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Laura VANEL-COYTTE Le paysage dans les oeuvres poétiques de Baudelaire et Nerval Mémoire de Maîtrise sous la direction du professeur Patrick Marot, soutenu le 25 septembre 2001 à l’université de Toulouse le Mirail, UFR de Lettres, Philosophie et Musique, département de Littérature Française. 1

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Laura VANEL-COYTTE

Le paysage dans les oeuvres poétiques de Baudelaire et Nerval 

Mémoire de Maîtrise sous la direction du professeur Patrick Marot, soutenu le 25 septembre 2001 à l’université de Toulouse le Mirail, UFR  de Lettres, Philosophie et Musique, département de Littérature Française.

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TABLE DES MATIERES(avec modifications post-impression et soutenance)

Page N°

INTRODUCTION 1

1. LE PAYSAGE 1

1. 1. Définitions 1

1. 2. Problématiques 2

1. 2. 1. Le pays 21. 2. 2. L'horizon 21. 2. 3. La nature 31. 2. 4. Le paysage intérieur 4 1 .2. 5. Poétiques 4

1. 2. 5. 1. Gaston Bachelard 41. 2. 5. 2. Jean –Pierre Richard 5

2. LES OEUVRES ETUDIEES 6

2. 1. Charles Baudelaire: Les Fleurs du Mal 6

2. 2. Gérard de Nerval 6

PREMIERE PARTIE: POETIQUE DU PAYSAGE 8

1. LA CONSTRUCTION TYPOLOGIQUE DU PAYSAGE. 8

1. 1. Les quatre éléments 8

1. 2. Des paysages littérairement et culturellement construits 9

1. 2. 1. Poétique de l'eau 91. 2. 1. 1. La mer et l'océan 9

Le Tombeau de Virgile 121. 2. 1. 2. L’eau douce 13

1. 2. 2. Poétique du feu. 16 1. 2. 2. 1. Le volcan 16

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1. 2. 2. 2. Prométhée et l’alchimie 171. 2. 2. 3. Les métaux 18

1. 2. 3. Poétique de l'air. 181. 2. 3. 1. L ‘atmosphère 191. 2. 3. 2. Le vent 191. 2. 3. 3. L’envol 201. 2. 3. 4. La chute 211. 2. 3. 5.Les parfums 221. 2. 3. 6. Les sons 24

1. 3. Les états intermédiaires de la matière 26

1. 3. 1.La transmutation de l’air : l’écharpe d’Iris 261. 3. 2. Les papillons, les oiseaux et la verdure 261. 3. 3. L’orage. 301. 3. 4. L’île. 311. 3. 5. La grotte 311. 3. 6. Le brouillard ou la brume 331. 3. 7. La neige et la glace 34

2. LA SYMBOLISATION DU PAYSAGE. 35

2. 1. Lumière et saisons poétiques 35

2. 1. 1. La représentation antithétique 352. 1. 2. L’ambivalence 38

2. 1. 2. 1. Le soleil bienfaisant 38 2. 1. 2. 2. La violence du soleil 402. 1. 2. 3. Le crépuscule du matin 412. 1. 2. 4. Le mythe solaire 43

2. 1. 3. L’ambiguïté 46

2. 2. La sexualisation du paysage dans Les Fleurs du Mal. 51

2. 2. 1. Le corps tout entier 512. 2. 2. La chevelure 532. 2. 3. Le visage 532. 2. 4. Les yeux 542. 2. 5. Le sexe 57

2. 3. La totalisation du paysage chez Nerval . 57

DEUXIEME PARTIE : LE PAYSAGE ENTRE VISIBLE ET

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INVISIBLE.

1. CORRESPONDANCES 61

1. 1. Les références occultistes 61

1. 1. 1. L’alchimie 611. 1. 2. L’illuminisme 67

1. 1. 2. 1. Gérard de Nerval : Les Illuminés. 67 1. 1. 2. 2. Baudelaire et l’illuminisme. 701. 1. 2. 3. La théosophie 71

1. 1. 2.3. 1. Fabre d’Olivet (1767 –1825) 721. 1. 2. 3. 2 Emmanuel Swedenborg (1688-1772) 72

1. 1.2. 3.3. Saint-Martin (1743 – 1803) 74

1. 2. La théorie des Correspondances 75

1. 2. 1. Baudelaire 751. 2. 2. Gérard de Nerval. 77

2.ONIRISATION DU PAYSAGE 80

2. 1. Le sommeil 80

2. 2. Le rêve 81Le Songe de Poliphile 83

Les cauchemars 84

2. 3. L’ « épanchement du songe dans la vie réelle » (Aurélia ) 84 2. 4. Les paradis artificiels 85

3. LA SYMBOLIQUE DES COULEURS 85

 3. 1. Les couleurs de la mort 86

3. 2. Les couleurs du soleil 87

3. 3. Les couleurs de l’enfer 89

3. 4. Les couleurs des yeux. 903. 4. 1. Les yeux noirs 903. 4. 2. Les yeux verts 90

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3. 5. Les couleurs de la nature 91

3. 6. Les couleurs du spleen 91

3. 7. Les couleurs mystiques 92

4. PAYSAGE, POESIE ET PEINTURE. 92

4. 1. Le paysage réconciliateur 93

4. 1. 1. Antoine Watteau. (1684 – 1721) 93 4. 1. 2. Claude Lorrain. (1600 – 1682) 95

4. 2. Le paysage romantique. 96

4. 3. Le paysage réaliste 97.

4. 3. 1. Gustave Courbet.(1819 – 1877) 974. 3. 2. Edouard Manet. (1832 – 1883) 98

4. 4. Le paysage comme horizon. 99

4. 4. 1. Caspar David Friedrich. (1774 – 1840) 99 4. 4. 2. Eugène Fromentin. (1820 – 1876) 100

TROISIEME PARTIE: TEMPORALITE DU PAYSAGE.

1. LE PAYSAGE HISTORIQUE 102

1. 1 Le contexte. 102

1. 1. 1. Une période agitée 102

1. 1. 1. 1. Les évènements 1021. 1. 1. 2. La vision de Baudelaire 103

1. 1. 2. Paris au XIX e siècle 104

1. 1. 2. 1. Avant Haussmann 1041. 1. 2. 2. Les travaux du Baron Haussmann 104

1. 2. Modernité et historicité 105

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1. 2. 1. La géographie parisienne 105

1. 2. 1. 1. Errances 106 Les cafés 107 Les faubourgs 107 Les parcs et jardins 108

1. 2. 1. 2. Une position surélevée. 108

1. 2. 2. Une ville moderne. 109

1. 2. 2. 1. Le règne du chaos 1091. 2. 2. 2. La disparition des individus et la foule 111

1. 2. 3. La modernité poétique 113

1. 2. 3. 1. Refus du pittoresque 1131. 2. 3. 2. Un décor plus qu'un paysage 115

1. 3. L’imaginaire parisien 116

1. 3. 1. Le Paris d’autrefois : l’espace de la nostalgie 116

1. 3. 1. 1. Le souvenir. 1161. 3. 1. 2. La rencontre du passé et du présent. 117

1. 3. 2. De la réalité au rêve 118

1. 3. 2. 1. Mise en scène 1181. 3. 2. 2. Un paysage de fantaisie 120

1. 3. 3. L’imaginaire contre l’histoire 121

1. 3. 3. 1. Rêve parisien 122 1. 3. 1. 2. Mélancolie et allégorie 124 

2. LE PAYSAGE MELANCOLIQUE 125

2. 1. L'ailleurs. 125

2. 1. 1. Le voyage vers les îles de Baudelaire 1252. 1. 2. L’Orient 1282. 1. 3. L’Antiquité 130

2. 2. L’espace de l’originel. 132

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2. 2. 1. Le paradis de l'enfance 132

2. 2. 1. 1. L’Ile-de-France de Gérard de Nerval 1332. 2. 1. 2. « Je n’ai pas oublié… » 133

2. 2. 2. Le mythe des origines 136

2. 3. Enfer ou ciel qu’importe ! 138

2. 3. 1. Le Ciel 138 Les faux paradis 139

2. 3. 2. Les Limbes 1392. 3. 3. L'(es) Enfer(s) 141

CONCLUSION 148

BIBLIOGRAPHIE 152

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INTRODUCTION

En ce qui concerne le paysage dans les œuvres poétiques de Baudelaire et Nerval, il s’agira, d’une part, de savoir ce qu’est le paysage (1)  ; d’autre part, de délimiter le corpus sur lequel nous travaillerons (2).

1. LE PAYSAGE« Nous sommes dans un lieu, quelconque. Pourtant, par la faille entrouverte

entre ciel et terre, dans l’écart qui déploie, entre ici et là-bas, les plans en perspective, une orientation se dessine, un sens émerge, et le lieu devient paysage1. »La notion de paysage est loin d'être aussi simple qu'il y parait. C'est pourquoi, après en avoir donné quelques définitions tirées des dictionnaires du XIX e siècle (1. 1) , nous verrons quelles problématiques elle engendre (1. 2).

1.1. Définitions

Paul-Émile Littré dans son Dictionnaire de la Langue Française définit le paysage comme « l'étendue du pays que l'on voit d'un seul aspect2 . »Dans son Grand Dictionnaire Universel du XIX e siècle, Pierre Larousse donne une définition approchante; le paysage y est présenté comme une «  étendue de pays qui offre un coup d’œil d'ensemble3. »Le Trésor de la Langue Française (T. L. F) décompose la définition du paysage en deux parties, la partie comportant les considérations d'ordre général étant la plus importante. Le paysage est défini comme une « vue d'ensemble qu'offre la nature, d'une étendue de pays, d'une région4. » Cette définition est complétée par un emploi métaphorique, illustré par une citation de Victor Hugo:

En retournant son oeil, - passez - moi encore cette expression, - on voit un paysage en soi. Or, en ce moment-là le paysage que je pouvais voir en moi ne valait guère mieux que

celui que j'avais sous les yeux.  (Rhin, 1842, p. 391 ).

La deuxième définition ( par analogie), est uniquement composée de citations littéraires. Il s'agit du paysage personnifié dans un visage ou un corps humain.

Ces deux derniers sens, figurés, tiendront une place importante dans notre étude. Quant aux éléments constitutifs mis en évidence dans les définitions, nous allons les 1 Michel Collot, L’horizon fabuleux. I. XIX e siècle. Publié avec le concours du Centre National des Lettres. Librairie José Corti, 1988, p. 11.2 Edité par Encyclopaedia Inc. , Chicago, 1991, Tome 5, p. 4565.3 Paris, 1874, Tome douzième, p. 454.4 Dictionnaire de langue du XIX e et du XX e siècle (1789-1960) Centre National de la Recherche Scientifique. Institut National de la Langue Française. Nancy. Gallimard, 1986, Tome douzième, p. 1231-1232.

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problématiser.

1.2. Problématiques.

A la lecture de ces définitions, sont apparus les éléments constitutifs du paysage que nous allons problématiser ; il s’agit du pays (1. 2. 1) et de la nature (1. 2. 3). Cependant, il est une composante du paysage qui n’est pas nommé et qu’il faut étudier ; c’est l’horizon (1. 2. 2). Le paysage intérieur est un aspect de ces définitions qui mérite amplement d’être expliqué (1. 2. 4). Enfin, il est nécessaire de présenter succinctement des auteurs qui ont étudié la poétique du paysage (1. 2. 5).

1. 2. 1. Le pays.

Nous remarquons la présence de cet élément dans les trois définitions d'ordre général. Le paysage est en effet « un morceau de « pays », certes, arraché, du regard à la terre, mais qui donne à lui seul la mesure du monde. Car il possède un horizon, qui, tout en le limitant, l’illimite, ouvre en lui une profondeur, à la jointure du visible et de l’invisible, cette distance qui est l’empan de notre présence au monde, ce battement du proche et du lointain qui est la pulsation même de notre existence5. » La problématique du pays, « contrée, région, étendue de territoire comprise sous un même nom 6 » est donc intimement liée à celle de l’horizon.

« Le voyage me fera connaître d’autres pays, mais non l’ « arrière-pays » inconnu qui se cache à l’horizon de tout paysage, et dont l’altérité est aussi inépuisable que celle d’autrui lui-même7 . »

1. 2. 2. L’horizon

Comme nous, Michel Collot a consulté les définitions du « paysage » dans divers dictionnaires et les résume ainsi : «  tout paysage est perçu à partir d'un point de vue unique, découvrant au regard une certaine étendue, qui ne correspond qu'à une « partie » du pays où se trouve l'observateur, mais qui forme un ensemble immédiatement saisissable. Or chacune de ces caractéristiques témoigne à sa façon du lien qui unit la notion de paysage à celle d'horizon 8. »Le « point de vue » témoigne de la présence obligatoire d’un sujet percevant pour qu’il y ait paysage : « La ligne d’horizon est la marque exemplaire de cette alliance entre le paysage et le sujet qui le regarde. Que celui-ci vienne à bouger, et c’est la limite même du paysage qui se déplace9. »Quant à l’ « étendue », elle permet « de donner libre cours à ce mouvement ex-tatique, qui le définit comme ek-sistant toujours à distance de soi 10. » Le paysage est perçu par un sujet et l’institue dans son unité.

5 Michel Collot, L’horizon fabuleux, op. cit., p. 11.6 Grand Dictionnaire Universel du XIX e siècle, op. cit. , p. 454.7 M. Collot, L’horizon fabuleux, op. cit. , p. 18.8 Ibid., p. 11.9 Ibid. , p. 12.10 M. Collot, L’horizon fabuleux, op. cit. , p. 13.

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« C’est la stature de mon corps, dressé dans l’espace, qui donne à mon regard le recul nécessaire au déploiement d’un horizon, et cette «  hauteur de vue » qui permet d’allier l’immensité céleste à l’étendue terrestre. Mais cette verticalité elle-même a ses limites, qui confère les siennes au paysage11. » Je ne vois qu’une «  partie » du paysage. Le paysage est donc tout à la fois visible et invisible ; d’où la distinction entre horizon externe, « ligne au-delà de laquelle plus rien n’est visible 12 » de et horizon interne, constitué par « certaines parties du paysage […] masquées par les accidents du relief ou par les constructions humaines13. » C’est aussi ce qui le différencie du panorama. L’horizon est un mot essentiellement poétique «  parce qu’il est une invitation à créer le paysage, parce qu’il ouvre en lui une dimension d’altérité14 » : un autre paysage à découvrir mais aussi le point de vue d’autrui. Cette présence d’autrui est aussi incontournable que la mienne. « L’idios cosmos devient ainsi koinos cosmos, le paysage, lieu commun, structuré par la connivence des regards15 . » Le poète cherche à l’atteindre par métaphores.« Ce non-lieu qu’est l’horizon fonde pourtant la cohésion du lieu, fait de lui un paysage, c’est - à – dire un « ensemble » homogène16 . »Le mot « horizon » connaît une faveur particulière au XIX e siècle et les romantiques, dépassant son sens premier de « limite », le confondrons largement avec l’infini. « Tout se passe comme si le paysage sémantique et le paysage sensible s’informaient mutuellement en un constant échange17. »

Pour M. Collot l'horizon «  n'est pas une simple composante parmi d'autres du paysage, mais une véritable structure18. » Nous avons constaté l’importance de cette structure lors de nos recherches. La nature y tiendra aussi une large part.

1. 2. 3. La nature

Elle n'apparaît que dans la définition du T. L. F. Pourtant, si nous demandons - je l'ai fait - autour de nous: « Qu'est- ce qu'un paysage pour vous ? », il nous est répondu quelque chose comme «  une vue de la nature. » Paysage et nature semblent indissolublement liés dans notre esprit. Ainsi, il ne pourrait y avoir de paysage autre que naturel.L'intérêt du T. L. F est d'introduire, la notion de «  paysage urbain » dans sa définition du paysage comme «  vue d'ensemble d'un endroit quelconque (ville, quartier, etc.)19. »Dans le même ordre d'idée, Anne Cauquelin dans L'invention du paysage 20 se propose de critiquer les « aller se soi » qui pour le paysage nous le donne comme identique a la

11 Ibid. , p. 14.12 Ibid. , p. 15.13 Id.14 Ibid. , p. 16.15 Ibid. , p. 17.16 Ibid. , p. 18.17 Ibid. , p. 30.18 Ibid. , p. 21.19 Op. Cit . , p. 1231.20 Paris, Plon, 1989.

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nature21. » Elle nous propose une histoire du paysage car «  la constitution du paysage en nature a été l'affaire de longs siècles de préparation22. »

Paysage naturel et paysage urbain seront amplement évoqués mais il est une problématique qui les transcende ; c’est celle de paysage intérieur.

1. 2. 4. Le paysage intérieur.

Encore une fois, seul le T. L. F en fait mention dans les emplois «  au figuré. » Il s'agit des « tendances intellectuelles, morales, caractéristiques d'une personne : « Le paysage intérieur de Baudelaire et la matière éternelle dont sont faites ses joies, ses fureurs et ses peines.23 » Ce sens « secondaire » découle directement de la définition principale. « Puisque le paysage est lié à un point de vue essentiellement subjectif, il sert de miroir à l’affectivité, il reflète les «  états de l’âme. » Amiel24 a écrit : « tout paysage est un état de l’âme25. »

Cette problématique du paysage intérieur a irrigué tout notre travail.

Naturel ou urbain, intérieur ou extérieur, le paysage est un sujet prisé par la critique littéraire et poétique.

1. 2. 5. Poétiques.

Nous avons choisi d’évoquer Gaston Bachelard (1. 2. 5. 1) et Jean-Pierre Richard (1. 2. 5. 2) qui nous ont accompagné dans la découverte des multiples facettes du paysage poétique.

1. 2. 5. 1. Gaston Bachelard. (1882-1964).

De La Psychanalyse du Feu (1937) à la Poétique de la rêverie (1961), Gaston Bachelard n'a cessé de confronter l'imagination aux éléments de l'univers dont il reprend la théorie antique26. Il a aussi « étudié les textes des alchimistes27 afin d’y trouver les erreurs communes qui font obstacle à l’esprit scientifique28. » Bachelard ajoute aux théories préexistantes (Empédocle, Platon, Hippocrate), « la loi des quatre imaginations matérielles29. » Il a ainsi élaboré une stylistique des images du feu, de la terre, de l’eau et de l’air. L’imagination est au cœur de la philosophie esthétique bachelardienne et son originalité « consiste à privilégier les images des forces et des matières, par rapport aux

21 Ibid. , p. 22.22 Ibid. , p. 22.23 Sartre, Baudelaire, 1947, p. 32 in T. L. F, op. cit. , p. 1231.24 Ecrivain suisse d’expression française (1821-1881), Journal intime notamment.25 M. Collot , L’horizon fabuleux, op. Cit. , p. 13.26 Cf. p. 8.27 Cf. alchimie, p. 61.28 Odile Souville, L’homme imaginatif de la philosophie esthétique de Bachelard. Cahiers de Recherche sur l’Imaginaire 22-24 sous la direction de Jean Burgos. Série « Topologie de l’Imaginaire », Lettres Modernes, Paris, 1995, p. 24.29 L’air et les songes, 14 cité par O. Souville, p. 26.

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images des formes visuelles30. »

 Ces images de la matière, on les rêve substantiellement, intimement, en écartant les formes, les formes périssables, les vaines images, le devenir des surfaces. Elles ont un poids, elles sont un cœur. 31

« C’est au contact avec la matière que l’imagination s’éveille, et nous trouvons nos images matérielles dans la nature32. » Il y a trois types d’imagination : formelle, matérielle et dynamique. Ils peuvent être présents conjointement en chaque individu comme peuvent l’être les quatre éléments. Le déterminisme n’existe pas.

G. Bachelard a influencé Georges Poulet, Jean Starobinski et Jean-Pierre Richard.

« Bachelard est celui qui introduit la matière et les catégories imaginaires de la perception dans la lecture et J. P Richard y trouve les outils pour analyser la présence de la conscience du monde33. »

1. 2. 5. 2. Jean-Pierre Richard.

Au niveau philosophique, Richard se situe dans la mouvance phénoménologique (Husserl, Sartre, Merleau-Ponty), la phénoménologie étant définie comme « l’inventaire de la conscience comme milieu de l’univers34. » La critique de J. P Richard est aussi apparentée, par la recherche des thèmes révélateurs, aux études de Georges Poulet. « Dans la continuation et l’infléchissement de la phénoménologie de l’imaginaire, J. P Richard explore le versant de l’espace, du paysage, du déplacement, de la peinture, là où G. Poulet s’est plus particulièrement intéressé au temps, au souvenir, à la projection 35. » Sa critique se situe au cœur d'une oeuvre pour en retrouver l'unité organique dans son paysage essentiel telle «  la géographie magique de Nerval », la « profondeur de Baudelaire » dans Poésie et profondeur 36 ou Paysage de Chateaubriand 37. En effet, « le paysage est la notion la plus spécifiquement richardienne : à la fois sensation et conscience de l’existence, le paysage est explicitement, presque pédagogiquement – ce qui n’est pas son habitude - défini par le critique :

Parlant d’un écrivain, qu’appellerons-nous son paysage ? D’abord l’ensemble des éléments sensibles qui forment la matière et comme le sol de son expérience créatrice. Ce décor peut, on le sait aujourd’hui, être interprété. … […] Voici ce qu’offre alors un deuxième sens possible du mot paysage : le paysage d’un auteur c’est aussi peut-être cet auteur lui-même tel qu’il s’offre totalement à nous comme sujet et comme objet de sa propre écriture. C’est en somme cet espace

30 Odile Souville, op. cit. , p. 9.31 G. Bachelard, L’eau et les rêves. Essai sur l’imagination de la matière. 24 e réimpression. José Corti, 1942, p. 2.32 O. Souville, op. cit. , p. 24.33Hélène Cazès, Jean-Pierre Richard. Collection « Référence », Paris, 1993, p. 16.34 M. Merleau – Ponty, La structure du comportement, p. 271. cité par Hélène Cazès, op. cit. , p. 11.35 Ibid. , p. 19.36 Réédition, collection « Points », Seuil, 1976.37 Réédition, Editions du Seuil, 1967.

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de sens et de langage dont le critique essaie de manifester la cohérence unique, de fixer le système, - sans avoir pourtant jamais fini d’y cheminer.38

Ailleurs, il définit le paysage d’un écrivain comme « un cadastre tout personnel du désirable et de l’indésirable39. »

G. Bachelard et J. P Richard ont parfois analysé dans leurs ouvrages les paysages (ou certains de leurs éléments) de Baudelaire et Nerval. Nous nous réfèrerons donc à eux tout au long de notre étude.

Après avoir défini et problématisé la notion de paysage, il est maintenant indispensable de délimiter notre corpus d’étude.

2. LES OEUVRES ETUDIEES

Nous avons choisi pour notre étude du paysage deux auteurs du XIX e siècle qui peuvent sembler de prime abord, assez éloignés l'un de l'autre: Charles Baudelaire (1821-1876) et Gérard de Nerval (1808-1855); le premier étant communément considéré comme le père de la poésie moderne, le second trop longtemps relégué au rang de poète mineur du romantisme. Notre travail porte sur leurs poèmes en vers.

2.1. Charles Baudelaire: Les Fleurs du Mal. (FM)

La première édition des Fleurs du Mal, voit le jour en 1857, et dès le 20 août, sur réquisition du même juge Pinard qui avait fait condamner Flaubert, Baudelaire et son éditeur sont à leur tour condamnés pour immoralité, tandis que six des plus beaux poèmes du recueil sont interdits. Une nouvelle édition, amputée de ces poèmes, mais largement augmentée et modifiée dans sa structure, sortira en 1861. Nous avons aussi étudié, dans une moindre mesure, les poèmes de jeunesse.

2.2. Gérard de Nerval.

Les premiers vers de Gérard Labrunie (futur Gérard de Nerval) datent de l’époque ou il était élève au collège Charlemagne. Ce sont des vers consacrés à la gloire de Napoléon, aux campagnes de la Grande Armée.Au cours des années 1832-1835, Nerval regroupe une double série de pièces poétiques, les Odelettes qui avaient été publiée par L’almanach des Muses et les Annales romantiques. On sait que beaucoup plus tard, dans la Bohème galante et dans les Petits Châteaux de Bohème, il reprendra ce titre d’Odelettes en modifiant le nombre des poèmes et en réorganisant l’ensemble. Le titre choisi par Nerval pour ce recueil de poésies correspond à l’époque où, rue du Doyenné, il avait Ronsard pour modèle. Il s’agit en principe de poèmes à la forme fixe et brève, chargés de traduire une pensée légère et brillante mais qui appelle une réflexion plus profonde, parfois d’ordre philosophique. 38 Paysage de Chateaubriand, op. cit. , quatrième de couverture ; cité par H. Cazès, op. cit. , p. 10439 Avant-propos de Microlectures, Le Seuil, 1986 cité par M. Collot, p. 114.

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De 1841 à 1846, Nerval compose des Poésies comme  De Ramsgate à Anvers  (1846), dernier de cette série au-delà de laquelle il faudra attendre la lente conception et mise au point des Chimères. Au demeurant plusieurs sonnets figurent déjà dans cet ensemble avec des titres différents (tel Vers dorés ), ainsi que la série du  Christ aux Oliviers, constituant ainsi une première strate des Chimères (Dans l’Antiquité, la Chimère était un être hybride formé à partir d’un lion, d’une chèvre et d’un serpent ). Ces douze sonnets sont rassemblés et placés à la fin d’un volume de sept nouvelles, Les Filles du Feu.

Nous avons écarté avec regret les poèmes en prose ainsi que des récits comme Aurélia qui pour nous constitue un véritable poème. Mais il fallait bien se limiter. Cependant, certaines citations extérieures à notre corpus nous ont paru nécessaires. Malgré l’intérêt des poèmes de Nerval pour notre étude du paysage, le lecteur constatera un déséquilibre quantitatif en faveur de Baudelaire.

Dans cette étude sur le paysage dans les œuvres poétiques de Baudelaire et Nerval, nous étudierons d’abord la poétique du paysage (Première partie). Dans un second temps, nous constaterons que les paysages poétiques se situent souvent entre visible et invisible (Deuxième partie). Enfin, nous nous intéresserons à la temporalité du paysage (Troisième partie).

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PREMIERE PARTIE

POETIQUE DU PAYSAGE.

Cette poétique chez Baudelaire et Nerval s’appuie chez Baudelaire et Nerval sur une construction typologique du paysage (1) inséparable de sa symbolisation. (2).

1. LA CONSTRUCTION TYPOLOGIQUE DU PAYSAGE.

Elle est basée sur une séparation de la nature en quatre éléments (1. 1). A partir de cette typologie, Baudelaire et Nerval ont élaboré des paysages littérairement et culturellement construits (1. 2 ). Enfin, nous verrons que cette typologie n'est pas stricte et qu'il existe des états intermédiaires de la matière (1. 3).

1.1. Les quatre éléments.

« Il existe en nous un matérialisme naïf qui vise la matière à partir d’une expérience première sans passer par les obstacles et les discours de la raison. Ce matérialisme naïf, pré-scientifique, avait inspiré le physicien pré-socratique Empédocle lorsqu’il répertorie en quatre groupes les éléments de la matière : l’eau, l’air, la terre et le feu40. » Cependant, on considère souvent Platon comme le père de cette typologie. En fait, Platon est le fondateur de la philosophie rationnelle comme quête publique de la vérité du monde sensible, comme volonté de comprendre les phénomènes à l'aide d'un réseau de concepts et d'une logique classification. C'est dans le Timée qu'il faut chercher l'explication que Platon a donnée de l'univers en général et de l'homme en particulier. C'est là qu'il a rassemblé toutes les connaissances de son école concernant la nature. Ainsi, il reprend la classification d’Empédocle et «  place de façon intéressante les quatre éléments en rapport avec des corps géométriques: «  A la terre attribuons la fatigue cubique. Car la terre est la plus difficile à mouvoir des quatre espaces et c'est de tous les corps le plus tenace [...] Attribuons de même a l'eau la figure la moins mobile de celles qui restent, au feu la plus mobile et la figure intermédiaire à l'air. Et le plus aigu, le second par ce caractère à l'air, et le troisième à l'eau41. »Pour le médecin grec Hippocrate (contemporain de Platon), les quatre éléments de la nature formaient quatre sortes d’humeur : «  L’air était surabondant dans la mixtion des éléments propres à faire le sang ; le feu, dans celle d’où résultait la bile jaune ; la terre, dans celle de la bile noire et l’eau, dans la composition du flegme42. »40 Odile Souville, op. cit. , p. 24.41 Encyclopédie des symboles, Edition française établie sous la direction de Michel Cazenave. « Encyclopédies d’aujourd’hui », Le livre de poche, 1989, « éléments », p. 219.42 Jean de Milan, Aphorismes de l’Ecole de Salerne, Aphorisme IV, cité par O. Souville, op. cit. , p. 25.

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Si ce n'est pas Platon qui a mis au point la typologie des quatre éléments, c'est sans conteste lui qui a assuré sa postérité.

« Avec les «  quatre éléments », l'air, la terre, l'eau, le feu, la tradition présocratique s'est transmise jusqu'à nous par la doxa, porteuse d'imaginaire43. »

C’est cette doxa qui a permis à nos deux poètes de créer des paysages littérairement et culturellement construits.

1.2. Des paysages littérairement et culturellement construits.

Nourris (volontairement ou involontairement) par des modèles préétablis de paysage, Baudelaire et Nerval les ont intégrés dans leur œuvre pour en faire des modèles personnels. Un des vecteurs de cette imprégnation est sans aucun doute la lecture (de leurs prédécesseurs ou contemporains) : « Le spectacle de l’univers et le contact de la nature nous aident à tonifier et à redresser nos images mentales. Pour cela, le sujet humain parlant retrouve le langage symbolique des œuvres littéraires, s’il a le goût de la lecture44. » C’est pourquoi nous adopterons une perspective intertextuelle dans l’examen de la poétique des éléments naturels (et dans l’ensemble de notre étude). L’autre vecteur est l’imagination et la sensibilité  propres à nos deux poètes : « Une certaine constellation d’images matérielles ont été sélectionnées par chacun de nous et gisent dans une mémoire enfouie, où elles forment un trésor onirique apparenté à l’un des quatre éléments45. » Parmi ces quatre éléments, nous n’en étudierons ici que trois : l’eau (1. 2. 1), l’air (1. 2. 2) et le feu (1. 2. 3), la poétique de la terre étant cependant présente tout au long de notre exposé.

1. 2. 1. Poétique de l’eau.

En fait, il faut parler de poétiques des eaux car la mer et l’océan (1. 2. 1. 1) ne donnent pas lieu à la même rêverie que l’eau douce (1. 2. 1. 2)

1. 2. 1. 1. La mer et l'océan.

Il semble que la mer tienne une place importante dans l’imaginaire baudelairien. Dans Les FM, il existe ce que nous pourrions appeler un « cycle de la mer », inspiré à Baudelaire par son voyage forcé vers les Iles. En effet, pour tenter d'arracher son beau-fils à la délétère influence de la littérature, le général Aupick le fait embarquer à Bordeaux sur un navire qui part pour Calcutta ( 9 juin 1841 ). Le jeune homme ne dépassera pas l'île Maurice. Cependant, il ne gardera pas moins toute sa vie en tête l'image obsédante de la mer. Si nous pouvons, la plupart du temps, parler de «  paysages », ceux-ci ne sont souvent

43 A. Cauquelin, op. cit. , p. 127.44 O. Souville, op. cit. , p. 28 – 29.45 Ibid. , p. 26.

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qu'un prétexte pour aborder d'autres thèmes. Ainsi, le paysage de L 'Albatros 46 est à peine esquissé : «les gouffres amers47 » riment avec les « mers48. » Baudelaire évoque surtout la condition du poète  (v. 13 - 16) Dans L'homme et la mer 49, il est question de liberté  et nous retrouvons l’image du « gouffre amer50 » qui s’applique aussi bien à la « mer51 » qu’à l’ « esprit 52» humain.

Homme libre, toujours tu chériras la mer !La mer est ton miroir; tu contemples ton âme. Dans le déroulement infini de sa lame, Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer. (v. 1-4)

Jean - Paul Sartre pense que si Baudelaire aime la mer, c’est parce que c’est « un minéral mobile (v. 3). » [ Il ] est amené à choisir dans la matérialisation pure des symboles de l’immatériel53. » D’autre part, la mer représente l’ « infini54 » pour une nature humaine désespérément caractérisée par sa finitude. Enfin, la mer (comme toute eau) reflète (v. 2) et l’homme peut y contempler son âme (v. 2). Dans La vie antérieure55 , le jeu du reflet est double : la mer reflète les cieux (v. 5), reflétés eux-mêmes dans les yeux du poète (v. 8) :

J’ai longtemps habité sous de vastes portiquesQue les soleils marins teignaient de mille feux,

Les houles en roulant les images des cieux, Mêlaient de façon solennelle et mystique Les tout-puissants accords de leur riche musique Aux couleurs du couchant reflétés par mes yeux. (v. 1 –2 et 5 – 8)

Dans ce paysage crépusculaire, les reflets se mêlent aux échos de la « musique (…) solennelle et mystique56» s’échappant des « houles57. » « Dans toute son œuvre, ma mer est « l’élévation mystique », le « speculum mundi », assurant le relais entre la diversité du monde qu’elle unifie et rassemble dans son miroir, et les yeux de l’homme, autres miroirs du monde58. »

46 Œuvres complètes, I, Texte établi, présenté et annoté par Claude Pichois. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1975, p. 9-10.47 V. 4.48 V. 2.49 O. C, I, 19.50 V. 4.51 V. 1.52 V. 4.53 Baudelaire. Précédé d’une note de Michel Leiris. Les Essais XXIV, Gallimard, 4 e édition, Paris, 1947, p. 125.54 V. 3.55 O. C, I, 17 – 18.56 V. 6 – 7.57 V. 5.58 Anne-Marie Amiot, Baudelaire et l’illuminisme. Paris, Nizet, 1982, p. 344.

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La mer de Moesta et errabunda59 ( « Triste et vagabonde ») semble le lieu idéal pour échapper à l’horreur du monde réel :

La mer, la vaste mer, console nos labeurs !Quel démon a doté la mer, rauque chanteuseQu’accompagne l’immense orgue des vents grondeurs,De cette fonction sublime de berceuse ? (v. 7 – 10)

Baudelaire humanise la mer, la transforme en nourrice qui berce en chantant (v. 8 et 10) et apporte le soulagement(v. 7). Elle sert aussi de toile de fond à l’évocation des souvenirs d’enfance (v. 21 et suivants). Mais cette strophe n ‘est pas dépourvue d’éléments inquiétants ; ce serait un « démon 60» qui aurait donné à la mer son pouvoir à la mer. De plus, les vents grondent (v. 9). Cependant, la mer a ici une valeur globalement positive puisqu’elle libère l‘âme du spleen Ailleurs, le spleen ressemble au contraire à la mer : « D’où nous vient, disiez-vous, cette tristesse étrange, /Montant comme la mer sur le roc noir et nu ? 61 »

Pour Hugo, qui écrit de Guernesey à Baudelaire le 19 juillet 1860, la mer représente l’infini et l’idéal et non l’ennui ou la tristesse :

Je vis ici dans ma solitude face à face avec l’infini, les rayons de l’impossible et de l’idéal me traversent de part en part, il éclaire à tout moment dans mon âme et sur ma tête, je vois de l’invisible, j’habite entre la vague et l’astre ; ceci vous dit à quel point les livres comme le vôtre62

me vont, et toutes les préparations qu’ils trouvent en moi. Je passe ma vie à boire ce haschich qu’on appelle l’azur et cet opium qu’on appelle l’ombre. Venez un de ces jours vous reposer sur mon rocher. Je serrai charmé de vous serrer la main.63

Ailleurs, Hugo se livre à une confidence « sur la nature de l’excitation psychique que lui procure l’exil marin et la lumière de Guernesey 64.  »

De Ramsgate à Anvers65 semble faire allusion à un voyage réel. « Nerval, selon ses dires, pour se rendre en Belgique ( Anvers ) et en Hollande, aurait fait un large détour en passant par l'Angleterre. Seul […]De Ramsgate à Anvers témoigne de cette traversée66. » Les cinq premiers vers sont le rappel du paysage qui s'offre à ses yeux en quittant Ramsgate:

A cette côte anglaise …

Et sa blanche falaise S'efface aux bords des cieux! (v. 1 et 3 - 4)

59 O. C, I, 63.60 V. 8.61 O. C, I, Semper eadem, 41, v. 1 – 2.62 Baudelaire lui avait envoyé Les paradis artificiels63 Cité par Annie Ubersfeld, « Hugo et Baudelaire : une lettre inédite » in Revue d’Histoire Littéraire de la France, novembre – décembre 1968, numéro 6, p. 1049.64 Ibid. , p. 1051.65 O. C, I, Edition publiée sous la direction de Jean Guillaume et Claude Pichois. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1989, p. 740.66 O. C, I, Notes et variantes, p. 1784.

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Mais la perspective d'arriver à Anvers, donne lieu à une rêverie dans un passé plus lointain. Le point de départ est l'évocation du «  grand maître anversois 67«, « Rubens 68. »Dès lors, l'évocation du paysage de la mer du Nord se mêle à celle de l'histoire d'Anvers et de la Flandre. S’il est un voyage bien réel, c’est celui de Nerval en Italie, évoqué à travers le thème du Tombeau de Virgile.

Le Tombeau de Virgile

El Desdichado 69 évoque le souvenir des séjours de Nerval à Naples en 1834 et 1843 à travers le « Pausilippe » et la « mer d'Italie70. » Le Pausilippe est une des montagnes du massif des Apennins située près de Naples. C’est là qu’est enterré Virgile. Son tombeau se trouve au débouché est d’une galerie remarquable, dite « grotte du Pausilippe 71» et de ce lieu le regard embrasse toute la baie de Naples. (« la mer d’Italie »). « Le mot grec pausilypon, qui a donné son nom au cap de la baie de Naples, signifie « cessation de la tristesse72. » Pour Nerval, comme pour beaucoup d’autres écrivains du XIX e siècle, le tombeau de Virgile était une étape obligée du «  pèlerinage » en Italie. Le Pausilippe est aussi nommé dans Octavie et Myrtho73 :

Je pense à toi, Myrtho, divine enchanteresseAu Pausilippe altier, de mille feux brillant,

Depuis qu’un duc normand brisa tes dieux d’argileToujours, sous les rameaux du laurier de VirgileLe pâle hortensia s’unit au Myrthe vert ! (v. 1-2 et 12-14)

Il était de coutume que tout visiteur des lieux détachât comme souvenir un rameau du laurier enserrant les ruines du tombeau.

La fascination baudelairienne pour les paysages maritimes semble bien réelle d’où une certaine prédominance des FM. Cette tendance devrait s’inverser en ce qui concerne l’eau douce.

1. 2. 1. 2. L'eau douce.

G. Bachelard parle dans le Chapitre VII de L’eau et les rêves74 d’une suprématie de l’eau douce chez Nerval.

67 V. 8.68 V. 9.69 O. C, III. Edition publiée sous la direction de Jean Guillaume et Claude Pichois. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1993, 645.70 v. 6.71 Site Internet de MM. Frédéric Pineau et Gérard Lacoste concernant Les Bergers d’Arcadie, tableau de Nicolas Poussin.72 J. Richer, Nerval, expérience et création, Hachette, 1970, p. 562.73 O. C, III, 645-646.74 op. cit. , p. 204.

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En effet, l’œuvre de Gérard est remplie de ce que Raymond Jean des « aquarelles75 » où l’eau douce joue un rôle essentiel. Rappelons que le Valois, région à laquelle Nerval est très attaché, est « recouvert de sources, d’étangs et de rivières [et] se signale par son extraordinaire coefficient d’humidité : tout y dégoutte l’existence, mousses, forêts, prairies, et jusqu’à cette eau aérienne, le brouillard. 76 » Le château de Fantaisie77 a « une rivière / Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs78. » La rivière (et les autres éléments du paysage) se mettent au diapason du  Réveil en voiture79 :

Et les monts enivrés chancelaient : la rivièreComme un serpent boa, sur la vallée entière Etendu,

s'élançait pour les entortiller... (v. 9-11)

« Le serpentement de la rivière devient la voracité tentaculaire, la reptation qui tout à coup s ‘élance pour enlacer et engloutir les montagnes ivres80. » C’est la rapidité de la voiture qui transforme le paysage tranquille en vision cauchemardesque. On retrouve l’image de la « rivière – boa » dans Lorely :

On traverse douze tunnels, espacés de fraîches vallées où serpente un ruisseau paisible qui se plaint doucement dans les cailloux. On a laissé Spa sur la gauche, Verviers sur la droite ; la ville de Liège apparaît au fond de sa vallée, côtoyée par la Meuse qui se découpe entre les montagnes et la forêt des Ardennes, comme un long serpent argenté. (II, 806)81

« Il faut mettre en regard de ce tableau onirique (Le réveil en voiture) du mouvement universel, le texte qui lui fait pendant, cette autre « impression de voyage » où l’arrêt de la voiture agit en sens contraire : le paysage s’immobilise, l’exaltation tombe82 : Une vallée humide et de lilas couverte, / Un ruisseau qui murmure entre les peupliers83, »  Marie – Jeanne Durry qualifie d’ « impressionnistes84 » les paysages du Relais et du Réveil en voiture. La rivière de la Mélodie irlandaise (imitée de Thomas Moore)85 sert de cadre à une réflexion sur le temps qui passe. Dans les Stances élégiaques86, c’est un ruisseau qui est le centre du paysage :

Ce ruisseau dont l'onde tremblante Réfléchit la clarté des cieux,

75 Raymond Jean, Nerval par lui-même. Collection « Ecrivains de toujours », Editions du Seuil, 1964, p. 18.76 J. P Richard, « Géographie magique de Nerval » in Poésie et profondeur, op. cit. , p. 46.77 O. C, III, 410-411.78 V. 11 – 12.79 O. C, I, 337.80 Marie – Jeanne Durry, Gérard de Nerval et le mythe. Flammarion, Paris, 1956, p. 17.81 Cité par Ross Chambers, Gérard de Nerval et la poétique du voyage. « Rien de commun », José Corti, Paris, 1969, P. 31.82 Ibid. , p. 29.83 O. C, I, Le relais, p. 337, v. 6-7.84 Op. cit. , p. 17.85 Poésies et souvenirs. Edition établie par Jean Richer. « Poésie » Gallimard, 1974, p. 166-167.86 Ibid. , p. 165.

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Parait dans sa course brillante Etinceler de mille feux; Tandis qu'au fond du lit paisible, Ou, par une pente insensible, Lentement s'écoulent ses flots, Il entraîne une fange impure Qui d'amertume et de souillure, Partout empoisonne ses eaux. (v. 1 – 10)

Ici, la pureté de l’eau est gâchée par les sentiments du poète (v. 15 – 21) mais globalement l’eau (douce ou de mer) a une valeur positive de fécondité. Ainsi, le « printemps » d’Avril 87 ( v. 10) s’incarne dans une « nymphe fraîche » qui « sort de l’eau88. » De plus, c’est la « pluie » qui fait « surgir » ce « tableau89 . » Nerval voit ce paysage printanier en peintre. On retrouve le même type d’image dans Premier chant90.

Lorsque Vénus sortit du sein de l'onde; Son premier souffle enfanta le printemps, Et le printemps fit éclore le monde. ( v. 6 – 8 )

« Cependant que le mythe grec […] faisait naître [Vénus] de l'écume sur la côte de l'île de Chypre ( son nom d'Aphrodite vient de Aphros: écume) son surnom d' « Anadyomène » signifie «  celle qui sort de l'eau 91. »

La pluie est un élément récurrent dans les poèmes du spleen92. « La pluie est par excellence dans les FM, le symbole d’une destruction sans grandeur. On le voit particulièrement bien dans L’ennemi. Pour aboutir à une néantisation, l’élément liquide prend son temps. Il délave et défait tout, sans noblesse, avec une impureté et une médiocrité répugnante93. » L’image de la pluie l’emporte sur celle de la neige 94 car elle noie le ciel et la terre, brise l’horizon et l’espoir. La pluie fait au contraire renaître l’espoir dans le désert que traverse les Bohémiens en voyage95 : « L’image du Désert et de l’ondée bienfaisante d’origine biblique, est formulée selon une rhétorique martiniste96 et dans le vocabulaire martiniste 97 . »Cette idée de l’eau qui ravive la nature se rapproche de la conception nervalienne.

« Dès qu’on donnera sa juste place à l’imagination matérielle dans les

87 Dans « Petits châteaux de Bohême », O. C, III, 410 ou « Premières odelettes », Le vingt – cinq mars, O. C, I, 340. Nerval a introduit une odelette de Belleau intitulée Avril dans son Choix de poésies de Ronsard.88 V. 10, 11 et 12.89 V. 8 et 10.90 In Poésies et souvenirs, 115 – 116.91 Encyclopédie des symboles, op. cit. , p. 708.92 Spleen I et III.93 Françoise Court-Perez, Baudelaire, « Les Fleurs du Mal » Collection 40/4, Ellipses, Paris, 2001,p. 61.94 Cf. p. 34.95 O. C, I, 18, v. 11 – 12.96 Cf. Saint-Martin, p. 74.97 Anne-Marie Amiot, op. cit. , p 27.

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cosmogonies imaginaires, on se rendra compte que l’eau douce est la véritable eau mythique98. »

Cependant, le paysage maritime, souvent associé au voyage (chez Baudelaire comme chez Nerval), apporte l’évasion et nourrit l’imaginaire.

Parce que naïvement, il n’y a rien de plus contradictoire que l’eau et le feu que nous avons choisi d’aborder la poétique du feu après celle de l’eau. « Dans l’opération alchimique, l’eau joue un rôle de support, de transition. Elle confère à la matière une continuité qui autorise la progression puis le surgissement de l’être. [ …] Le rêve la traverse sans s’arrêter en elle. Elle est donc seulement justifiée quand elle a porté l’être, le feu, depuis son fond jusqu’en sa surface, lorsqu’elle en a réalisé l’émergence99. »

1. 2. 2. Poétique du feu.

«  Cet élément qui semble habité d’une vie autonome, réchauffe et éclaire, mais il peut aussi dévorer dans l'incendie et tout bousculer sur son passage, ce qui le lie étroitement à la souffrance et à la mort. Il possède donc une double signification, d'où découle l'ambivalence dont il a toujours été marqué dans l'imagination humaine100. » Dans les oeuvres poétiques que nous étudions, le feu s'incarne principalement dans le volcan (1. 2. 2. 1). Il est aussi étroitement lié à la figure de Prométhée et joue un rôle primordial en alchimie (1. 2. 2. 2). Par voie de conséquence, le feu s’incarne aussi dans les métaux (1. 2. 2. 3)

1. 2. 2. 1. Le volcan.

Le volcan étant une  montagne qui émet des matières en fusion, il est tout à la fois terre et feu, tout au moins lorsqu'il est en activité. Il appartient déjà, en quelque sorte à ces états intermédiaires de la matière que nous étudierons 101. Le volcan apparaît dans la Chimère Myrtho102:

Je sais pourquoi là-bas le volcan s'est ouvert C'est qu'hier tu l'avais touché d'un pied agile, Et de cendres soudain l'horizon s'est couvert. (v. 9-11)

Ce tercet, comme le deuxième, provient du sonnet A J -Y Colona103 . L’affirmation de Myrtho (v. 9) était une question dans le sonnet ( v. 9 ). On ne révèle pas de différence de fond. L'ensemble du sonnet faisant référence à l'Italie et notamment à Naples 104, on doit penser ici au Vésuve dont un début d'irruption avait eu lieu peu avant le séjour de Nerval à Naples en 1834. Ces faits seront relatés plus tard dans Octavie. Gérard

98 G. Bachelard, L’eau et les rêves, op. cit. , p. 206.99 J. P Richard, « Géographie magique de Nerval », op. cit. , p. 48.100 Encyclopédie des symboles, op. cit. , p. 254.101 Cf. p. 26.102 O.C., III, 645-646.103 O. C, I, 733-734.104 Cf. p. 12.

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s’imagine qu’il a provoqué cette montée du feu (v. 10). «L’éruption pulvérise la terre, elle oblitère le ciel (v. 11).105 » Dans Delfica106, « l’éruption volcanique lui apparaît comme une sorte d’annonciation matérielle( v. 11 ) 107. » D’après Octavie, Gérard échappe à la violence du volcan grâce à l’altitude 108 et à la mer.

« Le volcan est ambigu ; bienfaisant en tant que feu possible, être profond, malfaisant en tant que feu actuel, être explosé. […] la rêverie volcanique rejoint la rêverie spéluncale109. Le volcan est bien une grotte enflammée, une grotte active, imminente, et donc dangereuse. Cette promesse d’être qui n’existait dans la grotte qu’à l’état de torpeur boueuse risque ici de se réaliser brusquement : trop brusquement même puisqu’elle peut faire éclater la terre.110 »

Le volcan, feu possible ou feu réel renvoie au mythe de Prométhée et à l’alchimie.

1. 2. 2. 2. Prométhée et l’alchimie.

« Prométhée est parfois envisagé comme un mythe volcanique111. » Rappelons que Prométhée aurait créé l’humanité en pétrissant un corps humain avec de la terre et de l’eau. (Cela ressemble singulièrement la glaise avec laquelle Dieu aurait créé Adam.) Prométhée dérobe le feu que les dieux veulent garder pour eux, et en fait don aux hommes, devenant de la sorte le créateur de toute civilisation. « Une étymologie grecque donnerait à Labrunie le sens de « voleur de tonnerre. »  Richer rattache fort justement cette formule à la mythologie prométhéenne et à la thématique du volcan.112 » Le volcan a une valeur alchimique : il est le creuset dans lequel s’accomplissent les transmutations des métaux. Nerval connaissait certainement l’existence des Veda, les quatre livres sacrés de l’hindouisme(écrits en sanskrit à partir de 1800 avant Jésus – Christ), attribués à la révélation de Brahma. Ce sont des recueils de prières, d’hymnes, de formules se rapportant notamment à l’entretien du feu sacré. Jean Richer met en avant « l’analogie entre le feu interne de l’homme et le feu interne supposé de la terre. Précisément les techniques de l’alchimie semblent avoir pour objet une sorte de prise en charge de la matière, l’homme en assumant la responsabilité et collaborant avec Dieu pour en accélérer l’évolution. Dans ce dessein, si on en croit les auteurs spécialisés, les alchimistes employaient plusieurs « feux » : le feu du creuset et aussi leur propre «  feu. » C’est pourquoi il peut exister une alchimie purement virtuelle,

105 J. P Richard, « Géographie magique de Nerval », op. cit. , p. 34.106 O. C III , 647.107 J. P Richard, « Géographie magique de Nerval », op. cit. , p. 33.108 Pausilippe, cf. p. 12.109 La grotte, cf. p. 31.110 J. P Richard,  « Géographie magique de Nerval », op. cit. , p. 33.111 J. Richer, Nerval, expérience et création, op. Cit. , p. 257.112 J. P Richard, Le nom et l’écriture in Microlectures, op. Cit. , p. 21.

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et c’est celle-là seulement qu’a pratiquée Nerval113. » Gérard est un « homme de feu » qui a peur que son feu interne, son génie s’éteigne. « L’aurore [même est un ] feu caché qui monte à travers une profondeur de nuit et d’eau ; mais c’est aussi un avènement, la renaissance d’une vie, la traversée d’une trame, l’accession à un royaume114. » Ce feu, c’est aussi la vie tout simplement et sa chaleur : « il est remarquable de constater que plusieurs des croyances essentielles de Nerval sont déjà chez Jacob Boehme. Alexandre Koyré (son éminent historien), précisant quelle est, selon lui, la principale image symbolique apportée par Boehme dans l’histoire des idées, écrit : « A la métaphysique de la lumière, il a substitué une métaphysique du feu115. » Et l’historien montre de façon détaillée le rôle joué dans le système de Boehme par la trinité feu – vie - lumière. Par voie de conséquence, il accorde un rôle négatif au froid. Gérard, […] épouse cette opinion116. »

Dans l’imagerie populaire, l’alchimie c’est avant tout la transmutation des métaux en or. (Nous verrons que c’est bien plus que cela117). Cependant, le feu intervient dans la fabrication des métaux.

1. 2. 2. 3. Les métaux.

« Dans l’or le plus offert comme dans l’acier le plus stérile veillent toujours une flamme interdite, la trace d’une fusion118. » Ainsi, dans l’univers minéral du Rêve parisien119, les « prodiges » brillent d’un « feu personnel 120. » « Cette chaleur engourdie, son imagination essaie alors de la réveiller de l’extérieur, par l’excitation superficielle du son, du mouvement 121 » :

Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,Ce monde rayonnant de métal et de pierreMe ravit en extase, et j’aime à la fureurLes choses où le son se mêle à la lumière. 122

On peut parler d’une imagination des métaux chez Baudelaire.

Il est important de rappeler que d’une part, Chimère est un volcan de Lycie ; d’autre part, la chimère souffle des flammes ; « flammis (que) armata Chimaera, dira Virgile. Elle est le produit de l’union de Typhon et de la vipère Echidna. C’est Bellérophon, monté sur le cheval ailé Pégase, qui la tue. Il est permis de voir là une allégorie du poète, dominant la matière ignée la plus rebelle par la force de l’inspiration. 113 J. Richer, op. Cit. , p. 257.114 J-P Richard, “Géographie magique de Nerval” ,op. cit, p. 53.115 Alexandre Koyré, La philosophie de Jacob Boehme, 1929, p. 284 cité par J. Richer, p. 535.116 J. Richer, Nerval, expérience et création, op. Cit. , p. 535.117 Cf. alchimie, p. 61.118 J. P Richard, « Profondeur de Baudelaire » in Poésie et profondeur, op. cit. , p. 101.119 O. C, I, 101 – 103.120 V. 47-48.121 J. P Richard, « Profondeur de Baudelaire », op. cit. , p. 101.122 O. C, I, Les bijoux, 158-159, v. 5-8.

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Dans les poèmes de Nerval, c’est bien de cela qu’il s’agit123. » Enfin, Gérard a placé ses Chimères à la fin d’un recueil intitulé Les Filles du feu.

Selon Bachelard, «  la psychologie des images de l’air vient achever celles des images du feu 124 » C’est pourquoi, nous achevons notre étude de la poétique des éléments naturels dans les paysages de Baudelaire et Nerval par la poétique de l’air.

1. 2. 3. Poétique de l'air.

Avec l’air, on passe d’un monde matériel à un monde esthétique et spirituel : « remplissant l'espace qui sépare la terre des cieux, il en est aussi l'agent de liaison et renvoie par-là à l'idée de l'âme du monde qui est le réceptacle de l'esprit et anime l'univers sensible125. » Le sens courant est celui du fluide gazeux constituant l’atmosphère ; nous le respirons et son synonyme est « atmosphère » (1. 2. 3. 1). En mouvement, l’air devient vent (1. 3. 2). Comme synonyme de ciel, l’air nous invite à l’envol (1. 2. 3. 3) et nous expose à la chute (1. 2. 3. 4). Enfin, l’air est inséparable de ce qui y circule : les parfums (1. 2. 3. 5) et les sons (1. 2. 3. 6).

1. 2. 3. 1. L’atmosphère.

L’atmosphère s’entend aussi bien au sens propre (l’air qu’on respire) que figuré (l’ambiance). Le « désir éternel et coupable  » de La destruction 126, inspiré par « le Démon » se matérialise dans un « air » cependant « impalpable127 »; de ce sentiment découle des manifestations physiques et une douleur : « Je l'avale et sens qui brûle mon poumon128 » Dans Le Vin de l'assassin129 , la pureté de l’air est associée à un « ciel admirable130. » Le climat se met au diapason du bonheur de l’assassin débarrassé de sa femme(v. 1, 2 et 5). Quant à l’air du Crépuscule du Matin131, il est « plein de frissons de choses qui s'enfuient132. »

Nous pouvons constater à travers ces exemples qu’il est difficile de distinguer le sens propre du sens figuré.

Le vent peut aussi contribuer à créer une atmosphère, un climat.

123 J. Richer, op. cit. , p. 537.124 Vincent Therrien, op. cit. , p. 180.125 Encyclopédie des symboles, op. cit. , p. 17.126 O. C, I , 111, v. 4.127 V. 2.128 V. 3.129 O. C, I , 107.130 V. 6.131 O. C, I , 103.132 V. 10.

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1. 2. 3. 2. Le vent.

Le vent est un phénomène naturel (déplacement de l’air) influant sur le climat d’un paysage et sur ce paysage lui – même ; symboliquement, les vents sont des manifestations surnaturelles qui trahissent les intentions des dieux. Ainsi, l’arrivée de la brise dans sa cellule de Sainte Pélagie133 prouverait à Gérard l’existence d’un Dieu (v. 21 – 24). Le vent intervient dans la description des hivers futurs de La muse vénale134. C ‘est Borée, le rude vent du Nord, lâché par « Janvier135. » Les majuscules accentuent le style allégorique du vers. « Dans les régions où les vents soufflent avec régularité dans la même direction (bora, sirocco), le processus de personnification est quasiment général. Dans la Grèce antique, par exemple, […] Borée dérobe la fille du roi athénien Oreithyia et l’enlève dans son pays, la Thrace, […]136. » Borée avait des « pieds de serpent. » Le vent prend le nom du mois (« Octobre ») pendant lequel il souffle dans La servante au grand cœur137. Octobre ( avec sa majuscule), « vent mélancolique » (v. 6) et « émondeur des vieux arbres » est une allégorie de l’automne, saison mélancolique, annonciatrice de l’hiver (v. 12 et 17) et de la mort (notamment celle de Mariette dont parle le poème). Le poème qui suit (Brumes et pluies138) évoque « l’autan froid » qui « se joue » dans une « grande plaine 139. » L’autan est un vent du midi orageux qui souffle du sud ou du sud – est ; d’après Claude Pichois140, il y aurait ici une « erreur lexicologique » alors que le « climat des autans » de L’Idéal 141 désigne « l’Angleterre de Shakespeare ou l’Ecosse de Macbeth par une figure poétique : en poésie, autan signifie « vent violent » (Littré)142. »

Si chez Nerval, le vent est un bienfait, il est dans les FM, dévastateur aussi bien pour la nature que pour l’homme. Ainsi, Brumes et pluies est à rapprocher de la série des Spleen. Cependant, même avec des « ailes de corbeau143 », le vent comme le ciel incite à l’envol.

1. 2. 3. 3. L’envol

« L’air du ciel azuré agit sur nous comme une « hormone de l’imagination. » La profondeur de l’atmosphère donne le départ à l’imagination aérienne, comme l’hormone donne à l’organe le signal de son action144. »

133 O. C, I, Cour de prison, 334 – 335, v. 10 – 16 ou O. C, III, « Petits châteaux de Bohême », Politique 1832, 413 – 414, mêmes vers134 O. C, I, 15.135 V. 2.136 Encyclopédie des symboles, op. cit. , art. « vent », p. 706.137 O. C, I, 100, v. 5.138 O. C, I, 100 – 101.139 V. 5.140 O. C, I, Notes et variantes, p. 873141 O. C, I, 22, v. 11.142 Notes et variantes, p. 873.143 Brumes et pluies, v. 8.144 O. Souville, op. cit. , p. 34.

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Dans Elévation145, le poète somme son esprit d'aller se «  purifier dans l'air supérieur146. » Il faut rapprocher Elévation d’un poème du jeunesse 147 où le paysage cependant est plus précisément dépeint :

Tout là-haut, tout là-haut, loin de la route sure Des fermes, des vallons, par delà les coteaux, Par delà les forêts, les tapis de verdure, Loin des derniers gazons foulés par les troupeaux,

Sous mes pieds, sur ma tête et partout, le silence, Le silence qui fait qu'on voudrait se sauver, Le silence éternel et la montagne immense Car l’air est immobile et tout semble rêver. (v. 1 - 4 et 17 - 20 ).

En se délivrant du poids de la chair, l'esprit retrouve sa pureté, celle de l'enfant de Bénédiction. Par cette purification l'esprit redevient digne de comprendre «  Le langage des fleurs et des choses muettes 148», c'est-à-dire les Correspondances149.  Nous pouvons rapprocher les vers 11-12 («Et bois comme pure et divine liqueur, / Le feu clair qui remplit les espaces limpides. ») de ce vers de Nerval : «  L’air pur qui nous enivre150. » Cet air pur, c’est celui de l’Orient « qui rapproche les cieux de l’homme151 » ou de la montagne.

L’être nervalien rêve éperdument d’envol. « Ayant appris, par exemple, que le voyageur qui fait le tour du monde gagne ou perd un jour selon qu’il va vers l’Orient ou l’Occident, le narrateur d’Un tour dans le Nord en tire cette conclusion :

Si l’on construit un jour un aérostat qui puisse se maintenir immobile au-dessus de l’atmosphère terrestre, […], l’aéronaute hardi qui fera cette expérience verra le temps s’arrêter pour lui. Il restera toujours au même âge et à la même heure… mais là, sans doute est le secret de l’immortalité des dieux ! (II, 874)

Tel est en effet le point (purement idéal) que le voyageur nervalien a constamment devant les yeux, point d’immobilité qui le sortirait du mouvement en l’élevant au-dessus de la temporalité, en lui faisant quitter la vie terrestre152. » N’en est-il pas de même pour l’esprit d’Elévation ?

Cependant, l’ascension ou l’envol se solde souvent par un échec ; c’est la chute.

1. 2. 3. 4. La chute.

«  Telle est la loi de la pesanteur et notre imagination va rêver tantôt sur le

145 O.C. , I, 10.146 Elévation, v. 10.147 O.C. , I, p 199.148 Elévation, v. 20.149 Cf. p. 75.150 O. C, III, 443, Espagne, v. 5.151 O. C, II, 274 cité par R. Chambers, Gérard de Nerval et la poétique du voyage, op. cit. , p. 93.152 Ibid. , p. 91.

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thème de l’essor, tantôt sur le thème de l’affaissement153. »

La chute est d’autant plus terrible que l’âme descend du ciel, paysage édénique, à l’Enfer, noir océan et paysage spleenétique comme dans L’Irrémédiable154. « Chez Baudelaire, […], dont le monde intérieur s’oriente selon l’aimantation d’un tropisme solaire, cette chute devient un affolement aérien, une retombée céleste : son Icare […]monte et tombe tout à la fois155 » :

Quant à moi, mes bras sont rompusPour avoir étreint des nuées

C’est grâce aux astres nonpareils,Qui tout au fond du ciel flamboient,Que mes yeux consumés ne voientQue des souvenirs de soleil.

En vain j’ai voulu de l’espaceTrouver la fin et le milieu ;Sous je ne sais quel œil de feuJe sens mon aile qui se casse ;

Et brûlé par l’amour du beau,Je n’aurais pas l’honneur sublimeDe donner mon nom à l’abîmeQui me servira de tombeau.156

« Les efforts de l’homme pour sortir par l’envol du domaine du temps (cf. page précédente) sont dérisoires. […]

M. Kirsch parcourt, ainsi que moi, les villes flamandes ; de loin en loin j’aperçois son ballon qui s’élève majestueusement, vers le soir, à la grande surprise des populations, - et s’en va échouer honteusement, une heure après, soit sur les talus du canal, soit dans un champ de pommes de terre… triste fin des efforts renaissants de l’homme à tenter la conquête des cieux. (II, 874)157 » 

« Le christ aux oliviers158, en s’élançant dans les airs a découvert le vide angoissant de l’existence humaine ; comparé à un « Icare oublié », il revient cependant, « ce bel Athys meurtri que Cybèle ranime ! 159», pour achever victorieusement sa tentative par le miracle de la résurrection160. »

L’Elévation161 est le moyen d’échapper à la chute dans la matière, aux « miasmes morbides162. »

153 O. Souville, op. cit. , p. 34.154O. C, I, 79.155 J. P Richard, Profondeur de Baudelaire, op. cit. , p. 96.156 O. C, I, Les plaintes d’un Icare, 143, v. 3- 16.157 R. Chambers, Gérard de Nerval et la poétique du voyage, op. cit. , p. 92.158 O. C, III, 648-651.159 v. 2 et 4.160 R. Chambers, Gérard de Nerval et la poétique du paysage,op. cit. , p. 96.161 O. C, I, 10162 v. 9.

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« Spleen et Idéal » renvoie à un jeu de contraires « qu’on peut se représenter dans l’espace, d’une part comme la pression saturnienne vers le sol (le spleen), d’autre part l’élévation et le voyage (l’Idéal)163. »

La poétique de l’air nous ouvre aussi au registre des sensations et notamment aux parfums et sons.

1. 2. 3. 5. Les parfums.

Selon Yves Bonnefoy164, les parfums appartiennent au registre perceptif qui peut le moins se prêter à l’intuition de l’existence comme hasard, à celle du temps, de la finitude. De ce point de vue, il est remarquable de constater que deux tercets des Correspondances165 sont uniquement consacrés aux parfums (v. 9-14). « La fluidité des parfums, le tournoiement de leurs vapeurs transcendent les formes finies, précises où la conscience de soi peut s’approfondir, ils leurs substituent les visions d’un monde de rêve166 » :

O toison, moutonnant jusque sur l’encolure !O boucles ! O parfum chargé de nonchaloir !

La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,Tout un monde lointain, absent, presque défunt,Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! 167

La chevelure ardente de Jeanne Duval réveille des souvenirs dorés et des visions lumineuses de vaisseaux (v. 13 –17). Dans Le flacon168, Baudelaire orchestre toute son évocation sur de « forts parfums pour qui toute matière/ Est poreuse. On dirait qu’ils pénètrent le verre169 » ; d’abord seulement désagréables ( v. 6) puis franchement infects, les parfums sont des indices de la mort et de la décomposition :

Vers un gouffre obscurci de miasmes humains ;Il la terrasse au bord d’un gouffre séculaire,

Où, Lazare odorant déchirant son suaire, (v. 16 – 18)

L’évocation culmine dans les oxymores :

D’un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.

Je serai de ton cercueil, aimable pestilence  Cher poison préparé par les anges ! liqueur Qui me ronge, …………………………… (v. 20 et 25 – 27)

163 A. Hirt, Baudelaire, l’exposition de la poésie. Paris, Editions Kimé, 1998, p. 153.164 La septième face du bruit in Europe n° 760-761 août-septembre 1992, p. 12.165 O. C, I, 11.166 Y. Bonnefoy, La septième face du bruit, op. cit. , p. 12.167 O. C, I, La chevelure 26-27, v. 1 – 2 et 6 – 8.168 O. C, I, 47 – 48.169 V. 1-2.

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Le flacon est en fait le prétexte à l’évocation d’un souvenir (dont le parfum est la métaphore) dans des termes très proches du poème précédent170 :

Voilà le souvenir enivrant qui voltige Dans l’air troublé ; les yeux se ferment ; le Vertige Saisit l’âme vaincue (…) 171

Dans Le parfum172, il y a opposition (presque blasphématoire) entre le musc de la femme et l’encens de l’église :

Lecteur, as – tu quelquefois respiréAvec ivresse et lente gourmandise

Ce grain d’encens qui remplit une église, Ou d’un sachet le musc invétéré ? (v. 1 –4)

Là encore le parfum fort, enivrant et magique fait surgir le souvenir :

Charme profond, magique, dont nous grise Dans le présent le passé restauré !

Ainsi l’amant sur un corps adoré Du souvenir cueille la fleur exquise. (v. 5 – 8)

Chanson d’après - midi173 associe aussi les sensations charnelles et le vocabulaire religieux : « Sur ta chair le parfum rôde/ Comme autour d’un encensoir174 » Le parfum du Chat175/ Jeanne Duval n’est plus seulement magique mais aussi dangereux :

Et des pieds jusques à la tête, Un air subtil, un dangereux parfum,

Nagent autour de son corps brun. (v. 12 – 14)

Un joyau endormi devient fleur 176 qui « épanche à regret/Son parfum doux comme un secret 177. » « Le regret […] appartient [ …] au mouvement [du] parfum, il constitue la loi de son épanchement, il en qualifie l’élan retenu, la discrétion métaphysique178. »

Le parfum est le sens privilégié pour le poète et lorsque le « Printemps adorable » perd « son odeur179 », cela équivaut à l’extinction de l’univers bruissant et merveilleux de la jeunesse.

170 Harmonie du soir, v. 3 – 4.171 Le flacon, v. 13 – 15.172 O. C, I, 39.173 O. C, I, 59 –60.174 V. 13 – 14.175 O. C, I, 35.176 O. C, I, Le guignon, 17, v. 9 – 11.177 v. 12 –13.178 J. P Richard, « Profondeur de Baudelaire », op. cit. , p. 94.179O. C, I, 76, Le goût du néant, v. 10.

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Dans Harmonie du soir180, les parfums sont associés aux sons.

2. 3. 6. Les sons.

Dans Chant d’automne181, Baudelaire,  le poète des couleurs et des formes, le poète des parfums et des odeurs, orchestre soudain toute son évocation sur des sons. Les sons dans les FM sont souvent apparentés à la musique comme dans les quatrains de La cloche fêlée182 : le son doux et familier du « feu qui palpite183 », les sons violents et joyeux des « carillons » adoucis cependant par le « brume184. » Le sonnet lui-même a été mis en musique par André Caplet. Le poète envie la voix des cloches dont le temps ne parvient pas à altérer l’intensité (v. 5-8). Les tercets s’opposent aux quatrains (comme souvent dans le sonnet) : contrairement à celle des cloches, la voix du poète est assourdie de l’intérieur, « affaiblie » (v. 11) et l’on assiste à une progression vers le silence, mouvement symbolique qui indique le triomphe de la mort à venir (v. 12-14). La musique185 est d’emblée comprise

comme « une approche de l’être : comparée qu’elle est à la mer, cette immanence qui est une transcendance, et dite, à cet horizon, sous l’influx d’une seule étoile186 »:

La musique souvent me prend comme une mer !Vers ma pâle étoile, Sous un

plafond de brume ou dans un vaste éther, Je mets la voile ; (v. 1-4)

La rumeur de la mer, sa musique fait naître chez le poète des notations spatiales. « Quant à la poésie, elle est désignée implicitement comme ce qui se laisse « prendre », au moins quelquefois, par cette musique : elle est le vaisseau que la mer soulève et qui met alors à la voile, celle-ci étant d’ailleurs gonflée du même air des poumons (v. 5) que la voix qui s’élève dans le poème187. » Quant à L’invitation au voyage188 est emblématique de cette « poésie de la sensation privilégiée, musicalisée. Les allitérations, les assonances, les rythmes berceurs et lents sont presque directement des perceptions simplement physiques, affleurant à travers la figure très savamment atténuée des choses 189. » Parfois, les voix des éléments de la nature sont des bruits amers qui disent au poète son irrémédiable enfermement sur lui-même et par là même, approfondissent en lui le sentiment du Spleen. C’est le cas dans Obsession190 : les bois hurlent (v. 1-2), l’océan rit

180 Cf. correspondances, p. 75.181 O. C, I, 56-57.182 O. C, 71-72.183 V. 2.184 V. 4.185 O. C, I, 68.186 Y. Bonnefoy, op. cit. , p. 18.187 Ibid. , p. 18.188 O. C, I, 53-54.189 Y. Bonnefoy, op. cit. , p. 12.190 O. C, I, 75-76.

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(v. 8) et les étoiles parlent « un langage connu191. » Il ne peut donc y avoir de repos dans ce tintamarre et c’est dans ce sens qu’il faut comprendre « obséder » : le poète est sans cesse surveillé et il ne peut trouver la solitude.

Les éléments ont donné naissance dans les poèmes de Baudelaire et Nerval à des paysages nourris de références culturelles et intertextuelles.

Après avoir étudié les poétiques de l’eau, du feu et de l’air, il nous faut examiner les états intermédiaires de la matière.

1.3. Les états intermédiaires de la matière.

Il s’agit ici des éléments du paysage qui relèvent à la fois de deux, trois ou quatre éléments de la tétralogie antique. Il sera question de l’air issu de l’eau (1. 3. 1), du rapport d’homologie entre mondes végétal et volatile (1. 3. 2). Nous évoquerons aussi l’orage qui mêle eau et feu (1. 3. 3), l’île (1. 3. 4) et la grotte (1. 3. 5) qui toutes deux se situent entre terre et eau. Enfin, nous examinerons les différentes formes que peut prendre l’eau : brume et brouillard (1. 3. 6), neige et glace (1. 3. 7)

1. 3. 1. La transmutation de l’air : l’écharpe d’Iris.

Il existe chez Nerval un air directement issu de l’eau, un voile « qui garde jusqu’au sein de sa transparence nouvelle quelque chose de l’épaisseur étalée, de la texture liée qui caractérisait sa station liquide192. » Ce voile, c’est l’écharpe d’Iris :

La Déesse avait fui sur sa conque dorée,La mer nous renvoyait son image adorée,Et les cieux rayonnaient sous l’écharpe d’Iris193.

«  L’arc – en – ciel – l’écharpe d’Iris – vaporise […] ainsi l’humidité, il la transforme en éclat et en atmosphère. […]La surface même de la mer […] se détache de l’épaisseur, se soulève et se volatilise 194 : « Lanassa ! fais flotter tes voiles sur les eaux ! 195 »

Dans ce même sonnet, les papillons deviennent des fleurs d’où ce rapprochement qui peut paraître curieux :

1. 3. 2. Les papillons, les oiseaux et la verdure.

Remarque liminaire: Nous rangeons abusivement sous le terme verdure (terme littéraire désignant la couleur verte de la végétation et par extension la végétation elle –

191 V. 10.192J. P Richard, « Géographie magique de Nerval », op. cit. , p. 49.193 O. C, III, Horus, 646, v. 13 –15.194 J. P Richard, « Géographie magique de Nerval », op. cit. , p. 49.195 O. C, I, A Madame Aguado, 732, v. 9. Ce sonnet est repris partiellement dans le sonnet Erythréa in O. C, III, 759.

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même), les fleurs et arbres. Nous avons choisi ce mot parce qu’il est spécifique à la période que nous étudions.

Le papillon est un symbole universel de la beauté évanescente. Une odelette de Nerval196 énumère de nombreux noms de papillons à résonance poétique : «  Faune, Mars, Vulcain, Soufre, Nacré, Machaon - Zèbre, Deuil, Miroir, Argus, Morio, Grand - Bleu, Paon – de - Jour, Phalènes, Sphinx, Grand - Paon, Bombice. (Dans les Petits châteaux de Bohême197, ils sont soulignés). » Cette énumération a quelque chose de magique, comme une incantation à la Nature qui touche au divin dans sa beauté et son harmonie. Elle « fabrique une sensation d’abondance, une richesse198. » C’est la liberté donnée à une expansion verbale, un paysage des mots. Le papillon symbolise aussi le mystère des métamorphoses : il « désigne un état charmant de volatilité transitive199. »  L’odelette de Nerval en est un magnifique exemple ; le papillon y est un « être mixte, végétal détaché du sol.200 »  

Le papillon, fleur sans tige,Qui voltige, Que l’on

cueille en un réseau ; Dans la nature infinie, 201

« De l’univers végétal au monde volatile se rêve aisément un rapport d’homologie202. » Le papillon est lui – même une « Harmonie/Entre la plante et l’oiseau ! …203 »  «  Nerval partage au moins avec les savants les rêves d'un poème - espace-formule -lilliputien dont la petitesse est signe de richesse inouïe. La métaphore de caractère syncrétique (v. 9) est significative à cet égard; les traits de la fleur sont transférés au papillon qui apparaît comme un stade plus avancé: le papillon est encore fleur et déjà il est oiseau ( on retrouve le symbolisme de la métamorphose ) mais le filet dont on se sert pour le « cueillir » rappelle l'origine de toute vie, l'eau204. » C’est de cette eau originelle, plus précisément la mer, que surgissent les papillons du sonnet A Madame Aguado205. « Ces papillons, il faut les voir sortir de l’eau juste au moment où les pigeons jaillissent aussi de leur nid et où toute la solidité du monde, jusque-là réunie en une dure colonne diamantée, se défait et s’épand en long déploiement de rougeur206 » :

(…) Les ramiers s’envolent de leur nid,De ton bandeau d’azur à ton pied de granitSe déroule à longs plis la pourpre de Judée. (v. 2-4)

196 O. C, I, Les papillons, 332 – 333.197 O. C, III, 415 – 417.198 Jean-Pierre Richard, Essais de critique buissonnière, NRF, Gallimard, 1999, p. 12.199 J. P Richard, « Géographie magique de Nerval », op. cit. , p. 48.200 Ibid. , p. 48201 v. 1 – 4.202 Jean-Pierre Richard, Essais de critique buissonnière, op. cit. , p. 13.203 O. C, I, v. 13 – 14 ou O. C, III, v. 5 – 6.204 Dominique Tailleux, L’espace nervalien, Nizet, 1975, p. 150.205 O. C, I, 732.206 J. P Richard, « Géographie magique de Nerval », op. cit. , p. 48.

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Etymologiquement, les ramiers sont les oiseaux penchés sur la ramure. Ce sont colombes qui apparaissent dans le pantoum indien mis dans la bouche de l’almée par Nerval (Le chariot d’enfant) :

Dans l’azur, région sereine,Les colombes au vol joyeux, Comme

un collier qui s’égrène Passent … et je suis des yeux.

Où vont ces colombes légèresQue l’oiseau de la nuit attend ?Où vont ces blanches messagères ? …Au palais du jour éclatant.207

La colombe symbolise ici la tendresse alors que le « Vautour, volant sur Patani208 » symbolise l’esprit du Mal (comme le serpent), le  Typhon- Seth des anciens Egyptiens. ( Le vautour peut aussi être considéré comme l’incarnation du principe femelle chez les anciens Egyptiens ou celle du dieu hindou Vishnou.)

Détache avec ton arc ton corset d’or bruni 209:Car je suis le vautour volant sur Patani,Et de blancs papillons la Mer est inondée. 210

Dans L’Eclipse de lune, pièce traduite par Nerval, Jean - Paul Richter lui faisait dire : « Je veux t’enlever tes filles, Eve ; je rassemblerais tes blancs papillons sur la fange des marais. » Dans ce contexte, papillon doit être probablement pris dans le sens du grec psyché211. » Un être se dégageait mais l’esprit du Mal a frappé et le dégagement tourne mal : « tout comme la cendre du Vésuve, les papillons s’éparpillent et retombent finalement en neige sur la mer212 : La neige du Cathay tombe sur l’Atlantique 213. » Il y a équivalence poétique entre les papillons blancs et les flocons de neige. Cette suite de métamorphoses illustre le symbolisme du papillon où s’entrecroisent la fleur, la verdure et l’oiseau. Nous retrouvons ces motifs dans ce poème de Blake :

La fleur214

Moineau, moineau joyeux !Sous les feuilles si vertesUne fleur heureuseTe voit, vif comme une flècheChercher son berceau de branches

207 Cité par Jean Richer in Nerval, expérience et création, p. 193. 208 A Madame Aguado, v. 7.209 Le « corset d’or bruni » est une allusion à l’étymologie de « Labrunie », nom de naissance de Gérard.210 A Madame Aguado, v. 6-8.211 J. Richer, op. cit. , p. 194.212 J. P Richard, « Géographie magique de Nerval », op. cit. , p. 49.213 A Mme Aguado, v. 11 ou Erythréa, v. 11 214 Blake, Les Chants de l’Innocence. Traduction et préface de Alain Suied. Arfuyen, Paris, 1992, p. 22-23.

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Près de mon cœur.

Rouge-gorge joli !Sous les feuilles si vertesUne fleur heureuse T’écoute

gémir, gémir Rouge- gorgePrès de mon cœur

On considère souvent William Blake comme un des précurseurs du romantisme (ou « préromantisme ») en Angleterre avec James Thomson (Les saisons, 1726- 1730) et Edward Young ( Les nuits, 1742-1745). Chez Blake, « tout commence avec la phase que décrivent les poèmes de Songs of Innocence (1789) : le monde est simple et en surfaces claires ; c’est celui de la pastorale arcadienne215. » Il illustra d’ailleurs une édition des Pastorales de Virgile. On trouve par ailleurs dans son œuvre des réminiscences de Spenser, Milton et Shakespeare. Visionnaire, à la recherche d’une vérité au-delà du sensible, lecteur de Swedenborg216 et de Boehme, il mit en scène des visions mystiques dans des vers mêlés de prose (Livres prophétiques). En fait, Blake anticipe et dépasse à la fois le romantisme. Jean Richer le considère comme « un véritable inspiré217 » et le compare à Novalis et Nerval.

Pour ce dernier, « le végétal constitue le signe non équivoque d’une poussée vitale, d’une émergence d’être218.  C’est pourquoi, dans sa cellule de Sainte –Pélagie, il déplore l’absence de verdure :

Pas une herbe ne poussePas un brin de mousse

Oiseau qui fends l’espace …

Apportez – moi quelque herbe,Quelque gramen mouvant Sa tête au vent !219

« Dans sa Lettre sur l’art du paysage, Chateaubriand avait reconnu ce privilège du feuillage : vivant, léger, continu, il est dans le paysage un élément capital de glissement et de volupté épidermique220. »

Qu’à mes pieds tourbillonneUne feuille d’automne,221

215 La poésie romantique anglaise. Anthologie présentée et annotée par Pierre Vitoux. Librairie Armand Colin, Paris, 1971, p. 10.216 Cf. p. 72.217 Nerval, expérience et création, op. cit. , p. 23.218 J. P Richard, « Géographie magique de Nerval », op. cit. , p. 39.219 O. C, III, « Petits châteaux de Bohême », Politique 1832, 413 – 414, v. 5 – 6, 9 ou O. C, I, Cour de prison, mêmes vers220 J. P Richard, Paysage de Chateaubriand, op. cit. , p. 74.221 O. C, III, « Petits châteaux de Bohême », Politique 1832, 413 – 414, v. 13 – 18 ou O. C, I, Cour de prison, mêmes vers.

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« Apte à animer ainsi l’espace, le frisson végétal s’avère capable de mobiliser également le temps. Sa fugacité, sa légèreté, sa liaison avec la petitesse et l’apparemment insignifiant d’un paysage lui permettent de ressusciter en lui la note la plus particulière d’un moment perdu222. » A ce thème de la verdure sont liés, dans Politique ceux de la petitesse et du vent et le motif de l’oiseau, affectionnés eux-aussi par Chateaubriand. « Entre vent et oiseau il y a d’ailleurs complicité. […] Ce menu peuple volatile, car il s’agit surtout de petits oiseaux, ajoute aux minutes les plus sérieuses de la vie, ou aux plus grands paysages, l’orchestration de sa familiarité, de sa vivacité légère. Si Chateaubriand adore les oiseaux. […] Il ne le fait pas, comme Baudelaire par exemple – songeons à Elévation- pour éprouver à travers eux une ivresse physique de l’espace ; [… ]Non : l’oiseau l’attire parce qu’à partir de son acuité ponctuelle et froufroutante le rien pourra s’étendre à nouveau devant le regard qui rêve. Mais ce sera, et voici un progrès, un rien dynamisé. […] Comme la « verdure, l’oiseau sert « à fixer autour de lui la qualité spéciale d’un moment, la singularité d’un paysage223. » Les papillons de Nerval ne remplissent- ils pas la même fonction ?

Comme Nerval dans sa cellule de Sainte – Pélagie, Guérin rêve aussi de végétal, «  dont il guette, par exemple au printemps, le prodigieux épanchement, le verdissement « d’arbre en arbre, de hallier en hallier », l’invasion « ondoyante et mugissante comme une vaste mer, une mer d’émeraude224. »

Quant à Baudelaire, même s’il prétend ne pas aimer la nature, les allusions à la végétation dans Les FM sont relativement nombreuses. Nous ne les citerons pas tous. Particulièrement importante est la mention de Cybèle, déesse de la terre et des moissons dans Bohémiens en voyage225 : « Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures.226 »  Cybèle est la grande déesse de la Phrygie. Elle est souvent appelée la Mère des Dieux ou la grande Mère. Sa puissance s'étend à la Nature entière, dont elle personnifie la puissance de végétation.

Nous avons ici abordé des thèmes qui mêlent poétique de l’air, de l’eau et de la terre. L’orage, quant à lui mêle eau et feu.

1. 3. 3. L’orage.

L’orage peut être dévastateur :

Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,Traversé ça et là par de brillants soleils ;Le tonnerre et la pluie227 ont fait un tel ravage,

222 J. P Richard, Paysage de Chateaubriand, op. cit. , p. 59. 223Ibid., p. 64 – 65.224 J. P Richard, Etudes sur le romantisme, op. cit. , p. 218.225 O. C, I, 18226 V. 11.227 Cf. pouvoir destructeur de la pluie, p. 15.

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Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.228

« Si le « je » du poète apparaît dès le premier mot avec le possessif (« Ma jeunesse… »), le lyrisme ne prend jamais la tonalité de la confidence plaintive ; la souffrance se dit autrement, à travers une image violente, celle du ravage du jardin, qui montre l’ampleur du travail de la destruction (rappelons qu’un poème porte le titre  La Destruction )229. » L’orage peut aussi se révéler consolant, face à la sécheresse :

Un cygne qui s’était évadé de sa cage,Et de ses pieds palmés frottant le pavé sec,Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.Près d’un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec

Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,Et disait le cœur plein de son beau lac natal :« Eau, quand donc pleuvras-tu230 ? quand tonneras-tu, foudre ? 231

« [Cette rêverie] réussit alors à réunir en elle le double désir d’une irrigation par l’eau et d’un réveil par le feu232. »

Nous allons maintenant évoquer deux éléments du paysage qui se situent entre terre et eau.

1. 3. 4. L'île.

Dans Les FM de Charles Baudelaire, l'île est - comme d'ailleurs dans notre imaginaire contemporain - est porteuse d'images marines bien sûr mais aussi de soleil et de bonheur simple dans une nature généreuse. Ainsi dans Parfum exotique233, les rivages sont « heureux », « l’île paresseuse » et les climats « charmants 234. »

« L’île est alors le temple naturel sorti de l'eau, caressé par l'air du vent sous le feu du soleil. » 235

Si l’île est un temple, il en est un autre qui, s’il n’est pas toujours baigné d’eau, l’est souvent dans l’imaginaire de Baudelaire et Nerval :

1. 3. 5. La grotte.

« Dans les temples aux « vastes portiques (…) pareils (…) aux grottes basaltiques 236 », le poète retrouve une vie antérieure, des rêves primitifs, la crypte de 228 O. C, I, L’ennemi, 16, v. 1-4.229 F. Court-Perez, op. cit. , p. 19.230 Cf. ondée bienfaitrice, p. 15.231 O. C, I, Le cygne, 85-87, v. 17- 23.232 J. P Richard, « Profondeur de Baudelaire », op. cit. , p. 108.233 O. C, I, 25-26.234 V. 3, 5 et 9.235 Encyclopédie des symboles, op. cit. , p. 321.236 O. C, I, La Vie antérieure, 17, v. 3-4.

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l’inconscient et l’inconscient de la crypte237. » Remarquons que les temples de Baudelaire et Nerval se ressemblent :

Reconnais-tu le Temple au péristyle immense,

Et la grotte fatale aux hôtes imprudents, Où du dragon vaincu dort l'antique semence? ..238

Nerval s’inspire de la « Chanson de Mignon » de Goethe (Les Années d’apprentissage de Wilhem Meister) qui célébrait les bonheurs de l’Italie :

Connais-tu la montagne? Un sentier dans la nue, Un mulet qui chemine, un orage, un torrent, De la cime des monts une roche abattue, Et la sombre caverne où dort le vieux serpent. La connais-tu? ...Si tu pouvais m'entendre, O mon père! c'est là, c'est là qu'il faut nous rendre.

« Nerval fait ici subir au « vieux serpent » qui dort dans la « caverne » du texte original une transformation d’importance qui témoigne de ses hantises mythologiques.  On pense aux Spartes hommes tout armés nés des dents du dragon tué par Cadmos, héros légendaire grec. Cadmos avait semé ces dents devant Thèbes, à l'endroit où il avait triomphé du monstre 239. » Roger Bauer240 pense que Baudelaire s’est souvenu des deux versions de la Chanson au moment de rédiger ses Invitations au voyage (FM et SP). Nerval, hanté par les légendes germaniques, affectionne ce thème de la grotte que Gaston Bachelard appelle un archétype241  :  «  La grotte reste un lieu magique et il ne faut pas s'étonner qu'elle reste un archétype agissant dans l'inconscient de tous les hommes242. » Baudelaire aussi attribue à la grotte le qualificatif de «  magique » dans Les yeux de Berthe243. « L’avantage de la grotte, c’est qu’elle recueille une existence sans tout à fait la faire disparaître. Elle recouvre mais n’enfonce pas. Dans la sédimentation de ses boues ou dans la paix de ses eaux internes elle couve les germes du futur, les dents du dragon. Mais sa protection ne dégénère jamais en étouffement, et la grotte relève toujours d’un climat de porosité, d’humidité heureuses […]Elle reste en outre d’accès facile : […]elle est de plain-pied avec le monde, avec la mer. N’importe qui peut y descendre, y voir nager la sirène 244 ou verdir – c’est - à - dire renaître - la naïade … la grotte est aussi un 237 G. Bachelard, La terre et les rêveries du repos, José Corti, 1947, p. 204-205. 238 O. C, III, 441-442, Daphné, v. 5 et 7-8. Daphné reprend un poème publié sous le titre Vers dorés (O. C, I, 740) et recueilli dans Les Chimères (O. C, III, 647). A J. Y Colonna (O. C, I, 733) comporte les quatrains de Daphné.239 O. C, I, Notes et variantes, 1773-1774. Théophile Gautier lui – aussi a composé « sa » Chanson de Mignon inspirée par celle de Goethe.240 De « Mignon » à l’ « Invitation au voyage » in Revue de littérature comparée, n° 237, janvier-mars 1986, p. 51-57.241 Symbole primitif, universel appartenant à l’inconscient collectif.242Gaston Bachelard, La terre et les rêveries du repos, op. cit. ,  p. 202.243 O. C, I, 161, v. 6.244 El Desdichado, v. 11.

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lieu d’où on sort […] Elle est un cœur de la terre situé à la surface de la terre, et c’est pourquoi, rejoignant une intimité sans succomber à une épaisseur, elle est chargée pour Nerval d’une telle magie245. »

Chez Maurice de Guérin, la grotte se situe du côté de la douceur :

Comme les fleuves de cette vallée dont les gouttes primitives coulent de quelque roche qui pleure dans une grotte profonde, le premier instant de ma vie tomba dans les ténèbres d’un séjour reculé et sans troubler son silence. 246

L’île et la grotte, qui sont à la fois terre et eau, l’une exposée au soleil, l’autre souterraine, ont pour point commun d’être des lieux un peu « hors du monde. » Baudelaire y trouve un bonheur simple loin de Paris ; Nerval, la protection d’une mère.

Intéressons – nous maintenant aux différents états de l’eau.

1. 3. 6. Le brouillard ou la brume.

Le brouillard remplit une fonction d’effusion. « Ce phénomène, a pour essence la diminution de la lumière et le caractère indéterminé des choses qu’elle éclaire, ce qui a pour conséquence une sorte d’unification du réel 247. »

Comme les romantiques (Chateaubriand ou G. Sand) Baudelaire utilise le motif de la brume pour voiler ses paysages. Ainsi, dans le poème au titre significatif Ciel brouillé 248, les « saisons » sont « brumeuses.249 » « Le paysage, étroitement apparenté, à celui de l'Invitation au voyage (les « ciels brouillés »), évoque sans doute quelque Hollande de rêve, où les ciels indolents, les horizons mouillés et les soleils voilés laissent transparaître, par certains jours blancs et tièdes, des rayons d'or qui allument les brumes250. » Le brouillard s'accompagne parfois de pluie et de froid pour composer un paysage spleenétique 251. Philosophiquement, le spleen a une fonction d’homogénéisation, symptomatique du Moderne. Elle est « illustrée par la brume, psychologiquement, voire ontologiquement, reconnaissable dans et par l’ennui [et] dessine une structure de l’être sans événement. Au demeurant, les traits objectifs du Moderne, des ciels, de la brume vont progressivement servir à qualifier l’état et les dispositions de la subjectivité252. » Dans ce cycle du Spleen, nous voyons même « le brouillard s’immobiliser, passer à l’état de boue aérienne, devenir une sorte d’air visqueux, que ne traverse plus aucun

245 J.P Richard, “Géographie magique de Nerval”, op. Cit. , p.32-33.246 Cité par J. P Richard, Etudes sur le romantisme, op. cit. , p. 219.247 G. Poulet, La pensée indéterminée II. Du Romantisme au début du 20 e siècle. PUF Ecriture, 1987, p. 60.248 O. C, I, 49-50.249 V. 10.250 Robert - Benoît Chérix, Commentaire des FM. Essai d’une critique intégrale. Slatkine Reprints, Genève, 1993, p. 193.251 O. C, I, Spleen I, 72, v. 1-4.252 A. Hirt, op. cit. , p. 150.

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message253 » :

Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir Peut-on déchirer des ténèbres Plus denses que la poix, sans matin et sans soir, Sans astres, sans éclairs funèbres ?254

1. 3. 7. La neige et la glace.

La neige peut –être un élément de paysage spleenétique : 

Rien n'égale en longueur les boiteuses journées, Quand sous les lourds flocons des neigeuses années L'ennui,

fruit de la morne incuriosité, Prend les proportions de l'immortalité.255

Le paysage polaire de De profundis clamavi 256 évoque aussi le spleen :

C'est un univers morne à l'horizon plombé, Où nage dans la nuit l'horreur et le blasphème;

Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois, Et les six autres mois la nuit couvre la terre; C'est un pays plus nu que la terre polaire. - Ni bêtes, ni ruisseaux, ni verdures, ni bois! (v. 3 - 8)

De profundis clamavi sont les premiers mots d’un psaume de pénitence (CXXXIX) ordinairement dit pour les morts (« Des profondeurs j’ai crié »). C’est aussi une représentation qui reconstitue le climat du tombeau à la surface de la terre. Il y a peu de paysages aussi précisément décrits chez Baudelaire. «  Cette puissante évocation des terres les plus désolées , écrite en 1851, est-elle sans concordance avec les explorations d'Arthur Gordon Pym dans les banquises australes, que lisait alors notre auteur avec enchantement et dont il allait bientôt commencer la traduction? 257 » Dans Le goût du néant258, l’angoisse de mort est signifiée par l’image de la glaciation et de la petitesse dans un univers gelé : « Et le Temps m’engloutit minute par minute,/ Comme la neige immense un corps pris de roideur259 ; »  Dans un sursaut final, qui est révolte contre le Temps implacable, reprenant l’image de la montagne et de la neige, il appelle l’avalanche : « Avalanche, veux-tu m’emporter dans ta chute ? (v. 15) »

« Comme Balzac, dont il admire les théories énergétiques, Baudelaire l’épuisement, redoute la dépense ; il est hanté par la peur du tarissement, par l’attente 253 J. P Richard, « Profondeur de Baudelaire », op. cit. , p. 110.254 Baudelaire, O. C, I, L’irréparable, 54-55, v. 25-28.255 O. C, I, Spleen II , 73, v. 15- 18.256 Ibid. , 32-33.257 R. B Chérix, op. cit. , p. 130.258 O. C, I, 76.259 V. 11 – 12.

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d’une mort spirituelle que lui annoncent de longues heures de léthargie intérieure. […] Sur le plan de l’imaginaire, cette hantise se traduira par des rêveries voisines du sec, du froid et du glacé. La source se tarit, la lumière s’obscurcit, le feu s’éteint260. »

Les paysages crées à partir de la typologie simple des quatre éléments sont eux complexes à l’image des états intermédiaires. Cette complexité est accentuée par la symbolisation.

2. LA SYMBOLISATION DU PAYSAGE.

Cette symbolisation est visible dans la représentation de la lumière et des saisons poétiques (2. 1), dans la sexualisation du paysage opérée par Baudelaire (2. 2) ou sa totalisation chez Nerval(2. 3)

2.1. Lumière et saisons poétiques.

La représentation des lumières et des saisons poétiques peut-être antithétique (2. 1. 1), ambivalente (2. 1. 2) ou ambiguë (2. 1. 3).

2. 1. 1. La représentation antithétique

Dans Une charogne261, le contraste est saisissant entre le paysage édénique et matutinal, baigné de soleil et le paysage infernal de la charogne :

Ce beau matin d’été si doux : Au détour du sentier une charogne infâme Sur un lit semé de cailloux,

Le soleil rayonnait sur cette pourriture, (v. 2 – 4 et 9)

« On peut discerner ici l’anti – naturalisme (au sens de rejet de la nature) de Baudelaire de même que l’omniprésence de la mort dans son œuvre. Pour lui, la nature n’a pas une valeur en soi qui exalte l’âme du poète ; et elle est totalement séparée du monde des hommes : c’est pourquoi « le ciel » (v. 13) peut regarder la charogne « comme une fleur s ‘épanouir » (v. 14) alors qu’il s’agit d’un objet non parfumé et horrifiant262. » Dans Un voyage à Cythère263, Baudelaire joue aussi à la fois de la beauté du paysage environnant (v. 1 – 4) et de la présence horrible de la mort (v. 29 – 32) Baudelaire nous offre un admirable résumé de cette dichotomie […] en opposant à la plénitude absolue des formes extérieures la fixation morbide et douloureuse qui a gagné son cœur :

- Le ciel était charmant, la mer était unie ; Pour moi tout était noir et sanglant désormais, Hélas ! et j’avais comme en un suaire épais, Le cœur enseveli dans cette allégorie. (v. 53-56)

260 J. P Richard, « Profondeur de Baudelaire », op. cit. , p. 107.261 Baudelaire, O. C, I, 31 –32.262 F. Court – Perez, op. cit. , p. 37.263 O. C, I, 117-119.

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Le Coucher de soleil romantique semble être un titre bien mal choisi pour cette poursuite du soleil qui aboutit à l'horreur (v. 10 – 14)C'est une valorisation négative,  le poète projetant sur l'élément lumineux les sentiments auxquels il voudrait échapper. « Ainsi la signification métaphysique de l’horizon crépusculaire, qui restait pour le Romantisme ambiguë, devient-elle franchement négative. […] Nous sommes loin des somptueuses funérailles que les Romantiques accordaient au soleil couchant 264. »

Par contre, L’Invitation au voyage265se clôt par un paysage crépusculaire emprunt de sérénité  ( v. 35-40). « Dans le poème Tristesses de la lune266 , Baudelaire met en opposition les dernières pâmoisons de la lune mourante :

 Sur le dos satiné des molles avalanches, Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,Et promène ses yeux sur les visions blanches Qui montent dans l’azur comme des floraisons.  (v. 5 - 8)

et la mission dont est investi le poète, chargé d’exorciser la mort en préservant du néant une certaine forme de beauté nocturne 267 » :

 Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive, Elle laisse filer une larme furtive, Un poète pieux, ennemi du sommeil,

Dans le creux de sa main prend cette larme pâle, Aux reflets irisés comme un fragment d’opale, Et la met dans son cœur loin des yeux du soleil.   (v. 9-14)

Dans Confession268, dédiée à Madame Sabatier, la lune répand le calme sur Paris (v. 5-8) mais cet enchantement se termine sur une note de tristesse :

J’ai souvent évoqué cette lune enchantée,Ce silence et cette langueur, Et cette

confidence horrible chuchotée Au confessionnal du cœur. (v. 37 – 40)

Nous remarquons ici la présence d’un terme religieux. Le paysage lunaire s’harmonise avec l’amour teinté de mélancolie :

O toi, que la nuit rend si belle,Qu’il m’est doux, penché vers tes seins,D’écouter la plainte éternelleQui sanglote dans les bassins !Lune, eau sonore, nuit bénie,Arbres qui frémissez autour,

264 M. Collot, L’horizon fabuleux, op. cit. , p. 87.265 O. C, I, 53.266 O. C, I , 65-66.267 Emmanuel Adatte, « Les Fleurs du Mal » et « Le Spleen de Paris. » Essai sur le dépassement du réel. « Rien de commun », Librairie José Corti, 1986, p 150.268 Baudelaire, O. C, I, 45 – 46.

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Votre pure mélancolieEst le miroir de mon amour.269

« bénie » (v. 33) donne une connotation mystique à l’amour physique («  penché vers tes seins », v. 30)

« Dans La cloche fêlée270, Baudelaire met en contraste une forme de lyrisme impersonnel (v. 1-4) et sa situation existentielle personnelle(v. 9-14) 271 . »

Avec ses vêtements ondoyants et nacrés272, la femme est comparée de façon contradictoire à la fois au désert et à la mer :

Comme le sable morne et l’azur des déserts,Insensible tous deux à l’humaine souffrance,Comme les longs réseaux de la houle des mers,Elle se développe avec indifférence. (v. 5 – 8)

Tout en regrettant l’été, le poète veut préserver la paix intérieure qui le gagne en automne. Il immobilise la durée de la sensation agréable :

Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide ! Ah ! laissez- moi, mon front posé sur vos genoux, Goûter, en regrettant l’été blanc et torride, De l’arrière saison le rayon jaune et doux !  273

Mais les sons amènent à l’esprit des images de mort : l’échafaud et le cercueil, et d’anéantissement : « la tour qui succombe. » « Le cycle de l’amour oppose la Vénus blanche à la Vénus noire. Avec la troisième inspiratrice, la Belle aux cheveux d’or, il n’y a pas à proprement parler conciliation des contraires ; […]On ne peut caractériser cet amour ni par la splendeur intégrale, ni par les ténèbres absolues ; il évolue dans un éclairage adouci, l’éclairage du soleil d’automne. »274  Ainsi, dans Chant d’automne « celle qui s’est assise à ses côtés n’a plus guère le pouvoir de combler son cœur le vide que creuse en se retirant la « vive clarté de nos étés trop courts ! 275 » :

Amante ou sœur, soyez la douceur éphémèreD’un glorieux automne ou d’un soleil couchant. (v. 23 - 24)

D’après ce dernier vers les paysages automnaux et crépusculaires se ressemblent.

La symbolique négative de l’automne est martiniste : « Chez Lamennais, déjà comme

269 O. C, I, Le jet d’eau, 160, v. 29 -36.270 O. C, I, 71-72.271 E. Adatte, op. cit. , p. 150.272 Baudelaire, O. C, I, 29.273 O. C, I, Chant d’automne, 56-57, v. 25 – 28.274 Léon Cellier, Baudelaire et l’oxymoron in Parcours initiatiques. « Langages », A la Baconnière, Neufchâtel, Presse Universitaires de Grenoble, 1977, p. 196.275 Robert-Benoit-Chénix, op. cit. , p. 212.

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chez Saint-Martin276, le Démon ignore « les chaudières bouillantes » : il élit domicile dans les déserts bourbeux, au cœur des brumes, dans les paysages d’automne : « Et à travers un brouillard gris et lourd, je vis comme on voit sur la terre, à l’heure du crépuscule, une plaine nue, déserte et froide » (Les paroles)277. » Malgré la beauté du « ciel d’automne, clair et rose ! 278 » ,

(…) la tristesse en moi monte comme la mer,Et laisse, en refluant, sur ma lèvre moroseLe souvenir cuisant de son limon amer.279

Après une jeunesse estivale et orageuse280 , « l’automne des idées281 » précède l’hiver et la mort :

Et qu’il faut employer la pelle et les râteauxPour rassembler à neuf les terres inondées,Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux.282

« L’espace intérieur est représenté par un paysage dévasté, et les métaphores renvoyant à la jeunesse privilégient le champ du « ravage283. » La métaphore traditionnelle de l’automne est renouvelée par la métaphore filée du jardin.

La représentation antithétique se réalise dans le contraste (Une charogne) et l’opposition entre le paysage dépeint et l’âme du poète ; elle naît encore dans la contradiction (Avec ses vêtements ondoyants nacrés). L’antithèse intervient dans la représentation de toutes les saisons et formes de lumières. L’ambivalence est plus limitée.

2. 1. 2. L’ambivalence

L’ambivalence se rencontre surtout dans les valeurs du soleil. «  Comme pour les couleurs ou pour le symbole du serpent, par exemple, nous ne tenterons pas ici de donner une liste exhaustive des différentes significations ou des différentes valeurs qui ont pu être celles du soleil à travers tous les temps et toutes les cultures[… ]symbole, par ailleurs universel. 284 » Le soleil n'opère pas de discrimination, il éclaire le juste et l'injuste et fait aussi bien grandir les animaux et végétaux utiles que nuisibles. C'est de lui que provient la source de l'énergie et de la vie.  Nous distinguerons la bienfaisance du soleil (2. 1. 2. 1) de sa violence (2. 1. 2. 2) Nous évoquerons également le crépuscule (2. 1. 2. 3) et le mythe solaire (2. 1. 2. 4)

2. 1. 2. 1. Le soleil bienfaisant.

276 Cf. p. 74.277 Anne-Marie Amiot, op. cit. , p 27.278 Causerie, 56, v. 1.279 Causerie, v. 2 – 4.280 O. C, I, L’ennemi, 16, v. 1 – 4.281 V. 5.282 v. 6 – 8.283 Françoise Court-Perez, op. cit. , p. 19.284 Encyclopédie des symboles, op. cit. , p. 637.

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Le Soleil 285 illustre parfaitement l’ambivalence de la figure solaire car nous y rencontrons deux valeurs contraires : « d'une part cruel et violent par son éclat, de l'autre nourricier et fécondant tant pour la nature que pour l'homme 286. »

Quand le soleil cruel frappe à traits redoublésSur la ville et les champs, sur les toits et les blés, (v. 3 – 4)

Cependant, « son éclat qui dévore le paysage, contribue par contraste à ranimer les feux intermittents de l'inspiration poétique287 » :

Je vais m’exercer seul à ma fantastique escrime,Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,Trébuchant sur les mots comme sur les pavés, Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés. (v. 5 – 8)

Finalement, c’est la valeur positive qui domine ce poème et le soleil est « Ce père nourricier, ennemi des chloroses, /Eveille dans les champs les vers comme les roses ; (v. 9 – 10) »

Cette bienfaisance du soleil n’empêche pas la tristesse de Nerval devant un paysage pourtant idyllique :

Quand les feux du soleil inondent la nature, Quant tout brille à mes yeux et de vie et d'amour, Si je vois une fleur qui s'ouvre, fraîche et pure,

Aux rayons d'un beau jour,

Si des troupeaux joyeux bondissent dans la plaine, Si l'oiseau chante au bois où je vais m'égarer Je suis triste et de deuil me sens l'âme si pleine Que je voudrais pleurer.288

La vision du printemps de Baudelaire est ambivalente : humiliant (avec la verdure) son cœur dans A celle qui est trop gaie 289, il est qualifié d’ « adorable » dans Le Goût du néant290 ; le poète regrette qu’il ait « perdu son odeur 291.» Le printemps est peut-être ici une métaphore de la jeunesse perdue.

L’’image du soleil de glace, déjà relevée dans De profondis Clamavi ( cf. p. 34), résulte d’une inversion de la valeur positive du soleil (chaleur et lumière) en valeur négative (froid et ténèbres) et relève de l’oxymoron : « Et, comme le soleil dans son enfer

285 O. C, I, 83.286 Marc Eigeldinger, La symbolique solaire dans l’œuvre de Baudelaire in Le soleil de la poésie. Gautier, Baudelaire, Rimbaud. Langages. Etudes baudelairiennes XIII Nouvelle série V A la Baconnière Neuchâtel, 1991, p. 73.287M. Eigeldinger, La symbolique solaire dans l’oeuvre de Baudelaire, op. cit. , p. 74.288 Poésies et souvenirs, Résignation, v. 1 – 8, p. 169. Jean Richer signale que ce poème est peut – être imité de quelque original anglais.289 Ibid. , 156-157, v. 21 – 22.290 Ibid. , 76, v. 10.291 Ibid., v. 10.

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polaire, / Mon cœur ne sera qu’un bloc rouge et glacé292. »

L’ambivalence se rencontre au cœur de ce premier aspect du soleil : un paysage rayonnant de soleil n’empêche pas la réaction négative de nos deux poètes. De plus, ces derniers ne sont pas forcément abattus par la violence du soleil.

2. 1. 2. 2. La violence du soleil.

Le soleil peut être malsain, incitant La géante293 au sommeil en plein jour.

Quand « les feux du soleil 294», d’abord bienfaisants (cf. Page précédente), brûlent la nature, la tristesse de Nerval s’atténue  :

Mais quand je vois sécher l’herbe de la prairie,Quand la feuille des bois tombe jaune à mes pieds,Quand je vois un ciel pâle, une rose flétrie,

En rêvant je m’assieds

Et je me sens moins triste (…)(v. 9 – 13)

Alors le poète met en parallèle son destin et celui de la « feuille qui tombe » (v. 17), de la « fleur expirante » (v. 21), toutes deux victimes de « la flamme dévorante » (v. 23) du soleil. Cette métaphore du feu – soleil est filée depuis le début du poème. Nous retrouvons cette métaphore dans le Premier chant295 . La brûlure peut avoir pour conséquence la soustraction de toute nature, la dévastation donc le vide constitutif d’un paysage spleenétique : « des terrains cendreux, calcinés, sans verdure296. » En ce qui concerne le vide, c’est l’image du désert qui revient le plus souvent. Elle dit, « selon une métaphore hyperbolique, cette réduction au même opérée par le Moderne spleenétique297. » De plus, cette image traduit bien l’absence de mouvement, l’ennui. « L’ennui définit d’autre part une dépossession de la subjectivité. […] C’est en cela que la subjectivité se vide, qu’elle devient un Sahara, qu’elle épuise et soustrait la volonté, qu’elle se souffle la parole et qu’elle devient finalement aphasique298 » Le Moi est lui - même un « Sahara299 » comme si la réalité objective avait déteint.

Assoupi dans le fond d’un Saharah brumeux ;Un vieux sphinx ignoré du mode insoucieux, Oublié sur la carte, et dont l’humeur farouche Ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche.300

292 O. C, I, Chant d’automne, 56 – 57, v. 7-8293 O. C, I, La géante, 22 – 23, v. 11 – 12.294 Résignation, v. 1.295 Poésies et souvenirs, p. 115, v. 9.296O. C, I, La Béatrice, 116, v. 1.297 A. Hirt, op. cit. , p. 151.298 Ibid. , p. 154-155.299 O. C, I, L’héautontimorouménos, 78-79, v. 5.300 Spleen II, 73, v. 19-24.

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« Le poète inverse de façon significative une légende selon laquelle une statue colossale située devant un temple funéraire d’Amnophis III, en partie détruite par un tremblement de terre, produisait un son musical quand les premiers rayons du soleil la réchauffaient. Ici, parce que la mort l’emporte, l’aurore est remplacée par le crépuscule. La formule négative du dernier vers (…) renforce l’idée du triomphe de la mort301. »

La thématique du désert est liée à celle de l’horizon. En effet, « le regard post – romantique recherche volontiers les horizons bas ou plats, champs, plaines, plateaux, plages, déserts […]302. » C’était déjà le cas d’Eugène Fromentin303 qui évoque dans Un été dans le Sahara et Une année dans le Sahel, sa quête mystique en Afrique et dans ses déserts. « La vertu spirituelle du Sahara sera […] de dissoudre le soleil lui – même dans l’intensité de son éclat, et d’en éparpiller aux quatre coins du ciel la diffusion. Le miracle du soleil africain à son zénith, c’est en effet d’en arriver à force de puissance irradiante à se nier et à se détruire lui-même304. »

[A midi], le désert se transforme en une plaine obscure : le soleil suspendu à son centre l’inscrit dans un cercle de lumière dont les rayons égaux le frappent en plein dans tous les sens à la fois … Ce n’est plus ni de la clarté ni de l’ombre.305

Le ciel est là, voisin, immédiat, tangible. Et sa lumière elle aussi se stupéfie. Devant les tableaux de Delacroix306 et les commentaires de Fromentin («  une région dont toutes les clartés viennent d’en haut.307 ») , Baudelaire remarque qu’à force d’intensité et de diffusion, elle finit par noyer le paysage dans une sorte de neutralité grise. Il le traduit dans les FM par le sable « morne308 » ou le « Sahara   brumeux 309. »

Nos poètes souhaitent parfois la brûlure du soleil et admire la lumière qui en résulte « ni de la clarté ni de l’ombre. » Cette dernière expression peut être appliquée au crépuscule du matin.

2. 1. 2. 3. Le crépuscule du matin.

Au XIX e siècle, le mot « crépuscule » pouvait désigner aussi bien la période du matin ( Saint-Martin310 et Balzac employèrent l ’expression « crépuscule de l’aurore ») que celle du soir durant laquelle le soleil est voisin de l’horizon mais le sens de « lueur qui précède le lever de soleil »tendait à disparaître. Par conséquent, le titre Le crépuscule du matin311 apparaît aujourd’hui comme un oxymore. D’ailleurs, à l‘intérieur du poème, Baudelaire emploie le mot aurore (v. 25).

301 F. Court-Perez, op. cit. , p. 56.302 M. Collot, L’horizon fabuleux, op. cit. , p. 80 – 81.303 Cf. p. 100.304 J. P Richard, Littérature et sensation, Préface de Georges Poulet. Editions du Seuil, Paris, 1954, p. 255.305 Fromentin cité par J. P Richard in Littérature et sensation, op. cit. , p. 255.306 Cf. p. 96.307 Fromentin cité par J. P Richard, Littérature et sensation,, op. cit. p. 254.308 Avec ses vêtements ondoyants et nacrés, op. cit. , v. 5.309 Baudelaire, O. C, I, 73, Spleen II, v. 21310 cf. p. 74.311 O. C, I, 103-104.

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Le choix de « crépuscule » s’explique par le parallélisme avec le poème précédent, Le crépuscule du soir. Ces deux poèmes forment un diptyque et les deux paysages urbains, l’un matinal, l’autre nocturne sont tous deux dominés par le spleen. Le crépuscule du matin est encore plus lugubre que Le crépuscule du soir. Les deux premiers vers (« La diane chantait dans les cours des casernes, /Et le vent du matin soufflait sur les lanternes. ») disent déjà l’enfermement et l’hostilité de la nature. Le froid (v. 15 – 17) et la brume (« air brumeux » et « mer de brouillard »), éléments constitutifs d’un paysage spleenétique sont bien présents. La magnifique personnification de l'aurore du vers 25 est tempérée par les notations négatives: «  le sombre Paris », le « vieillard laborieux. »

L'aurore grelottante en robe et verte S'avançait lentement sur la Seine déserte, Et le sombre Paris, en se frottant les yeux, Empoignait ses outils, vieillard laborieux. (v. 25 - 28).

« Ainsi le caractère symbolique de l’aube est-il radicalement pris à contre – pied : le crépuscule du matin rejoint le crépuscule du soir [et] le poète joue de l’inversion : l’aube est déjà la fin de la vie et toute jeunesse est impossible312. »

La signification du matin est bien différente pour Nerval :

Le soleil du matin commençait sa carrière, Je vis près du rivage une barque légère Se bercer mollement sur les flots argentés.313

La déception arrive avec la nuit.:

Je reviens quand la nuit descendait sur la rive La nacelle était là, mais l'onde fugitive Ne baignait plus ses flancs dans le sable arrêtés.

C'est le ton mélancolique qui va désormais dominer. Cette journée est la métaphore de la vie du matin de la jeunesse à la nuit de la vieillesse. Même si la vieillesse apporte un certain apaisement, c'est la jeunesse qui est regrettée:

Mais qu'importe à mes vœux le calme de la nuit! Rendez-moi le matin, la fraîcheur et les charmes; Car je préfère encor ses brouillards et ses larmes Aux plus douces lueurs du soleil qui s'enfuit. (v 15 - 18)

Le matin de la vie n'est pas seulement tourmenté, il recèle aussi les espoirs d'une journée heureuse:

(…) au matin de la vie Par des rêves d'espoir notre âme poursuivie

Se balance un moment sur les flots du bonheur. (v. 7 – 9)

312 F. Court – Perez, op. cit. , p. 85.313 Poésies et souvenirs, op. cit. , Mélodie irlandaise, 166-167, v. 1 – 3.

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Dans ce poème apparaît une symbolique ambiguë de la nuit314 qui apporte le repos et la sérénité mais aussi le regret du matin de la vie, de la jeunesse.

Si chez Nerval, la mélancolie (romantique) domine, Baudelaire ne voit dans le matin que le réveil du Mal315 et la présence du spleen.

2. 1. 2. 4. Le mythe solaire.

Ecoute – moi, ô bienheureux, ô toi l’œil éternel,Titan, Lumière d’or, Très – Haut, Clarté du ciel,Né de toi –même, Infatigable, douce vision des vivants d’ici,Père favorable de l’Aurore, générateur augural de la Nuit,O Maître des saisons, ô dansant sur les quatre pieds,O Rapide, ô Sifflant, ô Flambant, ô Radieux, ô Cocher,O toi qui t’élances en tourbillon sur la route du cercle infini,Toi qui mènes les hommes pieux vers la beauté, toi qui t’irrites contre les impies,O meneur de la course harmonieuse du monde, ô lyre d’or,Annonciateur des bonnes actions, ô jeune prince des saisons encore,Maître du monde, joueur de flûte, coureur de feu, marcheur en rond,Porte- lumière, Bigarré, Vivifiant, ô Péan, ô Fécond,O Verdoyant, ô Pur, Dieu immortel, Père de la durée,O Calme, ô Visible par tous, Œil de toute part sur l’univers créeO toi qui éteins et qui rallumes les rayons de la belle lumière.316

En nous référant à l'ouvrage de Léon Bopp 317, nous avons découvert avec surprise qu'il y avait 63 occurrences du mot « soleil » alors que «  ténèbres » ne se compte que 23 fois. Le soleil est même divinisé comme dans Le coucher de soleil romantique318 :

Que le soleil est beau quand tout frais il se lève,

Bienheureux celui-là qui peut avec amour Saluer son coucher plus glorieux qu'un rêve!

Mais je poursuis en vain le Dieu qui se retire; (v. 1, 3 – 4 et 9)

Maurice de Guérin rêve aussi de suivre le soleil couchant. L’horizon devient «  pour [lui] le symbole de la dualité de l’homme, déchiré entre son appartenance à la terre et sa vocation céleste, « écartelé à deux mondes », « un pied dans le fini et l’autre dans l’infini319. » Pour mettre fin à cette hésitation douloureuse, le poète voudrait pouvoir franchir l’horizon qui sépare les deux mondes. La course du soleil couchant lui offre l’exemple d’une telle transgression 320 » :

Ma Délivrande est là. Dans ses heures secrètes,314 Cf. p. 42.315 Le crépuscule du matin.316 Orphée (VI e siècle av. J. C, Hymne au soleil. Traduit par Robert Brasillach in Poésie 1, le magazine de la poésie. Dossier : Les poètes et le cosmos. N° 17, mars 1999, p. 25.317 Psychologie des FM, Genève, Droz, 1964.318 O. C, I, 149, v. 9.319 Journal (9 mai 1831 ) in Oeuvres complètes I, op. cit. , p. 171.320 M. Collot, L’horizon fabuleux, op. cit. , p. 48.

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Mon esprit va toujours creusant quelques retraites, Rêvant de longs sommeils, des calmes dans la nuit, Des creux sans mouvement et des vagues sans bruit. Mais comme vous, il va recherchant ses demeures Des côtés où l’on voit le dernier point des heures. Le soleil qui chancelle aux montagnes touchant… Tout ce que nous cherchons n’est-il pas au couchant ? 321

« [ La] hantise du retrait du divin trouve dans la scène crépusculaire une occasion privilégiée de s’exprimer … [ le] crépuscule des dieux … se confond avec celui de l’astre déclinant derrière l’horizon occidental :

L’un des quatre enfants, qui depuis quelques secondes n’écoutait plus le discours de son camarade et observait avec une fixité étonnante je ne sais quel point du ciel, dit tout à coup : «  Regardez, regardez là-bas … ! Le voyez-vous ? Il est assis sur ce petit nuage isolé, ce petit nuage couleur de feu, qui marche doucement. Lui aussi, on dirait qu’il nous regarde. » « Mais qui donc ? » demandèrent les autres. « Dieu ! » répondit-il avec un accent parfait de conviction. « Ah ! il est déjà bien loin ; tout à l’heure vous ne pourrez plus le voir. Sans doute il voyage, pour visiter tous les pays. Tenez, il va passer derrière cette rangée d’arbres qui est presque à l’horizon … et maintenant il descend derrière le clocher … Ah ! on ne le voit plus ! » Et l’enfant resta longtemps tourné du même côté, fixant sur la ligne qui sépare la terre du ciel des yeux où brillait une inexprimable expression d’extase et de regret.322

L’Absolu « apparaît désormais inaccessible comme l’horizon lui –même et comme le soleil qui s’y couche323. »

On peut lier le mythe solaire chez Nerval  à celui de Napoléon. En effet, le retour des cendres de ce dernier en 1840, donna naissance à un renouveau bonapartiste. Le mythe solaire est visible dans les sonnets de 1841-1846 : A Hélène de Mecklembourg, A Louise d’Or…, reine, A Madame Ida Dumas et La tête armée. Les vers 1-2 du sonnet A Hélène de Mecklembourg 324 se réfèrent au mariage de cette princesse avec le duc d’Orléans (30 mai 1837, Fontainebleau). Dans ce décor, « Gérard imagine une fantasmagorique réconciliation des dynasties et des peuples (v. 3-8) »325Le seul qui s’attache à la mante de Catherine de Médicis(v. 11), c’est « un autre personnage, bien vivant, le seul prétendant sérieux aux yeux de Gérard, c’est-à-dire le prince Louis - Napoléon326. »

Napoléon signifie véritable exterminateur, véritable Apollon, c’est donc véritablement le soleil. 

Selon les mêmes fables, Napoléon eut deux femmes, aussi en avait-on attribué deux au Soleil. Ces deux femmes du Soleil étaient la Lune et la Terre. Avec cette différence bien remarquable que de l’une (c’est-à-dire de la Lune) le Soleil n’eut point de postérité ; et que de l’autre il eut un fils, un fils unique, c’est le petit Horus, fils d’Osiris et d’Isis, c’est-à-dire du Soleil et de la Terre, comme on le voit dans L’histoire du ciel [de l’abbé Pluche], t. I, pages 61 et suivantes. C’est une

321 La Delivrande, in O. C, I, op. cit. , p. 135.322 O. C, I, « Le Spleen de Paris », Les vocations, 332 – 333.323 M. Collot, L’horizon fabuleux op. cit. , p. 86.324 O. C, I , 733.325 J. Richer, Nerval, expérience et création, op. Cit. , p. 65.326 Ibid. , p. 67.

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allégorie égyptienne, dans laquelle le petit Horus, né de la Terre fécondée par le Soleil, représente les fruits de l’agriculture ; et précisément, on a placé la naissance du prétendu fils de Napoléon au 20 mars, à l’équinoxe du printemps, parce que c’est au printemps que les productions de l’agriculture prennent leur grand développement.327

J. Richer 328 rapproche ce paragraphe des deux sonnets de Nerval intitulés A Louise d’Or, reine et Horus, le second de ces poèmes reproduisant en grande partie le premier. Napoléon (Horus) du premier sonnet (v. 9) est remplacé dans le second par « l’esprit nouveau »(v. 9) Dans Le Christ aux Oliviers329, l’ « orbite330 » est l’image du divin visible à l’homme et de l’absence de Dieu […]L’œil en est venu à désigner la divinité, en s’identifiant au soleil qui en est le reflet visible. Ce hiéroglyphe est lié à une théologie du feu et de la lumière. C’est pourquoi on le rencontre chez les divers auteurs néo-platonisants que Nerval lisait et, en particulier, dans les œuvres Marsile Ficin et de Jacob Boehme331. » Aux vers du Christ aux Oliviers répondent les vers d’Horus332 :

Immobile destin, muette sentinelle,

Froide nécessité ! …Hasard qui t’avançant Parmi les mondes morts sous la neige éternelle, Refroidis par degrés, l’univers pâlissant,

Sais-tu ce que tu fais, puissance originelle, De tes soleils éteints, l’un l’autre se froissant… Es-tu sûr de transmettre une haleine immortelle, Entre un monde qui meurt et l’autre renaissant ? … (v. 29 - 36)

Le voyez-vous ? dit-elle, il meurt, ce vieux pervers Tous les frimas du monde ont passé par sa bouche, Attachez son pied tors, éteignez son œil louche, C’est le dieu des volcans et le roi des hivers ! (v. 5-8)

Si Dieu est lumière et aussi comme le croyaient Boehme et Nerval, chaleur tempérée, la mort progressive ou brutale de l’univers doit se traduire par des images d’obscurité et de refroidissement[…]D’ailleurs, le nouvel Apollon (Napoléon) lui-même n’avait-il pas été vaincu par le général Hiver ?333 »

Dans Erythréa334 est rendu un culte au soleil par « la Prêtresse au visage vermeil » (v. 12) « qui est à la fois la reine Sibille, Balkis, Amary… 335 »

Accueilli avec bonheur, craint, admiré et même divinisé, le soleil recèle

327 J. Baptiste Pérès, Comme quoi Napoléon n’a jamais existé ou confession du diable converti, cité par Robert Amadou in J. Richer, op. cit. , p. 68. J. B. Pérès est ironique328 op. Cit. , p. 68.329 O. C I , 736-738.330 V. 23.331 Jean Richer, op. cit. , p. 72332 O. C, III, 646.333 J.Richer, op.cit, p. 73.334 O. C, III, 759.335 J. Richer, op.cit, p.192.

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réellement une symbolique complexe, proche de l’ambiguïté.

2.1.3. L’ambiguïté

Le poète a besoin de la nuit pour devenir créateur (Paysage, v. 15-16). Confession 336 insiste sur  le caractère quasi religieux de son apparition.

Et la solennité de la nuit, comme un fleuve,Sur Paris dormant ruisselait. ( v. 7 - 8)

Mais il y a aussi des nuits obscures et sans étoiles. Dans Le Coucher du soleil romantique 337, le paysage nocturne laisse une impression macabre:

L'irrésistible nuit établit son empire, Noire, humide, funeste et pleine de frissons;

Une odeur de tombeau dans les ténèbres nage, Et mon pied peureux froisse, au bord du marécage, Des crapauds imprévus et de froids limaçons. (v. 10-14)

La nuit dans les FM est en effet souvent liée à la mort et à la Sépulture338:

Si par une nuit lourde et sombreUn bon chrétien, par charité, Derrière

quelque vieux décombre Enterre votre corps vanté,

A l’heure où les chastes étoilesFerment leurs yeux appesantis, (v. 1 – 6)

La nuit sans étoiles, ce sont les ténèbres avec leur cohorte d’animaux et d’êtres maléfiques : « l’araignée339 », signe de malheur, « la vipère340 » venimeuse, « les loups 341«, porteurs de légendes effrayantes,  « les sorcières 342» qui jettent des sorts et enfin les « noirs filous343 » (v. 14). Le paysage est réellement infernal.

Baudelaire semble admirer certains animaux nocturnes comme Les hiboux344 :

Sous les ifs noirs qui les abritent, Les hiboux se tiennent rangés, Ainsi que des dieux étrangers, Dardant leur oeil rouge. Ils méditent.

Sans remuer ils se tiendront 336 O. C, I, 45-46.337 O. C, I, 149. 338 O. C, I, 69.339 V. 7.340 V. 8.341 V. 11342 v. 12.343 V. 14.344 O. C, I, 67.

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Jusqu'à l'heure mélancolique Où, poussant le soleil oblique Les ténèbres s'établiront. (v. 1 – 8)

«  Le hibou ou la chouette apparaissent dans la mythologie antique comme le symbole de la déesse Pallas Athéna, la protectrice d'Athènes [...] Athéna ( en latin Minerve) étant la déesse de la Sagesse, le hibou symbolise la connaissance et le savoir qui réussissent à percer les ténèbres de l'ignorance... »345

Leur attitude au sage enseigne Qu'il faut en ce monde qu'il craigne Le tumulte et le mouvement ; (v. 9 – 11)

«  La chouette et le hibou ont, en revanche, une signification négative dans les croyances populaires, en raison de leur mode de vie nocturne (... ), de leur caractère asocial, de leur vol silencieux et de leur voix plaintive346. » Dans le poème, les hiboux symbolisent plutôt, la sagesse, le retrait du monde agité que la connaissance et le savoir. Le poète voudrait pouvoir les imiter. «  Il est bien possible qu'en écrivant Les Hiboux Baudelaire ait traduit aux derniers mois de la deuxième République, son dégoût, comme sa défiance et son besoin de retraite, de recueillement. On notera qu'aux premiers mois de 1852 Baudelaire voudra créer avec des amis un périodique, Le Hibou philosophe347 . »

Nerval lui, n’apprécie pas les phalènes, grands papillons nocturnes :

Je hais aussi les Phalènes, Ces lourds hôtes de la nuit, Qui voltigent dans nos plaines.348

La Nuit est parfois clairement assimilée à la mort  : « Et quand l’heure viendra d’entrer dans la Nuit noire, / Elle regardera la face de la Mort349. » La vision des nuits épaisses et sans recours acquiert sa plénitude d'expressivité dans L'irréparable350 :

Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir ? Peut-on déchirer des ténèbres Plus denses que la poix, sans matin et sans soir

Sans astres, sans éclairs funèbres? Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir?

L'espérance qui brille aux carreaux de l'Auberge Est soufflée, est morte à jamais!

Sans lune et sans rayons, trouver o`u l'on héberge Les martyrs d'un chemin mauvais!

Le Diable a tout atteint aux carreaux de l'Auberge! (v. 21 - 30)

345 Encyclopédie des symboles, op. cit. , p. 307.346 Ibid. , p. 307.347 O. C, I, Notes et variantes, p. 902348 O. C, I , Les papillons, 332-335, v. 71 – 73.349 O. C, I, Allégorie, 116, v. 18 – 19.350 O. C, I, 54-55.

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Les nuits d’Edward Young (très lues en France après 1770) et les Hymnes à la nuit de Novalis (1800) ont été des « jalons essentiels vers l’élaboration de cette mystique de l’obscur, qui est une façon d’entretenir le pressentiment d’une autre vie possible, où la vérité du clair-obscur, celle qu’aperçoivent les yeux de l’âme, l’emporterait sur la dure clarté cartésienne. Dans la deuxième moitié du XVIII e siècle, le thème lugubre incorpore ainsi la poésie de la ruine et du sépulcre, que seule permet d’apprécier vraiment l’étrange douceur lunaire351. » Ce courant est stimulé par la parution entre 1815 et 1817 des Contes nocturnes d’Hoffmann et s’accompagne chez certains d’un goût prononcé pour le satanique et le fantastique. « L’œuvre poétique, romanesque et picturale de Victor Hugo se présente, quant à elle, comme une vaste antithèse formée par une ombre compacte (l’obscurité est ce fond de toutes choses qui n’autorise que la contemplation, puisqu’elle rend l’observation impossible) et par le rayon de lumière – antithèse où tiennent le mystère et l’espoir du monde352. »

« L’inspiratrice par excellence, la Vénus noire, symbole de la nuit, du mal, de l’enfer, participe à l’ambiguïté du sacré […]Un poème des FM nous offre une variation […] remarquable sur la formule biblique : nigra sum sed formosa 353 » :

Dans les caveaux d’insondable tristesseOù le destin m’a déjà relégué ; Où jamais un rayon rose et gai ; Où, seul avec la nuit, maussade hôtesse,

Par instants brille, et s’allonge, et s’étale Un spectre fait de grâce et de splendeur. A sa rêveuse allure orientale,

Je reconnais ma belle visiteuse : C’est elle ! noire et pourtant lumineuse.354

D’ailleurs, la nuit est souvent sexualisée (cf. sexualisation du paysage, p. 51) : « Je t’adore à l’égal de la voûte nocturne355. » Sed non satiata356est une incantation satanique à la femme déifiée, à la nuit incarnée dans la femme : « Bizarre déité, brune comme les nuits 357. »

« La comparaison de l’hiver et de la vieillesse est une des plus traditionnelles

351 Simone Delattre, Les Douze heures noires. La nuit à Paris au XIX e siècle. Albin Michel, « L’évolution de l’humanité », 2000. in Libération– Cahier Livres du 16 /11/2000 : analyse par Dominique Kalifa et extraits.

352 Ibid.353 Léon Cellier, Baudelaire et l’oxymoron, op. cit. , p 197.354 OC, I, Les ténèbres I, Un Fantôme, p 38, v 1-4, 9-11, 13-14.355 O. C, I, 27.356 O. C, I, Sed non satiata, 28.357 V. 1.

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qui soient, et pourtant », dans Ciel brouillé 358, elle étonne par une sorte de fraîcheur et de surprise. Ce sentiment tient à l’équivoque constante qui joue entre les deux motifs (le paysage et la femme aimée)[…] et dont le point d’aboutissement, à la dernière (strophe), marque la parfaite fusion, enfin réalisée dans un symbole achevé 359 »:

O femme dangereuse, ô séduisants climats ! Adorerai-je aussi ta neige et vos frimas, Et saurai-je tirer de l’implacable hiver Des plaisirs plus aigus que la glace et le fer ? ( v. 13 - 16)

Baudelaire a aimé ce paysage d’hiver de M. Lavielle exposé au Salon de 1859 et en fait ressortir l’ambiguïté : « Dans la tristesse de ce paysage, qui porte la livrée obscurément blanche et rose des beaux jours d’hiver à leur déclin, il y a une volupté élégiaque irrésistible que connaissent tous les amateurs de promenades solitaires [… ] La blancheur de la neige fait un contraste agréable avec l’incendie du soir qui s’éteint lentement derrière les innombrables mâtures de la forêt sans feuilles 360. » Dans le poème Brumes et pluies 361, si le poète n’invoque pas directement la mort, il choisit de fusionner avec un paysage qui en contient toutes les prémisses :

Dans cette grande plaine où l’autan froid se joue, Où par les longues nuits la girouette s’enroue, Mon âme mieux qu’au temps du tiède renouveau Ouvrira largement ses ailes de corbeau.  (v. 5 - 8)

Comme Le crépuscule du matin 362, le crépuscule du soir est rose sur Le balcon363 : « Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon, / Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses. (v. 5 – 6) » Mais il faut souligner qu’ici ( cela est rare chez Baudelaire), c’est la sérénité de l’amour heureux qui domine. Le poème est composé de quintils dont le dernier vers reprend le premier vers avec un effet de litanie. C’est le bonheur qui est répété. Ce procédé, assez représenté dans la poésie romantique anglaise et utilisé par Poe (qui a inspiré Baudelaire sur ce point) est appelé en anglais le « repentend. » L’objet éponyme, le balcon, qui donne son titre au poème, est un lieu ambigu, qui permet à la fois d’être et de voir à la fois dedans et dehors. L’intérieur et l’extérieur disent tous deux l’harmonie. Les « vapeurs roses » (v. 7), l’espace « profond » (v. 12), les beaux soleils couchants et la chaleur (v. 11) contribuent à composer un paysage idéal. A l’intérieur règne « la douceur » (v. 4) et la chaleur préservée (« l’ardeur du charbon », v. 6 et 10)

Cependant, des éléments inquiétants interviennent :  la « cloison » de la nuit est un indice de séparation et la femme aimée est ambiguë, à la fois « douceur » et « poison » (v. 18).

« Les deux derniers quintils

358 O. C , I, 49-50.359 Robert-Benoit Chérix, op. cit. , p 193.360 Baudelaire, critique d’art, suivi de Critique musicale. Edition établie par Claude Pichois. « Folio essais », Gallimard, 1992, « Salon de 1859 », p 324.361 OC, I, 100-101.362 Baudelaire, O. C, I, 103 – 104.363 Ibid. , 36 – 37.

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consacrés au souvenir et à l’art poétique sont également ambigus : certes le poète est sûr de son art (v. 21) mais il n’est pas sûr que le passé puisse renaître (v. 27 – 29) Cependant, c’est bien, perdu à jamais ou préservé par l’art, le paradis de l’amour et du bonheur qui l’emporte comme l’indique le dernier vers particulièrement lyrique364. » Une gravure fantastique365 a pour cadre un cimetière. Il répond à Harmonie du soir366comme son envers grinçant et sardonique ; au poète religieux a succédé le poète – bouffon :

Ce spectre singulier (…)

Sans éperons, sans fouet, il essouffle un cheval,Fantôme comme lui, rosse apocalyptique,Qui bave des naseaux comme un épileptique.Au travers de l’espace ils s’enfoncent tous deux,Et foulent l’infini d’un sabot hasardeux.

Le cavalier (...) (…) parcourt, comme un prince inspectant sa maison,

Le cimetière immense et sans horizon,Où gisent, aux lueurs d’un soleil blanc et terne,Les peuples de l’histoire ancienne et moderne. (v. 1, 4 – 9 et 11 – 14)

Tout est réuni pour créer un paysage de cauchemar : deux fantômes dans un cimetière, la maladie (« épileptique »), le « froid » (v. 12), la couleur « terne » du soleil et surtout l’absence d’horizon (v. 12), c’est - à – dire, l’absence d’avenir

Le titre « Le Guignon367 » introduit une légère dissonance avec la tonalité globale de ce sonnet d’octosyllabes : la musicalité et la noblesse du poème ne se retrouvent pas dans l’expression familière de « guignon » qui signifie « malchance. » Parfois, Baudelaire nie ce terme, parfois il en fait l’auréole d’un créateur de génie comme Poe. « La réflexion sur l’art est centrale dans ce poème dont les deux quatrains s’inspirent des poètes anglais Thomas Gray et Longfellow. 368» Le début du poème insiste sur la difficulté de la création poétique par la comparaison avec Sisyphe (v. 2) : comme le spleen, le guignon est un poids qui écrase :

Loin des sépultures célèbresVers un cimetière isolé,Mon cœur, comme un tambour voilé,Va battant des marches funèbres.

-Maint joyau dort enseveli Dans les ténèbres et l’oubli, Bien loin des pioches et des sondes ; (v. 5 – 11)

« Baudelaire est bien lui-même ce bijou endormi, enseveli, cet être séparé de son être, cette conscience toujours distante d’elle-même et de son objet, perdue dans

364 F. Court – Perez, op. cit. , p. 42 – 43.365 O. C, I, 69 – 70.366 Ibid. , 47.367 O. C, I, 17.368 F. Court – Perez, op. cit. , p. 66.

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l’insondable369 », dans un « cimetière isolé » (v. 6) et les « ténèbres » (v. 10). Nous sommes aux antipodes de poèmes comme Correspondances ou Elévation qui célèbrent les pouvoirs du poète. «  Mais cette distance est ambiguë : elle enveloppe une proximité, elle suggère une intimité. Le joyau est seulement endormi, il peut toujours s’éveiller, devenir fleur (v. 12-14), […]370. »

Nocturne, ténébreuse, crépusculaire ou hivernale, l’ambiguïté est très présente dans les FM et nous ne pouvons pas être exhaustifs.

La lumière et les saisons poétiques, à travers leur représentation antithétique, ambivalente ou ambiguë (qu’il est parfois difficile de démêler) participent à des paysages complexes. Grâce à ses études en plein air, Léonard percevait déjà fort bien que la vision de la nature était sujette à des variations en fonction de l'ombre et la lumière, de l'heure de la journée, du temps et de la saison.

Nous avons évoqué la sexualisation de la nuit (p. 48) mais d’autres éléments du paysage subissent cette transformation.

2. 2. La sexualisation du paysage.

« Le lieu de prédilection où s'opère l'activité imaginative du poète est le corps féminin ( essentiellement imparfait, car voué au dépérissement) qui rarement nous laisse le goût amer de la finitude après que Baudelaire en a fait le lieu secret de ses métamorphoses 371. »

Le poète utilise le corps tout entier (2. 2. 1) ou l’une de ses parties (2. 2. 2 à 2. 2. 5)

2. 2. 1. Le corps tout entier.

Pour métamorphoser le corps féminin en paysage, Baudelaire utilise d'abord la synesthésie: il «  établit une relation entièrement subjective qui s'opère instantanément entre une perception et une image appartenant au domaine d'un autre sens 372. » Ainsi, dans Parfum exotique373, la correspondance s'établit entre l'odorat et la vision pour composer à partir du corps de Jeanne Duval un paysage marin paradisiaque :

 Quand les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne, Je respire l'odeur de ton sein chaleureux, Je vois se dérouler des rivages heureux Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone; (v. 1-4)

369 J. P Richard, « Profondeur de Baudelaire », op. cit. , p. 93.370 Ibid. , p. 93.371 Emmanuel Adatte, op. cit. , p. 116.372 Ibid. , p. 116.373O. C, 25-26

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« Cette profonde complémentarité du sensible et du spirituel vient alors trouver son achèvement dans le titre du poème lui-même, Parfum exotique, qui suggère à la fois l'odeur du parfum et un paysage emprunté à un espace lointain374. » Dans Le Balcon375 après une  invocation à la femme aimée, les analogies s'enchaînent les unes aux autres et suggèrent un paysage enveloppé de tièdes désirs  :

Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées! Que l'espace est profond! que le cœur est puissant! En se penchant vers toi, reine des adorées, Je croyais respirer le parfum de ton sang Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées! (v. 11 - 15)

Ce poème respire l'harmonie, non seulement dans le paysage, mais aussi entre l'homme et la femme. Cependant, on sait que les amours du poète ont rarement été heureux. En idéalisant la femme, il prend une revanche imaginaire sur elle. Dans Le Beau Navire 376 , « Baudelaire épèle le monde grâce au corps de Jeanne (Duval)  377 » :

Quand tu vas balayant l’air de ta jupe large, Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large, . Chargé de toile, et va roulant Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.

Ta gorge triomphante est une belle armoire

Tes nobles jambes, sous les volants qu’elles chassent, Tourmentent les désirs obscurs et les agacent,

Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses, Ta tête se pavane avec d’étranges grâces ; .

D’un air placide et triomphant Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.  (v. 5 - 8, 18, 29-30 et 37 - 40)

La géante 378 est une montagne qui donne de l’ombre à un paysage tranquille, brûlé par le soleil et le poète aimerait :

Parcourir à loisir ses magnifiques formes ;

Et parfois en été, quand les soleils malsains,

Lasse, la font s’étendre à travers la campagne, Dormir nonchalamment à l’ombre de ses seins, Comme un hameau paisible au pied d’une montagne. (v. 9, 11 et 12 – 14)

« Le mythe de « la Géante » hantera Baudelaire toutes les fois qu’il évoquera la nostalgie de la Nature mère et refuge379. »

374 E. Adatte, op. Cit. , p. 119.375 O. C, I, 36. 376 O. C, I, 51.377 Michel Deguy, Le corps de Jeanne in Poétique numéro 3, 1970, p 335.378 O. C, I, 22-23.379 Anne-Marie Amiot, op. cit. , p. 396.

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Le possédé380confirme que la lune est un astre féminin qui ressemble ici à Jeanne Duval obscurcie par la maladie : « O lune de ma vie ! emmitoufle-toi d’ombre381 ; »

Baudelaire retient parfois  dans le corps de la femme, donné initial, l’élément qui permet le mieux l'exploration et le  voyage » spirituels. On appelle ce procédé poétique, « analogie. » En fait, le poète retient plusieurs éléments :

2. 2. 2. La chevelure.

La chevelure 382 , par son ondoiement et son parfum, se métamorphose en un paysage inconnu de Baudelaire 383  mais cette lacune est compensée par la puissance de l'imagination. « Et l'univers engendré par l'analogie est très souvent plus vaste que le donné initial à partir duquel il a pris son essor. Pour cette raison, l'analogie ressortit de l'infini diminutif : « Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues, / Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond 384. » « A partir d’une chevelure « noir océan où l’autre est enfermé 385», se déploie ainsi toute une chaîne terrestre d’images, de souvenirs, de paysages386. »

2. 2. 3. Le visage.

«[ La] réciprocité du dedans et du dehors culmine dans l’expérience amoureuse. […] L’être aimé s’y montre inséparable de l’horizon, selon une relation elle aussi parfaitement réversible, qu’exprime notamment la rime visage / paysage, rebattue mais significative […] L’objet aimé est associé électivement par métaphore ou métonymie avec l’horizon du paysage387. »

Il en est ainsi dans Madrigal triste388. On s'interroge sur l'inspiratrice de ce poème. Le titre est un oxymoron. Ainsi le madrigal est une courte pièce de vers exprimant une pensée ingénieuse et galante. Or, ce madrigal n'est pas galant mais « triste » et c'est le sadisme qui domine; c'est lorsqu'elle pleure que le poète préfère la femme:

Que m'importe que tu sois sage? Sois belle! et sois triste! Les pleurs Ajoutent un charme au visage, Comme le fleuve au paysage; L'orage rajeunit les fleurs. (v. 1-5)

380 Ibid. , 37..381 v. 2.382 O. C, I, 26.383 V. 6 – 7.384 V. 26 – 27.385 V. 21.386 J. P Richard, « Profondeur de Baudelaire », op. cit. , p. 102.387 M. Collot, L’horizon fabuleux, op. cit. , p. 65 – 66.388 O. C, I, 137-138.

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Le visage ravagé par les larmes se confond avec un paysage maussade et tourmenté (« orage »). Madame Sabatier est comparée dans A celle qui est trop gaie389 à un « beau paysage » (v. 2) et « Le rire joue en ton visage / Comme un vent frais dans un ciel clair. »(v. 3-4) Mais le spleen (/« mélancolie », étymologiquement : « humeur noire », c’est-à-dire « venin 390 » est présent :

Et, vertigineuse douceur !A travers ces lèvres nouvelles, Plus éclatantes et plus belles,T’infuser mon venin, ma sœur ! (v. 33-36)

Cette allégorie – comme beaucoup d’autres des FM- a été mal comprise : « Les juges ont cru découvrir un sens à la fois sanguinaire et obscène dans les deux dernières stances. La gravité du recueil excluait de pareilles plaisanteries. Mais venin signifiant spleen ou mélancolie est une idée trop simple pour des criminalistes. Que leur interprétation syphilitique leur reste sur la conscience391. » L’interprétation syphilitique est du fait de Baudelaire ! Le Léthé392 coule dans les baisers de la femme aimée (v. 16) et le poète veut dormir (v. 9) pour échapper au gel, au spleen qui menace sa conscience.

2. 2. 4. Les yeux.

Dans le Ciel brouillé393 - comme dans La chevelure ( cf. page précédente) les analogies se succèdent selon le système de l'infini diminutif jusqu'à: « Comme tu resplendis, paysage mouillé/ Qu'enflamment les rayons tombant d'un ciel brouillé! »( v. 11-12). Or ces deux vers confèrent au poème une plus grande indétermination encore, puisque ce « paysage mouillé », à l'image du regard de la femme » (certainement Marie Daubrun) «  d'une vapeur couvert » (v. 1), ne peut être mentalement immobilisé par le lecteur394. » Il s'agit d'un « dépassement du réel » qui atténue l'angoisse des derniers vers fondés sur une analogie, entre la femme aimée et cruelle et l'hiver « implacable » :

O femme dangereuse, ô séduisants climats! Adorai-je aussi ta neige et vos frimas, Et saurai-je tirer de l'implacable hiver Des plaisirs plus aigus que la glace et le fer? (v. 13-16)

De même dans L'invitation au voyage395, le regard féminin et le paysage évoqué par celui-ci sont marqués par l'indétermination :

Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour

mon esprit ont les charmes Si 389 O. C, I, 156-157390 Ed. du « Club du Livre », Yves Florenne, t. I, p. 1031 », cité par A. M Amiot, op. cit. , notes, p. 252.391 Note de l’éditeur en bas de page, cité par A. M Amiot, op. cit. , p. 252.392 O. C, I, 156.393 O. C, I, 49-50.394 Emmanuel Adatte, op. cit. , p. 132.395 Baudelaire, O. C, I, 53 – 54.

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mystérieux De tes traîtres yeux Brillant à travers leurs larmes. ( v . 7-12).

Ici, contrairement au poème précédent, le regard et le paysage évoquent le bonheur. Ils estompent l'image d'un Baudelaire perpétuellement triste. L’œil de la passante396 est un « ciel livide où germe l’ouragan397. » Les yeux de la femme sont des lumières, des feux, des pierres précieuses ; ils constituent même Le flambeau vivant398 qui guide le poète :

Ils marchent devant moi, ces Yeux pleins de lumières,Qu ‘un Ange très savant a sans doute aimantés ;Ils marchent ces divins frères, qui sont mes frères,Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés.

Me sauvant de tout piège et de tout péché grave,Ils conduisent mes pas dans la route du Beau ;Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave ;Tout mon être obéit à ce vivant flambeau. (v. 1 – 8)

Ils sont comparés à des astres plus forts que le soleil :

Charmants Yeux, vous brillez de la clarté mystiqueQu’ont les cierges brûlant en plein jour ; le soleilRougit, mais n’éteint pas leur flamme fantastique ;

Ils célèbrent la Mort, vous chantez le Réveil ;Vous marchez en chantant le réveil de mon âme,Astres dont nul soleil ne peut flétrir la flamme ! (v. 9 – 14)

En fait, les yeux sont divinisés (« ces divins frères », v. 3) ; d’ailleurs, le poème est truffé de termes religieux : « un Ange » (v. 2), « péché » ( v. 5), « mystique » (v. 9) et « cierges » (v. 10). Les yeux verts ont la couleur de l’eau douce où le poète voit son reflet mais ces « lacs » sont dangereux ; ils contiennent Le poison399  (cf. couleurs des yeux, p. 90) Baudelaire a une prédilection pour les yeux de la femme remplis de larmes qui voile son regard comme un brouillard (cf. p. 33).  « L'imagination du poète est telle qu'il ne supporte la lumière que tamisée. Certains yeux brillent d'un éclat si vif et si froid que leur lumière serait insoutenable si les larmes, comme une buée, un brouillard, ne venaient adoucir cet éclat  400 » :

J'eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme Et grandir librement dans ses terribles yeux; Deviner si son cœur couve une sombre flamme Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux ; 401

396 O. C, I, A une passante, 92 – 93.397 v. 7.398 Baudelaire, O. C, I, 43 – 44.399 O. C, I, 48 – 49.400 L. Cellier, Le poète et le monstre in Parcours initiatiques, op. cit. p. 250.401 O. C, I, La géante, 22, v. 5 – 8.

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« [La brume] figure […]le terrain neutre et pourtant sympathique que traverse la lueur pour se faire splendeur, la flamme du soleil pour devenir chaleur humaine. Elle tamise, amortit de son humidité, éparpille dans sa granulation infinie l’éclat d’abord insoutenable de l’être. Seul ce brouillard aura le pouvoir de l’amener au feu solaire, ces larmes de l’introduire dans l’intimité d’un cœur402. » Ce poème est teinté de sadisme comme Le Masque403 :

Pauvre grande beauté! Le magnifique fleuve De tes pleurs aboutit dans mon cœur soucieux; Ton mensonge m'enivre et mon âme s'abreuve Aux flots que la Douleur fait jaillir de tes yeux! (v. 25 - 28)

Baudelaire s'unit à la beauté par l'intermédiaire de la Douleur et une sorte de sacrement, de communion; le poète boit les larmes de la Beauté en pleurs qui s'écoulent comme un « magnifique fleuve404. » Le sadisme atteint son paroxysme dans L’héautontimorouménos405

Je te frapperai sans colèreEt sans haine, comme un boucher,Comme Moïse le rocher !Et je ferai de ta paupière,

Pour abreuver mon Saharah,Jaillir les eaux de la souffrance.Mon désir gonflé d’espéranceSur tes pleurs salés nagera

Comme un vaisseau qui prend le large,Et dans mon cœur qu’ils soûlerontTes chers sanglots retentirontComme un tambour qui bat la charge ! (v. 1- 12)

Le gouffre des yeux de l’aimée est aussi bien celui du squelette à venir de Danse macabre406 : « Le gouffre de tes yeux, plein d’horribles pensées407. » Pesanteur spatiale et allongement temporel du spleen se dialectisent dans l’image du gouffre(et ses équivalents)dont les occurrences sont nombreuses dans les FM : « Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis408. »

2. 2. 5. Le sexe.

Les promesses d’un visage 409 « est une variation sur le poème en forme de 402 J. P Richard, « Profondeur de Baudelaire », op. cit. , p. 109.403 O. C, I , 23-24.404 V. 25.405 Baudelaire, O. C, I, 78 – 79.406 O. C, I, 97-98.407 V. 37.408 O. C, I, Sed non satiata, 28, v. 8.409 OC, I, 163.

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« blason » du corps féminin  410 », composant un paysage nocturne :

 J’aime, ô pâle beauté, tes sourcils surbaissés, D’où semblent couler des ténèbres ; Tes yeux, quoique très noirs, m’inspirent des pensers Qui ne sont pas du tout funèbres 

Tu trouveras au bout de deux beaux seins bien lourds, Deux larges médailles de bronze, (v. 1- 4, 13 - 14)

On retrouve « l’atmosphère  « mignarde » du poème érotique du XVI e siècle411 » jusqu’à l’analogie finale entre la toison pubienne et la nuit :

Et sous un ventre uni, doux comme du velours, Bistré comme la peau d’un bonze,

Une riche toison qui, vraiment est la sœur De cette énorme chevelure, Souple et frisée, et qui t’égale en épaisseur ; Nuit sans étoiles, nuit obscure !  (v. 15 – 20)

Nous ne pouvons que faire le rapprochement avec le tableau de Gustave Courbet 412, L’origine du monde d’autant plus que le poème comme le tableau furent condamnés par la société de leur temps.

Nerval va plus loin que Baudelaire en totalisant le paysage.

2. 3. La totalisation du paysage chez Nerval.

Cette totalisation a pour source principale le mythe d’Isis et s’épanouit dans Les Chimères mais nous pouvons aussi l’observer ailleurs dans l’œuvre nervalienne.

Isis est une déesse polyvalente et polymorphe ; on la nomme Vénus, Uranie ou Cérès, Cybèle, Minerve, Paphienne … : « J’ai revêtu pour lui la robe de Cybèle…413 » Pour créer « sa » figure d’Isis, Nerval s’inspire, dans le Voyage en Orient, des Religions de l’Antiquité de Georg Friedrich Creuzer (1771-1858) : Isis est la Grande Déesse Mère et Epouse, maîtresse des trois mondes. Aurélia en est l’archétype. Quant au début du chapitre IV, il est emprunté à Apulée (L’Ane d’or) : Isis y apparaît rayonnante. « La conception ternaire de l’univers était celle des peuples de l’Orient sémitique et de la Kabbale, qui est aussi celle du catholicisme et en général, de la tradition occidentale : sphères célestes, esprits recteurs, univers visible, […]414 » De même qu’il existe trois mondes, il existe pour Nerval, trois Vénus. Le chapitre XVIII du Voyage en Orient s’intitule « Les Trois Vénus » : « la Vénus infernale, aînée des Parques appelée aussi Morpho, Libitina, Aposthrophia, identifiée à Hécate ; la

410 Anne-Marie Amiot, op. cit. , Notes, p 250.411 Ibid., p 232.412 Cf. p. 97.413 O. C, III, Horus, 646, v. 10.414 J. Richer, Nerval, expérience et création, op. cit. , p. 308.

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Vénus populaire, terrestre, Pandémos ou Cythérée ; et la Vénus céleste ou Uranie, Euploea, Pontia, qui a pour symbole l’Etoile et qu’il identifie à Artémis. Il confond volontairement les aspects lunaires et proprement vénusiens de la déesse415. » Au musée de Naples, se dressent trois statues d’Isis C’est de l’article de l’archéologue Carl-A. Böttiger, Die Isis Vesper qu’il tire Isis. « Diverses considérations [y] annoncent déjà l’étude sur La Thréicie de Quintus Aucler, qui verra le jour en 1851. C’est dans ces pages que s’exprime le plus nettement ce qu’on appelle parfois le « syncrétisme » religieux de Nerval. »416 La figure d’Isis elle-même est syncrétique : c’est l’Aset aux seins nus de l’Egypte pharaonique, devenue la grande Déesse du monde hellénistique.

S’il était vrai, selon l’expression d’un philosophe moderne [Joseph de Maistre], que la religion chrétienne n’eût guère plus d’un siècle à vivre encore, - ne faudrait-il pas s’attacher avec larmes et avec prières aux pieds sanglants de ce Christ détaché de l’arbre mystique, à la robe immaculée de cette Vierge mère, expression suprême de l’alliance antique du ciel et de la terre, - dernier baiser de l’esprit divin qui pleure et qui s’envole.417

Novalis, dans Les Disciples de Saïs a donné une expression valable au mythe d’Isis. Isis est encore l’une des figures de l’hermétisme : la déesse, par l’intermédiaire d’Hermès, a révélé à son fils Horus, le grand mythe de la création des âmes et de leur destinée. C’est la Kore Kosmou ou « pupille du monde » qui appartient au Corpus Hermeticum ou « Hermétisme savant. »

C’est l’enfant bien-aimé d’Hermès et d’Osiris !418

« Rappelons que la Veuve, dont les Maçons se disent les fils, est « Isis, personnification de la Nature, la mère universelle, veuve d’Osiris, le dieu visible qui éclaire les intelligences 419. » Enfin, Isis est l’Impératrice du tarot, symbole de la Nature féconde : « L’arcane III est figuré par l’image d’une femme assise au centre d’un soleil rayonnant. Cette femme, l’Isis céleste, ou la Nature, porte un sceptre surmonté d’un globe : c’est le signe de sa perpétuelle action sur les choses nées et à naître. De l’autre main, elle porte un aigle (« L’aigle a déjà passé, l’esprit nouveau m’appelle420 ») symbole des hauteurs sur lesquelles peut s’élever l’essor de l’esprit421. »

Dans l’esprit de Nerval, le culte d’Isis est associé à une véritable constellation de thèmes, où interviennent l’obsession de sa propre mère perdue, le symbolisme maçonnique et de multiples souvenirs de voyage et de lectures. Au regard de ces thèmes, nous pouvons avec J. Richer considérer Isis comme une « personnification de l’Anima mundi422. »415 J. Richer, op. cit. , p. 309.416 J. Richer, op. cit. , p. 504. 417 Quintus Aucler, cité par J. Richer, op. cit. , p. 504. cf. Les Illuminés, p. 69.418 Horus, v. 12.419 O. Wirth, Le Livre du Maître, p. 142. (Catéchisme interprétatif du grade de Maître) cité par J. Richer, Nerval, expérience et création, op. cit. , p. 507.420 O. C, III, Horus, 646, v. 9.421 Histoire de la magie de P. Christian, p. 116 cité par J. Richer, op. cit. , p. 507.422 J. Richer, op. cit. , p. 505 et 507.

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Martin Zimmermann423 se demande s’il n’y aurait pas un effet de totalisation dans la description du paysage rêvé de Fantaisie424 : « Le « couchant » (v. 8) renvoie au moment de transition qui relie le jour et la nuit. La lumière du soleil couchant transforme la couleur des objets ; le vert et le jaune se superposent. Le château de pierre « baigne ses pieds » (v. 12) dans l’eau entourée de fleurs. Ces espaces aquatiques, végétal et lithique se trouvent encore réunis dans une figure circulaire (« ceint », v. 11) On sait que la figure du cercle est une manière traditionnelle d’exprimer une totalité. La description de la « femme blonde aux yeux noirs » s’insère également dans cette série de totalisations 425. »

Le premier quatrain d’Erythréa (dont le premier état est le sonnet A madame Aguado)  nous propose le spectacle d’une gracieuse et sculpturale bayadère noire, à la fois Koré et Colonne (v. 1)Les mots saphir, azur, granit précisent la couleur foncée de la peau de la danseuse. En même temps, un paysage se dessine : la « colonne » d’un monument (v. 1), l’ « azur » (v. 3) du ciel, les « Ramiers » (v. 2) et la « Judée » (v. 4) comme pays. Les ramiers sont une allusion aux pigeons qui accompagnaient le spectacle d’Amany( la plus grande des bayadères d’après Nerval et Gautier) Comme souvent, chez Nerval, sont mêlés des pays éloignés les uns des autres. En effet, le titre lui-même est une « allusion à la Sibylle d’Erythrée, auteur présumée des oracles sur Rome[…] Gérard l’identifie à la reine Sibille, la noire Ethiopienne426. » De plus, Patani (v. 7) prendra pour Gérard le sens de «  Patna ou Hiero-Solime, la ville sainte », suivant une glose donnée par lui. Rappelons que Solime est un nom mystique de Jérusalem427. » De plus, dans la région de Bénarès, se situaient des villes ou régions nommées Patan, Pattan, Pitan, Patna. C’est ce que J. P Richard appelle la « géographie magique de Nerval428. » Erythréa est un écho assez proche du Cantique des Cantiques ( « Je suis noire mais je suis belle, filles de Jérusalem ») et rappelle le Nigra sum429…de Baudelaire.

Puisqu’il y a treize lunaisons dans une année solaire, le nombre treize est en relation avec la lune. Il en est de même pour Artémis430. Le titre du sonnet «  désigne évidemment Diane - Artémis, type de l’amazone- Madame de Feuchères, la chasseresse de Chantilly, se trouve assimilée à un mythe lunaire431. »

Des lumières et saisons poétiques qui modifient le paysage en passant par la sexualisation de ce dernier jusqu’à sa totalisation, Baudelaire et Nerval ont complexifié la construction typologique et construit une poétique du paysage qui parfois sa situe entre visible et invisible.

423 Nerval lecteur de Heine. Un essai de sémiotique comparative. L’Harmattan, 1999.424 O. C, I, 410-411.425 Martin Zimmermann, op. cit. , p. 159.426 Ibid., p. 189.427 Jean Richer, Nerval, expérience et création, op. Cit. , p. 191.428 Op. cit. , in Poésie et profondeur429 Un fantôme, v.15430 O. C III, 648.431 J.Richer, op. Cit. , p. 588.

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DEUXIEME PARTIE 

LE PAYSAGE ENTRE VISIBLE ET INVISIBLE.Nous évoquerons ici les correspondances (1), l’onirisation du paysage (2), la symbolique des couleurs (3) et les rapports entre paysage, poésie et peinture (4)

1. CORRESPONDANCES.

Nous avons choisi ce titre en référence aux Correspondances de Baudelaire

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mais si notre étude inclut ce célèbre poème, nous nous sommes aussi intéressés aux références occultistes (1. 1) de la théorie des correspondances (1. 2).

1.1. Les références occultistes.

On appelle sciences occultes les «  doctrines et pratiques secrètes faisant intervenir des forces qui ne sont reconnues ni par la science ni par la religion et requérant une initiation ( alchimie, astrologie, cartomancie, chiromancie, divination, magie, nécromancie, radiesthésie, sorcellerie, télépathie…)432. » Dans ce cadre, nous nous intéresserons ici à l'alchimie (1. 1. 1) et à l’illuminisme (1. 1. 2). Nous évoquerons aussi deux figures majeures de l’occultisme : Emmanuel Swedenborg (1. 1. 3) et Saint –Martin (1. 1. 4).

1. 1. 1. L’alchimie.

Dans l'imagination populaire, l'alchimie c'est « transformer le métal en or » et celui qui la pratique est au mieux un sorcier, au pire un charlatan. Mais l'alchimie va bien au-delà de la transmutation des métaux. En effet, «  les tentatives expérimentales des vrais alchimistes pour transmuter les métaux étaient entreprises, non pas pour s’enrichir mais avant tout pour contempler le jeu des vraies lois qui régissent la matière pour l'esprit433 . » Le mot «  alchimie » est apparu au XIII e siècle sous la forme alkimie, arkemie. Il est emprunté au latin médiéval alchemia, de l'arabe alkimiya; arabe dans sa forme mais grec dans sa racine: sans doute Khem, «  le pays noir » qui désignait l'Egypte dans l'Antiquité (peut-être le pays d'origine de l'art sacré). L'alchimie est un art occulte (et maudit), réservé à certains initiés. Elle repose sur une philosophie que l'on appelle «  hermétique. » Les « philosophes » sont dépositaires de la «  Science » par excellence, qui selon la tradition, avait été révélée par le «  Trois -fois-Grand Hermès » ( le thot égyptien ) ou Hermès Trismégiste. Trismégiste est le «  sage et prophète dont les écrits trouvent place parmi les nombreuses gnoses et révélations qui fleurirent durant la période hellénistique434. » Hermès, « sous le nom latin de Mercure veillait aux carrefours, guidait les voyageurs aussi bien que les brigands et conduisait les âmes des morts dans l’au – delà 435. » Enfin, le «  père de l'art d'Hermès » ( l'alchimie) «  recommandant de clore ( (hermétiquement ) le vase de transmutation afin que la matière ne pût s'échapper et, avec elle, l'espoir de réaliser le Grand Œuvre436 » La « grande marmite /Où bout l’imperceptible et vaste Humanité437 », pourrait être le chaudron alchimique, l’athanor. Dès la dédicace, Au lecteur438, c’est Satan, le chimiste, qui a instillé le venin du spleen et

432 Le nouveau Petit Robert de Paul Robert. Texte remanié et amplifié sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey. Dictionnaires Le Robert. Paris, 1993. p. 1518-1519.433 Serge Hutin, L’alchimie. « Que sais-je ? », PUF. 8e édition mise à jour, 1991.434 Françoise Bonardel, L’hermétisme. « Que sais-je ? », PUF, 1985, p. 3.435 F. Bonardel, L’hermétisme, op. cit. , p. 3-4.436 Ibid., p. 4.437 O. C, I, Le couvercle, 141, v. 13 – 14.438 O. C, I, 5-6.

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de l’ennui  et le Moi ne peut que se dissoudre ou se vaporiser :

Sur l’oreiller du mal c’est Satan TrismégisteQui berce longuement notre esprit enchanté,Et le riche métal de notre volontéEst tout vaporisé par ce savant chimiste. (v. 9-12)

Satan est assimilé à Hermès -Trismégiste sous le patronage duquel les FM sont placés :

Hermès inconnu qui m’assistesEt qui toujours m’intimidas,Tu me rends l’égal de Midas,Le plus triste des alchimistes ;

Par toi je change l’or en ferEt le paradis en enfer ;439

C’est un patronage maudit puisque le poète transforme non pas le « fer » en « or » mais le contraire ; il change aussi un paysage édénique (« paradis ») en paysage spleenétique (« enfer ») hanté par la mort  (v. 11 – 14) L’utilisation du mot « sarcophage » (au lieu de « tombeau » par exemple ) n’est pas innocente car l’alchimie serait née en Egypte (cf. page précédente). Certains décèlent dans les poèmes du spleen une influence de l’hermétisme. Le poète aurait connu le Poimandrès, livre de l’ « hermétisme savant [où] le Noûs-Dieu, en la personne de Poimandrès, révèle à Hermès Trismégiste [la] sagesse divine qui, […] constitue l’enseignement fondateur de […] la tradition hermétique440. » D’après Françoise Bonardel, « du Poimandrès, Baudelaire semble avoir retenu les thèmes dualistes et gnostiques qui trouveront un écho dans les évocations du Spleen441. » Le spleen ne peut en effet se définir qu’en jouant sur les contraires : « Je suis comme le roi d’un pays pluvieux, / Riche mais impuissant, jeune et pourtant très vieux442. »

« Néanmoins, au-delà de ces déchirements, Baudelaire ne cessa d’entrevoir un lieu et un état de possible apaisement par la réconciliation de la vie et de l’Art, par la voie de ces fameuses « correspondances443. » Les enseignements d'Hermès, «  furent consignés à l'époque alexandrine dans le Corpus herméticum (« Corps d'Hermès » ou « Corps hermétique » ), et plus particulièrement pour l'alchimie, dans la fameuse Table d'émeraude ( Tabula smaragdina), sur laquelle on voit encore travailler Isaac Newton au XVII e siècle444. » Cependant, l'alchimie est avant tout une pratique, reposant sur des théories - relatives entre autres à la constitution de la matière -postulats d'où partait l'alchimiste. Mais ce sont surtout les théories qui nous intéressent ici. Ainsi, l'unité de la matière est le postulat fondamental de l'alchimie théorique. «  Déjà Platon, dans son Timée 445 avait

439 O. C, I, Alchimie de la douleur, 77, v. 5 – 10.440 F. Bonardel, op. cit. , p. 10.441 Ibid. , p. 107.442 O. C, I, Spleen III, 74, v. 1-2.443 F. Bonardel, op. cit. , p. 107-108. cf. correspondances, p. 75.444 Encyclopédies des symboles, op. cit. , p. 303-304.445 Cf. p. 8.

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développé cette notion de la matière première, commune à tous les corps et apte à prendre toutes les formes 446. » L'alchimiste ne crée donc rien: il modifie la matière en changeant sa forme. « Cependant, les alchimistes distinguent deux principes opposés, le Soufre et le Mercure, auxquels ils associent un moyen terme: le Sel... ces noms ne désignent pas les corps chimiques du même nom, mais représentent certaines qualités de la matière :

Soufre Masculin Actif Chaud Fixe Matière première

Mercure Féminin Passif Froid Volatil

447

D'autre part, les alchimistes se basent sur la typologie grecque des quatre éléments ( Tetrasomia448) qui ne désignent cependant pas les réalités concrètes, dont ils portent les noms. Ce sont des états de la matière. « Les alchimistes distinguent deux éléments visibles, la Terre et l'Eau, renfermant en eux deux éléments invisibles, le Feu et l'Air, et font correspondre ces quatre éléments avec les quatre qualités traditionnelles ( chaud, froid, humide, et sec )449 » :

446 S. Hutin, op. cit, p. 69.447 Ibid. , p. 70-71.448 Cf. p. 8.449 S. Hutin, op. Cit. , p. 73.

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«  Une conception souvent utilisée est celle dite du cycle de Platon: il y a échange périodique continu entre les éléments ( le Feu se condense en Air; l'Air se change en Eau; l'Eau en se solidifiant, devient Terre; la Terre se change en Feu. Puis la transformation se reproduit en sens inverse )450. » L'alchimie et les sciences occultes en général ont eu une grande influence sur la littérature. Il n'est qu'à citer le Faust de Goethe ( 1808-1832 ) que l'on peut qualifier d'ouvrage ésotérique. Cet exemple est d'autant plus intéressant que Gérard de Nerval traduisit Faust ( le premier en 1827 et le second en 1840 ). Cette oeuvre eut une influence certaine sur la formation de la poétique nervalienne. De plus, Nerval a collaboré avec Dumas à l'écriture de l'Alchimiste, crée au théâtre de la Renaissance, le 10 avril 1839. «  Plus que d'un initié étroitement lié à une doctrine, Nerval fait figure en occultisme d'autodidacte passionné 451. » Ainsi, il a utilisé ses connaissances en matière d'occultisme dans les Illuminés452 mais aussi dans Aurélia. C’est que « pour la rêverie nervalienne aucun élément n’est en soi bénéfique ou maléfique. Tous deviennent bénéfiques en se conjuguant, maléfiques en s’opposant[…]L’entreprise de réanimation du monde à laquelle se livre Nerval devra donc commencer par réconcilier les divers éléments, ou, mieux encore, par les faire s’engendrer les uns les autres[…] ; l’acte alchimique poursuit le même but […]Après tout, ce qui tente Nerval ce n’est hors de lui qu’une transmutation du monde, en lui qu’une alchimie de son propre destin.453. » Enfin, en ce qui concerne notre corpus, ce n'est un secret pour personne que Les Chimères sont remplies de symboles ésotériques. Robert Amadou et Robert Kanters

450 S. Hutin, op. cit. , p. 73.451 Robert Kanters et Robert Amadou, Anthologie littéraire de l’occultisme, Seghers, 1975, p. 205.452 Cf. p. 67.453 Jean-Pierre Richard,”Géographie magique de Nerval”, op. cit, p. 48.

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dans leur Anthologie littéraire de l'occultisme 454nous donne une partie du commentaire d'El Desdichado par l'alchimiste Georges Le Breton455. D'après lui, les deux clés qui permettent de comprendre Les Chimères sont Les Fables égyptiennes et grecques et le Dictionnaire mytho-hermétique de dom Pernéty et la symbolique du Tarot vue à travers le tome VIII du Monde primitif de Court de Gébelin. Nous ne retiendrons nous-même que ce qui concerne la poétique du paysage. Ainsi «  Soleil noir456 » est une expression courante chez les alchimistes selon Pernety. Le « Soleil noir » évoque le principe d’unification. La «  rose » ( v. 8 ) désigne Vénus. De l'union de Mars et de Vénus va sortir le soleil philosophique, «  Amour ou Phoebus » ( v. 9 ). « Mélancolie » ( v. 4 ) signifie «  la putréfaction de la matière » ( Dictionnaire mytho-hermétique ) Le «  Pausilippe457 » c'est la pierre rouge ou soufre et la «  mer 458 », dans le langage des alchimistes, c'est le mercure. La grotte ( v. 11 ) représenterait le vase alchimique. Dans une première version, Nerval avait écrit «  dans la grotte où verdit la sirène. » On sait que le serpent vert peut être pris pour le mercure. «  Le sonnet El Desdichado », conclut M. Le Breton, est le sonnet du «  Soleil des Sages. » D’après Jean Richer, «  la symbolique de l’astrologie se superpose pour une part à celle de l’alchimie et aux grandes images du tarot459. » Il aussi cite une lettre de Nerval à George Sand du 22 novembre 1853 dans laquelle figure notamment une partie du sonnet A Madame Sand ; « les deux feuillets de la lettre sont réunis par une épine d’acacia. …, c’est là une allusion maçonnique à la phrase « l ‘acacia m’est connu », jeu de mots sur le sanskrit akaska qui signifie l’éther, la quintessence. La flèche qui unit l’R détachée du nom de George, à l’épine souligne la nature « subtile » de l’élément. La singulière façon dont Gérard écrit le nom de George Sand a d’ailleurs pour but d’y faire apparaître les éléments ; la prédominance de la terre se trouve trois fois affirmée (Geo, Ge ; Sand : sable dans les langues germaniques)460 . » Le premier quatrain est emprunté au huitième sonnet de la suite des neuf sonnets Les Neuf Muses Pyrénées, présentée par Guillaume de Salluste, sieur du Bartas au roi de Navarre. « Dans les lignes qui suivent, Gérard revendique à plusieurs reprises le titre d’initié et de héros solaire.. 

[…] il s’agissait précisément de rêver à une substance profonde pour le feu si vivant et si coloré ; il s’agissait d’immobiliser, devant une eau fuyante, la substance de cette fluidité ; enfin il fallait, devant tous les conseils de légèreté que nous donnent les brises et les vols, imaginer en nous la substance même de cette légèreté, la substance même de la liberté aérienne. 461 »

454 Op. Cit, p. 207-208.455 La clé des Chimères : l’Alchimie in « Fontaine », numéro 44 cité par Robert Kanters et Robert Amadou, op. cit. , p. 319. 456 V. 4. cf. les couleurs du soleil, p. 87.457 Déjà évoqué p. 12.458 V. 6.459 J. Richer, Nerval, expérience et création, op. Cit. , p. 556.460 J. Richer, Nerval, expérience et création, op. Cit. , p. 541.461 Ibid. , p. 543.

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« Tout critique sérieux doit croire que sa lecture est correcte ; qu’il saisit la vérité du texte. Mais le texte n’a pas de telle vérité. Ce qu’il a souvent, par contre et le texte nervalien plus que tout autre c’est l’élan vers la vérité, la tentation de l’illuminisme, l’amour du feu qui brûle. Le critique n’a qu’à se laisser imprégner de ce bel élan ; il deviendra lui-même illuminé, et la lumière de sa vérité l’aveuglera. Il croira avoir trouvé la clé du texte, et se mettra à délirer comme un théosophe 462. »

Charles Baudelaire connut Gérard de Nerval. On ne sait pas la nature exacte de leurs relations mais il semble que le second «  initia » le premier à l'occultisme. Les Paradis artificiels citent Fourier, Swedenborg463, Lavater. La rencontre d'Edgar Allan Poe fut déterminante. Dans le Projet d’épilogue pour l’édition de 1861464, il se proclame chimiste :

Anges revêtus d’or, de pourpre et de hyacinthe,O vous, soyez témoins que j’ai fait mon devoirComme un parfait chimiste et comme une âme sainte. ( II, v. 30 – 32).

Sa tâche d’artiste, proche de celle du chimiste est donc «de préparer la matière afin d’en faire sortir ce qui est pur et d’enlever ce qui est terrestre et boueux465 : Tu m’as donné la boue et j’en ai fait de l’or466. » « Remarquable condensé de la nature de l’engagement existentiel baudelairien, car elle reflète à merveille la volonté qui anime Baudelaire d’opérer une transmutation des êtres et des choses. Ce désir de Baudelaire de créer un monde qui soit plus viable est ce que nous avons nommé le dépassement du réel467. » Dans son Epigraphe pour un livre condamné468, Baudelaire place les FM sous le signe de Saturne :

Lecteur paisible et bucolique,Sobre et naïf homme de bienJette ce livre saturnien,Orgiaque et mélancolique. (v. 1-4)

« Saturnien » peut signifier « mélancolique » déjà employé. Saturne est bien – sûr une planète mais le saturne est aussi le plomb, métal froid (de même que Saturne est la planète froide). Enfin, la saturnie est « généralement dite « végétale » ou « végétable », c’est la matière de la Pierre, marquée du sceau de Saturne en ce qu’elle contient à l’état de latence les germes destinés à croître et multiplier sous l’action de l’Art469. » Il nous est difficile de trancher entre ces différents sens possibles. Les exemples sont déjà assez nombreux pour illustrer l’intérêt de Baudelaire pour l’alchimie.

462 Peter Dayan, Nerval et ses pères. Portrait en trois volets avec deux gonds et un cadenas. Droz, 1992. p 52.463 Cf. p. 72.464 O. C, I, 192.465 Le Rosaire des Philosophes, p. 89 cité par F. Bonardel, op. cit. , p. 86.466 O. C, I, Projet d’épilogue pour l’édition de 1861 II, 192, v. 34.467 E. Adatte, op. cit. , p. 114.468 O. C, I, 137.469 Françoise Bonardel, Philosopher par le feu. Anthologie de textes alchimiques occidentaux. Collection « Sagesses », Editions du Seuil, 1995, p. 462.

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« En introduction de La Terre et les rêveries de la volonté, Bachelard résume ainsi les trois ouvrages sur le feu, l’eau et l’air. Pour l’alchimiste, la substance serait « l’âme » supposée cachée dans une matière ; l’alchimiste veut capter « la substantifique moelle » de chaque chose. Bachelard reprend la vieille notion des alchimistes pour en faire l’image ardemment recherchée par le rêveur470. » Baudelaire et Nerval n’ont – ils pas eux - aussi recherché « la substantifique moelle » ? C’est en tout cas ce que fait l’illuminisme.

1. 1. 2. L’illuminisme.

Nous ne pouvons évoquer l’illuminisme sans parler de l’ouvrage de Nerval, Les Illuminés (1. 1. 2. 1). Si les rapports de Baudelaire avec l’illuminisme sont moins connus, ils existaient ( 1. 1. 2. 2). Enfin, nous évoquerons la théosophie (1. 1. 2. 3)

1. 1. 2 .1. Gérard de Nerval : Les Illuminés471.

Selon Peter Dayan 472 on peut prêter deux sens au mot  « illuminé. » Au sens restreint, « quelques sectes, quelques sociétés secrètes, ayant des doctrines ésotériques et recherchant une certaine influence dans la société, se sont appelés Illuminées473. » Il cite les Illuminés de Bavière, fondée par Weishaupt en 1767, supprimée en 1787 et les Illuminés d’Avignon. Au sens large, « on peut appeler « illuminé » tout adepte d’une secte à doctrine ésotérique, qu’on peut rattacher à la Tradition cabalistique, ce qui englobe aussi bien les martinistes, les Rose-croix, les Francs-maçons que les Illuminés au sens restreint[…]. Nerval crève les limites même du sens large [… ] Ni Raoul Spifane, ni l’abbé de Bucquoy, ni Restif n’appartiennent, selon ce qu’en dit Nerval, à une secte d’illuminés. Dans les deux premiers récits du recueil, il n’est jamais vraiment question de doctrines ésotériques [… ] Nerval ne dresse le portrait d’aucun des grands Illuminés du siècle474. » Les Illuminés, paru en 1852 est un recueil d’essais parus entre 1839 (Le Roi de Bicêtre) et 1851 (Quintus Aucler). Diverses époques sont évoquées : le XVI e siècle dans Le Roi de Bicêtre ; le XVII e siècle dans l’histoire de l’abbé de Bucquoy ; le XVII e siècle dans, Les Confidences de Nicolas, Jacques Cazotte et Cagliostro ; enfin la période révolutionnaire de la Première République dans Quintus Aucler. Dans l’édition originale, le recueil portait le sous-titre « Les Précurseurs du socialisme. » Il est vrai qu’illuminisme et socialisme furent souvent liés. Ainsi, l’abbé de Bucquoy est présenté comme un des précurseurs de la révolution de 1789. La Préface475 donne son unité au recueil. Fouillant dans la bibliothèque de son oncle, le jeune Nerval y trouve des ouvrages caractérisés par un certain « mysticisme, à un 470 O. Souville, op. cit. , p. 28.471 In Oeuvres complètes II. Edition publiée sous la direction de Jean Guillaume et Claude Pichois. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1984472 Nerval et ses pères, op. cit.473 Ibid. , p 58.474 P. Dayan, op. cit. , p 59.475 O. C, II, p. 885.

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moment où la religion officielle n’existait plus, […] 476. » Ces personnages, ces «  excentriques 477 » dont le poète nous raconte l’histoire, pratiquent à leur manière une résistance contre les préjugés et les mœurs de leur époque, contre le sens commun et finalement contre l’Histoire.

Comme l’a dit Peter Dayan 478, les deux premiers récits ne parlent pas d’ésotérisme.

Ainsi, Raoul Spifame, le héros du Roi de Bicêtre est un illuminé au sens de « fou. » D’ailleurs - nous rappelle Bertrand Marchal479 – Nerval présente explicitement son ouvrage comme « un Eloge de la folie, de cette folie mystico - littéraire du moins qu’on appelle l’illuminisme ; […].480 » Les Illuminés semble de ce fait – à M. Marchal - un excellent document pour aborder les Chimères dans leur dimension psychique. Ressemblant à Henri II, Raoul Spifame finit par se prendre pour le roi : il prononce des édits, des arrêts et des ordonnances. Mais, conclut Nerval, « il est remarquable que les réformes indiqués par Raoul Spifame ont été la plupart exécutées depuis481. »

Les Confidences de Nicolas est un essai qui retrace la biographie de Restif de la Bretonne (1734 - 1806), en s’appuyant d’ailleurs sur les récits autobiographiques de l’écrivain ou ses nombreux romans : Le Paysan perverti ou les Dangers de la ville (1775), La Vie de mon père (1779), Monsieur Nicolas ou le cœur humain dévoilé (1794-1797). Il fut un observateur aigu des mœurs de la fin du XVII e siècle. Auguste Viatte le qualifie de « pornographe impie482 » mais reconnaît cependant qu’il était théosophe : « Dans un langage prétentieux et bizarre, Restif a maintes fois donné le détail de sa cosmologie. A côté d’un panthéisme matérialiste…on y trouve des principes incontestablement théosophiques…483  :

Tout est substance dans la nature…Vous devinez la substance divine, qui est l’intelligence, par celle qui est en vous, et par le bel ordre de l’Univers, qui est sa partie corporelle 484 .

Cette conception aboutit à l’animisme que l’on retrouve chez Novalis. Pour ce dernier, il y a analogie entre l’homme et la nature. Or, on sait l’intérêt de Nerval pour la littérature allemande et pour Novalis notamment. Nerval insiste sur les rapports de Nicolas avec les femmes et sur ses relations avec Loiseau, tourné vers le spiritualisme ou le moine Gaudet d’Arras qui le sensibilise à l’épicurisme et au matérialisme. Bertrand Marchal signale que Restif de la Bretonne « inventa pour son propre compte le verbe chimérer485. »

Avec Jacques Cazotte, Nerval montre combien cet auteur du XVII e siècle (1719-1792) parvint à introduire dans l’esprit français « les caprices d’une

476 Ibid.477 Ibid. , p. 886.478 Nerval et ses pères, op. cit. , p. 59.479 Les chimères de Nerval In Nerval. Actes du colloque de la Sorbonne du 15 novembre 1997 sous la direction d’André Guyaux. Presses de l’Université de Paris - Sorbonne, 1997. 480 Ibid. , p. 118.481 O. C, II, p. 902.482 Les sources occultes du romantisme. Champion, 1932, 2 vol. , p. 251.483 Ibid., p. 253.484 Oeuvres posthumes, I, p. 204- 205, cité par Auguste Viatte, p. 253.485 In Nerval. Actes du colloque de la Sorbonne du 15 novembre 1997, op. cit. , p. 118.

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imagination rêveuse486 », à travers ses ballades, des chansons et des contes fantastiques, notamment Le Diable amoureux (1776) : « un martiniste vient trouver l’auteur, lui révèle la modernité de l’illuminisme, et le résout à s’affilier […]Toute sa vie se ressentira de cette initiation, même après qu’il aura quitté l’Ordre487. » Comme Saint-Martin, il s’écarte de la théurgie et « voit le salut dans le repliement, le dépouillement, la contemplation intime488. » Mais Cazotte tombe amoureux de la marquise de la Croix, initiée qui pratique la démonologie.  « Convaincu du triomphe de la cause royale », il eut cependant des hallucinations prophétiques concernant les horreurs de la Révolution. Il est condamné par le tribunal révolutionnaire et au moment de monter à l’échafaud, il s’écria : « Je meurs comme j’ai vécu, fidèle à Dieu et à mon roi ! 489 »

Dans Cagliostro, Nerval montre comment la religion chrétienne, à la chute de l’empire romain, s’est acharnée à faire disparaître les anciens dieux sans pouvoir totalement y parvenir, si bien qu’elle dut finalement tolérer les mouvements qui associaient croyances mystiques et «  supernaturalistes » à la ferveur religieuse (I). Puis, en passant par les Templiers (qui établissent des liens entre les idées orientales et le christianisme romain), la franc-maçonnerie, les grands savants du Moyen - Age, le néo-platonisme de Florence, Nerval aboutit aux écoles mystiques du XVII e siècle (II) et évoque le comte de Saint - Germain et son disciple Cagliostro (1743-1795) (III). Ce dernier fonda la « loge égyptienne » et se proclama Grand - Copthe. Il exploite les ressources du satanisme et même après l’affaire du Collier de la Reine, il conserve ses fidèles sur lesquels il exerce un attrait physique et mental. Nerval évoque aussi Madame Cagliostro auquel son mari demande de fonder une loge pour les femmes sous l’invocation d’Isis. «  L’Inquisition, l’(Cagliostro) ayant convaincu de maçonnerie, édicte contre lui la peine capitale ; La Vie de Joseph Balsamo révèle son passé fangeux. Gracié par le Pape, il demeure prisonnier à vie 490. » Le mystère, qui domina toute sa vie, entoure son exécution en 1795. Diverses doctrines empreintes de mysticisme, comme celle de Cagliostro, ont joué un rôle important dans la préparation de la Révolution (V).

Enfin, dans Quintus Aucler, Nerval met en scène un personnage d’une grande culture, attaché à la religion antique en pleine Révolution et scandalisé par la religion de l’Etre suprême qui lui semble vide de sens. Il enseigne la vraie doctrine, La thréicie (sous-titre de l’essai de Nerval), « cette doctrine qui vous a été conservée dans les mystères de Samothrace, qu’Orphée a enseignée à l’Europe, qui devait vous être conservée, et dont au ciel, sur la terre, dans la terre, partout 491. » Pour Aucler, en effet, la véritable piété ne pouvait se manifester que par une scrupuleuse observance des rituels tout au long de l’année ; ce néo-paganisme se présente en fait comme une des expressions du panthéisme. Il est avant tout un pythagoricien. « Pour lui, comme pour les anciens astrologues, tous les univers se répondent492. »486 O. C, II, p. 1075.487 Auguste Viatte, op. Cit., p. 196.488 Ibid., p. 196.489 Scévole Cazotte, Témoignage d’un royaliste, 107 cité par Auguste Viatte, op. cit. , p. 196.490 A. Viatte, op. cit. , p. 211.491 Quintus Aucler, Thréicie, 273-274 cité par Auguste Viatte, op. cit. , p. 36.492 A. Viatte, op. cit., p. 37.

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Dés 1839, Baudelaire rencontre Nerval mais ce dernier n’est pas la seule source de son intérêt pour l’illuminisme.

1. 1. 2. 2. Baudelaire et l’illuminisme493.

Nous avons utilisé l’ouvrage de Anne-Marie Amiot qui porte ce titre. Contrairement à ce que ce titre pourrait laisser penser, l’auteur ne se limite à l’étude des rapports de Baudelaire avec l’illuminisme. Elle s’intéresse surtout à « la recherche de la spiritualité 494 » qui est une constante dans la vie du poète. Son appartenance à la « tradition culturelle mystique495 » a laissé des empreintes dans son oeuvre et notamment dans les FM, recueil allégorique par excellence. La connaissance de l’illuminisme passe, au XIX e siècle, par celle de la philosophie romantique allemande. Or, Baudelaire a lu Théophile Gautier, admirateur et imitateur de Hoffmann. N’oublions pas que les FM sont dédiées à Gautier. « L’influence de Gautier prépare celle de son ami Nerval496. » Il l’admirait et le comprenait. Baudelaire a également été influencé par ses admirations littéraires, Sainte-Beuve et Balzac dont les œuvres sont imprégnées de martinisme. A son retour de l’île Bourbon, le poète, rencontre chez  Ménard, son ancien condisciple le clan des artistes  révolutionnaires. Par Pierre Dupont et Chenavard, peintre lyonnais et disciple de Ballanche, Baudelaire se trouve donc en relation avec le « groupe mystique de Lyon. » Chenavard applique les idées de Fabre d’Olivet497. Malgré ces contacts avec des illuminés (ou apparentés), Baudelaire a toujours refusé de participer aux séances organisées par des occultistes comme Esquiros. Ce poète ésotérique, oublié aujourd’hui, jouissait d’un grand prestige ;  grâce à lui, Baudelaire a fréquenté toutes les formes de l’illuminisme et surtout, il a découvert les « ménnaisiens » et le catholicisme social de Lamennais. Dans cette mouvance se situe Charles Fourrier et l’abbé Constant(futur Eliphas Lévi) qui dispense par correspondance des initiations à Balzac ou Gautier. Fourier reprend à l’hermétisme certaines de ses idées. Baudelaire s’intéressa un temps à son socialisme utopique mais n’en retient en fait que la théorie de « l’analogie universelle. » Il précise que cette loi d’harmonie a été de tout temps inscrite dans le cœur de l’homme (dans celui du poète, pour le moins) sans attendre d’être énoncée par Fourier. On doit à « Jacques Crépet d’avoir signalé que le poème, Les Correspondances qui figure dans Les Trois Harmonies (1845) de l’abbé Constant (futur Eliphas Lévi) pouvait être considéré comme une des sources du sonnet des Correspondances. Les Correspondances de l’abbé Constant proclament que «  les formes sont un langage », que l’univers représente une écriture vivante » et constitue une trame de symboles qu’il importe d’interpréter[…] Le langage de la nature obéit à des lois mathématiques et compose une vaste architecture de symboles dont il s’agit d’extraire le sens et la lumière verbale :

493 Op. cit.494 Ibid., p 6.495 Id. 496 Ibid. , p 12.497 Cf. p. 71.

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Rien n’est muet dans la nature Pour qui sait en suivre les lois : Les astres ont une écriture, Les fleurs des champs ont une voix, Verbe éclatant dans les nuits sombres, Mots rigoureux comme des nombres.498

Après l’échec de la révolution de 1848, Baudelaire ne rompt pas avec le milieu illuministe mais  récuse la mystique révolutionnaire. C’est à cette époque qu’il s’intéresse au doctrinaire catholique Joseph de Maistre et lit Les Soirées de Saint-Pétersbourg mais « Baudelaire ne paraît pas adopter son catholicisme intransigeant[…] Le poète ne se réfère jamais à l’autorité du Pape499. »

Il est un courant de l’illuminisme qu’il faut étudier à part car trois de ses représentants joue un rôle essentiel dans notre étude ; c’est la théosophie.

1. 1. 2. 3. La théosophie.

La théosophie est un système religieux syncrétique reposant sur le désir de la connaissance divine et sur l’union avec Dieu. Le sujet tend à remonter à l’intuition qu’il a de la divinité et la recherche dans l’ésotérisme, dans la pénétration des mystères et par l’illumination. Les théosophes mettent principalement l'accent sur la médiation naturelle comme moyen d'accomplir la Surnature divine. Alors qu' « en Orient, par exemple aux Indes, les doctrines théosophiques se sont librement développées et ont même réussi à s'incorporer plus ou moins dans les religions dites «  officielles », en Occident, les doctrines de ce genre, tout aussi riches et diversifiées que celles de l'orient, ont été au contraire obligées, par de multiples persécutions, de se dérober à la vue des autorités ecclésiastiques et séculières, en devenant des sciences maudites et cachées500. » Nous intéresserons à Antoine Fabre d’Olivet (1. 1. 2. 3. 1), Emmanuel Swedenborg (1. 1. 2. 3. 2) et Louis Claude de Saint-Martin (1. 1. 2. 3. 3)

1.1. 2. 3. 1. Antoine Fabre d'Olivet ( 1767-1825 ).

« Protestant d'origine jacobin jusqu'en 1791, Fabre d'Olivet se convertit à la théosophie au temps de la Terreur, puis se considérant comme une victime de Bonaparte, s'affirma théocrate au temps de la Restauration501. » On ne peut qu'admirer l'étendue de la culture occultiste de Fabre d'Olivet mais il ne se contenta pas de cette érudition: il élabora un système personnel. «  Il essaya de fonder[…] une nouvelle religion polythéiste, [...] dont le dogme était inspiré par un vaste syncrétisme occultiste502. » Il a entre autres écrit la Langue hébraïque restituée(1815 – 1816), L'Histoire

498 Cité par Marc Eigeldinger, Baudelaire et l’alchimie verbale in Etudes baudelairiennes II. Langages, A la Baconnière, Neuchâtel, 1971, p. 83.499 A. Viatte, op. cit. , p 29.500 S. Hutin, op. cit. , p. 112.501 Léon Cellier, Fabre d’olivet, protestant et théocrate in Parcours initiatiques, op. cit. , p. 85.502 R. Kanters et R. Amadou, op. cit. , p. 159.

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philosophique du genre humain (1824) et un commentaire des Vers dorés de Pythagore (1813).

Il a assimilé les recherches de ses prédécesseurs comme Swedenborg.

1. 1. 2. 3. 2. Emmanuel Swedenborg ( 1688 - 1772)

Fils d’évêque luthérien, Swedenborg « ne sort guère de son cabinet et manie les idées plus que les hommes503. » Malgré cette austérité, « il se vante de voyager quotidiennement dans le monde surnaturel504. » Comme Fabre d’Olivet, il est un esprit curieux, savant et fertile En 1743, le Christ lui apparut et « se croyant le Messie d’une foi nouvelle, il s’attribua le devoir de la faire connaître aux hommes 505. » Les Arcanes célestes développent la doctrine de la Nouvelle Jérusalem qui enseigne que tout a un sens spirituel, dont Dieu seul a connaissance. « L’unité cosmique justifie seule la science des correspondances506. » L’influence de Swedenborg sur Baudelaire se limite, d’après A. M Amiot, pratiquement à la théorie des correspondances, puisé dans Les Merveilles du Ciel et de l’Enfer où il développe l’idée qu’il existe deux mondes, le naturel et le spirituel qui se correspondent. Baudelaire s’est aussi intéressé un temps à la physiognomonie de Lavater, disciple de Swedenborg. Lavater pensait que le visage de chaque homme correspondait à la tête d’un animal, et que cette correspondance n’était que le reflet du caractère, de la part spirituelle donc. Brian Juden, dans son article Que la théorie des correspondances ne dérive pas de Swedenborg507 nuance l’influence du théosophe suédois sur Baudelaire dans l’écriture du célèbre sonnet. En premier lieu, les correspondances sont anciennes et on peut les faire remonter au moins à Platon. Baudelaire, dans son œuvre, ne parle de Swedenborg qu’à deux reprises ; il est « irrévérencieux et moqueur508. » Les définitions du mot « correspondance » au XVII e siècle sont de deux types. Au sens générique, « correspondance » se dit de deux idées, de deux mots, de deux choses, lesquelles ont un même rapport avec une troisième à laquelle on les rapporte509. » C’est un vieux procédé qui a fait ses preuves dans l’ésotérisme et le jeu hermétique, partout où l’imagination saisit ou invente des rapports entre les mondes de l’esprit, de la matière et de l’entendement humain510. » La deuxième définition peut décrire le mécanisme de la synesthésie et est basée sur une analogie ; « le jeu d’analogies qu’en 1846, Baudelaire redécouvre chez Hoffmann, puis, en 1861, remarque chez Swedenborg, reste dans la ligne tracée par Morellet, Marmontel 503 A. Viatte, op. Cit, p. 73.504 Ibid., p. 72.505 A. Viatte, op. Cit. , p. 74.506 Ibid., p. 79.507 Travaux de linguistique et de littérature, publiés par le Centre de Philologie et de littératures romanes de l’Université de Strasbourg XI, 2 Etudes littéraires, Strasbourg, 1973.508 Ibid, p. 34.509 Dictionnaire de Trévoux (1760), cité par Brian Juden, op. cit. , p. 34.510 B. Juden, op. Cit., p. 35.

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et Senancour511. » En ce qui concerne le système swedenborgien, on lui trouve des ressemblances avec celui de Marsile Ficin (1433-1499) et de son académie de Careggi. « Par correspondances, Ficin comprend les rapports entre les messages sensoriels et les valeurs abstraites ou morales ayant une affinité avec l’Amour512. » Quintus Aucler, auquel Nerval consacre un essai dans les Illuminés513, connaît la théorie de Ficin. « Il se réfère aussi à Louis - Claude de Saint- Martin, le philosophe inconnu [qui] a effleuré « une poétique des correspondances514. » L’abbé Grégoire, dans son Histoire des sectes religieuses (1828) critique les théosophes : « Leurs doctrines remontent, selon lui, tout droit au XVI e siècle, et, au-delà, aux Indes, berceau de la tradition commune à tous les peuples […]Une élévation mystique précède la vision515. » De même, dans les FM, Elévation précède Correspondances : « Coïncidence, imitation ou simple reflet de la tradition mystique 516 ? »

Dans Le livre des larmes (1845), Alphonse Constant517 « avoue sa dette envers l’admirable Swedenborg, révélateur de la vérité entière et organisateur de la grande harmonie des connaissances humaines par la science des correspondances518. » A la même époque, on a tendance à confondre analogie, harmonie et correspondances sur lesquelles se fondent les sectes mystiques qui pullulent. Le néo-platonisme subsiste. Parallèlement, se développe un renouveau de l’intérêt pour la Renaissance italienne, mêlé de spiritualisme païen et de panthéisme. Nerval et Gautier s’inscrivent dans ce courant. Dans sa Dédicace aux Filles du feu, Nerval cite Swedenborg  et dit à propos des sonnets des Chimères :

Ils ne sont guère plus obscurs que la métaphysique d’Hegel ou les Mémorables de Swedenborg, et perdraient de leur charme à être expliqués, si la chose était possible, […]519

D’après B. Juden, Baudelaire, « s’éloigne des visions swedenborgiennes et interroge les principes à l’origine de la théorie des correspondances, théorie qu’il transpose ou réinvente en pleine connaissance de cause520. » Nul doute qu’il se soit intéressé à Saint-Martin.

1. 1. 2. 3. 4. Saint- Martin (1743 – 1803)

Si Baudelaire cite dans son œuvre, Swedenborg, Lavater, Fourrier et pas Saint - Martin, c’est cependant la pensée de ce dernier qui a le plus marqué le poète. Mais comme chez Fourrier(p. 70), « dans Saint-Martin, Baudelaire n’a sans doute retrouvé

511 Ibid. , p. 36.512 Ibid., p. 38.513 Cf. p. 69.514 B. Juden, op. Cit., p. 40.515 Ibid, p. 41.516 Id.517 cf. p. 70.518 B. Juden, op. Cit. , p. 42.519 O. C, III, 458.520 B. Juden, op. cit. , P. 45.

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qu’un écho de ses propres méditations. Il n’allait pas le citer comme source !521 » Saint –Martin est d’abord un disciple du martinisme fondé par Martin de Pasquallys en 1754 à Montpellier. Il se compose d’une théorie des nombres justifiée philosophiquement. Leur cosmogonie est basée sur « l’unité divine qui renferme originellement toutes choses : par l’émanation (de la matière), pure apparence, elle s’accroît sans cesse522. » Le martinisme se scinda en différentes écoles ; Saint- Martin dirigea l’une d’elles : s’écartant insensiblement du premier martinisme, il se constituera sa philosophie personnelle. Il « rejettera tous les procédés extérieurs (comme la théurgie523) au profit de la «  voie intime524. » Son livre Des erreurs et de la Vérité (1775) divulgua l’illuminisme au grand public. Lamennais, d’inspiration martiniste a chanté le spleen :

C’était dans une nuit sombre ; un ciel sans astre pesait sur la terre comme un couvercle de marbre noir sur un tombeau. Et rien ne troublait le silence de cette nuit, si ce n’est un bruit étrange, comme un battement d’ailes que de fois à autres on entendait au-dessus des campagnes et des cités ; et alors les ténèbres s’épaississaient et chacun sentait son âme se serrer, et le frisson courir ses veines.525

Il semble que Baudelaire se soit inspiré de ce texte pour son Spleen IV 526 De plus, « on peut parmi les multiples sources assignées aux  Correspondances ranger un texte de Lamennais dont Baudelaire aurait repris les vocables mêmes527 » :

Des profondeurs du Temple sort pareillement une voix qui monte dans les airs et se propage au loin. Solennelle aussi, mystérieuse, et comme l’écho d’un monde invisible, elle remue les secrètes puissances de l’homme, elle éveille en lui toute une vie interne, assoupie jusqu’alors. Qui dans la campagne, vers le soir. . . . qui ne se sent pas comme emporté dans des régions inconnues, aériennes peuplées de formes indécises, de pensées rêveuses, et de pressentiments infinis ?  528

L’hermétisme connaît un renouveau au XIX e siècle et « on espère que puisse être de ce fait à nouveau démontrée l’unité de la matière et de l’esprit et renouée l’alliance des Analogies et des Correspondances 529. » C’est ce que tente de réaliser Baudelaire et Nerval à travers la théorie des correspondances.

1. 2. La théorie des Correspondances.

« L’expérience poétique substitue à la vision d’un univers polarisé, celle d’un univers où tout se correspond  530 », l’univers des correspondances, des analogies et des 521 B. Juden, op. cit. , p 35522 Ibid., p. 58.523 Pratique occultiste visant à communiquer avec les bons esprits, à utiliser leurs pouvoirs pour atteindre Dieu.524 A. Viatte, op. Cit. , p. 51.525 Cité par A. M Amiot, op. cit. , p. 28.526 O. C, I, 74-75.527 Anne-Marie Amiot, op. cit. , p. 26.528 Esquisse d’une philosophie, tome III, pp 151-152 cité par Anne-Marie Amiot, notes, p. 42.529 Françoise Bonardel, L’hermétisme, op. cit. , p. 98-99.530 Léon Cellier, Baudelaire et l’oxymoron, op. cit. , p. 195.

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synesthésies.

1. 2. 1. Baudelaire.

Le dernier quatrain d’Elévation531 annonce Les Correspondances 532 (qui se situent immédiatement après) et dans lequel l’utilisation des synesthésies est plus large :

La nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles ; L’homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l’observent avec des regards familiers. (v. 1-4)

Cette théorie met l’accent sur le caractère purement métaphorique du cadre naturel (« la nature est un temple »), sur le foisonnement des symboles qu’il recèle (« forêt de symboles ») et sur l’animation secrète de ses éléments (v. 4). « La connotation religieuse de « temple » (v. 1) et d’ « encens » (v. 13) suggère comme dans le poème qui précède, Elévation, une circulation transcendantale (ascension ou descente) entre l’esprit et les sens, une frontière entre deux royaumes distincts qui peut être traversée533. » On peut aussi mettre les Correspondances en relation avec Obsession534 : «  les deux sonnets se complètent comme les deux moitiés d’un symbolon …Le début d’Obsession lit le premier quatrain de Correspondances comme si c’était bien une scène sylvestre 535 : Grands bois, vous m’effrayez comme des cathédrales ; /Vous hurlez comme l’orgue  (…)536 ; »  Le temple hellénique de Correspondances devient cathédrale chrétienne. La terreur du vent correspond à la crainte subjective de la mort : « (…) et dans nos cœurs maudits, (..) /Répondent les échos de vos De profundis537» « Le paysage de refus tiré de De profundis clamavi538  réapparaît comme le désir d’Obsession ( « Car je cherche le vide, le noir, et le nu ! 539 »)et un désaveu tranchant de « Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, » dans Correspondances 540. » « Selon Correspondances, […], il faut entendre les sons dans leur analogie avec les couleurs et les parfums (v. 8). Ce qui a pour effet de les retenir bien près de la perception immédiatement et purement sensorielle, celle qui trouble et même enrichit l’expérience existentielle mais la retient tout de même à son plan d’apparence 541 . » Les sons sont ainsi associés aux couleurs et aux parfums dans La chevelure542 :

531 O. C, I, 10, v. 17-20.532 O. C, I, 11.533 Paul de Man, Anthropomorphisme et trope dans la poésie lyrique in Poétique numéro 62, avril 1985, Seuil, p. 136.534 O. C, I, 75.535 Paul de Man, op. Cit., p. 140.536 V. 1 – 2.537 V. 2 et 4.538 O. C, I, 32, v. 7-8.539 V. 11.540 Paul de Man, op. Cit., p. 142.541 Yves Bonnefoy, La septième face du bruit, p. 12.542 O. C, I, 26-27.

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Comme d’autres esprits voguent sur la musique,Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.

Un port retentissant où mon âme peut boire A grands flots le parfum, le son et la couleur ; (v. 9-10 et 16-17)

Les sons collaborent, par la vertu des correspondances « à l’élaboration de cet autre monde dont les objets refaçonnés par le désir sans contrainte, n’ont plus - ou ne devraient plus avoir – la dimension du temps au creux de leur façon d’être, et d’accueillir, et de satisfaire543. » Dans Harmonie du soir, le violon vivant renvoie à « un cœur qu’on afflige 544» et on découvre progressivement que c’est l’angoisse de l’anéantissement qui torture ce cœur «  qui hait le néant vaste et noir545, » tandis que le souvenir heureux auquel il se raccroche, «  vestige » du « passé lumineux546 » lui accorde un instant de répit au bord du gouffre. Ce drame est celui du poète qui se souvient de la femme aimée : «  Ton souvenir lui en moi comme un ostensoir ! 547» En fait le paysage et les cérémonies gravitent autour de ce souvenir, dont ils sont de simples figures. Ainsi,  l’ « harmonie du soir » n’est pas une harmonie intrinsèque des éléments du paysage, mais   l’accord du monde extérieur et du monde intérieur en parfaite correspondance  Par le jeu des correspondances, la venue de la nuit est l’occasion d’une rêverie toute personnelle autour de la mort et de l’anéantissement. Dans Recueillement548, le poète, « excédé par les souffrances de la vie, éprouve un apaisement moral et une sorte de volupté physique à plonger dans le néant 549 » :

 Ma Douleur, donne-moi la main ; Viens par ici, Loin

d’eux. Vois se pencher les défuntes Années, Le Soleil

moribond s’endormir sous une arche, Et comme un long linceul traînant à l’Orient, Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.  (v. 8, 9 et 12 - 14)

En fait, l’idéal baudelairien se situe au-delà des synesthésies, dans «  l’univers de la coincidentia oppositorum. A la vision polarisée succède une phase où les contraires, sans se concilier véritablement, sont rapprochés comme à dessein d’exprimer quelque chose d’ineffable, le sacré550 » :

O métamorphose mystique De tous mes sens fondus en unSon haleine fait la musique,

543 Y. Bonnefoy, La septième face du bruit, op. cit. , p. 12.544 V. 6.545 V. 10.546 V. 14.547 V. 16.548 O. C, I, 140 –141.549 Nicole Bhattacharya, Correspondances baudelairiennes: Etudes de trois paysages crépusculaires in L’information littéraire, numéro 1, janvier – février, 1983 p 213.550 Léon Cellier, Baudelaire et l’oxymoron, op. cit. , p 195.

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Comme sa voix fait le parfum ! 551

L’attraction d’une sensation par une autre que Baudelaire a systématisé dans Correspondances est aussi perceptible chez Nerval.

1. 2. 2. Gérard de Nerval.

Il y a « une analogie profonde entre certaines pages d’Aurélia, inspirées des souvenirs occultistes, et l’esthétique baudelairienne des Correspondances :

Du moment que je me fus assuré que j’étais soumis aux épreuves de l’initiation sacrée, une force invincible entra dans mon esprit. Je me jugeais un héros vivant sous le regard des dieux ; tout dans la nature prenait des aspects nouveaux, et des voix secrètes sortaient de la plante, de l’arbre, des animaux, des plus humbles insectes, pour m’avertir et m’encourager. Le langage de mes compagnons avait des tours mystérieux dont je comprenais le sens, les objets sans forme et sans vie se prêtaient eux-mêmes aux calculs de mon esprit ; - des combinaisons de cailloux, des figures d’angle, de fentes ou d’ouvertures, des découpures de feuilles, des couleurs, des odeurs et des sons je voyais ressortir des harmonies jusqu’alors inconnues. – Comment me disais – je, ai-je pu exister si longtemps hors de la nature et sans m’identifier à elle ? Tout vit, tout agit, tout se correspond ; les rayons magnétiques émanés de moi –même ou des autres traversent sans obstacles la chaîne infinie des choses créées ; c’est un réseau transparent qui couvre le monde et dont les fils déliés se communiquent de proche en proche aux planètes et aux étoiles. Captif en ce moment sur la terre, je m’entretiens avec le cœur des astres, qui prend part à mes joies et à mes douleurs. 552 »

L’air / musique de Fantaisie553, « très vieux, languissant et funèbre » (v. 3), fait naître la vision (v. 7 – 12) jusqu’à ce que « image sonore et image visuelle y suscitent la femme peu à peu spiritualisée au point de n’être plus qu’un souvenir au second, au troisième degré (v. 13 – 16)554. » L’ « ancienne romance », la « chanson d’amour » de Delfica555mène pareillement à des tableaux. Aux images et sons, s’ajoute dans la Rêverie de Charles VI556, s’ajoute le parfum :

Quand un vent parfumé nous apporte en sa plainteQuelques sons affaiblis d’une ancienne complainte… Oh ! ces feux du couchant, vermeils, capricieux,Montent, comme un chemin splendide, vers les cieux ! (v. 16 – 19)

C’est Vers dorés 557que l’on cite le plus souvent dans le cadre des correspondances. Le titre provient des Vers d’or attribués à tort à Pythagore. Il s’agit d’une sorte de compilation des enseignements de l’école qui date du II e ou du III e siècle après Jésus – Christ. Toutefois, sur 71 vers, les critiques modernes pensent que 54 au moins peuvent

551 O.C., I, Tout entière, 42, v. 21 – 24.552 « Gérard de Nerval (Livre V, chapitre XVIII, I )  » in A. Béguin, L’âme romantique et le rêve. Essai sur le romantisme allemand et la poésie française. « Rien de commun », Librairie José Corti. Première édition 1939, réimpression 1986, p. 366.553 O. C, I, 339.554 Marie -Jeanne Durry, op. cit. , p. 13.555 O. C, I, 647.556 O. C, I, 735 – 736.557 O. C, III, 651.

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être des fragments du « Discours sacré » remontant au premier pythagorisme. Le premier titre de Delfica était Vers dorés ; dans les Chimères, il intitule Vers dorés le sonnet Pensée antique. « A la vérité, tous ses sonnets pourraient s’appeler ainsi. Th. Gautier, dans son Histoire du Romantisme, témoigne de ce penchant de Nerval, lorsqu’il se souvient du carton vert « où gisent dans la poussière, plus que sous l’oubli, les papiers que Gérard abandonnait chez nous (…) notes, extraits, brouillons (…), les maximes philosophiques ou morales condensées en vers dorés de Pythagore, forme que Gérard affectionnait beaucoup558. » La phrase de l’épigraphe (« Eh quoi ! tout est sensible ! ») est aussi attribué à Pythagore. Georges Le Breton 559 a établi «  la liaison indiscutable du sonnet de Nerval avec l'ouvrage de Delisle de Sales, De la philosophie de la nature ( 1769-1804). L’auteur consacre un grand chapitre (livre II, chapitre X, volume II de l'édition en 6 volumes de 1777, pp 385-451) à la question «  Si l'homme est dans la nature le seul être sensible », et représente Pythagore, se convainquant peu à peu non sans surprise, de la sensibilité universelle. «  Quoy tout est sensible ! » est l’expression de cette surprise. C'est pourquoi l’épigraphe est exclamative. Le sonnet de Nerval commence par une apostrophe à l’homme (« Homme, libre penseur !) auquel il pose une question (« te crois – tu seul pensant/ Dans ce monde où la vie éclate en toute chose ? ») dont la réponse est contenue dans la question même, dans l’épigraphe et le reste du sonnet. « Nerval connaît surtout le pythagorisme tel qu'il apparaît dans les environs primitisants et allégoristes de la philosophie des Lumières[ …] L'idée de prêter aux bêtes et aux plantes une sensibilité plus ou moins accompagnée de pensée apparaît fréquemment chez les contemporains de Voltaire 560: Respecte dans la bête un esprit agissant : /Chaque fleur est une âme à la nature éclose ; 561 » « Il est vrai qu'on inclut rarement le minéral dans ce panpsychisme562. Nerval a donc été plus loin563. » :

Un mystère d’amour dans le métal repose ;

Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t'épie

Et comme un oeil naissant couvert par ses paupières, Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres! (v. 7, 9 et 13 – 14)

Nerval (comme Novalis), proclame « l’interdépendance de l’homme et de la nature, les mystérieuses correspondances qui unissent êtres animés et êtres apparemment inanimés dans le sein de la nature… 564. »558 Henri Meschonnic, Essai sur la poétique de Nerval in Europe n° 516- avril 1972, p. 11.559 Le pythagoricisme de Nerval in La Tour St-Jacques, livraison spéciale Nerval, numéro double 13-14, janvier-avril 1958, p. 79-89 cité par P. Bénichou, L’école du désenchantement. Sainte- Beuve, Nodier, Musset, Nerval, Gautier. « NRF », Gallimard, 1992, p. 361.

560 P. Bénichou, op. Cit. , p. 361.561 V. 5 - 6.562 Doctrine par laquelle toute matière est vivante (hylozoïsme) et possède une nature psychique, une âme.563 P. Bénichou, op. Cit. , p. 361.564Charles Dédéyan, Gérard de Nerval et l’Allemagne. Société d’édition d’enseignement supérieur, 1957, p. 598.

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Dans le poème A Albert Dürer (Voix Intérieures, X; 20 avril 1837), la forêt devient pour Victor Hugo un monde fantastique où des tressaillements, des regards le font frissonner et lui révèlent confusément, comme il le dira plus tard, que « tout vit, tout est plein d'âmes 565 » :

Une forêt pour toi, c’est un monstre hideux. Le songe et le réel s’y mêlent tous les deux. J’ai senti, moi qu’échauffe une secrète flamme, Comme moi palpiter et vivre avec une âme, Et rire, et se parler dans l’ombre à demi-voix Les chênes monstrueux qui remplissent les bois. (v. 13-14 et 35-38)

Les romantiques ont admiré dans le peintre et graveur allemand un génie inspiré et un précurseur. Pour Hugo, Dürer est un visionnaire qui l’aide à pénétrer le mystère universel, comme Virgile avait jadis guidé Dante dans l’au-delà. La poésie, avant Baudelaire et sa poétique des Correspondances, était déjà pour les romantiques, un outil privilégié pour dévoiler les liens cachés qui organisent l’univers. Ils conçoivent une nature panique plus encore que panthéiste, pénétrée de surnaturel, avec laquelle l’homme se trouve en état de communion dès qu’il s’ouvre à la présence des Eléments. « Pour Albert Béguin et ses successeurs, l’expérience – limite de la Cinquième promenade 566 annonce un romantisme intérieur digne de Novalis, à qui Rousseau se voit constamment comparé567. » Jean Richer568 considère que Gérard est le continuateur de Rousseau. Pour Coleridge, après l’extase – qui joue un rôle essentiel dans son œuvre -, « le sujet ramené à une conscience claire, pensera qu’il y a un lien objectif et mystique entre les images, qu’il y a entre elles des « correspondances », que leur association n’est pas fortuite, mais ressort à un aspect ainsi perçu de l’unité du monde569. »

Après les correspondances qui constituent le lien entre paysage matériel et spirituel, il existe un autre lien entre visible et invisible, c’est le rêve.

2. ONIRISATION DU PAYSAGE

« Avant d’être un spectacle conscient tout paysage est une expérience onirique. On ne regarde avec une passion esthétique que les paysages qu’on a d’abord vus en rêve570. » Le préalable au rêve (2. 3. 2) est souvent le sommeil (2. 1) même s’il peut envahir l’état de veille (2. 3). Il peut aussi être la conséquence de l’absorption de drogues ou d’excitants (2. 4).

565 Lagarde et Michard. XIX e siècle. Collection « Textes et littérature », Bordas, 1962, P. 161566 Jean-Jacques Rousseau, Les rêveries du Promeneur solitaire.567 Christian Angelet, Le paysage romantique et le mythe de l’homme primitif in CAIEF, Société « Les Belles Lettres, mai 1977, p. 99.568 Nerval, expérience et création ; op. cit. , 24.569 Léon Lemonnier, Les poètes romantiques anglais. Wordsworth-Coleridge-Byron- Shelley-Keats. Le livre de l’étudiant ; collection fondée par Paul Hazard. Bouvin et Cie, rue Palatine, Paris, 1943, p. 70.570 G. Bachelard, L’eau et les rêves, op. cit. , p. 6.

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2.1. Le sommeil.

On constate chez Baudelaire une hantise du sommeil  ( « J’ai peur du sommeil comme on a peur d’un grand trou, / Tout plein de vague horreur, menant on ne sait où ; 571 ») doublé (comme chez Coleridge) du « désir – qui se sait contradictoire et impossible – d’un sommeil éternel, un sommeil qui soulagerait de la vie, de l’insomnie, de la torture des mauvais rêves, et qui pourtant ne serait pas la mort ; […]. 572 »

Quant au héros d’Aurélia, il affirme : « Je n’ai jamais éprouvé que le sommeil fût un repos 573. »

Le sommeil est l’apanage des bêtes (Le Christ aux oliviers reste éveillé alors que ses disciples sont « perdus dans le sommeil des bêtes 574»), des « plus vils animaux 575», de cette Nature que Baudelaire affirme souvent mépriser : « Résigne-toi, mon cœur, dors ton sommeil de brute576. » Il méprise l’oubli qu’est sensé procurer le sommeil et l’abandon de soi (contraire à son dandysme) qu’il suppose. Le sommeil du requin est bien différent : « Au lieu de se rebeller contre l’oubli, d’en être accablé, y dormir, mais comme un poisson dans l’eau, en se laissant porter par le mouvement de l’onde, de la vie sans moi577. »

… Je veux creuser moi-même une fosse profonde,Où je puisse à loisir étaler mes vieux osEt dormir dans l’oubli comme un requin dans l’onde.578

« Mais la méchanceté extrême du sommeil du requin reste le plus souvent voilée. Un paysage s’ouvre plutôt, tel celui disposé dans La Géante, qui détermine un sommeil accepté, à la fois naturel et surveillé (v. 11-14)579 » De même, la dernière strophe de L’Invitation au voyage580 ouvre « un paysage tout entier visible où « les soleils », encore, libèrent le sommeil, le font échapper aux prisons qui le guettent581. » Si Baudelaire répugne à s’abandonner au sommeil, il aime jouir du spectacle du sommeil des autres (la femme, plus précisément) ou de Paris582 .

Le sommeil humain n’apporte peut-être pas le repos (Nerval) comme celui des bêtes (Baudelaire). Cependant, il permet le rêve.

2.2. Le rêve.

571 O. C, I , Le Gouffre , 142 –143, v. 9 -10.572 Pierre Pachet, Coleridge : phosphorescences in La force de dormir. Gallimard, 1988, p. 52.573 Cité par P. Pachet, Nerval et la perte du rêve in La force de dormir, op. cit. , p. 57.574 V. 7.575O. C, I, De profundis clamavi, 32 – 33, v. 12.576 O. C, I, 76, Le goût du néant, v. 5577Pierre Pachet, Baudelaire : le sommeil du requin in La force de dormir, op. cit. , p. 89.578 O. C, I, Le mort joyeux, 70, v. 2 – 4.579Pierre Pachet, Baudelaire : le sommeil du requin, op. cit. , p. 89. 580 O. C, I, 53 – 54, v. 29 –40.581 Pierre Pachet, Baudelaire : le sommeil du requin, op. cit. , p. 91.582O. C, I, Projet d’épilogue pour l’édition de 1861, v. 10-13.

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D’après Franz Hellens, l’auteur d’Aurélia a introduit le rêve « dans la littérature française, chose dont on ne trouve presque aucune trace avant lui, et qui, dans le romantisme anglo-saxon, tient une place importante 583.»

Baudelaire divise le rêve en deux classes, le rêve « naturel », plein de notre vie ordinaire et le rêve « hiéroglyphique », divin. « La perception [des] relations entre les choses et l’esprit n’est possible pour lui qu’à la faveur de certaines expériences exceptionnelles : une conscience toute moderne tente de retrouver par une « sorcellerie évocatoire », les dons et les divinations que l’humanité primitive posséda, mais qu’elle a perdus584. » Sa classification des rêves et sa volonté de magie le rapproche du romantisme allemand et surtout de Novalis qui distingue le rêve ordinaire du rêve élevé à une puissance, sans signification ni cohérence, mais porteur d’un sens allégorique profond, que Nerval tentera de déchiffrer. La révélation par les songes dans Heinrich von Ofterdingen (1802) permet l’accès à un monde supra – naturel qui n’est peut-être que l’autre face de la nature. Quant aux Hymnes à la nuit585 , ils donnent à lire « une poésie nocturne et funèbre inspirée par la mort d’une personne chère [Sophie], goût de la méditation sur une tombe, invocations à la Nuit, à la Mort, au Sommeil 586. » Novalis avait lu Les nuits de Young après la mort de Sophie. L’Hymne II587 , très bref, est une variation sur le charme mortel du sommeil et des rêves :

II

Faut-il que toujours le matin réapparaisse ? Que le règne de l’existence terrestre soit sans terme ? Une agitation néfaste dévore les célestes pressentiments des nuits. Le mystérieux sacrifice de l’amour ne peut-il donc brûler pour l’éternité ? Une durée limitée est dévolue à la lumière, mais le règne de la Nuit échappe au temps et à l’espace. – Eternelle est la durée du sommeil. – Sommeil sacré, - au cours de ce labeur terrestre, ne sois point trop avare de tes bienfaits envers ceux qui sont voués à la Nuit. Seuls les insensés t’ignorent et ne connaissent d’autre sommeil que l’ombre miséricordieuse que tu projettes sur nous, dans ce crépuscule annonciateur de la Nuit vraie. Ils ne sentent pas ta présence dans le jus doré des grappes, dans l’huile miraculeuse de l’amandier, dans le suc brun du pavot. Ils ne savent pas que c’est toi, flottant autour du tendre sein des vierges, qui fais de ce sein un paradis – ils ne soupçonnent pas qu’au seuil des plus vieilles histoires tu apparais pour nous ouvrir le ciel, porteur de la clef qui donne accès aux demeures des bienheureux, messager muet de mystères sans fin.

« Le secret de Baudelaire est la recherche de l’inconscient comme moteur de la Poésie. A cet égard, Baudelaire, venant juste après Nerval, mais avec plus de conscient vouloir que lui ouvre un univers neuf dans lequel tous les poètes devront le suivre588. »

583 Nerval le romantique in Europe n°516 –avril 1972, p. 32.584 « Baudelaire (Livre V, chapitre XVIII, III ) » in A. Béguin, L’âme romantique et le rêve, op. cit. , p. 376.585 Hymnes à la nuit. Cantiques. Traduction et préface de Geneviève Bianquis. Aubier, Editions Montaigne, Paris, 1943.586 Hymnes à la nuit. Préface de G. Bianquis, p. 25.587 Hymnes à la nuit, p. 83.588 Pierre Jean Jouve, Tombeau de Baudelaire. La Baconnière, Neuchâtel, 1942, p. 22.

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Rêve parisien589 est emblématique à cet égard :

Architecte de mes féeries,Je faisais à ma volonté,Sous un tunnel de pierreriesPasser un océan dompté ; (v. 37-40)

Cette suprématie de l’imagination sur la nature, ce refus de modèles empruntés à la nature, est une des dominantes de l’esthétique baudelairienne. Le Rêve parisien est né pendant le sommeil de la nuit  que Baudelaire présente ici comme « plein de miracles590. Le paysage de la rêverie baudelairienne est sans limite « alors même que de reculs en reculs on pourrait se croire avec elle arrivé en un lieu et un moment premiers591 »:

Dis-moi, ton cœur parfois s’envole –t-il, Agathe, Loin du noir océan de l’immonde cité, Vers un autre océan où la splendeur éclate, Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité ? 592

« Se développe toujours le soupçon d’une virginité encore plus vierge, d’un commencement plus absolument premier593 »  jusqu’au «  vert paradis des amours enfantines 594. »Et si l’on traverse […], ces bosquets (v. 24), si l’on redescend dans La vie antérieure595 au centre de ce paysage rêvé qui converge tout entier vers le creux d’une conscience attentive, on ne découvre encore qu’une insatisfaction, qu’un mouvement pour dépasser cette convergence elle-même et pour approfondir un secret éternellement douloureux596 . » La rêverie baudelairienne vise aussi à capter la lumière, «  puisée au foyer saint des rayons primitifs 597, miracle d’un soleil toujours rêvé comme le noyau fabuleux des mondes, mais qui ne pourrait continuer à les animer de sa chaleur qu’en réchauffant ce feu à l’abîme, plus central encore, d’une eau étrangement lustrale598. »

Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,Renaîtront-ils d’un gouffre interdit à nos sondes,Comme montent au ciel les soleils rajeunisAprès s’être lavés au fond des mers profondes ?599

Le songe de Poliphile.

C’est le titre d’un des chapitres de l’introduction du Voyage en Orient de Nerval600. Ainsi il rend un hommage posthume à Charles Nodier dont la dernière

589 O. C, I, 101 – 103.590 V. 5.591 J. P Richard, « Profondeur de Baudelaire », op. cit. , p. 100592 O. C, I, Moesta et errabunda, 63-64, v. 1-4593 J. P Richard, « Profondeur de Baudelaire », op. cit. , p. 100.594 V. 21.595 O. C, I, 17-18, v. 10596 J. P Richard, op. cit. , p. 100-101.597 O. C, I, Bénédiction, 7-9, v. 74.598 J. P Richard, op. cit. , p. 103.599 O. C, I, Le balcon, 36, v. 25-28.600 O. C, II, 215.

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nouvelle s’intitulait Franciscus Columna. Le Songe de Poliphile est aussi le titre courant de l’Hyperotomachia Poliphili de Francesco Colonna (Venise, 1499). « Cet ouvrage, sans doute le plus beau du XV e siècle, a suscité une innombrable bibliographie concernant son auteur, son illustration, son élaboration, ses sens apparents et cachés601. » Divisé en deux livres, il met en scène la quête de Poliphile qui cherche sa bien-aimée Polia dans un paysage de ruines, de palais et de temples antiques. « L’histoire prend la forme de révélations cryptées (peut-être mystiques et alchimiques) à partir du procédé classique d’un songe  dans lequel le héros découvre monuments et inscriptions diverses. Les gravures sont attribuées à Mantegna. L’œuvre est très largement utilisée par Rabelais dans les chapitres concernant l’abbaye de Thélème, dans Gargantua, et pillée dans certains chapitre du Cinquième Livre. Le nom même de l’auteur a pu attirer Nerval vers ce livre par son analogie avec celui de Jenny Colon (Colon/ Colonna). Plus profondément, il trouvait dans l’ouvrage « ce constant mélange de rêve et de réalité qu’il aimait tant. On a pu dire de cet ouvrage que c’est comme une « divine comédie archéologique602. » Les thèmes oniriques qui paraissent hantent aussi la vie et l’œuvre de Nerval : au cours de son voyage initiatique, l’Amoureux rencontre des édifices symboliques, des tombeaux, des temples, des cités imaginaires. Les évènements relatés prennent la qualité poétique des songes. On rejoint des préoccupations communes à Ficin et à l’auteur d’Aurélia603. » La contemplation de Vénus dans les jardins d’une Cythère idéale est l’aboutissement du parcours allégorique. Cythère appartient à la tradition culturelle commune à Baudelaire (Un voyage à Cythère) et Nerval (Sylvie).

D’après J. Richer, « […] le titre général de l’œuvre de Nerval pourrait être celui du Songe de Poliphile/ Hypnerotomachia, combat de l’amour en songe, et [… ]l’itinéraire qu’elle décrit est jalonné par une suite de grandes figures et de rêves allégoriques604. »

Les cauchemars.

Le titre même d’Horreur sympathique605  annonce les cauchemars dans lesquels le poète se complait. Les cauchemars d’Edgar Allan Poe (comme toute son œuvre) le fascinent : « il y voyait régner l’incongru, le fantastique, et s’y dessiner sur un fond d’inexplicable toutes les formes possibles de la chute […].606 »

Le rêve peut aussi envahir l’état de veille.

2.3. L' « épanchement du songe dans la vie réelle » (Aurélia).

Nous ne pouvons pas résister à la tentation de citer les premières

601 Site Internet de M. L Dumonet, professeur à Clermont II.602 André Chastel, Marsile Ficin et l’art, 1954, p. 149 cité par J. Richer, op. cit. , p. 531.603 J. Richer, op. cit. , p. 531.604 Nerval, expérience et création, op. cit. , p. 21.605 O. C, I, 77.606 J. P Richard, « Profondeur de Baudelaire », op. cit. , p. 96.

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phrases d'Aurélia:

Le rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l'image de la mort; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l'instant précis où le « moi », sous une autre forme, continue l’œuvre de l'existence. C'est un souterrain vague qui s'éclaire peu à peu et où se dégagent de l'ombre et de nuit. Ces pâles figures gravement immobiles, qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres: le monde des Esprits s'ouvre pour nous 607.

Bien que n'appartenant pas à notre corpus puisqu'en prose, nous considérons avec Albert Béguin qu'Aurélia est un « poème » et une « oeuvre de rêve608. » On entend souvent dire que Nerval était fou. Déjà Alexandre Dumas, évoquait dans un article du 10 décembre 1853609 les crises de mélancolie de celui qui était pourtant son ami: « C'est un esprit charmant et distingué - de temps en temps, lorsqu'un travail quelconque l'a fort préoccupé, l'imagination cette folle du logis, en chasse momentanément la raison, qui n'en est que la maîtresse... Un autre jour, il se croit fou, et il raconte comment il l'est devenu, et avec un si joyeux entrain, en passant par des péripéties si amusantes, que chacun désire le devenir pour suivre ce guide entraînant dans le pays des chimères et des hallucinations. » Mais Nerval, nous dit Anne Campion, était avant tout un « homme de lettres »... et « la littérature appartient à l'ordre de la réalité, ou plutôt à celui des réalisations; l'écriture demande la maîtrise d'opérations complexes; surtout elle exige un sens de la distinction et les procédures de l'écrit, entre la fiction et la réalité[...] Nerval ne méconnaît en rien ces lois, mais... il les entend et les observe tout autrement que Dumas 610. » 

Baudelaire connut lui aussi « des instants de dépersonnalisation, d'oubli du moi et de communion avec les « paradis révélés », qu'il considéra lui-même comme les sommets de sa vie spirituelle 611. »Il les connut notamment sous l’influence des paradis artificiels.

2.4. Les Paradis Artificiels.

« S’il [Baudelaire] y recourut (moins souvent qu'on le croit généralement), cela prouve simplement qu'une nostalgie, allant parfois jusqu'à la « mélancolie irritée » et à l'exacerbation des nerfs, lui inspirait le désir de retrouver le chemin des paradis entrevus. Et c'est précisément dans Les Paradis artificiels qu'il a parlé de ses états de rêverie avec le plus de netteté, en les opposant aux illusions des rêves matériels «  obtenus par la drogue612. » En fait, Baudelaire condamne l’usage de la drogue, d’abord parce que, d’un point de vue spirituel, c’est un péché ; ensuite parce que la drogue annihile la volonté et « le poète 607 Aurélia, Introduction et notes de M. Brix, op. Cit. , p.19.608 A. Béguin, op. cit. , p. 360.609 Reproduit dans l’Album Nerval, Iconographie choisie et commentée par Eric Buffetaud et Claude Pichois. Gallimard, 1993, p. 220-221.610 Nerval: une crise dans la pensée. Collection « Interférences », Presses Universitaires de Rennes, 1998, p. 21.611 A. Béguin, op. cit, p. 378.612 Ibid. , p. 378.

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doit autant au travail qu’à l’extase613. » Il nous «apparaît que [Nerval] a passé la plus grande partie de son existence –[…] - dans un état intermédiaire entre la veille et le sommeil. C’était là une disposition naturelle, et ce n’est que secondairement et accessoirement et accidentellement que Gérard, croyons-nous, a pu favoriser ou entretenir cet état par le moyen du vin ou du haschich614. »

Si l’onirisation du paysage nous a conduit aux frontières de l’invisible, dans l’inconscient, nous revenons à ce qui paraît clairement visible ; ce sont les couleurs. Mais comme le paysage, les couleurs sont symbolisées.

3. LA SYMBOLIQUE DES COULEURS.

Avec sa « Théorie des couleurs » exprimée dans son Traité des couleurs, Goethe ose réunir dans une même démarche art et nature, poésie et science. Pour lui, les couleurs sont  les fondements de l’existence des choses, la chaîne et la trame du voile des apparences.  Selon Goethe, il y a trois interprétations possibles de la couleur : - allégorique : la couleur est utilisée pour sa signification conventionnelle ; ex : « l’espérance » rattaché au « vert » - symbolique : « un emploi qui serait parfaitement en accord avec la nature, la couleur étant utilisée en fonction de son effet, et le rapport véritable manifestant aussitôt la signification.615 » ; ex : le phénomène sensible « magenta » est en rapport naturel avec l’idée de « majesté. »

- mystique : « on peut bien pressentir que finalement, la couleur autorise une interprétation mystique. Car le schéma par lequel peut être exprimée la variété des couleurs traduit des rapports primordiaux qui existent aussi bien dans la pensée humaine que dans la nature616. »

Dans son œuvre critique, Baudelaire énonce ses théories sur la couleur, sa présence dans la nature et l’usage poétique qu’en font les « bons coloristes » comme Delacroix.

Nous assistons dans les œuvres poétiques étudiées à un glissement vers une couleur intériorisée. Nous évoquerons les couleurs de la mort (3. 1), du soleil (3. 2), de l’enfer (3. 3), des yeux (3. 4), de la nature (3. 5), du spleen (3. 6) et enfin les couleurs mystiques (3. 7).

3.1. Les couleurs de la mort.

Le noir est la couleur dominante des FM. Le noir est, au même titre que le blanc, qui lui est opposé, l'une des couleurs symboliques de l'absolu. En Europe, le noir est une couleur globalement négative. Elle est en fait d’abord absence de couleur, obscurité. Dans les pays occidentaux, le noir est signe de mort, de deuil.

613 Ibid. , p. 380.614 Jean Richer, Nerval, expérience et création, op. Cit. , p. 20.615 Traité des couleurs, Paris, Triades, 1980, p. 282 cité par J. C. Sekinger, Contribution au « Traité des couleurs » de J. W von Goethe. (Site Internet)616 Traité des couleurs, op. cit. , p. 283.

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Le possédé617 cherche à envelopper le soleil (qui dit la vie) de crêpe c’est à dire de deuil, de mort(v. 2) Le possédé appartient au cycle de Jeanne Duval, la Vénus noire. Celle - ci est encore obscurcie par la maladie et le possédé lui demande de retrouver sa pétulance :

Je t’aime ainsi ! Pourtant, si tu veux aujourd’hui, Comme un astre éclipsé qui sort de la pénombre, Te pavaner aux lieux que la Folie encombre, C’est bien ! ……… (v. 5- 8)

Cythère est devenue une île morte et noire :

Quelle est cette île triste et noire? - C'est Cythère,

J'ai senti tous les becs et toutes les mâchoires Des corbeaux lancinants et des panthères noires Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair. 618

Il ne reste plus rien de son paysage édénique : « - Le ciel était charmant, la mer était unie; / Pour moi tout était noir et sanglant désormais. (v. 53 – 54) »

Couleur dépourvue de résonance, qui exprime la profondeur de l’inaccompli, couleur passive, le noir conduit à l’absence totale de mouvement, de révolte et conduit à la mort, «  la clarté vibrante à notre horizon noir619 . » La femme d’Allégorie620 « rit à la Mort », assimilée à la «  Nuit noire621. »

Le noir est aussi parfois la couleur du soleil

3.2 Les couleurs du soleil

Le soleil noir est une thématique romantique héritée de Jean-Paul. Nous la retrouvons chez Baudelaire et Nerval.

Le soleil noir baudelairien exalte la splendeur du noir.

Elle est belle, et plus que belle ; elle est surprenante. En elle le noir abonde : et tout ce qu’elle inspire est nocturne et profond. Ses yeux sont deux antres où scintille vaguement le mystère, et son regard illumine comme l’éclair : c’est une explosion dans les ténèbres. Je la comparerais à un soleil noir, si l’on pouvait concevoir un astre noir versant la lumière et le bonheur.622

Quant au jour noir, il exprime le comble de l’horreur :

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,

617 O. C, I, 37.618 O. C, I, Un voyage à Cythère, 117-119, v. 5 et 50 –52.619 O. C, I, La mort des pauvres, 126 -127, v. 6.620 O. C, I, 116.621 V. 5 et 18.622 Le spleen de Paris, op. cit. , Le désir de peindre, 156 – 157.

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Et que de l’horizon embrassant tout le cercle Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits. 623

« Quand ce jour noir règne sur Paris, le spectre en plein jour raccroche le passant, et à l’aube, la montée de la vie se manifeste par la montée des souffrances, de la fatigue et même de la mort 624. »

C’est l’équivalent du soleil noir nervalien, le soleil noir qui traduit un état négatif absolu. En ce qui concerne « le Soleil noir de la Mélancolie » d’El Desdichado625 , nous savons qu’il renvoie à la gravure Melancholia d’Albrecht Dürer. Le noir est d’ailleurs la couleur de la gravure (et de la photo). Le Soleil noir est aussi une évocation de l’Allemagne. Henri Heine (que Nerval a traduit) en parle dans son Naufrage et Nerval lui – même l’évoque dans son Voyage en Orient :

Le soleil noir de la mélancolie, qui verse des rayons obscurs sur le front de l’ange rêveur d’Albert Dürer, se lève aussi parfois aux plaines lumineuses du Nil, comme sur les bords du Rhin, dans un froid paysage d’Allemagne.

Le soleil noir apparaît aussi à Paris, dans Aurélia :

Arrivé sur la place de la Concorde, ma pensée était de me détruire. A plusieurs reprises je me dirigeai vers la Seine, mais quelque chose m’empêchait d’accomplir mon dessein. Les étoiles brillaient dans le firmament. Tout à coup il me sembla qu’elles venaient de s’éteindre à la fois comme les bougies que j’avais vues à l’église. Je crus que les temps étaient accomplis, et que nous touchions à la fin du monde annoncée dans l’Apocalypse de saint Jean. Je croyais voir un soleil noir dans le ciel désert et un globe rouge de sang626 au – dessus des Tuileries. Je me dis : « La nuit éternelle commence, et elle va être terrible. Que va-t-il arriver quand les hommes s’apercevront qu’il n’y a plus de soleil ? 627

Le châtiment de l’orgueil 628reprend l’histoire d’un dialecticien du XIII e siècle, Simon de Tournay qui « transporté d’un orgueil satanique629 », perdit ensuite la raison.  Il y a dans ce poème une analogie intéressante entre le soleil et la raison. Et lorsque la raison s’en va : « L’éclat de ce soleil d’un crêpe se voila ; 630 » Nous retrouvons cette image dans Le possédé : « Le soleil s’est couvert d’un crêpe631. » Le crêpe noir est porté en signe de deuil. Dans Le possédé, c’est le deuil du jour. Dans Le Châtiment de l’orgueil, le deuil de la raison, du soleil laissant la place à la nuit, aux ténèbres de la folie : « Le silence et la nuit s’installèrent en lui 632. »

623 O. C, I, Spleen IV, 74, v. 1-4.624 Léon Cellier, Baudelaire et l’oxymoron, op. cit. , p. 200.625 O. C, III, 645, v. 4.626 « Le soleil devint noir comme un sac de poil, la lune devint comme du sang » (Apocalypse de Jean ; trad. Lemaistre de Sacy, 1846) cité par M. Brix in Aurélia, op. cit. , p. 67-68.627 Aurélia, op. cit. ,p. 67 – 68.628 O. C, I, 20-21.629 V. 10.630 v. 16.631 O. C , I , 37, v. 1632 V. 20.

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Le châtiment de l’orgueil s’apparente à la « thématique boehmienne ou martiniste633 : l’univers de la chute est peint dans les images même où le peignent Boehme ou Saint-Martin : chute de l’univers solidaire de celle de l’homme, deuil de la nature, obscurcissement progressif du soleil principe vital et spirituel, conduisant au silence et à la nuit du chaos intérieur à la création, dont est banni l’esprit 634. » Comme le « soleil sans chaleur » de De profundis clamavi 635, ce soleil noir est plus parlant qu’une simple antithèse.

Le soleil couchant vu pendant l’ivresse est rouge (comme le vin) :

Le vin sait revêtir le plus sordide bougeD’un luxe miraculeux,

Et fait surgir plus d’un portique fabuleuxDans l’or de sa vapeur rouge, Comme

un soleil couchant dans un ciel nébuleux.636

Le rouge et le noir que nous avons évoqués interviennent aussi dans les paysages infernaux.

3. 3. Les couleurs de l ’enfer.  Le noir est aussi la couleur des âmes damnées, vouées à l’enfer, comme Les Aveugles 637 ou les Lesbiennes de Lesbos638

 L’œil d’azur est vaincu par l’œil noir que tachette Le cercle ténébreux tracé par les douleurs De la mâle Sapho, l’amante et le poète ! (v. 58-60)

Le vert de l’innocence639 est opposé au rouge de la passion mauvaise et de la sexualité dans un décor infernal :

D’autres, comme des sœurs, marchent lentes et graves A travers les rochers pleins d’apparitions, Où saint Antoine a vu surgir comme des laves Les seins nus et pourprés de ses tentations ; (v. 9 – 12)

Et le rouge se transforme en noir dans un paysage nocturne :

Et d’autres, dont la gorge aime les scapulaires, Qui recelant un fouet sous leurs longs vêtements, Mêlent, dans le bois sombre et les nuits solitaires, L’écume du plaisir aux larmes des tourments.  (v. 17 –20)

C’est cette fois l’enfer absolu : « le bois vert des jeunes arbrisseaux640 » est devenu « le 633 Cf. Saint – Martin, p. 74.634 Anne-marie Amiot, op. cit. , p 33.635 O.C., I, 32, v. 5.636 O. C, I, Le poison, 48 –49, v. 1 – 5.637 O. C, I, 92, v. 4, 9 et 14.638 O. C, I, 150.639 O. C, I, Femmes damnées, 113, v. 5 – 8.640 V. 8.

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bois sombre 641.» Le rouge (sanguinaire) s’oppose aussi au vert (de l’espoir) dans Les phares642  Le noir est la couleur des Enfers : Charon est un « sombre mendiant » ; le « firmament » et les flots sont « noirs » lorsque Don Juan descend aux Enfers.643 Le noir évoque la profondeur, l’idée de chaos et l’homme l’associe à l’eau ; en effet, notre vie a commencé en milieu aqueux et obscur, c’est pourquoi les trois images (eau, origine, obscurité sont associées à la couleur noire dans l’inconscient. Lorsque L’irrémédiable644 se produit, le « Styx » est « bourbeux et plombé645 » ; tout n’est que « ténèbres »,  

Où veillent des monstres visqueuxDont les larges yeux de phosphore

Font une nuit plus noire encore (v. 21-23)

La deuxième partie du poème est remplie d’oxymores :

Tête-à-tête sombre et limpideQu’un cœur devenu son miroir !Puits de Vérité, clair et noir, (v. 33 – 35)

Avec cette conclusion magnifique toujours sous forme d’oxymore : « La conscience dans le Mal ! (v. 40) » Le dernier quatrain d’Harmonie du soir646 comprend une opposition entre ténèbres et lumière. C’est une dualité mise en avant par Goethe dans son Traité des couleurs. Nous retrouvons cette dualité dans Moesta et errabunda647 ou Un fantôme648 . Le Rêve parisien649, c’est le miracle de la lumière qui naît des ténèbres !

Cette lumière peut aussi provenir des yeux.

3. 4. Les couleurs des yeux 3. 4. 1. Les yeux noirs.

Le cycle consacré à la mulâtresse est aussi celui de l’amour charnel, mêlé de perversion et menant à la damnation :

Etre maudit à qui, de l’abîme profond Jusqu’au plus haut du ciel, rien, hors moi ne répond ! Ô toi qui, comme une ombre à la trace éphémère,

Foules d’un pied léger et d’un regard serein, Les stupides mortels qui t’ont jugée amère,

641 V. 19.642 O. C, I, 13 –14, v. 29-30.643 O. C, I, 19. Don Juan aux Enfers, v. 3, 6 et 18.644 O. C, I, 79 – 80.645 V. 3.646 O. C, I, 47, v. 13 -14647 O. C, I, 63, v. 2 – 3.648 O. C, 38, v. 14.649 O. C, I, 101 –103, v. 41 – 44.

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Statue aux yeux de jais, grand ange au front d’airain ! 650

Ce poème est le dernier du cycle et témoigne comme les autres de l’attention accordée par Baudelaire au regard (v. 14). Baudelaire est le poète des « yeux noirs », symboles visibles de l’existence de la lumière noire, dont il peint l’insolite éclat spirituel :

 Quand vers toi mes désirs partent en caravaneTes yeux sont la citerne où boivent mes ennuisPar tes deux grands yeux noirs, soupiraux de ton âme… 651

3. 4. 2. Les yeux verts. 

Ils appellent la correspondance de l’eau ; le vert «était consacré à Vénus - Aphrodite, née des eaux. C’est l’évocation de l’eau habitée, d’un monde inconnu, étrange.

J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,  Et rien, (…) Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer. 652

Les yeux verts sont affectés d’une « connotation dangereuse, voire perverse653 » car le vert est la couleur du diable.

Tout cela ne vaut pas le poison qui découle . De tes yeux, de tes yeux verts, Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers. 654

Les yeux « rouges » ou plutôt rougis par une flamme sont source de lumière et de vie.655

3. 5. Les couleurs de la nature.

Dans Moesta et errabunda656, la symbolique des couleurs renvoie à la pureté : l’océan est « bleu, clair, profond ainsi que la virginité657 », formule presque repris par le « clair azur » rêvé (v. 17). « Quant à la teinte du « vert paradis des amours enfantines658 », elle renvoie à la profusion heureuse de la nature (les collines, les bosquets), notation assez rare dans le recueil pour être remarquée659. » Nous retrouvons les « bosquets » de Moesta et errabunda dans Femmes damnées660et le vert est encore associé à l’enfance :

Les unes, cœurs épris des longues confidences,Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaux,

650 O. C, I,  Je te donne ces vers afin que si mon nom… , 40-41, v. 9-14.651 O. C. I, Sed non satiata, 28, v. 7 – 9.652 O. C, I, Chant d’automne II, 56 - 57, v. 17 et 19- 20.653 A. M. Amiot, op. cit., P. 401.654 O. C, I, Le poison, 48-49, v.11-13.655 O. C, I, Le flambeau vivant, 43 – 44, v. 9 –14.656 O. C, I, 63-64.657 V. 4.658 V. 21.659 F. Court-Perez, op. cit. , p. 54.660 O. C, I, 113-114.

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Vont épelant l’amour des craintives enfancesEt creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux ; (v. 5-8)

3. 6. Les couleurs du spleen

Le noir est aussi la couleur de l'âme envahie par le spleen (les idées noires), « cette tristesse étrange, / Montant comme la mer sur le roc noir et nu ?  661 » Le noir recèle un caractère impénétrable ; c’est un rien sans possibilité, un silence éternel, sans avenir.

- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir, Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique, Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.662

3. 7. Les couleurs mystiques.

On voit se développer dans les FM un symbolisme de la blancheur renvoyant à la pureté de la Vierge. Ainsi, dans A une madone663 (la madone étant une Vierge), le sous –titre, Ex-voto dans le goût espagnol et l’exubérance de la parure renvoie à la Madone la plus célèbre du monde méditerranéen : celle de la Macarena, la Madone de Séville, statue somptueusement parée d’une robe blanche brodée de pierreries. La métaphore « sommet blanc et neigeux 664» renvoie au corps de la Vierge et renforce l’idée de pureté. Les matériaux et les bijoux, les ornements appartiennent au même symbolisme : le « pur métal 665«, le « cristal 666», la « lune d’argent667 » renvoient à la blancheur ou à la transparence, avec une connotation supplémentaire d’éclat précieux. La couleur de la Vierge est aussi le bleu ( les tableaux religieux donnent toujours à la Vierge une robe bleue) et c’est pourquoi le plafond est « peint en bleu668 », un bleu de ciel, un bleu mystique.

De la couleur, nous passons tout naturellement à la peinture.

4. PAYSAGE, POESIE ET PEINTURE.

Nous parlerons bien sûr ici de Baudelaire, critique d'art mais il nous faut, en guise d'introduction évoquer Les Phares 669 où Baudelaire se livre « au simulacre d'une résurrection imaginaire des artistes disparus 670 », notamment des peintres: Rubens, Léonard de Vinci, Rembrandt, Michel-Ange, Watteau, Goya, Delacroix. Ce poème est basé sur des analogies qui « trouvent leur point de rencontre dans le vers suivant: « C'est 661 O. C, I, Semper eadem, 42, v. 1-2.662 O. C, I, Spleen IV, 74 – 75, v. 17-20.663 O. C, I, 58-59.664 V. 35.665 V. 7.666 V. 8.667 V. 24.668 V. 31.669 O. C , I, 13-14, v. 5-8.670 E. Adatte, op. Cit. , p. 127.

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pour les cœurs mortels un divin opium 671  » qui oppose le caractère transitoire de toute vie à la pérennité de l'art672. »

Quant à Nerval, Claude Pichois, dans l'avant-propos de L'Album Nerval, nous confie qu’il « aimait comme il le dit, à prendre des paysages, tel un peintre de plein air673. »

Il ne s'agit pas ici d'examiner les affinités ou amitiés qui ont pu lier nos poètes à des peintres contemporains mais de voir comment les peintres paysagistes à travers les siècles ont pu influencer Baudelaire et Nerval dans la construction de leurs paysages poétiques. La Renaissance marque le début de la construction symbolique du paysage en peinture. A une époque où la peinture était considérée comme un art mineur, Léonard de Vinci (1452 – 1519) au contraire, affirme sa supériorité par rapport à la poésie, la musique et la sculpture : « la vue est le sens le plus noble: chaque jour le peintre lit et reproduit les oeuvres de la nature, celles «  du maître et de l'Auteur suprême, et la beauté du monde entier674. » Il s'agit donc d'imiter la nature mais imiter à la Renaissance, « ce n'est pas copier mais créer des formes semblables à celles que crée la nature675. »

Léonard de Vinci, miroir profond et sombre, Où des anges charmants, avec un doux souris Tout chargé de mystère, apparaissent à l’ombre Des glaciers et des pins qui ferment leur pays ;676

En ce qui concerne l'imitation de la nature, Léonard ne fait que rejoindre les idées exprimées par Léon Battista Alberti (1404 – 1472), Homme universel des débuts de la Renaissance677. Dans le De pictura, il donna le premier exposé systématique (et le premier exposé écrit) des règles de la perspective en peinture678. » Léonard intégra un certain nombre de passages du De pictura à son propre Trattato sur la peinture et, une fois que les règles établies par Alberti furent maîtrisées et approfondies, on oublia qui en avait été l’auteur. 

Aux XVII et XVIII e siècle, Le Lorrain et Watteau représenteront des paysages réconciliateurs (4. 1). Au siècle qui nous occupe, deux tendances majeures se dessinent: le paysage romantique (4. 2) et le paysage réaliste (4. 3)Enfin, nous évoquerons deux peintres qui conçoivent le paysage comme horizon (4. 4).

4. 1 Le paysage réconciliateur.

671 V. 36.672 E. Adatte, op. cit. , p. 127.673 Op. cit. , p. 8.674 Sylvie Béguin, Léonard de Vinci au Louvre, Ministère de la Culture. Editions de la Réunion des musées nationaux, Paris, 1983. p. 11.675 Ibid. , p. 11.676 Les phares, v. 5-9.677 Joan Kelly Gadol.Traduit de l’anglais par Jean –Pierre Ricard. Les Editions de la Passion, 1995.678 Ibid. , p. 16.

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Il est représenté par Antoine Watteau (4. 1. 1) et Claude Le Lorrain (4. 1. 2)

4. 1. 1. Antoine Watteau (1684-1721).

Watteau, ce carnaval où bien des cœurs illustresComme des papillons, errent en flamboyant

Décors frais er légers éclairés par des lustres Qui versent la folie à ce bal tournoyant ;679

Après un rapide apprentissage chez un artiste de Valenciennes (sa ville de naissance), Antoine Watteau décide d’aller à Paris vers 1702. La consécration vient dans les années 1710 et surtout en 1717, lorsqu’il est reçu à l’Académie royale de peinture. A cette occasion, il présente le Pèlerinage à l’île de Cythère, « une feste galante. » C’est un genre qu’il invente. Baudelaire dans Le Musée du Bazar Bonne-Nouvelle qualifie ce tableau de « folâtre et riant680. » . De grands arbres touchent les montagnes bleues à la Léonard de Vinci ; sous un buste de Vénus trois couples se préparent à regagner le bateau. Le thème de Cythère, île où serait née Vénus, donc île d’amour, fut largement exploité au XVII e siècle et la postérité du tableau est grande encore aujourd’hui. Watteau a choisi comme paysage celui de Mortefontaine (cher à Nerval). « Dans l’Artiste du 30 juin 1844, Nerval, à qui l’on a dit qu’il serait en vue des côtes de la Morée, raconte qu’il était sur le pont du bateau au point du jour, rêvant la Grèce, Vénus, Cythère. « …Je cherchais les bergers et les bergères de Watteau, leurs navires ornés de guirlandes abordant des rives fleuries…je n’ai aperçu qu’un gentleman qui tirait aux bécasses et aux pigeons, et des soldats écossais blonds et rêveurs, cherchant peut-être à l’horizon les brouillards de leur patrie. » Ce n’est plus Cythère, c’est Cérigo qui appartient aux Anglais. Dans l’Artiste du 11 août 1844, Nerval écrit : « Pendant que nous rasions la côte…j’avais aperçu un petit monument…C ‘était un gibet à trois branches, dont une seule était garnie… » Il est probable que c’est ce passage que Baudelaire désirait placer en épigraphe681 » du Voyage à Cythère, par ailleurs dédié à Nerval dans le manuscrit ms.

Mais voilà qu’en rasant la côte d’assez près Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches, Nous vîmes que c’était un gibet à trois branches ; Du ciel se détachant en noir, comme un cyprès 682

« Le titre même est peut-être un hommage à Nerval : le chapitre IV de Sylvie 683ne s’intitule t-il pas de même ?684 » Rappelons que Nerval et ses amis avaient contribué à réhabiliter le peintre.

679 Les phares, v. 21-24.680 Baudelaire. Critique d’art, op. cit. , p. 73.681 O. C, I, Notes et variantes, p. 1070.682 O. C, I, 118, v. 25-28.683 O. C, III, 544.684 O. C, I, Notes et variantes, p. 1070.

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Enfin, Nerval affirme dans Angélique685 :

Le Voyage à Cythère de Watteau a été conçu dans les brumes transparentes et colorées de ce pays. C’est une Cythère calquée sur un îlot de ces étangs crées par les débordements de l’Oise et de l’Aisne, - ces rivières si calmes et si paisibles en été.

Cythère est transposée dans le Valois, cette région que Nerval aimait tant.

Watteau peint d’après le modèle et non d’imagination ; on lui a souvent reproché. Cependant, Baudelaire, s’il affirme que « tous les bons et vrais dessinateurs dessinent d’après l’image écrite dans leur cerveau, et non d’après la nature », considère que  les croquis de Watteau « admirables686. » Pour Les plaisirs du bal (vers 1717), Watteau s’inspire des spectacles de théâtre de l’époque. Mais à y regarder de plus près, Watteau brouille les cartes et ajoute volontairement des anachronismes pour mieux égarer l’observateur. L’architecture qui offre son cadre à ce bal n’est pas celle du XVIII e siècle : elle s’inspire du palais du Luxembourg à Paris, élevé par Marie de Médicis au début du XVII e siècle. C’est ce qu’on appelle un paysage de fantaisie.  « Quant au paysage de fantaisie, qui est l’expression de la rêverie humaine, l’égoïsme humain substitué à la nature, il fut peu cultivé. Ce genre singulier, dont Rembrandt, Rubens, Watteau, […] représente le besoin naturel de merveilleux. C’est l’imagination du dessin importée dans le paysage : jardins fabuleux, horizons immenses, cours d’eau plus limpides qu’il n’est naturel, et coulant en dépit des lois de la topographie, rochers gigantesques construits dans des proportions idéales, brumes flottantes comme un rêve687. » Baudelaire créera lui – même des paysages de fantaisie comme le Rêve parisien688. Watteau ne peignit pas que des « fêtes galantes » (dont sa clientèle raffolait) mais aussi des figures isolées comme L’Indifférent (1717) ou le Gilles (vers 1718-1720) qui encore aujourd’hui est une énigme.

« Amoureux de la nature (et non de la campagne), d’une nature avec des lacs, des jets d’eau, des « statues animées », Watteau l’est profondément […]En fait ce sont les arbres […] qui intéressent l’artiste, de grands arbres élancés au feuillage touffu et frémissant […] bien différents de ceux d’un Claude Lorrain689 . »

4. 1. 2. Claude Gellée dit Le Lorrain (1600- 1682)

Claude Le Lorrain « appartient au siècle où la peinture de paysage autonome[…]atteint dans toutes les écoles son plein épanouissement. Interpréter la

685 Les Filles de Feu, Petits Châteaux de Bohême, Promenades et souvenirs. Introduction, notes et dossier par Michel Brix. Collection  « Classiques de Poche », dirigée par Michel Zink et Michel Jarrety, Le Livre de Poche, 1999, p. 165. 686 Baudelaire. Critique d’art, op. cit. , Le peintre de la vie moderne, p. 358.687 Ibid. , p. 140.688 Cf. p. 122.689 Pierre Rosenberg in Tout l’œuvre de Watteau, Introduction par P. Rosenberg. Documentation par Ettore Camesasca. Traduit de l’italien par Alain Veinstein. « Les Classiques de l’Art », Flammarion, 1982, p. 8.

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nature et la lumière, telle fut la constante préoccupation de Claude Lorrain690. » La seconde grande passion du peintre, en dehors de l’architecture, est l’étude de la lumière. On dit qu’il passait des heures dans les champs, du lever au coucher du soleil, pour étudier les variations de lumière sur la campagne romaine. De ces observations provient l’incomparable beauté de ses paysages que les mécènes romains ou de passage à Rome achètent fort cher. Le Port de mer au soleil couchant (1639) illustre aussi le thème du voyage mais ici, il ne s’inspire d’aucun récit littéraire ou mythologique. Le peintre se borne à décrire un paysage de fantaisie. L’architecture du Débarquement de Cléopâtre à Tarse (1642) est imaginaire et certains éléments sont repris de toiles antérieures. Ces édifices sont présentés presque perpendiculairement au plan de la toile et, avec les bateaux à gauche, forment ainsi un cadre à la scène et guident le regard vers le soleil et non pas vers l’événement représenté. Situé pour ainsi dire au centre du tableau, c’est lui qui baigne toute la composition et donne à l’œuvre toutes ses qualités poétiques.

Dans son ouvrage sur Les maîtres d’autrefois, Eugène Fromentin691 évoque Claude le Lorrain : « Il est clair que pendant deux siècles nous n’avons eu en France qu’un seul paysagiste, Claude Lorrain »692car dit-il «  Le dix-huitième ne s’est guère occupé de paysage, sinon pour y mettre des galanteries, des mascarades, des fêtes soi-disant champêtres ou des mythologies amusantes dans des trumeaux693. » Peut-être songe t-il à Watteau […] Quant à Baudelaire, qui n’accorde pas une grande place à Claude Lorrain dans son œuvre critique, retient surtout ses « ciels694. »

4. 2. Le paysage romantique.On considère souvent Eugène Delacroix (1798 – 1863) comme la personnalité

prédominante du romantisme pictural français. Ses toiles tirent leur vie de la couleur. Selon lui, la couleur est avant tout de la lumière, tandis que les ombres sont constituées de reflets colorés. Delacroix s’intéresse à l’art de toutes les époques, notamment l’Antiquité. Cependant, il ne se rendra ni en Italie, ni en Grèce. Par contre, il accompagne en 1832 un diplomate en mission au Maroc. « A peine débarqué sur le sol africain, c’est l’émerveillement, la révélation d’une lumière exceptionnelle et la vue de paysages incomparables qui lui font oublier ses plus beaux rêves d’Italie695. » De cet Orient d’abord rêvé (La Mort de Sardanapale, 1827 ; Scènes de massacres de Scio, 1824 …), le peintre s’attache à puiser l’insaisissable, à en saisir la beauté, la grandeur qui dépasse ses plus folles espérances. « Delacroix s’élançait jusqu-là du réel dans les songes, écrit René Huyghe ; maintenant les songes se précipitent, devant lui dans le réel696. » Il refuse le pittoresque, l’anecdotique dont la plupart des orientalistes du temps étaient friands. Fromentin considère qu’il est « le vrai 690 Marcel Roethlisberger in Tout l’œuvre peint de Claude Lorrain. « Les classiques de l’art », Flammarion, 1977-1986, p. 5.691 Cf. p. 100.692 Rubens et Rembrandt. Préface d’Albert Thibaudet. « Le regard littéraire », Editions Complexe, 1991.693 Ibid. , p. 288.694 Baudelaire, critique d’art, op. cit. , « Salon de 1846 », p. 109.695 Christian Jamet, Delacroix. Images de l’Orient. Herscher, 1995, p. 5.696 Eugène Delacroix et le Maroc, cité par Christian Jamet, op. cit. , p. 8.

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maître, le souverain traducteur de la grâce et de la force arabes697. » Il transforme l’orientaliste littéraire en orientalisme vécu. En tant que « grand sorcier de la couleur698 », il fait une découverte majeure : « les couleurs très vives, inventées de l’Orient mythologique ne sont pas celles, réelles et plus sourdes, de l’Orient géographique699. » Ainsi, ce voyage se répercute dans sa palette de couleurs. Delacroix a fait de nombreuses esquisses dont il tirera à son retour des œuvres célèbres comme Femmes d’Alger dans leur appartement (1834) ou Moulay Abd Er-Rhaman, sultan du Maroc, sortant de son palais de Meknès, entouré de sa garde et de ses principaux officiers (1845) qui fait dire à Baudelaire :

Véronèse fut-il jamais plus féerique ? Fit-on jamais chanter sur une toile de plus capricieuses mélodies ? un plus prodigieux accord de tons nouveaux, inconnus, délicats, charmants ? … Ce tableau est si harmonieux, malgré la splendeur des tons, qu’il en est gris – gris comme la nature, gris comme l’atmosphère de l’été quand le soleil étend comme un crépuscule de poussière tremblante sur chaque objet.700

La splendeur des coloris de la Chasse aux lions ( 1855) enchantera le critique qui évoque à maintes occasions «  notre grand Delacroix 701», soit seul, soit en le comparant à d’autres, souvent à son avantage. En ce qui concerne ses paysages, il leur attribue une « beauté surnaturelle702 : Je regrette encore, et j’obéis peut-être à mon insu aux accoutumances de ma jeunesse, le paysage romantique. 703 »

4. 3. Le paysage réaliste.Il est représenté par Gustave Courbet (4. 3. 1) et Edouard Manet (4. 3. 2).

4. 3. 1 Gustave Courbet. (1819-1877)

Dès 1846, Baudelaire, critique d'art, avait lancé un appel aux peintres pour plus de réalisme: « Remarquez bien que l'habit noir et la redingote ont non seulement leur beauté politique, qui est l'expression de l'égalité universelle, mais encore leur beauté poétique, qui est l'expression de l'âme publique; - une immense défilade de croque-morts, croque-morts politiques, croque-morts amoureux, croque-morts bourgeois. Nous célébrerons tous quelque enterrement... Que le peuple des coloristes ne se révolte pas trop; car pour être difficile, la tâche n'en est que plus glorieuse. Les grands coloristes savent faire de la couleur avec un habit noir, une cravate blanche et un fond gris 704. » Le tableau de Courbet « Tableau de figures humaines, historique d'un enterrement à Ornans » (1849-1850), présenté au Salon de 1850-1851 «  apparaît comme une réponse à cet appel  705. » Par sa précision du paysage ( falaise du Jura) et des coutumes (« drap de mort » brodé de tibias et de larmes pour porter le cercueil), Courbet réalise son but: 697 Cité par Christian Jamet, op. cit. , p. 8.698 Maurice Rollinat, cité par Christian Jamet, op. cit. , p. 12.699 C. Jamet, op. cit. , p. 10.700 Salon de 1845, cité par Christian Jamet, op. cit. , p. 42.701 Baudelaire critique d’art, op. cit. « Richard Wagner », p. 453.702 Baudelaire critique d’art, op. cit. Salon de 1859, p. 328.703Salon de 1859 cité par M. Collot, Horizon et esthétique in Baudelaire : nouveaux chantiers. Textes réunis par Jean Delabroy et Yves Charnet. Presses universitaires du Septentrion, 1995, p. 268.704 Baudelaire. Critique d’art, op. cit. , p. 154-155.705 Yoshio Abe, Baudelaire et la peinture réaliste in Cahiers de l’Association internationale des études françaises, mars 1966, p. 205.

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faire une oeuvre historique. Mais au lieu de choisir un sujet hors du commun il s'inspire d'un événement banal. Le manque amena des critiques virulentes: « ... Voilà! Bon Dieu! Que c'est laid ! déclarait le critique Claude Vignon706. » Le public ne supportait pas non plus la vue de ces hommes et de ces femmes sans grandeur ni beauté; sans doute parce qu'ils s'y reconnaissaient. « C ‘est cette rare aptitude qu'il partage avec Baudelaire, à extraire la signification de réel le plus banal et à en tirer d'inoubliables symboles qui donne son sens à la formule assez obscure et souvent mal comprise d' « allégorie réelle707. » En 1855 ( au moment de l’Exposition universelle), Courbet « ayant eu des toiles refusées par le jury de la grande rétrospective au Palais de l’Industrie, décide de faire son « exhibition » particulière : quarante tableaux, dont un important inédit, L’ATELIER du peintre, où figure, on le sait, Baudelaire. Mais depuis 1852, Baudelaire s’est écarté de Courbet comme de Champfleury, et son projet d’article (Puisque réalisme il y a) est indiscutablement une prise de position contre le Réalisme, et plus précisément une réplique au manifeste publié le 2 septembre dans L’Artiste, Sur M. Courbet708. »

Enfin la peinture française sortait d'une ornière où elle s'était trop longtemps complu, de cette tendance qui consistait à suppléer à la pauvreté des valeurs proprement picturales par l'introduction d'éléments extra-picturaux. Certes, dans les tableaux de Courbet, l'anecdote est signifiante, le « sujet » est loin d'être « indiffèrent » comme chez Manet 709. »

4. 3. 2. Edouard Manet (1832-1883).

Ami comme Courbet (qu'il admire) de Baudelaire, Manet présente son premier tableau, « Le buveur d'absinthe » au Salon de 1859. Cette peinture réaliste fait scandale : « ce portrait d'un ivrogne près de sa bouteille, non pas allégorique mais bien réel - le modèle s'appelait Collardet - était en soi une déclaration de principe, et peut - être une défense et illustration des poèmes de Baudelaire sur le vin et le haschich, et la sombre grandeur de la bohème déchue 710. »

Souvent, à la clarté rouge d'un réverbère Dont le vent bat la flamme et tourmente le verre, Au cœur d'un vieux faubourg, labyrinthe fangeux Où l’humanité grouille en ferments orageux,

On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tête, Butant, et se cognant aux murs comme un poète, Et, sans prendre souci des mouchards, des sujets,

706 Salon de 1850-51, Garnier cité par Yoshio Abe, op. cit. , p. 205.707 Pierre Georgel, Courbet. Le poème de la nature. Découvertes Gallimard - Réunion des Musées nationaux- Peinture, 1995, p. 60.708 Léon Cellier, Baudelaire et George Sand in RHLF avril-juin 1967, n° 2, p. 254.709 Yoshio Abe, op. Cit. , p. 207.710 Françoise Cachin, Manet, « J’ai fait ce que j’ai vu », Découvertes – Gallimard, 1994, p. 26.

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Epanche tout son cœur en glorieux projets. 711

« C'est [… ]Baudelaire qui a pu inspirer cette image de chiffonnier-poète, d'ivrogne-philosophe, sorte d'Edgar Poe du trottoir parisien 712. » C'est Le déjeuner sur l'herbe  (1863 ) qui a assuré la renommée de Manet. Cette «  partie carrée », comme l'appelait le peintre par provocation, a fait cependant l'objet de tous les sarcasmes, de toutes les critiques. Dans un sous-bois, une femme nue est assise en compagnie de deux hommes. Elle se tourne vers le spectateur. A l'arrière plan, une seconde femme est en train de se baigner, au milieu d'un paysage rendu avec une grande délicatesse de coloris. Son originalité réside de la simplification du contour des personnages et des objets; il les détache nettement du paysage esquissé à grands traits, « bâclé »comme on le disait à l'époque. « Le Concert Champêtre » de Titien nous montre le même sujet que «  Le déjeuner sur l'herbe. » Manet s'en souvint certainement lorsqu'il peignit sa toile à scandale! Avec elle, il initiait une nouvelle manière de peindre et annonçait l'impressionnisme à venir.

4. 4. Le paysage comme horizon.

« Peintre profondément symbolique, où le paysage n’est jamais une unité refermée sur elle-même, mais comme une allusion à d’immenses espaces au-delà de ceux qui sont saisis par le peintre » Ces quelques lignes d’Albert Béguin 713 à propos de Caspar-David Freidrich résument assez bien ce que nous avons appelé le paysage comme horizon.

4. 4. 1. Caspar David Freidrich (1774-1840).

Friedrich est le principal paysagiste allemand. Sa peinture est surtout inspirée par les bords de la Baltique et par la montagne du Harz ; on y retrouve l’homme seul (que fut Friedrich) devant la nature. Cette solitude lui est chère, et il s’en dégage une étrangeté allant parfois jusqu’à l’angoisse. Dans son œuvre, il entre en contact avec le divin et l’infini, mesure humaine. « Friedrich, disait David d’Angers, avait «  découvert la tragédie du paysage ». Il l’avait trouvée, en effet, grâce à sa propre tragédie intérieure. « Le crépuscule était son élément », écrit Carus 714 », son élève. Il affectionne aussi l’automne et l’hiver, la brume. Dans Les Falaises crayeuses, île de Rügen (1818), trois personnages (dont Friedrich, lui-même, de dos) se tiennent devant l’ouverture de l’infini. La nature leur est hostile et on a l’impression qu’ils sont en équilibre sur le bord de ces falaises abruptes et déchiquetées. Seul celui de droite regarde la mer, calme symbole d’un monde idéal et inaccessible.  «Peinture profondément symbolique, où le paysage n’est jamais une unité refermée sur elle-même, mais comme une allusion à d’immenses espaces au-delà de ceux qui sont saisis par le peintre. […];   ses paysages imposent une fuite de l’esprit

711 O. C, I, Le vin des chiffonniers, 106-107, v. 1-8.712 Françoise Cachin, op. cit. , p. 27.713 A Béguin, Op. cit. , p 125. 714 A. Béguin, op. cit. , p. 126.

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au-delà de ce que voient les yeux715. » « Il a laissé quelques écrits d’un style un peu rude, strophes très gauches, considérations sur la peinture, aphorismes divers, où il a résumé pour lui-même ses ambitions spirituelles et son drame. Ses courts poèmes évoquent la même nature tragique que ses tableaux, les mêmes paysages lunaires, où se reflètent l’angoisse. …

« Le peintre ne doit pas peindre seulement ce qu’il voit devant lui, mais ce qu’il voit en lui. S’il ne voit rien en lui, qu’il renonce à peindre ce qu’il voit au dehors. Sinon, ses tableaux ressembleront aux paravents derrière lesquels on ne s’attend à trouver que des malades ou même des morts.  (1830) 716 »

Ces quelques lignes pourraient aussi s’appliquer à Eugène Fromentin.

4. 4. 2. Eugène Fromentin. (1820- 1876)

« Ame toute de vibration, livrée à la caresse des choses, réduite à se poursuivre et se rejoindre elle-même de sensation en sensation, de paysage en paysage. Aussi comprend-on que, peintre ou écrivain, ce soit toujours devant des paysages que Fromentin se retrouve, et que nous le rencontrions717. » Nous avons déjà évoqué (p. 96) Les Maîtres d’autrefois (1876), son importante étude sur la peinture flamande et hollandaise. Dès le début, « son admiration pour les Hollandais était en parfait accord avec son amour profond de la nature et son désir grandissant de devenir peintre de paysages718. » Mais, peu sûr de sa vocation, il se dirige vers le droit. L’ennui lui redonna envie de dessiner. En 1843, « Fromentin obtint de son père la permission de suivre des leçons de peinture719. » Le maître est Rémond qui fut aussi celui de Théodore Rousseau mais Fromentin renonça vite à la peinture pour se consacrer exclusivement au dessin. Dans la nature, il échappe à «  l’oppression de la vie familiale »720. A la fin de l’hiver 1843-1844, il rejoint l’atelier de Cabat qui « était depuis la fin des années 1830 peut-être le représentant le plus avancé et le plus conséquent du paysage naturaliste721. » Fromentin prend confiance. En témoigne notamment un dessin portant l’inscription Boulevard Montparnasse/mai 1844. « Au lieu d’une foule de gens faisant leurs courses, un homme isolé promenant son chien définit l’isolement splendide et intact des environs de Paris, qui inspirèrent tant de paysagistes français du XIX e siècle722. » Baudelaire, lui aussi s’intéressa aux faubourgs parisiens et au phénomène de la foule mais sa vision est plus négative, la foule « assourdissante » hurle (A une passante). Le 4 juillet 1844, Fromentin perd la femme qu’il aime. Cet événement influe sur son œuvre ; «  L’Epine-Foreuse est une œuvre dramatique : les douces diagonales de la

715 Ibid. , P. 125. 716 Ibid. , p. 126.717 J. P Richard, Littérature et sensation, op. cit. , p. 224.718 James Thompson et Barbara Wright. Préface d’André Chastel, La vie et l’œuvre d’Eugène Fromentin.. ACR Edition, 1987.719 J. Thomson et B. Wright, p. 44.720 Ibid. , p. 46.721 Ibid., p. 47.722 Ibid. , p. 48.

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plaine atteignent rapidement un horizon qui silhouette rigidement les arbres contre un ciel dramatique, où les cirrus poursuivent le mouvement de composition des contours du pays723. » Il revient à la peinture. « Sous l’influence de Delacroix724, de Decamps et de Marilhat, il rejoint le mouvement orientaliste. […] Fromentin est particulièrement sensible à la grandeur des paysages orientaux et surtout au désert dont il sait rendre les subtilités de la lumière, à l’aide d’une palette chaude, qui privilégie les demi-teintes. « Tout doit rester voilé […] tout s’éteint dans les trois couleurs dominantes : le blanc, le vert et le bleu, à quoi se réduit, selon Fromentin, le paysage du Sahel », écrit A. Chastel725. »

Baudelaire et Fromentin commencent tous deux leurs carrières littéraires en écrivant sur le Salon de 1845. « Pour Fromentin, le pouvoir suggestif et la poésie du paysage étaient très importants. Il affirmait que, puisque les poètes étaient devenus des peintres, les artistes devaient devenir des poètes de la peinture » Il parle de « paysages de mots. » Il proposait une méthode d’étude du paysage en trois parties, qu’il avait certainement l’intention de suivre, et qui consistait à absorber l’œuvre des vieux maîtres, examiner la nature et avant tout développer l ‘« image intérieure726. » Sur ce dernier point, on remarque le caractère novateur de Fromentin. Dans Un mot sur l’art, « Fromentin avait avancé que la meilleure de rendre un hommage approprié à la nature était la fidélité absolue de la représentation 727 . »Voilà une conception que Baudelaire ne partageait pas ! … D’ailleurs, que pense le critique Baudelaire du peintre Fromentin (auquel il consacre un paragraphe entier dans le Salon de 1859) ? : «  Il n’est précisément ni un paysagiste ni un peintre de genre. Ces deux terrains sont trop restreints pour contenir sa large et souple fantaisie728

Après avoir évoqué la poétique du paysage qui se situe entre visible et invisible, il nous faut maintenant étudier sa temporalité.

723 Ibid. , p. 49.724 Cf. p. 96.725 Lydia Harambourg, Dictionnaire des paysagistes français au XIX e siècle. Ides et Calendes. Neuchâtel, Suisse, 1985, p. 154.726 J. Thomson et B. Wright, op. cit. , p. 54-55.727 Ibid. , p. 40.728 Baudelaire critique d’art, op. cit. , , p. 309.

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TROISIEME PARTIE

TEMPORALITE DU PAYSAGE.Il s’agira ici d’étudier le paysage historique (1) et le paysage mélancolique (2).

1. LE PAYSAGE HISTORIQUE

Par paysage historique, nous entendons paysage urbain ou plus exactement paysage parisien. Ce thème, qui occupe une section entière des FM (Tableaux parisiens), est mineur dans les œuvres nervaliennes que nous étudions. (Nous évoquerons les œuvres en prose ). Avant toute chose, nous résumerons le contexte dans lequel évoluent Baudelaire et Nerval. (1. 1) confrontés comme Paris aux débuts de la modernité (1. 2) Cette confrontation est transfigurée par l’imagination (1. 3)

1. 1. Le contexte.

Il faudra cerner le contexte social et politique (1. 1) et la physionomie du Paris de Baudelaire et Nerval (1. 2).

1. 1. 1. Une période agitée.

Après avoir rappelé succinctement les évènements qui marquèrent la première moitié du XIX e siècle (1. 1. 1. 1), nous tenterons d’appréhender la vision qu’en eurent nos deux poètes (1. 1. 1. 2)

1. 1. 1. 1. Les évènements.

Napoléon est sacré empereur des Français en 1804. A l’issue de la campagne d’Allemagne et de la défaite de Leipzig (1813), la France est envahie et vaincue. Napoléon abdique en 1814 et reçoit la dérisoire souveraineté de l’île d’Elbe. Louis XVIII est proclamé Roi de France. Respectant l’héritage de la Révolution et de l’Empire, il octroie la Charte de 1814. Echappant à la surveillance anglaise, Napoléon rentre en France (mars 1815) inaugurant les Cent – Jours. Louis XVIII s’exile.

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Après la défaite de Waterloo (1815), Napoléon abdique une seconde fois et est déporté par les Anglais à Sainte – Hélène où il meurt en 1821. En 1824, Charles X succède à son frère. En juillet 1830, violant la charte, il prétend gouverner par ordonnance, supprimer la liberté de la presse, modifier la loi électorale et dissoudre la chambre. Paris se soulève et en trois journées – les trois glorieuses – l’émeute est victorieuse. De ses événements naît l’œuvre maîtresse des débuts de Delacroix, La liberté guidant le peuple. Au début d’août le duc d’Orléans devient roi sous le nom de Louis – Philippe mais il ne tient pas compte des revendications de 1830. Il suffira d’un incident de rue pour que l’émeute s’enflamme à Paris en 1848. Les Parisiens descendent en armes dans les rues de la ville et dressent des barricades contre les troupes royales. Louis-Philippe abdique en faveur de son petit-fils le comte de Paris. Les chefs républicains - avec à leur tête Lamartine - se rendent à l’Hôtel – de Ville de Paris où ils proclament la République. La République est instable et le 2 décembre 1851, le futur Napoléon III dissout l’Assemblée et fait réprimer le soulèvement qui se dessine à Paris.

Nerval a vécu les trois glorieuses et les barricades de 1848 alors que Baudelaire n’avait que 9 ans en 1830. Dans ses poèmes, il évoque surtout Napoléon. Voyons succinctement comment Baudelaire a vécu les événements qui agitèrent paris

1. 1. 1. 2. La vision de Baudelaire.

A la lecture du vers 21 de Paysage 729 évoquant les tumultes de la monarchie de Juillet (1830 – 1848), Baudelaire nous apparaît plus préoccupé par son travail poétique. Cependant, dans le deuxième projet d’épilogue pour l’édition de 1861 730, Baudelaire n’a pas oublié les barricades : «  Tes magiques pavés dressés en forteresse731. » Peu enclin à la politique, le poète s’intéresse cependant aux réalités sociales de son temps. Le Vin des chiffonniers l’atteste. 732 « Les chiffonniers étaient de plus en plus nombreux depuis que les déchets avaient acquis une certaine valeur du fait des nouveaux industriels 733. » C’est une figure souvent utilisée au XIX e siècle734. C’est l’une des rares silhouettes circulant dans le désert des nuits parisiennes modernes. Mais d’après Simone Delattre735, ce type de figuration « occulte longtemps l’éventuelle diversification sociale des circulations tardives. » Baudelaire se reconnaît dans le chiffonnier (v. 6). Dans Abel et Caïn736, (appartenant ce n’est pas un hasard au cycle « Révolte. ») apparaît 729 OC, I, 82.730 O.C. I, 191-192.731 V. 25.732 O. C, I, 106-107, v 5-8.733 Walter Benjamin, Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme. Traduit de l’allemand et préfacé par Jean Lacoste d’après l’édition originale établie par Rolf Tiedemann. « Petite Bibliothèque » Payot, 1979, 33.734 Cf. Manet, p. 98.735 Op. cit.736 O. C. I, 122-123, v 1-4.

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la vision baudelairienne de « la lutte des classes » de Marx. « Caïn, l’ancêtre des déshérités, apparaît ici comme le père d’une race […] la race prolétarienne, ceux qui ne possèdent d’autre marchandise que leur force de travail 737. » « Révolutionnaire » un moment, Baudelaire se résigna à Bonaparte, après la défaite du prolétariat. Baudelaire a la vision biologique (inconsciente et organique ) de la ville. La période est « rongée par l’inquiétude, la maladie urbaine, l’obsession de l’ombre et de l’opacité du monde 738. »

1. 1. 2. Paris au XIX e siècle.

Il n’est pas question ici de dresser un panorama complet de Paris au XIX e siècle, mais de dresser le décor et cerner l’atmosphère où évoluèrent Baudelaire et Nerval. Ils connurent tous deux l’avant (1. 1. 2. 1) et l’après Haussmann (1. 1. 2. 2)

1. 1. 2. 1. Avant Haussmann.

S’il est un quartier cher à Nerval, c’est celui du Doyenné, qui se trouvait entre l'arc de triomphe du Carrousel et la cour du Louvre ; c’est le cadre de la Bohème galante. Quant au Palais du Louvre, il est le seul monument parisien cité par Baudelaire dans les FM739. Il est donc intéressant de voir quelle était la physionomie de ce quartier au début du siècle : « Les architectes Percier et Fontaine sont choisis par Napoléon I er pour restaurer le Louvre […] Les travaux commencent par l’achèvement de la cour Carrée […] L’escalier de la colonnade construit en 1810 achève les travaux de la cour Carrée. Les travaux se poursuivent dans la perspective de l’arc du Carrousel terminé en 1806. Les architectes envisagent la réunion des deux palais par la construction d’une galerie sur le côté nord symétrique à la galerie du bord de l’eau. Le percement de la rue de Rivoli est entrepris et la galerie est construite jusqu’au pavillon de Rohan mais la chute de l’Empire empêche l’achèvement des travaux qui seront poursuivis sous la Restauration et le second Empire740. »

En ce qui concerne l’aspect général de Paris, la généralisation de l’éclairage au gaz en 1840 « contribua peu à peu à édifier l’image de la Ville - Lumière. Mais si le bec de gaz fut bien l’instrument de la modernité nocturne, sa très inégale répartition différencia longtemps les espaces rutilants de l’ouest parisien des quartiers sombres du Paris populaire741. »

Malgré et - pourrait - on dire - à cause du progrès, « Paris, tel qu’il était au lendemain de la révolution de 1848, allait devenir inhabitable ; sa population, singulièrement accrue et remuée par le mouvement incessant des chemins de fer (. . .), étouffait dans les ruelles putrides, étroites, enchevêtrées où elle était forcément parquée 742. »

737 Walter Benjamin, op. cit. , p. 37. 738 Dominique Kalifa, analyse du livre de Simone Delattre, op. cit.739 O. C, I, Le cygne, 85, v. 33.740 Christine Ausseur, Guide littéraire des monuments de Paris, Hermé, 1992, p 83.741 D. Kalifa, op. cit.

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1. 1. 2. 2. Les travaux du Baron Haussmann.

« Au début des années 1850, on commença dans la population parisienne à se faire à l’idée qu’un grand nettoyage du paysage urbain était inévitable743 . » C’est le baron Haussmann (1809-1891), préfet de la Seine de 1853 à 1870, qui réalisa ce nettoyage « avec les moyens les plus modestes qu'on puisse imaginer: des bêches, des pioches, des barres et autres outils de ce genre. Quelle masse de destruction ces modestes instruments n'ont-ils pas déjà provoqué! 744 » Le quartier du Doyenné fut victime de ces modestes instruments. En effet, Napoléon III, en 1852, avait repris le projet de raccorder le palais du Louvre aux Tuileries et d’achever le Louvre. En ce qui concerne le raccordement, il y avait une solution de continuité occupée par quelques vieilles rues, ruines d’églises, terrains vagues, vieilles masures ou hôtels particuliers loués bon marché à des artistes comme Nerval. C’était une sorte de cour des miracles. Le quartier du Doyenné ne fut livré aux démolisseurs qu'après 1849, au moment des premiers travaux d'Haussmann. Napoléon III inaugure le nouveau Louvre en 1857. Nerval, qui a occupé un appartement situé au 3 de l'impasse du Doyenné, déplore la disparition du quartier dans Petits Châteaux de Bohème :

Nous étions jeunes, toujours gais, souvent riches... Mais je viens de faire vibrer la corde sombre: notre palais est rasé. J'en ai foulé les débris l'automne passé... Le jour où l'on coupera les arbres du manège, j'irai relire sur la place la «  Forêt coupée » de Ronsard. 745

 Dans Le Cygne 746 Baudelaire regrette les ruines et les vieilles pierres qui

encombraient le Louvre avant les grands travaux d'assainissement d'Haussmann. Le poète se refuse aux changements (v. 6 - 8). La ville dans ses changements manifeste l’éclatement de l’univers de « correspondances » où son esprit a pu se mouvoir un temps avec agilité. Baudelaire aime ce Paris de la boue « où il pouvait reconnaître la « double postulation » de son âme, « l’horreur de la vie, l’extase de la vie747. »

Ce « Paris de la boue », Haussmann va le détruire au nom d’un système d’ordre et de propreté, sans doute aussi au nom de la modernité qui naît et se confronte à l’historicité.

1.2. Modernité et historicité.

Cette confrontation est visible dans la géographie parisienne (1. 2. 1) qui se transforme pour donner naissance à une ville moderne (1. 2. 2). Elle est surtout présente dans la poésie qui donne à voir le paysage urbain (1. 2. 3)

1. 2. 1. La géographie parisienne.

742 Maxime du Camp, Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié du XIX e siècle. Paris, 1886, p 253 cité par W. Benjamin, op. cit. , p. 125.743 Walter Benjamin, op. cit. , p 125.744 Walter Benjamin, op. cit. , p. 124.745 O. C, III, Premier château, 402.746 O. C, I, 85-87.747 J. P Avice, Baudelaire et le présent profond de Paris in Europe n°760-761, août-septembre 1992, p. 34.

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« Il y a deux manières de comprendre Paris. L’une est de se perdre, se noyer dans ses rues, ses cours, ses palais et ses bouges, son opulence et sa misère. L’autre est d’en prendre une vue d’ensemble748. » Nos poètes adoptent la première manière lors de leurs errances (1. 2. 1. 1), la deuxième lorsqu’ils adoptent une position surélevée (1. 2. 1. 2).

1. 2. 1. 1. Errances.

Nos deux poètes se sont livrés à l’errance, considérée comme l’un des fléaux parisiens du temps (avec la débauche, la saleté, la barricade, le crime). « C’est pourquoi, dans le schéma haussmannien, organisé par le principe simple que ce qui stagne est malsain, la rue nocturne devrait ne plus correspondre au système de l’expédient et de l’encombrement populaires mais servir, en ligne droite, à la circulation utile ou élégante749. » Le Boulevard (des Italiens aux Capucines)répond au vœu haussmannien ; il est la vitrine du Paris du plaisir alors que les Halles en sont le centre névralgique.

« Nul poète peut-être ne fut plus parisien que Gérard de Nerval. La capitale ne fut point pour lui un objet littéraire, mais la poésie elle-même. Quoiqu’un peu fortuné, il fut [ . . . ] un poète errant qui ne pouvait vivre et écrire que dans la rue [. . . ]; un noctambule impénitent qui ne se reposait que le jour 750. » On trouve plus d’allusion au Paris de Nerval dans les œuvres en prose (Petits châteaux de bohème, Les nuits d’octobre ; Promenades et souvenirs) que dans les poèmes. Gérard eut plusieurs domiciles mais le seul qui comptât, c’est celui de l’impasse du Doyenné, « une cour des miracles où se côtoyaient marchands d’oiseaux, brocanteurs, escamoteurs, cabaretiers borgnes à deux pas des Tuileries751. » Les Tuileries sont d’ailleurs le cadre du Coucher de soleil 752:

Quand le soleil du soir parcourt les Tuileries Et jette l’incendie aux vitres du château ; Je suis la Grande Allée et ses deux pièces d’eau . Tout plongé dans mes rêveries !

Et de là, mes amis, c’est un coup d’œil fort beau De voir, lorsqu’à l’entour la nuit répand son voile Le coucher du soleil, riche et mouvant tableau, . Encadré dans l’Arc de l’Etoile ! 

C’est un des rares paysages parisiens contenus dans les œuvres poétiques de Nerval. « La « Grande Allée753 » de la promenade se transfigure en une voie lactée lumineuse par l’étrange association du coucher de soleil qui « jette l’incendie aux vitres du

748 Bernard Delvaille, La passion de Paris in Magazine littéraire, janvier 1990 , p. 48.749 S. Delattre, op. cit.750 Jean-Paul Clébert, Les Hauts Lieux de la Littérature à Paris. Photographies de Richard Lamoureux. Bordas, 1992, p 27751 Ibid., p 28.752 O. C, I, Odelettes, 341.753 V. 3.

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château 754» avec «  à l’entour la nuit [qui] répand son voile755 », telle une déesse mystérieuse, révélant le soleil finalement « encadré dans l’Arc de l’Etoile », un tableau montrant la direction vers les Champs Elysées756. » Après la destruction du quartier du Doyenné (cf. p. 105) Nerval reprit ses errances ( notamment dans les carrières de Montmartre où il côtoyait d’anciens ouvriers devenus vagabonds), entrecoupées de séjours en clinique jusqu’à la rue de la Vieille - Lanterne où on le retrouva pendu.

« Né rue Hautefeuille en 1821, [Baudelaire] avait 6 ans quand mourut son père et 7 quand sa mère se remaria pour venir habiter 22, rue Saint-André-des-Arts face à la place du même nom qui fut son premier paysage parisien [ . . .] ; la même année, sa mère déménagea pour le 17 rue du Bac757. » Ce n’est qu’un début car sa vie d’adulte ne fut qu’une suite de déménagements. Il fréquente les cafés et les théâtres et pas seulement ceux des grands boulevards.

Pour Nerval, les cafés et cabarets sont aussi des lieux privilégiés dans ses errances.

Les cafés.

Gérard hante « le quartier Saint - Honoré dont il connaissait tous les caboulots qui n’éteignaient le gaz qu’a minuit, et il vaquait là de l’un à l’autre jusqu’à ce qu’on le mit à la porte avec les autres, mauvais garçons et bonnes filles. De là, il gagnait les Halles ou les cabarets restaient ouverts toute la nuit, y demeurant quelquefois trois jours durant et demeurant dans les tas de légumes avec les chiffonnières758. »

Baudelaire affectionnait les cafés du Quartier latin, « fréquentés par les rédacteurs du Corsaire et qui deviendront Pétrus Borel, Champfleury, Nadar ou Courbet. Il y conforte son goût pour la littérature frénétique et le roman-charogne dont Gautier se fera le porte-parole. Il y découvre aussi son penchant pour l’alcool et l’opium des paradis artificiels759. » Il fréquente aussi les beuglants de la rue Cadet et les bars cosmopolites de la rue de Rivoli où il apprend l’anglais.

Les faubourgs.

Baudelaire recherche ces lieux transitoires qui ne sont ni tout à fait ville, ni tout à fait nature. Ce sont souvent aussi les quartiers pauvres mais le poète transmue ce milieu réel déprimant. Il en est ainsi dans Le Voyage760 où le vagabond se retrouve à Capoue :

Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue, Rêve, le nez en l’air, de brillants paradis ; Son œil ensorcelé découvre une Capoue Partout

754 V. 2.755 V. 6.756 Corinne Bayle, Gérard de Nerval. La marche à l’étoile. Collection « Champ poétique », Champ Vallon, Seyssel (01), 2001, p. 27.757 Jean-Paul Clébert, Les hauts lieux de la littérature à Paris, op. cit. , p. 92.758 Ibid. , 27.759 Ibid. , p. 29.760 O. C, I, 131.

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où la chandelle illumine un taudis. (v. 45-48)

De plus, « cette vision remonte bien plus loin (que l’Italie), au II e siècle av. J. C, au temps d’Hannibal, lorsque Capoue («  la seconde Rome » disait-on) jouissait de la réputation d’offrir plus beau séjour du Latium 761. » De même le chiffonnier, « au cœur d’un vieux faubourg, labyrinthe fangeux762 », devient comme le poète, « un Midas moderne. Au moyen d’une « solennelle magie763«, le vin ressuscite des visions perdues dans l’inconscient de l’homme moderne. Surgissent des images de la Lydie ancienne et de la fable du roi d’un royaume oublié, Midas, se baignant dans les eaux du Pactole, dont les vagues resplendissent déjà de paillettes d’or764. »

C’est ainsi qu’à travers l’Humanité frivole Le vin roule de l’or, éblouissant Pactole ; Par le gosier de l’homme il chante ses exploits Et règne par ses dons ainsi que les vrais rois.  (v. 25-28)

Ce poème « est une dramatisation de la théorie baudelairienne de la transmutation magique de la réalité…[ici] sous l’influence alchimique du vin765. » Dans l’Irrémédiable766, les enfers classiques (« Styx ») et le Paris brumeux sont confondus ; on peut qualifier de « bourbeux » les faubourgs avec leurs rues non pavées et « plombé » qualifie aussi les toitures.

Les parcs et jardins.

Le poète est plus à l’aise dans ces lieux où la nature est domestiquée par l’homme et façonnée par la ville.

 Ah ! que j’en ai suivi, de ces petites vieilles ! Une, entre autres, à l’heure où le soleil tombant Ensanglante le ciel de blessures vermeilles, Pensive,

s’asseyait à l’écart sur un banc,

Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre, Dont les soldats parfois inondent nos jardins, Et qui, dans ces soirs d’or où l’on se sent revivre, Versent

quelque héroïsme au cœur des citadins. 767

« Les jardins publics dont il est question dans le poème, « nos jardins », sont ceux qui s’ouvrent au citadin dont les rêves tournent en vain autour des grands parcs interdits 768. » Dans ce poème, le poète cite les jardins de Tivoli.

Le poète a parfois besoin de prendre de la hauteur pour mieux voir sa ville. 761 Freeman G. Henry, op. cit. , p. 42.762 O. C, I, Le Vin des Chiffonniers, 106, v. 3.763 V. 21.764 Freeman G. Henry, op. Cit, p. 42-43.765 Ibid. , p. 42.766 O. C, I, 79, v. 3.767 O. C. I, Les petites vieilles, 89-91, v 49-56.768 Walter Benjamin, op. cit. , p 107.

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1. 2. 1. 2. Une position surélevée.

Le projet d’épilogue pour la seconde édition des FM,  Ode à Paris vu du haut de Montmartre 769 est un poème d’amour fou  :

Je t’aime, ô ma belle, ô ma charmante

Tes faubourgs mélancoliques,

Tes jardins pleins de soupirs et d’intrigues,

Et tes feux d’artifice, éruptions de joie, Qui font rire le Ciel, muet et ténébreux. (v. 3, 9, 11 et 15-16)

Montmartre est une situation sublime, au sens étymologique du terme : « emprunté au latin sublimis « haut, élevé, grand 770. » Il en est de même du Sinaï solitaire que l’homme des foules regagne : « Le cœur content, je suis monté sur la montagne / D’où l’on peut contempler la ville en son ampleur771. »  « Ce regard panoramique porté sur la capitale autorise la transfiguration du labyrinthe parisien en tableau allégorique772. »

Hôpital, lupanar, purgatoire, enfer, bagne, Où toute énormité fleurit comme une fleur. Tu sais bien, ô Satan, patron de ma détresse, Que je n’allais pas là pour répandre un vain pleur ; 773

De telles positions surélevées, le poète domine son sujet, la ville. C’est particulièrement nécessaire lorsqu’il n’écrit pas d’inspiration mais « compose  » comme dans Paysage774. Immobile, le poète voit la ville avec tous ses mâts, comme un navire sur le point d’appareiller ou comme le trompe l’œil d’un tableau mystique. Il ne se contente pas de « voir naître » les astres ; il crée son propre astre, son propre ciel. Il tire « un soleil » de son cœur (v. 25). Paysage est une élévation réussie et en bas, les brumes en se dissipant, laissent percevoir les clartés d’en haut.

Mis à part sa géographie, ce qui caractérise le mieux Paris au XIX e siècle, c’est sa modernité.

1. 2. 2. Une ville moderne.

 Baudelaire et Nerval furent les premiers à avoir de la ville moderne, « une conscience lyrique775. » Baudelaire, surtout, y vit le règne du chaos (1. 2. 2. 1), la disparition des individus remplacés par la foule (1. 2. 2. 2)769O. C, I, 191-192, II.770 Dictionnaire étymologique et historique de la langue française par Emmanuèle Baumgartner et Philippe Ménard. Les usuels de poche, 1996, p. 757.771 O. C, I, Projet d’épilogue pour l’édition de 1861, 191 ? v. 1-2.772 Patrick Labarthe, Paris comme décor allégorique in L’année Baudelaire, Klincksieck, 1995, p. 46.773 O. C, I, 191, I, v. 3-6.774 Cf. p. 121.775 Bernard Delvaille, op. cit. , p. 46.

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1. 2. 2. 1. Le règne du chaos.

Baudelaire a la vision biologique (inconsciente et organique ) de la ville. La période est « rongée par l’inquiétude, la maladie urbaine, l’obsession de l’ombre et de l’opacité du monde776. » Le Paris baudelairien n’est ni celui de la haute société, ni celui des salons littéraires et encore moins celui de la spéculation financière qui s’épanouissait mais dont le poète ne parle pas. Son Paris est fait de « souffrance, de débauche et de travail frénétique mais infructueux, [reflet de] l’attitude de Baudelaire à l’égard de la civilisation moderne […] qu’il croyait moribonde – faute de spiritualité777 . » Le chaos qui règne à Paris est lié à celui de la France tout entière, « notre France/Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance778 . » C’est la seule occurrence du mot « France » dans les FM. « C’est l’image de la France urbaine, le seul cadre français que Baudelaire connaissait à fond779. » Malgré l’assainissement de Paris, les pauvres continuent à vivre dans des conditions d’hygiène déplorable et les chiffonniers vivent «  grâce » aux ordures de la grande ville :

Oui, ces gens harcelés de chagrins de ménage, Moulus par le travail et tourmentés par l’âge, Ereintés et pliant sous un tas de débris, Vomissement de l’énorme Paris. 780

Paris est une « immonde cité781 », une «  cité de fange782 », un « labyrinthe fangeux 783. » On trouvait déjà ce type de termes dans le Tableau de Paris de J. S Mercier784. Ce cadre urbain est hostile au poète errant dans Paris, agressé par le bruit785  ou au simple passant 786 . « Rapidité, éclats, secousses finissent donc par véritablement casser le paysage et par le transformer en un chaos. Il devient le règne de l’incongru, le lieu des voisinages les plus étranges, le domaine du choc et de la fissure. Le beau y a pour critère le bizarre, pour effet la surprise. […] Dans ce « royaume du dissonant, du dissymétrique, de l’impair 787 », Les petites vieilles788, « monstres disloqués789 (…)  trottent tout pareils à des

776 Dominique Kalifa, op. cit.777 Freeman G. Henry, op. Cit. , p. 60.778 O. C, I, A une malabaraise, 174, v. 17-18.779 Freeman G. Henry, op. Cit. , p. 61.780 O. C, I, Le vin des chiffonniers, 106, v. 13-16.781 Ibid. , Moesta et errabunda, 63, v. 2.782 Ibid. ,Le crépuscule du soir, 94, v. 19.783 Ibid. , Le Vin des Chiffonniers, 106, v. 3.784 Cf. p. 119.785 Ibid., A une passante, 92, v. 1.786 Ibid. , Les sept vieillards, 87, v. 1-2.787 J. P Richard, « Profondeur de Baudelaire », op. cit. , p. 155 - 156788 O. C, I, 89-91.789 V. 5.

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marionnettes790 », (…) stoïques et sans plaintes, / A travers le chaos des vivantes cités791 . »

Le chaos qui règne dans la ville moderne s’accompagne d’une disparition des individus.

1. 2. 2. 2. La disparition des individus et la foule.

L’humanisation de la ville grâce aux progrès technologiques (assainissement, avènement du chemin de fer, éclairage au gaz…) s’accompagne d’une déshumanisation des individus. « Des personnifications collectives qui, à première vue ont l’air d’être des images faciles et captivantes, viennent en réalité voler à l’être individuel toute identité particulière « comme un vers qui dérobe à l’Homme ce qu’il mange792. »  Les hommes finissent même par devenir des bêtes au sein de la « fourmillante cité 793. » Les habitants sont ici réduits à des insectes comme dans Les petites vieilles794 , «  traversant de Paris le fourmillant tableau795. »  Les insectes envahissent même les cerveaux : « Serré, fourmillant comme un million d’helminthes, /Dans nos cerveaux ribote un peuple de démons 796. »

Nous trouvons ce motif du fourmillement et du chaos chez Victor Hugo lorsqu’il dépeint un paysage naturel effrayant :

L’ébauche fourmillait dans la nature en rut Le poulpe aux bras touffus, la torpille étoilée

D’immenses vers volants dont l’aile était onglée, De hauts mammons velus, nés dans les noirs limons, Troublaient l’onde, ou levaient leurs trompes sur les monts. Sous l’enchevêtrement des forêts inondées Glissaient des mille-pieds longs de cinq cents coudées ; Et de grands vibrions, des volvoces géants Se tordaient à travers les glauques océans. L’être était effrayant. La vie était difforme.

Partout rampait l’impur, l’affreux, l’obscur, l’énorme.La vermine habitait le monde chevelu.797

Nous pouvons appliquer ce commentaire d’Hugo à Baudelaire : « un esprit qui ne se contente plus de voir le chaos du dehors, ou de se découvrir en lui, mais se constate chaotique pour lui-même, qui se regarde, ou plutôt se sent, (car il n’a plus les moyens de vraiment se regarder) comme un conglomérat fourmillant et incontrôlé d’idées errantes, d’affects déracinés, d’images en dérive798. »790 V. 13.791 V. 61 – 62.792 O. C, I, Le Crépuscule du Soir, 95, v. 20. cité par Freeman G. Henry, op. cit. , p. 66.793 Ibid. , Les sept vieillards, 87, v. 1.794 Ibid. , 90.795 V. 26.796 O. C, I, Au lecteur, 5, v. 21-22.797 Cité par J. P Richard, Etudes sur le romantisme, p. 185.798 J. P Richard, Etudes sur le romantisme, op. cit. , p. 179-180.

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«  Des quais froids de la Seine aux bords brûlants du Gange799 », l’humanité est unifiée, au-delà des différences climatiques, sous le signe d’une pâmoison animale (v. 54).  Cette vision « confère à la Seine le statut d’un fleuve sacré, témoin impassible du fol aveuglement des humains800. » Parfois, les individus servent seulement à exprimer une atmosphère :

Rien n’est plus doux au cœur plein de choses funèbres,

O blafardes saisons, reines de nos climats,

Que l’aspect permanent de vos pâles ténèbres,- Si ce n’est, par un soir sans lune, deux à deux,D’endormir la douleur sur un lit hasardeux.801

La déshumanisation des individus est accentuée par l’augmentation de la population. En 1830, Paris comptait 800 000 habitants ; en 1848, plus d’un million et « avec l’extension des limites municipales, Paris devint énorme : […]presque deux millions d’habitants802. » Les quartiers pauvres sont les plus surpeuplés. Avec cet accroissement extraordinaire de la population, pouvait apparaître une figure renouvelée par la modernité : la foule. Tantôt le poète se tient à l’écart, tantôt il la recherche. Dans Paysage803, la foule assaille le poète (v. 21), « vainement » car le poète est « plongée » dans la « volupté » du travail poétique (v. 23-24).  La lumière divine qui éclaire le monde vient du cœur du poète (v. 25), et c’est cette image qui constitue l’enchaînement avec le poème suivant.  Le soleil 804 inverse en effet le scénario du Paysage : le poète va cette fois vers la foule  (v. 1-8) Qu’il reste chez lui ou qu’il descende dans la ville, le poète le fait en fonction de son travail. Avec la foule, Paris devient le lieu d’une expérience d’anonymat qui permet l’expérience euphorique décrite par Baudelaire dans Les petites vieilles805 :

Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille,L’œil inquiet, fixé sur vos pas incertains,Tout comme si j’étais votre père, ô merveille !Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins : (v. 73-76)

 La foule, c’est aussi le refuge de l’amour fuyant du poète :

La rue assourdissante autour de moi hurlait. Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, Une femme passa, d’une main fastueuse Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Un éclair puis la nuit ! Fugitive beauté Dont le regard m’a fait soudainement renaître, Ne te

799 Danse macabre, v. 53.800 Patrick Labarthe, Paris comme décor allégorique, op. cit. , p. 45.801 O. C, I, Brumes et pluies, 100-101, v. 9 et 11-14.802 Freeman G. Henry, op. Cit. , p. 62.803 O. C, I, 82.804 O. C, I, 83.805 O. C, I, 89-91.

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verrai-je plus que dans l’éternité ? 806

« Pas plus que le silence d’éternité du Rêve parisien 807, les rues assourdissantes, où seul le regard permet de rêver la rencontre, ne s’ouvrent à la parole. Ce que la ville révèle, c’est donc la solitude infinie, le  « grand désert d’hommes », comme si la modernité n’était qu’un autre rêve parisien 808 . »

La poésie urbaine se fait l’écho de l’échec des rapports humains. Le refus du concret et du vivant est une démarche nécessaire vers une nouvelle poésie.

1. 2. 3. La modernité poétique.

Cette modernité se caractérise par le refus du pittoresque, apanage du romantisme (1. 2. 3. 1) et la peinture de décors plus que de paysages (1. 2. 3. 2)

1. 2. 3. 1. Refus du pittoresque.

Ce refus s’inscrit dans le refus du réel tel qu’il est et le désir de le transfigurer ; certains poèmes des FM comportent une antithèse entre l’image réelle de la cité et un paysage conçu selon le désir profond du poète. Ainsi, dans Moesta et errabunda809, le «  noir océan de l’immonde cité810 » s’oppose à «  un autre océan où la splendeur éclate811. » Quant au portrait de femme esquissé à la Constantin Guys dans A une passante812, il « n’est […] parisien (et historiquement situé) que secondairement813. » Baudelaire adopte une attitude opposée à celle de l’aquarelliste qu’il considère comme « dirigé par la nature, tyrannisé par la circonstance. » Les « archives précieuses de la vie civilisée814 » qu’il a constitué sont une « flatterie à la vérité815. » Il est un « pur moraliste pittoresque816 . »

Le pittoresque tient une place moins grande encore dans Une allée du Luxembourg817de Nerval :

Elle a passé, la jeune fille Vive et preste comme un oiseau : A la main une fleur qui brille, A la bouche un refrain nouveau.

C’est peut-être la seule au monde

806 OC, I, A une passante, 92-93, v 1-4 et 9-11.807 O. C, I, 101-103, v. 50 – 51. 808 Jean-Paul Avice, op. cit. , p. 39.809 O. C, I, 63.810 V. 2.811 V. 3.812 O. C, I, 92.813 Jean- Claude Le Boulay, Commentaire composé : Charles Baudelaire, Aune passante in L’information littéraire, janvier 1989, p. 25.814 O. C, II, Le peintre de la vie moderne, 724 cité par J. C. Le Boulay, op. cit. , p. 25.815 O. C, II, p. 697.816 Ibid. , p. 691.817 O. C, I, 338.

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Dont le cœur au mien répondrait,Qui venant dans ma nuit profondeD’un seul regard l’éclaircirait !

Mais non, - ma jeunesse est finie…Adieu, doux rayon qui m’as lui, - Parfum,

jeune fille, harmonie… Le bonheur passait, - il a fui !

Si ce n’était le titre, nous ne saurions même pas que cette apparition se produit au Jardin du Luxembourg.

Dans les FM, Paris n’a pas réellement d’existence géographique. Bien sûr, on reconnaît dans les FM la ville de Paris à des « lieux vagues » mais le mot Paris n’est cité que six fois dans cinq poèmes différents : Confession, Le Cygne, Les Petites Vieilles, Le Crépuscule du matin, Le Vin des Chiffonniers. Les allusions géographiques spécifiques sont d’ailleurs peu nombreuses : la Seine (A une dame créole, Danse macabre, Le Crépuscule du Matin, Frascati et Tivoli (Les Petites Vieilles), un restaurant- le Véfour - (A une mendiante rousse), les quais des bouquinistes (Le Squelette laboureur). L’évocation de lieux précis et contemporains comme le Louvre et le nouveau Carrousel dans Le Cygne818 est le prétexte à celle du Paris d’autrefois (v. 6-7) L’évocation du Véfour est ironique car c’est un restaurant unique et prestigieux que le poète multiplie et intègre dans un décor indigne de lui :

- Cependant tu vas gueusant Quelque vieux débris gisant

Au seuil de quelque Véfour De carrefour ;819

Né à la fin du XVIII e siècle, le Grand Véfour (qui existe toujours) est situé sous les arcades du Palais - Royal, près du Louvre. En 1830, lorsqu’il est menacé, Lamartine, Sainte-Beuve et surtout Victor Hugo le sauvèrent. L’ironie est plus tendre quand il s’agit des petites vieilles820 ; Baudelaire évoque les lieux qui ont vu leur jeunesse :

De Frascati défunt Vestale enamourée ; Prêtresse de Thalie, hélas ! dont le souffleur Enterré sait le nom ; célèbre évaporée Que jadis Tivoli ombragea dans sa fleur, (v. 37-40)

Tivoli était constitué de terrains et de bâtiments situés à Clichy. « Le jour, il y avait une multitude de divertissements, montagnes russes, baraques foraines […] Le soir, […] des bals, des concerts, des feux d’artifice821. » Tivoli s’agrandit jusqu’à sa destruction en 1842. « Le café Frascati, comprenant une maison de jeux et des jardins illuminés, fut fondé à 818 O. C, I, 85-87, v. 6 et 33.819 O. C, I, A une mendiante rousse, 83-85, v. 45-48.820 O. C, I, 89-91.821 Freeman G. Henry, op. Cit., p. 65.

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l’époque du Directoire […] au coin de la rue Richelieu et du boulevard Montmartre […] ; en 1837[…] une loi interdisant toutes les maisons de jeu le força de fermer822. » Si la géographie physique de la capitale est peu détaillée, il y a des images de montagne823  ; le poète a peut-être l’idée d’une hauteur réelle que la géographie parisienne ne dément pas. La « grande plaine824 » symbolise l’uniformité de la ville ainsi que l’Ennui. Dans Rêve parisien  825 , « Paris perd… les dernières traces de sa beauté naturelle et de son caractère pittoresque pour revêtir un aspect artificiel, fantastique et imaginaire. 826. » La capitale disparaît en tant que cadre.

Seul le poète peut échapper à l’écrasement du réel et le refus du pittoresque devient le symbole des rapports entre le créateur tout puissant et sa matière (Paris) qu’il transmue selon sa volonté. La capitale est un plus un décor qu’un paysage.

1. 2. 3. 2. Un décor plus qu’un paysage.

Cette expression signifie que le paysage parisien n’est jamais dépeint pour lui – même mais comme prétexte à une rêverie ou une réflexion.

Ainsi, Notre - Dame de Paris 827 , décor sublime et royal est l’occasion d’une réflexion sur le temps destructeur.

Notre - Dame est bien vieille ; on la verra peut-êtreEnterrer cependant Paris qu’elle a vu naîtreMais, dans quelques mille ans, le temps fera broncherComme un loup fait un bœuf, cette carcasse lourde, Tordra ses nerfs de fer et puis d’une dent sourdeRongera lentement ses vieux os de rocher.

Bien des hommes de tous les pays de la terre Viendront contempler cette ruine austère, Rêveurs, et relisant le livre de Victor…

-Alors, ils croiront voir la vieille basilique Toute ainsi qu’elle était puissante et magnifique, Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort ! 

Nerval fait évidemment allusion (v. 9) au roman de Victor Hugo, Notre - Dame de Paris, paru pour la première fois en 1831. Même s’il ne figure pas dans ses poèmes, il faut citer un décor particulier, celui de sa mort : la rue de la Vieille Lanterne, aujourd’hui disparue. Elle se trouvait entre la place du Châtelet et le pont Notre-Dame. Sinistre et sordide, elle aurait pu constituer le cadre d’un des « Tableaux Parisiens » de Baudelaire qui affectionnait ces lieux troubles. « Servant d’égout à ciel ouvert, elle était bordée de hautes maisons noires et coupée en son milieu par un escalier au bas duquel des bouges se faisaient vis-à –vis[…] elle se 822 Ibid. , p. 66.823 Cf. Une position surélevée, p. 109.824 O. C, I, Brumes et pluies, 100-101, v. 5.825 v. 9-12.826 Hans-Joachim Lotz (Université de Francfort), L’image irréelle, bizarre et mythique de Paris chez Balzac et Baudelaire in Paris au XIX e siècle. Aspects d’un mythe littéraire. Presses Universitaires de Lyon, 1984, p. 103.827 O. C, I, 338.

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prolongeait par un autre boyau, la rue de la Tuerie828. » De même, le Château des Brouillards mérite qu’on parle de lui. Il se situe dans l’Allée des Brouillards, à Montmartre où le poète fit deux séjours. Il habita chez Théophile Gautier, 14, rue de Navarin de 1840 à 1841.  C’est alors qu’une crise violente le conduisit à accepter l’hospitalité du docteur Blanche qui tenait une clinique au 22 de la rue Norvins dans une propriété dite de la Folie-Sandrin. Gérard ne put qu’apprécier l’Allée et le Château des Brouillards, lieux secrets et encore aujourd’hui emprunts de magie (c’est ce que j’ai ressenti)et peu fréquentés par les touristes. « Comment […] ne se développerait-il pas en chaque lecteur la conviction intime, qu’on perçoit encore aujourd’hui, que le Paris qu’il connaît n’est pas le seul, n’est pas même le véritable, n’est qu’un décor brillamment éclairé, mais trop normal, dont les machinistes ne se découvriront jamais, et qui dissimule un autre Paris, le Paris réel, un Paris fantôme, nocturne, insaisissable, d’autant plus puissant qu’il est plus secret, et qui vient à tout moment se mêler dangereusement à l’autre ?829. » Dans l’état second dans lequel Nerval parcourait la ville, celle – ci ne pouvait que lui apparaître que comme un décor de rêve.

Le poète est présent dans tous les poèmes des Tableaux parisiens (sauf Le Crépuscule du Matin) et le cadre urbain n’est qu’un décor pour sa recherche de l’Idéal830. Patrick Labarthe va jusqu’à définir le Paris baudelairien comme un « avatar du décor urbain831. »

En fait, les quelques lieux cités par Baudelaire et Nerval dans leurs poèmes sont moins que des paysages, des décors et en même temps plus que des paysages, ils sont des symboles. L’atmosphère de mystère qui baigne les lieux les rejette à la limite de l’irréel, dans l’imaginaire.

1. 3. L’imaginaire parisien.De Paysage à Rêve parisien, nous traversons l’imaginaire parisien en passant

par la nostalgie du Paris d’autrefois (1. 3. 1), puis de la réalité au rêve (1. 3. 2). Enfin, l’imaginaire entre en lutte avec l’histoire (1. 3. 3).

1. 3. 1. Le Paris d’autrefois : l’espace de la nostalgie.

L’espace de la nostalgie naît du souvenir (1. 3. 1. 1 ), souvenir d’un passé qui vient à la rencontre du présent (1. 3. 1. 2)

1. 3. 1. 1. Le souvenir.

Dans Les Petites Vieilles, le poète évoque deux lieux qu’il a connus832. De ces lieux disparus qui procuraient du plaisir aux hommes, ne reste au poète que ses « chers souvenirs 833 » mêlés ici (comme souvent) à des réminiscences de l’Antiquité : la

828 Jean-Paul Clébert, Les hauts lieux de la littérature à Paris, op. cit. , p. 134-135.829 Roger Caillois, Paris, mythe moderne in Le mythe et l’homme. « Idées » Gallimard, 1938, p. 156-157.830 O. C, I, Le soleil, v. 1-2 et 5.831 Paris comme décor allégorique, op. cit. , p. 42.832 Cf. refus du pittoresque, p. 115.833 O. C, I, Le Cygne, 86, v. 32.

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« Vestale834 » est une servante du culte de Vesta, déesse romaine du Foyer, de l’Etat ou des Particuliers. Quant à « Thalie835 », c’était la muse de la Comédie. Le souvenir, dans Le Cygne, entretient des rapports étroits avec les thèmes de l’exil et de la douleur :

Andromaque, je pense à vous ! Ce petit fleuve, Pauvre et triste miroir où jadis resplendit L’immense majesté de vos douleurs de veuve, Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,

A fécondé soudain ma mémoire fertile, (v. 1-5)

Andromaque était la femme d’Hector (v. 40) et la mère d’Astyanax. Après la prise de Troie, elle fut emmenée captive en Grèce par Néoptolème, fils d’Achille. Son histoire inspira la tragédie d’Euripide, de Racine mais Baudelaire s’inspire sans doute de l’Enéide de Virgile. Au troisième chant, Enée rend visite à Andromaque et voit le paysage troyen qu’elle a recrée avec notamment le Simoïs. Le poète, comme Andromaque, est un exilé. Son exil, c’est le Paris moderne (« le nouveau Carrousel836 ») et il préfère évoquer les images du Paris d’autrefois. Mais ce n’est qu’un autre Rêve Parisien.  Et tout dans ce paysage urbain devient pour lui allégorie de l’exil, l’exclusion comme dans L’albatros 837  :   « Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous, / Comme les exilés, ridicule et sublime838. » « Tout a lieu dans une tension constante entre la conscience d’une perte irréparable et le souvenir de ce qui est aujourd’hui perdu sans retour  839 : A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve/Jamais, jamais !840 »

Le cygne est un poème du souvenir mais il est aussi exemplaire en ce qui concerne la confrontation de l’image du vieux Paris et celle du Paris d’Haussmann.

1. 3. 1. 2. La rencontre du passé et du présent.

Comme je traversais le nouveau Carrousel. Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une villeChange plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel)841 ;

« Devant le décor du Palais neuf, voilà retrouvé le temps du chantier qui changea les ruines en palais, et celui du vieux quartier pleuré par Nerval 842. »

Nous étions jeunes, toujours gais, souvent riches... Mais je viens de faire vibrer la corde sombre: notre palais est rasé. J'en ai foulé les débris l'automne passé... Le jour où l'on coupera les arbres

834 V. 37.835 V. 38.836 V. 6.837 O. C, I, 9 – 10.838 Le cygne, v. 34 – 35.839 P. Laforgue, Note sur les Tableaux Parisiens in L’année Baudelaire. Klincksieck, 1995, p. 84.840 Le cygne, v. 45 – 46.841 Le cygne, v. 6 – 8.842 J. P Avice, op. cit. , p. 42.

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du manège, j'irai relire sur la place la «  Forêt coupée » de Ronsard. 843

 Le cygne lui-même se débat dans cet espace indéterminé où présent et passé se rencontrent. « Pour le poète il y a une contradiction « monstrueuse » entre la face changeante de la ville (« Paris change ! ») et la permanence de la condition humaine (« mais rien dans ma mélancolie/ N’a bougé !844 ») dont le cygne est le symbole845.  Le cygne dit la fragilité de la stature parisienne comme la négresse (v. 41 – 44) ou les figures historiques : Andromaque, « Veuve d’Hector, hélas ! et femme d’Hélenus846

La modernité baudelairienne « forme une tentative d’éterniser le présent, de le soustraire au Temps qui ne lui accorde qu’une existence précaire, rappel du passé ou anticipation du futur 847. » Un des moyens utilisés par le poète est le passage de la réalité au rêve

1. 3. 2. De la réalité au rêve.

Le passage de la réalité au rêve est mis en scène (1. 3. 2. 1) jusqu’à créer parfois un paysage de fantaisie (1. 3. 2. 2)

1. 3. 2. 1. Mise en scène.

Les images théâtrales sont nombreuses dans les FM. Ainsi, dans le paysage crépusculaire  de Recueillement848 , la Seine (v. 11),  dresse une image de théâtre avec les « balcons du ciel » sur lesquels apparaissent des femmes en toilette « en robes surannées849. » S’esquisse alors un drame allégorique où jouent trois personnages : « le Regret souriant850 » qui surgit, « le Soleil moribond 851» qui s’endort et la « douce Nuit852 » qui marche. De même dans Les sept vieillards853 qui s’ouvre sur un chiasme854, la rue est le « théâtre d’un antagonisme entre un monde extérieur privé de sens et de garantie transcendante et une âme exilée certes, mais requise par un devoir d’élucidation, toujours anxieux, toujours insatisfait855 » :

Un matin, cependant que dans la triste rueLes maisons, dont la brume allongeait la hauteur,Simulaient les deux quais d’une rivière accrue,Et que, décor semblable à l’âme d’un acteur, (v. 5 – 8)

Cette théâtralisation du paysage parisien conduit peu à peu à sa promotion au rang de 843 Les Filles de Feu, Petits Châteaux de Bohême, Promenades et souvenirs, op. cit. p. 59.844 Le cygne, v. 29 – 30.845 Freeman G. Henry, op. Cit. , p. 63.846 V. 40.847 Gérald Froidevaux, Modernisme et modernité : Baudelaire face à son époque in Littérature, Larousse, octobre 1986, p. 102.848 O. C, I, 140 –141, v.2-3.849 V. 10.850 V. 11.851 V. 12.852 V. 14.853 O. C, I, 87.854 V. 1. Le chiasme est une figure de rhétorique formée d’un croisement de termes. « Fourmillante cité, cité pleine de rêves. »855 Patrick Labarthe, op. cit., p. 43.

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mythe. Ce mythe remonterait à Rousseau : « Les hommes ne sont pas faits pour être entassés en fourmillières 856», écrit-il dans le premier livre d’Emile, […]A la fin du quatrième livre, cette répugnance se concrétise sur la capitale de la France […]857. » D’autres termes que « fourmillières » traduisent l’aversion pour la ville : « gouffre », « bruit » et « boue. » Déjà, Louis - Sébastien Mercier (rousseauiste fervent, déjà évoqué, p. 110) dans son Tableau de Paris (1781-1788) et son Nouveau Paris (1800) employait des expressions frappantes concernant le côté négatif et répugnant de la capitale : « labyrinthe », « dédale », « abyme », « enfer », « ruche », « mer », « océan », « monstre », « Babylone » et « Sodome. » Pour Hans-Joachim Lotz 858, Baudelaire a en commun avec Balzac (qu’il admirait) une image irréelle et fantastique de Paris. Chez Balzac, on passe souvent du réalisme au fantastique  :

Depuis le guichet qui mène au pont du Carrousel jusqu’à la rue du Musée, tout homme venu, ne fût que pour quelques jours à Paris, remarque une dizaine de maisons à façades ruinées, où les propriétaires découragés ne font aucune réparation, et qui sont le résidu d’un ancien quartier en démolition depuis le jour où Napoléon résolut de terminer le Louvre. La rue et l’impasse du Doyenné, voilà les seules voies intérieures de ce patû sombre et désert où les habitants sont probablement des fantômes, car on n’y voit jamais personne. […]. Les ténèbres, le silence, l’air glacial, la profondeur caverneuse du sol concourent à faire de ces maisons des espèces de cryptes, des tombeaux vivants. Lorsqu’on passe en cabriolet le long de ce demi-quartier mort, et que le regard s’engage dans la ruelle du Doyenné, l’âme a froid, l’on se demande qui peut demeurer là, ce qui doit s’y passer le soir, à l’heure où cette ruelle se change en coupe-gorge, et où les vices de Paris, enveloppés du manteau de la nuit, se donnent pleine carrière.859

Paris est essentiellement composé de boue car peu de rues sont pavées. Balzac transforme ce type de réalitésen représentations morales. « Ainsi, les « marécages parisiens » - comme il les appelle au début de Ferragus (V) – deviennent les symboles de la déchéance des mœurs860. » Les couleurs sombres de Paris se renforcent la nuit.

On retrouve cet univers fantastique et négatif chez Baudelaire, qui, comme Balzac « reste attiré par la ville fourmillante pendant la nuit861. »

(…) – C’est le soir qui soulageLes esprits que dévore une douleur sauvage,Le savant obstiné dont le front s’alourdit,Et l’ouvrier courbé qui regagne son lit.Cependant des démons malsains dans l’atmosphèreS’éveillent lourdement, comme des gens d’affaire,Et cognent en volant les volets et l’auvent.A travers les lueurs que tourmente le ventLa Prostitution s’allume dans les rues ;Comme une fourmilière elle ouvre ses issues;Partout elle se fraye un occulte chemin,Ainsi que l’ennemi qui tente un coup de main ;

856 cf. fourmillement chez Baudelaire et Hugo, p. 111.857 H. J. Lotz, op. cit. , p. 95-96.858 op. cit.859 Extrait de la Cousine Bette, VII, cité par H. J. Lotz, op. cit. , p. 97. 860 H. J. Lotz, op. cit. , p. 98.861 Ibid., p. 101.

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Elle remue au sein de la cité de fangeComme un ver qui dérobe à l’Homme ce qu’il mange.On entend ça et là les cuisines siffler,Les théâtres glapir, les orchestres ronfler ; 862

« Des métonymies caractérisant le Paris de Balzac apparaissent […] parfois revêtues d’une couleur plus sombre encore. Ainsi, […], « l’océan de Paris » (Le Père Goriot, III) qui n’[exprime] chez Balzac que le grand désert de la capitale en rapport avec l’élément aquatique si typique pour la ville863 », devient chez Baudelaire le « noir océan de l’immonde cité864 . »

Cependant, la mise en scène mythique du paysage parisien peut aboutir à un paysage de fantaisie idéal.

1. 3. 2. 2. Un paysage de fantaisie.

Au début des « Tableaux parisiens », le peintre de la vie moderne nous annonce des « églogues 865»plus loin des « idylles866 », genres champêtres. Les quatre premiers vers des deux strophes accumulent des éléments typiques de l’image du poète romantique qui se fond avec la nature. Le poète veut « coucher auprès du ciel [et] « écouter en rêvant867 » les clochers entourés par le vent. Il est sensible aux « brumes868 » aux étoiles (v. 9-10) et surtout à la lune (v. 12). Tous ces éléments sont caractéristiques du décor romantique, de même que la rêverie présente dans les deux strophes. C’est un défi pour un poète qui dit détester la nature et la campagne. Le lecteur naïf peut être dérouté. Mais Baudelaire exprime une volonté (« je veux ») et le poème naît d’une confrontation entre ce projet poétique et la réalité contemporaine (« je verrai »). C’est un rêve créateur (« je rêverai »). C’est un paysage crée par l’imagination, le rêve (ou le cauchemar) hors de toute observation d’un paysage extérieur. « Baudelaire désire composer le « pernicieux phénomène » qui a atteint Paris en lui opposant la grâce splendide d'une ville imaginaire tout entière sortie de son esprit 869 » :

 Je verrai les printemps, les étés, les automnes ;Et quand viendra l’hiver aux neiges monotones,Je fermerai partout portières et voletsPour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.Alors je rêverai des horizons bleuâtres,Des jardins, des jets d’eau pleurant dans les albâtres,Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,Et tout ce que l’Idylle a de plus enfantin. 870

862 O. C, I, Le Crépuscule du soir 94-95, v. 7-22.863 H. J. Lotz, op. cit. , p. 103.864 O. C, I, Moesta et errabunda, 63, v. 2.865 O. C, I, Paysage, 82, v. 1.866 V. 20.867 V. 2 et 3.868 V. 9.869 E. Adatte, op. Cit. , p. 153.870 Paysage, v. 13-20.

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Le poète ne vit pas le temps empirique : il y a le monde extérieur, des printemps, des étés, des automnes. Il les voit, il en souffre (Chant d’automne) mais dès qu’il crée, il invente son « printemps. » « Le travail poétique qui s’accomplit dans la solitude recrée ce qui s’est passé dans la multitude ; il recrée en hiver les quatre saisons871. » Comme le projet d’épilogue pour la seconde édition des FM872, le sujet de ce poème est la relation entre le poète et la ville. Le tableau idyllique où Baudelaire attribue à Paris des images pastorales et amoureuses contraste vivement avec une scène qu’il laisse entrevoir à l’arrière-plan (v. 21). « Le paysage peint (« les ciels 873», terme de peinture) par Baudelaire ne représente pas la nature. C’est un paysage humain qu’il illustre avec des images bucoliques874. » Ce poème, absent de l’édition de 1857 mais paru la même année dans la revue Le présent, avait pour titre initial Paysage parisien. D’après Pierre Laforgue875 , ce titre était parfaitement justifié mais il constate aussi qu’ « il y a une tension constante entre ce qui est vu, un paysage de Paris, et ce qui est rêvé, un paysage de fantaisie, le poème s’organisant autour du couple « je verrai/ je rêverai » qui occupe le centre du texte. On est en fait en présence de deux paysages et l’adjectif « parisien » qualifie moins le substantif auquel il se rapporte qu’il entretient avec lui un rapport d’opposition : paysage/ parisien876. » D’après Agnès Sola877, Baudelaire célèbre « le travail d’ « idéalisation forcée » de la nature que réclame l’art.878 »

Car je serai plongé dans cette voluptéD’évoquer le Printemps avec ma volonté, (v. 23-24)

 A cause de l'aspect volontariste que Baudelaire confère à la création du Paysage (v. 23 à 26), ce poème constitue une magnifique victoire sur les tumultes de «  l'Emeute879 », une victoire de l’imaginaire sur l’histoire.

1. 3. 3. L'imaginaire contre l'histoire.

Le crépuscule du matin forme un diptyque avec Rêve parisien (1. 3. 3. 1) : l’imaginaire parisien contre sa réalité historique.

1. 3. 3. 1. Rêve parisien 880

Ce poème est divisé en deux parties qui s'opposent.

871 Reginald Mc Ginnis, La prostitution sacrée. Essai sur Baudelaire Belin, 1994, Tableaux parisiens, p. 53.872 O. C, I, 191.873 V. 8.874 Reginald. Mc Ginnis, op. cit. , p. 53.875 Note sur les « Tableaux parisiens » op. cit. , p. 81.876 Ibid. , p. 81-82.877 Une plume accoutumée à lutter contre les représentations plastiques. Baudelaire et Constantin Guys in Art et littérature. Actes du congrès de la société française de littérature générale et comparée, Université de Provence, 1988.878 Ibid. , p. 599.879 V. 21.880 O. C, I, 101-103.

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Dans la première, Baudelaire rêve un paysage urbain idéal, « De ce terrible paysage, / Tel que jamais mortel n'en vit 881», d’où la première partie du titre, « Rêve. »Le paysage décrit est présenté comme absolument singulier (v. 2)et l’adjectif « terrible882 » insiste sur l’aspect antinaturel du décor. Ce qui peut susciter l’effroi, c’est l’absence d’humanité du paysage ou d’éléments de vie : «  le végétal irrégulier 883» est banni et il précise que les étangs sont entourés « Non d’arbres, mais de colonnades884. » La nature (plantes et bêtes) est « une force tiède et abondante qui pénètre partout [… et dont] il a horreur885. » En fait, de la nature, seuls les éléments minéral et aquatique subsistent. Le métal et le minéral « lui renvoient l’image de l’esprit - règne de l’inanimé : lumière, froid, transparence, stérilité886. » Rappelons – nous le paysage polaire de De profundis clamavi887. Dans Anywhere out the world888, le poète recommande de fuir vers les pays du pôle, « analogies de la mort. » Cependant, ce n'est pas la froideur qui domine le Rêve parisien mais l'harmonie car le poète accomplit de nouveau dans ces vers une transformation alchimique semblable à celle de la boue en or au deuxième épilogue889 ; comme le noir ici devient brillant et irisé (v. 41 – 42). « [Cette] vision d’un univers surnaturel, d’eau, de métal et de pierres précieuses et de lumière froide – […] – se distingue essentiellement de la vision plusieurs fois renouvelée de Heinrich von Ofterdingen. Cette vision, mystiquement, pieusement, passivement acceptée, subie par le héros de Novalis, est remplacée chez Baudelaire par une vision voulue, provoquée même, qui du coup tient du défi, de la provocation, et est donc plus totale, plus téméraire : l’enjeu d’une entreprise désespérée ! Elle est le fruit d’une fantaisie désireuse d’atteindre l’absolu et ne craignant pas pour cela d’affronter la Mort et Satan. Désormais le rêve signifie l’aventure et point seulement l’attente et l’espoir890. » Peu à peu l’architecture du Rêve parisien cède devant l’eau qui devient l’élément dominant :

Les étangs dormants s’entouraient,Où de gigantesques naïades,Comme des femmes se miraient.

Des nappes d’eau s épanchaient, bleues,Entre des quais roses et verts,Pendant des millions de lieues,Vers les confins de l’univers ; (v. 22-28)

881 V. 1 – 2.882 V. 1.883 V. 8.884 V. 21.885 J. P Sartre, op. cit. , p. 122.886 J. P Sartre, op. cit. , p. 125. ? R. Mc Ginnis, op. cit. , p. 63.887 O. C, I, 32 – 33, cf. p. 34.888 O. C, I, Le Spleen de Paris, p. 357.889 O. C, I, 191, II, v. 34.890 R. Bauer, op. cit. , p. 57.

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Mais ce n’est pas une eau en liberté ( v. 26). « Schaunard rapporte [ces propos de Baudelaire] : « L’eau en liberté m’est insupportable ; je la veux prisonnière, au carcan, dans les murs géométriques d’un quai. » (Souvenirs. Cité par E. Crépet dans Charles Baudelaire) 891. Baudelaire est un citadin : pour lui : la vraie eau, la vraie lumière, la vraie chaleur sont celles des villes – des objets d’art, unifiés par une pensée maîtresse892. »

La seconde partie du Rêve parisien se caractérise par un retour brusque à la réalité, d’où la deuxième partie du titre, « parisien. »

En rouvrant mes yeux pleins de flamme J'ai vu l’horreur de mon taudis, Et senti, rentrant dans mon âme, La pointe des soucis maudits;

La pendule aux accents funèbres Sonnait brutalement midi, Et le ciel versait des ténèbres Sur le triste monde engourdi. (v. 53 –60)

Le mouvement est l’inverse de celui de Paysage (qui nous emporte de la réalité au rêve). « Dans les deux cas le caractère parisien du spectacle, réel ou imaginaire peu importe, est également problématique ; ce qui compte, c’est que la référence à Paris empêche de décider entre réel et imaginaire, tout se passant comme si le seul emploi du mot « parisien » entraînait de fait un brouillage entre les catégories autrement distinctes du réel et de l’imaginaire. [En fait], selon une inversion paradoxale, c’est à l’imaginaire que renvoie cet adjectif et non pas au réel893. » Emmanuel Adatte894, quant à lui, pense qu’il est impossible de trancher, dans ce poème, entre rêve et réalité.

Le crépuscule du matin895 (qui clôt les « Tableaux parisiens ») présente le même type de spectacle que Paysage 896 presque dans les mêmes termes mais l’on est passé du soir au matin : 

Une mer de brouillards baignait les édifices,Et les agonisants dans le fond des hospicesPoussaient leur dernier râle en hoquets inégaux.Les débauchés rentraient, brisés par leurs travaux. (v. 21-24)

De plus, le premier poème des Tableaux parisiens (Paysage) présentait un paysage, un Paris de fantaisie alors que le dernier (Le crépuscule du matin) nous dépeint la réalité de Paris  (v. 25-28) « L’opération de substitution de l’imaginaire au réel qui occupait Paysage et qui se poursuivait jusqu’à Rêve parisien est ainsi menée à son terme

891 Cité par J. P Sartre, op. cit. , p. 120.892 J. P Sartre, op. cit. , p. 121893 P. Laforgue, op. cit. , p. 83.894 op. Cit, p. 148.895 O. C., I, 103-104.896 O. C, I, 82, v. 9-12

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logique ; à la fin de la section le cercle de l’imaginaire est bouclé sur lui-même et c’est la réalité qui se retrouve au bout du parcours897. »

De la confrontation entre le Paris réel et le Paris imaginaire (qui n’a jamais

existé ou n’existe plus), naît une poésie nouvelle, faite d’une combinaison entre mélancolie et allégorie.

1. 3. 1. 2. Mélancolie et allégorie.

Baudelaire aurait voulu être comme Théophile Gautier ou Théodore de Banville qui accueillaient les changements à Paris avec bonheur ; le Paris de Haussmann devenait pour eux une nouvelle source d'inspiration.  Surtout, il aurait aimé suivre l'exemple de Constantin Guys, Le Peintre de la vie moderne 898 qui  « admire l'éternelle beauté et l'étonnante harmonie de la vie dans les capitales, harmonie si providentiellement maintenue dans le tumulte de la liberté humaine. Il contemple les paysages de la grande ville, paysages de pierre caressés par la brume ou frappés par les soufflets du soleil899. » Baudelaire décrit Constantin Guys au travail (v. 9 – 12)dans le Rêve parisien (dédié précisément au caricaturiste) De ces observations, Guys tire des ébauches rapides, car la modernité le demande mais Baudelaire ne parvient pas à saisir ces instants sans mélancolie. On sent  dans le Rêve parisien «  cette tension entre le rêve et la nature, au centre de la réflexion baudelairienne sur l’art […] Le rêve d’une architecture luxuriante et parfaite, livrée aux seuls reflets de l’or, du diamant, du cristal (v. 37 – 40), monde de l’Idée, de la Beauté, dont Baudelaire pressent qu’il va être le but désincarné d’une certaine poésie, moderne, aboutit à la description d’un «  terrible paysage 900 . »  Le poète ressemblerait plutôt à l'aquafortiste Meryon : « Nous avons rarement vu, représentée avec plus de poésie, la solennité naturelle d'une grande capitale. Les majestés de la pierre accumulée, les clochers montrant du doigt le ciel, les obélisques de l'industrie vomissant contre le firmament leurs coalitions de fumées, les prodigieux échafaudages des monuments en réparation, appliquant sur le corps solide de l'architecture leur architecture à jour d'une beauté arachnéenne et paradoxale, le ciel brumeux, chargé de colère et de rancune, la profondeur des perspectives augmentée par la pensée des drames qui y sont contenus, aucun des éléments complexes dont se compose le douloureux et glorieux décor de la civilisation n'y est oublié901. » Nous pouvons ainsi comparer les vers que Meryon a mis sous la vue du Pont - Neuf et Le Squelette Laboureur902.

Ci-gît du vieux Pont-Neuf

L'exacte ressemblance Tout radoubé de neuf Par récente

897 P. Laforgue, op. cit. , p. 84.898 Baudelaire critique d’art, op. cit. , p. 343-384.899 Ibid. , p. 352.900 Aliette Armel, Constantin Guys, peintre de la vie moderne in Magazine littéraire, janvier 1990, p. 52-53.901 Baudelaire critique d’art, « Peintres et aquafortistes », p. 401.902 O. C, I, 93-94.

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ordonnance. O savants médecins, Habiles pour quoi ne faire Comme du pont de pierre 903

Dans les planches d'anatomie Qui traîne sur ces quais poudreux Où maint livre cadavéreux Dort comme une antique momie,

On voit, ce qui rend plus complètes Ces mystérieuses horreurs, Bêchant comme des laboureurs, Des Ecorchés et des Squelettes. (v. 1-4 et 9-12)

Chez Meryon comme chez Baudelaire, «  l'antiquité et la modernité s'interpénètrent; chez Meryon aussi on retrouve indiscutablement la forme propre à cette superposition, l'allégorie. Les titres de ces gravures sont importants. Si la folie vient y jouer, leur obscurité ne fait que souligner la « signification » qui s'y révèle904. »

A cette représentation allégorique du réel se mêle la mélancolie qui génère des paysages que nous allons étudier.

2. LE PAYSAGE MELANCOLIQUE.

Le paysage mélancolique se situe dans un ailleurs lointain (2. 1) ou dans l’espace de l’originel (2. 2). C’est aussi le paysage céleste ou infernal (2. 3).

2. 1. L’ailleurs.

L’ailleurs, pour Baudelaire et Nerval, s’incarne dans l’exotisme des îles (2. 1. 1) , l’Orient mythique (2. 1. 2) ou l’Antiquité (2. 1. 3)

2. 1. 1. Le voyage aux îles de Baudelaire.

Nous avons déjà évoqué ce voyage (p. 10). Après avoir longé les côtes du Portugal, puis celles de l’Afrique occidentale, le trois-mâts s’enfonça vers le Sud. Dans les parages du Cap, il essuya une tempête effroyable, qui avaria assez gravement sa mâture et son gréement. Le 1er septembre, le bâtiment mouilla l’ancre dans la rade de Port - Louis, l’humble capitale de l’île Maurice. L’escale qui dura dix-huit jours permit au poète de découvrir un paysage tropical ruisselant de lumière et de chaleur. Mais il ne voulait pas poursuivre sa croisière et le capitaine l’accompagna jusqu’à l’île Bourbon où le navire s’arrêta une vingtaine de jours. C’est là que Baudelaire adressa à Monsieur Autard de Bragard (qui l’avait accueilli à l’île Maurice), le madrigal (sonnet galant) A une dame créole905 en hommage à son épouse. A la lumière exotique des quatrains qui évoquent la jeune femme dans son décor

903Gustave Geffroy, Charles Méryon, Paris, 1926, 1 c, p. 59 cité par W. Benjamin, op. cit. , p. 127.904 W. Benjamin, op. Cit, p. 126-127.905 O. C, I, 62-63.

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naturel (v. 1-4), répondent les ombres mesurées d’une verte Loire de la Renaissance  des tercets (v. 9-11). Baudelaire rentre à Bordeaux le 16 février 1942 mais « l’exotisme sera dès lors un des fonds, secondaires mais agissants de la création poétique de Baudelaire. Il fait une antithèse à la vision maussade de Paris906. » A une malabaraise907 a peut-être été écrit avant même le voyage et témoigne d’une influence de Hugo et Gautier. Comme A une dame créole - et malgré leur différence formelle - il présente une structure binaire. Dans la première partie, le charme de la femme se confond avec celui de sa terre natale. La chaleur est la composante essentielle du pays exotique : «  le soleil caresse908 » le pays de la Dame créole et le poète célèbre « les pays chauds et bleus 909»  où est née la Malabaraise. Les parfums sont la première caractéristique de cet univers évoqué dans A une Dame créole (v. 1) ; quant à la Malabaraise, elle est chargée de remplir les flacons de parfums (v. 7). L’exotisme tient aussi à la beauté des végétaux, « arbres tout empourprés910 », « palmiers d’où pleut sur les yeux la paresse911 » pour la Dame créole, « platanes » qui « chantent dès le matin 912» pour la Malabaraise. La nature est donc odorante, élégante, voire musicale. Dans une deuxième partie, le poète extrait la femme de son décor et décline cette séparation de deux façons différentes. Le madrigal transforme la dame créole en une déesse adulée par ses galants :

Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire, Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire, Belle digne d’orner les antiques manoirs,  (v 9-11)

Par contre, la deuxième partie d’ A une Malabaraise (plus réaliste) annonce Le Cygne et montre la douleur de l’exil :

Faire de grands adieux à tes chers tamarins ?

Frissonnante là-bas sous la neige et les grêles,

L’œil pensif, et suivant, dans nos sales brouillards,Des cocotiers absents les fantômes épars ! (v. 20, 22 et 27-28)

Ces deux poèmes indiquent que l’exotisme est une des formes de l’Idéal. Avec Parfum exotique913, « Baudelaire […] s’engage à fond dans la voie tracée par ses devanciers, Bernardin de Saint - Pierre ou Chateaubriand, inventeurs de l’exotisme paradisiaque, dont il renouvelle la géographie et le symbolisme par l’identification du 906 Robert-Benoit Chérix, op. cit. , p 227.907 O. C, I, 173.908 V. 1.909 V. 5.910 V. 2.911 V. 3.912 V. 9. 913 O. C, I, 25-26.

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Paradis à « la brûlante Afrique 914 », où se rassemblent tous les éléments de la vision paradisiaque, épars dans l’œuvre de Baudelaire 915 » et surtout l’harmonie entre l’homme et la nature, « nature » qui « donne 916» (v. 5) :

Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;Des hommes dont le corps est mince et vigoureux ;Et des femmes dont l’œil par sa franchise étonne. (v. 6 – 8)

Le paysage exotique est une des figures du paradis perdu. « Il se situe en un moment et en un lieu premier, où rien de la vigueur originelle ne s’est encore égaré ni corrompu […] La nature s’y montre merveilleusement émanatoire… mais ces émanations si véhémentes ne deviennent jamais excessives, douloureuses, et cela en raison même de leur» véhémence […] L’interférence de leurs ardeurs aboutit à créer au centre du paysage une sorte de nappe immobile où les brûlures s’éparpillent, où l’effusion se fige, et où la vie n’existe plus que sous la forme d’un frisson arrêté, d’une pâmoison 917. »

J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève,Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ; 918

Les orientaux appellent cela le « Kief 919» bien différent de la douloureuse faiblesse qui accable le spleenétique. « L’image la plus exacte de l’âme exotique, ce sera donc celle des navires de La chevelure, qui glissent sur une eau hiératique, et dont les voiles se tendent, comme pour y vérifier la présence d’un dieu, en direction d’un ciel vivant et vide, vers toute la pureté de l’espace et du temps920. »

 (…) les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire,Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloireD’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur.921

C’est à Bourbon, à Maurice, qu’il a commencé de faire connaissance avec l’eau et le ciel (La vie antérieure). Il découvre un paysage tropical ruisselant de lumière et de chaleur. C’est toujours là (du moins en rêve) et pour mieux rêver qu’il ne cessera de revenir. C’est là encore que le transportent les tableaux de Fromentin922 sur leurs flots de lumière (L’invitation au voyage).

«  Le voyage aux Tropiques de 1841 se situe à la base d’[une] pyramide d’expériences réelles et illusoires : les inhibitions de l’enfance et les fantaisies exotiques, le voyage physique et la rêverie équatoriale, l’onirisme, l’hallucination et les hallucinogènes, la vision poétique et finalement l’attrait exotique de la mort923. » 914 O. C. , I, 26-27, v. 6.915 Anne-Marie Amiot, op. cit. , p. 343.916 V. 5.917 J. P Richard, « Profondeur de Baudelaire », op. cit. , p. 152.918 O. C, I, La chevelure, 26 - 27, v. 11-12.919 Cf. p. 130.920 J. P Richard, « Profondeur de Baudelaire », op. cit. , p. 154.921 O. C, I, La chevelure, 26-27, v. 18-20.922 CF. P. 100.923 Freeman G. Henry, op. cit., p 89.

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Les paysages luxuriants ne nous renvoient pas tant à la réalité vécue par le poète qu’à son monde intérieur : une réalité affective et le symbole de ce qui ne peut être atteint, le nouveau, le différent. L’espace sans limites, infini s’oppose aux limites de la vie humaine, à l’étroitesse de la vie quotidienne. Le bonheur, c’est le mouvement dans une étendue sans bornes précises, la liberté absolue exprimée dans Elévation ou L’homme et la mer.

L’enthousiasme pour le voyage, au temps de Baudelaire, n’avait pas de précédent. C’était une période de vulgarisation.  Mais c’est l’exotisme du XVIII e siècle (et sa littérature) qui peut s’accorder avec ses souvenirs de l’Océan Indien car celui du XIX eme siècle concerne des contrées que Baudelaire n’a jamais visitées : l’Italie, l’Espagne, le Levant, contrées que l’on inclut couramment dans l’Orient.

2.1.2 L’Orient

« Civilisation de l’immanence alors que la civilisation occidentale représente une civilisation de la transcendance, l’Orient, est perçu au cours de la première moitié du XIX e siècle comme une référence indispensable pour le monde spirituel. 924 » On parle de « Renaissance orientale » centrée sur la redécouverte de l’Egypte ancienne  à la suite des campagnes napoléoniennes en Egypte (et en Syrie). La figure de l’Orient va se confondre avec la pratique du voyage. De grands écrivains comme Chateaubriand (Itinéraire de Paris à Jérusalem, 1811) ou Byron (Le pèlerinage de Childe Harold, 1812) ouvrent la voie de l’orientalisme littéraire. Quant à Delacroix925, l’altière noblesse du peuple lui a permis de retrouver, selon sa propre expression, « l’Antiquité vivante.926 » A travers l’Orient, il retrouve l’Italie et la Grèce antique.

Nerval fait un long séjour en Egypte entre janvier et mai 1843. En 1851, il publie le Voyage en Orient inspiré aussi par des séjours au Liban et à Constantinople. L’ouvrage manifeste « une exigence d’actualité et de réalisme, tout en intégrant à la reconstruction de l’Orient, une tradition très ancienne, littéraire et ésotérique 927. » Dans Erythréa928, Nerval plaide pour l’adoption par l’Occident des dieux de l’Orient. « L’idée de se rendre en Orient n’avait pas d’autre signification que celle de renouer avec la terre originelle par excellence puisqu’elle est le berceau de religions, de philosophies et de sciences innombrables929. » Dans le sonnet, sont évoquées plusieurs contrées orientales : la Judée930 et Patani931 (Jérusalem selon la glose du poète), l’Inde avec Bénarès932, l’Asie avec le Cathay933 (nom ancien de

924 Camille Aubaude, Le voyage en Egypte de Gérard de Nerval. Editions Kimé, Paris, 1997, p. 9925 Cf. p. 96.926 C. Jamet, op. cit. , p. 9.927 Camille Aubaude, op. cit. , p 9928 O. C, III, 759.929 Anny Detalle, Mythes, merveilleux et légendes dans la poésie française de 1840 à 1860. Klincksieck, 1976. Chapitre II. Sous un apparent chaos, l’unité du mythe nervalien : la Chimère, p 115.930 V. 4931 v. 7.932 V. 5.933 V. 11.

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la Chine, le Tibet selon la glose), la mer Erythrée (l’atlantique). N’oublions pas Erythréa qui à elle seule évoque Rome, l’Ethiopie (selon la glose nervalienne) et l’Arabie (la reine de Saba). Mais c’est l’Inde ( par ses dieux), qui dominent : Mahadéwa a remplacé « Lanassa » du sonnet A Madame Aguado (ancien grec anassa, souveraine). Nerval lui donne le sens de « grande déesse » mais Maha déwa est aussi un nom de Shiva. « Dans l’esprit de Nerval, l’union souhaitée des dieux des peuples de l’Inde et de l’Europe ne sera d’ailleurs qu’une réunification de ce qui à l’origine, était semblable934. »

L’imagination nervalienne identifie l’un à l’autre des lieux que séparent la distance et des différences profondes, Orient (Cathay) et Occident (Atlantique) notamment. « Ce syncrétisme géographique s’autorise de spéculations pseudo-scientifiques sur une origine commune des races humaines (Fabre d’olivet, cf. p. 71) ; c’est pourquoi l’on retrouve les « os » des « géants descendus des montagnes de Foix  (…)  sous les rochers tremblants de Salzbourg935. » A cette synthèse horizontale s’ajoute une synthèse verticale : les montagnes sont privilégiées par l’Imagination nervalienne, parce qu’elles assurent la réunion du ciel et de la terre936. »

S’il n’y a pas d’expérience orientale baudelairienne, n’y a –t’il pas de l’Orient dans le Rêve parisien937 ?

 Babel d’escaliers et d’arcades,C’était un palais infini,Plein de bassins et de cascadesTombant dans l’or mat ou bruni ;  (v. 13-16)

C’est un « Orient babylonien qui pourtant naît en Allemagne, chez Novalis aux jardins de cristal, s’épanouit en Angleterre chez Wordsworth aux dômes illuminés938. » D’autre part, Baudelaire a trop bien décrit le « Kief » oriental (déjà évoqué, p. 128) pour ne pas l’avoir éprouvé sous l’influence du climat et de son propre tempérament.

 Le monde stupéfié s’affaisse lâchement et fait la sieste, une sieste qui est une espèce de mort savoureuse où le dormeur, à demi éveillé, goûte les voluptés de son anéantissement 939.

Le « Kief » est une « résignation à l’ardeur cosmique, [le] bonheur de [l’] immobilité liquide et souveraine 940 . »

C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes,Au milieu de l’azur, des vagues, des splendeurs941

934 J. Richer, op. Cit, p. 196.935 O. C, I, A Madame Sand, v. 3 – 4 et 9.936 M. Collot, Gérard de Nerval ou la dévotion à l’imaginaire, Collection « Le texte rêve », Presses Universitaires de France, 1992, p. 58-59.937 O. C, I, 102.938 Claude-André Tabart, Spleen, Idéal, Orient : Baudelaire in L’Ecole des Lettres II, numéro 12, 15 avril 1988, p. 56.939 O. C., I, «  Le Spleen de Paris », La Belle Dorothée, p 316.940 Jean-Pierre Richard, « Profondeur de Baudelaire », op. cit. , p 152.941 O. C, I, La vie antérieure, 18, v. 9 – 10.

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Ce Rêveur immobile, peu à peu réduit par l’extase à cet œil fixe, à la conscience d’un grand paysage, c’est lui tel qu’il ne cesse de nous apparaître en ses « grands jours » dans les poèmes de l’extase (Confiteor de l’artiste, Elévation, Recueillement) Comme dans de nombreuses pièces des FM, La vie antérieure, évoque, transposés dans une « surnature » où l’espace et le temps sont abolis, des souvenirs vécus. Cependant, « même une pièce comme L’invitation au voyage942 […], de matière irradiante, contient une angoisse voilée qui se trouve là pour augmenter la lumière943. » Symbolique comme tout le pittoresque baudelairien, ce poème nous contraint à chercher dans le « Kief » apparemment vide d’idées, une Idée. Mais cette idée n’est que suggérée et est à saisir dans la totalité sensible du poème dont elle est aussi le secret (le même « secret douloureux » qui le fait « languir » dans La vie antérieure944). Le dernier vers ne lève pas le mystère. La clarté n’a d’égale ici que l’obscurité. Baudelaire rêve d’un monde où il aurait vécu jadis ; il nous apparaît douloureusement tendu au-delà. Le Kief est le symbole d’un autre Bonheur inaccessible dont il se sent véritablement exilé. Là, nous pouvons le rapprocher de Nerval.

« En allant vers l’Orient, Nerval allait boire aux sources vives de notre civilisation, non par vaine curiosité, mais pour s’y régénérer dans ces paysages radieux de lumière qui ont été ceux de la jeunesse du monde945 », c’est-à-dire l’Antiquité.

2. 1. 3. L’Antiquité.

L’importance de l’Antiquité dans les œuvres poétiques de Baudelaire et Nerval se lit d’abord dans l’onomastique.

Ainsi, la moitié des sonnets des Chimères ont pour titre des noms propres isolés qui renvoient à l’Antiquité païenne. Antéros est le fils d’Aphrodite et d’Arès. Il peut être soit l’ennemi de l’Amour, soit le Vengeur de ceux qui méprisent l’Amour. Artémis est la Diane des Latins. Delfica est le nom d’une sibylle de l’Antiquité qui prophétisait à Delphes et se confondait avec la pythie. Horus est le fils d’Isis et d’Osiris. On s’est beaucoup interrogé sur l’identité de Myrtho946 mais « la blonde anglaise qui, peut-être, emplissait sa pensée et ses yeux à l’heure fatidique «  où le volcan s’est ouvert 947» n’existe que par rapport à Myrtho, divinité de l’amour hellénique, dont la présence est sensible à Nerval dans tout le paysage de la Grande Grèce948 . »

Lesbos949 , la pièce centrale des Lesbiennes (titre envisagé avant les FM), abonde en noms propres relatifs à l’Antiquité mais leur juxtaposition est souvent 942 O. C, I, 53-54.943 Pierre Jean Jouve, op. cit. , p. 21.944 V. 14.945 Philippe Teissier, Le « Voyage en Orient » de Gérard de Nerval in L’école des Lettres, 15 avril 1988, p. 43.946 O. C, III, 645 – 646.947 V. 9.948 Anny Detalle , op. cit. , p 140.949 OC, I, 150-152.

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anachronique.   Le cadre géographique est l’île de Lesbos, île grecque de la mer Egée. C’est le lieu de naissance de Sapho (620-565 avant Jésus - Christ) et site de ses écoles la musique et de poésie.  Lesbos est comparée à   « Paphos950. » Cette « ville ancienne située à quelques kilomètres du littoral occidental de l’île de Chypre, possédait dans ses confins un célèbre temple d’Aphrodite. Sa grandeur dans l’histoire de la déesse grecque réside dans le fait que ses prêtres exerçaient jusqu’au temps des Ptolémées (rois macédoniens d’Egypte) des pouvoirs temporels et religieux 951. » Par rapport à Sapho952, l’allusion à Platon953 (427-348 / 347 av JC) est anachronique ainsi que celle à Phryné954, courtisane grecque (v. 329 av JC). De plus, «  le système antithétique, l’emploi du repedend, les nombreuses ambiguïtés expriment la bivalence ironique de l’amour saphique : l’unité dans la dualité. Le plus souvent, ces ambiguïtés tendent à rapprocher les voluptés contre nature des lesbiennes du décor naturel et des lois de la nature. C’est [donc] une suite de comparaisons entre les paysages de Lesbos et les passions des lesbiennes955. » Mais Sapho se jette à la mer à cause de l’étreinte d’un homme (v. 66-70) et l’île paradisiaque est devenue un désert (v 74). Mais le poète, l’homme moderne « veille au sommet de Leucate956 . » Cependant, il ne peut pas ressusciter Sapho et le bonheur qui régnait à Lesbos. En effet, si les temps ont changé, l’homme n’a pas changé : l’homme moderne est ainsi uni à l’homme antique.  La géographie antique des FM s’étend au-delà du temps et de l’espace, vers les faubourgs de la ville moderne comme dans Le Voyage ou Le Vin des chiffonniers 957. Dans ces deux poèmes, le déplacement est salutaire mais ce n’est pas toujours le cas. Ainsi, dans La Muse malade958 de la modernité mais  cette maladie a néanmoins ses origines dans un passé lointain, « au fond d’un fabuleux Minturnes ? 959 » Minturnes se situe à quelques kilomètres au nord de Capoue. « Les terrains de ce site ancien étaient marécageux et il existait, tout près de la ville, de véritables marécages. On a toujours associé et à juste titre l’origine de certaines maladies aux émanations de tels endroits (en vérité dues à la piqûre des moustiques). Mais ce n’est là qu’une dimension de l’image géographique qu’emploie Baudelaire ici. L’autre remonte à l’an 88 avant J.C, à l’expérience terrifiante du général romain Marius aux mains d’un Sylla « mutin ». Poursuivi par les hommes de ce dernier, Marius s’enfonça dans les eaux de l’un des marécages pour se cacher, ainsi courant le risque de se noyer. Malgré ses efforts, il fut capturé et condamné à mort960. » Dans l’évocation

950 V. 13.951 Freeman G. Henry, op. cit. , p 39.952 V. 14953 v. 21954 v. 15.955 J. D Hubert, L’esthétique des « Fleurs du Mal. » Essai sur l’ambiguïté poétique. Genève, Slatkine Reprints, 1993, p 120.956 V. 46.957 Cf. p. 107.958 O. C, I, 14959 v. 8.960 Freeman G. Henry, op.cit, p 43-44.

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de Michel-Ange des Phares 961 sont mêlés à la Renaissance catholique du peintre, les « Hercules » de l’antiquité romaine et le Christianisme naissant. Le mélange du chrétien et du païen apparaît aussi dans Don Juan aux Enfers. « Bien que la légende de Don Juan s’associe indubitablement a une Espagne catholique, le sort du Don Juan de Baudelaire s’effectue selon les données de la mythologie antique 962 » :

Quand Don Juan descendit vers l’onde souterraine Et lorsqu’il eut donné son obole à Charon, Un sombre mendiant, l’œil fier comme Antisthène, D’un bras vengeur et fort saisit chaque aviron. 963

Charon est bien sûr le nocher des Enfers qui faisait passer aux morts les fleuves infernaux, moyennant une obole (v. 2). Quant à Antisthène (v. 444-365 av. J.C), c’est un philosophe grec, fondateur de l’école cynique à Athènes. Ainsi sont mêlées philosophie ancienne et mythologie. Au lieu d’être condamné à la géhenne biblique, Don Juan est condamné aux Enfers classiques. Dans L’Idéal 964 , c’est le père de la tragédie grecque, «  Eschyle 965» qui côtoie « Lady Macbeth966 » célèbre personnage shakespearien.

« Le goût pour la juxtaposition anachronique et synthétique fait intégralement partie de la modernité telle que la concevait Baudelaire.967 »

D’un ailleurs lointain géographiquement (Iles ou Orient), en passant par l’Antiquité, la mélancolie s’étend à l’espace de l’originel.

2. 2. L’espace de l’originel.Cet espace se situe du côté de l’enfance (2. 2. 1) et se prolonge dans un mythe

des origines (2. 2. 2)

2. 2. 1. Le paradis de l'enfance.

Ce paradis se situe pour Nerval en Ile – de - France (2. 2. 1. 1), très présente dans son œuvre. Baudelaire, lui non plus n ‘a pas oublié (2. 2. 1. 2)

2.2. 1. 1. L'Ile-de-France de Gérard de Nerval.

Gérard Labrunie est né à Paris le 22 mai 1808 mais peu après il est mis en nourrice à Loisy dans le Valois; puis il séjourne à Mortefontaine chez son grand-oncle Boucher jusqu'au printemps 1814 où il retourne vivre avec son père à Paris. Mais il gardera toute sa vie un souvenir émerveillé du Valois qui hante son oeuvre. « Le Valois, c'est le cœur et la couleur de la France. Sous le ciel qui a des teintes de

961 O. C. , I, 13, v 13-14.962 Freeman G. Henry, op. cit. , p 45.963 O. C. , I, 19, v 1-4.964 O. C. , I, 22.965 V. 11.966 V. 10.967 Freeman G-Henry, op. cit. , p 45.

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pastel, un paysage varié: des forêts, la plaine, les étangs de Commelle, de Mortefontaine, de Chaalis, alimentés par la Thève et la Nonette; de petites villes, Senlis et Chantilly, des villages: Eve, Loisy, Ver, Othys. L'histoire est partout présente depuis l'époque romaine. La littérature y a sa place avec Le Tasse, Théophile de Viau, Jean-Jacques Rousseau968. » Aujourd'hui, le Valois n'est plus une région au sens administratif: il comprend l'Oise et l'Aisne et une partie de la Seine et Marne. Certains paysages sont restés tels que le jeune Labrunie les a admirés, tel que Gérard de Nerval les a «  peints 969 » dans Fantaisie970 notamment. Les poèmes de Nerval ont souvent pour cadre une alternance de collines et de vallées. Ce type de paysage rappelle sans conteste la région où Nerval a passé son enfance. Les papillons 971 voltigent dans les plaines (v. 51 et 71-73). Dans Le cinq mai972, « le vautour vole dans la plaine 973 »Nous pourrions accumuler les références tant elles sont nombreuses. Si Nerval n’est pas né dans le Valois, il y a trouvé son nom d’écrivain et en quelque sorte une deuxième naissance : « Près de Loisy et des bois de Saint-Laurent, il imaginera que le nom de Nerval, prononcé Nerva, parfois écrit Nervat venait de l'empereur romain alors que l'étymologie semble être Noirval, en raison du sombre aspect que donnaient à ce lieu les bois environnants. Nerval avait de plus l'intérêt de pouvoir se transformer en vernal, adjectif qui désigne le renouveau, le printemps974

Par les paysages du Valois (notamment), l’enfance tient sans conteste une place essentielle dans les poèmes de Nerval mais cela est plus frappant encore dans des œuvres en prose comme Aurélia. Chez Baudelaire, les souvenirs d’enfance proprement dits occupent beaucoup moins de place.

2. 2. 1. 2. « Je n’ai pas oublié, . . . 975 » (Ch. Baudelaire).

Avec « La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse … (Mariette) », ce poème évoque la période où Baudelaire vécut seul avec sa mère entre son veuvage et son remariage ; pour l ‘enfant, c’est une période heureuse, « tranquille976«, période de stabilité si on la compare à la vie errante du poète. La maison évoquée se situait à Neuilly. « La nostalgie de l’enfance symbolise la nostalgie de l’Eden perdu. Mais dans l’univers du poète cette fraîcheur apparaît surtout vulnérable et menacée977. » Le poète a été chassé du Paradis le jour où sa mère a préféré à l’enfant qu’il était, un homme.

Je n’ai pas oublié, voisine de la ville,Notre blanche maison, petite mais tranquille ;Sa Pomone de plâtre et sa vieille Vénus

968 Album Nerval, op. cit. , p. 19.969 J’ai remonté le temps en allant dans le Valois de Nerval et le Paris de Baudelaire. 970 O. C, I, 339.971 O. C, I, 332.972 O. C, I, 70-73973 v. 291.974 Album Nerval, op. cit, p. 23-24.975 O. C, I, 99.976 V. 2.977 L. Cellier, Baudelaire et l’enfance, in Parcours initiatiques, op. cit. , p. 257.

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Dans un bosquet chétif cachant leurs membres nus,Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe,Qui, derrière la vitre où se brisait sa gerbe, Semblait, grand œil ouvert dans le ciel curieux, Contempler nos dîners longs et silencieux,Répandant largement ces beaux reflets de ciergeSur la nappe frugale et les rideaux de serge.

« L’enfant assiste à la métamorphose de la nappe blanche à la lumière du soleil couchant, de la scène familière et intime du repas en une communion privée plus que solennelle sous le regard d’un dieu attentif978 . » Ce tableau parisien est caractéristique de la vision enfantine  que Baudelaire à celle de l’artiste : pour le premier, tout est nouveau ; le deuxième devrait toujours regarder le monde ainsi, c’est-à-dire rester enfant :

C’est à cette curiosité profonde et joyeuse qu’il faut attribuer l’œil fixe et animalement extatique des enfants devant le nouveau, quel qu’il soit, visage ou paysage, lumière, dorure, couleurs, étoffes chatoyantes, enchantement de la beauté embellie par la toilette. 979

« Baudelaire a été […] l’enfant qui voit Dieu et qui croit que Dieu  « nous regarde980 » :

 Pourtant, sous la tutelle invisible d’un Ange,L’Enfant déshérité s’enivre de soleil, Et dans tout ce qu’il boit et dans tout ce qu’il mange Retrouve l’ambroisie et le nectar vermeil.

Il joue avec le vent, cause avec le nuage, Et s’enivre en chantant du chemin de la croix ; Et l’Esprit qui le suit dans son pèlerinage Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.981

« Jamais n’a été célébré avec tant de poésie le sacre de l’enfant sublime982. » Et quel merveilleux paysage céleste ! « En ressuscitant, d’après L’enfant maudit de Balzac, les « enfances » du poète, […], Baudelaire se rapproche de Wordsworth pour qui les impressions fugitives de la première enfance semblaient prouver par leur transfiguration que l’âme avait déjà existé dans un royaume céleste […] Si l’enfant est ainsi « déshérité », c’est qu’un patrimoine a dû lui être enlevé, et pour « retrouver l’ambroisie et le nectar », il faudrait qu’il les ait goûtés ailleurs983. » Nous pouvons lire ici en filigrane, la théorie des correspondances984, « le langage des fleurs et des choses muettes985 » que l’enfant parle mais que l’adulte ne comprend plus. « L’enfance de l’homme se confond [parfois] analogiquement à l’enfance du monde […] le paradis s’offre […] sous les espèces d’un monde vierge et innocent, dont la 978 L. Cellier, Baudelaire et l’enfance, op. cit. , p. 261.979 Baudelaire, cité par L. Cellier, op. cit. , p. 260.980 Léon Cellier, Baudelaire et l’enfance, op. cit. , p 262.981 O. C, I, Bénédiction 7-8, v 21-28.982 Léon Cellier, Baudelaire et l’enfance, op. cit. , p. 262.983 Ibid. , p. 263.984 Cf. p. 75.985 O. C, I, Elévation, 10, v. 20.

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nudité est le symbole986. »

 J’aime le souvenir de ces époques nues, Dont Phoebus se plaisait à dorer les statues.

Alors l’homme et la femme en leur agilité Jouissaient sans mensonge et sans anxiété, Et le ciel amoureux leur caressant l’échine, Exerçaient la santé de leur noble machine. Cybèle alors, fertile en produits généreux, Ne trouvait point ses fils un poids trop onéreux,  987

Le paradis, c’est l’harmonie de l’homme et de la nature988, personnifiée par Cybèle. La puissance de la végétation est un des éléments de ce paysage paradisiaque. A partir de l’antithèse entre le « noir océan de l’immonde cité989 » et « un autre océan où la splendeur éclate 990«, Moesta et errabunda 991 évoque à la fois l’enfermement irrémédiable dont est victime le poète : « Comme vous êtes loin, paradis parfumé ! 992 » et « l’évocation parfois un peu triste des « verts paradis des amours enfantines (v. 21)  993 » :

Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets, Les violons vibrant derrière les collines, Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets, -Mais le vert paradis des amours enfantines,

L’innocent paradis, plein de plaisirs furtifs, Est-il déjà plus loin que l’Inde et que la Chine ? (v 22-27)

Cette évocation du paradis perdu des « craintives enfances994 » ressemble à celle de Nerval dans ses récits et on s’étonne d’y voir la nature si présente. Ce paradis de l’enfance est toujours associé au vert, ici, couleur de l’innocence ; les parfums de Correspondances995sont « frais comme des chairs d’enfant, /Doux comme des hautbois, verts comme des prairies 996 » L’enfance, synonyme d’innocence et de fraîcheur et la fraîcheur se manifeste aussi dans le rire :« Le rire des enfants est comme un épanouissement de fleurs. C’est la joie de recevoir, la joie de respirer, la joie de contempler, de vivre, de grandir. C’est une joie de plante997. » Ailleurs, Baudelaire nous explique que cette innocence est la même chez les jeunes animaux. Pour Baudelaire, l’enfance a été solitaire et le poète se sentait incompris. C’est pourquoi il glorifie le vagabondage et envie la vie errante des bohémiens (auxquels il consacre un poème des FM et un poème en prose) : « Toujours voyager serait une vie qui me plairait

986 Anne –Marie Amiot, op. cit. , p 341-342.987 O. C. , I, 11, v. 1-8.988 Observée par Baudelaire dans les Iles, cf. p. 125.989 V. 2.990 V. 3.991 O. C, I, 63-64.992 V. 16 et 20.993 Emmanuel Adatte, op. cit., p 146994 O. C, I, Femmes damnées, 113, v. 7.995 O. C, I, 11.996 V. 9 – 10.997 Baudelaire cité par L. Cellier, Baudelaire et l’enfance, op. cit. , p. 257.

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beaucoup.998 » Cette envie de voyage conduit l’enfant à être « amoureux de cartes et d’estampes999 » et à « glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion)1000. » Dans La voix1001 , Baudelaire dit la précocité de sa vocation d’artiste :

Mon berceau s’adossait à la bibliothèque,

(…) J’étais haut comme un in-folio.Deux voix me parlaient. L’une insidieuse et ferme,Disait : «  la Terre est un gâteau plein de douceur ;Je puis (et ton plaisir sera alors sans terme !)Te faire un appétit d’une égale grosseur. »Et l’autre : « Viens ! oh ! viens voyager dans les rêves, Au-delà du possible, au-delà du connu ! »Et celle-là chantait comme le vent des grèves,

Je te répondis : « Oui ! douce voix ! » (…)

Et c’est depuis ce temps que, pareil aux prophètes,J’aime si tendrement le désert et la mer ; (v. 1, 4-11, 14 et 22-23)

« De Poe à Quincey, de Quincey à lui-même, il découvre avec passion des rapports entre les épreuves de l’enfance et l’œuvre réalisée dans la maturité1002. » L. Cellier rapproche encore Baudelaire de Wordsworth, « en formulant l’hypothèse que par l’intermédiaire de Quincey, Baudelaire remonte à Wordsworth, comme par l’intermédiaire de Poe il remonte à Coleridge, et ainsi se trouve relié à la grande source du culte de l’Imagination1003. »

L ‘observation des paysages de l’enfance amène Nerval à s’interroger sur ses origines dont il construit un mythe.

2. 2. 2. Le mythe des origines.

Dans le cadre de ce mythe des origines, il est un autre lieu nervalien privilégié mais méconnu: l'Agenais. (A Agen, nous avons vu une rue « Gérard de Nerval »). Son père en était originaire. En septembre-novembre 1834, Nerval voyage dans le sud de la France et en Italie. Il revient sans doute par Agen où il rencontre sa famille paternelle. Le poète agenais, Jean Béchade-Labarthe, dans son Origines agenaises de Gérard de Nerval 1004 tente d'identifier le mystérieux prince d'Aquitaine parmi les héros cités par Nerval (Phébus, Lusignan ou Biron) dans El Desdichado.1005 Si le Lusignan de la légende de Mélusine appartient à une famille originaire du Poitou, qui fit souche dans l'orient Latin, notamment avec Gui de Lusignan, fondateur de la dynastie des Lusignan à Chypre en 1192, on apprend que «  en cette même année 1834 998 Baudelaire à 11 ans cité par L. Cellier, op. cit. , p. 263.999 Le voyage, O. C, I, 129-134, v. 1.1000 Mon cœur mis à nu cité par L. Cellier, op. cit. , p. 264.1001 O. C, I, 170.1002 L. Cellier, op. cit. , p. 264.1003 Baudelaire et l’enfance, op. cit. , p. 264.1004 Se trouve chez Yves Dubois, libraire, Agen, 1956. Deuxième édition, 1993.1005 O. .C. , III, 645, v. 9.

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(du passage de Gérard à Agen), le marquis de Lusignan est porté député de Lot-et-Garonne 1006. » De plus, nous connaissons bien trois villages aux environs d'Agen: Saint Hilaire de Lusignan, Lusignan-grand et Lusignan-Petit ; Lusignan serait bien un nom de L'Agenais. Nous pouvons donc nous demander avec l'auteur: « ce pays n'a-t-il dans son esprit ou dans son oeuvre posé aucune marque, même secrète? 1007 » Le marquis de Lusignan possédait un château aujourd'hui démantelé dont une tour Mélusine avait été démolie: «  Le prince d'Aquitaine à la tour abolie 1008. » Nerval, dans un croquis, a dessiné le cours sinueux (serpent Mélusine) de la Dordogne dans les méandres de laquelle il indique les châteaux ruinés de la Prade, Coux et Urval. « Henri IV avait un jour recommandé à Marguerite pour sa garde, un seigneur tout voisin: Henri de Lusignan1009. » Quant à Phébus, il était d'Orthez. S'adressant à George Sand, Nerval signe «  Gaston Phébus d'Aquitaine. » Nerval s'était également reconnu en Du Bartas, né près d'Auch. Il avait eu connaissance de l'affaire Chrétin qui battait son plein à Agen lorsqu'il y séjournât. Cette affaire avait ébranlé le pays de Nérac dont le fondateur mythique, un certain Tréticus, apparaît dans la généalogie nervalienne. « Si dans le Valois, on chantait un Privole Biron allant à la danse en chemise de Venise  1010 », en Agenais, c'est un compagnon d'armes d'Henri IV, dont le château se dressait à Montpazier, aux confins de la Dordogne et de l'Agenais. «  Suis-je Amour ou Phébus? .... Lusignan ou Biron? » Encore aujourd'hui, la question reste entière malgré les nombreuses tentatives d'exégèses dont celle de Jean Béchade-Labarthe qui conclut par la rue Gérard de Nerval à Agen: il n'y a qu'une porte d'habitation. « Mais deux vitrines: l'une expose des produits d'alimentation, l'autre est fleuri en toutes saisons de couronnes, de perles de couleurs, de coquillages et de plantes funéraires. Face à face: la vie et le rêve!1011 » En 2000, les vitrines ont disparu mais on n'a toujours pas tranché entre la vie et le rêve. En fait, à travers l’Italie, l’Orient, le Valois, l’Agenais ou l’Allemagne . . .  « Une conscience menacée cherche un point fixe, quête d’une totalité disséminée dans les espaces et les époques 1012. »

Cette conscience menacée trouvera-t-elle son point fixe en enfer ou au ciel ? Baudelaire nous répond à la fin des FM :

2. 3. Enfer ou ciel, qu’importe 1013!

A partir de cette bravade prométhéenne qui clôt le cycle de la mort, nous examinerons les paysages célestes (2. 3. 1) ou infernaux (2. 3. 3) dans les œuvres poétiques de Baudelaire et Nerval. Alors que dans l’exclamation baudelairienne, n’est 1006 J. Béchade-Labarthe, op. Cit, p. 17.1007 Ibid, p. 18.1008 El Desdichado, v. 2.1009 J. Béchade-Labarthe, op. Cit, p. 24.1010 J. Béchade – Labarthe, op. cit. , p. 24.1011 Ibid. , p.31.1012 Anny Detalle, op. cit. , p 114.1013 O. C, I, Le voyage,134, v. 143.

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envisagé aucun intermédiaire entre ciel et enfer, nous évoquerons les limbes (2. 3. 2)

2. 3. 1. Le Ciel.

Par Ciel, nous entendons le royaume de Dieu c’est – à – dire, le Paradis, séjour des justes après la mort.

Ainsi, La Mort des amants 1014 n’est ni violente, ni triste car ils pourront revivre ailleurs leur amour :

 Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères, Des divans profonds comme des tombeaux, Et d’étranges fleurs sur des étagères, Ecloses

pour sous des cieux plus beaux.

Et plus tard un Ange, entrouvrant les portes, Viendra ranimer, fidèle et joyeux, Les miroirs ternis et les flammes mortes.  (v 1-4 et 12-14)

C’est  « La vie antérieure1015 qui dessine le tableau le plus riche et le plus personnel du Paradis baudelairien 1016. »

Le Christ aux oliviers1017, «  après avoir rapporté de beaux mystères à ses disciples, l’envie lui prend d’aller voir la source de ces mystères. Il monte donc au ciel. Qu’y trouve-t-il ? Beaucoup ; mais pas d’esprit de synthèse, pas de Vérité centrale. Et sans vérité centrale, Dieu meurt. « Dieu n‘est pas ! Dieu n’est plus ! 1018 s’écrie-t-il. Puis 1019 » :

 Il reprit : « Tout est mort ! J’ai parcouru les mondes, Et j’ai perdu mon vol dans leurs chemins lactés, Aussi loin que la vie, en ses veines fécondes, Répand des sables d’or et des flots argentés :

Partout le sol désert côtoyé par des ondes, Des tourbillons confus d’océans agités Un souffle vague émeut les sphères vagabondes,

Mais nul esprit n’existe en ces immensités. (v. 15-22)

Jésus a vu l’image de la Mort qui menaçait toujours Nerval. Jésus meurt mais le poète vainc la mort en créant un nouveau dieu voilé, « Celui qui donna l’âme aux enfants du limon1020. » Le Christ aux oliviers dit la supériorité du poète. « La vision nervalienne se

1014 Baudelaire, O. C. , I, 126.1015 O. C, I, 18, v. 5-8 particulièrement.1016 Anne-Marie Amiot, op. cit. , p. 345.1017 O. C, III, 648-651.1018 v. 14.1019 Peter Dayan, op. cit. , p 14.1020 Le christ aux oliviers, v. 71.

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partage entre un monde céleste et un monde infernal. De l’un à l’autre, toujours confusément, sa pensée circule1021. »

Les faux paradis.

« Plus que quiconque, Baudelaire a connu le vertige de ces faux paradis […] Poème de l’agonie spirituelle, Le Léthé1022 dégage avec une puissance inégalée la liaison que Baudelaire établit entre sensualité, sommeil et damnation. Il est une coulée vers le gouffre 1023. »

Pour engloutir mes sanglots apaisés Rien ne me vaut l’abîme de ta couche ; L’oubli puissant habite sur ta bouche, Et le Léthé coule dans tes baisers. (v. 13 – 16)

2. 3. 2. Les Limbes.

C’était le titre choisi par Baudelaire pour ses poèmes avant de les intituler définitivement Les Fleurs du Mal. Sur un plan géographique, Jésus est descendu aux limbes avant de ressusciter. Dans La Divine Comédie de Dante, le limbe est le premier cercle de l’Enfer. Au niveau temporel, le Larousse du XIX e siècle énonce que les limbes était « le nom donné dans le système de Fourier à la première phase de la vie du genre humain ou à son enfance1024. » Parmi les exégètes, on distingue aussi ces deux directions. Au sens temporel, les limbes seraient le royaume de l’attente des justes avant la rédemption. De même « les disciples de Fourier qui vivent en période limbaire attendent l’avènement de la société harmonienne 1025. » D’autres commentateurs, utilisant le sens figuré  « état vague, incertain » et l’étymologie (« bord », « marge ») ont préféré considérer les limbes comme « un lieu au bord de l’enfer », ni paradis, ni purgatoire, ni enfer. Les limbes n’appartiendraient pas seulement à la topographie infernale mais ce pourrait aussi être notre vie sur terre. «  Ame curieuse qui souffres/ Et vas cherchant ton paradis1026 »,  dit Baudelaire aux âmes qui errent dans les limbes de ce monde charnel1027. »

Il faut noter que « dans le premier paquet envoyé par Baudelaire à Gautier pour la Revue de Paris  […] figuraient Le Crépuscule du matin et Le Crépuscule du soir1028. » Le crépuscule, comme les Limbes, est bien un moment intermédiaire. « D’autre part, Crépet - Blin notent que, si Poe n’emploie pas le mot « limbes » dans Al

1021 G. Poulet, La pensée indéterminée, op. cit. , p. 98.1022 O. C, I, 155.1023 Anne-Marie Amiot, op. cit. , p 346.1024 Léon Cellier, Baudelaire et les Limbes in Parcours initiatiques, op. cit. , p. 180.1025 Ibid. ,  p. 181.1026 O. C, I, Epigraphe pour un livre condamné, 137, v. 12. 13.1027 Léon Cellier, Baudelaire et les Limbes, op. cit. , p. 183.1028 Ibid. , p 183.

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Aaraaf (…), il décrit le séjour réservé par les mahométans à ceux « who, throug too good for hell, are not fitted for heaven », selon la remarque d’Ingram dans son édition des Œuvres complètes1029. » Mais, nous dit Léon Cellier, c’est Claude Pichois qui a fait la synthèse de toutes ces exégèses. Les Limbes seraient indissociables de la descente aux Enfers.  « Je conclurai, donc, sur l’idée que des Limbes aux Fleurs du Mal, le poète descendu aux Enfers a pris conscience de sa fonction et de son devoir1030. » C’est une lueur crépusculaire qui éclaire les limbes, royaume de l’attente, de l’ennui.

 Lieux qu’à peine vient éclairer Un jour qui, sans rien colorer, A chaque instant près d’expirer Jamais n’expire

Pourtant cette demi-clarté Dont la morne tranquillité Suit un crépuscule d’été, Ou de l’aurore

Fait pressentir que le retour Va poindre au céleste séjourQuand la nuit n’est plus quand le jour, N’est pas encore !  1031

« Mais Baudelaire ne s’attarde pas plus dans les Limbes que Dante, et le spleen est un état plus terrible que l’ennui1032. »   Le Spleen II1033 était d’ailleurs la deuxième pièce des Limbes. Le poète y déclare  dans le vers le plus frappant du poème  qu’il est un « cimetière abhorré de la lune 1034» et que son âme  « contient plus de morts que la fosse commune1035 » mais il ne donne pas de noms propres :  « Les limbes étant une région mal définie, un état d’incertitude où flotte l’esprit sans pouvoir s’ancrer, citer des désignations aussi délimitantes que des noms propres ne serait-ce pas fixer dans le temps et dans l’espace ce que le poète préfère laisser indécis 1036 ? » Le paysage de l’île de Cythère, « qui peint allégoriquement le monde du XIX e siècle, est celui des Limbes, tel que l’imaginent les poètes romantiques 1037 : «  Quel est cette île triste et noire ? C’est Cythère,  1038 » De même, le paysage aride et « dénaturé » de la Béatrice 1039. « L’horreur de la vie, c’est l’horreur du naturel, l’horreur de l’exubérance spontanée de la nature, l’horreur aussi

1029 Id. , p. 184.1030 Id. , p. 189.1031 Casimir Delavigne cité par L. Cellier, Baudelaire et les limbes, op. cit., p. 1821032 Léon Cellier, Baudelaire et l’oxymoron, op. cit. , p. 195.1033 O. C, I, 73.1034 V. 8.1035 V. 7.1036 Freman G. .Henry, op. cit. , p. 38.1037 Anne – Marie Amiot, op. cit. , p. 296.1038 OC, I, Un voyage à Cythère, p 118, v. 5.1039 O. C, I, 116-117, v. 1.

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des molles limbes vivantes de la conscience1040. »

Ces derniers paysages limbiques ressemblent déjà aux enfers.

2. 3. 3. L’(es) Enfer(s).

«  On a d’abord conçu l’enfer comme un monde souterrain sans lumière, mais cette vision s’est enrichie par la suite de l’image, crée par la théologie chrétienne, d’un lieu d’expiation destiné aux pécheurs défunts qui doivent y endurer des tourments sans fin1041. » Ainsi, Delphine et Hippolyte 1042 sont condamnées, à cause de leur saphisme à descendre « le chemin de l’enfer éternel. » (v. 86) Cette condamnation est celle de la société du XIX e siècle et non celle de Baudelaire puisque Lesbos 1043 est un hymne à l’amour saphique :   

Que nous veulent les lois du juste et de l’injuste ? Vierges au cœur sublime, honneur de l’archipel, Votre religion comme une autre est auguste, Et l’amour se rira de l’Enfer et du ciel !  (v 36-39)

Cette dualité consacre l’opposition du bien et du mal. De même, Femmes damnées 1044  s’ouvre sur un paysage exotique, celui des « Femmes d’Alger » dont le pittoresque est transcendé par la comparaison initiale :

Comme un bétail pensif sur le sable couchées1045,Elles tournent leurs yeux vers l’horizon des mers, Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées Ont de douces langueurs et des frissons amers. (v. 1-4)

Suivent alors quatre tableaux, où vont défiler devant nos yeux les différentes « espèces » de Femmes damnées, que jamais le poète, hormis dans le titre, ne désigne comme « femmes », les élevant par l’emploi du pronom à la dignité de symboles1046 . Cette abstraction jointe au caractère virgilien ou dantesque des scènes décrites, conduit insensiblement le lecteur dans l’univers du mythe. En effet, les âmes comme dans les descriptions des Enfers antiques, se rassemblent selon leurs affinités. La strophe II utilise la description horalienne ou virgilienne de l’églogue paradisiaque, où puise l’évocation des Champs Elyséens : toutes les connotations tendent à créer un univers de fraîcheur et de limpidité édénique1047 . Tournant leurs yeux vers « l’horizon des mers1048 », les Femmes damnées  regrettent

1040 J. P Sartre, op. cit. , p. 87.1041 Encyclopédie des symboles, op. cit. , p. 229.1042 O. C. , I, 153-155.1043 O. C, I, 150.1044 O. C, 113.1045 On peut comparer ce vers aux vers 5- 8 de Don Juan.1046 V. 5, 9, 13-14 et 17.1047 V. 6 et 8.1048 V. 2.

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« l’amour des craintives enfances1049 », le Paradis perdu. « Lentes et graves 1050«, ces âmes éprises d’idéal ascétique chrétien1051 sont aussi celles qui torturent les affres des « tentations » sur lesquelles se termine la troisième strophe (v. 12)La montée vers le mal et le désespoir s’amplifie avec la quatrième strophe, qui marque le retour aux ivresses bachiques, décrites dans un décor infernal :

Il en est, aux lueurs des résines croulantes, Qui dans le creux muet des vieux antres païens T’appellent au secours de leurs lèvres hurlantes, O Bacchus, endormeur des remords anciens !  (v. 13-16)

Anne- Marie Amiot parle d’une « allégorie des âmes vouées au péché1052. » Rappelons que Baudelaire avait envisagé d’intituler son recueil Les Lesbiennes ; peut-être parce que les lesbiennes sont un exemple de la dualité humaine.

Rien ne convient mieux aux ténèbres que les Grotesques qui sont des ornements fantastiques découverts aux XV e et XVI e siècles dans les ruines des monuments antiques italiens (appelées grottes). Raphaël imita ces grotesques. Comme lui, Baudelaire est : « un peintre qu’un Dieu moqueur/ Condamne à peindre, hélas ! sur les ténèbres1053. » Les Enfers comme les Ténèbres sont remplies de monstres comme les Sabbat de Goya1054 que Baudelaire admirait. Dès le début du recueil « Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants, appartiennent à « la ménagerie infâme de nos vices1055. » Le « monstrueux » est une catégorie centrale d’une modernité qui subit les atteintes du spleen1056. » Derrière ces monstres, se dessine la figure de Satan, roi des Enfers. Le pendu (v. 27-30) est une image satanique au sein du paysage autrefois paradisiaque de Cythère :

 Belle île aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses, Vénérée à jamais par toute nation, Où les soupirs des cœurs en adoration Roulent comme l’encens sur un jardin de roses

Ou le roucoulement éternel d’un ramier ! -Cythère n’était plus qu’un terrain des plus maigres, Un désert rocailleux troublé par des cris aigres. J’entrevoyais pourtant un objet singulier ! 1057

1049 V. 7.1050 V. 9.1051 v. 11. Saint -Antoine1052 Anne-Marie Amiot, op. cit. , p. 290-292.1053 O. C, I, Un fantôme I, les ténèbres, p 38, v. 5-6.1054 O. C, I, Les phares, 13, v. 25 – 28.1055 O. C, I, Au lecteur, 5- 6, v. 31 – 32.1056 P. Labarthe, Spleen et création poétique dans les FM in Poètes du Spleen: Léopardi, Baudelaire, Pessoa. Etudes recueillies par Phillippe Darros. Paris, Honoré Champion Editeur, 1997, p. 135.1057 O. C, I, Un voyage à Cythère, 117 – 119, v. 13 – 20.

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Max Milner 1058 évoque la grave crise morale qui atteignit Baudelaire en 1860-1861. La question de la lutte de l’esprit du mal et de l’esprit du bien le hante. C’est pourquoi son univers poétique est polarisé, oscillant sans cesse entre la postulation de l’homme vers Satan et la tentation d’une conversion. Dans ce cadre, s’inscrit l’oxymoron  Horreur sympathique.1059 Ce sonnet fait référence au tableau de Delacroix, Ovide en exil chez les Scythes. Baudelaire s’adresse à lui-même et compare son sort à celui d’Ovide mais contrairement à ce dernier, Baudelaire veut se montrer digne : « Je ne geindrai pas comme Ovide, / Chassé du paradis latin 1060 » Le poète préfère l’Enfer au paradis dont on l’a exclu :

De ce ciel bizarre et livide, Tourmenté comme ton destin,

Cieux déchirés comme des grèves, En vous se mire mon orgueil ; Vos vastes nuages en deuil

Sont les corbillards de mes rêves, Et vos lueurs sont le reflet

De l’enfer où mon cœur se plaît. (v. 1 - 2 et 9-14)

Le paysage ressemble à ceux de Boudin qu’il a vus à Honfleur en 1859 : « A la fin tous ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses, ces ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses, suspendues et ajoutées les unes aux autres, ces fournaises béantes, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, ces horizons en deuil ou ruisselants de métal fondu, toutes ces profondeurs, toutes ces splendeurs, me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse ou comme l’éloquence de l’opium1061 . » L’enfoncement graduel dans le « gouffre de l’ennui1062 » se radicalise dans la descente aux enfers du damné de L’irrémédiable1063 mais aussi dans le creusement de l’ « inaccessible azur 1064 » du débauché ou la profondeur et la viduité des cieux : « Je sais qu’il est des yeux, des plus mélancoliques, (…)/ Plus vides, plus profonds que vous-mêmes, ô cieux 1065 ! »

Dans un paysage urbain, Perte d’auréole1066 aborde le problème du salut avec une ironie sacrilège :

[…]- Mon cher, vous connaissez ma terreur des chevaux et des voitures. Tout à l’heure, comme je traversais le boulevard, en grande hâte, et que je sautillais dans la boue, à travers ce chaos mouvant où la mort arrive au galop de tous les côtés à la fois, mon auréole dans

1058 Le diable dans la littérature française de Cazotte à baudelaire. 1772-1861. Tome II. Librairie José Corti, 1960, p. 452.1059 O. C, I, 77-78.1060 V. 7-8.1061 Baudelaire critique d’art, op. cit. , p. 326.1062 O. C, I, Le possédé, 37, v. 4.1063 O. C, I, 79-80, v. 17-20.1064 O. C, I, L’aube spirituelle, 46, v. 5.1065 O. C, I, L’amour du mensonge, 98-99, v. 17 et 20.1066 O. C, I, « Le Spleen de Paris », 352.

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un mouvement brusque, a glissé de ma tête dans la fange du macadam. Je n’ai pas eu le courage de la ramasser. J’ai jugé moins désagréable de perdre mes insignes que de me faire rompre les os. […]

De plus, Baudelaire a conscience « des ressources esthétiques que recèle le commerce avec Satan […] [et] développe le thème de « la beauté particulière du mal1067 » dans Le peintre de la vie moderne et peut s’écrier  : « De Satan ou de Dieu, qu’importe ? » dans l’Hymne à la beauté 1068. Baudelaire se représente le monde livré à Satan et assimile nature et péché ; il faut comprendre « la Nature au sens le plus large, c’est-à-dire tout ce qui est spontané, non modifié par l’artifice, le travail ou l’esprit, […]. Cela est vrai d’abord de ce qu’on entend généralement par Nature : les plantes, les animaux1069. »Nous percevons l’influence de Swedenborg et surtout de Fourier que Baudelaire cite dans une lettre à Alphonse Toussenel :

Vos âmes étant pour le moment l’image des démons, Dieu a dû, par analogie, peindre sous les traits du tigre, du grand singe et du serpent à sonnette, les passions de Moloch, Bélial et Satan, dont nos âmes civilisées sont les miroirs fidèles.1070

Ainsi, Les chats1071 de Baudelaire « cherchent le silence et l’horreur des ténèbres. » et

L’Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté. (v. 6-8)

L’Erèbe est un autre nom des Enfers, ou séjour des morts. « A ce versant cosmique et mythique du chat, […] on peut opposer son répondant prosaïque, l’animal moribond du premier Spleen1072 qui partage avec l’âme du poète décédé ce triste domicile qu’est la gouttière1073. » On pourrait apparenter ce dernier chat au Cygne ou à L’albatros qui sont des rappels de la pesanteur terrestre. Cependant, la nature n’est « vraiment satanique que dans la mesure où elle représente pour l’homme une invitation à descendre1074. » Seul la nature humaine est fondamentalement satanique et porte la responsabilité du péché originel transmis à la nature. Là se révèlent les influences de Poe et Joseph de Maistre, les deux maîtres à penser du poète qui parle de « l’attirance du gouffre » comme d’une perversité naturelle. Cette perversité naturelle est d’abord le propre de la femme : « plus proche que l’homme de l’animal, le vampirisme qu’elle exerce a tous les caractères d’une possession, dont le poète exprime la nature formellement diabolique en transcrivant les paroles d’Alvare dans le Diable amoureux1075 : « O mon cher Belzébuth, je t’adore 

1067 M. Milner, op. cit. , p. 453.1068 O. C, I, 24 – 25, v. 25. Exclamation proche de celle du Voyage, cf. p. 1391069 M. Milner, op. cit. , p. 455.1070 Cité par Max Milner, op. cit. , p. 456.1071 O. C, I, 66.1072 O. C, I, 72.1073 P. Labarthe, Spleen et création poétique, op. cit. , p. 138.1074 M. Milner, op. cit. , p. 457.1075 Ibid. , p. 460. Cf. p. Les Illuminés, p. 69.

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1076 ! » ; alors que le poème tout entier est une « prière » à Jeanne Duval : « O lune de ma vie ! emmitoufle-toi d’ombre ; (…)/ Et plonge toute entière au gouffre de l’ennui 1077. » Le poète l’invite à céder à « l’attirance du gouffre. » Ailleurs la femme est comparée à un « tigre » et à un « cygne1078. » Elle est l’instrument du diable  : « Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne, / S’avançaient, plus câlins que les Anges du mal (v. 19-20). » Toute cette scène se déroule dans un «  monde rayonnant de métal et de pierre 1079. » La femme est assise sur «  un rocher de cristal 1080 » et l’amour du poète «  profond et doux comme la mer, / (…) vers elle montait comme vers sa falaise1081. » L’amour n’est pas seulement possession mais aussi, destruction comme après un Duellum1082 (duel en latin mais sans le contexte chevaleresque que le français donne à ce mot) provoqué par l’amour ( v. 3-4 et 8) ; l’air est rempli «  de lueurs et de sang1083. » et le lieu où les combattants tombent est «  un ravin hanté des chats-pards et des onces »

Et leur peau fleurira l’aridité des ronces.

Ce gouffre, c’est l’enfer, de nos amis peuplé ! (v. 9 et 11-12)

L’once et le chat-pard sont des félins : les combattants sont tous deux perdants car retournés à l’état de nature et d’animalité, victimes de l’attirance du gouffre. L’amour est un « secret infernal1084 » bien que la femme aimée soit comparée à un « soleil automnal1085. » S’en débarrasser est par conséquent un bienfait  qui purifie l’air et redonne au paysage toute sa beauté.1086 L’amour, c’est aussi l’Ennui, œuvre du Démon :

Il me conduit ainsi, loin du regard de Dieu, Haletant et brisé de fatigue, au milieu Des plaines de l’Ennui, profondes et désertes,1087

C’est aussi le cauchemar de l’hémorragie rendant le paysage urbain et naturel rouge :

Il me semble parfois que mon sang coule à flots,

A travers la cité, comme dans un champ clos,Il s’en va transformant les pavés en îlots,Désaltérant la soif de chaque créature,

1076 O. C, I, Le possédé, 37-38, v. 14.1077 V. 2 et 4.1078O. C, I, Les bijoux, 158-159, v. 13 et 17-18. 1079 V. 6.1080 V. 22.1081 V. 11 – 12.1082 O. C, I, 36.1083 V. 2.1084 O. C, I, Sonnet d’automne, 65, v. 5.1085 Ibid. , v. 13.1086 O. C, I, Le vin de l’assassin, 107-108, v. 6.1087 O. C, I, La destruction, 111, v. 9-11.

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Et partout colorant en rouge la nature.1088

« Quelles que soient les origines morbides de ce sado - masochisme, il aboutit à une homéopathie morale en vertu de laquelle Satan, réunissant en lui-même le mal et le remède, peut apparaître et apparaît effectivement comme le collaborateur de Dieu1089. » Nous trouvons cette disposition dans les poèmes inspirés par Louchette, instrument de la nature diabolique dans une ville de lumière :

Tu mettrais l’univers entier dans ta ruelle,

Tes yeux illuminés ainsi que des boutiquesEt des ifs flamboyants dans les fêtes publiques,

La grandeur de ce mal où tu te crois savante,Ne t’a donc jamais fait reculer d’épouvante,Quand la nature, grande en ses desseins cachés,De toi se sert, ô femme, ô reine des péchés,- De toi, vil animal, – pour pétrir un génie ?1090

Le monisme de Baudelaire est satanique et il conçoit la Nature comme incarnation de l’ « Etre suprême en méchanceté1091. »

Selon Pierre Jean Jouve1092, ces poèmes, en empruntant la voie démoniaque sont en fait des appels à Dieu et l’appel à la mort du Voyage « est le jaillissement profondément certain de la substance religieuse. […] Après Dante, [Baudelaire]est le plus grand poète ayant le sens du péché. […] Les FM [seraient] les fruits de l’Arbre de Science1093. »

C’est avec l’Odyssée qu’apparaît une description du monde souterrain des Enfers mentionnant le fleuve Achéron, à côté du Pyriphlégéton et du Cocyte. Quant au «  Styx fabuleux de L’Irrémédiable, [il] retient sa valeur mythologique traditionnelle, malgré la théorie platonicienne de la création et des nuances de la vie urbaine moderne qui se présentent dans la série d’images du premier quatrain 1094. »

 Une idée, une Forme, un Etre Parti de l’azur et tombé Dans un Styx bourbeux et plombé Où nul œil du Ciel ne pénètre ;  1095

 C’est une synthèse qui réunit et assimile des composantes du polythéisme gréco-romain, d’une philosophie ancienne et d’une civilisation moderne dite chrétienne. 

L’Achéron est mentionné dans El Desdichado (v. 12). Un passeur, Charon, est chargé de les transporter d’une rive à l’autre. (Il existait aussi

1088 O. C, I, La fontaine de sang, 115, v. 1 et 5-8.1089 M. Milner, op. cit. , p. 461.1090 O. C, I, 27-28, v. 1, 5-6 et 13-17.1091 M. Milner, op. cit. , p. 463.1092 Tombeau de Baudelaire, op. cit. , p. 31.1093 Pierre Jean Jouve, op. cit. , p. 36-38.1094 Freeman G. .Henry, op. cit., p 44.1095 O. C, I , 79 , v. 1-4.

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un fleuve nommé Achéron en Epire, sur la côte occidentale de la Grèce continentale). Plus précisément, El Desdichado évoque la victoire d’Orphée sur l’Achéron (v. 12-14). Orphée descendit aux Enfers pour y retrouver sa femme Eurydice. Par les accents de sa Lyre, il charme les monstres des Enfers et les dieux infernaux qui acceptent de lui rendre sa femme à une condition : Orphée remontera au jour, suivi d’Eurydice, sans se retourner pour la voir avant d’avoir quitté les Enfers. Mais saisi d’un doute, il se retourne et Eurydice meurt une seconde fois. Il redescend mais Charon refuse de lui rendre sa femme. Il remonte au jour, inconsolable. Ainsi, Orphée a traversé deux fois l’Achéron. Le mythe d’Orphée a généré une littérature abondante, souvent ésotérique.

« Antéros est le génie survolté et l’incarnation du côté satanique de l’écrivain. 1096 » Le dernier vers renvoie à deux passages parallèles des Métamorphoses d’Ovide. « Dans le premier, on voit Cadmus, dans le second Jason, semer les dents du dragon […]Dans un autre passage […], Cadmus et son épouse sont transformés eux-mêmes en serpents […]un souvenir des anciens cultes du serpent, […]. 1097 » Le « dragon vaincu » est aussi évoqué dans Delfica (v. 8). Le nom d’Amalécyte (v. 13 )  est connu au pluriel seulement et désigne une tribu sémitique de géants, nomadisant dans le Néguev. La Bible les montre barrant le passage aux Hébreux venus d’Egypte. De plus, « selon le Zohar, Caïn est fils du démon Schammaïl. Dans l’Ancien Testament (Exode, XVIII), Amalek apparaît comme le Grand Démon […]Les docteurs juifs l’identifient au […] serpent1098. » Le serpent est en effet l’incarnation du Diable au paradis terrestre et dans de nombreuses cultures, il symbolise les Enfers et le royaume des morts. El Desdichado, Antéros ou Delfica, les Chimères sont des figures des Enfers. « La chimère armée de flammes (cf. poétique du feu, p. 16) que Virgile distinguait au milieu des monstres infernaux peut se confondre alors avec un autre dragon ou serpent vaincu qu’évoque Nerval dans « Le Diable rouge », le Lucifer dantesque du XXIV e chant de L’Enfer dont le « corps traverse entièrement le globe » : « L’une de ses cornes correspond au Vésuve, l’autre à l’Etna. Quand il se meut, il y a des tremblements de terre, - quand il éternue, il y des éruptions. 1099 » Les chimères apparaissent donc tout naturellement lors de la descente aux enfers d’Adoniram1100 ou celle du chapitre X d’Aurélia1101.

CONCLUSIONNous nous sommes promenés, en compagnie de Gaston Bachelard et de Jean-

Pierre Richard à travers les paysages poétiques de Baudelaire et Nerval. Bachelard, théoricien de l’imagination, nous a accompagnés dans la découverte des éléments de la

1096 Jean Richer, op. Cit., p. 152.1097 Ibid., p.153-154.1098 Ibid., p. 155-156.1099 O. C, I, 695 cité par B. Marchal, op. cit. , p. 120.1100 O. C, II, 722 cité par B. Marchal, op. cit. , p. 121.1101 O. C, III, 719.

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nature (eau, feu, terre et air). Quant à Richard, il fut plus présent encore car la notion de « paysage » est centrale dans son œuvre. Il poursuit du côté de l’espace, les réflexions de Georges Poulet sur le temps. Anne Cauquelin a justifié notre recherche sur le paysage urbain car le paysage n’est pas seulement naturel. Naturel ou urbain, le paysage n’existe pas sans horizon (Michel Collot). La problématisation de la notion de paysage dégage aussi la notion de paysage intérieur déjà perçue lors de la lecture des poèmes de Baudelaire et Nerval.

Ces poèmes nous ont conduits vers la mer, qui pour Baudelaire comme pour Hugo symbolise l’idéal et l’infini contrastant avec la finitude de la nature humaine (L’homme et la mer). Comme Guérin, Baudelaire a gardé de la mer l’image d’un spectacle impressionnant. Le paysage nervalien comme le paysage romantique définit un rapport entre nature et culture. La visite de la Baie de Naples est l’occasion d’un pèlerinage au Tombeau de Virgile (El Desdichado, Myrtho). La géographie nervalienne, comme le Valois est baignée d’eau douce(Le relais, Le réveil en voiture), vraie eau mythique selon Bachelard. La pluie est fécondante alors qu’elle est souvent destructrice et associée au spleen (L’ennemi) dans les FM. Le feu s’incarne principalement dans le volcan dans les poèmes nervaliens (Delfica) alors que chez Baudelaire, on constate une véritable imagination des métaux (Rêve parisien, Les bijoux). Nerval, lui-même, est un homme de feu, feu présent dans le titre « Les Chimères » ou « Les Filles du feu. » Avec l’air, on passe d’un monde matériel et spirituel. Le titre le plus emblématique de cette poétique est Elévation. Baudelaire comme Nerval rêve éperdument d’envol non seulement au-dessus de la matérialité mais aussi hors du temps. Mais Les plaintes d’un Icare disent la victoire de la pression saturnienne vers le sol. L’odorat est un sens privilégié par Baudelaire qui consacre deux tercets de Correspondances aux parfums où ils sont associés aux sons. Ces derniers sont souvent apparentés à La musique comme approche de l’être. En ce qui concerne les états intermédiaires de la matière, la transmutation de l’air dans l’écharpe d’Iris est typique de la poétique nervalienne. Quant aux papillons, ils dessinent un paysage des mots et disent le mystère des métamorphoses entre les monde volatile et végétal. Pour Erythréa, Nerval semble s’être inspiré de Jean-Paul Richter. C’est Chateaubriand dans sa Lettre sur l’art du paysage qui dit l’importance de la verdure dans un paysage. Guérin comme Nerval (Cour de prison) rêve du végétal. Même Baudelaire attribue un rôle bénéfique à Cybèle qui symbolise la puissance de la végétation (Bohémiens en voyage). L’orage qui réunit rêveries ignée et aquatique est tantôt dévastateur(comme la pluie), tantôt consolant(Le cygne). L’île est porteuse d’images de bonheur et de nature généreuse. Quant à la grotte, elle est un « archétype » (Bachelard) chez Baudelaire et Nerval comme chez Guérin. Comme chez les romantiques, le brouillard remplit une fonction d’effusion ; il voile les paysages(Ciel brouillé) qui peuvent devenir spleenétiques (L’Irréparable). Le spleen est aussi représenté par le paysage polaire de De profundis clamavi car le froid, chez Baudelaire comme Boehme, Balzac ou Nerval a une valeur globalement

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négative. Ces états intermédiaires de la nature montrent la métaphorisation réciproque du paysage intérieur et du paysage extérieur. En étudiant les lumières et saisons poétiques, nous avons perçu une symbolique négative de l’automne d’origine martiniste alors que le paysage automnal ou lunaire est souvent celui de l’amour (teinté, il est vrai de mélancolie). L’ambivalence de la figure solaire victorieuse des ténèbres (printemps et crépuscule) ou destructrice (désert et paysage spleenétique) s’achève dans le mythe solaire particulièrement visible dans les poèmes de Nerval. La nuit « divinisée » et permettant la création peut devenir « ténèbres. » Cette mystique de l’obscur a été introduite dans la littérature par Novalis et Edward Young, Hoffmann , Baudelaire y ajoutant le lugubre. Par l’analogie ou la synesthésie, le paysage dans les FM se sexualise jusqu’à faire du sexe féminin L’origine du monde (Courbet). Chez Nerval, le paysage devient un tout en s’incarnant notamment dans la figure mythique d’Isis.

Les sciences occultes interviennent dans la construction du paysage poétique par l’intermédiaire de la figure d’Hermès Trimégiste dans les FM. Comme l’alchimiste, le poète accomplit une transmutation du réel (Projet d’épilogue pour l’édition de 1861). Les Chimères ont fait l’objet de multiples interprétations ésotériques et l’intérêt de Nerval pour l’occultisme se lit dans le titre même de certaines de ses œuvres : Les Illuminés ou L’Alchimiste. La philosophie et la littérature allemande (Hoffmann traduit par Gautier et Faust par Nerval) sont des vecteurs essentiels à la renaissance de l’ésotérisme en France au XIX e siècle. Swedenborg et Saint -Martin contribuèrent amplement à la connaissance de la théosophie. Quant à Fabre d’Olivet, il partage l’intérêt de Nerval pour Pythagore et ses Vers dorés. Nerval inclut dans le panpsychisme connu par Voltaire, le règne minéral. Pour Victor Hugo, « tout vit, tout agit, tout est plein d’âmes. » Rousseau et les romantiques connaissaient les Correspondances mais Baudelaire systématise les synesthésies dans son célèbre sonnet. Ce phénomène peut intervenir sous l’influence des Paradis Artificiels qui permettent également le rêve. Mais le sommeil, souvent méprisé par Baudelaire, suffit à générer le rêve. Après Nerval et Novalis, Baudelaire fait de l’inconscient le moteur de la poésie. Cet inconscient finira par s’épancher dans la réalité nervalienne. Les couleurs sont aussi associées par analogie aux sons et parfums. Le noir, couleur de la mort, du spleen et des enfers est prédominante dans les FM mais il existe aussi une lumière noire émanée des yeux de Jeanne Duval. Le soleil noir nervalien exprime une thématique romantique héritée de Jean-Paul. Le chatoiement des couleurs fait le charme d’Erythréa alors que Les papillons se révèle un merveilleux hymne à la couleur. Les couleurs mystiques de la Madone privent le regard de la forme pour inspirer la pureté et la virginité. La construction symbolique du paysage en peinture apparaît avec Léonard de Vinci qui, avec Léon Battista Alberti « inventent » la perspective. « Le Pèlerinage à l’île de Cythère » associe Antoine Watteau aussi bien à Baudelaire (Un Voyage à Cythère) qu’à Nerval qui transpose Cythère dans le Valois. Baudelaire admire surtout Eugène Delacroix pour son traitement des couleurs et des

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lumières en contraste avec les ombres ; le poète utilise un tel contraste dans les oxymores de L’Irrémédiable. Un enterrement à Ornans semble être la réponse de Gustave Courbet à l’appel de Baudelaire aux peintres pour plus de réalisme. Comme les FM, ce tableau est une allégorie réelle que ne comprendra le public. Le buveur d’absinthe d’Edouard Manet pourrait être le chiffonnier, figure centrale de la modernité baudelairienne qui lui ressemble.

Cette modernité est celle de la ville (Paris) transformée par Haussmann et que ni Baudelaire, ni Nerval ne reconnaissent. Chassé du Doyenné, Nerval se réfugie aux Halles, le « ventre de Paris » ou dans les cafés. Peu de poèmes rendent compte de ses errances (Notre - Dame de Paris, Une allée du Luxembourg) Baudelaire privilégie les faubourgs, lieux transitoires entre ville et campagne qu’il transmue en Capoue antique (Le voyage). Il suit Les petites vieilles dans les jardins où il se plaît car la nature y est domestiquée. La ville qu’il contemple du haut de Montmartre (un des rares notations géographiques dans les FM) lui est hostile. Comme Louis –Sébastien ou Rousseau, il n’y voit que le chaos, la saleté et une fourmilière de monstres. Cependant, la foule, figure engendrée par l’augmentation de la foule, permet au flâneur, une expérience euphorique d’anonymat. La modernité est aussi celle d’une poésie qui tout à la fois refuse le réel et désire le transfigurer. Cela se traduit par une quasi-absence de pittoresque qui fait que les Tableaux ne sont parisiens que secondairement. Paris n’est en fait qu’un décor où l’imaginaire du poète trouve un terrain favorable. Les transformations haussmaniennes font surgir le souvenir d’un passé proche ou lointain (Le Cygne) et la nostalgie. La transfiguration du réel se manifeste aussidans la mise en scène du paysage parisien. Les métaphores théâtrales sont nombreuses dans les FM et comme chez Balzac, on passe du réalisme au fantastique. Paysage est basé sur la tension entre le projet poétique de Baudelaire et la réalité contemporaine. La première partie du Rêve parisien dépeint un paysage urbain idéal où domine l’aquatique et le minéral. La deuxième partie se caractérise par un brusque retour à la réalité. Il nous semble cependant que c’est l’imaginaire qui l’emporte sur la réalité historique. Baudelaire ne parvient pas comme Gautier, Banville ou Constantin Guys, Le peintre de la vie moderne à trouver dans le nouveau Paris, une source d’inspiration. Sa mélancolie le rapprocherait plutôt de Méryon.

La mélancolie est aussi celle d’un ailleurs spatial ou temporel. Ainsi, Baudelaire, contraint à un voyage vers les îles en gardera cependant des images puissantes qui font contraste avec la vision maussade de Paris. L’exotisme était très à la mode au XVIII e siècle. Avec Parfum exotique, il s’engage dans la voie tracée par Bernardin de Saint-Pierre qui décrivait l’harmonie entre l’homme et la nature. Nerval, lui, comme Byron ou Chateaubriand, s’enthousiasme et part pour l’Orient. Dans ces poèmes, il associe plusieurs contrées orientales éloignées l’une de l’autre (« La neige du Cathay tombe sur l’Atlantique »). C’est ce que Jean-Pierre Richard appelle la « géographie magique de Nerval. » Comme Delacroix, Nerval retrouve en Orient « l’Antiquité vivante » que l’on retrouve dans les titres des Chimères. La géographie antique est aussi présente dans les FM avec

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Lesbos ou les Minturnes (La Muse malade) ; elle s’étend au-delà de l’espace vers les faubourgs parisiens des Chiffonniers. Baudelaire se plaît aussi aux anachronismes. L’enfance est une autre figure du paradis perdu qui se situe pour Nerval dans le Valois ; la géographie de ses paysages dit sa nostalgie. Baudelaire consacre l’enfant sublime dans Bénédiction alors qu’il a été lui-même un enfant solitaire et incompris à la vocation précoce. Nous avons lu avec intérêt l’ouvrage de Jean Béchade-Labarthe sur les Origines agenaises de Gérard de Nerval. En effet, nous savons quelle passion mit Gérard dans la recherche de ses origines : parisien de naissance, il plaçait ses origines dans le Valois mais se tourna aussi vers l’Allemagne où mourut sa mère et l’Agenais où naquit son père.

« Enfer ou ciel qu’importe ! » tel est l’exclamation qui clôt le cycle de la mort et par - là même les FM. Telle est aussi la tension qui règne au sein de l’ouvrage ; d’une part, l’attirance pour le gouffre du Spleen et ses paysages lugubres ou infernaux, d’autre part l’aspiration à l’Idéal et ses paysages lumineux, exotiques ou célestes. Quant à Nerval dont la pensée oscille sans cesse entre paradis (sa rêverie maîtrisée par l’écriture) et enfer (« l’épanchement du songe dans la vie réelle »), ce qu’il cherche dans chaque paysage, oriental ou familier, c’est lui-même. « Chaque paysage sera donc dépassé vers un être une vérité personnelle de ce paysage, vers une structure à la fois spatiale et temporelle qui lui confèrera son sens et sa valeur. La géographie nervalienne ne décrit pas le monde : elle l’explore, le révèle à lui-même, elle découvre en lui les routes d’un bonheur ou d’un salut…1102 »

BIBLIOGRAPHIE

I. OUVRAGES PRIMAIRES.

1) CHARLES BAUDELAIRE

1102 J. P Richard, « Géographie magique de Nerval », op. cit. , p. 19.

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a. Edition de référence.

-Oeuvres complètes I. Texte établi, présenté et annoté par Claude Pichois. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1975.

b. Ouvrages consultés.

-Œuvres complètes. Préface, présentation et notes de Marcel A. Ruff. Doyen de la faculté des lettres et sciences humaines de Nice. Collection « L’Intégrale », dirigée par Luc Estang, assisté de Françoise Billotey. Editions du Seuil, Paris, 1968.

-Les Fleurs du Mal. Préface et commentaires de Robert Sctrick. Collection «  Lire et voir les classiques », dirigée par Claude Aziza, Pocket, 1989.

-Le Spleen de Paris, La Fanfarlo. Introduction, notes, bibliographie et chronologie par David Scott et Barbara Wrigt. «  GF », Flammarion, 1987.

-Petits poèmes en prose. (Le Spleen de Paris) Préface et commentaires de Pierre-Louis Rey « Pocket Classiques », collection dirigée par Claude Aziza, Pocket, 1998.

-Critique d’art, suivi de Critique musicale. Edition établie par Claude Pichois. Présentation de Claire Brunet «  Folio Essais », Gallimard, 1992.

-Les Paradis artificiels. Edition établie et présentée par Claude Pichois. « Folio classique », Gallimard, 1998.

- L’art romantique suivi de Fusées, Mon cœur mis à nu et Pauvre Belgique. Collection littéraire, Julliard, 1964.

2) GERARD DE NERVAL

a. Editions de référence.

-Oeuvres complètes I. Edition publiée sous la direction de Jean Guillaume et Claude Pichois. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1989.

-Œuvres complètes III. Edition publiée sous la direction de Jean Guillaume et Claude Pichois. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1993.

b. Ouvrages consultés.

-Oeuvres complètes II. Edition publiée sous la direction de Jean Guillaume et Claude Pichois. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1984.

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-Les Filles de Feu, Petits Châteaux de Bohême, Promenades et souvenirs. Introduction, notes et dossier par Michel Brix. Collection  « Classiques de Poche », dirigée par Michel Zink et Michel Jarrety, Le Livre de Poche, 1999.

-Poésies et Souvenirs. Edition établie par Jean Richer. « Poésie » Gallimard, 1974.

La main enchantée (Histoire macaronique). Présentation et notes de Marie-France Azema. « Les Classiques d’aujourd’hui », Le Livre de Poche, 1994.

-Voyage en Orient I et II. Chronologie, introduction, bibliographie, lexique et notes par Michel Jeanneret, professeur à l’Université de Genève. « Garnier » Flammarion, 1980.

-Voyage en Orient (4 volumes). Texte établi et annoté par Gilbert Rouger. Collection nationale des classiques français ; Imprimerie nationale de France, 1950.

Aurélia. Introduction et notes de Michel Brix. « Libretti », Le Livre de Poche, 1999.

Sylvie. Présentation et notes par Marie-France Azema. «  Libretti », Le Livre de Poche, 1999.

-Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi. Introduction et notes de Hisaschi Mizuno. Du Lérot, éditeur, Tusson, Charente, 1997.

-Léo Burckart. L’Imagier de Harlem. Edition de Jacques Bony. GF Flammarion, 1996.

II. ETUDES ET ARTICLES SUR CHARLES BAUDELAIRE. ABE (Yoshio), Baudelaire et la peinture réaliste in Cahiers de l’Association Internationale des Etudes Françaises, mars 1966, p. 205-214.

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RICHARD (Jean-Pierre), -Géographie magique de Nerval in Poésie et profondeur. Collection « Points », seuil, 1976, p. 15-89. - Le nom et l’écriture in Microlectures (2 volumes), Editions du Seuil, Collection « Poétique » 1979-1984, p. 13-24.

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