ja miller extimite 28 mai 1986

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  • 7/31/2019 Ja Miller Extimite 28 Mai 1986

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    XXII 28 mai 1986

    Ce que jexplique ici n'est pas abstrait mme si on peut supposer que cedont il sagit est abstrait de la langue qu'on parle. Ce nest pas abstrait en tantque tel, mais concret. C'est ce qu'il y a de plus concret dans la psychanalyse.

    Dans ces dmonstrations, on peut saisir qu'il s'agit d'un maniement dela lettre, et on s'imagine que c'est parce que Lacan a fait valoir l'instance de lalettre partir du champ littraire, qu'elle trouve l son incarnation vivante.Ce que je fais ici est un rappel de la valeur de l'instance logique de la lettre.Ce n'est nullement ngliger dans une orientation qui a rappel la fonctionde l'objet dans l'exprience analytique. Je me demande comment on pourrait la fois me reprocher de ngliger la lettre et me faire grief du primat dumathme. C'est un grief qui dure depuis dix ans, depuis quune certaineJourne des mathmes avait convuls l'cole freudienne de Paris.

    La dernire fois, je crois avoir expos et anim la diffrence de

    l'incompltude et de l'inconsistance. Je crois mme avoir fait remarquer que lalogique pourrait l se convertir en clinique, et ce de la faon la plus directe. Ily a, en effet, une clinique de la compltude et il y a une clinique de laconsistance. C'est mme par l qu'on aurait pu aborder, d'un cot, l'obsessionet, de l'autre ct, l'hystrie. En effet, l'criture de B B = B B est unecriture valable duproton pseudos, du mensonge primordial de l'hystrie isolpar Freud, et qui a ce paradoxe de n'tre pas un mensonge qui cache la vritmais d'tre un mensonge qui est la vrit. cet gard, la plainte del'inauthenticit dans l'hystrie est parfaitement authentique. Elle se conjuguevolontiers avec la position de se faire le porte-parole de la vrit. Ce paradoxesubjectif ne fait que rpercuter cette quivalence crite de B B = B B entreune position et son contraire - position qu'on diffame lorsqu'on qualie lediscours qui s'ensuit de mythomanie. La mythomanie hystrique est undiagnostic qui ne peut tre pos que par quelqu'un qui croit au mtalangage.La mythomanie hystrique est au plus prs de la vrit, de la vrit commestructure de ction.

    J'ai dit, la dernire fois, que l'obsession pouvait se placer dans uneclinique de la compltude. La perversion en fait aussi partie. Elle fait partiede cette clinique de la compltude. En effet la passion perverse est bien

    d'obtenir, non pas par le signiant mais par l'objet, la compltude de lAutre,la subsistance de lAutre comme complet. C'est ce qui peut donner naissanceau reprage clinique du fantasme de la mre phallique. J'ai donc, la dernirefois, dploy l'ambigut prsente dans A barr. C'est une ambigut fcondeet sur laquelle il faut jouer. Il s' agit de l'ambigut du manque dans lAutre :l'incompltude, et du manque de l'Autre : l'inconsistance.

    Pour faire saisir en quoi ce maniement de la lettre, ce maniement de lafonction de l'criture, est concret dans l'analyse, il faut prendre les choses labase. Il faut prendre les choses la base, puisque ce qu'on a ni par admettre,c'est que la fonction de la parole est opratoire dans l'analyse. Il y a, bien sr,

    un glissement, une mutation passer de la fonction de la parole la fonctionde l'criture. C'est un passage qui est sensible dans l'enseignement de Lacan,mme si partir de l'explicitation de cette fonction de l'criture, on s'aperoit

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    que c'tait impliqu depuis le dbut dans la fonction de la parole. Iln'empche que le rapport de Rome porte le titre de Fonction et champ le laparole et du langage et que la fonction de l'criture n'y est pas mise aupremier plan.

    Du fait de l'exprience analytique, considre radicalement, nous

    prenons le sujet en question, c'est--dire aussi bien le sujet qui pose saquestion, le sujet en tant qu'il est question, en tant qu'il ignore en quoi il estrponse, en tant qu'il ignore ce qui en lui est dj rponse. Nous prenons cesujet en question comme constitu dans le champ du langage. Nous leprenons comme institu dans ce champ. En cela, il y a un ralisme nousdans l'analyse. Libre dautres d'avoir le leur. Chaque discours a sonralisme. Ralisme biologique par exemple, ou sociologique. Le problme estque ces ralismes ne donnent rien si on les importe dans la psychanalyse. cet gard, notre position est une position de prudence. Nous ne nions pas cesralismes mais nous nous occupons du ralisme qui fonctionne dans notre

    exprience. Ce ralisme peut tre tax didalisme par les autres ralismes,mais enn, nous en avons autant leur service.Notre ralisme nous est au niveau du signiant. Comment illustrer ce

    propos si gnral ? Andromaque, je pense a vous! C'est cela le ralisme auniveau du signiant exploit par le pote. Andromaque, je pense vous! - etAndromaque est l. Elle est l bien que l'on ne pense elle que de ce qu'ellesoit absente, recule dans le temps, dans une zone dont on doit bien supposerque la notion qui nous en est apporte par la lettre est mythique. Pourtant decet appel, de cette nomination, elle est l, elle est rendue prsente. Je prfreillustrer ainsi cette fonction que par l'exemple de l'lphant que donne Lacandans son Sminaire I.

    Cette fonction, on peut la dire avec les termes de Baudelaire lui-mme,non pas avec les termes qu'il emploie dans le pome, mais dans le compte-rendu, qui constitue une projection de son esthtique, de son essai surConstantin X, le peintre de la vie moderne, comme il a nomm. Il y a l,comme le dit Baudelaire lui-mme, un effet rsurrectionniste : Il y a unecontention de mmoire qui dit chaque chose : Lazare, lve-toi! . Cest un effet quiest hors de toute esthtique volontaire. Cet effet, il abonde dans l'exprienceanalytique. Derrire Lazare qui se lve, se lvent aussi, pas forcment en

    ordre, pas forcment l o on les attend, les affects, qui donnent comme unsceau de garantie cette contention de mmoire.Il faudrait reprendre le pome intitul Le Cygne, qui dbute par cet

    Andromaque, je pense vous! . Si Andromaque est l d'entre de jeu dans lepersonnel imaginaire de ce pome, c'est en tant qu'elle est par excellence laveuve, celle qui a perdu son poux. Le pome - c'est l sa cl dbutant parcette vocation qui rend prsente Andromaque, est un pome lobjet perdu.L'avant-dernire strophe le montre sans ambigut : quiconque a perdu cequi ne se retrouve / Jamais, jamais . Ce pome l'objet perdu fait dailleursbasculer Andromaque elle-mme dans le statut du dchet. La seconde fois o

    son nom gure dans le pome montre qu'elle est elle-mme ainsi cadre. Elleest cadre par sa chute : Andromaque, des bras d'un grand poux tombe . Il yaurait beaucoup de choses exploiter de ce vers.

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    Ds le second vers, il y a une vocation du miroir : Pauvre et tristemiroir , puis, un peu plus loin, est voqu le Simos menteur . Ce Simosgure exactement l'vocation d'Andromaque par Virgile : Un cours d'eau quiimitait le Simos ... Le Simos est un euve troyen, et Andromaque n'a, l oelle est en exil, en pire, qu'un semblant de Simos. la traduction si exacte

    de Baudelaire qui adopte ce faux Simos, ce Simos menteur , je donne lavaleur de viser explicitement - dans la douleur la plus vraie : l'immensemajest de vos douleurs - le proton pseudos. On ne peut videmment passempcher ici de songer la faon dont Baudelaire pouvait tre intresssecrtement la position d'une veuve remarie de force, puisque vous savezque la tragdie de son existence vient du remariage de sa mre.

    Maintenant et bien que je sois tent de poursuivre sur ce pome, je vaisaller ce qui peut seulement dans cette vocation, nous servir propos duchamp du langage, propos de la fonction de la parole et de celle del'criture.

    Vous savez o a lui vient cette pense, Baudelaire? Je le cite : Comme je traversais le nouveau Carrousel , ce Carrousel, nous le connaissonsencore, mais il faut savoir que ce que nous connaissons aujourd'hui sous lesespces majestueuses et dgages du Carrousel et de la place du Louvre taitavant trs diffrent. Cette place du Louvre, elle fait dailleurs toujours causer.a fait toujours insurrection pour savoir ce que l'on va construire dessus. Ona, l'poque, soigneusement nettoy ce qui tait au fond tout un quartier,pour donner cet espace que je dis majestueux. Il y avait, avant, un quartiermisrable et dcrpit. Vous en avez l'vocation chez Grard de Nerval. Vousen avez, il me semble, aussi l'vocation au dbut de La Cousine bte de Balzac.C'est dans les ruelles de ce quartier que Balzac fait commencer son roman.Baudelaire, d'un mot, l'voque comme un bric--brac confus .

    Ce quartier, de par la volont hausmannienne, a t balay. Il n'y a pasde meilleure image pour ce admet Lacan voque comme le terre-plein nettoyde la jouissance . Si on admet dincarner ce terre-plein nettoye de lajouissance par ce quartier balay de la ville, alors, le Cygne, qui donne sontitre au pome - et pourquoi ne pas faire Baudelaire le crdit de lquivoquephonmatique de ce titre - prend sa valeur emblmatique. Il prend sa valeuremblmatique de ce qui reste sur le terre-plein nettoy, o la jouissance, qui

    n'est plus rveille que par la mmoire - la mmoire fertile , dit Baudelaire at vide. Ce vidage est exactement ce que le pome met en scne. Ce pomecommence avec l'vocation de l'eau, avec l'vocation de ce petit euve nourrides larmes dAndromaque. Il commence par cette vocation liquide,aquatique, mais ds lors que surgit l'image du terre-plein nettoy, on est sec : c'est prs d'un ruisseau sans eau la tte ouvrant le bec que nousrencontrons dabord le cygne.

    Je ne vois pas pourquoi j abuserais votre bonne volont - ds lors que jesuis ici, je suis invinciblement conduit la supposer - en xant sur ce cygne legrand phi, le signiant de la jouissance, condition de prciser, comme le

    veut le fonctionnement correct du symbole, qu'il s'agit de la jouissanceassche. La belle Andromaque plore prs du petit euve se rvle en uneautre image : Prs d'un ruisseau sans eau la bte ouvrant le bec . Et c'est alors

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    que cette gure se rvle ronge, dit Baudelaire, d'un dsir sans trve . S'il ya un l prsent dans Les Fleurs du Mal, c'est bien le l de cette insistance. C'estl l'image baudelairienne de la crature humaine : la bte ouvrant le bec . Elleest parfois prsente d'une faon moins dlicate et franchement horrible, parexemple dans le pome intitul Une charogne.

    Dans Le Cygne, Baudelaire voque sa faon Ovide : J'y vois cemalheureux, mythe trange et fatal, / Vers le ciel quelquefois, commel'homme d'Ovide, / Vers le ciel ironique et cruellement bleu, / Sur son couconvulsif tendant sa tte avide, / comme s'il adressait des reproches Dieu! Il y a l une rfrence trs prcise aux Mtamorphoses d'Ovide, exactement surun point qui a retenu Freud, savoir la station debout de l'tre humain, o ilvoyait la distance prise par l'homme avec ses dchets, prcisment avecl'odeur de ces dchets. Voici ce que dit Ovide : Le Crateur leva le front del'homme, lui ordonna de contempler les cieux et de xer ses regards vers les astres .a, c'est la version optimiste de la station debout de lhomme. La version

    freudienne est sensiblement diffrente, et celle de Baudelaire se boucle sur lemot qu'il faut : Comme s'il adressait des reproches Dieu! .C'est l qu'il ne faut pas ngliger le mot de mal inclut dans le titre des

    Fleurs du Mal. Ce mot trouve l sa garantie divine. La gure constante desFleurs du Mal, c'est bien, en effet que Dieu veut le mal. cet gard,Baudelaire, et pourquoi pas Le Cygne, s'inscrit dans la prhistoire de l'analyse,au sens mme o Lacan, dans les conditions qui ont prcd et prparel'mergence de Freud, prend en compte ce qu'il appelle la monte insinuante,depuis Kant et Sade, du thme du mal dans la littrature et du bonheur dansle mal. Cette longue histoire peut tre dtaille travers une littrature quel'on baptise trop vite romantique, mme si c'tait le qualicatif qu'elle sedonnait. Dans le cours de cette histoire de la littrature romantique,Baudelaire, de l'aveu des critiques, marque une sorte de point de capiton, partir duquel cette littrature peut tre relue.

    Nous reviendrons sur ce thme de Dieu qui veut le mal. Je me suislaiss un peu entran par cet Andromaque, je pense vous !. J'ai voulusimplement reprendre la donne de base du champ du langage et je n'ai paspris comme un poncif cet Andromaque, je pense vous !.

    Je me suis mme dit qu'on pourrait complter la n de ce pome

    nigmatique l'objet perdu - disons plutt le pome de l'objet perdu,puisqu'il ne s'adresse pas cet objet mais ceux qui l'ont perdu. Vous avez ledistique nal : Je pense aux matelots oublis dans une le, aux captifs, auxvaincus !... bien d'autres encor ! Ce sont les analysants qui se plient, qui serompent cette exprience-l. En effet que veut dire le Andromaque, je pense vous ? Il veut dire :je pense ce qui vous manque. C'est Andromaque, si je puisdire.Je pense ce qui manque et qui est ce quoi, vous, vous pensez. Il est clair quele cygne est une mtonymie dAndromaque. C'est comme cela que j'ai lu levers qui vient tout de suite aprs l'vocation du cygne : Auprs d'un tombeauvide en extase courbe . Ce mot de courbe fait dAndromaque la mtonymie

    du cygne.Je pourrais donner aussi sa valeur ce que, dans le pome, le cygne estamen comme un cygne. Il ne devient le cygne que par le titre. Il ny a donc l,

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    comme c'est le cas le plus souvent chez Baudelaire, aucune vocation de Lafemme. Toute la valeur poignante de cet Andromaque, je pense vous, vient dece qu'il s'agit d'une femme. C'est l ce qui donne son sceau dauthenticit cepome. Il n'y a rien l qui soit de l'ordre de l'ternel fminin entendu commeLa femme.

    Admettons que dans cette excursus nous avons tout de mme employ,peut-tre de faon mmorable, ce pome de Baudelaire, qui n'tait pas faitpour a, comme un moyen mnmotechnique pour se rappeler la mise enplace de quelques fonctions capitales dans l'enseignement de Lacan, et enparticulier la fonction phallique, que clbre, dune faon si ridicule et sisublime, le cygne du pome de Baudelaire sur le terre-plein nettoy de lajouissance. C'est de ce lieu que s'lve le pome. Le pome est lui-mme lemmorial de ce vide-l. C'est de l que son chant s'lve.

    J'en viens maintenant cette articulation de la fonction de la parole etde la fonction de l'criture, pour mesurer la mutation du concept de l'Autre

    qui est reprable dans l'enseignement de Lacan. Il en va de la structurationmme de l'exprience analytique, puisqu'une psychanalyse est un certainparcours dans l'Autre, un certain parcours de l'Autre. Il faut donc ici que jedcline cet Autre au sens de la dclinaison.

    D'abord, je ne rappelle que pour mmoire - mmoire que jespre fertile- l'Autre du langage. Invoque ainsi, tout de go, cet Autre nintroduit ni l'incompltude ni l'inconsistance. Comme Autre du langage, il est pardnition complet. On peut mme dire qu'il est homogne. Cest un Autresans extimit. C'est certain, et c'est pour cela qu'il peut faire l'objet d'uneinvestigation scientique. C'est pour cette raison que l'on a pu dgager, auniveau phonmatique, une batterie complte, mme si elle est diversementsitue selon les linguistes structuralistes. C'est cela qui a conduit lalinguistique structuraliste ne se er qu'au tout, exiger, pour la pratique deson analyse elle, des tout partout. Cela avec certaines valeurs dtonnement,de divertissement, voire de distraction, puisquon sest attach dcouvrirpartout dans la vie quotidienne, des systmes de signiants.

    cet gard, on pourrait aborder le pome Le Cygne comme un systmede signiants. Vous savez que c'est justement Baudelaire qui a fait les frais decette tentative. Vous connaissez sans doute ce texte qui est l'un des textes

    critiques les plus fameux du sicle et, qui est l'exgse structurale parJakobson, anqu de Lvi-Strauss, du pome Les Chats. Il y aurait beaucoup dire sur cette tentative. D'ailleurs, tout le monde a trouv beaucoup en dire,au point que les commentaires souvent critiques sur ce commentairestructuraliste constituent une norme bibliothque. Il y a vingt-cinq ou trentearticles qui ont t crits depuis l'apparition de ce commentaire qui a t fait ily a prs de vingt ans. Il y a une trentaine d'articles qui ont t faits sur LesChats. J'ai prfr prendre Le Cygne et ne pas l'aborder comme un systme designiants, mais enn, ne ricanons pas, car cet abord a eu toute sa valeur.Vous en retrouvez le concept chez Lacan, mais situ un niveau o rien ne

    manque, un niveau o lAutre est tout et sert d'horizon et de rfrence.Peut-tre pouvons-nous, pas pas, distinguer, de cet Autre du langage,l'Autre de lalangue - lalangue en un seul mot. C'est une cration de Lacan.

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    C'est une cration d'criture, puisque, dire cette expression, il est difcile,sauf jouer sur le rythme de la voix, de faire entendre cette liaison de l'articleet du substantif. Pourquoi cet artice ? Eh bien, prcisment pour se situeren-de du langage, et faire valoir que ce que nous appelons le langage estdj une construction, une construction du grammairien et du linguiste.

    crire lalangue en un seul mot, c'est faire sentir que le langage et ses catgoriessont dj le fruit, dit Lacan, d'une lucubration sur lalangue . cet gard, lelangage fait compltude de lalangue. Ce n'est pas dire pour autant que l'onpuisse taxer lalangue dtre incomplte par rapport au langage. Elle n'est pasincomplte, dans la mesure mme o on adopte la position de principe quetout peut s'exprimer dans une langue - je l'ai dj dit la dernire fois.

    C'est au point qu'on ne puisse pas mettre les motions, les affectscomme motions, en dehors de cette langue. Les affects, si ineffables qu'on lessuppose, sont strictement dtermins par ce qui peut s'exprimer dans unelangue. C'est mme ce qui nous donne l'ide, pour opposer ethnologie et

    anthropologie, quil peut bien y avoir des motions dont nous navons pas leconcept. C'est bien ce qui rend vaines les tentatives anthropologiques,psychologiques ou philosophiques qui pensent pouvoir tablir une gamme,une classication des motions de lhomme. Les motions sont relatives unelangue, et ce principe implique que ce qui ne peut pas s'exprimer dans unelangue n'est pas ressenti. Il y a une dpendance de l'motion par rapport lalangue.

    a implique corrlativement que pour ressentir, il faut qu'il y ait dusujet. Et nous, nous prenons, de par notre perspective de l'exprienceanalytique, le sujet comme constitu dans le champ du langage. C'est donc cette condition du langage qu'il y a du sujet et quil y a mme du signi ausujet. On ne peut, en effet, ter aux motions et aux passions que ce sont dessignis au sujet. C'est mme pour cette raison que Freud, de la faon la plusexplicite, dans le chapitre III du texte mtapsychologique intitulL'Inconscient, nie qu'il puisse y avoir des motions inconscientes. Il pose trsbien le critre qu'une motion doit tre signie au sujet.

    Il faudra videmment partir de l, savoir faire sa place ultrieurement l'expression quivoque et difcile de sentiment inconscient de culpabilit. On afait glisser cette expression jusqu' celle d'angoisse inconsciente. Mais ne

    rentrons pas encore dans cette zone o gure, il faut le dire, le Dieu qui veutle mal. Tenons-nous en la condition de la subjectivation, comme ce qui d'unsujet est valable pour un autre sujet. a se dnit pour rester au plus simple, partir de l'interlocution. J'y reviendrai.

    ce niveau de lAutre, il n'y a donc pas de signiant qui manque, nidans lAutre de lalangue ni dans l'Autre du langage. Pour aller vite je diraique si a ne manque pas dans lalangue, si rien ne manque dans lalangue, c'estbien plus sur le mode de l'inconsistance que sur le mode de l'incompltude.C'est dailleurs au moment o Lacan promeut l'inconsistance de lAutre et entire les consquences - a s'tend sur plusieurs annes - qu'il invente, dans

    son Sminaire Encore, le terme de lalangue. Il ne la substitue pas au langage, ilintroduit l un terme de plus, quoi il doit articuler son usage ancien dulangage. Il ne dit pas pour autant que l'inconscient est structur comme

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    lalangue, puisque le concept mme de structure est justement solidaire decelui de langage.

    cet gard, si rien ne manque dans lalangue, c'est parce qu'il n'y a pasde tout de lalangue. Visser l'article au substantif est une faon de rayer le la dela langue, cest une faon de soutenir et de vrier ce la, mais cest aussi en

    mme temps une faon de le dplacer, de le dplacer puisqu'il y a les langueset qu'aucune n'est substituable une autre. Il y a l un principe del'impossible de la traduction. Ce principe, qui est un principe de Quine, est limpliqu. Il est impliqu dans cette notion de lalangue. Il ny a pas l demanque reprable. Autant on peut dire que dans le systme langage commetout, il n'y a pas de place pour l'extimit, autant on peut dire quel'inconsistance de lalangue ne fait pas barrage ou forclusion de l'extimit. C'estlorsqu'on prend le point de vue du grammairien ou du linguiste structuralisteque l'on raisonne en termes de systme. cet gard, mme Chomsky n'ychange rien. Le point de vue de lalangue lui, est distinct.

    Le point de vue de lalangue s'introduit ds qu'il est questiond'tymologie. Il y a l deux perspectives tout fait distinctes : prendre laperspective des grammairiens ou faire des tymologies. Dans ce registre del'tymologie, on est toujours dans le bric--brac. Il ne manque jamais rien. Onen a mme plutt trop. On a un nombre inni de racines et de drivations. Onest toujours assur de trouver, un petit peu avant, ce que a voulait dire. Il n'ya donc pas de manque ce niveau-l, mais a n'empche pas qu'on puisse enrajouter ce niveau du concept bien discutable de la vie des mots. La vie desmots, a veut dire qu'on ajoute. On ajoute, par exemple, le terme de lalangue.Peut-tre qu'un jour a fera ores, peut-tre qu'un jour on cherchera savoircomment ce vocable bizarre est entr dans la langue franaise. On dira peut-tre que c'tait cause d'un Prcieux du XXe sicle qui s'appelait JacquesLacan. Donc pas de manque, mais non pas sur le versant de la compltudeferme. Pas de manque sur le versant de l'invention possible.

    Aprs lAutre du langage et l'Autre de la langue, disons maintenant unmot sur lAutre de la parole.

    C'est par cet Autre de la parole que Lacan a commenc. Il a commencpar l, c'est--dire partir de l'interlocution. Cet Autre de la parole, il laconnect, d'une faon que rtrospectivement on peut dire htive, avec lAutre

    du langage. L'Autre de la parole, il est au fond l comme interlocuteur. Mettre cet Autre un grand A, c'est dire quil est toujours dj l, mme quand il n'ya personne en face. cet gard, l'Autre de la parole est le suppos de laparole. L'interlocuteur est suppos - c'est l la gure la plus simple, la plusbanale - savoir la mme langue que vous. Il est suppos savoir vousrpondre. Il est suppos vous entendre et vous rpondre.

    Cela change quand on introduit cet Autre comme lieu et non pluscomme sujet. L, l'Autre de la parole est poser en tiers. Cet Autre en tiers,c'est dabord le langage auquel se rfre l'un et l'autre. Mais la psychanalyseoblige le tiers rpondre. C'est l un des thmes de Lacan, qui distingue,

    dans l'exprience analytique, la relation duelle de la relation qui s'tablit dutiers au sujet, qui fait le quatrime.Dans la mesure o cet Autre est toujours dj l, il faut bien supposer

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    que c'est avec lui que l'analysant a des difcults. Cet Autre, en effet, il a,dans I'exprience analytique, l'incarner sous les espces de l'analyste. C'estpourquoi toute entre authentique en analyse est connote de A barr. Elle estconnote de difcults avec l'Autre. Elle est vectorialise par un appel l'Autre. L'analyste n'erre pas s'il garde cette boussole de l'appel lAutre, et

    cela mme si l'analysant formule cet appel - c'est son droit le plus strict et c'estmme le mode le plus courant - sous les espces de la dngation. Cet appel,on ne le formule videmment jamais bien. On le formule l'envers ou bien onle formule trop fort. De toute faon, il n'y a pas de mot juste cet gard.

    Si je dis que l'analyste n'erre pas tant quil garde cette boussole, c'estparce que c'est ce qui a une chance de le protger, c'est--dire protgerl'exprience elle-mme, de l'acting-out. C'est ce quon peut dduire et analyserdes circonstances et des conjonctures de l'acting-out en suivant Lacan qui sesitue alors toujours en position de contrleur. Il contrle Ernst Kriss comme ilcontrle Ruth Lebovici. Je fais l allusion aux deux analyses des conjonctures

    d'acting-out qui gurent dans La direction de la cure. Chaque fois que Lacan, enposition de contrleur, met en place cette conjoncture de dclenchement del'acting-out, il l'impute au rabattement de l'appel fait lAutre sur la relationduelle. Le seul fait que la dimension de l'Autre ne soit pas soutenue parl'analyste, dirige aussitt l'analysant sur une tentative d'obtenir en court-circuit un plus-de-jouir, un rapport comme direct avec l'objet a, sous desespces qui sont, il faut le dire, de semblant. C'est a que je dis comme. Cesespces sont du semblant et elles peuvent faire penser, sous des modes gravesou bnins, des perversions transitoires. cet gard, l'acting-out nousprsente, comme en rduction et de faon quasi exprimentale, ce quiladvient lorsque se lve la dimension de lAutre, c'est--dire lorsqu'elle s'effaceet que le sujet se trouve alors comme en prsence avec ce qui se cachaitderrire cet Autre, savoir une forme, une concrtion d'objet a.

    Vous pouvez voir sous quelles espces a se prsente dans La directionde la cure . a se prsente sous un mode o le simili est tout fait manifeste.Il y est question d'odeurs. Il s'agit d'aller humer quelque chose. QuandlAutre ne vous tire pas le visage vers le haut il ne vous reste qu' allerrenier ce dont votre crateur avait eu soin de vous dtourner en dirigeantvotre museau vers les sublimations de la parole. Le Andromaque, je pense

    vous !, c'est, bien sr, un semblant. C'est un semblant qui peut se transformer,se mtamorphoser, comme l'indique la rfrence de Baudelaire Ovide.C'est pour cela aussi que le psychanalyste incarnant lAutre, l'incarne

    comme homme de paille. Il est en effet tout fait vain de rnover le compte-rendu de cas en exigeant qu'on sente l'homme-analyste quand il rend compted'un cas. Il n'est pas question que dans le compte-rendu de cas, on ait toucher l'homme-analyste, comme je l'ai entendu formuler rcemment.L'homme-analyste, c'est l'homme de paille. Cet homme de paille, dans cecadre-l, on n'a pas le renier.

    Au fond, nous sommes rests jusqu'alors dans un registre, qu'il soit de

    compltude ou d'inconsistance o rien ne manque. Pour introduire lemanque au niveau de la parole, il y a la question. La question est ladimension subjective par excellence dans la fonction de la parole. La question

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    enfantine est intarissable, jamais satisfaite. Elle peut toujours rebondir. Elletmoigne du processus interminable dans le langage. La question de l'enfanttmoigne du recul que le sujet peut prendre par rapport tout usage dusigniant. Et l'Autre rpond. Comment lAutre de la parole peut-il rpondre ?Il ne peut rpondre que par des paroles. cet gard, on ne peut pas en sortir.

    On ne peut pas en sortir mais ce n'est pas dire que la parole soit un espaceferm. La parole est un espace ouvert mais qui na pas d'extrieur. Sonextrieur est a l'intrieur mme. la parole rpond la parole. On peuts'imaginer, dans le champ du langage, qu'il a mtalangage. Dune faongnrale, on se l'imagine partir de l'criture. C'est lorsqu'il y a fonction etchamp de l'criture et du langage que lon peut faire semblant demtalangage. Mais au niveau de la parole, il n'y a pas de mtaparole.

    cet gard, la fonction dite par Lacan de la bonne foi de lAutre estindpassable. C'est seulement si on admet la bonne foi de l'Autre qu'il yaurait une mtaparole. Ce qui, le plus souvent peut dans l'analyse faire

    fonction de mtaparole, c'est la coupure de la sance. Aprs a, on ne discuteplus. On sait qu'aprs a rebondit tout le temps, mais enn, cette coupure dela sance fait comme si la bonne foi de lAutre tait pose. a marque unlment de consentement qui nest pas liminable. C'est un consentementqu'il n'y a pas lieu de travestir sous les termes dalliance thrapeutique ou decontrat analytique, qui en rajoutent sur ce consentement de structure. Leconsentement est dj rendu ncessaire par la fonction de la parole.

    Qu'est-ce qu'on y ajoute quand on dit alliance thrapeutique? On yajoute que ce serait pour le bien du sujet. On se mettrait d'accord pour le biendu sujet. Avec le contrat analytique, on fait croire qu'on pourrait en appeler l'extrieur pour vrier que le contrat est respect. cet gard, il ny aaucune chance d'appel. La dimension de l'exprience est spcialement prive

    d'appel l'Autre de l'Autre. Cet Autre de l'Autre est en effet ce qui rodedans l'ide de contrat analytique. a fait croire qu'il y a un Autre de l'Autre,alors que c'est au niveau de la fonction de la parole que Lacan peut poserqu'il n'y a pas d'Autre de l'Autre. Ce consentement on pourrait dire qu'il estludique. C'est un consentement jouer le jeu. C'est videmment toujoursouvert au pourquoi me dites-vous a? Ce pourquoi me dites-vous a est ce qui,derrire l'nonc, met en question l'nonciation, met en question le dsir.

    Cette question est inliminable de la fonction de la parole.C'est l que s'introduit la question de la garantie. La garantie, c'est avanttout un problme de compltude. La garantie, elle n'a de sens que si elle estdehors. Mais au niveau de la parole, il n'y a pas de dehors, et il n'y a donc pasde garantie. Ce qui pourrait faire croire la garantie, c'est s'il y avait dedansun signe que c'est vrai. a, c'est une fonction, celle que Lacan appelle le Nom-du-Pre. C'est une fonction qui fait croire qu'il y a, l'intrieur, un signecomme quoi a tient, un signe comme quoi rien ne manque.

    Quand on parle de lAutre de lAutre, on peut imager au mieux ladistinction de ces deux Autres. On peut l'imager au mieux dans ce qui se

    dcouvre sur le chemin de la mditation de Descartes. Descartes commenceprcisment sa mditation par un Autre sans garantie. Il l'appelle lAutretrompeur. C'est, il faut le dire, la supposition la plus raisonnable du monde.

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    De cet Autre trompeur, Descartes n'extrait rien qui soit exact. Il n'extraitcomme seule rfrence qu'une certitude. Il extrait la certitude qui est celle dusujet mais comme vide. Descartes n'extrait rien de l'Autre trompeur sinon unterre-plein nettoy. C'est ce qu'il appelle leje pense, je suis.

    Aprs tout, l'exprience analytique se tient ce niveau-l. Elle se tient

    au niveau de ce je pense o on peut parfaitement formuler : Andromaque, jepense a vous !, a, c'est le je pense baudelairien. C'est un je pense . Il estcohrent avec le je pense cartsien qui ne me permet pas de penser pourautant que je suis quelque chose, que je suis ceci ou cela. cet gard, il n'y apas d'abus considrer que le sujet de ce jepense est un sujet sans signiant.C'est un sujet sans signiant tant qu'il est sous la dpendance de l'Autretrompeur, de lAutre qui ne vous veut pas du bien au niveau de laconnaissance. Ce sujet est sans signiant et il est mme rductible au manquede signiant.

    Vous savez qu'ensuite, sur son chemin, Descartes dcouvre un autre

    Autre. Aprs le Dieu trompeur qui est sa premire supposition, et la suite dedductions qui dpendent daxiomes non dmontrs, il en arrive un secondAutre qui est l'Autre de la bonne foi qui est le Bon Dieu. a laissevidemment dj se proler l'ide du Dieu mauvais, celui qui on pourraits'adresser pour lui faire des reproches. Cet Autre de la bonne foi Descartes lepose comme garant de vrits ternelles. C'est en quoi la psychanalyse n'estpas cartsienne. Elle l'est au niveau de son sujet, mais a ne fait qu'mergerpour tre aussitt combl.

    Chez Descartes, il y a, au contraire, un Autre de lAutre. Cet Autre del'Autre, c'est l'Un, c'est le vieil Un. Descartes a le bon got de poser que, aprstout, on ne s'occupe pas de ce qu'il pense. Une fois que cet Autre de la bonnefoi est l, a n'a plus d'importance. Ce quil pense n'a plus d'importance. Onfait ses petites affaires avec le signiant qu'on a, et avec lequel on va trerapidement capable de ravager terre entire. a s'est vri. D'autres, cetgard moins prudents, ont considr que, cet Un, on pouvait tre uni par lapense. Ils ont appel a l'intelligibilit. C'est pourquoi on a pu voir revenir,au sein mme de cet univers cartsien, toutes les ctions unitives les pluscules, jusqu' croire que Spinoza n'tait qu'une resuce des lucubrationsgnostiques.

    La garantie dans l'analyse prend plutt la gure d'tre l'preuve qu'iln'y en a pas. Sauf de ce que l'analyste garantit de sa prsence. Il garantit quece qui se fait vaut. L, il n'y a lieu de distinguer deux positions de l'analyste.Il ne faut pas croire que Lacan a plaid pour que l'analyste fasse le Pre. Il apu prter l'quivoque en restituant la fonction paternelle chez Freud. Il a puprter l'quivoque de l'analyste comme Nom-du-Pre. Mais cette dviationne peut se produire que si l'on saisit la garantie comme un problme decompltude. On voudrait que l'analyste analyse partir du Nom-du-Pre,parce que le Nom-du-Pre est la condition de la compltude.

    On sait bien maintenant que ce n'est pas l'analyste-Pre qui est

    l'horizon de l'enseignement de Lacan. C'est, pour le dire vite, l'analyste-femme. Cest lanalyste en tant quil ny a pas le L majuscule, quil ny a pasLanalyste, comme il ny a pas La femme. Cest cela qui, dans lexprience

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    analytique, met en fonction, non pas le Nom-du-Pre, mais la jouissance delAutre. Ce qui nest pas liminable de lexprience analytique nous, nous lesavons que trop sous les espces camoues de la raction thrapeutiquengative -, cest quil y a jouissance. Ici, il y a jouissance.

    la semaine prochaine.

    JAM, l'Orientation lacanienne, Extimit (28 mai 1986)