intro pentateuque

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LA BIBLE ANNOTÉE I NTRODUCTION AU P ENTATEUQUE Par une société de théologiens et de pasteurs Sous la direction de F.Godet [epelorient.free.fr] 2004

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  • LA BIBLE ANNOTEINTRODUCTION AU PENTATEUQUE

    Par une socit de thologiens et de pasteursSous la direction de F.Godet

    [epelorient.free.fr]

    2004

  • ILe contenu et la pense du Pentateuque.

    Les cinq premiers livres de lAncien Testament portaient chez les Juifsle nom collectif de : le Livre de la loi, ou : la Loi de Mose, ou simple-ment : la Loi. Les Pres de lEglise (Tertullien, Origne), se conformantsans doute un usage plus ancien, qui remontait peut-tre au temps de latraduction des Septante, donnent ces livres le nom de Pentateuque. Cemot, dorigine grecque, signifie littralement le livre aux cinq tuis, cest--dire les cinq rouleaux ou volumes.

    Chacun de ces crits tait dsign par les Juifs au moyen des mots quile commenaient, et dont on faisait une sorte de titre : ainsi pour :

    le premier, Bereschith : Au commencement ; le second, Veellschemoth : Et ce sont ici les noms ; le troisime, Vajjikera : Et il appela ; le quatrime, Vajedabber : Et il dit ; ils appellent aussi ce livre Bammid-

    bar : Dans le dsert, nom tir du contenu du livre ; le cinquime, Ellhaddevarim : Ce sont ici les paroles, parfois aussi :

    Mischn-hatthora : Rptition de la loi.

    Les traducteurs alexandrins adoptrent, selon lusage grec, des titres enrapport avec le contenu des livres :

    Genesis, qui signifie origine ; Exodos, qui signifie sortie ; Levitikon, qui veut dire le livre des Lvites ;

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  • Arithmoi, qui veut dire nombres ; parce que ce livre commence par lednombrement du peuple ;

    Deuteronomion, qui veut dire seconde loi.

    Nos dnominations franaises sont provenues de ces titres grecs.

    Ces cinq livres ne sont point de simples annales historiques ; car on yremarque un but poursuivi et un choix de matriaux. Ils ne sont pas nonplus un recueil lgendaire dantiques traditions nationales ; car le peuplejuif, qui en est le hros, y apparat comme lune des plus jeunes nationsdu monde ; cest le contraire du rle que sattribuent les peuples dans leurslgendes. Ds le rcit de la cration, nous constatons dans ces livres unplan nettement trac.

    Commenons par en exposer brivement le contenu.

    Le premier, la Gense, nous conduit de la cration du monde jusqultablissement de la famille dAbraham en Egypte ; cest un espacede temps denviron 2300 ans.

    Le second, lExode, raconte la sortie dEgypte et le voyage des EnfantsdIsral jusquau Sina.

    Le troisime, le Lvitique, renferme les ordonnances concernant le culte,donnes pendant le sjour au Sina.

    Le livre des Nombres reprend le rcit interrompu la fin de lExode etretrace le voyage qui conduisit les Isralites du Sina aux frontiresde Canaan ; ce livre comprend un espace de temps denviron trente-huit ans.

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  • Enfin dans, le Deutronome nous trouvons les dernires exhortationsadresses par Mose, peu avant sa mort, au peuple qui se disposait occuper la terre promise.

    Les matriaux qui entrent dans la composition de ces cinq livres sonttrs divers : des rcits, des gnalogies, des lois, des discours. Cependant,de tout cet ensemble se dgage une pense unique aux yeux de celui quicherche pntrer lesprit qui linspire. Dans un sens gnral, le fait auqueltend toute cette histoire, aussi bien que la Bible entire, cest ltablisse-ment final du rgne de Dieu sur toute la terre. Le rcit de la cration dumonde nous montre lapparition du futur thtre de ce rgne ; celui de lacration de lhomme, la formation de ltre qui en sera lagent, et ainside suite. Dans un sens plus particulier, les vnements raconts dans lePentateuque tendent tous vers un fait plus rapproch, celui qui posera lefondement de ce rgne divin : ltablissement du peuple descendu dAbra-ham dans la terre de Canaan. Cest dans ce pays en effet que le rgne deDieu doit tre ralis par Isral sous sa forme prparatoire.

    Entrons maintenant dans lanalyse dtaille du contenu de ces cinqlivres, et nous comprendrons plus distinctement ce double but, la foisgnral et particulier, qui domine le rcit des vnements.

    Le fait central de lhistoire raconte dans la Gense est la vocationdAbraham (chapitre 12), qui doit devenir le pre du peuple, instrumentfutur des desseins divins. Cet appel adress au patriarche est louverture dela priode dite particulariste, durant laquelle le peuple juif doit reprsenterseul ici-bas le rgne de Dieu. Cependant cet vnement dcisif avait tprcd et motiv par toute la srie des faits primordiaux qui concernent

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  • lhumanit tout entire. Aussi sont-ils retracs dans les onze premiers cha-pitres. Lhumanit est au point de vue du rcit de la Gense le but premier etconstant de luvre de Dieu. Le peuple dIsral nest que le moyen choiside Dieu pour atteindre ce but gnral. Si le point de vue national juif etinspir le rcit, la narration se serait ouverte par lappel dAbraham. Cestparce que ds labord elle a eu en vue le salut universel, quelle commencepar lhistoire de lhumanit primitive. Lhorizon quembrasse le rcit d-passe ds les premires pages de la Gense celui du peuple dIsral. Maiscela nempche point que, ds labord aussi, le rcit ne tende directement lhistoire dAbraham comme premier fait saillant dans ltablissement durgne de Dieu. Cest ce que montre clairement la srie des tables gna-logiques dans les onze premiers chapitres ; car ces listes de noms partantdAdam se dirigent en droite ligne vers le personnage dAbraham ; ellesaboutissent Thrach, son pre. On constate le mme but en tudiant lesvnements raconts : la cration de lunivers et de lhumanit, conditionsncessaires du rgne de Dieu ; le sjour dans le paradis, commencement,virtuel de ce rgne ; la chute de lhomme, qui en entrave le dveloppementet qui fonde ici-bas un rgne oppos ; le chtiment du dluge, par lequelDieu dtruit une humanit devenue impropre laccomplissement de sondessein, et la renouvelle en quelque mesure ; la tentative de la tour de Ba-bel, nouvelle rvolte qui loigne encore une fois lhomme de sa destina-tion : tous ces faits font ressortir la ncessit, si Dieu ne veut pas abandon-ner son but, de recourir en vue du salut une mesure dun nouveau genre.Cest ainsi que nous sommes amens la vocation de lhomme en qui sin-carne la grande esprance de lhumanit. Comme No avait t choisi poursauver matriellement notre race, Abraham est lu pour la sauver spirituel-

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  • lement en conservant, ce qui fait la dignit de lhomme, la connaissancedu Dieu unique et saint et la confiance en lui. Aprs avoir ainsi atteint,comme par un procd de concentration graduelle, son premier but, Abra-ham, le rcit de la Gense nous montre en lui ds ce moment le point dedpart dun salut qui va grandir jusqu embrasser tous les peuples. Noussuivons le patriarche en Canaan, cette terre destine devenir lhritage desa famille ; Abraham y devient le pre dIsaac, et par lui de la famille lue.Les Cananens ne sont pas encore mrs pour la destruction laquelle lescondamne leur corruption croissante ; cest pourquoi la famille dAbraham,qui doit les remplacer, mais qui dj commence se corrompre avec eux,est transplante en Egypte. L elle se multiplie rapidement et devient cegrand peuple qui, lheure marque, sera en tat de conqurir et doccuperle pays des Cananens. En mme temps que nous voyons ainsi grandir lafamille dAbraham, le rcit nous montre comment ses branches latrales,qui ne doivent pas faire partie du peuple lu, sont successivement limineset tablies dans les contres environnantes : ainsi Lot, neveu dAbraham ;Ismal, fils du patriarche, et Esa, fils dIsaac. Le livre se termine par lamention de deux faits qui font clairement comprendre la porte du rcit :linhumation de Jacob dans la caverne de Macpla, autrefois achete parAbraham en Canaan, et qui tait pour la famille du patriarche comme legage de la possession future de ce pays ; puis la promesse que Joseph mou-rant exige des siens et par laquelle ils sengagent transporter ses restesen Canaan, quand lEternel y fera remonter son peuple. La Gense poseainsi bien clairement les bases de la conqute future de Canaan. Ce livreest comme la prise de possession anticipe de la terre promise.

    Lvnement capital de lExode est le don de la loi en Sina (chapitre

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  • 20). Tout ce qui prcde ce fait est destin le prparer. Laccroissementextraordinaire de la famille de Jacob en Egypte, la perscution dont elleest lobjet sous une nouvelle dynastie, la naissance et la conservation mer-veilleuse de Mose, son ducation la cour de Pharaon, son long exil audsert de Madian, lappel que lui adresse lEternel, les plaies dEgypte, lasortie du peuple, le passage de la mer Rouge, le voyage jusquau Sina :toutes ces circonstances racontes dans la premire partie de lExode sontle prambule de la grande scne de la promulgation des dix commande-ments dans lesquels se rsume la loi tout entire. Pendant son sjour enEgypte, la famille dAbraham tait devenue un peuple ; or un peuple doitavoir une constitution qui en fasse un tout bien organis : la loi est la consti-tution nationale, politique et religieuse, dIsral. Aprs le don de la loi estraconte, dans la seconde partie du livre, la construction et la conscrationdu tabernacle. Ce fait est la consquence ncessaire de la promulgation dela loi, car le sanctuaire est la fois le temple et le palais du Dieu et RoidIsral habitant au milieu de son peuple. Mais si Isral est maintenant unenation organise, ce nest pas en vue dune existence prolonge au dsert ;un meilleur sjour lappelle : le moment est venu de se remettre en marche.

    Isral possde un sanctuaire o son Dieu veut chaque jour se rencon-trer avec lui. Cependant les conditions de cette rencontre solennelle doiventtre fixes, et cest l le but des rglements relatifs au culte et la saintetdIsral, que renferme le Lvitique ; on pourrait appeler ce livre le Ma-nuel des Lvites, des agents du culte. Il contient dabord une srie dor-donnances sur les sacrifices, sur la conscration des sacrificateurs, sur ladistinction entre les animaux purs et impurs et sur les diffrentes sortes desouillures. Nous arrivons ainsi lordonnance qui forme comme le couron-

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  • nement de tout le systme crmoniel, celle du jour des Expiations, renfer-me au chapitre 16. En ce jour unique dans lanne, le grand sacrificateurdoit entrer dans le Lieu trs saint, pour y faire la propitiation des pchsdes sacrificateurs et du peuple. Aprs cela, le Lvitique contient une fouledordonnances relatives la saintet de la vie chez les membres du peupleet chez les sacrificateurs, puis linstitution des ftes Isralites, hebdoma-daires, mensuelles, annuelles, septannuelles, et enfin lordonnance relative la fte semi-sculaire du Jubil, type du repos saint et parfait du rgne deDieu accompli. Quoique toutes ces ordonnances donnes en Sina fussenten quelque mesure applicables au sjour dans le dsert, il est vident que laplupart dentre elles, surtout celles des ftes, avaient en vue ltablissementpermanent dans la terre de Canaan.

    Le livre des Nombres renoue avec le rcit de lExode. La narration estdomine tout entire, comme dans les livres de la Gense et de lExode, parun fait principal : le rejet dIsral et la condamnation, de tous les hommesfaits, sortis dEgypte, prir dans le dsert (chapitre 14). Les faits renfer-ms dans les treize premiers chapitres : le dnombrement du peuple, lesordres relatifs aux campements et au mode de transport du sanctuaire, laclbration de la Pque, le dpart du Sina, enfin lenvoi des espions et larvolte du peuple loccasion de leur retour et de leur rapport, ces faitsaboutissent la sentence de mort prononce sur Isral. A la suite de cetvnement est raconte une srie de rvoltes et de chtiments ; quelquesordonnances occasionnelles sont mentionnes ; suivent la mort dAaron,larrive dans les contres situes lorient du Jourdain, la conqute desdeux royaumes amorrhens de Hesbon et de Basan, enfin la victoire surles Madianites, avec lpisode de Balaam. A ce moment, tout est prt pour

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  • lentre en Canaan et pour le passage du Jourdain. En retraant ainsi lamarche du peuple depuis le Sina jusquau seuil du pays de Canaan, et ennous rvlant le jugement dont le peuple fut frapp dans le dsert, ce livrenous explique la longue dure de ce voyage de quarante ans, qui aurait puse faire en quelques semaines ou en quelques mois.

    Le peuple qui venait darriver au Jourdain navait pas, dans sa ma-jeure partie, assist lui-mme la scne du don de la loi ou, aprs quaranteannes coules, nen conservait quun souvenir confus. Cest pourquoiMose, prenant en quelque sorte la place de lEternel en face de ce nouvelIsral, lui fait entendre une rptition de la loi ; cest l le contenu du Deu-tronome. Il sacquitte de cette tche librement, sans sassujettir la lettre,cherchant faire pntrer dans le cur du peuple lesprit de la loi, pluttque de lui en rpter textuellement la teneur. Dans un premier discours, ilretrace les principaux vnements du voyage travers le dsert ; dans unsecond, il rpte et dveloppe les points de la loi dans lesquels ressort lemieux lesprit de pit et dhumanit qui doit distinguer le peuple de Dieu ;le troisime renferme une sommation finale, adresse Isral. Le livre setermine par lindication des dernires mesures prises par Mose en vue delentre en Canaan, et par le rcit de sa mort. En rsum, trois livres re-traant le cours de lhistoire : la Gense depuis la cration jusquau sjouren Egypte ; lExode, de la sortie dEgypte jusquau Sina ; les Nombres,du Sina au seuil de Canaan ; et deux livres en quelque sorte supplmen-taires : le Lvitique, fixant le mode du culte, et le Deutronome, consacrantle peuple pour la tche quil doit remplir sur le sol choisi de Dieu.

    Ainsi ltablissement en Canaan est compltement prpar, et le peupleparat mr pour la ralisation du rgne divin, non sous sa forme spirituelle,

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  • universelle et dfinitive, mais sous la forme symbolique et nationale quidoit prcder et prparer lautre. Ds louverture du livre des Rvlations,luvre particulire de Mose est rattache luvre suprieure du salutqui doit embrasser lhumanit tout entire.

    Ce quest le recueil des quatre vangiles lgard de lalliance chr-tienne, le Pentateuque lest lgard, de lalliance isralite. Les vne-ments qui sont raconts dans lun et lautre de ces deux recueils sont labase de tout le dveloppement de luvre divine qui doit suivre. La loi,dit saint Jean (1.47), a t donne par Mose, mais la grce et la vrit sontvenues par Jsus-Christ.

    IILa composition du Pentateuque.

    Les cinq livres de la Loi sont anonymes, comme tous les livres histo-riques et la plupart des Hagiographes de lAncien Testament ; mais, si lesauteurs du Canon nont pas cru pouvoir leur assigner de nom dauteur, latradition postrieure a t unanime pour attribuer Mose la compositionde ces livres o il joue un si grand rle ; Mose dailleurs est le grand lgis-lateur du peuple dIsral, et comme les lois quil a promulgues font partieintgrante du Pentateuque, il tait naturel dadmettre que lui-mme avaitcrit les rcits historiques au milieu desquels cette lgislation est interca-le.

    Cette opinion peut sappuyer du reste sur certains tmoignages em-prunts au texte lui-mme. Il nous est dit que lEternel ordonna Mose

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  • dcrire dans le livre quil effacera Amalek de dessous les cieux (Exode17.14) ; Mose crivit galement toutes les paroles que lEternel avait pro-nonces lors de la promulgation de la loi sur Sina (Exode 24.4), et cellesque lEternel lui dicta aprs que les tables de lalliance eurent t brises(Exode 34.27) ; il fit de mme pour le catalogue des stations du voyageau dsert (Nombres 33.2). Enfin, et surtout, la loi contenue dans le livre duDeutronome est directement attribue Mose qui laurait crite et remiseaux Lvites pour la dposer ct de larche de lEternel (Deutronome31.9-11,22, 24-26).

    Les noms de livre de la loi de Mose, ou de loi de Mose, ou simplementde livre de Mose, que nous rencontrons dans les derniers crits de lAn-cien Testament (voyez Nhmie 8.1 ; 13.1 ; Esdras 6.18), dsignent Mosecomme le lgislateur dIsral plutt que comme le rdacteur de ces cinqlivres. Cest ce que nous pouvons dire galement des passages des van-giles o Mose est prsent comme parlant lui-mme dans les livres de laloi (Matthieu 19.7 ; Marc 12.19,26 ; Luc 24.27,44 ; Jean 1.46 ; 5.46-47 1).Mais on comprend aussi que lon ait donn ces expressions une plusgrande porte, et il est tout naturel que lantiquit juive et chrtienne ait tunanime attribuer Mose la composition du Pentateuque. Loppositionde quelques sectes gnostiques qui rejetaient lAncien Testament na pas devaleur, car elle ne reposait que sur des considrations doctrinales et nonpoint sur une tradition historique. Pour expliquer comment le rcit de lamort de Mose pouvait se trouver compris dans un livre quil aurait crit

    1. Dans ce dernier passage, Jsus parle de Mose comme ayant, crit son sujet ; maisce mot, daprs le contexte, doit surtout sappliquer luvre lgislative de Mose. Jsusdu reste nexprime pas une opinion sur la question littraire de la rdaction des livres duPentateuque, qui ntait pas en cause entre lui et ses auditeurs.

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  • lui-mme, le Talmud disait que les huit derniers versets de la loi avaient tcrits par Josu.

    On peut dire que cette opinion sur lorigine mosaque du Pentateuquergna sans conteste jusquau milieu du sicle pass (18 sicle) ; cest toutau plus si quelques savants formulrent des rserves propos de certainspassages qui paraissaient supposer un tat de choses postrieur Moseet quon expliquait le plus souvent comme des gloses de date plus rcente.Ces objections eurent dailleurs peu dinfluence, et lopinion du philosopheSpinoza, qui attribuait la rdaction de la loi Esdras, ne trouva pas dcho.

    La question du mode de composition du Pentateuque fut souleve pourla premire fois en 1753 par un mdecin franais, nomm Jean Astruc,qui avait t amen par ses travaux sur la lpre tudier de prs lAncienTestament ; ctait un bon catholique, qui entendait bien ne point porter at-teinte lopinion traditionnelle et qui maintenait, nergiquement loriginemosaque de ces livres. Il ne soccupait du reste que de la Gense, et il fitune remarque dont personne ne stait avis avant lui, du moins pour entirer des consquences critiques : il observa que dans certains rcits Dieuest appel constamment Elohim, tandis que dans dautres nous ne rencon-trons que le nom de Jhova 2 ; partant de l, il rpartit les passages daprsce caractre distinctif, et il arriva ainsi constater, ct de sources secon-daires, lexistence de deux crits parallles principaux auxquels il donne lenom de mmoires et dont il estimait que Mose se serait servi pour com-

    2. Le nom dElohim est celui que nos traductions rendent par le mot Dieu ; le nom deJhova est rendu par celui de lEternel. On admet gnralement que la vraie prononciationde ce dernier est Jahv. Nous conservons la forme Jhova comme tant la plus usite.

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  • poser le livre de la Gense 3. Astruc pensait que son hypothse facilitaitlintelligence de ce livre en ce quelle expliquait certaines rptitions, cer-tains dfauts de continuit, certaines divergences de dtail que prsententplusieurs rcits ; en runissant en un tout les documents divers dont il dis-posait, Mose leur aurait laiss leur caractre propre et naurait pas corrigles variantes qui trahissent la pluralit des sources auxquelles il avait puis.

    Ces observations ingnieuses du mdecin franais neurent pas le suc-cs quelles mritaient, et elles demeurrent plus ou moins inaperues jus-quaux dernires annes du sicle pass. Cest seulement dans ce sicle-cique ltude du Pentateuque fut reprise avec un soin tout nouveau.

    Nous ne pouvons songer donner ici un expos dtaill de ce vastetravail critique qui nest, point encore arriv des rsultats dfinitifs ; nousnous bornerons indiquer les phases principales de ce dveloppement et signaler les opinions qui ont obtenu le plus de suffrages ; nous nous r-servons de formuler nos propres conclusions la fin de notre tude duPentateuque.

    En suivant la voie ouverte par Astruc, plusieurs savants multiplirentbeaucoup le nombre des sources qui auraient t utilises par Mose dansla composition de la Gense, et ils en vinrent considrer ce livre commeune vaste compilation o lauteur aurait runi ple-mle tous les renseigne-ments quil pouvait avoir sur les antiquits de son peuple et de lhumanit.Si cette hypothse expliquait le caractre fragmentaire de plusieurs pas-sages de la Gense, elle mconnaissait lexistence du plan qui a prsid

    3. Conjectures sur les mmoires originaux dont il paroit que Moyse sest servi pourcomposer le livre de la Gense. Avec des remarques qui appuient ou claircissent cesconjectures. Bruxelles 1753.

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  • la composition de ce livre, et elle ne rendait pas compte du lien manifestequi rattache les unes aux autres certaines sries de rcits.

    Pour viter cet inconvnient, dautres thologiens supposrent qu labase de la Gense se trouvait un crit principal qui en aurait fourni le plan etles lments essentiels ; ctait celui o le nom dElohim est seul employet qui commence avec le premier chapitre de la Gense. Cet crit auraitt complt plus tard par un rdacteur qui y aurait fait de nombreusesadjonctions et qui se serait servi du nom de Jhova. Cette thorie avait surla prcdente lavantage daccentuer fortement, lunit de plan de tous lesrcits lohistes. Ceux-ci formaient ainsi le cadre dans lequel tous les autrespassages auraient t inlercals.

    Cependant la mthode qui avait conduit dmontrer lexistence dundocument lohiste suivi, fut aussi applique aux fragments o le nom deJhova tait seul employ, et elle fit reconnatre que lorsquon les rappro-chait les uns des autres ils prsentaient la mme suite et la mme unit quelon avait constates dabord dans les morceaux lohistes. On en revintainsi peu prs lopinion mise dj par Astruc qui, ct de sourcessecondaires, avait reconnu lexistence de deux mmoires principaux, lunlohiste, lautre jhoviste.

    Les recherches critiques qui lorigine navaient gure port que surla Gense, stendirent aux autres livres du Pentateuque. Le Deutronomeprsentait une unit de composition et de style qui excluait la suppositionde sources diverses ; mais on observa que les trois livres mdiaux du Penta-teuque : lExode, le Lvitique et les Nombres, avaient ce mme caractrefragmentaire et ces mmes rptitions que lon avait constates dans la

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  • Gense. Cest ce qui engagea plusieurs savants appliquer ces livresles mmes hypothses quils avaient admises pour se rendre compte de lacomposition de la Gense.

    Il faut dire que lon en tait venu ne plus attribuer lemploi desnoms dElohim et de Jhova limportance quon lui avait donne dabord ;si cette diffrence des noms de Dieu avait t le premier fil conducteur quiavait amen distinguer deux documents principaux, on reconnut que cettergle ne pouvait tre maintenue dune manire absolue.

    La plupart des critiques admirent en effet que si lauteur appel lo-histe ne se servait que du nom dElohim dans toute lhistoire patriarcale, ilchangeait de systme partir de la vocation de Mose (Exode chapitre 6) etquaprs avoir dit comment Dieu se rvla alors sous le nom de Jhova, ilnemployait plus que ce dernier nom dans toute la suite de sa narration ; cequi faisait disparatre ds ce moment, du rcit lun des caractres au moyendesquels on avait distingu les deux documents. Dautre part, plusieurs cri-tiques crurent remarquer que certains morceaux o le nom dElohim taitseul employ taient cependant troitement unis au rcit jhoviste, de tellesorte quil devenait impossible de les en sparer, tandis quils diffraientcompltement par le style du document lohiste et quils ne rentraient pasdans son cadre. On conclut de tout cela :

    quen ne se rglant que sur la diffrence des noms de Dieu on narri-vait pas dans la Gense elle-mme dmler compltement les ma-triaux appartenant chaque document ;

    que, puisquaprs Exode chapitre 6 cette rgle navait plus aucuneapplication, si lhypothse des documents devait tre maintenue, il

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  • fallait avoir recours pour les distinguer dautres caractres moinsextrieurs.

    Disons enfin que plusieurs savants ont cru reconnatre dans le livre deJosu les traces des mmes sources utilises dans le Pentateuque et quilsen ont conclu que le rcit de la conqute du pays de Canaan avait fait par-tie intgrante des crits primitifs dont le rdacteur du Pentateuque se seraitservi pour la composition de son livre. Cette rapide esquisse historiquesuffira pour faire comprendre comment le plus grand nombre des com-mentateurs modernes du Pentateuque ont t amens reconnatre dansce grand ouvrage lexistence de trois sources principales que nous appel-lerons document lohiste, document jhoviste et Deutronome, lors mmeque, daprs ce que nous venons de dire, les deux premiers noms ne soientpas trs heureusement trouvs. Cette hypothse est applique par la plu-part des critiques aux six premiers livres de lAncien Testament, tandis quedautres ne ladmettent que pour le Pentateuque ou mme seulement pourla Gense. Enfin un petit groupe de thologiens se refuse absolument en-trer dans cette voie et conteste toute ralit cette distinction des sources.

    Comme nous devrons souvent, dans le cours de notre tude, faire al-lusion ces thories, nous croyons devoir indiquer ici quels sont, daprsles partisans de cette hypothse, les traits distinctifs de chacun de ces do-cuments ; nous le ferons en suivant lopinion de ceux qui estiment, que cessources se reconnaissent non seulement dans la Gense, mais travers tousles livres de la Loi.

    Mais il faut avant tout remarquer que le rdacteur du Pentateuque, quelquil soit, na pas fait une simple compilation de matriaux divers ; il a saisi

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  • dans sa grandeur ce plan de lhistoire du salut du monde que nous avonscherch caractriser nous-mmes au chapitre premier de cette introduc-tion. En crivant son livre, il na pas travaill sans doute daprs la mthodedes historiens occidentaux ; il na pas remani ses sources pour les fondreen un tout homogne ; il leur a bien plutt laiss leur caractre original.Nous nous ferions une ide de ce qua d tre luvre de ce rdacteur sinous supposions quun homme de Dieu de la fin de lge apostolique etruni en un mme livre nos quatre vangiles pour ne nous donner quuneseule et unique vie de Jsus. Cette harmonie des vangiles naurait paslunit dun livre crit par un mme auteur, et en lexaminant de prs on netarderait pas y reconnatre les traces de la combinaison dlments divers.Si le rdacteur du Pentateuque a suivi ce procd, sil a voulu runir en unmme tout plusieurs crits racontant chacun les origines de lhumanit etdu peuple dIsral, il a d lui arriver sans doute de supprimer parfois la nar-ration abrge dune de ses sources pour la remplacer par celle de lautresource, plus circonstancie et plus complte ; ou bien il a pu donner lune ct de lautre deux narrations dun mme fait qui prsentaient chacune desparticularits frappantes ; ou enfin il a pu combiner parfois les deux docu-ments de telle sorte que le texte nouveau contiendra tous les traits spciauxque fournissait chaque uvre particulire.

    Ce mode de composition complique assurment la tche de ceux quicherchent retrouver le texte des documents primitifs, et les documentsainsi reconstruits prsenteront ncessairement des lacunes. Cependant lespartisans de cette hypothse sont arrivs rtablir dune manire satisfai-sante la physionomie de chacune des sources, et sil y a encore entre euxcertaines divergences de dtail, on peut dire quils se sont mis daccord sur

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  • la rpartition gnrale des fragments. Nous allons les suivre en caractri-sant brivement chacun des documents, tels quils les ont reconstitus.

    Le document qui emploie jusqu la vocation de Mose (Exode chapitre6) le nom dElohim et que lon dsigne sous le nom dlohiste, est avanttout un code lgislatif ; les rcits historiques ny occupent quune placesecondaire ; il comprend en effet tout cet ensemble de lois que nous trou-vons runies depuis le chapitre 25 de lExode (sauf les chapitres 32 34) travers tout, le Lvitique et jusquau chapitre 10 du livre des Nombres ;nous devons y joindre encore plusieurs prescriptions lgales contenues auchapitre 12 de lExode et dans les chapitres 28 36 des Nombres. Toutecette lgislation, qui concerne surtout les rites du culte Isralite, se trouvecomme intercale dans un cadre narratif qui rsume lhistoire sainte de-puis la cration du monde jusqu la prise de possession du pays de Ca-naan. Lauteur na pas tant en vue de raconter lhistoire que den jalonnerle cours pour marquer nettement les phases principales du dveloppementdu rgne de Dieu jusqu ltablissement des Isralites dans le pays de lapromesse ; les vnements principaux quil rapporte avec dtails sont misen relation intime avec la loi promulgue par Mose ; ils ne sont rattachsles uns aux autres que par un mince fil gnalogique et chronologique. Laconstitution religieuse du peuple de lAlliance apparat ainsi dans toute sagrandeur comme le fait essentiel de son histoire qui lui imprime son carac-tre unique et qui lui donne son importance dans les destines de lhuma-nit tout entire.

    Cest ce titre que ce document raconte dune manire dveloppe :

    la cration du monde : Gense 1.1 2.4

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  • le dluge : Gense chapitres 5 9, combin avec le rcit jhoviste lalliance avec Abraham : Gense chapitre 17 lachat de la caverne de Macpla : Gense chapitre 22 la vocation de Mose : Exode chapitre 6 les plaies dEgypte et le voyage du peuple jusqu Sina : Exode cha-

    pitres 7 16, combin avec le rcit jhoviste la victoire sur les Madianites : Nombres chapitre 31 la mort de Mose : Deutronome chapitre 34.

    La plupart de ces rcits aboutissent des prescriptions lgales qui lesmettent en relation directe avec le thme essentiel du livre. Le style enest svre, majestueux ; cest un ouvrage systmatique ; on le voit jusquedans lhistoire des patriarches qui, dans sa concision, doit surtout montrercomment la race sainte demeure vierge de tout mlange avec les paens 4.

    Le document jhoviste (auquel nous conservons ce nom malgr les pas-sages o le nom dElohim est aussi employ) a un tout autre caractre ; leslois ny occupent quune place trs restreinte, ce sont celles contenues dansce quon appelle le livre de lalliance (Exode chapitres 20 23 ; chapitre

    4. Nous donnons ici pour ceux qui sintresseraient ces questions la srie des pas-sages de la Gense que lon attribue lElohiste ; tout le reste du livre fait partie dudocument jhoviste :

    1.1-2.4a ; chapitre 5 (sauf le verset 29) ; 6.9-22 ; 7.6 (7-9) ; 7.13-16a ; 7.18-21 ; 7.24-8.5 ; 8.13a ; 8.14-19 ; 9.1-47 ; 9.28-29 ; (chapitre 10) ; 11.10-32 ; 12.4b-5 ; 13.6 ; 13.11b-12 ; 16.3,15,16 ; chapitre 17 ; 19.29 ; 21.1b-5 ; chapitre 23 ; 25.7-11 (12,16b,17,26b) ;26.34-35 ; 27.46 ; 28.4-9 ; 31.17-18 ; 35.9-15 ; 35.22b-29 ; chapitre 36 ; 37.1 ; 46.6-7 (8-27) ; 47.(7-10) ; 47.27b-28 ; 48.3-7 ; 49.28b-33 ; 50.12,13,22.

    Les passages entre parenthses sont, attribus selon les commentateurs lun ou lautre des deux documents.

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  • 34) ; la majeure partie de louvrage est historique. Cest l que nous trou-vons, sous leur forme si admirable, tous ces rcits de lpoque patriarcaleet mosaque que nous avons conservs dans notre mmoire depuis notreenfance ; lauteur qui voudra extraire du Pentateuque les pages destines former une histoire sainte lusage de la jeunesse, les prendra presque-toutes dans le document jhoviste. Son style est color, pittoresque ; les d-tails abondent, les pisodes sont frquents, les caractres sont tracs avecune vrit psychologique qui les fait revivre devant nos yeux. En un motnous avons dans cet crit la tradition historique vivante qui nous montrelEternel faisant lducation religieuse des patriarches et de son peuple, etles amenant ainsi accomplir luvre quil leur avait assigne dans lhis-toire du monde. Le plan du reste est le mme que dans le document lohisteet cette conformit nous prouve que le rle providentiel du peuple dIsraltait saisi, avec la mme nettet par les deux auteurs. Quant au Deut-ronome, comme il forme un tout part, le lecteur attentif remarquera sanspeine les traits spciaux qui le distinguent des autres livres du Pentateuque.

    Ce sont l les trois documents quun dernier rdacteur aurait runispour en composer le Pentateuque, tel que nous le possdons aujourdhui.Mais si laccord est assez gnral, sur ce point entre la plupart, des com-mentateurs modernes, ces mmes thologiens diffrent singulirement lors-quil sagit de fixer la date de lorigine et de la runion de ces documents etde dterminer la part qui revient Mose dans cette uvre. Il y a quelquevingt ans, les critiques taient peu prs unanimes pour envisager le docu-ment lohiste comme le plus ancien ; il aurait t compos pendant la p-riode qui sest coule entre la mort de Mose et le schisme de Jroboam ;le document jhoviste serait un peu postrieur, et le Deutronome aurait

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  • t rdig au temps de Josu ou des Juges suivant les uns, au commence-ment du rgne de Josias suivant les autres ; quant la lgislation lohiste,certaines expressions qui supposent la vie du dsert et qui se rencontrentdans plusieurs lois, taient envisages comme une preuve de son originemosaque.

    Une nouvelle cole qui a surgi ds lors a rejet cette hypothse ; elleaffirme bien, comme la prcdente, que le document jhoviste date du IXsicle et le Deutronome du VII avant J-C ; mais elle estime que le docu-ment lohiste avec toutes ses lois crmoniales est de beaucoup postrieuret quil a pour auteur Esdras ou lun de ses contemporains ; les traits quisemblent rappeler le sjour au dsert seraient simplement un leurre destin faire croire lorigine mosaque de cette lgislation.

    La question ici dbattue est de beaucoup la plus grave de toutes cellesque soulve la critique de lAncien Testament ; il sagit de savoir si la re-ligion isralite repose sur une alliance conclue entre Jhova et son peuple,et dont Mose aurait t le mdiateur, ou si elle nest autre chose quunculte originairement naturaliste, comme celui des Cananens, qui se seraitpurifi graduellement sous linfluence de divers facteurs historiques. II vasans dire quavec cette dernire conception de la religion et du culte desenfants dIsral, toute lhistoire patriarcale et celle de Mose et de Josusont rejetes dans le domaine de la lgende plus ou moins fabuleuse.

    Nous croyons devoir distinguer ici deux problmes bien diffrents. Lunest de nature littraire ; il porte sur le mode de composition du Pentateuque,sur la personne de son ou de ses auteurs, sur la date de sa rdaction ; cestsur ce point que nous nous sommes rserv de formuler nos conclusions

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  • la fin de cette tude ; nous runirons alors les donnes que nous aurafournies lexgse et nous verrons si ces donnes sont assez nombreuseset assez prcises pour nous permettre darriver un rsultat certain ou dumoins probable.

    Lautre problme est de toute autre nature ; il porte sur la vrit mmedes faits raconts dans le Pentateuque, sur le plan du rgne de Dieu, telquil est trac non seulement dans ce livre, mais dans tout lensemble denos crits sacrs. Cest la conception biblique de lhistoire du monde et dusalut qui est ici en question. La foi chrtienne y est elle-mme engage.Sur ce point, nous ne pouvons ni ne devons demeurer dans le vague ; etnous prsenterons dans le chapitre suivant quelques observations sur cettequestion vitale.

    IIILa vrit des faits.

    Avant dentrer dans ltude dtaille du Pentateuque, ce monument lit-traire le plus grandiose de toute lantiquit, nous devons nous demander,et cela dautant plus que nous navons pas cru devoir trancher lavancela question du mode de composition, dans quelle mesure nous pouvonsaccorder notre confiance au rcit des vnements qui nous y sont raconts.

    Quant aux dtails, cette question ne pourra tre examine quau fur et mesure que nous tudierons les faits rapports. Mais il est deux questionsgnrales qui peuvent et doivent tre rsolues avant toute discussion parti-culire : cest celle de savoir si les auteurs des rcits qui vont passer sous

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  • nos yeux, ont t des hommes sincres et de bonne foi, croyant eux-mmesde toute leur me aux vnements quils nous racontent, et si dans la naturemme de leurs rcits nous possdons une garantie suffisante non seulementde la sincrit, mais encore de la vrit de leur narration.

    En abordant ces questions, nous rappelons ce que nous avons dit danslintroduction la Bible du caractre gnral des crits bibliques par le-quel ils slvent au-dessus de tout intrt personnel ou national et visentuniquement la gloire de Dieu. Ce caractre ressort trs particulirementdans le Pentateuque.

    Le peuple, dont lhistoire est raconte dans ce livre, y est jug et traittout du long avec une svrit extraordinaire. Son incrdulit en face deMose et dAaron qui viennent de la part de Dieu pour le dlivrer, ses mur-mures immdiatement aprs la sortie dEgypte, malgr les miracles et ladlivrance qui viennent de saccomplir, son retour lidoltrie gyptienneau pied mme du Sina, sa rvolte ouverte, enfin, loccasion du retour desespions, son rejet de la part de lEternel, sa condamnation une mort, igno-minieuse dans le dsert, tous ces faits sont mis dcouvert sans le moindremnagement par le rcit sacr. Puisque lauteur ne les a pas cachs, il estdonc un homme sincre ; puisquaucun Isralite net pu avoir lide de lesinventer dans le but de fltrir son peuple, ils sont donc la vrit mme.

    Mais ne pourrait-on pas supposer la rigueur que le narrateur, appar-tenant au parti des prtres, se soit laiss entraner par lorgueil sacerdotal rabaisser et calomnier le simple peuple ? Cette supposition nest pasadmissible ; car Aaron, le chef et le reprsentant de la sacrificature, nestpas prsent sous un jour plus favorable que le peuple lui-mme. Cest lui

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  • qui reoit les dons pour la confection du veau dor et qui prside cet acte ;cest sous ses auspices que se clbre la fte idoltre. Non seulement cela,mais avec Marie, sa sur, il se rvolte contre lautorit de Mose ; avec elleil est frapp de la lpre et expuls du camp, comme un maudit, et il ne doitsa gurison et son salut, lui le grand sacrificateur, qu lintercession deMose, simple Lvite. Enfin, pour punition dune dernire faute commiseen commun avec Mose, il meurt sur la montagne de Hor, sans avoir pusaluer, mme du regard, la terre promise. Les simples sacrificateurs ne sontpas mieux traits que leur pre. Deux dentre eux deviennent les premiersprofanateurs du sanctuaire et meurent consums par le feu qui sort de lau-tel. Et si lon-disait que de tels traits ont t imagins par un Lvite jalouxde la prpondrance accorde la famille dAaron, comment expliquer lercit dtaill de la perfide et cruelle conduite de Lvi, le pre de la tribu,envers les habitants de Sichem (Gense chapitre 34) et, dans la bndictionque Jacob donne ses fils, la parole quil adresse Lvi et qui devient pourlui une maldiction (Gense 49.5-7) : Simon et Lvi sont frres, instru-ments de violence dans leur demeure. Que mon me nentre point dans leurconseil secret ; que ma gloire ne se joigne point leur assemble ! Car ilsont tu les gens en leur colre et enlev les bufs pour leur plaisir. Queleur colre soit maudite, car elle a t violente, et leur fureur, car elle at rude. Je les diviserai en Jacob et les disperserai en Isral. La diss-mination des Lvites dans tout le pays, qui en elle-mme devait tre unebndiction pour eux et pour tout le peuple, reoit ainsi, aussi bien que ladispersion de Simon, le caractre dun chtiment. Y a-t-il l un esprit departialit en faveur de la tribu lvitique ou de la famille sacerdotale ! Non,tout honneur est donn Dieu ; ce quil y a de plus lev en Isral doit se

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  • courber sous son jugement.Ou bien cette histoire serait-elle peut-tre luvre dun parti hostile au

    clerg, aussi bien quau peuple, le parti des prophtes? Ce serait Mose, legrand prophte dIsral, le prophte par excellence, que le Pentateuque ten-drait glorifier, afin de donner le premier rang lordre dont il est le chef.Mais Mose nest pas moins humili et jug dans ce rcit que le peupleet les sacrificateurs. Son premier pas dans luvre quil mdite, cest unmeurtre. Quand, aprs quarante ans dattente et dhumiliation au dsert,il est appel de Dieu, il oppose cette invitation une incrdulit persv-rante, qui va jusqu irriter lEternel lui-mme. Enfin lun de ses derniersactes est de dsobir lEternel et de sattirer ainsi la mme punition donttait frapp le peuple entier pour sa rvolte, celle de voir la terre promisese fermer devant lui. Il ne lui est accord, lui le serviteur dvou de Dieuet du peuple, que la grce de contempler de loin le pays si longtemps d-sir. Lesprit dune telle histoire nest certes pas celui de la glorification deMose.

    Le rcit du Pentateuque ne procde pas autrement avec tous les autrespersonnages remarquables de lhistoire. Le principal dentre eux, qui seulpeut tre mis ct de Mose, Abraham, se laisse deux fois entraner aupch de mentir et doit subir pour ce fait la correction dun roi paen. Lui,le prophte et le bien-aim de lEternel, se laisse entraner par lincrdulitde sa femme et par la sienne propre dsesprer de laccomplissement dela promesse divine et recourir un moyen charnel et tout humain, dontlemploi est puni par toute une srie de troubles domestiques qui en r-sultent ; tellement que, sil obtient de Dieu le titre de juste, ce nest point enraison de ses uvres, mais en dpit de ses uvres et uniquement, comme

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  • le dclare le rcit, en raison de sa foi. Isaac compromet sans scrupule, souslempire dun grossier penchant sensuel, le dessein de Dieu rvl safemme, daprs lequel Jacob devait tre prfr Esa, et provoque ainsi ledtestable conseil que Rbecca donne Jacob. Celui-ci, aprs avoir abusde ltat de faiblesse o il voit son frre, trompe son pre aveugle, puis ruseavec son beau-pre ; mais il est condamn passer sa vie sous le poids despunitions que lui attirent ces fautes : il est son tour tromp par son beau-pre, tromp par ses fils ; et quand enfin il rentre dans la terre promise, cenest quen passant par la fournaise du jugement de Dieu et en poussantvers son juge un appel dsespr sa grce. Voil, telle que nous la retracele Pentateuque, lhistoire des trois patriarches, souche vnrable du peuplelu. Et les branches, se prsentent-elles sous un meilleur aspect ? Nousavons entendu le jugement de Dieu par la bouche de Jacob sur Simon etLvi. Que dire des incestes de Ruben et de Juda, le chef de la future triburoyale, et de la conduite de tous envers leur frre Joseph? Cette narrationnest assurment pas empreinte de partialit. Il ny a pas l de gloriolehumaine, par consquent pas de fiction. Et mme supposer quune tellehistoire ft invente, quel homme, je vous prie, et t assez habile pourla faire accepter dun peuple qui nen aurait pas connu avec certitude lavrit et la faire lire et relire avec dvotion et humiliation, dge en ge,par toutes les familles isralites?

    Une telle histoire porte donc en elle-mme la preuve de la sincrit deson ou de ses narrateurs, bien plus de la vrit historique des faits quelleraconte. Nous ne parlons naturellement que de la marche des faits dans leurensemble ; et nous ne voulons point exclure par l la possibilit derreursinvolontaires et de dtail.

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  • Une objection slve cependant : celle qui provient des rcits de faitsmiraculeux. Est-il rellement possible quune volont suprieure interviennedans lenchanement rigoureux des faits dtermin par les lois de la nature?Ou bien est-il vraisemblable que Dieu ait assez maladroitement constitule monde au dbut, pour quil doive venir y apporter des corrections aprscoup?

    Avant tout, remarquons que ce sont l des questions spculatives, tho-riques, et que ce nest pas la thorie quil appartient de matriser les faits,mais aux faits fournir les lments de la thorie. Or nous venons de remar-quer en gnral que lhistoire renferme dans le Pentateuque prsente unensemble de faits ncessairement rels, et les preuves que nous avons don-nes sappliquent tout particulirement aux faits miraculeux. Car la plupartdentre ceux qui nous sont rapports, sont en relation troite avec les pchsdu peuple et de ses hros, pchs que rien naurait pu porter inventer. Lespremiers miracles proprement dits sont ceux qui accompagnent la vocationde Mose dans le dsert ; or ils sont motivs par la rsistance obstine deMose et par la prvision de lincrdulit du peuple. Plus tard, cest lespritde murmure et de rvolte dont le peuple est anim qui provoque un grandnombre des miracles du dsert. Les eaux jaillissant du rocher, larrive descailles au moment annonc, la gurison par le serpent dairain, sont au-tant de monuments de la culpabilit du peuple non moins que de la bontde Dieu. Ces miracles sont-ils fictifs? les rbellions qui les ont provoqusdoivent ltre aussi. Ces rbellions ne sauraient-elles tre inventes ? lesmiracles qui les accompagnent ne le sont pas non plus.

    Remarquons, en passant, quil est entirement faux de dire, comme onle fait souvent, que les miracles sont plus nombreux dans lhistoire des

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  • temps les plus reculs et les plus tnbreux, et quils deviennent de plus enplus rares mesure que lon se rapproche des poques plus claires. Cestle contraire qui est vrai. Pendant les 2500 annes qui prcdent le tempsde Mose, lhistoire sainte ne raconte pas un seul miracle proprement dit,cest--dire un fait surnaturel opr dans le domaine de la nature, car nousne pouvons ranger dans cette catgorie ni le dluge, ni les apparitions di-vines ou thophanies, ni mme la naissance dIsaac. Or ce seraient les seulsfaits citer. Cest avec lappel de Mose que commencent vraiment les mi-racles, et cela en relation avec la rvlation de Dieu comme Jhova, cest--dire comme lEtre qui seul est ce quil est et qui par consquent donneltre tout ce qui est et seul le fait tre ce quil est. Le miracle par lequella verge est change en serpent et le serpent en verge montre que Dieu dis-pose en matre des tres existants, et nest ainsi que lillustration clatantede ce nom de Jhova, Celui qui est, sous lequel Dieu se fait connatre Isral ce moment dcisif de son histoire. Aprs cette poque cratrice, laquelle prsident Mose et Josu, les miracles cessent presque entire-ment jusqu lpoque rnovatrice dElie et dElise ; et aprs celle-ci denouveau, jusquau temps de la captivit et du retour ; aprs quoi ils cessentcompltement pour reparatre avec un clat, nouveau et incomparable autemps de Jsus et des aptres. Et cependant, cette dernire poque, o lapuissance miraculeuse se dploie le plus richement, appartient dj auxtemps compltement historiques. Et ce quil faut remarquer encore, cestque, si les miracles taient le produit de limagination et de la lgende, ilny aurait pas de raison pour quils ne fussent pas rpandus dune manireuniforme sur tout le cours de lhistoire sainte, au lieu de se concentrer surquatre poques principales. On voit par l que ces uvres de la puissance

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  • divine dans la nature sont en relation avec les grandes crises spirituelles,les poques cratrices du rgne de Dieu. Et lon peut comprendre par lcombien il est absurde de demander, comme on la fait, pour preuve de lapossibilit du miracle, la rsurrection dun mort opre un moment fix,sans relation aucune avec le rgne de Dieu, en prsence dune assembledacadmiciens convoqus ad hoc.

    On nie la possibilit du miracle par la raison que la matire a ses loisqui ne permettent pas dexception. Mais ceux qui parlent de la sorte savent-ils ce que cest que la matire ? La science parle datomes ; mais lidemme dun atome renferme une contradiction. Si latome est matriel, ilest encore divisible et par consquent nest pas atome (inscable tymolo-giquement) ; sil est immatriel, comment une runion dtres immatrielspeut-elle former la matire ? On est donc amen nenvisager toutes lesapparences sensibles que comme le rsultat de la combinaison ou du croi-sement dun certain nombre de forces. Quy a-t-il dans ce cas dinconce-vable ce quune force suprieure, agissant au service dune volont libreet consciente delle-mme, intervienne dans le jeu des forces naturellespour en modifier laction, exactement comme notre volont spontane in-tervient tout moment dans le jeu des forces organiques de notre corpspour en tirer des effets que delles-mmes elles neussent jamais produits?Quoi quil en soit de cette question, qui probablement restera jamais in-soluble pour la science, ce que nous savons certainement, nous qui croyonsen Dieu, cest que la matire est le produit de la volont, et que par cons-quent elle demeure au pouvoir de la volont qui la fait apparatre et qui luia donn ses lois.

    Cest galement en vain que lon prtend quen intervenant directement

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  • dans le domaine de la nature, la volont suprme corrigerait elle-mmeson uvre. La nature a t forme en vue de lhomme, et lhomme estdou de libert. Il peut donc arriver que lhomme dvie de la voie qui doitle conduire sa divine destination et que pour le ramener sur la bonneroute Dieu se serve de la nature, comme le cavalier agit par le mors oulperon sur la marche de son coursier. Dans ces cas-l, Dieu ne corrigepas son uvre ; mais au moyen de son uvre, dispose par lui dans ce but,il corrige ou stimule sa crature intelligente et libre, afin de la conduire laparfaite ralisation de son rgne, qui est le terme glorieux et de lhumanitet de la nature.

    Cest donc avec une grande confiance que nous abordons ltude delhistoire du rgne de Dieu renferme dans nos saints livres, certains quenous sommes de nous trouver en face de la divine histoire qui sert de pointdappui toute la marche de lhumanit.

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