neige il neige sur LiègeEt la neige sur Liège pour neiger met des gants

Il neige il neige sur LiègeCroissant noir de la Meuse sur le front d'un clown blanc

Il est brisé le criDes heures et des oiseauxDes enfants à cerceauxEt du noir et du gris

Il neige il neige sur LiègeQue le fleuve traverse sans bruit

Il neige il neige sur LiègeEt tant tourne la neige entre le ciel et Liège

Qu'on ne sait plus s'il neige s'il neige sur LiègeOu si c'est Liège qui neige vers le ciel

Et la neige marieLes amants débutantsLes amants promenantSur le carré blanchi

Il neige il neige sur LiègeQue le fleuve transporte sans bruit

Ce soir ce soir il neige sur mes rêves et sur LiègeQue le fleuve transperce sans bruit

Il nous faut regarder© Éditions Tropicales

Derrière la saletéS’étalant devant nous

Derrière les yeux plissésEt les visages mousAu-delà de ces mainsOuvertes ou ferméesQui se tendent en vainOu qui sont poing levé

Plus loin que les frontièresQui sont de barbelésPlus loin que la misèreIl nous faut regarder

Il nous faut regarderCe qu’il y a de beauLe ciel gris ou bleuté

Les filles au bord de l’eauL’ami qu’on sait fidèleLe soleil de demain

Le vol d’une hirondelleLe bateau qui revientL’ami qu’on sait fidèleLe soleil de demain

Le vol d’une hirondelleLe bateau qui revient

Par-delà le concertDes sanglots et des pleurs

Et des cris de colèreDes hommes qui ont peur

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Page 24: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Par delà le vacarmeDes rues et des chantiersDes sirènes d’alarme

Des jurons de charretierPlus fort que les enfantsQui racontent les guerresEt plus fort que les grandsQui nous les ont fait faire

Il nous faut regarderL’oiseau au fond des boisLe murmure de l’été

Le sang qui monte en soiLes berceuses de mèresLes prières des enfantsEt le bruit de la terre

Qui s’endort doucementLes berceuses de mèresLes prières des enfantsEt le bruit de la terre

Qui s’endort doucement

Il peut pleuvoirParoles et Musique: J. Brel/G. Powell 1955

Il peut pleuvoirSur les trottoirs

Des grands boulevardsMoi j'm'en ficheJ'ai ma mie

Auprès de moiIl peut pleuvoirSur les trottoirs

Des grands boulevardsMoi j'm'en ficheCar ma mieC'est toi

Et au soleil là-hautQui nous tourne le dosDans son halo de nuages

Et au soleil là-hautQui nous tourne le dosMoi je crie bon voyage

Il peut pleuvoirSur les trottoirs

Des grands boulevardsMoi j'm'en ficheJ'ai ma mie

Auprès de moiIl peut pleuvoirSur les trottoirs

Des grands boulevardsMoi j'm'en ficheCar ma mieC'est toi

Aux flaques d'eau qui brillentSous les jambes des fillesAux néons étincellantsQui lancent dans la vieLeur postillons de pluieJe crie en rigolant:

Et aux gens qui s'en viennent

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Page 25: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Et aux gens qui s'en vontJour et nuit tournez en rondEt aux gens qui s'en viennentEt aux gens qui s'en vont

Moi je crie à pleins poumons

Y a plein d'espoirSur les trottoirs

Des grands boulevardsEt j'en suis richeJ'ai ma mie

Auprès de moiY a plein d'espoirSur les trottoirs

Des grands boulevardsEt j'en suis richeCar ma mieC'est toiC'est toi ...

Il pleut (Les Carreaux)Paroles et Musique: J. Brel/G. Powell 1955

Il pleutC'est pas ma faute à moiLes carreaux des usinesSont toujours mal lavés

Il pleutLes carreaux des usinesY en beaucoup d'cassés

Les filles qui vont danserNe me regardent pas

Car elles s'en vont danserAvec tous ceux là

Qui savent leur payerPour pouvoir s'amuserDes fleurs de papierOu de l'au parfumée

Les filles qui vont danserNe me regardent pas

Car elles s'en vont danserAvec tous ceux là

Il pleutC'est pas ma faute à moiLes carreaux des usinesSont toujours mal lavésLes corridors crasseuxSont les seuls que je voisLes escaliers qui montentIls sont toujours pour moi

Mais quand je suisSeul sous les toitsAvec le soleil

Et avec les nuagesJ'entends la rue pleurerJe vois les cheminéesDe la ville fumer

Doucement dans mon ciel à moiLa lune dansePour moi le soirElle danse danseElle danse danseEt son haleine

Immense halo me caresseJe m'y plonge le soir

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Page 26: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Et j'y plonge ma peine

Il pleutEt c'est ma faute à moiLes carreaux des usinesSont toujours mal lavés

Il pleutLes carreaux des usinesMoi j'irai les casser

Il y aIl y a tant de brouillard dans les ports, au matinQu'il n'y a de filles dans le cœur des marinsIl y a tant de nuages qui voyagent là-haut

Qu'il n'y a d'oiseauxIl y a tant de labours il y a tant de semences

Qu'il n'y a de joie d'espéranceIl y a tant de ruisseaux il y a tant de rivières

Qu'il n'y a de cimetières

Mais il y a tant de bleu dans les yeux de ma mieIl y a dans ses yeux tant de vie

Il y a dans ses cheveux un peu d'éternitéSur sa lèvre tant de gaieté

Il y a tant de lumières dans les rues des citéesQu'il n'y a d'enfants désolés

Il y a tant de chansons perdues dans le ventQu'il n'y a d'enfants

Il y a tant de vitraux, il y a tant de clochersQu'il n'y a de voix qui nous disent d'aimerIl y a tant de canaux qui traversent la terreQu'il n'y a de rides au visage des mères

IsabelleParoles et Musique: J. Brel/J. Brel-F. Rauber 1959

Quand Isabelle dort plus rien ne bougeQuand Isabelle dort au berceau de sa joie

Sais-tu qu'elle vole la coquineLes oasis du Sahara

Les poissons dorés de la ChineEt les jardins de l'Alhambra

Quand Isabelle dort plus rien ne bougeQuand Isabelle dort au berceau de sa joie

Elle vole les rêves et les jeuxD'une rose et d'un bouton d'orPour se les poser dans les yeuxBelle Isabelle quand elle dort

Quand Isabelle rit plus rien ne bougeQuand Isabelle rit au berceau de sa joie

Sais-tu qu'elle vole la cruelleLe rire des cascades sauvagesQui remplacent les escarcelles

Des rois qui n'ont pas d'équipagesQuand Isabelle rit plus rien ne bougeQuand Isabelle rit au berceau de sa joie

Elle vole les fenêtres de l'heureQui s'ouvrent sur le paradisPour se les poser dans le cœur

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Page 27: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Belle Isabelle quand elle rit

Quand Isabelle chante plus rien ne bougeQuand Isabelle chante au berceau de sa joie

Sais-tu qu'elle vole la dentelleTissée au cœur de rossignol

Et les baisers que les ombrellesEmpêchent de prendre leur vol

Quand Isabelle chante plus rien ne bougeQuand Isabelle chante au berceau de sa joie

Elle vole le velours et la soieQu'offre la guitare à l'infantePour se les poser dans la voixBelle Isabelle quand elle chante

J'aimaisParoles et Musique: J. Brel/G. Jouannest/F. Rauber 1963

J'aimais les fées et les princessesQu'on me disait n'exister pasJ'aimais le feu et la tendresseTu vois je vous rêvais déjà

J'aimais les tours hautes et largesPour voir au large venir l'amour

J'aimais les tours de cœur de gardeTu vois je vous guettais déjà

J'aimais le col ondoyant des vaguesLes saules nobles languissant vers moiJ'aimais la ligne tournante des algues

Tu vois je vous savais déjà

J'aimais courir jusqu'à tomberJ'aimais la nuit jusqu'au matinJe n'aimais rien non j'ai adoréTu vois je vous aimais déjà

J'aimais l'été pour ses oragesEt pour la foudre sur le toit

J'aimais l'éclair sur ton visageTu vois je vous brûlais déjà

J'aimais la pluie noyant l'espaceAu long des brumes du pays plat

J'aimais la brume que le vent chasseTu vois je vous pleurais déjà

J'aimais la vigne et le houblonLes villes du Nord les laides de nuitLes fleuves profonds m'appelant au lit

Tu vois je vous oubliais déjà

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Page 28: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

J'arrive

De chrysanthèmes en chrysanthèmesNos amitiés sont en partance

De chrysanthèmes en chrysanthèmesLa mort potence nos dulcinées

De chrysanthèmes en chrysanthèmesLes autres fleurs font ce qu'elles peuventDe chrysanthèmes en chrysanthèmes

Les hommes pleurent les femmes pleuvent

J'arrive j'arriveMais qu'est-ce que j'aurais bien aimé

Encore une fois traîner mes osJusqu'au soleil jusqu'à l'été

Jusqu'à demain jusqu'au printempsJ'arrive, j'arrive

Mais qu'est-ce que j'aurais bien aiméEncore une fois voir si le fleuveEst encore fleuve voir si le portEst encore port m'y voir encore

J'arrive j'arriveMais pourquoi moi pourquoi maintenant

Pourquoi déjà et où allerJ'arrive bien sûr, j'arrive

N'ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver

De chrysanthèmes en chrysanthèmesA chaque fois plus solitaire

De chrysanthèmes en chrysanthèmesA chaque fois surnuméraire

J'arrive j'arriveMais qu'est-ce que j'aurais bien aiméEncore une fois prendre un amour

Comme on prend le train pour plus être seulPour être ailleurs pour être bien

J'arrive j'arriveMais qu'est-ce que j'aurais bien aiméEncore une fois remplir d'étoiles

Un corps qui tremble et tomber mortBrûlé d'amour le cœur en cendres

J'arrive j'arriveC'est même pas toi qui est en avanceC'est déjà moi qui suis en retard

J'arrive, bien sûr j'arriveN'ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver.

J'en appelleParoles et Musique: Jacques Brel 1957

J'en appelle aux maisonsÉcrasées de lumière

J'en appelle aux amoursQue chantent les rivières

A l'éclatement bleuDes matins de printempsA la force jolie des filles

Qui ont vingt ansA la fraicheur certaineD'un vieux puit de désert

A l'étoile qu'attendLe vieil homme qui se perdPour que monte de nous

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Page 29: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Et plus fort qu'un désirLe désir incroyable

De se vouloir construireEn se désirant faible

Et plutôt qu'orgueilleuxEn se désirant lâche

Plutôt que monstrueux

J'en appelle à ton rireQue tu croques au soleilJ'en appelle à ton criÀ nul autre pareilAu silence joyeux

Qui parle doucementA ces mots que l'on ditRien qu'en se regardant

A la pesante mainDe notre amour sincèreA nos vingt ans trouvésÀ tout ce qu'ils espèrentPour que monte de nousEt plus fort qu'un désirLe désir incroyable

De se vouloir construireEn préférant plutôtQue la gloire inutileEt le bonheur profondEt puis la joie tranquille

J'en appelle aux maisonsÉcrasées de lumièreJ'en appelle à ton criÀ nul autre pareil

JaurèsParoles et Musique: Jacques Brel 1977

Ils étaient usés à quinze ansIls finissaient en débutant

Les douze mois s'appelaient décembreQuelle vie ont eu nos grand-parentsEntre l'absinthe et les grand-messesIls étaient vieux avant que d'être

Quinze heures par jour le corps en laisseLaissent au visage un teint de cendres

Oui notre Monsieur, oui notre bon Maître

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

On ne peut pas dire qu'ils furent esclavesDe là à dire qu'ils ont vécu

Lorsque l'on part aussi vaincuC'est dur de sortir de l'enclaveEt pourtant l'espoir fleurissait

Dans les rêves qui montaient aux cieuxDes quelques ceux qui refusaientDe ramper jusqu'à la vieillesse

Oui notre bon Maître, oui notre Monsieur

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

Si par malheur ils survivaientC'était pour partir à la guerre

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Page 30: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

C'était pour finir à la guerreAux ordres de quelque sabreurQui exigeait du bout des lèvres

Qu'ils aillent ouvrir au champ d'horreurLeurs vingt ans qui n'avaient pu naître

Et ils mouraient à pleine peurTout miséreux oui notre bon Maître

Couverts de prèles oui notre MonsieurDemandez-vous belle jeunesse

Le temps de l'ombre d'un souvenirLe temps de souffle d'un soupir

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

Je ne sais pas1958

Je ne sais pas pourquoi la pluieQuitte là-haut ses oripeaux

Que sont les lourds nuages grisPour se coucher sur nos coteauxJe ne sais pas pourquoi le ventS'amuse dans les matins clairsA colporter les rires d'enfantsCarillons frêles de l'hiverJe ne sais rien de tout cela

Mais je sais que je t'aime encor'

Je ne sais pas pourquoi la routeQui me pousse vers la cité

A l'odeur froide des déroutesDe peuplier en peuplier

Je ne sais pas pourquoi le voileDu brouillard glacé qui m'escorteMe fait penser aux cathédrales

Où l'on prie pour les amours mortesJe ne sais rien de tout cela

Mais je sais que je t'aime encor'

Je ne sais pas pourquoi la villeM'ouvre ses remparts de faubourgsPour me laisser glisser fragileSous la pluie parmi ses amoursJe ne sais pas pourquoi ces gensPour mieux célébrer ma défaitePour mieux suivre l'enterrementOnt le nez collé aux fenêtresJe ne sais rien de tout cela

Mais je sais que je t'aime encor'

Je ne sais pas pourquoi ces ruesS'ouvrent devant moi une à uneVierges et froides froides et nuesRien que mes pas et pas de luneJe ne sais pas pourquoi la nuitJouant de moi comme guitare

M'a forcé à venir iciPour pleurer devant cette gareJe ne sais rien de tout cela

Mais je sais que je t'aime encor'

Je ne sais pas à quelle heure partCe triste train pour AmsterdamQu'un couple doit prendre ce soir

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Page 31: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Un couple dont tu es la femmeEt je ne sais pas pour quel port

Part d'Amsterdam ce grand navireQui brise mon cœur et mon corps

Notre amour et mon avenirJe ne sais rien de tout cela

Mais je sais que je t'aime encor'Mais je sais que je t'aime encor'

Je prendrai

Je prendraiDans les yeux d'un ami

Ce qu'il y a de plus chaud de plus beauEt de plus tendre aussi

Qu'on ne voit que deux ou trois foisDurant toute une vie

Et qui fait que cet ami est notre ami

Je prendraiUn nuage de ma jeunesseQui passait rond et blanc

Par-dessus ma tête et souventEt qui aux jours de faiblesseRessemblait à ma mère

Et aux jours de colère à un lionUn beau nuage douillet et rond et confortable

Je prendraiCe ruisseau clair et frêle d'avrilQui disparaît aux premiers froids

Qui disparaît tout l'hiverEt coule alors paraît-il sur la table des Noces de Cana

Je prendraiMa lampe ma meilleurePas celle qui éclaireNon celle qui illumine

Et rend joli et appelle de loin

Je prendraiUn lit un grand le mien

Et qui sait ce que c'est qu'un hommeEt son chagrin

Un grand lit d'être humain

Je prendrai tout celaEt puis je bâtirai

Je bâtirai et j'appellerai les gensQui passeront dans la rue

Et je leur montreraiMa crèche de Noël

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Page 32: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Je suis un soir d'étéParoles et Musique: Jacques Brel 1968

© 1968 Editions Pouchenel Bruxelles

Et la sous-préfectureFête la sous-préfète

Sous le lustre à facettesIl pleur des orangeadesEt des champagnes tièdes

Et les propos glacésDes femelles maussadesDe fonctionnarisés

Je suis un soir d'étéAux fenêtres ouvertesLes dîneurs familiaux

Repoussent leurs assiettesEt disent qu'il fait chaud

Les hommes lancent des rotsDe chevaliers teutons

Les nappes tombent en miettesPar-dessus les balcons

Je suis un soir d'étéAux terrasses brouillées

Quelques buveurs humidesParlent de haridellesEt de vieilles perfides

C'est l'heure où les bretellesSoutiennent le présentDes passants répandusEt des alcoolisants

Je suis un soir d'étéDe lourdes amoureusesAux odeurs de cuisinePromènent leur poitrineSur les flancs de la MeuseIl leur manque un soldatPour que l'été ripaille

Et monte vaille que vailleJusqu'en haut de leurs bas

Je suis un soir d'étéAux fontaines les vieuxBardés de références

Rebroussent leur enfanceA petits pas pluvieux

Ils rient de toute une dentPour croquer le silence

Autour des filles qui dansentA la mort d'un printemps

Je suis un soir d'étéLa chaleur se vertèbreIl fleuve des ivresses

L'été a ses grand-messesEt la nuit les célèbre

La ville aux quatre ventsClignote le remordsInutile et passant

De n'être pas un port

Je suis un soir d'été

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Page 33: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Je t'aimeParoles et Musique: F. Bauber/J. Brel 1959

Pour la rosée qui tremble au calice des fleursDe n'être pas aimée et ressemble à ton cœur

Je t'aimePour le noir de la pluie au clavecin de l'étangJouant page de lune et ressemble à ton chant

Je t'aimePour l'aube qui balance sur le fil d'horizonLumineuse et fragile et ressemble à ton front

Je t'aime

À l'aurore légère qu'un oiseau fait frémirEn la battant de l'aile et ressembles à ton rire

Je t'aimePour le jour qui se lève et dentelles de boisAu point de la lumière et ressemble à ta joie

Je t'aimePour le jour qui revient d'une nuit sans amourEt ressemble déjà, ressemble à ton retour

Je t'aimePour la porte qui s'ouvre pour le cri qui jaillitEnsemble de deux cœurs et ressemble à ce cri

Je t'aime... Je t'aime Je t'aime

JefParoles et Musique: Jacques Brel 1964

Non Jef t'es pas tout seulMais arrête de pleurer

Comme ça devant tout le mondeParce qu'une demi-vieilleParce qu'une fausse blonde

T'a relaissé tomberNon Jef t'es pas tout seul

Mais tu sais que tu me fais honteA sangloter comme ça

Bêtement devant tout le mondeParce qu'une trois quarts putain

T'a claqué dans les mainsNon Jef t'es pas tout seulMais tu fais honte à voir

Les gens se paient notre têteFoutons le camp de ce trottoirAllez viens Jef viens viens

{Refrain:}

Viens il me reste trois sousOn va aller se les boireChez la mère Françoise

Viens il me reste trois sousEt si c'est pas assez

Ben il me restera l'ardoisePuis on ira manger

Des moules et puis des fritesDes frites et puis des moules

Et du vin de MoselleEt si t'es encore tristeOn ira voir les filles

Chez la madame Andrée

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Page 34: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Parait qu'y en a de nouvellesOn rechantera comme avantOn sera bien tous les deux

Comme quand on était jeunesComme quand c'était le temps

Que j'avais de l'argent

Non Jef t'es pas tout seulMais arrête tes grimacesSoulève tes cent kilosFais bouger ta carcasse

Je sais que t'as le cœur grosMais il faut le souleverNon Jef t'es pas tout seulMais arrête de sangloterArrête de te répandreArrête de répéter

Que t'es bon à te foutre à l'eauQue t'es bon à te pendreNon Jef t'es pas tout seulMais c'est plus un trottoirça devient un cinéma

Où les gens viennent te voirAllez viens Jef viens viens

{Refrain}

Viens il me reste ma guitareJe l'allumerai pour toiEt on sera espagnols

Comme quand on était mômesMême que j'aimais pas çaT'imiteras le rossignol

Puis on se trouvera un bancOn parlera de l'AmériqueOù c'est qu'on va allerQuand on aura du fricEt si t'es encore triste

Ou rien que si t'en as l'airJe te raconterai commentTu deviendras RockfellerOn sera bien tous les deuxOn rechantera comme avantComme quand on était beauxComme quand c'était le tempsD'avant qu'on soit poivrots

Allez viens Jef viens viensOui oui Jef oui viens.

JojoMusique: Jacques Brel

Jojo,Voici donc quelques rires

Quelques vins quelques blondesJ'ai plaisir à te dire

Que la nuit sera longueA devenir demain

Jojo,Moi je t'entends rugir

Quelques chansons marinesOù des Bretons devinentQue Saint-Cast doit dormirTout au fond du brouillard

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Page 35: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Six pieds sous terre Jojo tu chantes encoreSix pieds sous terre tu n'es pas mort

Jojo,Ce soir comme chaque soirNous refaisons nos guerresTu reprends Saint-Nazaire

Je refais l'OlympiaAu fond du cimetière Jojo,Nous parlons en silenceD'une jeunesse vieille

Nous savons tous les deuxQue le monde sommeillePar manque d'imprudence

Six pieds sous terre Jojo tu espères encoreSix pieds sous terre tu n'es pas mort

Jojo,Tu me donnes en riantDes nouvelles d'en basJe te dis mort aux consBien plus cons que toi

Mais qui sont mieux portantsJojo,

Tu sais le nom des fleursTu vois que mes mains tremblent

Et je te sais qui pleurePour noyer de pudeur

Mes pauvres lieux communs

Six pieds sous terre Jojo tu frères encoreSix pieds sous terre tu n'es pas mort

Jojo.Je te quitte au matin

Pour de vagues besognesParmi quelques ivrognesDes amputés du cœur

Qui ont trop ouvert les mainsJojo,

Je ne rentre plus nulle partJe m'habille de nos rêvesOrphelin jusqu'aux lèvresMais heureux de savoirQue je te viens déjà

Six pieds sous terre Jojo tu n'es pas mortSix pieds sous terre Jojo je t'aime encore.

Knokke-le-ZouteParoles et Musique: Jacques Brel 1977

Les soirs où je suis argentinJe m'offre quelques argentinesQuite à cueillir dans les vitrinesDes jolis quartiers d'Amsterdam

Des lianes qui auraient ce teint de femmeQu'exporte vos cités latinesCes soirs-là je les veux félinesAvec un rien de brillantine

Collé aux cheveux de la langueElles seraient fraiches comme des mangues

Et compenseraient leur maladresseÀ coups de poitrine et de fesses

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Page 36: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Ah mais ce soirY a pas d'argentinesY a pas d'espoirY a pas de douteNon ce soir

Il pleut sur Knokke-le-ZouteCe soir comme tous les soirs

Je me rentre chez moiLe cœur en dérouteEt la bitte sous l'bras

Les jours où je suis espagnolPetites fesses grande bagnole

Elles passent toutes à la casseroleQuite à pourchasser dans Hambourg

Des carmencitas de faubourgQui nous reviennent de vérole

Je me les veux fraiches et joyeusesBonnes travailleuse sans parlotesMi andalouses mi anguleusesDe ces femelles qu'on gestapote

Parce qu'elles ne savent pas encoreQue Franco est tout à fait mort

Mais ce soirY a pas d'espagnolesY a pas de casseroles

Y pas de douteNon ce soir

Il pleut sur Knokke-le-ZouteCe soir comme tous les soirs

Je me rentre chez moiLe cœur en dérouteEt la bitte sous l'bras

Les soirs depuis CaracasJe panama je partaguasse

Je suis l'plus beauJe pars en chasse

Je glisse de palace en palacePour y dénicher le gros lot

Qui n'attend que mon coup de grâceJe la veux folle comme un traveloDécouverte de vieux rideaux

Mais cependant "dévanescente"Elle m'attendrait depuis toujoursCerclée de serpents et de plantes

Parmi les livres de Dufour

Mais ce soirY a pas de Caracas

Y a pas de dévanescentesY a pas de douteMais ce soir

Il pleut sur Knokke-le-ZouteCe soir comme tous les soirs

Je me rentre chez moiLe cœur en dérouteEt la bitte sous l'bras

Demain ouiPeut être que ...

Peut être que demain je serai argentin ... ouiJe m'offrai des argentines

Quite à cueillir dans les vitrinesDes jolis quartiers d'Amsterdam

Des lianes qui auraient ce teint de femmeQu'exporte vos cités latinesDemain je les voudrai félines

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Page 37: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Avec ce rien de brillantineCollé aux cheveux de la langue

Elles seront fraiches comme des manguesEt compenseront leur maladresseÀ coups de poitrine et de fesses

Demain je serai espagnolPetites fesses grande bagnole

Elles passeront toutes à la casseroleQuite à pourchasser dans Hambourg

Des Carmencitas de faubourgQui nous reviendront de véroleJe les voudrai fraiches et joyeusesBonnes travailleuses sans parlotesMi andalouses mi anguleusesDe ces femelles qu'on gestapote

Parce qu'elles ne savent pas encoreQue Franco est tout à fait mort

Les soirs depuis CaracasJe panama je partaguasse

Je suis l'plus beauJe pars en chasse

Je glisse de palace en palacePour y dénicher le gros lot

Qui n'attend que mon coup de grâceJe la veux folle comme un traveloDécouverte de vieux rideauxMais cependant dévanescente

Elle m'attendrait depuis toujoursCerclée de serpents et de plantesParmi les livres de "Dufour"

L'âge idiot1966 "Jef"

L'âge idiot, c'est à vingt fleursQuand le ventre brûle de faimQu'on croit se laver le cœurRien qu'en se lavant les mains

Qu'on a les yeux plus grands que le ventreQu'on a les yeux plus grands que le cœurQu'on a le cœur encore trop tendre

Qu'on a les yeux encore pleins de fleursMais qu'on sent bon les champs de luzerne

L'odeur des tambours mal battusQu'on sent les clairons refroidis

Et les lits de petite vertuEt qu'on s'endort toutes les nuits

Dans les casernes

L'âge idiot, c'est à trente fleursQuand le ventre prend naissanceQuand le ventre prend puissance

Qu'il vous grignote le cœurQuand les yeux se font plus lourdsQuand les yeux marquent les heuresEux qui savent qu'à trente fleursCommence le compte à rebours

Qu'on rejette les vieux dans leur caverneQu'on offre à Dieu des bonnets d'âneMais que le soir on s'allume des feuxEn frottant deux cœurs de femmesEt qu'on regrette déjà un peu

Le temps des casernes

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Page 38: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

L'âge idiot c'est soixante fleursQuand le ventre se ballotteQuand le ventre ventripoteQu'il vous a bouffé le cœur

Quand les yeux n'ont plus de larmesQuand les yeux tombent en neige

Quand les yeux perdent leurs piègesQuand les yeux rendent les armesQu'on se ressent de ses amoursMais qu'on se sent des patiencesPour de vieilles sur le retourOu des trop jeunes en partance

Et qu'on se croit protégéPar les casernes

L'âge d'or c'est quand on meurtQu'on se couche sous son ventreQu'on se cache sous son ventreLes mains protégeant le cœurQu'on a les yeux enfin ouvertsMais qu'on ne se regarde plusQu'on regarde la lumièreEt ses nuages pendus

L'âge d'or c'est après l'enferC'est après l'âge d'argentOn redevient petit enfantDedans le ventre de la terreL'âge d'or c'est quand on dortDans sa dernière caserne

L'Air de la BêtiseParoles et Musique: Jacques Brel 1957

Mère des gens sans inquiétudeMère de ceux que l'on dit fortsMère des saintes habitudes

Princesse des gens sans remordsSalut à toi, dame Bêtise

Toi dont le règne est méconnuSalut à toi, Dame Bêtise

Mais dis-le moi: "Comment fais-tuPour avoir tant d'amants,

Et tant de fiancés,Tant de représentantsEt tant de prisonniersPour tisser de tes mainsTant de malentendusEt faire croire au crétin

Que nous sommes vaincusPour fleurir notre vieDe basses révérencesDe mesquines enviesDe nobles intolérancesDe mesquines enviesDe nobles intolérancesDe mesquines enviesDe nobles intolérances

Mère de nos femmes fatalesMère des mariages de raisonMère des filles à succursalesPrincesse pâle du visonSalut à toi, Dame Bêtise

Toi dont le règne est méconnuSalut à toi, Dame Bêtise

Mais dis moi: "Comment fais-tu

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Page 39: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Pour que point l'on ne voitLe sourire entendu

Qui fera de vous et moiDe très nobles cocus cocusPour me faire oublier

Que les putains les vraiesSont celles qui font payerPas avant mais après

Pour qu'il puisse m'arriverDe croiser certains soirsTon regard familier

Au fond de mon miroirTon regard familier

Au fond de mon miroirTon regard familier

Au fond de mon miroir.

L'aventure

L'aventure commence à l'auroreA l'aurore de chaque matinL'aventure commence alors

Que la lumière nous lave les mains

L'aventure commence à l'auroreEt l'aurore nous guide en chemin

L'aventure c'est le trésorQue l'on découvre à chaque matin

Pour Martin c'est le fer sur l'enclumePour César le vin qui chantera

Pour Yvon c'est la mer qu'il écumeC'est le jour qui s'allumeC'est le blé que l'on bat

L'aventure commence à l'auroreA l'aurore de chaque matinL'aventure commence alors

Que la lumière nous lave les mains

Tout ce que l'on cherche à redécouvrirFleurit chaque jour au coin de l'oubli (?)La grande aventure il faut la cueillirEntre notre église et notre mairieEntre la barrière du Père MachinEt le bois joli de monsieur le BaronEt entre la vigne de notre voisinEt le doux sourire de la Madelon

L'aventure commence à l'auroreA l'aurore de chaque matinL'aventure commence alors

Que la lumière nous lave les mainsL'aventure commence à l'auroreEt l'aurore nous guide en chemin

L'aventure c'est le trésorQue l'on découvre à chaque matin

Pour Martin c'est le fer sur l'enclumePour César le vin qui chantera

Pour Yvon c'est la mer qu'il écumeC'est le jour qui s'allumeC'est le blé que l'on bat

L'aventure commence à l'aurore

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Page 40: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

A l'aurore de chaque matinL'aventure commence alors

Que la lumière nous lave les mains

Tous ceux que l'on cherche à pouvoir aimerSont auprès de nous et à chaque instant

Dans le creux des rues dans l'ombre des prèsAu bout du chemin au milieu des champsDebouts dans le vent et semant le bléPliés vers le sol saluant la terre

Assis près des vieux et tressant l'osierCouchés au soleil et buvant la lumière (dans la lumière?)

L'aventure commence à l'auroreA l'aurore de chaque matinL'aventure commence alors

Que la lumière nous lave les mainsL'aventure commence à l'auroreEt l'aurore nous guide en chemin

L'aventure c'est le trésorQue l'on découvre à chaque matin

Pour Martin c'est le fer sur l'enclumePour César le vin qui chantera

Pour Yvon c'est la mer qu'il écumeC'est le jour qui s'allumeC'est le blé que l'on bat

L'aventure commence à l'auroreA l'aurore de mille chemins (?)

L'aventure c'est le trésorQue l'on découvre à chaque matin matin

L'ÉclusierParoles et Musique: Jacques Brel 1968

Les mariniersMe voient vieillirJe vois vieillirLes mariniersOn joue au jeuDes imbécilesOù l'immobileEst le plus vieuxDans mon métierMême en étéFaut voyager

Les yeux fermés.

Ce n'est pas rien d'être éclusier

Les mariniersSavent ma trogneIls me plaisantentEt ils ont tortMoitié sorcierMoitié ivrogneJe jette un sort

À tout c'qui chanteDans mon métierC'est en automne

Qu'on cueille les pommesEt les noyés

Ce n'est pas rien d'être éclusier

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Page 41: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Dans son panierUn enfant louche

Pour voir la moucheQui est sur son nezMaman ronronneLe temps soupireLe chou transpireLe feu ronchonneDans mon métierC'est en hiver

Qu'on pense au pèreQui s'est noyé

Ce n'est pas rien d'être éclusier

Vers le printempsLes marinières

M'font des manièresDe leur chaland

J'aimerais leur jeuSans cette guerreQui m'a un peuTrop abimé

Dans mon métierC'est au printempsQu'on prend le temps

De se noyer

L'EnfanceParoles et Musique: Jacques Brel

note: du film "Le Far West"

L'enfanceQui peut nous dire quand ça finit

Qui peut nous dire quand ça commenceC'est rien avec de l'imprudenceC'est tout ce qui n'est pas écrit

L'enfanceQui nous empêche de la vivreDe la revivre infiniment

De vivre à remonter le tempsDe déchirer la fin du livre

L'enfanceQui se dépose sur nos rides

Pour faire de nous de vieux enfantsNous revoilà jeunes amants

Le cœur est plein la tête est videL'enfance l'enfance

L'enfanceC'est encore le droit de rêverEt le droit de rêver encore

Mon père était un chercheur d'orL'ennui c'est qu'il en a trouvé

L'enfanceIl est midi tous les quart d'heure

Il est jeudi tous les matinsLes adultes sont déserteurs

Tous les bourgeois sont des Indiens

L'enfance

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Page 42: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

L'enfance

{+ couplet isolé :}

Si les parents savaient l'enfanceSi les moindres amants savaientSi par chance ils savaient l'enfanceIl n'y aurait plus d'enfants jamais.

L'Homme dans la citéParoles et Musique: Jacques Brel 1958

Pourvu que nous vienne un hommeAux portes de la cité

Que l'amour soit son royaumeEt l'espoir son invité

Et qu'il soit pareil aux arbresQue mon père avait plantés

Fiers et nobles comme soir d'étéEt que les rires d'enfantsQui lui tintent dans la tête

L'éclaboussent d'un reflet de fête

Pourvu que nous vienne un hommeAux portes de la cité

Que son regard soit un psaumeFait de soleils éclatés

Qu'il ne s'agenouille pasDevant tout l'or d'un seigneur

Mais parfois pour cueillir une fleurEt qu'il chasse de la mainÀ jamais et pour toujours

Les solutions qui seraient sans amour

Pourvu que nous vienne un hommeAux portes de la cité

Et qui ne soit pas une baumeMais une force une clartéEt que sa colère soit juste

Jeune et belle comme l'orageQu'il ne soit jamais ni vieux ni sage

Et qu'il rechasse du templeL' écrivain sans opinion

Marchand de rienMarchand d'évotions

Pourvu que nous vienne un hommeAux portes de la cité

Avant que les autre hommesQui vivent dans la cité

Humiliés l'espoir meurtriEt lourds de leur colère froideNe dressent au creux des nuits

De nouvelles barricades

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Page 43: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

L'ivrogneParoles et Musique: J. Brel/G. Jouannest-F. Rauber 1961

Ami remplis mon verreEncore un et je vasEncore un et je vaisNon je ne pleure pasJe chante et je suis gaiMais j'ai mal d'être moiAmi remplis mon verreAmi remplis mon verre

Buvons à ta santéToi qui sais si bien direQue tout peut s'arranger

Qu'elle va revenirTant pis si tu es menteurTavernier sans tendresse

Je serai saoul dans une heureJe serai sans tristesse

Buvons à la santéDes amis et des riresQue je vais retrouverQui vont me revenir

Tant pis si ces seigneursMe laissent à terre

Je serai saoul dans une heureJe serai sans colère

Ami remplis mon verreEncore un et je vasEncore un et je vaisNon je ne pleure pasJe chante et je suis gaiMais j'ai mal d'être moiAmi remplis mon verreAmi remplis mon verre

Buvons à ma santéQue l'on boive avec moiQue l'on vienne danserQu'on partage ma joieTant pis si les danseursMe laissent sous la lune

Je serai saoul dans une heureJe serai sans rancune

Buvons aux jeunes fillesQu'il me reste à aimerBuvons déjà aux fillesQue je vais faire pleurerEt tant pis pour les fleursQu'elles me refuseront

Je serai saoul dans une heureJe serai sans passion

Ami remplis mon verreEncore un et je vasEncore un et je vaisNon je ne pleure pasJe chante et je suis gaiMais j'ai mal d'être moiAmi remplis mon verreAmi remplis mon verre

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Page 44: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Buvons à la putainQui m'a tordu le cœurBuvons à plein chagrinBuvons à pleines pleursEt tant pis pour les pleursQui me pleuvent ce soir

Je serai saoul dans une heureJe serai sans mémoire

Buvons nuit après nuitPuisque je serai trop laidPour la moindre SylviePour le moindre regret

Buvons puisqu'il est l'heureBuvons rien que pour boireJe serai bien dans une heure

Je serai sans espoir

Ami remplis mon verreEncore un et je vasEncore un et je vaisNon je ne pleure pasJe chante et je suis gaiTout s'arrange déjà

Ami remplis mon verreAmi remplis mon verreAmi remplis mon verre

L'OstendaiseParoles et Musique: J. Brel/F. Rauber 1968

Une OstendaisePleure sur sa chaiseLe chat soupèse

Son poids d'amourDans le silence

Son chagrin danseEt les vieux pensentChacun son tourÀ la cuisine

Quelques voisinesParlent de ChineEt d'un retourÀ SingaporeUne Javanaise

Devient belle-sœurDe l'Ostendaise

Il y a deux sortes de tempsIl y a le temps qui attendEt le temps qui espèreIl y a deux sortes de gens

Il y a les vivantsEt ceux qui sont en mer

Notre OstendaiseQue rien n'abaiseDe chaise en chaiseVa sa blessure

Quelques commèresQuelques compères

Battent le ferDe sa blessureSon capitaine

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Page 45: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Sous sa bedaineDe bière pleineBat le tambour

Homme de devoirHomme d'étoilesIl prend l'escalePour un détour

Il y a deux sortes de tempsIl y a le temps qui attendEt le temps qui espèreIl y a deux sortes de gens

Il y a les vivantsEt ceux qui sont en mer

Notre OstendaiseAu temps des fraisesDevient maîtresseD'un pharmacienSon capitaine

Mort sous bedaineJoue les baleinesLes sous-marins

Pourquoi ma douceMoi le faux mousseQue le temps pousseT'écrire de loin

C'est que je t'aimeEt tant je t'aime

Qu'ai peur ma reineD'un pharmacien

Il y a deux sortes de tempsIl y a le temps qui attendEt le temps qui espèreIl y a deux sortes de gens

Il y a les vivantsEt moi je suis en mer

La BastilleParoles et Musique: Jacques Brel 1955

Mon ami, qui croit que tout doit changerCrois-tu le droit d'aller tuer les bourgeoisSi tu crois encore qu'il nous faut descendre

Dans le creux des rues pour monter au pouvoirSi tu crois encore au rêve du grand soir

Et que nos ennemis, il faut aller les pendre

Dis-le toi désormaisMême s'il est sincèreAucun rêve jamais

Ne mérite une guerreOn a détruit la BastilleEt ça n'a rien arrangéOn a détruit la Bastille

Quand il fallait nous aimer

Mon ami, qui croit, que rien ne doit changerTe crois-tu le droit de vivre et de penser en bourgeois

Si tu crois encore qu'il nous faut défendreUn bonheur acquis au prix d'autres bonheursSi tu crois encore que c'est parce qu'ils ont tortQue les gens te saluent plutôt que de te pendre

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Page 46: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Dis-le toi désormaisMême s'il est sincèreAucun rêve jamais

Ne mérite une guerreOn a détruit la BastilleEt ça n'a rien arrangéOn a détruit la Bastille

Quand il fallait nous aimer

Mon ami, je crois que tout peut s'arrangerSans cris sans effroi même sans insulter les bourgeois

L'avenir dépend des révolutionnairesMais se moque bien des petits révoltésL'avenir ne veut ni feu ni sang ni guerre

Ne sois pas de ceux-là qui vont nous les donner

Hâtons-nous d'espérerMarchons aux lendemains

Tendons une mainQui ne soit pas ferméeOn a détruit la BastilleEt ça n'a rien arrangéOn a détruit la Bastille

Ne pourrait-on pas s'aimer

La bièreParoles et Musique: Jacques Brel

Ça sent la bièreDe Londres à BerlinÇa sent la bière

Dieu qu'on est bienÇa sent la bière

De Londres à BerlinÇa sent la bière

Donne-moi la main

C'est plein d'UilenspieghelEt de ses cousins et d'arrière-cousins

De Breughel l'AncienC'est plein de gens du nordQui mord comme un chien

Le porc qui dort le ventre plein

Ça sent la bièreDe Londres à BerlinÇa sent la bière

Dieu qu'on est bienÇa sent la bière

De Londres à BerlinÇa sent la bière

Donne-moi la main

C'est plein de verres pleinsQui vont à kermesse comme vont à messe

Vieilles au matinC'est plein de jours morts

Et d'amours gelésChez nous y a qu'l'été

Que les filles aient un corps

Ça sent la bièreDe Londres à BerlinÇa sent la bière

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Page 47: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Dieu qu'on est bienÇa sent la bière

De Londres à BerlinÇa sent la bière

Donne-moi la main

C'est plein de finissantsQui soignent leurs souvenirs

En mouillant de riresLeurs poiluchons blancsC'est plein de débutantsQui soignent leur vérole

En caracolant de Prosit en Skoll

Ça sent la bièreDe Londres à BerlinÇa sent la bière

Dieu qu'on est bienÇa sent la bière

De Londres à BerlinÇa sent la bière

Donne-moi la main

C'est plein de "Godferdom"C'est plein d'Amsterdam

C'est plein de mains d'hommesAux croupes des femmesC'est plein de mèmèresQui ont depuis toujoursUn sein pour la bièreUn sein pour l'amour

Ça sent la bièreDe Londres à BerlinÇa sent la bière

Dieu qu'on est bienÇa sent la bière

De Londres à BerlinÇa sent la bière

Donne-moi la main

C'est plein d'horizonsÀ vous rendre fous

Mais l'alcool est blondEt le diable est à nousLes gens sans EspagneOnt besoin des deuxOn fait des montagnesAvec ce qu'on peut

Ça sent la bièreDe Londres à BerlinÇa sent la bière

Donne-moi la main

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Page 48: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

La bourrée du célibataireParoles et Musique: Jacques Brel 1957

La fille que j'aimeraAura le cœur si sage

Qu'au creux de son visageMon cœur s'arrêteraLa fille que j'aimera

Je lui veux la peau tendrePour qu'aux nuits de décembreS'y réchauffent mes doigts

Et moi je l'aimeronsEt elle m'aimera

Et nos cœurs brûlerontDu même feu de joieEntrerons en chantantDans les murs de la vieEn offrant nos vingt ansPour qu'elle nous soit jolie

Non ce n'est pas toiLa fille que j'aimeronsNon ce n'est pas toiLa fille que j'aimera

La fille que j'aimeraAura sa maison basse

Blanche et simple à la foisComme un état de grâceLa fille que j'aimera

Aura des soirs de veilleOù elle me parlera

Des enfants qui sommeillentEt moi je l'aimeronsEt elle m'aimera

Et nous nous offrironsTout l'amour que l'on aPavoiserons tous deuxNotre vie de soleil

Avant que d'être vieuxAvant que d'être vieilleNon ce n'est pas toi

La fille que j'aimeronsNon ce n'est pas toiLa fille que j'aimera

La fille que j'aimeraVieillira sans tristesseEntre son feu de boisEt ma grande tendresseLa fille que j'aimeraSera comme bon vinQui se bonifiera

Un peu chaque matinEt moi je l'aimeronsEt elle m'aimera

Et ferons des chansonsDe nos anciennes joiesEt quitterons la terre

Les yeux pleins l'un de l'autrePour fleurir tout l'enferDu bonheur qui est nôtreAh qu'elle vienne à moiLa fille que j'aimeronsAh qu'elle vienne à moiLa fille que j'aimera

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Page 49: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

La chanson de JackyParoles et Musique: J. Brel, G. Jouannest 1966

Même si un jour à Knocke-le-ZouteJe deviens comme je le redoute

Chanteur pour femmes finissantesQue je leur chante " Mi Corazon "

Avec la voix bandonéanteD'un Argentin de CarcassonneMême si on m'appelle AntonioQue je brûle mes derniers feuxEn échange de quelques cadeauxMadame je fais ce que je peux

Même si je me saoule à l'hydromelPour mieux parler de virilitéA des mémères décoréesComme des arbres de Noël

Je sais qu' dans ma saoulographieChaque nuit pour des éléphants roses

Je chanterai la chanson moroseCelle du temps où je m'appelais Jacky

{Refrain:}Etre une heure, une heure seulementEtre une heure, une heure quelquefois

Etre une heure, rien qu'une heure durantBeau, beau, beau et con à la fois

Même si un jour à MacaoJe deviens gouverneur de tripotCerclé de femmes languissantesMême si lassé d'être chanteurJ'y sois devenu maître chanteur

Et que ce soit les autres qui chantentMême si on m'appelle le beau SergeQue je vende des bateaux d'opiumDu whisky de Clermont-FerrandDe vrais pédés de fausses vierges

Que j'aie une banque à chaque doigtEt un doigt dans chaque paysQue chaque pays soit à moi

Je sais quand même que chaque nuitTout seul au fond de ma fumeriePour un public de vieux ChinoisJe rechanterai ma chanson à moi

Celle du temps où je m'appelais Jacky

{au Refrain}

Même si un jour au ParadisJe deviens comme j'en serais surpris

Chanteur pour femmes à ailes blanchesQue je leur chante Alléluia

En regrettant le temps d'en basOù c'est pas tous les jours dimancheMême si on m'appelle Dieu le Père

Celui qui est dans l'annuaireEntre Dieulefit et Dieu vous garde

Même si je me laisse pousser la barbeMême si toujours trop bonne pommeJe me crève le cœur et le pur espritA vouloir consoler les hommes

Je sais quand même que chaque nuitJ'entendrai dans mon

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Page 50: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Paradis Les anges, les Saints et LuciferMe chanter la chanson de naguère

Celle du temps où je m'appelais Jacky.

{au Refrain}

La chanson de Van HorstParoles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, Gérard Jouannest 1972 "Jef"

note: du film "Le Bar de la Fourche"

De Rotterdam à SantiagoEt d'Amsterdam à VarsovieDe Cracovie à San DiegoDe drame en dame

Passe la vieDe peu à peu

De cœur en cœurDe peur en peurDe port en port

Le temps d'une fleurEt l'on s'endort

Le temps d'un rêveEt l'on est mort

De terre en terreDe place en placeDe jeune vieilleEn vieille grasse

De guerre en guerreDe guerre lasse

La mort nous veilleLa mort nous glace

Mais de bière en bièreDe foire en foireDe verre en verreDe boire en boireJe mords encoreÀ pleines dentsJe suis un mortEncore vivant

La chanson des vieux amantsParoles et Musique: Jacques Brel

autres interprètes: Luce Dufault (2000)

Bien sûr, nous eûmes des oragesVingt ans d'amour, c'est l'amour fol

Mille fois tu pris ton bagageMille fois je pris mon envolEt chaque meuble se souvient

Dans cette chambre sans berceauDes éclats des vieilles tempêtesPlus rien ne ressemblait à rienTu avais perdu le goût de l'eauEt moi celui de la conquête

{Refrain:}Mais mon amour

Mon doux mon tendre mon merveilleux amourDe l'aube claire jusqu'à la fin du jourJe t'aime encore tu sais je t'aime

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Page 51: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Moi, je sais tous tes sortilègesTu sais tous mes envoûtementsTu m'as gardé de pièges en piègesJe t'ai perdue de temps en tempsBien sûr tu pris quelques amantsIl fallait bien passer le tempsIl faut bien que le corps exulte

Finalement finalementIl nous fallut bien du talent

Pour être vieux sans être adultes

{Refrain}

Oh, mon amourMon doux mon tendre mon merveilleux amour

De l'aube claire jusqu'à la fin du jourJe t'aime encore, tu sais, je t'aime

Et plus le temps nous fait cortègeEt plus le temps nous fait tourmentMais n'est-ce pas le pire piège

Que vivre en paix pour des amantsBien sûr tu pleures un peu moins tôtJe me déchire un peu plus tard

Nous protégeons moins nos mystèresOn laisse moins faire le hasardOn se méfie du fil de l'eau

Mais c'est toujours la tendre guerre

{Refrain}

Oh, mon amour...Mon doux mon tendre mon merveilleux amour

De l'aube claire jusqu'à la fin du jourJe t'aime encore tu sais je t'aime.

La colombeParoles et Musique: Jacques Brel 1959

Pourquoi cette fanfareQuand les soldats par quatreAttendent les massacresSur le quai d'une gare

Pourquoi ce train ventruQui ronronne et soupireAvant de nous conduireJusqu'au malentendu

Pourquoi les chants les crisDes foules venues fleurir

Ceux qui ont le droit de partirAu nom de leurs conneries

Nous n'irons plus au bois la colombe est blesséeNous n'allons pas au bois nous allons la tuer

Pourquoi l'heure que voilàOù finit notre enfanceOù finit notre chanceOù notre train s'en va

Pourquoi ce lourd convoiChargé d'hommes en grisRepeints en une nuitPour partir en soldats

Pourquoi ce train de pluiePourquoi ce train de guerre

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Page 52: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Pourquoi ce cimetièreEn marche vers la nuit

Nous n'irons plus au bois la colombe est blesséeNous n'allons pas au bois nous allons la tuer

Pourquoi les monumentsQu'offriront les défaitesLes phrases déjà faites

Qui suivront l'enterrementPourquoi l'enfant mort-né

Que sera la victoirePourquoi les jours de gloireQue d'autres auront payésPourquoi ces coins de terreQue l'on va peindre en grisPuisque c'est au fusilQu'on éteint la lumière

Nous n'irons plus au bois la colombe est blesséeNous n'allons pas au bois nous allons la tuer

Pourquoi ton cher visageDégrafé par les larmesQui me rendait les armesAux sources du voyage

Pourquoi ton corps qui sombreTon corps qui disparaîtEt n'est plus sur le quai

Qu'une fleur sur une tombePourquoi ces prochains jours

Où je devrais penserA ne plus m'habiller

Que d'une moitié d'amour

Nous n'irons plus au bois la colombe est blesséeNous n'allons pas au bois nous allons la tuer

La dame patronnesse© Éditions Musicales Tutti

Pour faire une bonne dame patronnesseIl faut avoir l'œil vigilant

Car comme le prouvent les événementsQuatre-vingt-neuf tue la noblesse

Car comme le prouvent les événementsQuatre-vingt-neuf tue la noblesse

Et un point à l'envers et un point à l'endroitUn point pour saint Joseph un point pour saint Thomas

Pour faire une bonne dame patronnesseIl faut organiser ses largesses

Car comme disait le duc d'Elbeuf" C'est avec du vieux qu'on fait du neuf "

Car comme disait le duc d'Elbeuf" C'est avec du vieux qu'on fait du neuf "

Et un point à l'envers et un point à l'endroitUn point pour saint Joseph un point pour saint Thomas

Pour faire une bonne dame patronnesseC'est qu'il faut faire très attention

A ne pas se laisser voler ses pauvressesC'est qu'on serait sans situation

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Page 53: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

A ne pas se laisser voler ses pauvressesC'est qu'on serait sans situation

Et un point à l'envers et un point à l'endroitUn point pour saint Joseph un point pour saint Thomas

Pour faire une bonne dame patronnesseIl faut être bonne mais sans faiblesse

Ainsi j'ai dû rayer de ma listeUne pauvresse qui fréquentait un socialiste

Ainsi j'ai dû rayer de ma listeUne pauvresse qui fréquentait un socialiste

Et un point à l'envers et un point à l'endroitUn point pour saint Joseph un point pour saint Thomas

Pour faire une bonne dame patronnesseTricotez tout en couleur caca d'oie

Ce qui permet le dimanche à la grand-messeDe reconnaître ses pauvres à soi

Ce qui permet le dimanche à la grand-messeDe reconnaître ses pauvres à soi

Et un point à l'envers et un point à l'endroitUn point pour saint Joseph un point pour saint Thomas

La FanetteParoles et Musique: Jacques Brel 1963

Nous étions deux amis et Fanette m'aimaitLa plage était déserte et dormait sous juillet

Si elles s'en souviennent les vagues vous dirontCombien pour la Fanette j'ai chanté de chansons

Faut direFaut dire qu'elle était belleComme une perle d'eau

Faut dire qu'elle était belleEt je ne suis pas beau

Faut direFaut dire qu'elle était bruneTant la dune était blondeEt tenant l'autre et l'uneMoi je tenais le monde

Faut direFaut dire que j'étais fouDe croire à tout celaJe le croyais à nousJe la croyais à moi

Faut direQu'on ne nous apprend pas

A se méfier de tout

Nous étions deux amis et Fanette m'aimaitLa plage était déserte et mentait sous juillet

Si elles s'en souviennent les vagues vous dirontComment pour la Fanette s'arrêta la chanson

Faut direFaut dire qu'en sortantD'une vague mouranteJe les vis s'en allant

Comme amant et amanteFaut dire

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Page 54: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Faut dire qu'ils ont riQuand ils m'ont vu pleurerFaut dire qu'ils ont chantéQuand je les ai maudits

Faut direQue c'est bien ce jour-làQu'ils ont nagé si loinQu'ils ont nagé si bienQu'on ne les revit pas

Faut direQu'on ne nous apprend pasMais parlons d'autre chose

Nous étions deux amis et Fanette l'aimaitLa place est déserte et pleure sous juillet

Et le soir quelquefoisQuand les vagues s'arrêtentJ'entends comme une voixJ'entends... c'est la Fanette

La foireParoles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, Lou Logist 1953 "Le Plat Pays"

J'aime la foire où pour trois sousL'on peut se faire tourner la têteSur les manèges aux chevaux roux

Au son d'une musique bête

Les lampions jettent au firmamentAlignés en nombre pair

Comme des sourcils de géantLeurs crachats de lumière

Les moulins tournent, tournent sans trêveEmportant tout notre argent

Et nous donnant un peu de rêvePour que les hommes soient contents

Ça sent la graisse où dansent les fritesÇa sent les frites dans les papiers

Ça sent les beignets qu'on mange viteÇa sent les hommes qui les ont mangés

Partout je vois à petits pasDes couples qui s'en vont danserMais moi sûrement je n'irai pasGrand-mère m'a dit de me méfier

Et lorsque l'on n'a plus de sousPour se faire tourner la tête

Sur les manèges aux chevaux rouxAu son d'une musique bêteOn rentre chez soi lentementEt tout en regardant les cieuxOn se demande simplementS'il n'existe rien de mieux

J'aimais la foire où pour trois sousL'on pouvait se faire tourner la têteSur les manèges aux chevaux roux

Au son d'une musique bête

Il nous faut regarderDerrière la saleté

S'étalant devant nousDerrière les yeux plissésEt les visages mous

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Page 55: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Au-delà de ces mainsOuvertes ou ferméesQui se tendent en vainOu qui sont poings levésPlus loin que les frontières

Qui sont de barbelésPlus loin que la misèreIl nous faut regarder

Il nous faut regarderCe qu'il y a de beauLe ciel gris ou bleuté

Les filles au bord de l'eauL'ami qu'on sait fidèleLe soleil de demain

Le vol d'une hirondelleLe bateau qui revientPar-delà le concert

Des sanglots et des pleursEt des cris de colère

Des hommes qui ont peurPar-delà le vacarme

Des rues et des chantiersDes sirènes d'alarme

Des jurons de charretierPlus forts que les enfantsQui racontent les guerresEt plus forts que les grandsQui nous les ont fait faire

Il nous faut écouterL'oiseau au fond des boisLe murmure de l'été

Le sang qui monte en soiLes berceuses des mèresLes prières des enfantsEt le bruit de la terre

Qui s'endort doucement

La haineParoles et Musique: Jacques Brel 1955

Comme un marin je partiraiPour aller rire chez les fillesEt si jamais tu en pleuraisMoi j'en aurais l'âme ravie

Comme un novice je partiraiPour aller prier le bon DieuEt si jamais tu en souffraisJe n'en prierais que mieux

Tu n'as commis d'autre péchéQue de distiller chaque jour

L'ennui et la banaliteQuand d'autres distillent l'amour

Et mille jours pour une nuitVoilà ce que tu m'as donné

Tu as peint notre amour en grisTerminé notre éternité

Comme un ivrogne je partiraiPour aller gueuler ma chansonEt si jamais tu l'entendais

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Page 56: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

J'en remercierais le Démon

Comme un soldat je partiraiMourir comme meurent les enfants

Et si jamais tu en mouraisJ'en voudrais revenir vivant

Et toi tu pries et toi tu pleuresAu long des jours au long des ansC'est comme si avec des fleursOn ressoudait deux continents

L'amour est mort vive la haineEt toi matériel déclasséVa-t-en donc accrocherTa peine au muséeDes amours ratées

Comme un ivrogne je partiraiPour aller gueuler ma chansonEt si jamais tu l'entendaisJ'en remercierais le Démon

La lumière jailliraParoles et Musique: J. Brel/J. Brel-F. Rauber 1958

La lumière jailliraClaire et blanche un matinBrusquement devant moiQuelque part en chemin

La lumière jailliraEt la reconnaîtrai

Pour l'avoir tant de foisChaque jour espérée

La lumière jailliraEt de la voir si belle

Je connaîtrai pourquoiJ'avais tant besoin d'elle

La lumière jailliraEt nous nous marieronsPour n'être qu'un combatPour n'être qu'une chanson

La lumière jailliraEt je l'inviterai

A venir sous mon toitPour y tout transformer

La lumière jailliraEt déjà modifié

Lui avouerai du doigtLes meubles du passé

La lumière jailliraEt j'aurai un palais

Tout ne change-t-il pasAu soleil de juillet

La lumière jailliraEt toute ma maisonAssise au feu de bois

Apprendra ces chansons

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Page 57: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

La lumière jailliraParsemant mes silencesDe sourires de joie

Qui meurent et recommencent

La lumière jailliraQu'éternel voyageur

Mon cœur en vain cherchaMais qui était en mon cœur

La lumière jailliraReculant l'horizonLa lumière jailliraEt portera ton nom

La mortParoles et Musique: Jacques Brel 1959

La mort m'attend comme une vieille filleAu rendez-vous de la faucille

Pour mieux cueillir le temps qui passeLa mort m'attend comme une princesse

A l'enterrement de ma jeunessePour mieux pleurer le temps qui passeLa mort m'attend comme Carabosse

A l'incendie de nos nocesPour mieux rire du temps qui passe

Mais qu'y a-t-il derrière la porteEt qui m'attend déjà

Ange ou démon qu'importeAu devant de la porte il y a toi

La mort attend sous l'oreillerQue j'oublie de me réveiller

Pour mieux glacer le temps qui passeLa mort attend que mes amisMe viennent voir en pleine nuit

Pour mieux se dire que le temps passeLa mort m'attend dans tes mains clairesQui devront fermer mes paupières

Pour mieux quitter le temps qui passe

Mais qu'y a-t-il derrière la porteEt qui m'attend déjà

Ange ou démon qu'importeAu devant de la porte il y a toi

La mort m'attend aux dernières feuillesDe l'arbre qui fera mon cercueil

Pour mieux clouer le temps qui passeLa mort m'attend dans les lilasQu'un fossoyeur lancera sur moi

Pour mieux fleurir le temps qui passeLa mort m'attend dans un grand lit

Tendu aux toiles de l'oubliPour mieux fermer le temps qui passe

Mais qu'y a-t-il derrière la porteEt qui m'attend déjà

Ange ou démon qu'importeAu devant de la porte il y a toi

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Page 58: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

La parloteParoles et Musique: J. Brel/J. Brel/G. Jouannest 1963

C'est elle qui remplit d'espoirLes promenades les salons de théC'est elle qui raconte l'histoireQuand elle ne l'a pas inventéeC'est la parlote, la parlote

C'est elle qui sort toutes les nuitsEt ne s'apaise qu'au petit jourPour s'éveiller après l'amour

Pour entre deux amants éblouisLa parlote la parlote

C'est là qu'on dit qu'on a dit ouiC'est là qu'on dit qu'on a dit nonC'est le support de l'assuranceEt le premier apéritif de France

La parlote la parloteLa parlote la parlote

Marchant sur la pointe des lèvresMoitié fakir et moitié vandale

D'un faussaire elle fait un orfèvreD'un fifrelin elle fait un scandale

La parlote la parlote

C'est elle qui attire la candeurDans les filets d'une promenade

Mais c'est par elle que l'amour en fleursSouvent se meurt dans les salades

La parlote la parlote

Par elle j'ai changé le mondeJ'ai même fait battre tambourPour charger une Pompadour

Pas même belle pas même blondeLa parlote la parloteLa parlote la parlote

C'est au bistrot qu'elle rend ses sentencesEt nous rassure en nous assurant

Que ceux qu'on aime n'ont pas eu de chanceQue ceux qu'on n'aime pas en on tellement

La parlote la parloteLa parlote la parlote

Si c'est elle qui sèche les yeuxSi c'est elle qui sèche les pleursC'est elle qui désèche les vieuxC'est elle qui désèche les cœurs

Gna gna gna gna gna gnaGna gna gna gna gna gna

C'est elle qui vraiment s'installeQuand on n'a plus rien à se dire

C'est l'épitaphe c'est la pierre tombaleDes amours qu'on a laissé mourir

La parlote la parloteLa parlote la parlote

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Page 59: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

La quêteMusique: Jacques Brel

Rêver un impossible rêvePorter le chagrin des départsBrûler d'une possible fièvrePartir où personne ne partAimer jusqu'à la déchirure

Aimer, même trop, même mal,Tenter, sans force et sans armure,D'atteindre l'inaccessible étoile

Telle est ma quête,Suivre l'étoile

Peu m'importent mes chancesPeu m'importe le tempsOu ma désespéranceEt puis lutter toujoursSans questions ni repos

Se damnerPour l'or d'un mot d'amourJe ne sais si je serai ce héros

Mais mon cœur serait tranquilleEt les villes s'éclabousseraient de bleu

Parce qu'un malheureuxBrûle encore, bien qu'ayant tout brûléBrûle encore, même trop, même mal

Pour atteindre à s'en écartelerPour atteindre l'inaccessible étoile.

La statueParoles et Musique: J. Brel/F. Rauber 1962

J'aimerais tenir l'enfant de MarieQui a fait graver sous ma statue

" Il a vécu toute sa vieEntre l'honneur et la vertu "Moi qui ai trompé mes amis

De faux serment en faux sermentMoi qui ai trompé mes amisDu jour de l'An au jour de l'An

Moi qui ai trompé mes maîtressesDe sentiment en sentiment

Moi qui ai trompé mes maîtressesDu printemps jusques au printempsCet enfant de Marie je l'aimerais là

Et j'aimerais que les enfants ne me regardent pas

J'aimerais tenir l'enfant de carêmeQui a fait graver sous ma statue

" Les Dieux rappellent ceux qu'ils aiment,Et c'était lui qu'ils aimaient le plus "

Moi qui n'ai jamais prié DieuQue lorsque j'avais mal aux dentsMoi qui n'ai jamais prié Dieu

Que quand j'ai eu peur de SatanMoi qui n'ai prié Satan

Que lorsque j étais amoureuxMoi qui n'ai prié Satan

Que quand j'ai eu peur du Bon DieuCet enfant de carême je l'aimerais là

Et j'aimerais que les enfants ne me regardent pas

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Page 60: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

J'aimerais tenir enfant de salaudQui a fait graver sous ma statue" Il est mort comme un héros

Il est mort comme on ne meurt plus "Moi qui suis parti faire la guerreParce que je m'ennuyais tellementMoi qui suis parti faire la guerre

Pour voir si les femmes des AllemandsMoi qui suis mort à la guerre

Parce que les femmes des AllemandsMoi qui suis mort à la guerreDe n'avoir pu faire autrement

Cet enfant de salaud je l'aimerais làEt j'aimerais que mes enfants ne me regardent pas

La tendresseParoles et Musique: Jacques Brel 1959

Pour un peu de tendresseJe donnerais les diamantsQue le diable caresse

Dans mes coffres d'argentPourquoi crois-tu la belleQue les marins au portVident leurs escarcellesPour offrir des trésorsA de fausses princessesPour un peu de tendresse

Pour un peu de tendresseJe changerais de visageJe changerais d'ivresseJe changerais de langagePourquoi crois-tu la belle

Qu'au sommet de leurs chantsEmpereurs et ménestrelsAbandonnent souventPuissances et richessesPour un peu de tendresse

Pour un peu de tendresseJe t'offrirais le tempsQu'il reste de jeunesse

A l'été finissantPourquoi crois-tu la belleQue monte ma chansonVers la claire dentelleQui danse sur ton frontPenché vers ma détressePour un peu de tendresse

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Page 61: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

La toison d'or

Et vous conquistadors navigateurs anciensHollandais téméraires et corsaires malouins

Cherchant des Amériques vous ne cherchâtes rienQue l'aventure de la Toison d'Or

Et vous les philosophes vous sages d'OrientAlchimistes pointus et sorciers d'à présent

En cherchant la sagesse vous n'avez rien cherchéQue les secrets de la Toison d'Or

Et vous les empereurs roitelets ou serinsVous les vrais Charlemagne vous les faux Charles QuintEn cherchant la puissance vous ne cherchâtes rien

Que les reflets de la Toison d'Or

Et vous preux chevaliers assoiffés de grandeurVous chasseurs de Saint-Graal d'oriflammes d'honneurs

Cherchant la victoire vous ne cherchâtes rienQue le panache de la Toison d'Or

Et vous tous les poètes les rêveurs mal deboutDiscoureurs de l'amour pour des cieux andalousEn écoutant vos muses n'avez rien chanté d'autre

Que le vieux rêve de la Toison d'Or

Et vous gens d'aujourd'hui d'aujourd'hui de demainVous balayeurs d'idoles de dieux de malinsCherchant la vérité vous ne recherchez rien

Que la clarté de la Toison d'Or

La valse à mille tempsParoles et Musique: Jacques Brel 1959

Au premier temps de la valseToute seule tu souris déjà

Au premier temps de la valseJe suis seul mais je t'aperçoisEt Paris qui bat la mesure

Paris qui mesure notre émoiEt Paris qui bat la mesure

Me murmure murmure tout bas

{refrain:}Une valse à trois temps

Qui s'offre encore le tempsQui s'offre encore le tempsDe s'offrir des détoursDu côté de l'amour

Comme c'est charmantUne valse à quatre temps

C'est beaucoup moins dansantC'est beaucoup moins dansantMais tout aussi charmantQu'une valse à trois tempsUne valse à quatre tempsUne valse à vingt ans

C'est beaucoup plus troublantC'est beaucoup plus troublantMais beaucoup plus charmantQu'une valse à trois temps

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Page 62: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Une valse à vingt ansUne valse à cent tempsUne valse à cent ansUne valse ça s'entendA chaque carrefour

Dans Paris que l'amourRafraîchit au printempsUne valse à mille tempsUne valse à mille tempsUne valse a mis le tempsDe patienter vingt ans

Pour que tu aies vingt ansEt pour que j'aie vingt ansUne valse à mille tempsUne valse à mille tempsUne valse à mille tempsOffre seule aux amants

Trois cent trente-trois fois le tempsDe bâtir un roman

Au deuxième temps de la valseOn est deux tu es dans mes brasAu deuxième temps de la valse

Nous comptons tous les deux une deux troisEt Paris qui bat la mesure

Paris qui mesure notre émoiEt Paris qui bat la mesure

Nous fredonne fredonne déjà

{refrain}

Au troisième temps de la valseNous valsons enfin tous les troisAu troisième temps de la valseIl y a toi y a l'amour et y a moiEt Paris qui bat la mesure

Paris qui mesure notre émoiEt Paris qui bat la mesureLaisse enfin éclater sa joie.

La Ville s'endormaitParoles et Musique: Jacques Brel 1977

La ville s'endormaitEt j'en oublie le nomSur le fleuve en amontUn coin de ciel brûlaitLa ville s'endormaitEt j'en oublie le nomEt la nuit peu à peuEt le temps arrêté

Et mon cheval boueuxEt mon corps fatiguéEt la nuit bleu à bleuEt l'eau d'une fontaineEt quelques cris de haineVersés par quelques vieuxSur de plus vieilles qu'euxDont le corps s'ensommeille

La ville s'endormaitEt j'en oublie le nomSur le fleuve en amontUn coin de ciel brûlaitLa ville s'endormaitEt j'en oublie le nomEt mon cheval qui boit

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Page 63: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Et moi qui le regardeEt ma soif qui prend garde

Qu'elle ne se voit pasEt la fontaine chanteEt la fatigue plante

Son couteau dans mes reinsEt je fais celui-là

Qui est son souverainOn m'attend quelque partComme on attend le roi

Mais on ne m'attend pointJe sais depuis déjà

Que l'on meurt de hasardEn allongeant les pas

La ville s'endormaitEt j'en oublie le nomSur le fleuve en amontUn coin de ciel brûlaitLa ville s'endormaitEt j'en oublie le nom

Il est vrai que parfois près du soirLes oiseaux ressemblent à des vagues

Et les vagues aux oiseauxEt les hommes aux riresEt les rires aux sanglotsIl est vrai que souventLa mère se désenchanteJe veux dire en celaQu'elle chanteD'autres chants

Que ceux que la mère chanteDans les livres d'enfantsMais les femmes toujours

Ne ressemblent qu'aux femmesEt d'entre elles les connes

Ne ressemblent qu'aux connesEt je ne suis pas bien sûrComme chante un certain

Qu'elles soient l'avenir de l'homme

La ville s'endormaitEt j'en oublie le nomSur le fleuve en amontUn coin de ciel brûlaitLa ville s'endormaitEt j'en oublie le nomEt vous êtes passéeDemoiselle inconnue

À deux doigts d'être nueSous le lin qui dansait

La, la, laParoles et Musique: Jacques Brel 1967

Quand je s'rai vieuxJe s'rai insup' portableSauf pour mon lit

Et mon maigre passéMon chien s'ra mortMa barbe sera minableToutes mes morues

M'auront laissé tomberJ'habiterai

Une quelconque Belgique

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Page 64: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Qui m'insult'raTout autant que maint'nantQuand je lui chanteraiVive la républiqueVive les Belgiens

Merde pour les flamingants

La la laLa la la

Je serai fuiComme un vieil hôpitalPar tous les ventresD'autres sociétés

J'boirai donc seul ma pension de cigaleIl faut bien être lorsque l'on a été

Je n'serai reçu que par les chats du quartierÀ leur festin pour qu'ils ne soient pas treize

Mais j'y chanteraiSur une simple chaise

J'y chanteraiAprès le rat crevé

Messieurs dans le lit de la MarquiseC'était moi les 80 chasseurs

La la la

Et quand viendra l'heure imbécile et fataleOù il paraît que quelqu'un nous appelle

J'insulterai le flic sacerdotalPenché vers moi comme un larbin du ciel

Et je mourirai cerné de rigolosEn me disant qu'il était chouette Voltaire

Et qu'si en a des qui ont une plume au chapeauY en a des qui ont une plume dans l' derrière

La la laLa la la

Quand je s'rai vieuxJe s'rai insup' portableSauf pour mon lit

Et mon maigre passéMon chien s'ra mortMa barbe sera minableToutes mes morues

M'auront laissé tomber

Le Bon Dieu1977

Moi, moi, si t'étais l' Bon DieuTu f'rais valser les vieux

Aux étoilesToi, toi, si t'étais l'Bon DieuTu rallumerais des vagues

Pour les gueux

Moi, moi, si t'étais l'Bon DieuTu n'serais pas économe

De ciel bleuMais tu n'es pas le Bon DieuToi, tu es beaucoup mieux

Tu es un homme

Tu es un hommeTu es un homme

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Page 65: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Le caporal casse-pomponParoles et Musique: Jacques Brel 1962

Mon ami est un type énormeIl aime la trompette et le claironTout en préférant le clairon

Qu'est une trompette en uniformeMon ami est une valeur sûre

Qui dit souvent sans prétentionQu'à la minceur des épluchuresOn voit la grandeur des nations

Subséquemment subséquemmentSubséquemment que je ne comprends pas

Pourquoi souvent ses compagnonsL'appellentL'appellent

Caporal casse-pompon

Mon ami est un vrai poèteDans son jardin, quand vient l'étéFaut le voir planter ses mitraillettesOu bien creuser ses petites tranchéesMon ami est homme plein d'humourC'est lui qu'a trouvé ce bon motQue je vous raconte à mon tour

Ich slaffen at si auuz wihr prellen zie

Subséquemment subséquemmentSubséquemment que je ne comprends pas

Pourquoi souvent ses compagnonsL'appellentL'appellent

Caporal casse-pompon

Mon ami est un doux rêveurPour lui Paris c'est une caserneEt Berlin un petit champ de fleursQui va de Moscou à l'Auvergne

Son rêve revoir Paris au printempsRedéfiler en tête de son groupe

En chantant comme tous les vingt-cinq ansBaisse ta gaine Gretchen que je baise ta croupe (ein zwei)

Subséquemment subséquemmentSubséquemment que nous ne comprenons

Comment nos amis les FranzosenIls osent ils osent l'appeler

Caporal casse-pompon (ein zwei)

Le chevalParoles et Musique: J. Brel/G. Jouannest 1967

J'étais vraiment j'étais bien plus heureuxBien plus heureux avantQuand j'étais ch'val

Que je trainais Madame votre landeauJolie Madame dans les rues de Bordeaux

Mais t'as vouluQue je sois ton amantT'as même voulu

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Page 66: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Que je quitte ma jumentJe n'étais qu'un ch'val oui oui

Mas t'en as profitéPar amour pour toiJe m'suis déjumenté

Et depuisToutes les nuitsDans ton litDe satin blanc

Je regrette mon écurieMon écurie et ma jument

J'étais vraiment vraiment bien plus heureuxBien plus heureux avantQuand j'étais ch'val

Que tu te foutais MadameLa gueule par terreJolie madame

Quand tu forcais le cerfMais tu as voulu

Que j'apprenne les bonnes manièresT'as voulu

Que j'marche sur les pattes de derrièreJe n'étais qu'un ch'val oui ouaisMais tu m'as couillonné hein

Par amour pour toiJe m'suis derrièrisé

Et depuisToutes les nuits

Quand nous dansons le tangoJe regrette mon écurieMon écurie et mon galop

J'étais vraiment vraiment bien plus heureuxBien plus heureux avantQuand j'étais ch'valQue je te promenaisMadame sur mon dosJolie madame en forêtDe FontainebleauMais tu as voulu

Que je sois ton banquierTu as même voulu

Que je me mette à chanterJ'n'étais qu'un ch'val oui oui

Mais tu en as abuséPar amour pour toije me suis variété

Et depuistoutes les nuits

Quand je chante: "Ne me quitte pas"Je regrette mon écurie

Et mes silences d'autrefois

Et puis et puis tu es partie radicaleAvec un zèbre un zèbre mal rayéLe jour madame où je t'ai refuséD'apprendre à monter à chevalEt tu m'avais pris ma jumentMon silence mes sabotsMon écurie mon galop

Tu ne m'as laissé que mes dentsEt voilà pourquoi je cours je coursJe cours le monde en hennissant

Me voyant refuser l'amourPar les femmes et par les juments

J'étais vraiment vraiment bien plus heureuxBien plus heureux avant

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Page 67: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Quand j'étais ch'valQue je promenais madame votre landeau

Quand j'étais ch'valEt quand tu étais chameau

Le colonelParoles et Musique: J.Brel/G. Wagenheim 1958

Colonel, faut-il,Puisque se lève le jour

Faire battre tous les tamboursPour éveiller tous les pandoures?

Colonel, faut-ilFaire sonner tous les claironsPour rassembler les escadrons?Colonel, Colonel, nous attendons

Le Colonel s'ennuie.Il effeuille une fleurEt rêve à son amie

Qui lui a pris son cœur.Son amie est si douce et belle

Dans sa robe au soleilQue chaque jour passé près d'elle

Se meuble de merveilles.

Colonel, faut-il,Puisque voilà notre ennemi,Faire tirer notre artillerieDisposer notre infanterie?

Colonel, faut-il,Charger tous comme des fousOu partir à pas de loup ?

Colonel, Colonel, dites-le nous

Le Colonel s'ennuie.Il effeuille une fleurEt rêve à son amie

Qui lui a pris son cœur.Ses baisers doux comme velours

Tendrement ont conduitA l'état-major de l'amour

Le Colonel ravi

Colonel, faut-il,Puisque vous êtes blesséFaut-il donc nous occuperDe vous trouver un abbé ?

Colonel, faut-il,Puisqu'est mort l'apothicaireChercher le vétérinaire ?

Colonel, Colonel, que faut-il faire ?

Le Colonel s'ennuie.Il effeuille une fleurEt rêve à son amie

Qui lui a pris son cœur.Il la voit et lui tend les bras

Il la voit et l'appelleEt c'est en lui parlant tout bas

Qu'il entre dans le ciel

Ce Colonel qui meurtEt qui meurt de chagrin

Blessé d'une fille dans le cœur

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Page 68: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Ce colonel loin de sa belleC'est mon cœur loin du tienC'est mon cœur loin du tien

Le dernier repasParoles et Musique: Jacques Brel 1964

A mon dernier repasJe veux voir mes frères

Et mes chiens et mes chatsEt le bord de la merA mon dernier repas

Je veux voir mes voisinsEt puis quelques ChinoisEn guise de cousins

Et je veux qu'on y boiveEn plus du vin de messe

De ce vin si joliQu'on buvait en ArboisJe veux qu'on y dévoreAprès quelques soutanes

Une poule faisaneVenue du Périgord

Puis je veux qu'on m'emmèneEn haut de ma collineVoir les arbres dormirEn refermant leurs brasEt puis je veux encore

Lancer des pierres au cielEn criant Dieu est mort

Une dernière fois

A mon dernier repasJe veux voir mon âneMes poules et mes oies

Mes vaches et mes femmesA mon dernier repas

Je veux voir ces drôlessesDont je fus maître et roi

Ou qui furent mes maîtressesQuand j'aurai dans la panse

De quoi noyer la terreJe briserai mon verrePour faire le silenceEt chanterai à tue-têteA la mort qui s'avanceLes paillardes romances

Qui font peur aux nonnettesPuis je veux qu'on m'emmène

En haut de ma collineVoir le soir qui chemineLentement vers la plaineEt là debout encore

J'insulterai les bourgeoisSans crainte et sans remords

Une dernière fois

Après mon dernier repasJe veux que l'on s'en ailleQu'on finisse ripaille

Ailleurs que sous mon toitAprès mon dernier repasJe veux que l'on m'installeAssis seul comme un roiAccueillant ses vestales

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Page 69: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Dans ma pipe je brûleraiMes souvenirs d'enfanceMes rêves inachevésMes restes d'espérance

Et je ne garderaiPour habiller mon âmeQue l'idée d'un rosier

Et qu'un prénom de femmePuis je regarderai

Le haut de ma collineQui danse qui se devineQui finit par sombrer

Et dans l'odeur des fleursQui bientôt s'éteindraJe sais que j'aurai peurUne dernière fois

.

Le diable (Ça va)© Éditions Tropicales

{Prologue:}Un jour le Diable vint sur terre, un jour le Diable vint sur terre

pour surveiller ses intérêts, il a tout vu le Diable, il a tout entenduet après avoir tout vu, après avoir tout entendu, il est retourné chez

lui, là-bas.Et là-bas on avait fait un grand banquet, à la fin du banquet, il s'estlevé le Diable, il a prononcé un discours et en substance il a dit ceci,

il a dit:

Il y a toujours un peu partoutDes feux illuminant la terre ça va

Les hommes s'amusent comme des fousAux dangereux jeux de la guerre ça va

Les trains déraillent avec fracasParce que des gars pleins d'idéalMettent des bombes sur les voiesÇa fait des morts originales

Ça fait des morts sans confessionDes confessions sans rémission ça va

Rien ne se vend mais tout s'achèteL'honneur et même la sainteté ça vaLes États se muent en cachetteEn anonymes sociétés ça va

Les grands s'arrachent les dollarsVenus du pays des enfantsL'Europe répète l'Avare

Dans un décor de mil neuf centÇa fait des morts d'inanitionEt l'inanition des nations ça va

Les hommes ils en ont tant vuQue leurs yeux sont devenus gris ça va

Et l'on ne chante même plusDans toutes les rues de Paris ça va

On traite les braves de fousEt les poètes de nigauds

Mais dans les journaux de partoutTous les salauds ont leur photoÇa fait mal aux honnêtes gensEt rire les malhonnêtes gens.

Ça va ça va ça va ça va

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Page 70: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Le Fou du Roi

Il était un fou du roiQui vivait l'âme sereine

Dans un château d'autrefoisPour l'amour d'une reine

{Refrain:}Et vive les bossus,

Ma mèreEt vive les pendusEt vive les bossus,

Ma mèreEt vive les pendus

Il y eut une grande chasseOù les nobles deux par deux

Tous les dix mètres s'embrassentDans les chemins qu'on dit creux

{au Refrain}

Lorsque le fou vit la reineCourtisée par un beau comteIl s'en fut le cœur en peine

Dans un bois pleurer de honte

{au Refrain}

Lorsque trois jours furent passésIl revint vers le châteauEt alla tout raconter

Dans sa tour au roi la-haut

{au Refrain}

Devant tout ce qu'on lui raconteTout un jour le roi a riIl fit décorer le comte

Et c'est le fou qu'on pendit

{au Refrain}

Le gaz

Tu habites rue de la MadoneUne maison qui se déhanche

Une maison qui se tire-bouchoneEt qui pleure à grosses planches

L'escalier colimaçoneC'est pas grand nonMais y a d'la place

Tu habites rue de la MadoneEt moi je viens pour le gaz

Tu as un boudoir plein de boudhasLes bougies dansent dans leurs bougeoirs

Ça sent bon c'est sans histoireÇa ruiselle de tafetas

C'est rempli de photos d'toiQui sommeillent devant la glaceTu as un boudoir plein d'boudhas

Et moi et moi et moi

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Page 71: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Je viens pour le gaz

Tu as un vrai divan de roiUn vrai divan de diva

Du porto qu'tu rapportasDe la Porte des Lilas

T'as un p'tit chien et un grand chatUn phono qui joue du jazzTu as un vrai divan de roiEt moi et moi et moiJe viens pour le gaz

Tu as des seins comme des soleilsComme des fruits comme des reposoirsTu as des seins comme des miroirsComme des fruits comme du mielTu les recouvres tout devient noir

Tu les découvres et je deviens PégaseTu as des seins comme des trottoirs

Et moi et moi et moiJe viens pour le gaz

Et puis chez toi ya l'plombierEt y l'bedeauet y a l'facteurLe docteur qui fait le café

Le notaire qui sert les liqueursYa la moitié d'un artilleurY a un poète de CarpentrasIl y a quelques flics oui

Et puis y a même ma sœurEt tout ça est là pour le gaz

Allez allez-y donc tous rue de la MadoneC'est pas grand nonMais y a d'la place

Allez allez-y donc tous rue de la MadoneEt dites bien que c'est pour le gaz

Le lionParoles et Musique: Jacques Brel 1977

Ça fait cinq joursÇa fait cinq nuits

Qu'au-delà du fleuve qui bouillonneAppelle appelle la lionne

Ça fait cinq joursÇa fait cinq nuits

Qu'en-deçà du fleuve qui bouillonneRépond le lion à la lionne

Vas-y pas GastonMême si elle te raconteQue sa mère est gentille

Vas-y va GastonMême si elle ose te direQu'elle t'aime pour la vieMême si elle te supplieDe l'amener à la villeElle sera ta Manon

Tu sera son DequerieuxVous serez deux imbéciles

Ça fait dix joursÇa fait dix nuits

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Page 72: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Qu'au-delà du fleuve qui bouillonneAppelle appelle la lionne

Ça fait dix joursÇa fait dix nuits

Qu'en-deça du fleuve qui bouillonneRépond le lion à la lionne

Vas-y va GastonArrête de remuer la queueIl faut qu'elle s'impatienteFais celui qu'a le tempsCelui qui est débordé

Mets-la en liste d'attenteVas-y va Gaston

Un lion doit être vacheDis-lui que t'es en plein rush

Souviens-toi de PoloQui nous disait toujours"Too much is too much"

Ça fait vingt joursÇa fait vingt nuits

Qu'au-delà du fleuve qui bouillonneAppelle appelle la lionne

Ça fait vingt joursÇa fait vingt nuits

Qu'en-deça du fleuve qui bouillonneRépond le lion à la lionne

Vas-y va GastonMême si elle te signale

Qu'il y en a un autre en vueUn qui est jeune qui est beauQui danse comme un dieu

Qui a de la tenueUn qui a de la crinièreQui est très intelligentEt qui va faire fortuneUn qui est généreux

Un qui que quand elle veutLui offrira la lune

Ça fait une heure et vingt minutesQu'au-delà du fleuve qui bouillonne

Appelle appelle la lionneÇa fait une heure et vingt minutesQue dans le fleuve qui bouillonneUn lion est mort pour une lionne

Le moribondParoles et Musique: Jacques Brel 1961

Adieu l'Émile je t'aimais bienAdieu l'Émile je t'aimais bien tu sais

On a chanté les mêmes vinsOn a chanté les mêmes filles

On a chanté les mêmes chagrinsAdieu l'Émile je vais mourir

C'est dur de mourir au printemps tu saisMais je pars aux fleurs la paix dans l'âmeCar vu que tu es bon comme du pain blancJe sais que tu prendras soin de ma femme

Je veux qu'on rieJe veux qu'on danse

Je veux qu'on s'amuse comme des fous

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Page 73: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Je veux qu'on rieJe veux qu'on danse

Quand c'est qu'on me mettra dans le trou

Adieu Curé je t'aimais bienAdieu Curé je t'aimais bien tu saisOn n'était pas du même bordOn n'était pas du même cheminMais on cherchait le même port

Adieu Curé je vais mourirC'est dur de mourir au printemps tu saisMais je pars aux fleurs la paix dans l'âme

Car vu que tu étais son confidentJe sais que tu prendras soin de ma femme

Je veux qu'on rieJe veux qu'on danse

Je veux qu'on s'amuse comme des fousJe veux qu'on rie

Je veux qu'on danseQuand c'est qu'on me mettra dans le trou

Adieu l'Antoine je t'aimais pas bienAdieu l'Antoine je t'aimais pas bien tu sais

J'en crève de crever aujourd'huiAlors que toi tu es bien vivantEt même plus solide que l'ennuiAdieu l'Antoine je vais mourir

C'est dur de mourir au printemps tu saisMais je pars aux fleurs la paix dans l'âme

Car vu que tu étais son amantJe sais que tu prendras soin de ma femme

Je veux qu'on rieJe veux qu'on danse

Je veux qu'on s'amuse comme des fousJe veux qu'on rie

Je veux qu'on danseQuand c'est qu'on me mettra dans le trou

Adieu ma femme je t'aimais bienAdieu ma femme je t'aimais bien tu saisMais je prends le train pour le Bon DieuJe prends le train qui est avant le tienMais on prend tous le train qu'on peut

Adieu ma femme je vais mourirC'est dur de mourir au printemps tu sais

Mais je pars aux fleurs les yeux fermés ma femmeCar vu que je les ai fermés souvent

Je sais que tu prendras soin de mon âmeJe veux qu'on rie

Je veux qu'on danseJe veux qu'on s'amuse comme des fous

Je veux qu'on rieJe veux qu'on danse

Quand c'est qu'on me mettra dans le trou

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Page 74: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Le plat paysParoles et Musique: Jacques Brel 1962© 1964 Barclay - Ed. Semi/Plouchenel

Avec la mer du Nord pour dernier terrain vagueEt des vagues de dunes pour arrêter les vaguesEt de vagues rochers que les marées dépassentEt qui ont à jamais le cœur à marée basse

Avec infiniment de brumes à venirAvec le vent de l'est écoutez-le tenir

Le plat pays qui est le mien

Avec des cathédrales pour uniques montagnesEt de noirs clochers comme mâts de cocagneOù des diables en pierre décrochent les nuages

Avec le fil des jours pour unique voyageEt des chemins de pluie pour unique bonsoir

Avec le vent d'ouest écoutez-le vouloirLe plat pays qui est le mien

Avec un ciel si bas qu'un canal s'est perduAvec un ciel si bas qu'il fait l'humilité

Avec un ciel si gris qu'un canal s'est penduAvec un ciel si gris qu'il faut lui pardonnerAvec le vent du nord qui vient s'écartelerAvec le vent du nord écoutez-le craquer

Le plat pays qui est le mien

Avec de l'Italie qui descendrait l'EscautAvec Frida la Blonde quand elle devient Margot

Quand les fils de novembre nous reviennent en maiQuand la plaine est fumante et tremble sous juilletQuand le vent est au rire quand le vent est au bléQuand le vent est au sud écoutez-le chanter

Le plat pays qui est le mien.

Le prochain amourParoles et Musique: J. Brel/J. Brel-G. Jouannest 1961

On a beau faire on a beau direQu'un homme averti en vaut deuxOn a beau faire on a beau direÇa fait du bien d'être amoureux

Je sais je sais que ce prochain amourSera pour moi la prochaine défaiteJe sais déjà à l'entrée de la fête

La feuille morte que sera le petit jourJe sais je sais sans savoir ton prénomQue je serai ta prochaine capture

Je sais déjà que c'est par leur murmureQue les étangs mettent les fleuves en prison

Mais on a beau faire on a beau direQu'un homme averti en vaut deuxOn a beau faire on a beau direÇa fait du bien d'être amoureux

Je sais je sais que ce prochain amourNe vivra pas jusqu'au prochain étéJe sais déjà que le temps des baisers

Pour deux chemins ne dure qu'un carrefourJe sais je sais que ce prochain bonheurSera pour moi la prochaine des guerres

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Page 75: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Je sais déjà cette affreuse prièreQu'il faut pleurer quand l'autre est le vainqueur

Mais on a beau faire on a beau direQu'un homme averti en vaut deuxOn a beau faire on a beau direÇa fait du bien d'être amoureux

Je sais je sais que ce prochain amourSera pour nous de vivre un nouveau règne

Dont nous croirons tous deux porter les chaînesDont nous croirons que l'autre a le veloursJe sais je sais que ma tendre faiblesseFera de nous des navires ennemis

Mais mon cœur sait des navires ennemisPartant ensemble pour pêcher la tendresse

Car on a beau faire car on a beau direQu'un homme averti en vaut deuxOn a beau faire on a beau direÇa fait du bien d'être amoureux

Le tango funèbreParoles et Musique: J. Brel/G. Jouannest 1964

Ah je les vois déjàMe couvrant de baisersEt s'arrachant mes mainsEt demandant tout bas

Est-ce que la mort s'en vientEst-ce que la mort s'en va

Est-ce qu'il est encore chaudEst-ce qu'il est déjà froidIls ouvrent mes armoiresIls tâtent mes faïencesIls fouillent mes tiroirsSe régalant d'avance

De mes lettres d'amourEnrubannées par deuxQu'ils liront près du feuEn riant aux éclatsAh Ah Ah Ah Ah Ah

Ah je les vois déjàCompassés et frileux

Suivant comme des artistesMon costume de boisIls se poussent du cœurPour être le plus tristeIls se poussent du brasPour être le premier

Z'ont amené des vieillesQui ne me connaissaient plusZ'ont amené des enfants

Qui ne me connaissaient pasPensent aux prix des fleurs

Et trouvent indécentDe ne pas mourir au printemps

Quand on aime le lilasAh Ah Ah Ah Ah Ah

Ah je les vois déjàTous mes chers faux amisSouriant sous le poidsDu devoir accompli

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Page 76: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Ah je te vois déjàTrop triste trop à l'aiseProtégeant sous le drapTes larmes lyonnaisesTu ne sais même pas

Sortant de mon cimetièreQue tu entres en ton enferQuand s'accroche à ton brasLe bras de ton quelconqueLe bras de ton dernierQui te fera pleurer

Bien autrement que moiAh Ah Ah Ah Ah Ah

Ah je me vois déjàM'installant à jamais

Bien triste bien au froidDans mon champ d'osselets

Ah je me vois déjàJe me vois tout au bout

De ce voyage-làD'où l'on revient de toutJe vois déjà tout çaEt on a le brave culotD'oser me demander

De ne plus boire que de l'eauDe ne plus trousser les fillesDe mettre de l'argent de côtéD'aimer le filet de maquereau

Et de crier vive le roiAh Ah Ah Ah Ah Ah

Les amants de cœurParoles et Musique: Jacques Brel 1964

© Éditions Musicales Eddie Barclay

Ils s'aiment s'aiment en riantIls s'aiment s'aiment pour toujoursIls s'aiment tout au long du jourIls s'aiment s'aiment s'aiment tantQu'on dirait des anges d'amourDes anges fous se protégeant

Quand se retrouvent en courantLes amants

Les amants de cœurLes amants

Ils s'aiment s'aiment à la folieS'effeuillant à l'ombre des feuxSe découvrant comme deux fruitsPuis se trouvant n'être plus deuxSe dénouant comme veloursSe reprenant au petit jour

Et s'endormant les plus heureuxLes amants

Les amants de cœurLes amants

Ils s'aiment s'aiment en tremblantLe cœur mouillé le cœur battantChaque seconde est une peur

Qui croque le cœur entre ses dentsIls savent trop de rendez-vousOù ne vinrent que des facteursPour n'avoir pas peur du loup

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Page 77: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Les amantsLes amants de cœur

Les amants

Ils s'aiment s'aiment en pleurantChaque jour un peu moins amantsQuand ils ont bu tout leur mystèreDeviennent comme sœur et frèreBrûlent leurs ailes d'inquiétudeRedeviennent deux habitudesAlors changent de partenaire

Les amantsLes amants de cœur

Les amants

Qui s'aiment s'aiment en riantQui s'aiment s'aiment pour toujoursQui s'aiment tout au long du jourQui s'aiment s'aiment s'aiment tantQu'on dirait des anges d'amourDes anges fous se protégeant

Quand ils se retrouvent en courantLes amants

Les amants de cœurLes amants

Les bergersParoles et Musique: Jacques Brel 1964

Parfois ils nous arrivent avec leurs grands chapeauxEt leurs manteaux de laine que suivent leurs troupeaux

Les bergersIls montent du printemps quand s'allongent les jours

Ou brûlés par l'été descendent vers les bourgsLes bergers

Quand leurs bêtes s'arrêtent pour nous boire de l'eauSe mettent à danser à l'ombre d'un pipeau

Les bergers

Entre l'en est de vieux entre l'en est de sagesQui appellent au puits tous les vieux du village

Les bergersCeux-là ont des histoires à nous faire telles peurs

Que pour trois nuits au moins nous rêvons des frayeursDes bergers

Ils ont les mêmes rides et les mêmes compagnesEt les mêmes senteurs que leurs vieilles montagnes

Les bergers

Entre l'en est de jeunes entre l'en est de beauxQui appellent les filles à faire le gros dos

Les bergersCeux-là ont des sourires qu'on dirait une fleurEt des éclats de rire à faire jaillir de l'eau

Les bergersCeux-là ont des regards à vous brûler la peau

A vous défiancer à vous clouer le cœurLes bergers

Mais tous ils nous bousculent qu'on soit filles ou garçonsLes garçons dans leurs rêves les filles dans leurs frissons

Les bergersAlors nous partageons le vin et le fromage

Et nous croyons une heure faire partie du voyageDes bergers

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Page 78: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

C'est un peu comme Noël Noël et ses trésorsQui s'arrêteraient chez nous aux Équinoxes d'or

Les bergers

Après ça ils s'en vont avec leurs grands chapeauxEt leurs manteaux de laine que suivent leurs troupeaux

Les bergersIls montent du printemps quand s'allongent les jours

Ou brûlés par l'été descendent vers les bourgsLes bergers

Quand leurs bêtes ont fini de nous boire notre eauSe remettent en route à l'ombre d'un pipeau

Les bergers les bergers les bergers

Les bichesParoles et Musique: J. Brel/G. Jouannest 1962

Elles sont notre premier ennemiQuand elles s'échappent en riant

Des pâturages de l'ennuiLes biches

Avec des cils comme des cheveuxDes cheveux en accroche-faonEt seulement le bout des yeux

Qui tricheSi bien que le chasseur s'arrêteEt que je sais des ouragans

Qu'elles ont changés en poètesLes biches

Et qu'on les chasse de notre espritOu qu'elles nous chassent en rougissant

Elles sont notre premier ennemiLes biches de quinze ans

Elles sont notre plus bel ennemiQuand elles ont l'éclat de la fleur

Et déjà la saveur du fruitLes biches

Qui passent toute vertu dehorsAlors que c'est de tout leur cœurAlors que c'est de tout leur corps

Qu'elles trichentLorsqu'elles broutent le mari

Ou lorsqu'elles broutent le diamantSur l'asphalte bleu de Paris

Les bichesQu'on les chasse à coups de rubis

Ou qu'elles nous chassent au sentimentElles sont notre plus bel ennemi

Les biches de vingt ans

Elles sont notre pire ennemiLorsqu'elles savent leur pouvoirMais qu'elles savent leur sursis

Les bichesQuand un chasseur est une chanceQuand leur beauté se lève tard

Quand c'est avec toute leur scienceQu'elles trichent

Trompant l'ennui plus que le cerfEt l'amant avec l'autre amantEt l'autre amant avec le cerf

Qui bicheMais qu'on les chasse à la folie

Ou qu'elles nous chassent du bout des gants

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Page 79: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Elles sont notre pire ennemiLes biches d'après vingt ans

Elles sont notre dernier ennemiQuand leurs seins tombent de sommeil

Pour avoir veillé trop de nuitsLes biches

Quand elles ont le pas résignéDes pèlerins qui s'en reviennentQuand c'est avec tout leur passé

Qu'elles trichentAfin de mieux nous retenir

Nous qui ne servons à ce tempsQu'à les empêcher de vieillir

Les bichesMais qu'on les chasse de notre vie

Ou qu'elles nous chassent parce qu'il est tempsElles restent notre dernier ennemiLes biches de trop longtemps

Les bigotesParoles et Musique: Jacques Brel 1963

Elles vieillissent à petits pasDe petits chiens en petits chats

Les bigotesElles vieillissent d'autant plus vite

Qu'elles confondent l'amour et l'eau béniteComme toutes les bigotes

Si j'étais diable en les voyant parfoisJe crois que je me ferais châtrerSi j'étais Dieu en les voyant prierJe crois que je perdrais la foi

Par les bigotes

Elles processionnent à petits pasDe bénitier en bénitier

Les bigotesEt patati et patata

Mes oreilles commencent à sifflerLes bigotes

Vêtues de noir comme Monsieur le CuréQui est trop bon avec les créaturesElles s'embigotent les yeux baissés

Comme si Dieu dormait sous leurs chaussuresDe bigotes

Le samedi soir après le turbinOn voit l'ouvrier parisien

Mais pas de bigotesCar c'est au fond de leur maisonQu'elles se préservent des garçons

Les bigotes

Qui préfèrent se ratatinerDe vêpres en vêpres de messe en messeToutes fières d'avoir pu conserverLe diamant qui dort entre leurs f...s

De bigotes

Puis elles meurent à petits pasA petit feu en petit tas

Les bigotes

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Page 80: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Qui cimetièrent à petits pasAu petit jour d'un petit froid

De bigotes

Et dans le ciel qui n'existe pasLes anges font vite un paradis pour elles

Une auréole et deux bouts d'ailesEt elles s'envolent... à petits pas

De bigotes

Les blés

Donne-moi la mainLe soleil a paru

Il nous faut prendre le cheminLe temps des moissons est venu

Le blé nous a tant attenduEt nous attendons trop de pain

Ta main sur mon brasPleine de douceur

Bien gentiment demanderaDe vouloir épargner les fleurs

Ma faucille les éviteraPour éviter que tu ne pleures

Les blés sont pour la faucilleLes soleils pour l'horizon

Les garçons sont pour les fillesEt les filles pour les garçonsLes blés sont pour la faucilleLes soleils pour l'horizon

Les garçons sont pour les fillesEt les filles pour les garçons

Donne-moi tes yeuxLe soleil est chaud

Et dans ton regard lumineuxIl a fait jaillir des jets d'eauQui mieux qu'un gesteMieux qu'un mot

Rafraichiront ton amoureuxPenchée vers le solTu gerbes le blé

Et si parfois ton jupon volePardonne-moide regarder

Les trésors que vient dévoilerPour mon plaisir le vent frivole

Les blés sont pour la faucilleLes soleils pour l'horizon

Les garçons sont pour les fillesEt les filles pour les garçonsLes blés sont pour la faucilleLes soleils pour l'horizon

Les garçons sont pour les fillesEt les filles pour les garçons

Donne-moi ton cœurLe soleil fatiguéS'en est allé

Chanter ailleursLa chanson des blés moisonnésVenu est le tempsde s'aimerIl nous faut glaner le bonheurEcrasés d'amour éblouis de joie

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Page 81: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Je saluerai la fin du jourEn te serrant tout contre moiEt tu combleras mon émoi

En me disant que pour toujours

Les blés sont pour la faucilleLes soleils pour l'horizon

Les garçons sont pour les fillesEt les filles pour les garçonsLes blés sont pour la faucilleLes soleils pour l'horizon

Les garçons sont pour les fillesEt les filles pour les garçons

Les bonbons (version 1964)Paroles et Musique: Jacques Brel 1964

Je vous ai apporté des bonbonsParce que les fleurs c'est périssablePuis les bonbons c'est tellement bon

Bien que les fleurs soient plus présentablesSurtout quand elles sont en boutonsMais je vous ai apporté des bonbons

J'espère qu'on pourra se promenerQue madame votre mère ne dira rien

On ira voir passer les trainsA huit heures je vous ramènerai

Quel beau dimanche pour la saisonJe vous ai apporté des bonbons

Si vous saviez ce que je suis fierDe vous voir pendue à mon brasLes gens me regardent de traversY en a même qui rient derrière moiLe monde est plein de polissonsJe vous ai apporté des bonbons

Oh oui Germaine est moins bien que vousOh oui Germaine elle est moins belle

C'est vrai que Germaine a des cheveux rouxC'est vrai que Germaine elle est cruelle

Ça vous avez mille fois raisonJe vous ai apporté des bonbons

Et nous voilà sur la Grand' PlaceSur le kiosque on joue Mozart

Mais dites-moi que c'est par hasardQu'il y a là votre ami Léon

Si vous voulez que je cède ma placeJ'avais apporté des bonbons

Mais bonjour mademoiselle Germaine

Je vous ai apporté des bonbonsParce que les fleurs c'est périssablePuis les bonbons c'est tellement bon

Bien que les fleurs soient plus présentables...

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Page 82: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Les bonbons (version 1967)Paroles et Musique: Jacques Brel 1967

Je viens rechercher mes bonbonsVois-tu, Germaine, j'ai eu trop malQuand tu m'as fait cette réflexionAu sujet de mes cheveux et longsC'est la rupture bête et brutale

Je viens rechercher mes bonbonsMaintenant je suis un autre garçon

J'habite à l'Hôtel Georges VéJ'ai perdu l'accent bruxellois

D'ailleurs plus personne n'a cet accent-làSauf Brel à la télévision

Je viens rechercher mes bonbonsQuand père m'agace moi je lui fais zop la

Je traite ma mère de névropatheFaut dire que père est vachement batAlors que mère est un peu snob

Enfin tout ça c'est le conflit des générations

Je viens rechercher mes bonbonsEt tous les samedis soir que j'peux

Germaine, j'écoute pousser mes ch'veuxJe fais glou glou je fais miam miamJe défile criant: paix au Vietnam

Parce qu'enfin enfin j'ai des opinions

Je viens rechercher mes bonbonsMais c'est ça votre jeune frère

Mademoiselle Germaine, c'est celui qu'est flamingant

Je vous ai apporté des bonbonsParce que les fleurs c'est périssableLes bonbons c'est tellement bon

Bien que les fleurs soient plus présentablesSurtout quand elles sont en boutons

Je vous ai apporté des bonbons ...

Les bourgeoisParoles et Musique: J. Brel, J. Corti 1962

Le cœur bien au chaudLes yeux dans la bière

Chez la grosse Adrienne de MontalantAvec l'ami Jojo

Et avec l'ami PierreOn allait boire nos vingt ansJojo se prenait pour VoltaireEt Pierre pour Casanova

Et moi, moi qui étais le plus fierMoi, moi je me prenais pour moi

Et quand vers minuit passaient les notairesQui sortaient de l'hôtel des "Trois Faisans"

On leur montrait notre cul et nos bonnes manièresEn leur chantant

Les bourgeois c'est comme les cochonsPlus ça devient vieux plus ça devient bêteLes bourgeois c'est comme les cochons

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Page 83: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Plus ça devient vieux plus ça devient c...

Le cœur bien au chaudLes yeux dans la bière

Chez la grosse Adrienne de MontalantAvec l'ami Jojo

Et avec l'ami PierreOn allait brûler nos vingt ans

Voltaire dansait comme un vicaireEt Casanova n'osait pas

Et moi, moi qui restait le plus fierMoi j'étais presque aussi saoul que moi

Et quand vers minuit passaient les notairesQui sortaient de l'hôtel des "Trois Faisans"

On leur montrait notre cul et nos bonnes manièresEn leur chantant

Les bourgeois c'est comme les cochonsPlus ça devient vieux plus ça devient bêteLes bourgeois c'est comme les cochonsPlus ça devient vieux plus ça devient c...

Le cœur au reposLes yeux bien sur terre

Au bar de l'hôtel des "Trois Faisans"Avec maître Jojo

Et avec maître PierreEntre notaires on passe le temps

Jojo parle de VoltaireEt Pierre de Casanova

Et moi, moi qui suis resté le plus fierMoi, moi je parle encore de moi

Et c'est en sortant vers minuit Monsieur le CommissaireQue tous les soirs de chez la Montalant

De jeunes "peigne-culs" nous montrent leur derrièreEn nous chantant

Les bourgeois c'est comme les cochonsPlus ça devient vieux plus ça devient bêteLes bourgeois c'est comme les cochonsPlus ça devient vieux plus ça devient c...

Les coeurs tendresParoles et Musique: Jacques Brel 1967© 1967 Barclay - Ed. Famille Brel 3:27

note: du film "Un idiot à Paris"

Y en a qui ont le cœur si largeQu'on y entre sans frapperY en a qui ont le cœur si largeQu'on en voit que la moitié

Y en a qui ont le cœur si frêleQu'on le briserait du doigt

Y en qui ont le cœur trop frêlePour vivre comme toi et moi

Z'ont pleins de fleurs dans les yeuxLes yeux à fleur de peur

De peur de manquer l'heureQui conduit à Paris

Y en a qui ont le cœur si tendreQu'y reposent les mésanges

Y en qui ont le cœur trop tendre

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Page 84: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Moitié hommes et moitié anges

Y en a qui ont le cœur si vasteQu'ils sont toujours en voyageY en a qui ont le cœur trop vaste

Pour se priver de mirages

Z'ont pleins de fleurs dans les yeuxLes yeux à fleur de peur

De peur de manquer l'heureQui conduit à Paris

Y en a qui ont le cœur dehorsEt ne peuvent que l'offrirLe cœur tellement dehorsQu'ils sont tous à s'en servir

Celui-là a le cœur dehorsEt si frèle et si tendre

Que maudit soient les arbres mortsQui ne pourraient point l'entendre

A pleins de fleurs dans les yeuxLes yeux à fleur de peur

De peur de manquer l'heureQui conduit à Paris

Les désespérésParoles et Musique: J. Brel/G. Jouannest 1966

Se tiennent par la mainEt marchent en silenceDans ces villes éteintesQue le crachin balanceLe sol que leur pasPas à pas fredonné

Ils marchent en silenceLes désespérés

Ils ont brûlés leurs ailesIls ont perdu leurs branches

Tellement naufragésQue la mort paraît blancheIls reviennent d'amourIls se sont réveillés

Ils marchent en silenceLes désespérés

Et je sais leur cheminPour l'avoir cheminéDéjà plus de cent fois

Cent fois plus qu'à moitiéMoins vieux ou plus meurtris

Ils vont terminerPartent en silenceLes désespérés

Lente sous le pontL'eau est douce et profondeVoici la bonne hôtesseVoici la fin du monde

Ils pleurent leurs prénomsComme de jeunes mariésIls fondent en silence

Les désespérés

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Page 85: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Que se lève celuiQui leur lance la pierreIls ne sait de l'amourQue le verbe s'aimer

Sur le pont il n'est plus rienQu'une brume légèreÇa s'oublie en silenceCeux qui ont espéré

Les F...Paroles et Musique: J. Brel/ J. Donato 1977

Les Flamingands, chanson comique !

Messieurs les FlamingantsJ'ai deux mots à vous rireIl y a trop longtemps

Que vous me faites frireÀ vous souffler dans le culPour devenir autobusVous voilà acrobates

Mais vraiment rien de plus

Nazis durant les guerresEt catholiques entre ellesVous oscillez sans cesse

Du fusil au misselVos regards sont lointainsVotre humour est exsangue

Bien qu'y aient des rues à GandQui pissent dans les deux languesTu vois quand j'pense à vousJ'aime que rien ne se perdeMessieurs les Flamingants

Je vous emmerde

Vous salissez la FlandreMais la Flandre vous juge.Voyez la mer du nord

Elle s'est enfuie de Bruges.Cessez de me gonfler

Mes vieilles roubignolesAvec votre art flamand-italo-espagnol.

Vous êtes tellement tellementBeaucoup trop lourds

Que quand les soirs d'orageDes chinois cultivés

Me demandent d'où je suis,Je réponds fatigué

Et les larmes aux dents :"Ik ben van Luxembourg".Et si aux jeunes femmes,On ose un chant flamand,Elle s'envolent en rêvantAux oiseaux roses et blancs

Et je vous interdisD'espérer que jamais à Londres

Sous la pluie on puisseVous croire anglaisEt je vous interdis

À New-York ou MilanD'éructer MesseigneursAutrement qu'en flamandVous n'aurez pas l'air cons

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Page 86: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Vraiment pas cons du toutEt moi je m'interdis

De dire que je m'en fousEt je vous interdis

D'obliger nos enfantsQui ne vous ont rien fait

À aboyer flamandEt si mes frères se taisentEt bien tant pis pour elles.Je chante persiste et signe :Je m'appelle Jacques Brel

Les fenêtresParoles et Musique: Jacques Brel

© Éditions Musicales Pouchenel, Bruxelles

Les fenêtres nous guettentQuand notre cœur s'arrêteEn croisant Louisette

Pour qui brûlent nos chairsLes fenêtres rigolent

Quand elles voient la frivoleQui offre sa corolleÀ un clerc de notaireLes fenêtres sanglotentQuand à l'aube faloteUn enterrement cahoteJusqu'au vieux cimetièreMais les fenêtres froncentLeurs corniches de bronzeQuand elles voient les ronces

Envahir leur lumière

Les fenêtres murmurentQuand tombent en chevelureLes pluies de la froidureQui mouillent les adieuxLes fenêtres chantonnentQuand se lève à l'automneLe vent qui abandonneLes rues aux amoureuxLes fenêtres se taisentQuand l'hiver les apaiseEt que la neige épaisse

Vient leur fermer les yeuxMais les fenêtres jacassentQuand une femme passeQui habite l'impasse

Où passent les Messieurs

La fenêtre est un œufQuand elle est œil-de-bœufQui attend comme un veufAu coin d'un escalierLa fenêtre bataille

Quand elle est soupirailD'où le soldat mitrailleAvant de succomber

Les fenêtres musardentQuand elles sont mansardes

Et abritent les hardesD'un poète oublié

Mais les fenêtres gentillesSe recouvrent de grillesSi par malheur on crie

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Page 87: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

" Vive la liberté "

Les fenêtres surveillentL'enfant qui s'émerveilleDans un cercle de vieillesA faire ses premiers pasLes fenêtres sourient

Quand quinze ans trop jolisOu quinze ans trop grandisS'offrent un premier repasLes fenêtres menacentLes fenêtres grimacent

Quand parfois j'ai l'audaceD'appeler an chat un chatLes fenêtres me suivent

Me suivent et me poursuiventJusqu'à ce que peur s'ensuiveTout au fond de mes draps

Les fenêtres souventTraitent impunémentDe voyous des enfantsQui cherchent qui aimerLes fenêtres souvent

Soupçonnent ces manantsQui dorment sur les bancs

Et parlent l'étrangerLes fenêtres souventSe ferment en riantSe ferment en criantQuand on y va chanterAh je n'ose pas penserQu'elles servent à voilerPlus qu'à laisser entrerLa lumière de l'été

Non je préfère penserQu'une fenêtre ferméeÇa ne sert qu'à aiderLes amants à s'aimer

{2x}

Les filles et les chiensParoles et Musique: J. Brel/G. Jouannest 1963

Les fillesC'est beau comme un jeuC'est beau comme un feuC'est beaucoup trop peu

Les fillesC'est beau comme un fruitC'est beau comme la nuitC'est beaucoup d'ennuis

Les fillesC'est beau comme un renardC'est beau comme un retardC'est beaucoup trop tard

Les fillesC'est beau tant que ça peutC'est beau comme l'adieuEt c'est beaucoup mieux

Mais les chiensC'est beau comme des chiens

Et ça reste là

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Page 88: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

A nous voir pleurerLes chiens

Ça ne nous dit rienC'est peut-être pour çaQu'on croit les aimer

Les fillesÇa vous pend au nezÇa vous prend au théÇa vous prend les dés

Les fillesÇa vous pend au couÇa vous pend au clouÇa dépend de vous

Les fillesÇa vous pend au cœurÇa se pend aux fleursÇa dépend des heures

Les fillesÇa dépend de toutÇa dépend surtoutÇa dépend des sousMais les chiens

Ça ne dépend de rienEt ça reste là

A nous voir pleurerLes chiens

Ça ne nous dit rienC'est peut-être pour çaQu'on croit les aimer

Les fillesÇa joue au cerceauÇa joue du cerveauÇa se joue tango

Les fillesÇa joue l'amadouÇa joue contre joueÇa se joue de vous

Les fillesÇa joue à jouerÇa joue à aimer

Ça joue pour gagnerLes filles

Qu'elles jouent les petites femmesQu'elles jouent les grandes dames

Ça se joue en dramesMais les chiensÇa ne joue à rien

Parce que ça ne sait pasComment faut tricher

Les chiensÇa ne joue a rien

C'est peut-être pour çaQu'on croit les aimer

Les fillesÇa donne à rêverÇa donne à penserÇa vous donne congé

Les fillesÇa se donne pourtantÇa se donne un tempsÇa donnant donnant

Les fillesÇa donne de l'amourA chacun son tourÇa donne sur la cour

Les filles

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Page 89: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Ça vous donne son corpsÇa se donne si fort

Que ça donne des remordsMais les chiens

Ça ne vous donne rienParce que ça ne sait pasFaire semblant de donner

Les chiensÇa ne vous donne rienC'est peut-être pour çaQu'on doit les aimer

Et c'est pourtant pour les fillesQu'au moindre matinQu'au moindre chagrinOn renie ses chiens

Les flamandesParoles et Musique: Jacques Brel 1959

Les Flamandes dansent sans rien direSans rien dire aux dimanches sonnantsLes Flamandes dansent sans rien direLes Flamandes ça n'est pas causant

Si elles dansent c'est parce qu'elles ont vingt ansEt qu'à vingt ans il faut se fiancerSe fiancer pour pouvoir se marierEt se marier pour avoir des enfantsC'est ce que leur ont dit leurs parentsLe bedeau et même Son EminenceL'Archiprêtre qui prêche au couvent

Et c'est pour ça et c'est pour ça qu'elles dansentLes FlamandesLes Flamandes

Les Fla - Les Fla - Les Flamandes

Les Flamandes dansent sans frémirSans frémir aux dimanches sonnantsLes Flamandes dansent sans frémirLes Flamandes ça n'est pas frémissant

Si elles dansent c'est parce qu'elles ont trente ansEt qu'à trente ans il est bon de montrerQue tout va bien que poussent les enfants

Et le houblon et le blé dans le préElles font la fierté de leurs parentsEt du bedeau et de Son Eminence

L'Archiprêtre qui prêche au couventEt c'est pour ça et c'est pour ça qu'elles dansent

Les FlamandesLes Flamandes

Les Fla - Les Fla - Les Flamandes

Les Flamandes dansent sans sourireSans sourire aux dimanches sonnantsLes Flamandes dansent sans sourireLes Flamandes ça n'est pas souriant

Si elles dansent c'est qu'elles ont septante ansQu'à septante ans il est bon de montrer

Que tout va bien que poussent les petits-enfantsEt le houblon et le blé dans le pré

Toutes vêtues de noir comme leurs parentsComme le bedeau et comme Son Eminence

L'Archiprêtre qui radote au couventElles héritent et c'est pour ça qu'elles dansent

Les Flamandes

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Page 90: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Les FlamandesLes Fla - Les Fla - Les Flamandes

Les Flamandes dansent sans mollirSans mollir aux dimanches sonnantsLes Flamandes dansent sans mollirLes Flamandes ça n'est pas mollissant

Si elles dansent c'est parce qu'elles ont cent ansEt qu'à cent ans il est bon de montrer

Que tout va bien qu'on a toujours bon piedEt bon houblon et bon blé dans le préElles s'en vont retrouver leurs parentsEt le bedeau et même Son EminenceL'Archiprêtre qui repose au couvent

Et c'est pour ça qu'une dernière fois elles dansentLes FlamandesLes Flamandes

Les Fla - Les Fla -Les Flamandes.

Les jardins du casinoParoles et Musique: J. Brel/G. Jouannest 1964

Les musiciens sortent leurs moustachesEt leurs violons et leurs saxosEt la polka se met en marcheDans les jardins du casino

Où glandouillent en papotantDe vieilles vieilles qui ont la galatouilleEt de moins vieilles qui ont la chatouille

Et des messieurs qui ont le tempsPassent aussi indifférents

Quelques jeunes gens faméliquesQui sont encore confondantL'érotisme et la gymnastique

Tout ça dresse une muraille de ChineEntre le pauvre ami PierrotEt sa fugace Colombine

Dans les jardins du casino

Les musiciens frétillent des moustachesEt du violon et du saxo

Quand la polka guide la démarcheDe la beauté du casino

Quelques couples protubérantsDansent comme des escalopes

Avec des langueurs d'héliotropesDevant les faiseuses de cancanUn colonel encivilé présenteÀ de fausses duchessesCompliments et civilités

Et baise-main et rond de fessesTout ça n'arrange pas on le devineLes affaires du pauvre PierrotCherchant fugace ColombineDans les jardins du casino

Et puis le soir tombe par tachesLes musiciens rangent leurs saxosEt leurs violons et leurs moustaches

Dans les jardins du casinoLes jeunes filles rentrent aux tanièresSans ce jeune homme ou sans ce veuf

Qui devait leur offir la litièreOù elles auraient pondu leur œuf

Les vieux messieurs rentrent au bercail

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Page 91: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Retrouver le souvenir jauniDe leur madame Bovary

Qu'ils entretiennent vaille que vailleIl ne demeure que l'opalineDe l'âme du pauvre PierrotPleurant fugace colombineDans les jardins du casino

Du casino

Les MarquisesParoles et Musique: Jacques Brel 1977

Ils parlent de la mortComme tu parles d'un fruit

Ils regardent la merComme tu regardes un puitLes femmes sont lascives

Au soleil redoutéEt s'il n'y a pas d'hiverCela n'est pas l'été

La pluie est traversièreElle bat de grain en grain

Quelques vieux chevaux blancsQui fredonnent GauguinEt par manque de briseLe temps s'immobilise

Aux Marquises

Du soir montent des feuxEt des pointes de silenceQui vont s'élargissantEt la lune s'avanceEt la mer se déchireInfiniment brisée

Par des rochers qui prirentDes prénoms affolés

Et puis plus loin des chiensDes chants de repentanceDes quelques pas de deuxEt quelques pas de danseEt la nuit est soumiseEt l'alizé se briseAux Marquises

Le rire est dans le cœurLe mot dans le regardLe cœur est voyageurL'avenir est au hasardEt passent des cocotiers

Qui écrivent des chants d'amourQue les sœurs d'alentour

Ignorent d'ignorerLes pirogues s'en vont

Les pirogues s'en viennentEt mes souvenirs deviennentCe que les vieux en fontVeux tu que je dise

Gémir n'est pas de miseAux Marquises

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Page 92: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Les moutonsParoles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, Gérard Jouannest 1967 "Les Marquises"

Désolé, bergèreJ'aime pas les moutonsQu'ils soient pure laineOu en chapeau melon

Qu'ils broutent leur collineQu'ils broutent le béton

Menés par quelques chiensEt par quelques bâtons

Désolé, bergèreJ'aime pas les moutons

Désolé, bergère,J'aime pas les agneauxQui arrondissent le dosDe troupeau en troupeauDe troupeau en étableEt d'étable en bureau

J'aime encore mieux les loupsJ'aime mieux les moineaux

Désolé, bergèreJ'aime pas les agneaux

Désolé, bergère,J'aime pas les brebisÇa arrive tout torduesEt ça dit déjà oui

Ça se retrouve tonduesEt ça vous redit oui

Ça se balance en boucherieEt ça re-redit ouiDésolé, bergère

J'aime pas les brebis

Désolé, bergèreJ'aime pas les troupeauxQui ne voient pas plus loinQue le bout de leur coteauQui avancent en reculant

Qui se noient dans un verre d'eau béniteEt dès que le vent se lève

Montrent le bas de leur dosDésolé, bergère

J'aime pas les troupeaux

Désolé, bergèreJ'aime pas les bergers

Désolé, bergèreJ'aime pas les bergersIl pleut, il pleut, bergèrePrends garde à te garder

Prends garde à te garder, bergèreUn jour tu vas bêlerDésolé, bergère

J'aime pas les bergers

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Page 93: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Les paumés du petit matinParoles et Musique: J. Brel/F. Rauber 1962

Ils s'éveillent à l'heure du bergerPour se lever à l'heure du théEt sortir à l'heure de plus rienLes paumés du petit matinElles elles ont l'arrogance

Des filles qui ont de la poitrineEux ils ont cette assuranceDes hommes dont on devineQue le papa a eu de la chanceLes paumés du petit matin

Venez venez danserCopain copain copain copain

Copain copain copainVenez danser

Et ça danse les yeux dans les seins

Ils se blanchissent leurs nuitsAu lavoir des mélancoliesQui lave sans salir les mainsLes paumés du petit matinIls se racontent à minuit

Les poèmes qu'ils n'ont pas lusLes romans qu'ils n'ont pas écritsLes amours qu'ils n'ont pas vécuesLes vérités qui ne servent à rienLes paumés du petit matin

Venez venez danserCopain copain copain copain

Copain copain copainVenez danser

Et ça danse les yeux dans les seins

L'amour leur déchire le foieC'était c'était c'était si bien

C'était... vous ne comprendriez pas...Les paumés du petit matin

Ils prennent le dernier whiskyIls prennent le dernier bon motIls reprennent le dernier whiskyIls prennent le dernier tangoIls prennent le dernier chagrinLes paumés du petit matin

Venez venez pleurerCopain copain copain copain

Copain copain copainVenez pleurer

Et ça pleure les yeux dans les seins

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Page 94: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Les pieds dans le ruisseau

{Refrain:}Les pieds dans le ruisseauMoi je regarde couler la vieLes pieds dans le ruisseau

Moi je regarde sans dire un mot

Les gentils poissonsMe content leur vieEn faisant des rondsSur l'onde jolieEt moi je réponds

En gravant dans l'eauDes mots jolis

Mots de ma façon

{au Refrain}

Au fil du courantS'efface une lettreLettre d'un amantDisparu peut-êtreAh que je voudraisTrouver près de moi

Une fille dont j'pourraisCaresser les doigts

{au Rferain}

Et quand le crapaudBerce au crépusculeParmi les roseauxDame libellule

Penchant mon visageAu dessus de l'eauJe vois mon imageMoi je vois l'idiot

Les prénoms de ParisParoles et Musique: J. Brel/G. Jouannest 1961

Le soleil qui se lèveEt caresse les toitsEt c'est Paris le jour

La Seine qui se promèneEt me guide du doigtEt c'est Paris toujours

Et mon cœur qui s'arrêteSur ton cœur qui souritEt c'est Paris bonjour

Et ta main dans ma mainQui me dit déjà ouiEt c'est Paris l'amourLe premier rendez-vous

A l'Ile Saint-LouisC'est Paris qui commence

Et le premier baiserVolé aux Tuileries

Et c'est Paris la chanceEt le premier baiserReçu sous un portailEt c'est Paris romance

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Page 95: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Et deux têtes qui se tournentEn regardant VersaillesEt c'est Paris la France

Des jours que l'on oublieQui oublient de nous voirEt c'est Paris l'espoir

Des heures où nos regardsNe sont qu'un seul regardEt c'est Paris miroir

Rien que des nuits encoreQui séparent nos chansons

Et c'est Paris bonsoirEt ce jour-là enfin

Où tu ne dis plus nonEt c'est Paris ce soir

Une chambre un peu tristeOù s'arrête la ronde

Et c'est Paris nous deuxUn regard qui reçoit

La tendresse du mondeEt c'est Paris tes yeux

Ce serment que je pleurePlutôt que ne le disC'est Paris si tu veuxEt savoir que demain

Sera comme aujourd'huiC'est Paris merveilleux

Mais la fin du voyageLa fin de la chansonEt c'est Paris tout gris

Dernier jour, dernière heurePremière larme aussiEt c'est Paris la pluieCes jardins remontés

Qui n'ont plus leur parureEt c'est Paris l'ennuiLa gare où s'accomplitLa dernière déchirureEt c'est Paris fini

Loin des yeux loin du cœurChassé du paradis

Et c'est Paris chagrinMais une lettre de toiUne lettre qui dit ouiEt c'est Paris demainDes villes et des villages

Les roues tremblent de chanceC'est Paris en cheminEt toi qui m'attends làEt tout qui recommenceEt c'est Paris je reviens.

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Page 96: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Les remparts de VarsovieParoles et Musique: Jacques Brel 1977

Madame promène son cul sur les remparts de VarsovieMadame promène son cœur sur les ringards de sa folie

Madame promène son ombre sur les grand-places de l'ItalieJe trouve que Madame vit sa vie

Madame promène à l'aube les preuves de ses insomniesMadame promène à ch'val ses états d'âmes et ses lubiesMadame promène un con qu'assure que madame est jolie

Je trouve que Madame est servie

Tandis que moi tous les soirs je suis vestiaire à l'AlcazarMadame promène l'été jusque dans le midi d'la France

Madame promène ses seins jusque dans le midi de la chanceMadame promène son spleen jusqu'au bord du lac de Constance

Je trouve Madame de circonstances

Madame promène son chien un boudin noir nommé ByzanceMadame traîne son enfance et change selon les circonstancesMadame promène partout son accent russe avec aisance

C'est vrai que Madame est de Valence

Tandis que moi tous les soirs je suis barman à l'AlcazarMadame promène son ch'veu qu'a la senteur des nuits de ChineMadame promène son regard sur tous les vieux qui ont des usinesMadame promène son rire comme d'autres promènent leur vaseline

Je trouve que Madame est coquine

Madame promène ses cuites de verre en verre de fine en fineMadame promène les gènes de vingt mille officiers de marineMadame raconte partout qu'on m'appelle Tata Jacqueline

Je trouve Madame mauvaise copine

Tandis que moi tous les soirs je suis chanteuse légère à l'AlcazarMadame promène ses mains dans les différents corps d'armée

Madame promène mes sous chez des demi-selles de bas quartiersMadame promène carosse qu'elle voudrait bien me voir tirer

Je trouve que Madame est gonflée

Madame promène banco qu'elle veut bien me laisser réglerMadame promène bijoux qu'elle veut bien me laisser facturerMadame promène ma Rolls que pour suivre quelque huissier

Je trouve que Madame est pressée

Tandis que moi tous les soirs je fais la plonge à l'AlcazarMadame promène son cul sur les remparts de VarsovieMadame promène son cœur sur les ringards de sa folie

Madame promène son ombre sur les grand-places de l'ItalieJe trouve que Madame vit sa vie

Madame promène à l'aube les preuves de ses insomniesMadame promène à ch'val ses états d'âmes et ses lubiesMadame promène un con qu'assure que Madame est jolie

Je trouve que Madame est servie

Tandis que moi tous les soirs je suis vestiaire à l'AlcazarMadame promène l'été jusque dans le midi d'la France

Madame promène ses seins jusque dans le midi de la chanceMadame promène son spleen jusqu'au bord du lac de Constance

Je trouve Madame de circonstances

Madame promène son chien un boudin noir nommé ByzanceMadame traîne son enfance et change selon les circonstancesMadame promène partout son accent russe avec aisance

C'est vrai que Madame est de Valence

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Page 97: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Les singesParoles et Musique: Jacques Brel 1961

Avant eux avant les culs pelésLa fleur l'oiseau et nous étions en libertéMais ils sont arrivés et la fleur est en potEt l'oiseau est en cage et nous en numéroCar ils ont inventé prisons et condamnés

Et casiers judiciaires et trous dans la serrureEt les langues coupées des premières censures

Et c'est depuis lors qu'ils sont civilisésLes singes les singes les singes de mon quartierLes singes les singes les singes de mon quartier

Avant eux il n'y avait pas de problèmeQuand poussaient les bananes même pendant le Carême

Mais ils sont arrivés bardés d'intolérancesPour chasser en apôtres d'autres intolérancesCar ils ont inventé la chasse aux AlbigeoisLa chasse aux infidèles et la chasse à ceux-là

La chasse aux singes sages qui n'aiment pas chasserEt c'est depuis lors qu'ils sont civilisés

Les singes les singes les singes de mon quartierLes singes les singes les singes de mon quartier

Avant eux l'homme était un princeLa femme une princesse l'amour une provinceMais ils sont arrivés le prince est un mendiantLa province se meurt la princesse se vendCar ils ont inventé l'amour qui est un péché

L'amour qui est une affaire le marché aux pucellesLe droit de courte-cuisse et les mères maquerelles

Et c'est depuis lors qu'ils sont civilisésLes singes les singes les singes de mon quartierLes singes les singes les singes de mon quartier

Avant eux il y avait paix sur terreQuand pour dix éléphants il n'y avait qu'un militaire

Mais ils sont arrivés et c'est à coups de bâtonsQue la raison d'État a chassé la raisonCar ils ont inventé le fer à empaler

Et la chambre à gaz et la chaise électriqueEt la bombe au napalm et la bombe atomique

Et c'est depuis lors qu'ils sont civilisésLes singes les singes les singes de mon quartierLes singes les singes les singes de mon quartier

Les timidesParoles et Musique: Jacques Brel 1964

Les timidesÇa se tortilleÇa s'entortilleÇa sautille

Ça se met en vrilleÇa se recroqueville

Ça rêve d'être un lapinPeu importe

D'où ils sortentMes feuilles mortes

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Page 98: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Quand le vent les porteDevant nos portes

On dirait qu'ils portentUne valise dans chaque main

Les timidesSuivent l'ombre

L'ombre sombre de leur ombreSeule la pénombreSait le nombre

De leurs pudeurs de LevantinIls se plissentIls palissentIls jaunissentIls rosisentIls rougissentS'écrevissent

Une valise dans chaque main

Mais les timidesUn soir d'audaceDevant leur glaceRêvant d'espace

Mettent leur cuirasseEt alors placeAllons ParisTiens-toi bienEt vive la gareSaint-LazareMais on s'égareOn sépare

On s'désempareEt on repart

Une valise dans chaque main

Les timidesQuand ils chavirentPour une ElvireOnt des soupirsOnt des désirs

Qu'ils désirent direMais ils n'osent pas bien

Et leur maîtressePlus prêtresseEn ivresse

Qu'en tendresseUn soir les laissentDu bout des fesses

Une valise dans chaque main

Les timidesAlors vieillissentAlors finissentSe rapetissent

Quand ils glissentDans les abyssesJe veux dire

Quand ils meurentN'osent rien direRien maudireN'osent frémirN'osent sourireJuste un soupirEt ils meurent

Une valise sur le cœur

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Page 99: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Les toros1963

© Éditions Musicales Pouchenel, Bruxelles

Les toros s'ennuient le dimancheQuand il s'agit de courir pour nous

Un peu de sable du soleil et des planchesUn peu de sang pour faire un peu de boue

C'est l'heure où les épiciers se prennent pour Don JuanC'est l'heure où les Anglaises se prennent pour Montherlant

Ah!Qui nous dira à quoi ça penseUn toro qui tourne et danse

Et s'aperçoit soudain qu'il est tout nuAh!

Qui nous dira à quoi ça rêveUn toro dont l'œil se lève

Et qui découvre les cornes des cocus

Les toros s'ennuient le dimancheQuand il s'agit de souffrir pour nousVoici les picadors et la foule se vengeVoici les toreros et la foule est à genoux

C'est l'heure où les épiciers se prennent pour Garcia LorcaC'est l'heure où les Anglaises se prennent pour la Carmencita

Les toros s'ennuient le dimancheQuand il s'agit de mourir pour nous

Mais l'épée va plonger et la foule se pencheMais l'épée a plongé et la foule est debout

C'est l'instant de triomphe où les épiciers se prennent pour NéronC'est l'instant de triomphe où les Anglaises se prennent pour Wellington

Ah!Est-ce qu'en tombant à terreLes toros rêvent d'un enfer

Où brûleraient hommes et toreros défuntsAh!

Ou bien à l'heure du trépasNe nous pardonneraient-ils pas

En pensant à Carthage Waterloo et VerdunVerdun

Les vieuxParoles et Musique: J. Brel/G. Jouannest 1964

Les vieux ne parlent plus ou alors seulement parfois du bout des yeuxMême riches ils sont pauvres, ils n'ont plus d'illusions et n'ont qu'un cœur pour deux

Chez eux ça sent le thym, le propre, la lavande et le verbe d'antanQue l'on vive à Paris on vit tous en province quand on vit trop longtempsEst-ce d'avoir trop ri que leur voix se lézarde quand ils parlent d'hier

Et d'avoir trop pleuré que des larmes encore leur perlent aux paupièresEt s'ils tremblent un peu est-ce de voir vieillir la pendule d'argent

Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui dit : je vous attends

Les vieux ne rêvent plus, leurs livres s'ensommeillent, leurs pianos sont fermésLe petit chat est mort, le muscat du dimanche ne les fait plus chanter

Les vieux ne bougent plus leurs gestes ont trop de rides leur monde est trop petitDu lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit

Et s'ils sortent encore bras dessus bras dessous tout habillés de raideC'est pour suivre au soleil l'enterrement d'un plus vieux, l'enterrement d'une plus laide

Et le temps d'un sanglot, oublier toute une heure la pendule d'argentQui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, et puis qui les attend

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Page 100: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Les vieux ne meurent pas, ils s'endorment un jour et dorment trop longtempsIls se tiennent par la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant

Et l'autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévèreCela n'importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer

Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrinTraverser le présent en s'excusant déjà de n'être pas plus loinEt fuir devant vous une dernière fois la pendule d'argent

Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit : je t'attendsQui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend.

Litanies pour un retourParoles et Musique: J. Brel/J. Brel-F. Rauber 1958

Mon cœur ma mie mon âmeMon ciel mon feu ma flammeMon puits ma source mon val

Mon miel mon baume mon GraalMon blé mon or ma terreMon soc mon roc ma pierreMa nuit ma soif ma faim

Mon jour mon aube mon pain

Ma voile ma vague mon guide ma voixMon sang ma force ma fièvre mon moiMon chant mon rire mon vin ma joieMon aube mon cri ma vie ma foi

Mon cœur ma mie mon âmeMon ciel mon feu ma flammeMon corps ma chair mon bien

Voilà que tu reviens

MadeleineParoles et Musique: J. Brel/J. Corti/G. Jouannest 1962

Ce soir j'attends MadeleineJ'ai apporté du lilas

J'en apporte toutes les semainesMadeleine elle aime bien çaCe soir j'attends Madeleine

On prendra le tram trente-troisPour manger des frites chez Eugène

Madeleine elle aime tant çaMadeleine c'est mon NoëlC'est mon Amérique à moi

Même qu'elle est trop bien pour moiComme dit son cousin JoëlCe soir j'attends Madeleine

On ira au cinémaJe lui dirai des "je t'aime"Madeleine elle aime tant ça

Elle est tellement jolieElle est tellement tout çaElle est toute ma vie

Madeleine que j'attends là

Ce soir j'attends MadeleineMais il pleut sur mes lilas

Il pleut comme toutes les semainesEt Madeleine n'arrive pas

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Page 101: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Ce soir j'attends MadeleineC'est trop tard pour le tram trente-trois

Trop tard pour les frites d'EugèneEt Madeleine n'arrive pas

Madeleine c'est mon horizonC'est mon Amérique à moi

Même qu'elle est trop bien pour moiComme dit son cousin GastonMais ce soir j'attends Madeleine

Il me reste le cinémaJe lui dirai des "je t'aime"Madeleine elle aime tant ça

Elle est tellement jolieElle est tellement tout çaElle est toute ma vie

Madeleine qui n'arrive pas

Ce soir j'attendais MadeleineMais j'ai jeté mes lilas

Je les ai jetés comme toutes les semainesMadeleine ne viendra pas

Ce soir j'attendais MadeleineC'est fichu pour le cinémaJe reste avec mes "je t'aime"Madeleine ne viendra pasMadeleine c'est mon espoirC'est mon Amérique à moi

Sûr qu'elle est trop bien pour moiComme dit son cousin GaspardCe soir j'attendais MadeleineTiens le dernier tram s'en vaOn doit fermer chez EugèneMadeleine ne viendra pas

Elle est tellement jolieElle est tellement tout çaElle est toute ma vie

Madeleine qui ne viendra pas

Demain j'attendrai MadeleineJe rapporterai du lilas

J'en rapporterai toute la semaineMadeleine elle aimera ça

Demain j'attendrai MadeleineOn prendra le tram trente-trois

Pour manger des frites chez EugèneMadeleine elle aimera çaMadeleine c'est mon espoirC'est mon Amérique à moi

Tant pis si elle est trop bien pour moiComme dit son cousin GaspardDemain j'attendrai Madeleine

On ira au cinémaJe lui dirai des "je t'aime"Madeleine elle aimera ça

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Page 102: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

MariekeParoles et Musique: J. Brel/J. Brel-G. Jouannest 1961

Ay Marieke Marieke je t'aimais tantEntre les tours de Bruges et Gand

Ay Marieke Marieke il y a longtempsEntre les tours de Bruges et Gand

Zonder liefde warme liefdeWaait de wind de stomme windZonder liefde warme liefdeWeent de zee de grijze zeeZonder liefde warme liefde

Lijdt het licht het donk're lichtEn schuurt het zand over mijn landMijn platte land mijn Vlaanderland

Ay Marieke Marieke le ciel flamandCouleur des tours de Bruges et GandAy Marieke Marieke le ciel flamandPleure avec moi de Bruges à Gand

Zonder liefde warme liefdeWaait de wind c'est fini

Zonder liefde warme liefdeWeent de zee déjà fini

Zonder liefde warme liefdeLijdt het licht tout est fini

En schuurt het zand over mijn landMijn platte land mijn VlaanderlandAy Marieke Marieke le ciel flamandPesait-il trop de Bruges à Gand

Ay Marieke Marieke sur tes vingt ansQue j'aimais tant de Bruges à Gand

Zonder liefde warme liefdeLacht de duivel de zwarte duivelZonder liefde warme liefde

Brandt mijn hart mijn oude hartZonder liefde warme liefde

Sterft de zomer de droeve zomerEn schuurt het zand over mijn landMijn platte land mijn Vlaanderland

Ay Marieke Marieke revienne le tempsRevienne le temps de Bruges et GandAy Marieke Marieke revienne le tempsOù tu m'aimais de Bruges à Gand

Ay Marieke Marieke le soir souventEntre les tours de Bruges et GandAy Marieke Marieke tous les étangs

M'ouvrent leurs bras de Bruges à GandDe Bruges à Gand de Bruges à Gand

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Page 103: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

MathildeParoles et Musique: J. Brel, G. Jouannest 1964

Ma mère voici le temps venuD'aller prier pour mon salut

Mathilde est revenueBougnat tu peux garder ton vinCe soir je boirai mon chagrin

Mathilde est revenueToi la servante toi la Maria

Vaudrait peut-être mieux changer nos drapsMathilde est revenue

Mes amis ne me laissez pasCe soir je repars au combat

Maudite Mathilde puisque te v'là

Mon cœur mon cœur ne t'emballe pasFais comme si tu ne savais pasQue la Mathilde est revenueMon cœur arrête de répéter

Qu'elle est plus belle qu'avant l'étéLa Mathilde qui est revenue

Mon cœur arrête de bringuebalerSouviens-toi qu'elle t'a déchiréLa Mathilde qui est revenueMes amis ne me laissez pas

Dites-moi dites-moi qu'il ne faut pasMaudite Mathilde puisque te v'là

Et vous mes mains restez tranquillesC'est un chien qui nous revient de la ville

Mathilde est revenueEt vous mes mains ne frappez pas

Tout ça ne vous regarde pasMathilde est revenue

Et vous mes mains ne tremblez plusSouvenez-vous quand je vous pleurais dessus

Mathilde est revenueVous mes mains ne vous ouvrez pasVous mes bras ne vous tendez pasSacrée Mathilde puisque te v'là

Ma mère arrête tes prièresTon Jacques retourne en enfer

Mathilde m'est revenueBougnat apporte-nous du vinCelui des noces et des festinsMathilde m'est revenue

Toi la servante toi la MariaVa tendre mon grand lit de draps

Mathilde m'est revenueAmis ne comptez plus sur moiJe crache au ciel encore une fois

Ma belle Mathilde puisque te v'là te v'là

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Page 104: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Mes prénoms de ParisParoles et Musique: J. Brel/G. Jouannest 1961

Le soleil qui se lèveEt caresse les toitsEt c'est Paris le jour

La Seine qui se promèneEt me guide du doigtEt c'est Paris toujours

Et mon cœur qui s'arrêteSur ton cœur qui souritEt c'est Paris bonjour

Et ta main dans ma mainQui me dit déjà ouiEt c'est Paris l'amourLe premier rendez-vous

A l'Ile Saint-LouisC'est Paris qui commence

Et le premier baiserVolé aux Tuileries

Et c'est Paris la chanceEt le premier baiserReçu sous un portailEt c'est Paris romance

Et deux têtes qui se tournentEn regardant VersaillesEt c'est Paris la France

Des jours que l'on oublieQui oublient de nous voirEt c'est Paris l'espoir

Des heures où nos regardsNe sont qu'un seul regardEt c'est Paris miroir

Rien que des nuits encoreQui séparent nos chansons

Et c'est Paris bonsoirEt ce jour-là enfin

Où tu ne dis plus nonEt c'est Paris ce soir

Une chambre un peu tristeOù s'arrête la ronde

Et c'est Paris nous deuxUn regard qui reçoit

La tendresse du mondeEt c'est Paris tes yeux

Ce serment que je pleurePlutôt que ne le disC'est Paris si tu veuxEt savoir que demain

Sera comme aujourd'huiC'est Paris merveilleux

Mais la fin du voyageLa fin de la chansonEt c'est Paris tout gris

Dernier jour, dernière heurePremière larme aussiEt c'est Paris la pluieCes jardins remontés

Qui n'ont plus leur parureEt c'est Paris l'ennuiLa gare où s'accomplitLa dernière déchirureEt c'est Paris fini

Loin des yeux loin du cœurChassé du paradis

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Page 105: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Et c'est Paris chagrinMais une lettre de toiUne lettre qui dit ouiEt c'est Paris demainDes villes et des villages

Les roues tremblent de chanceC'est Paris en cheminEt toi qui m'attends làEt tout qui recommenceEt c'est Paris je reviens.

Mon enfance

Mon enfance passaDe grisailles en silencesDe fausses révérencesEn manque de bataillesL'hiver j'étais au ventreDe la grande maisonQui avait jeté l'ancre

Au nord parmi les joncsL'été à moitié nu

Mais tout à fait modesteJe devenais indien

Pourtant déjà certainQue mes oncles repus

M'avaient volé le Far West

Mon enfance passaLes femmes aux cuisinesOù je rêvais de ChineVieillissaient en repasLes hommes au fromageS'enveloppaient de tabacFlamands taiseux et sagesEt ne me savaient pasMoi qui toutes les nuitsAgenouillé pour rienArpégeais mon chagrinAu pied du trop grand litJe voulais prendre un trainQue je n'ai jamais pris

Mon enfance passaDe servante en servanteJe m'étonnais déjà

Qu'elles ne fussent point plantesJe m'étonnais encoreDe ces ronds de familleFlânant de mort en mortEt que le deuil habilleJe m'étonnais surtoutD'être de ce troupeau

Qui m'apprenait à pleurerQue je connaissais tropJ'avais L'œil du bergerMais le cœur de l'agneau

Mon enfance éclataCe fut l'adolescenceEt le mur du silenceUn matin se brisa

Ce fut la première fleurEt la première filleLa première gentille

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Page 106: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Et la première peurJe volais je le jureJe jure que je volais

Mon cœur ouvrait les brasJe n'étais plus barbare

Et la guerre arriva

Et nous voilà ce soir.

Mon Père disaitParoles et Musique: Jacques Brel 1967

Mon père disaitC'est l'vent du nord

Qui fait craquer les diguesA Scheveningen

À Scheveningen, petitTellement fort

Qu'on ne sait plus qui navigueLa mer du nordOu bien les diguesC'est le vent du nord

Qui transperce les yeuxDes hommes du nordJeunes ou vieuxPour faire chanter

Des carillons de bleusVenus du nord

Au fond de leurs yeux

Mon père disaitC'est le vent du nordQui fait tourner la têteAutour de Bruges

Autour de bruges, petitC'est le vent du nordQu'a raboté la terreAutour des tours

Des tours de BrugesEt qui fait qu'nos fillesOnt l'regard tranquilleDes vieilles villesDes vieilles villes

Qui fait qu'nos bellesOnt le cheveu fragileDe nos dentellesDe nos dentelles

Mon père disaitC'est le vent du nord

Qu'a fait craquer la terreEntre Zeebruges

Entre Zeebruges, petitC'est le vent du Nord

Qu'a fait craquer la terreEntre Zeebruges et l'Angleterre

Et Londres n'est plusComme avant le délugeLe poing de BrugesNarguant la merLondres n'est plus

Que le faubourg de BrugesPerdu en merPerdu en mer

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Page 107: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Mais mon père disaitC'est le vent du nordQui portera en terreMon corps sans âme

Et sans colèreC'est le vent du nordQui portera en terreMon corps sans âme

Face à la merC'est le vent du nordQui me fera capitaineD'un brise-lamesOu d'une baleine

C'est le vent du nordQui me fera capitaineD'un brise-larmesPour ceux que j'aime

Ne me quitte pasParoles et Musique: Jacques Brel 1959

Ne me quitte pasIl faut oublier

Tout peut s'oublierQui s'enfuit déjàOublier le tempsDes malentendusEt le temps perduA savoir commentOublier ces heuresQui tuaient parfoisA coups de pourquoiLe cœur du bonheurNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pas

Moi je t'offriraiDes perles de pluieVenues de paysOù il ne pleut pas

Je creuserai la terreJusqu'après ma mortPour couvrir ton corpsD'or et de lumièreJe ferai un domaineOù l'amour sera roiOù l'amour sera loiOù tu seras reineNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pas

Ne me quitte pasJe t'inventerai

Des mots insensésQue tu comprendras

Je te parleraiDe ces amants-là

Qui ont vu deux foisLeurs cœurs s'embraser

Je te raconterai

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Page 108: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

L'histoire de ce roiMort de n'avoir pasPu te rencontrerNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pas

On a vu souventRejaillir le feu

D'un ancien volcanQu'on croyait trop vieux

Il est paraît-ilDes terres brûléesDonnant plus de bléQu'un meilleur avrilEt quand vient le soir

Pour qu'un ciel flamboieLe rouge et le noir

Ne s'épousent-ils pasNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pas

Ne me quitte pasJe ne vais plus pleurerJe ne vais plus parlerJe me cacherai làA te regarder

Danser et sourireEt à t'écouter

Chanter et puis rireLaisse-moi devenir

L'ombre de ton ombreL'ombre de ta mainL'ombre de ton chienNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pas.

On n'oublie rienParoles et Musique: J. Brel/G. Jouannest 1961

On n'oublie rien de rienOn n'oublie rien du toutOn n'oublie rien de rienOn s'habitue c'est tout

Ni ces départs ni ces naviresNi ces voyages qui nous chavirent

De paysages en paysagesEt de visages en visages

Ni tous ces ports ni tous ces barsNi tous ces attrape-cafardOù l'on attend le matin grisAu cinéma de son whisky

Ni tout cela ni rien au mondeNe sait pas nous faire oublierNe peut pas nous faire oublier

Qu'aussi vrai que la terre est rondeOn n'oublie rien de rienOn n'oublie rien du toutOn n'oublie rien de rien

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Page 109: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

On s'habitue c'est tout

Ni ces jamais ni ces toujoursNi ces je t'aime ni ces amours

Que l'on poursuit à travers cœursDe gris en gris de pleurs en pleursNi ces bras blancs d'une seule nuitCollier de femme pour notre ennuiQue l'on dénoue au petit jourPar des promesses de retour

Ni tout cela ni rien au mondeNe sait pas nous faire oublierNe peut pas nous faire oublier

Qu'aussi vrai que la terre est rondeOn n'oublie rien de rienOn n'oublie rien du toutOn n'oublie rien de rienOn s'habitue c'est tout

Ni même ce temps où j'aurais faitMille chansons de mes regrets

Ni même ce temps où mes souvenirsPrendront mes rides pour un sourire

Ni ce grand lit où mes remordsOnt rendez-vous avec la mortNi ce grand lit que je souhaiteA certains jours comme une fête

Ni tout cela ni rien au mondeNe sait pas nous faire oublierNe peut pas nous faire oublier

Qu'aussi vrai que la terre est rondeOn n'oublie rien de rienOn n'oublie rien du toutOn n'oublie rien de rienOn s'habitue c'est tout

OrlyParoles et Musique: Jacques Brel 1977

Ils sont plus de deux milleEt je ne vois qu'eux deuxLa pluie les a soudés

Semble-t-il l'un à l'autreIls sont plus de deux milleEt je ne vois qu'eux deuxEt je les sais qui parlentIl doit lui dire: je t'aimeElle doit lui dire: je t'aimeJe crois qu'ils sont en trainDe ne rien se promettre

C'est deux-là sont trop maigresPour être malhonnêtes

Ils sont plus de deux milleEt je ne vois qu'eux deux

Et brusquement ils pleurentIls pleurent à gros bouillonsTout entourésqu'ils sontD'adipeux en sueur

Et de bouffeurs d'espoirQui les montrent du nezMais ces deux déchirésSuperbes de chagrin

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Page 110: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Abandonnent aux chiensL'exploir de les juger

Mais la vie ne fait pas de cadeau!Et nom de dieu!

C'est triste Orly le dimancheAvec ou sans Bécaud

Et maintenant ils pleurentJe veux dire tous les deuxTout à l'heure c'était luiLorsque je disais il

Tout encastrés qu'ils sontIls n'entendent plus rienQue les sanglots de l'autre

Et puis infinimentComme deux corps qui prient

Infiniment lentement ces deux corpsSe séparent et en se séparantCes deux corps se déchirentEt je vous jure qu'ils crientEt puis ils se reprennentRedeviennent un seulRedeviennent le feuEt puis se redéchirentSe tiennent par les yeuxEt puis en reculant

Comme la mer se retireIls consomment l'adieuIls bavent quelques motsAgitent une vague mainEt brusquement ils fuientFuient sans se retourner

Et puis il disparaîtBouffé par l'escalier

La vie ne fait pas de cadeau!Et nom de dieu!

C'est triste Orly le dimancheAvec ou sans Bécaud

Et puis il disparaîtBouffé par l'escalierEt elle elle reste là

Cœur en croix bouche ouverteSans un cri sans un motElle connaît sa mortElle vient de la croiserVoilà qu'elle se retourneEt se retourne encore

Ses bras vont jusqu'a terreÇa y est elle a mille ansLa porte est referméeLa voilà sans lumière

Elle tourne sur elle-mêmeEt déjà elle sait

Qu'elle tournera toujoursElle a perdu des hommesMais là elle perd l'amour

L'amour le lui a ditRevoilà l'inutile

Elle vivra ses projetsQui ne feront qu'attendre

La revoilà fragileAvant que d'être à vendre

Je suis là je le suisJe n'ose rien pour elleQue la foule grignote

Comme un quelconque fruit

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Page 111: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Pardons

Pardon pour cette filleQue l'on a fait pleurerPardon pour ce regardQue l'on quitte en riant

Pardon pour ce visageQu'une larme a changéPardon pour ces maisonsOù quelqu'un nous attend

Et puis pour tous ces motsQue l'on dit mots d'amourEt que nous employonsEn guise de monnaie

Pour tous les sermentsQui meurent au petit jourPardon pour les jamaisPardon pour les toujours

Pardon pour pour les hameauxQui ne chantent jamaisPardon pour les villages

Que l'on a oubliés

Et pardon pour les citésOù nul ne se connaîtPardon pour les paysFaits de sous-officiers

Pardon d'être de ceuxQui se foutent de toutEt de ne pas avoirChaque jour essayé

Et puis pardon encoreEt puis pardon surtoutDe ne jamais savoir

Qui doit nous pardonner

Pourquoi faut-il que les hommes s'ennuient ?1963

note: complainte du film "un roi sans divertissement"

Pourtant les hôtesses sont doucesAux auberges bordées de neigePourtant patientent les épousesQue les enfants ont pris au piègePourtant les auberges sont doucesOù le vin fait tourner manège

Pourquoi faut-il que les hommes s'ennuient

Pourtant les villes sont paisiblesOù tremblent cloches et clochersMais le diable dort-il sous la bibleMais les rois savent-ils prier

Pourtant les villes sont paisiblesDe blanc matin et blanc coucher

Pourquoi faut-il que les hommes s'ennuient

Pourtant il nous reste à rêverPourtant il nous reste à savoir

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Page 112: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Et tous ces loups qu'il faut tuerTous ces printemps qu'il reste à boire

Désespérance ou désespoirIl nous reste à être étonnés

Pourquoi faut-il que les hommes s'ennuient

Pourtant il nous reste à tricherÊtre le pique et jouer le cœur

Être la peur et rejouerÊtre le diable et jouer fleur

Pourtant il nous reste à patienterBon an mal an on ne vit qu'une heure

Pourquoi faut-il que les hommes s'ennuient

Prière païenneParoles et Musique: Jacques Brel 1956

N'est-il pas vrai MarieQue c'est prier pour vousQue de lui dire je t'aimeEn tombant à genouxN'est-il pas vrai Marie

Que c'est prier pour vousQue pleurer de bonheurEn riant comme un fouQue couvrir de tendresseNos païennes amoursC'est fleurir de prièresChaque nuit chaque jour.

N'est-il pas vrai MarieQue c'est chanter pour vousQue semer nos cheminsDe simples poésies

N'est-il pas vrai MarieQue c'est chanter pour vousQue voir en chaque chose

Une chose jolieQue chanter pour l'enfantQui bientôt nous viendraC'est chanter pour l'enfantQui repose en vos bras

N'est-il pas vrai Marie ?N'est-il pas vrai Marie ?

Qu'avons-nous fait, bonnes gensParoles et Musique: Jacques Brel 1955

Qu'avons-nous fait, bonnes gensDites-moi de la bonté du monde

On l'aurait cachée au fond d'un boisQue ça ne m'étonnerait guère

On l'aurait enfouieDix pieds sous terre

Que ça ne m'étonnerait pasEt c'est dommage de ne plus voirA chaque soir chaque matinSur les routes sur les trottoirs

Une foule de petits saints Martin

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Page 113: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Qu'avons-nous fait, bonnes gensDites-moi de tout l'amour du mondeOn l'aurait vendu pour je n'sais quoi

Que ça ne m'étonnerait guèreOn l'aurait vendu pour faire le guerre

Que ça ne m'étonnerait pasEt c'est dommage de ne plus voirLes amoureux qui ont vingt ansSe conter mille et une histoires

Pour le plus des feux de la Saint Jean

Mais nous retrouverons bonnes gensCroyez-moi toutes ces joies profondeson les retrouverait au fond de soiQue ça ne m'étonnerait guère

On les retrouverait sous la poussièreQue ça ne m'étonnerait pas

Et c'est tant mieux on pourra voirEnfin d'autres que les fous

Chanter l'amour chanter l'espoirEt les chanter avec des mots à vous

Qu'attendez-vous bonnes gensDites-le moi

Pour retrouver ces chosesQu'attendons-nous bonnes gens

Dites-le moi

Quand maman reviendraParoles et Musique: J. Brel/F. Rauber 1963

Quand ma maman reviendraC'est mon papa qui sera contentQuand elle reviendra maman

Qui c'est qui sera content c'est moiElle reviendra comme chaque foisA cheval sur un chagrin d'amourEt pour mieux fêter son retourToute la sainte famille sera là

Et elle me rechantera les chansonsLes chansons que j'aimais tellementOn a tellement besoin de chansonsQuand il paraît qu'on a vingt ans

Quand mon frère il reviendraC'est mon papa qui sera contentQuand il reviendra le Fernand

Qui c'est qui sera content c'est moiIl reviendra de sa prison

Toujours à cheval sur ses principesIl reviendra et toute l'équipeL'accueillera sur le perron

Et il me racontera les histoiresLes histoires que j'aimais tellementOn a tellement besoin d'histoiresQuand il paraît qu'on a vingt ans

Quand ma sœur elle reviendraC'est mon papa qui sera content

Quand reviendra la fille de mamanQui c'est qui sera content c'est moi

Elle reviendra de ParisSur le cheval d'un prince charmantElle reviendra et toute la famille

L'accueillera en pleurant

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Page 114: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Et elle me redonnera son sourireSon sourire que j'aimais tellementOn a tellement besoin de souriresQuand il paraît qu'on a vingt ans

Quand mon papa reviendraC'est mon papa qui sera contentQuand il reviendra en gueulant

Qui c'est qui sera content c'est moiIl reviendra du bistrot du coinA cheval sur une idée noire

Il reviendra que quand il sera noirQue quand il en aura besoinEt il me redonnera des soucis

Des soucis que j'aime pas tellementMais il paraît qu'il faut des soucisQuand il paraît qu'on a vingt ans

Si ma maman revenaitQu'est-ce qu'il serait content papa

Si ma maman revenaitQui c'est qui serait content c'est moi

Quand on n'a que l'amourParoles et Musique: Jacques Brel 1956

autres interprètes: Dalida (1957), Star Academy (2001)

Quand on n'a que l'amourA s'offrir en partage

Au jour du grand voyageQu'est notre grand amour

Quand on n'a que l'amourMon amour toi et moiPour qu'éclatent de joie

Chaque heure et chaque jour

Quand on n'a que l'amourPour vivre nos promessesSans nulle autre richesseQue d'y croire toujours

Quand on n'a que l'amourPour meubler de merveilles

Et couvrir de soleilLa laideur des faubourgs

Quand on n'a que l'amourPour unique raisonPour unique chansonEt unique secours

Quand on n'a que l'amourPour habiller matin

Pauvres et malandrinsDe manteaux de velours

Quand on n'a que l'amourA offrir en prière

Pour les maux de la terreEn simple troubadour

Quand on n'a que l'amourA offrir à ceux-là

Dont l'unique combat

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Page 115: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Est de chercher le jour

Quand on n'a que l'amourPour tracer un cheminEt forcer le destinA chaque carrefour

Quand on n'a que l'amourPour parler aux canonsEt rien qu'une chanson

Pour convaincre un tambour

Alors sans avoir rienQue la force d'aimer

Nous aurons dans nos mains,Amis le monde entier

Regarde bien, petitParoles et Musique: Jacques Brel 1968

Regarde bien petitRegarde bien

Sur la plaine là-basÀ hauteur des roseauxEntre ciel et moulins

Y a un homme qui vientQue je ne connais pasRegarde bien petitRegarde bien

Est-ce un lointain voisinUn voyageur perdu

Un revenant de guerreUn montreur de dentellesEst-ce un abbé porteurDe ces fausses nouvellesQui aident à vieillir

Est-ce mon frère qui vientNous dire qu'il est tempsDe moins nous haïr

Ou n'est-ce que le ventQui gonfle un peu le sableEt forme des mirages

Pour nous passer le temps

Regarde bien petitRegarde bien

Sur la plaine là-basÀ hauteur des roseauxEntre ciel et moulins

Y a un homme qui vientQue je ne connais pasRegarde bien petitRegarde bien

Ce n'est pas un voisinSon cheval est trop fierPour être de ce coin

Pour revenir de guerreCe n'est pas un abbé

Son cheval est trop pauvrePour être paroissien

Ce n'est pas un marchandSon cheval est trop clairSon habit est trop blancEt aucun voyageur

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Page 116: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

N'a plus passé le pontDepuis la mort du pèreNi ne sait nos prénoms

Regarde bien petitRegarde bien

Sur la plaine là-basÀ hauteur des roseauxEntre ciel et moulins

Y a un homme qui vientQue je ne connais pasRegarde bien petitRegarde bien

Non ce n'est pas mon frèreSon cheval aurait henni

Non ce n'est pas mon frèreIl ne l'oserait plusIl n'est plus rien iciQui puisse le servir

Non ce n'est pas mon frèreMon frère a pu mourirCette ombre de midi

Aurait plus de tourmentsS'il s'agissait de lui

Allons c'est bien le ventQui gonfle un peu le sablePour nous passer le temps

Regarde bien petitRegarde bien

Sur la plaine là-basÀ hauteur des roseauxEntre ciel et moulinsY a un homme qui partQue nous n saurons pasRegarde bien petitRegarde bien

Il faut sécher tes larmesIl y a un homme qui partQue nous ne saurons pasTu peux ranger les armes

RosaParoles et Musique: Jacques Brel 1962

C'est le plus vieux tango du mondeCelui que les têtes blondesÂnonnent comme une rondeEn apprenant leur latinC'est le tango du collège

Qui prend les rêves au piègeEt dont il est sacrilègeDe ne pas sortir malin

C'est le tango des bons pèresQui surveillent l'œil sévèreLes Jules et les Prosper

Qui seront la France de demain

Rosa rosa rosamRosae rosae rosaRosae rosae rosasRosarum rosis rosis

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Page 117: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

C'est le tango des forts en thèmeBoutonneux jusqu'à l'extrêmeEt qui recouvrent de laineLeur cœur qui est déjà froidC'est le tango des forts en rienQui déclinent de chagrinEt qui seront pharmaciensParce que papa ne l'était pas

C'est le temps où j'étais dernierCar ce tango rosa rosaeJ'inclinais à lui préférerDéjà ma cousine Rosa

Rosa rosa rosamRosae rosae rosaRosae rosae rosasRosarum rosis rosis

C'est le tango des promenadesDeux par seul sous les arcadesCernés de corbeaux et d'alcades

Qui nous protégeaient des pourquoiC'est le tango de la pluie sur la courLe miroir d'une flaque sans amour

Qui m'a fait comprendre un beau jourQue je ne serais pas Vasco de GamaMais c'est le tango du temps béniOù pour un baiser trop petitDans la clairière d'un jeudi

A rosi cousine Rosa

Rosa rosa rosamRosae rosae rosaRosae rosae rosasRosarum rosis rosis

C'est le tango du temps des zérosJ'en avais tant des minces des gros

Que j'en faisais des tunnels pour CharlotDes auréoles pour saint FrançoisC'est le tango des récompensesQui vont à ceux qui ont la chanceD'apprendre dès leur enfanceTout ce qui ne leur servira pas

Mais c'est le tango que l'on regretteUne fois que le temps s'achèteEt que l'on s'aperçoit tout bêteQu'il y a des épines aux Rosa

Rosa rosa rosamRosae rosae rosaRosae rosae rosasRosarum rosis rosis

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Page 118: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

S'il te fautParoles et Musique: Jacques Brel 1955

Tu n'as rien compris

S'il te faut des trainsPour fuir vers l'aventureEt de blancs navires

Qui puissent t'emmenerChercher le soleil

À mettre dans tes yeuxChercher des chansonsQue tu puisses chanter

Alors s'il te faut l'aurorePour croire au lendemain

Et des lendemainsPour pouvoir espérerRetrouver l'espoir

Qui t'a glissé des mainsRetrouver la main

Que ta main a quittée

Et alors s'il te faut des motsPrononcés par des vieux

Pour justifierTous tes renoncementsSi la poésie pour toiN'est plus qu'un jeu

Si toute ta vieN'est qu'un vieillissement

Alors s'il te faut l'ennuiPour te sembler profondEt le bruit des villes

Pour saouler tes remordsEt puis des faiblessesPour te paraître bonEt puis des colèresPour te paraître fort

Alors alorsTu n'as rien compris

Saint-PierreParoles et Musique: Jacques Brel 1956

Il y a longtemps de celaAu fond du ciel le bon Saint-PierreComme un collégien se troubla

Pour une étoile au cœur de pierreSitôt conquise elle s'envoleEn embrasantde son regardLe cœur, la barbe et l'auréole

Du bon Saint Pierre au désespoirQui criait et pleurait

Dans les rues du paradisQui criait et pleurait

Tout en se moquant de lui.

Effeuillons l'aile d'un angePour voir si elle pense à moiEffeuillons l'aile d'un ange

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Page 119: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Pour voir si elle m'aimera

Saint Pierre alors partit chercherA cheval sur un beau nuage

Vainement dans la Voie LactéeSa jeune étoile au cœur volageAu Paradis lorsqu'il revintDevant la porte il est resté

N'osons montrer tout son chagrinA ses copains auréolés

Qui criaient et pleuraientDans les rues du paradisQui criaient et pleuraientTout en se moquant de lui.

Effeuillons l'aile d'un angePour voir si elle pense à toiEffeuillons l'aile d'un angePour voir si elle t'aimera

Mais le Bon Dieu lui vint en aideCar les barbus sont syndiquésIl changea l'étoile en planèteEt fit de Saint Pierre un portier

Et de ces anges déplumésPar les amours du bon Saint Pierre

Afin de tout récupérerIl fit les démons de l'enfer

Ceux qui crient ceux qui pleurentA l'heure où naissent les nuits

Ceux qui crient ceux qui pleurentDans un coin de votre esprit

Effeuillons l'aile d'un angePour voir si elle pense à moiEffeuillons l'aile d'un angePour voir si elle m'aimera

SeulParoles et Musique: Jacques Brel 1959

On est deux mon amourEt l'amour chante et ritMais à la mort du jour

Dans les draps de l'ennuiOn se retrouve seul

On est dix à défendreLes vivants par des morts

Mais cloués par leurs cendresAu poteau du remordsOn se retrouve seul

On est cent qui dansonsAu bal des bons copainsMais au dernier lampionMais au premier chagrinOn se retrouve seul

On est mille contre milleA se croire les plus fortsMais à l'heure imbécile

Où ça fait deux mille mortsOn se retrouve seul

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Page 120: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

On est million à rireDu million qui est en faceMais deux millions de rires

N'empêchent que dans la glaceOn se retrouve seul

On est mille à s'asseoirAu sommet de la fortuneMais dans la peur de voirTout fondre sous la luneOn se retrouve seul

On est cent que la gloireInvite sans raison

Mais quand meurt le hasardQuand finit la chansonOn se retrouve seul

On est dix à coucherDans le lit de la puissanceMais devant ces arméesQui s'enterrent en silence

On se retrouve seul

On est deux à vieillirContre le temps qui cogneMais lorsqu'on voit venirEn riant la charogneOn se retrouve seul.

Sur la placeParoles et Musique: Jacques Brel 1955

Sur la place chauffée au soleilUne fille s'est mise à danserElle tourne toujours pareilleAux danseuses d'antiquitésSur la ville il fait trop chaud

Hommes et femmes sont assoupisEt regardent par le carreauCette fille qui danse à midi

Ainsi certains jours paraîtUne flamme à nos yeuxA l'église où j'allais

On l'appelait le Bon DieuL'amoureux l'appelle l'amour

Le mendiant la charitéLe soleil l'appelle le jour

Et le brave homme la bonté

Sur la place vibrante d'air chaudOù pas même ne paraît un chienOndulante comme un roseauLa fille bondit s'en va s'en vient

Ni guitare ni tambourinPour accompagner sa danseElle frappe dans ses mainsPour se donner la cadence

Ainsi certains jours paraîtUne flamme à nos yeuxA l'église où j'allais

On l'appelait le Bon DieuL'amoureux l'appelle l'amour

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Page 121: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Le mendiant la charitéLe soleil l'appelle le jour

Et le brave homme la bonté.

Sur la place où tout est tranquilleUne fille s'est mise à chanterEt son chant plane sur la villeHymne d'amour et de bonté

Mais sur la ville il fait trop chaudEt pour ne point entendre son chantLes hommes ferment leurs carreaux

Comme une porte entre morts et vivants

Ainsi certains jours paraîtUne flamme en nos cœurs

Mais nous ne voulons jamaisLaisser luire sa lueur

Nous nous bouchons les oreillesEt nous nous voilons les yeuxNous n'aimons point les réveils

De notre cœur déjà vieux

Sur la place un chien hurle encoreCar la fille s'en est allée

Et comme le chien hurlant la mortPleurent les hommes leur destinée

TitineParoles et Musique: J. Brel/G. Jouannest/J. Corti 1964

J'ai retrouvé TitineTitine oh ma TitineJ'ai retrouvé Titine

Que je ne trouvais pasJe l'ai retrouvée par hasardQui vendait du buvardDerrière une vitrine

De la gare Saint-LazareJe lui ai dit TitineTitine oh ma TitineJe lui ai dit Titine

Pourquoi m'avoir quittéTu es partie comme ça

Sans un geste sans un motVoir un film de CharlotAu ciné de l'OlympiaEt il y a trente ans déjà

Que nous te cherchions partoutMon Hispano et moi

En criant comme des fousJe cherche après TitineTitine oh ma Titine

Je cherche après Titine

Mais j'ai retrouvé TitineTitine oh ma TitineJ'ai retrouvé Titine

Que je ne trouvais pasJe l'avais cherchée partout

Au Chili au TonkinJe l'avais cherchée en vain

Au Gabon au PérouJe lui ai dit TitineTitine oh ma Titine

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Page 122: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Je lui ai dit TitineJe t'en supplie reviens

Tu as changé je le sais bienTu es un peu moins tentante

Puis tu marches comme ChaplinEt tu es devenue parlante

Mais enfin c'est mieux que rienQuand on vit depuis trente ans

Tout seul avec un chienEt avec douze enfants

Qui cherchent après TitineTitine oh ma Titine

Qui cherchent après Titine

Mais j'ai retrouvé TitineTitine oh ma TitineJ'ai retrouvé Titine

Que je ne trouvais pasJe voudrais que vous la voyiez

Titine elle est en orBien plus que ValentineBien plus qu'Éléonore

Mais hier quand je lui ai ditTitine oh ma Titine

Quand je lui ai dit TitineEst-ce que tu m'aimes encoreElle est repartie comme çaSans un geste sans un motVoir un film de CharlotAu ciné de l'OlympiaAlors voilà pourquoi

Nous la cherchons partoutMon Hispano et moi

En criant comme des fousJe cherche après TitineTitine oh ma Titine

Je cherche après Titine

Mais je retrouverai TitineTitine oh ma TitineJe retrouverai TitineEt tout ça s'arrangera

Un enfantParoles: J.Brel. Musique: J.Brel, G.Jouannest 1968 "Vezoul"

Un enfantÇa vous décroche un rêveÇa le porte à ses lèvresEt ça part en chantant

Un enfantAvec un peu de chanceÇa entend le silence

Et ça pleure des diamantsEt ça rit à n'en savoir que faire

Et ça pleure en nous voyant pleurerÇa s'endort de l'or sous les paupièresEt ça dort pour mieux nous faire rêver

Un enfantC'est toute une merQui dépose ses perlesSur la portée du vent

Un enfantC'est le dernier poême

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Page 123: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

D'un monde qui s'entêteÀ vouloir devenir grand

Et ça demande si les nuages ont des ailesEt ça s'inquiète d'une neige tombée

Et ça s'endort de l'or sous les paupièresEt ça se doute qu'il n'y a plus de fées

Mais un enfant et nous fuyons l'enfanceUn enfant et nous voilà passantsUn enfant et nous voilà patienceUn enfant et nous voilà passés

Une îleParoles et Musique: Jacques Brel 1962

Une îleUne île au large de l'espoir

Où les hommes n'auraient pas peurEt douce et calme comme ton miroir

Une îleClaire comme un matin de Pâques

Offrant l'océane langueurD'une sirène à chaque vague

ViensViens mon amour

Là-bas ne seraient point ces fousQui nous disent d'être sagesOu que vingt ans est le bel âgeVoici venu le temps de vivreVoici venu le temps d'aimer

Une îleUne île au large de l'amourPosée sur l'autel de la merSatin couché sur le velours

Une îleChaude comme la tendresseEspérante comme un désertQu'un nuage de pluie caresse

ViensViens mon amour

Là-bas ne seraient point ces fousQui nous cachent les longues plages

Viens mon amourFuyons l'orage

Voici venu le temps de vivreVoici venu le temps d'aimer

Une îleUne île qu'il nous reste à bâtirMais qui donc pourrait retenirLes rêves que l'on rêve à deux

Une îleVoici qu'une île est en partanceEt qui sommeillait en nos yeuxDepuis les portes de l'enfance

ViensViens mon amour

Car c'est là-bas que tout commenceJe crois à la dernière chanceEt tu es celle que je veux

Voici venu le temps de vivreVoici venu le temps d'aimer

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Page 124: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

VesoulParoles et Musique: Jacques Brel 1968

T'as voulu voir VierzonEt on a vu Vierzon

T'as voulu voir VesoulEt on on a vu Vesoul

T'as voulu voir HonfleurEt on a vu Honfleur

T'as voulu voir HambourgEt on a vu HambourgJ'ai voulu voir AnversEt on a revu HambourgJ'ai voulu voir ta sœurEt on a vu ta mèreComme toujours

T'as plus aimé VierzonEt on a quitté VierzonT'as plus aimé VesoulEt on a quitté Vesoul

T'as plus aimé HonfleurEt on a quitté HonfleurT'as plus aimé HambourgEt on a quité HambourgT'as voulu voir Anvers

Et on n'a vu qu'ses faubourgsTu n'as plus aimé ta mèreEt on a quitté sa sœurComme toujours

Et je te le disJe n'irai pas plus loinMais je te préviensJ'irai pas à Paris

D'ailleurs j'ai horreurDe tous les flons flonsDe la valse musetteEt de l'accordéeonT'as voulu voir ParisEt on a vu Paris

T'as voulu voir DutroncEt on a vu Dutronc

J'ai voulu voir ta sœurJ'ai vu le mont ValérienT'as voulu voir HortenseElle était dans l'CantalJ'ai voulu voir Byzance

Et on a vu PigalleÀ la gare Saint-LazareJ'ai vu les Fleurs du Mal

Par hasard

T'as plus aimé ParisEt on a quité Paris

T'as plus aimé DutroncEt on a quitté Dutronc

Maintenant je confonds ta sœurEt le mont Valérien

De ce que je sais d'HortenseJ'irai plus dans l'CantalEt tant pis pour ByzancePuisque j'ai vu PigalleEt la gare Saint-LazareC'est cher et ça fait mal

Au hasard

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Page 125: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Et je te le redis chauffe MarcelJe n'irai pas plus loin

Mais je te préviens kaï kaïLe voyage est fini

D'ailleurs j'ai horreurDe tous les flons flonsDe la valse musetteEt de l'accordéon

T'as voulu voir VierzonEt on a vu Vierzon

T'as voulu voir VesoulEt on on a vu Vesoul

T'as voulu voir HonfleurEt on a vu Honfleur

T'as voulu voir HambourgEt on a vu HambourgJ'ai voulu voir AnversEt on a revu HambourgJ'ai voulu voir ta sœurEt on a vu ta mèreComme toujours

T'as plus aimé VierzonEt on a quitté Vierzon... chauffe... chauffe

T'as plus aimé VesoulEt on a quitté Vesoul

T'as plus aimé HonfleurEt on a quitté HonfleurT'as plus aimé HambourgEt on a quité HambourgT'as voulu voir Anvers

Et on n'a vu qu'ses faubourgsTu n'as plus aimé ta mèreEt on a quitté sa sœur

Comme toujours ... Chauffez les gars

Mais mais je te le reredis ... KaïJe n'irai pas plus loinMais je te préviensJ'irai pas à Paris

D'ailleurs j'ai horreurDe tous les flons flonsDe la valse musetteEt de l'accordéon

T'as voulu voir ParisEt on a vu Paris

T'as voulu voir DutroncEt on a vu Dutronc

J'ai voulu voir ta sœurJ'ai vu le mont ValérienT'as voulu voir HortenseElle était dans l'CantalJ'ai voulu voir Byzance

Et on a vu PigalleÀ la gare Saint-LazareJ'ai vu les Fleurs du Mal

Par hasard

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Page 126: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Vieille© Éditions Musicales Pouchenel, Bruxelles

C'est pour pouvoir enfin botter les fessesA ces vieillards qui nous ont dit

Que nos vingt ans que notre jeunesseÉtaient le plus beau temps de la vie

C'est pour pouvoir enfin botter le cœurA ceux qui nous volent nos nuits

Ces maladroits qui n'ont que leur ardeurCroulants qui n'ont que leur ennui

C'est pour cela jeunes gensQu'au fond de moi s'éveille

Le désir ardentDe devenir vieille

C'est pour pouvoir un jour enfin leur direA celles qui me jugent avec fureur

" Pauvres grognasses " c'est pour pouvoir vous dire" Je vous pardonne votre laideur "

C'est pour pouvoir leur dire à ces matronesQui mille fois m'ont condamnée

" Comment voulez-vous que l'on vous pardonneVous qui n'avez même pas péché "

C'est pour cela jeunes gensQu'au fond de moi s'éveille

Le désir ardentDe devenir vieille

C'est pour pouvoir au jardin de mon cœurNe soigner que mes souvenirs

Vienne le temps où femme peut s'attendrirEt ne plus jalouser les fleurs

C'est pour pouvoir enfin chanter l'amourSur la cithare de la tendresse

Et pour qu'enfin on me fasse la courPour d'autres causes que mes fesses

C'est pour cela jeunes gensQu'au fond de moi s'éveille

Le désir ardentDe devenir vieille

C'est pour pouvoir un jour oser lui direQue je n'ai bu qu'à sa santé

Que quand j'ai ri c'était de le voir rireQue j'étais seule quand j'ai pleuré

C'est pour pouvoir enfin oser lui direUn soir en filant de la laine

Qu'en le trompant mais ça oserai-je le direJe me suis bien trompée moi-même

C'est pour cela jeunes gensQu'au fond de moi s'éveille

Le désir ardentDe devenir vieille

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Page 127: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Vieillir

Mourir en rougissantSuivant la guerre qu'il faitDu fait des AllemandsA cause des Anglais

Mourir baiseur intègreEntre les seins d'une grosseContre les os d'une maigreDans un cul de basse-fosse

Mourir de frissonnerMourir de se dissoudre

De se racrapoterMourir de se découdre

Ou terminer sa courseLa nuit de ses cent ansVieillard tonitruant

Soulevé pas quelques femmesCloué à la Grande OurseCracher sa dernière dentEn chantant "Amsterdam"

Mourir cela n'est rienMourir la belle affaireMais vieillir... ô vieillir

Mourir mourir de rireC'est possiblement vraiD'ailleurs la preuve en estQu'ils n'osent plus trop rire

Mourir de faire le pitrePour dérider le désertMourir face au cancerPar arrêt de l'arbitre

Mourir sous le manteauTellement anonymeTellement incognito

Que meurt un synonyme

Ou terminer sa courseLa nuit de ses cent ansVieillard tonitruant

Soulevé par quelques femmesCloué à la Grande OurseCracher sa dernière dentEn chantant "Amsterdam"

Mourir cela n'est rienMourir la belle affaireMais vieillir... ô vieillir

Mourir couvert d'honneurEt ruisselant d'argentAsphyxié sous les fleursMourir en monument

Mourir au bout d'une blondeLà où rien ne se passe

Où le temps nous dépasseOù le lit tombe en tombe

Mourir insignifiant

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Page 128: Jacques Brel Paroles de 137 Chansons

Au fond d'une tisaneEntre un médicamentEt un fruit qui se fane

Ou terminer sa courseLa nuit de ses mille ansVieillard tonitruant

Soulevé par quelques femmesCloué à la Grande OurseCracher sa dernière dentEn chantant "Amsterdam"

Mourir cela n'est rienMourir la belle affaireMais vieillir... ô vieillir

Vivre deboutParoles et Musique: Jacques Brel 1962

Voilà que l'on se cacheQuand se lève le vent

De peur qu'il ne nous pousseVers des combats trop rudes

Voilà que l'on se cacheDans chaque amour naissantQui nous dit après l'autre

Je suis la certitudeVoilà que l'on se cache

Que notre ombre un instantPour mieux fuir l'inquiétudeSoit l'ombre d'un enfantL'ombre des habitudesQu'on a plantées en nous

Quand nous avions vingt ans

Serait-il impossible de vivre debout

Voilà qu'on s'agenouilleD'être à moitié tombéSous l'incroyable poidsDe nos croix illusoiresVoilà qu'on s'agenouille

Et déjà retombéPour avoir été grandL'espace d'un miroir

Voilà qu'on s'agenouilleAlors que notre espoir

Se réduit à prierAlors qu'il est trop tardQu'on ne peut plus gagnerA tous ces rendez-vousQue nous avons manqués

Serait-il impossible de vivre debout

Voilà que l'on se couchePour la moindre amourettePour la moindre fleuretteA qui l'on dit toujoursVoilà que l'on se couchePour mieux perdre la têtePour mieux brûler l'ennuiA des reflets d'amourVoilà que l'on se coucheDe l'envie qui s'arrête

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De prolonger le jourPour mieux faire notre courA la mort qui s'apprêtePour être jusqu'au boutNotre propre défaite

Serait-il impossible de vivre debout

VoiciParoles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, François Rauber 1958

VoiciQu'un ciel penche ses nuagesSur ces chemins d'Italie

Pour amoureux sans bagagesVoici

Des coteaux en ribambellesPour enrubanner nos vies

De vins clairs de fleurs nouvellesVoici

Des cloches sonnant la fêteDes fêtes pour que l'on rieDes rires que rien n'arrête

Voici

Des amours en robe blancheMoitié fleur et moitié fruitQue nous jalousent les anges

Voici

Des échos qui font la chaînePur porter à l'infini

Nos "toujours" et nos "je t'aime"Voici

Des promesse de Saint-JeanDe Saint-Jean qui durent la vieDes vies qu'épargne le temps

Voici

Certains sourires de nos pèresQue l'on recherche la nuitPour mieux calmer sa colère

Voici

Qu'au carrefour des amitiésLa douleur s'évanouit

Broyée par nos mains serréesVoici

Qu'en nos faubourgs délavésDes prêtres en litaniesSont devenus ouvriers

Voici

Des mains ridées de courageQui caressent l'établi

D'où jaillit la belle ouvrageVoici

Ces fleurs poussant en pagailleEntre nous et l'ennemi

Pour empêcher la batailleVoici

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Voir1958

© Éditions Musicales Tutti

Voir la rivière geléeVouloir être un printemps

Voir la terre brûléeEt semer en chantantVoir que l'on a vingt ansVouloir les consumer

Voir passer un croquantEt tenter de l'aimerVoir une barricadeEt la vouloir défendreVoir périr l'embuscadeEt puis ne pas se rendreVoir le gris des faubourgs

Vouloir être RenoirVoir l'ennemi de toujoursEt fermer sa mémoire

Voir que l'on va vieillirEt vouloir commencerVoir un amour fleurirEt s'y vouloir brûlerVoir la peur inutile

La laisser aux crapaudsVoir que l'on est fragileEt chanter à nouveauVoilà ce que je voisVoilà ce que je veuxDepuis que je te voisDepuis que je te veux

Voir un ami pleurerParoles et Musique: F. Rauber/J.Brel 1977

Bien sûr il y a les guerres d'IrlandeEt les peuplades sans musique

Bien sûr tout ce manque de tendresIl n'y a plus d'Amérique

Bien sûr l'argent n'a pas d'odeurMais pas d'odeur me monte au nezBien sûr on marche sur les fleurs

Mais voir un ami pleurer!

Bien sûr il y a nos défaitesEt puis la mort qui est tout au boutNos corps inclinent déjà la têteÉtonnés d'être encore deboutBien sûr les femmes infidèlesEt les oiseaux assassinés

Bien sûr nos cœurs perdent leurs ailesMais mais voir un ami pleurer!

Bien sûr ces villes épuiséesPar ces enfants de cinquante ansNotre impuissance à les aider

Et nos amours qui ont mal aux dentsBien sûr le temps qui va trop viteCes métro remplis de noyésLa vérité qui nous évite

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Mais voir un ami pleurer!

Bien sûr nos miroirs sont intègresNi le courage d'être juifsNi l'élégance d'être nègres

On se croit mèche on n'est que suifEt tous ces hommes qui sont nos frèresTellement qu'on n'est plus étonnésQue par amour ils nous lacèrent

Mais voir un ami pleurer!

ZangraParoles et Musique: Jacques Brel 1962

Je m'appelle Zangra et je suis lieutenantAu fort de Belonzio qui domine la plaineD'où l'ennemi viendra qui me fera héros

En attendant ce jour je m'ennuie quelquefoisAlors je vais au bourg voir les filles en troupeauxMais elles rêvent d'amour et moi de mes chevaux

Je m'appelle Zangra et déjà capitaineAu fort de Belonzio qui domine la plaineD'où l'ennemi viendra qui me fera héros

En attendant ce jour je m'ennuie quelquefoisAlors je vais au bourg voir la jeune ConsueloMais elle parle d'amour et moi de mes chevaux

Je m'appelle Zangra maintenant commandantAu fort de Belonzio qui domine la plaineD'où l'ennemi viendra qui me fera héros

En attendant ce jour je m'ennuie quelquefoisAlors je vais au bourg boire avec don PedroIl boit à mes amours et moi à ses chevaux

Je m'appelle Zangra je suis vieux colonelAu fort de Belonzio qui domine la plaineD'où l'ennemi viendra qui me fera héros

En attendant ce jour je m'ennuie quelquefoisAlors je vais au bourg voir la veuve de Pedro

Je parle enfin d'amour mais elle de mes chevaux

Je m'appelle Zangra hier trop vieux généralJ'ai quitté Belonzio qui domine la plaineEt l'ennemi est là je ne serai pas héros

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