international - le devoir...tion de new york lui apparaît comme la démons-tration d’une foule...

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LE DEVOIR, LES SAMEDI 29 ET DIMANCHE 30 OCTOBRE 2011 INTERNATIONAL JOURNÉES QUÉBÉCOISES DE LA SOLIDARITÉ Des interventions ciblées pour le SACO et le CECI Page 2 Le temps d’agir est venu pour An- nie Roy et Pierre Allard, de l’ATSA Page 3 « L’avenir du monde est sur les bancs d’école » Page 6 CAHIER H Serge Halimi, directeur du réputé mensuel Le Monde diplomatique, ouvrira les Journées québécoises de la solidarité internationale. Le 1 er novembre prochain, à Montréal, il commentera l’escalade de protestations qui s’agite dans les rues de la planète. ÉTIENNE PLAMONDON ÉMOND L e Monde diplomatique a longtemps fait bande à part. Inébranlable men- suel à contre-courant, il a pour direc- teur Serge Halimi, qui le décrit lui- même, dans un message adressé à ses lecteurs dans l’édition du mois d’octobre, comme «une anomalie» dans le paysage médiatique. Ses pages continuent de donner toute la place nécessaire à des articles d’informations internatio- nales et financières de longue haleine. «Pontifier sur la mondialisation est évidemment plus facile (et plus économique) que de l’analyser en y consa- crant enquêtes et reportages», écrit-il dans le même texte, réitérant du même coup la ligne éditoriale de son journal et les appels aux abonnements. Bien campé à gauche, le mensuel s’est érigé, au fil des deux dernières décennies, comme l’un des pour- fendeurs de premier ordre des régimes despo- tiques et du néolibéralisme triomphant. Indignation Depuis un an, l’indignation, la remise en ques- tion et la contestation ont désormais gagné les rues du monde. En Tunisie d’abord, puis en Égypte, en Grèce, en Syrie, en Espagne, au Chi- li, à Wall Street… La planète gronde et bat au rythme de l’ébullition des protestations qui se multiplient. Le 15 octobre dernier, un mouve- ment d’occupation inspiré par les manifestations des indignés en Espagne, puis calqués sur Occu- py Wall Street, démarrait simultanément dans des centaines de villes du globe. Montréal a em- boîté le pas. Pour Serge Halimi, l’«heureux» effet domino et le mimétisme, qui ont débloqué et déboulé depuis l’immolation du jeune Mohammed Bouazizi et la Révolution du jasmin qui en a découlé, rappellent «à la fois la période de 1848 en Europe et l’ère de la chute des dictatures en Amérique latine». Nouvelle expression de solidarité internationale ? «Ces mouvements me semblent davantage traduire un refus de l’ordre existant, qui cherche ses débouchés politiques parce qu’il sait qu’il ne les trouvera pas dans les actuelles structures partisanes, exprime Serge Halimi, qui a répondu aux questions du Devoir par courriel et par téléphone. Au départ, un refus de “la seule politique possible”, l’idée que, puisque même le monde arabe — qu’on disait indéfiniment gelé par l’autoritarisme — a réussi, contre toute at- tente et avec une vitesse extrême, à s’en affran- chir, c’est donc que “l’impossible arrive”. D’où l’effet de contagion en Europe et, dans une moindre mesure, aux États-Unis: si Ben Ali, Moubarak, Kadhafi peuvent tomber, rien n’oblige plus à se résigner ailleurs à choisir entre le mal et le pire, entre les frères siamois d’une même po- litique néolibérale.» Fin d’un analphabétisme économique? Figure intellectuelle importante de la gauche, Serge Halimi, qui a succédé à Ignacio Ramonet à la tête du Monde diplomatique en 2008, ajoute que ces protestations traduisent «aussi la crise, voire le pourrissement, du système économique et des mécanismes politiques représentatifs». Dans un article publié en juillet dernier, il s’in- quiétait de «l’analphabétisme économique» qui régnait dans la population, alors que «l’économie et la finance sont à l’évidence deux domaines compliqués que les commentateurs conservateurs préfèrent rendre plus opaques encore afin que nul ne s’en mêle», explique-t-il au Devoir. Un jar- gon qui, à son avis, a permis d’imposer en Euro- pe des mesures d’austérité faisant payer les conséquences de la crise financière à une popula- tion indignée de son sort, mais incapable de prendre en défaut ce qu’elle croit qui la dépasse, faute de comprendre comment fonctionne ce qu’elle doit combattre. «Dès lors que personne ne peut, sans y consa- crer beaucoup de temps et de volonté, com- prendre les nouveaux instruments de l’“innova- tion financière” et leur caractère prédateur, rien de plus simple que de s’employer à résumer la crise à quelques leçons de “bon sens” conser- vateur [...]. Comme ces lieux communs dispo- sent à la fois du concours empressé des médias et de celui des organisations économiques inter- nationales — FMI, BCE, OCDE, etc. — leur échapper requiert une connaissance critique au moins approximative des mécanismes du capitalisme financier.» Ce que réussissent maintenant, à son avis, les protestataires actuellement en marche. L’occupa- tion de New York lui apparaît comme la démons- tration d’une foule bien informée, outillée, doré- navant capable de lire le débat politique et social entre les lignes du discours technique financier, puisque son action vise avec justesse l’épicentre de la débâcle économique: Wall Street. Internet et la contestation Serge Halimi nuance le propos technophile de 2011 qui attribue les causes du printemps arabe et de la mobilisation contestataire à Internet et aux mé- dias sociaux. Bien des révolutions, après tout, ont éclaté dans l’histoire avant l’apparition d’Internet, et M. Halimi rappelle que les technologies peuvent être des instruments utilisés à la fois par ceux qui combattent l’ordre et par ceux qui le maintiennent. Déjà au tournant du nouveau siècle, Serge Halimi mettait en garde contre l’euphorie de certains blogueurs altermondialistes «assez naturellement enclins à valoriser leur activi- té. Ils voient donc dans Internet le lieu de tous les savoirs et de tous les combats», indique-t-il avec scepticisme. Serge Halimi considère, de son côté, que par- ler à ses voisins et distribuer des tracts peut «être aussi efficace, dans la perspective d’une lutte politique, que de poster un texte sur un blogue avec l’illusion que la planète entière va s’empresser de le lire et de s’en inspirer». Il soutient qu’Internet constitue «également un outil de marketing et de contrôle social, voire de “flicage”, utilisable par les États et par les grandes entreprises». Des constats, juge-t-il, qui «n’enlèvent rien aux vertus d’Internet pour ceux qui savent s’en servir et qui ont la volonté d’échanger des informations et des conseils sus- ceptibles de transformer la réalité et le monde. Il est certain que le coût de la communication est moindre, que l’idée peut circuler sans papier et sans photocopieuse, que la censure officielle est plus difficile. Reste que la solidarité, cela ne se résume pas à expédier un courriel, ni à envoyer une photo sur Twitter, ni à signifier “J’aime” au bas d’un article sur Facebook.» Si les médias sociaux et Internet, dans les pays arabes totalitaires, ont aidé à éviter la censure en court-circuitant la presse propagandiste, désor- mais la Tunisie et l’Égypte voient s’éclore une jeu- ne liberté de la presse. Le Monde diplomatique a d’ailleurs dédié son numéro de février dernier à la Tunisie, pays où ses pages ont régulièrement été victimes de la censure et où, à partir de 2009, elles ont carrément été interdites de distribution. «La presse arabe connaît son année zéro dans de nombreux pays, observe Serge Halimi, qui a aussi déjà rédigé des pamphlets sévères à l’endroit des médias. En Tunisie, elle est encore particulière- ment médiocre, verbeuse, prétentieuse et morali- sante. Elle ne peut donc que s’améliorer. Et bien- tôt découvrir que l’information, ce n’est pas seule- ment le commentaire, mais aussi l’enquête.» Le Devoir CONFÉRENCE «DE TUNIS À WALL STREET: LA MONDIALISATION DES LUTTES CITOYENNES» Le mardi 1 er novembre à 19h, à la salle Marie-Gérin- Lajoie de l’UQAM, et le mercredi 2 à 19h, à l’Univer- sité de Sherbroke. Entrée gratuite. En ces jours de protestation mondialisée Distribuer des tracts peut «être aussi efficace, dans la perspective d’une lutte politique, que de poster un texte sur un blogue» PHOTOS : REUTERS Un hélicoptère survole des manifestants en Égypte. Policiers déployés devant le Parlement d’athènes, lors de la grève générale le 6 mai 2010. Rassemblement populaire à Douma, en Syrie. Des Tunisiens expriment leur mécontentement contre le président Ben Ali, en janvier 2011. Manifestants américains du mouvement Occupy Wall Street

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Page 1: INTERNATIONAL - Le Devoir...tion de New York lui apparaît comme la démons-tration d’une foule bien informée, outillée, doré- navant capable de lire le débat politique et social

L E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 O C T O B R E 2 0 1 1

INTERNATIONALJOURNÉES QUÉBÉCOISES DE LA SOLIDARITÉ

Des interventions ciblées pour le SACO et le CECIPage 2

Le temps d’agirest venu pour An-nie Roy et PierreAllard, de l’ATSAPage 3

«L’avenirdu monde est surles bancs d’école»Page 6

CAHIER H

Serge Halimi, directeur du réputé mensuelLe Monde diplomatique, ouvrira les Journéesquébécoises de la solidarité internationale.Le 1er novembre prochain, à Montréal, ilcommentera l’escalade de protestations quis ’agi te dans les r ues de la planète.

É T I E N N E P L A M O N D O N É M O N D

L e Monde diplomatique a longtempsfait bande à part. Inébranlable men-suel à contre-courant, il a pour direc-teur Serge Halimi, qui le décrit lui-même, dans un message adressé à ses

lecteurs dans l’édition du mois d’octobre, comme«une anomalie» dans le paysage médiatique.

Ses pages continuent de donner toute la placenécessaire à des articles d’informations internatio-nales et financières de longue haleine. «Pontifiersur la mondialisation est évidemment plus facile(et plus économique) que de l’analyser en y consa-crant enquêtes et reportages», écrit-il dans le mêmetexte, réitérant du même coup la ligne éditoriale deson journal et les appels aux abonnements. Biencampé à gauche, le mensuel s’est érigé, au fil desdeux dernières décennies, comme l’un des pour-fendeurs de premier ordre des régimes despo-tiques et du néolibéralisme triomphant.

IndignationDepuis un an, l’indignation, la remise en ques-

tion et la contestation ont désormais gagné lesrues du monde. En Tunisie d’abord, puis enÉgypte, en Grèce, en Syrie, en Espagne, au Chi-li, à Wall Street… La planète gronde et bat aurythme de l’ébullition des protestations qui semultiplient. Le 15 octobre dernier, un mouve-ment d’occupation inspiré par les manifestationsdes indignés en Espagne, puis calqués sur Occu-py Wall Street, démarrait simultanément dansdes centaines de villes du globe. Montréal a em-boîté le pas.

Pour Serge Halimi, l’«heureux» effet domino etle mimétisme, qui ont débloqué et déboulé depuisl’immolation du jeune Mohammed Bouazizi et laRévolution du jasmin qui en a découlé, rappellent«à la fois la période de 1848 en Europe et l’ère dela chute des dictatures en Amérique latine».

N o u v e l l e e x p r e s s i o n d e s o l i d a r i t éinternationale? «Ces mouvements me semblentdavantage traduire un refus de l’ordre existant,qui cherche ses débouchés politiques parce qu’ilsait qu’il ne les trouvera pas dans les actuellesstructures partisanes, exprime Serge Halimi, quia répondu aux questions du Devoir par courrielet par téléphone. Au départ, un refus de “la seulepolitique possible”, l’idée que, puisque même lemonde arabe — qu’on disait indéfiniment gelépar l’autoritarisme — a réussi, contre toute at-tente et avec une vitesse extrême, à s’en af fran-chir, c’est donc que “l’impossible arrive”. D’oùl’ef fet de contagion en Europe et, dans unemoindre mesure, aux États-Unis: si Ben Ali,Moubarak, Kadhafi peuvent tomber, rien n’obligeplus à se résigner ailleurs à choisir entre le malet le pire, entre les frères siamois d’une même po-litique néolibérale.»

Fin d’un analphabétisme économique?Figure intellectuelle importante de la gauche,

Serge Halimi, qui a succédé à Ignacio Ramonet àla tête du Monde diplomatique en 2008, ajouteque ces protestations traduisent «aussi la crise,voire le pourrissement, du système économique etdes mécanismes politiques représentatifs».

Dans un article publié en juillet dernier, il s’in-quiétait de «l’analphabétisme économique» quirégnait dans la population, alors que «l’économieet la finance sont à l’évidence deux domainescompliqués que les commentateurs conservateurspréfèrent rendre plus opaques encore afin quenul ne s’en mêle», explique-t-il au Devoir. Un jar-gon qui, à son avis, a permis d’imposer en Euro-pe des mesures d’austérité faisant payer lesconséquences de la crise financière à une popula-tion indignée de son sort, mais incapable deprendre en défaut ce qu’elle croit qui la dépasse,

faute de comprendre comment fonctionne cequ’elle doit combattre.

«Dès lors que personne ne peut, sans y consa-crer beaucoup de temps et de volonté, com-prendre les nouveaux instruments de l’“innova-tion financière” et leur caractère prédateur,rien de plus simple que de s’employer à résumerla crise à quelques leçons de “bon sens” conser-vateur [...]. Comme ces lieux communs dispo-sent à la fois du concours empressé des médiaset de celui des organisations économiques inter-nationales — FMI, BCE, OCDE, etc. — leuréchapper requier t une connaissance critiqueau moins approximative des mécanismes ducapitalisme financier.»

Ce que réussissent maintenant, à son avis, lesprotestataires actuellement en marche. L’occupa-tion de New York lui apparaît comme la démons-tration d’une foule bien informée, outillée, doré-navant capable de lire le débat politique et socialentre les lignes du discours technique financier,puisque son action vise avec justesse l’épicentrede la débâcle économique: Wall Street.

Internet et la contestationSerge Halimi nuance le propos technophile de

2011 qui attribue les causes du printemps arabe etde la mobilisation contestataire à Internet et aux mé-dias sociaux. Bien des révolutions, après tout, ontéclaté dans l’histoire avant l’apparition d’Internet, etM. Halimi rappelle que les technologies peuventêtre des instruments utilisés à la fois par ceux quicombattent l’ordre et par ceux qui le maintiennent.

Déjà au tournant du nouveau siècle, SergeHalimi mettait en garde contre l’euphorie decertains blogueurs altermondialistes «asseznaturellement enclins à valoriser leur activi-té. Ils voient donc dans Internet le lieu de tousles savoirs et de tous les combats», indique-t-ilavec scepticisme.

Serge Halimi considère, de son côté, que par-ler à ses voisins et distribuer des tracts peut«être aussi ef ficace, dans la perspective d’unelutte politique, que de poster un texte sur unblogue avec l’illusion que la planète entière vas’empresser de le lire et de s’en inspirer».

Il soutient qu’Internet constitue «égalementun outil de marketing et de contrôle social, voirede “flicage”, utilisable par les États et par lesgrandes entreprises». Des constats, juge-t-il, qui«n’enlèvent rien aux vertus d’Internet pour ceuxqui savent s’en servir et qui ont la volontéd’échanger des informations et des conseils sus-ceptibles de transformer la réalité et le monde. Ilest certain que le coût de la communication estmoindre, que l’idée peut circuler sans papier etsans photocopieuse, que la censure of ficielle estplus dif ficile. Reste que la solidarité, cela ne serésume pas à expédier un courriel, ni à envoyerune photo sur Twitter, ni à signifier “J’aime” aubas d’un article sur Facebook.»

Si les médias sociaux et Internet, dans les paysarabes totalitaires, ont aidé à éviter la censure encourt-circuitant la presse propagandiste, désor-mais la Tunisie et l’Égypte voient s’éclore une jeu-ne liberté de la presse. Le Monde diplomatique ad’ailleurs dédié son numéro de février dernier à laTunisie, pays où ses pages ont régulièrement étévictimes de la censure et où, à partir de 2009,elles ont carrément été interdites de distribution.«La presse arabe connaît son année zéro dans denombreux pays, observe Serge Halimi, qui a aussidéjà rédigé des pamphlets sévères à l’endroit desmédias. En Tunisie, elle est encore particulière-ment médiocre, verbeuse, prétentieuse et morali-sante. Elle ne peut donc que s’améliorer. Et bien-tôt découvrir que l’information, ce n’est pas seule-ment le commentaire, mais aussi l’enquête.»

Le Devoir

CONFÉRENCE «DE TUNIS À WALLSTREET: LA MONDIALISATION DESLUTTES CITOYENNES»Le mardi 1er novembre à 19h, à la salle Marie-Gérin-Lajoie de l’UQAM, et le mercredi 2 à 19h, à l’Univer-sité de Sherbroke. Entrée gratuite.

En ces jours de protestation

mondialiséeDistribuer des tracts peut «être aussi efficace, dans la perspective d’une lutte politique, que de poster un texte sur un blogue»

PHOTOS : REUTERS

Un hélicoptère sur vole des manifestants en Égypte.

Policiers déployés devant le Parlement d’athènes, lors de la grève générale le 6 mai 2010.

Rassemblement populaire à Douma, en Syrie.

Des Tunisiens expriment leur mécontentementcontre le président Ben Ali, en janvier 2011.

Manifestants américains du mouvement Occupy Wall Street

Page 2: INTERNATIONAL - Le Devoir...tion de New York lui apparaît comme la démons-tration d’une foule bien informée, outillée, doré- navant capable de lire le débat politique et social

R É G I N A L D H A R V E Y

M ario Renaud s’est lancétout jeune dans l’aide inter-

nationale lorsqu’il a commencé àparcourir la planète, en compa-gnie de son inséparable sac àdos de l’époque, en 1969; depuisce temps, la façon d’agir a bienchangé pour les coopérants. En1974, il entre à l’Agence cana-dienne de développement inter-national (ACDI), où il demeure-ra jusqu’en 2005. Et voilà qu’il esttoujours plongé dans la solidaritéinternationale au moment où iloccupe les fonctions de direc-teur général du Centre d’étudeet de coopération internationale(CECI), qu’il situe sur le planhistorique: «En fait, le CECI estplus âgé que l’ACDI; il a vu lejour en 1958. Avant que l’aidepublic au développement ne soitorganisée par le gouvernementcanadien, plusieurs organisa-tions non gouvernementales[ONG] existaient déjà, qui ontpris naissance dans le cadre del’existence des institutions reli-gieuses dans les années 1940 et1950; plus tard, plusieurs an-ciens missionnaires se sont re-trouvés dans la coopération.»

De jésuite à laïcCréé par les jésuites, le Centre

devient laïque à la fin des années1970; c’est aujourd’hui une cor-poration privée réunissant 100 membres issus de divers mi-lieux représentatifs de la sociétéau sein de laquelle il évolue, dontle conseil d’administration estcomposé de 11 personnes. M. Renaud en cerne la mission:«Notre action est fondée sur la lut-te contre la pauvreté et l’exclusionsociale. Tous les cinq ans, nous ré-visons les secteurs d’intervention

prioritaires mais, fondamentale-ment et depuis le début, le travails’effectue avec les collectivités lo-cales.» Il fournit cette précision:«Avec un grand pragmatisme, oninclut, dans l’accompagnementd’un développement local de labase, aussi bien les élus que le sec-teur privé dans les pays; on favori-se donc une gouvernance démo-cratique et on encourage beaucoupson émergence; on s’associe égale-ment avec le secteur privé parceque, pour lutter contre la pauvreté,il faut créer de la richesse.»

PlanétaireDans ce sens-là, le CECI parti-

cipait récemment au Forum in-ternational sur l’économie socia-le et solidaire: «On favorise cetype d’économie parce qu’elle estau service des gens et de la collecti-vité; à l’intérieur de celle-ci, ilspeuvent générer de la richesse, secréer des emplois et utiliser les re-venus pour se donner des servicesde première nécessité liés à leurmieux-être. C’est vraiment aucœur de notre action, et notre slo-gan pour cette année est le sui-vant: “Investir dans l’humain”.»

Il dépeint les moyens d’actionqui sont déployés: «Nous for-mons une organisation décentrali-sée depuis l’an 2000, qui œuvredans une vingtaine de pays; nouspossédons des bureaux régionauxsur trois continents. La très vastemajorité des employés, soit plus de350, sont à l’étranger et sont desnationaux qui sont avec nous de-puis plus de 10 à 15 ans; ils ontété formés par nous et ils poursui-vent leur travail selon les mêmesprincipes et valeurs qui leur ontété inculqués.»

Tout un réseau de coopé-rants a été mis en place pourleur prêter main-forte: «Il a tou-

jours existé et on intervientmaintenant avec une autre orga-nisation, l’Entraide universitairemondiale du Canada [EUMC],dans un programme de coopéra-tion volontaire qui s’appelle Uni-terra; ensemble, on envoie plusde 450 volontaires par annéedans les pays où le Centre s’acti-ve et où on conduit des projets.»Ceux-ci bénéficient de pointsd’ancrage quand ils débarquenten mission quelque part dans lemonde: «Ils s’inscrivent dansune action qui appartient auxpartenaires locaux.»

VolontariatGestionnaire de programmes

au Service d’assistance cana-dienne aux organismes (SACO),Apollinaire Ihaza rapporte quecette ONG existe depuis 40 ansdéjà et qu’elle a vu le jour àMontréal, où se trouve toujours

son siège social, bien que soncentre d’activité se situe mainte-nant du côté de Toronto: «Nouscherchons à améliorer le bien-êtreéconomique et social des individuset des collectivités ici au Canadaet à l’étranger.»

Pour remplir sa mission, leSACO s’appuie sur le volontariat:«On utilise l’expertise, en matièrede compétences, et aussi l’expé-rience de nos bénévoles. Notre res-source première et fondamentale,ce sont les conseillers qui tra-vaillent sur une base volontaire.»Il explique plus en détail le fonc-tionnement retenu: «On recruteici au Canada des bénévoles et onles choisit parce qu’ils possèdentdes connaissances dans un milieuindustriel donné ou dans d’autressphères d’activité; on retient lesgens qui ont une expérience ou unvécu réel de dix ans ou plus, parexemple, dans l’hôtellerie, l’agri-

culture, l’éducation ou d’autresdomaines. On s’assure qu’ils ont lebagage nécessaire avant d’être en-voyés dans un pays.» Il arrive quel’organisme se tourne vers unsecteur et mène une campagnede recrutement en fonction decelui-ci: «Actuellement, on tra-vaille un peu partout dans le do-maine hôtelier; on fait donc lapromotion du SACO à travers lesassociations professionnelles desgens de ce milieu.»

À l’écouteÀ l’autre bout de la ligne, là

où se déroulent les projets, leSer vice a retenu cette façond’entrer en action il y aquelques années: «Nous avonsmis l’accent sur l’écoute de nospar tenaires sur le terrain.Nous avons des bureaux de re-présentation en dif férents en-droits qui sont mis à la disposi-

tion des organisations, qu’ellessoient gouvernementales, qu’el-les appartiennent à la sociétécivile, qu’elles relèvent de l’en-treprise privée, de groupes defemmes ou autres; ces gens nousfont connaître leurs besoinsd’accompagnement et on recru-te le personnel de coopérants enfonction de ceux-ci pour les sou-tenir dans leurs initiatives.» Àl’heure actuelle, des projets àplus long terme, dont la duréepeut s’étaler sur cinq ans, re-tiennent davantage l’attentionet sont favorisés.

Pour les mandats réalisés àl’extérieur du pays, de 300 à 400bénévoles partent en renfortchaque année vers des destina-tions étrangères: «Là aussi,nous avons adopté une dé-marche ciblée; c’est inefficace deconduire des actions dispersées àtravers un trop grand nombre depays. Nous travaillons bien sûrau Canada, principalement avecles communautés autochtones, etaussi en Asie [Philippines], enAfrique [Burkina Faso, Came-roun, Sénégal], de même quedans les Amériques [Caraïbes,Haïti, Honduras, Colombie, Bo-livie, Guyane].»

En ce moment, un projet tientparticulièrement à cœur auSACO pour l’ensemble de ses in-terventions: «On est en train dedévelopper une stratégie d’appuipour les jeunes entrepreneurs. Ils’avère que, dans les pays du Sud,le marché du travail est fermé poureux à maints endroits; en mêmetemps, ces jeunes ont davantage ac-cès à l’éducation, sont mieux for-més et peuvent prendre des initia-tives dans leur collectivité respecti-ve, sans qu’ils possèdent toutefoistous les outils ou l’expertise pourréussir; on veut leur servir de levierpour y arriver.» Le Service entendde plus travailler davantage dansle sens de la décentralisation, surle plan de la gouvernance, dansun proche avenir.

Collaborateur du Devoir

L E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 O C T O B R E 2 0 1 1H 2

C O O P É R AT I O N

EDUARDO MUNOZ REUTERS

De 300 à 400 bénévoles du SACO partent en renfort chaque année vers des destinationsétrangères, dont Haïti.

Deux organismes de coopération implantées au Québec

CECI ou SACO, toujours des interventions cibléesLa décentralisation permet de donner un mandat élargi aux acteurs sur le terrain

Le CECI et le SACO ont pris racine au Québec depuis plus dequatre décennies. Ces deux organismes à but non lucratifs’appuient chacun à sa façon sur un réseau de partenaires etdes centaines de bénévoles pour conduire des projets de co-opération partout dans le monde.

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M A R T I N E L E T A R T E

«“L e temps d’agir” a étéchoisi comme thème

pour propulser l’engagement ci-toyen. Nous souhaitons montrer àquel point l’engagement est impor-tant et a un impact. Il n’est jamaistrop tard pour s’engager et il y aplusieurs façons de le faire. Nousmettons l’accent sur la solidaritéinternationale, mais c’est aussiimportant d’agir localement. Ungeste local a un impact sur la so-ciété et, éventuellement, cela auraun impact à l’international.»

Ces mots sont de Fréda Thé-lusma, responsable des Jour-nées québécoises de la solidari-té internationale à l’AQOCI.C’est ainsi qu’elle décrit cette15e édition de l’événement.Chaque année, le thème a unlien avec l’actualité.

«Nous trouvons que beaucoupde gens agissent, précise MmeThélusma. Il y a plusieurs acteursdans la société dont on n’entendpas nécessairement parler.»

Les Journées québécoises dela solidarité internationale, unévénement soutenu par le mi-nistère des Relations internatio-nales, sont une occasion de cé-lébrer ces initiatives. Pour Fré-da Thélusma, cet événementest aussi une occasion de chas-ser le cynisme.

«Il y a plusieurs probléma-tiques au niveau global, affirme-t-elle. Il y a beaucoup à faire.Certains se découragent et necroient plus que des changementssont possibles. Je crois plutôt quec’est essentiel à ce moment-ci dese concer ter dans nos actionspour faire bouger les choses.»

Des porte-parole engagésCette année, les porte-parole

des Journées québécoises de lasolidarité internationale sont An-nie Roy et Pierre Allard, de l’Ac-tion terroriste socialement ac-ceptable (ATSA).

«Nous étions surpris d’avoir étéchoisis, parce que nous avons uneaction très locale», affirme MmeRoy, cofondatrice de l’ATSA, quia organisé pendant 12 ans l’«Étatd’urgence». Ce genre de «tout-inclus» pour les sans-abris, com-me les cofondateurs de l’ATSAavaient baptisé l’«État d’urgen-ce», proposait aussi une grandeprogrammation artistique.

«Une action peut être locale,mais avoir une portée très inter-nationale, affirme Fréda Thé-

lusma. Ce camp pour les sans-abris était lié à ce que plusieurspersonnes vivent à travers lemonde. Nous souhaitons cetteannée faire un pont entre ce quise vit ici et ailleurs.»

«Je pense que, si quelqu’un estindifférent aux sans-abris d’ici, ille sera aussi à ceux d’ailleurs. Ilfaut briser l’indifférence. De plus,les gestes qu’on pose localementont des répercussions ailleurs. Jepense par exemple aux achatséquitables. Il faut prendre le tempsd’agir», affirme Annie Roy, quivient d’une famille très activedans le domaine de la coopéra-tion internationale.

«Le cynisme est un gros fléau,renchérit Pierre Allard. Je trouveque c’est une excuse facile pour nepas s’engager. Il faut lutter contrel’indifférence et le cynisme.»

L’AQOCI a aussi été séduitepar la voie qu’a choisie l’ATSApour s’engager: l’art. «Je trouveque ça illustre bien que l’engage-ment peut prendre dif férentesformes: artistique, communautai-re, politique, etc. Il faut renforcerla confiance des individus dansleur capacité d’agir», af firmeMme Thélusma.

Les cofondateurs de l’ATSAsont du même avis. «On peut fai-re des gestes chaque jour, si petitssoient-ils, affirme Mme Roy. Lesgens pensent que leur action n’au-ra pas d’incidence, mais elle en alorsqu’ils décident d’agir. Il fautseulement trouver sa cause.»

«Il y a tellement d’organismesqui touchent à dif férents do-maines d’action, affirme M. Al-lard. Il faut choisir quelque chosequi nous touche, qui nous met encolère. Ensuite, on peut utiliserl’énergie de cette colère pour fairequelque chose de positif. Les Jour-nées sont une belle occasion de dé-couvrir différents organismes.»

Des activités à travers la province

Pour s’assurer d’avoir unmaximum d’impact à travers laprovince avec les Journées qué-bécoises de la solidarité interna-tionale, l’AQOCI, qui regroupe65 organisations, compte surcertains de ses membres pourpropulser l’événement.

«Dans plusieurs régions, unde nos membres a organisé uneprogrammation en rappor tavec les enjeux régionaux en fa-vorisant la participation d’ac-teurs de la société civile», préci-se Fréda Thélusma.

La conférence d’ouverture aété confiée à Serge Halimi, di-recteur du Monde diplomatique.Il donnera sa conférence, «DeTunis à Wall Street: la mondiali-sation des luttes citoyennes», le1er novembre à Montréal et le 2 à Sherbrooke.

Les deux por te-parole desJournées québécoises de la soli-darité internationale y assiste-ront. «La révolte à Wall Streetnous touche beaucoup», affirmeMme Roy, en rappelant que lapremière action de l’ATSA en1997 était «La banque à bas», oùon distribuait des bas chaudsaux sans-abris pour dénoncer«les profits faramineux desbanques canadiennes par rapportà l’accroissement de l’itinérance».

Ils se rendront à Trois-Ri-vières pour présenter leur film,L’art en action, à la suite de l’in-vitation du Comité de solidaritéTrois-Rivières. «Nous profiteronsde l’occasion pour inviter les gensà signer la pétition de sa cam-pagne “Stoppons les dépenses mi-litaires”. Dans leur site, on ap-prend que le gouvernement duCanada compte augmenter lebudget militaire pour dépenser490 milliards en 20 ans. C’est unmontant incroyable contre lequelil faut se révolter, puisque c’est là

que va l’argent de nos impôts!Nous sommes des artistes pour lapaix, alors ça nous touche beau-coup», af firme Mme Roy, quiprépare en ce moment, avecson équipe, l’événement «FINnovembre» pour dénoncer lesinégalités, dès le 18 novembre àla place Émilie-Gamelin.

L’équipe des Journées québé-coises de la solidarité internatio-

nale a aussi pensé aux jeunes. «Nous allons dans les écoles se-

condaires présenter aux élèvesdes portraits de jeunes engagésdans le monde, indique MmeThélusma. Nous leur deman-dons par la suite de créer un re-portage vidéo sur le parcours deces jeunes engagés. Nous invi-tons aussi les élèves à rédiger unmanifeste sur l’indignation et,

ensuite, nous les amènerons à ré-fléchir aux façons dont ils pour-raient faire bouger les choses.»

Collaboratrice du Devoir

! On peut consulter la pro-grammation complète dans lesite des Journées québécoisesde la solidarité internationale:http://www.jqsi.qc.ca.

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C O O P É R AT I O NJournées québécoises de la solidarité internationale

Le temps d’agir est venu« Il faut lutter contre l’indifférence et le cynisme »Les Journées québécoises de la solidarité internationale,organisées par l’Association québécoise des organismes decoopération internationale (AQOCI), se tiendront du 2 au12 novembre.

SOURCE ATSA

Cette année, les porte-parole des Journées québécoises de la solidarité internationale sont Annie Roy et Pierre Allard, de l’Actionterroriste socialement acceptable (ATSA).

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C O O P É R AT I O N

T H I E R R Y H A R O U N

P ar des activités d’informa-tion, des campagnes de mo-

bilisation, des interventions entous genres, le Comité de soli-darité de Trois-Rivières, en par-tenariat avec les réseaux d’ac-tion d’ici et d’ailleurs, œuvrepour que s’instaure un mondeplus juste, un monde plus dé-mocratique, un monde pluséquitable, un monde affranchide la domination politique, éco-nomique et militaire. Et, pourcoiffer le tout, voici son slogan:«Agir, c’est choisir le monde».

Ici, il n’y a rien de creux: toutest engagement, tout est actionsur le terrain, que ce soit enHaïti, à Cuba, au Mali ou en Bo-livie. Ici, les grands thèmes quisecouent le monde sont pris àbras-le-corps, analysés, décorti-qués et critiqués sans compro-mis. Ainsi, s’agit-il de compul-ser les récentes archives et

autres publications de l’organis-me pour s’en convaincre: Il esttemps pour les Palestiniens d’ob-tenir le respect de leurs droits,Dix ans de guerre en Afghanis-tan: la catastrophe continue, LeCanada va-t-en-guerre de M.Harper, Palestine: «le murd’apartheid» est comparable auxmurs du ghetto de Varsovie, Dé-militariser l’économie: c’est vrai-ment payant et constructif!, Lesdirigeants-marionnettes, etc.

Au bout du fil, il y a Jean-Claude Landry, le cofondateurde cet organisme né au tour-nant des années 1970, plus pré-cisément dans la foulée de l’“as-sassinat” du président chilienSalvador Allende. On connaît lasuite. Jean-Claude Landry est leprésident du conseil d’adminis-tration du comité qu’il a fondé ily a quatre décennies. À l’épo-que, son organisme agissaitsous le nom de Comité Québec-Chili de Trois-Rivières; on aura

compris pourquoi. Cela dit,vous avez bien lu, il est tou-jours en poste, toujours enga-gé, toujours dans l’action, etce, des décennies plus tard;c’est dire l’indignation qui letraverse depuis... «Quand estarrivé le coup d’État au Chili,on a senti une indignation iciau Québec et à travers le mon-de. Nous avons organisé ici uncomité de solidarité.»

L’engagementCette motivation de faire de

ce monde un endroit plus justene semble pas avoir pris uneride avec le temps? «Écoutez,c’est dans l’ADN de notre orga-nisme. Nous avons conservé ceregard critique sur les injusticessociales et sur les rapports dedomination que l’on retrouve àl’intérieur de nombreux pays àl’échelle de la planète. Nousavons conservé cet esprit mili-tant afin de ne pas perdre devue que la pauvreté, la misère,les disparités sociales sont laconséquence non pas de fac-teurs tenant du hasard oud’une fatalité quelconque, maisd’un mode de production et derépartition de la richesse, d’unmode d’organisation politiquequi entretient ça!», tranche

d’un souffle Jean-Claude Lan-dry. Et ce sera comme ça toutau long de l’entrevue.

Avant de poursuivre cet en-tretien, qui a parfois pris lesallures d’un cours 101 sur l’en-gagement militant, citoyen etsolidaire, rappelons l’une desmissions que s’est données leComité de solidarité de Trois-Rivières: tenter de changer lesmentalités en favorisant unevéritable prise de consciencedes enjeux du développement

international. C’est-à-dire?«On peut bien avoir une per-ception humanitaire deschoses, avoir un réflexe huma-nitaire par rapport à la misè-re, mais encore faut-il savoircomment ça se passe. Notremission, c’est à la fois d’appor-ter un appui à des organisa-tions, à des pays, à des peuplesqui sont en marche et decontrer par fois des situationsqui sont intolérables. Qu’onpense seulement à ce qui sepasse en Haïti depuis le trem-blement de terre. Il s’agit de dé-cortiquer les facteurs d’exploi-tation et de domination quisont souvent derrière des situa-tions qui appellent à la misèreet à la pauvreté dans les paysdu tiers-monde. Regardez seule-ment la famine qu’il y a dansle monde. Les changements fon-damentaux doivent être struc-turels et politiques! Sans ça, onva continuellement être con-fronté à un monde bipolaire,entre une majorité de gens quisont très pauvres et une mino-rité de riches», s’indigne enco-re et toujours M. Landry.

Du travail sur le terrainConcrètement, l’organisme

que préside ce militant de la

première heure organise diffé-rentes activités et des cam-pagnes de sensibilisation dansles écoles, coopère à l’échelleplanétaire avec des orga-nismes qui sont au cœur desconflits sociaux et parrainedes stages et des projets. LeComité de solidarité de Trois-Rivières compte notammentun volet jeunesse et un autrequi se consacre aux femmes(lire les détails dans le site In-ternet www.cs3r.org).

«Nous avons un comité quiporte sur la situation des femmesdans le tiers-monde, mais aussisur les femmes autochtones auQuébec. Ce comité travaille deplus en étroite collaboration avecun organisme en Haïti. Il s’agitde contrer la violence faite auxfemmes en Haïti et le rapport dedomination. On organise descampagnes de financement no-tamment. On sait aussi que, auCongo, les femmes sont les pre-mières victimes de la guerre. Et,dans ce cas, nous faisons descampagnes de sensibilisation etde solidarité. Il y a aussi, conclutM. Landry, beaucoup de travailà faire auprès des femmes enAmérique latine.»

Collaborateur du Devoir

Comité de solidarité de Trois-Rivières

Et si le monde était plus juste...« Les changements fondamentaux doivent être structurels et politiques ! »

P I E R R E V A L L É E

«H andicap international a été fondé enFrance en 1982 par un médecin fran-

çais, Jean-Baptiste Richardier, qui avait soignédes victimes de mines antipersonnel après laguerre au Cambodge, explique Marc Drolet, di-recteur général de Handicap international Ca-nada. Il s’était aperçu que les victimes étaientlaissées pour compte une fois son interventionmédicale terminée. En créant Handicap inter-national, il a voulu assurer aux victimes unsuivi en fournissant des prothèses, mais aussi dela réhabilitation.»

Handicap international compte aujourd’huineuf sections nationales, dont une au Canada de-puis 2003. «La section internationale coordonne etgère les actions, tandis que les sections nationalestrouvent le financement pour les projets auprès desbailleurs de fonds institutionnels et privés et auprèsdes individus. Les sections nationales font aussi dela sensibilisation auprès de leur population.»

En plus d’agir sur le terrain, Handicap interna-tional milite pour l’abolition des mines antiper-sonnel et des bombes à sous-munitions. Son acti-visme, en particulier dans le cas des mines anti-

personnel, a valu à l’organisme d’être colauréatdu prix Nobel de la paix en 1997.

Un véritable fléauLes mines antipersonnel et les bombes à

sous-munitions sont un véritable fléau. «Il y ade quoi s’indigner. Les armes et les déchets deguerres et de conflits armés causenténormément de souffrance dans les po-pulations civiles proches des conflits, etcela, même une fois le conflit terminé,car ces mines et bombes restent en placelongtemps.» Un seul exemple suf fitpour s’en convaincre. «Nous menonsau Mozambique des opérations de dé-minage depuis maintenant quatorzeans et il nous faudra encore cinq ansafin de compléter le nettoyage.»

Ce sont les femmes et les enfants quien sont les premières victimes. «Lesmines et les bombes se trouvent essentiel-lement dans les champs, et qui va aux champs? Lesfemmes et les enfants.» En plus des conséquenceshumaines, c’est-à-dire les victimes handicapéespar ces engins, il y a aussi des conséquences éco-nomiques. «Un champ infesté de mines et debombes n’est plus cultivable. Pour une populationqui peine à se nourrir et à survivre, c’est une diffi-culté supplémentaire.»

Sans compter qu’on peut aisément mettre endoute la moralité de ces engins. «Les mines anti-personnel et les bombes à sous-munitions sontconçues pour blesser et estropier, et non pour tuer.De plus, les bombes à sous-munitions laissent dansleur sillage des explosifs de formes et de couleurs at-

tirantes pour les enfants. Ce sont véritablement desarmes insidieuses.»

Quelle est l’ampleur du fléau? «On dénombredans le monde une victime de mines antipersonnelou de bombes à sous-munitions toutes les deuxheures, ce qui équivaut à plus de 4000 blessés parannée. On compte présentement 500 000 per-

sonnes dans le monde qui ont été blesséespar ces bombes et qui auront besoin d’ai-de pour le reste de leur vie.»

Agir sur plusieurs frontsPour contrer ce fléau, Handicap in-

ternational travaille sur plusieursfronts. «Notre première intervention sefait sur le terrain, soit après un conflit,soit à la suite d’un cataclysme naturel,car ce dernier fait aussi des estropiés,comme l’a fait le tremblement de terre enHaïti. Nos équipes sont sur place en 72 heures et procèdent d’abord au recen-

sement des personnes blessées. Nous fournissons bé-quilles, fauteuils roulants et prothèses. Dans le casdes prothèses, nous fournissons aussi un suivi sousforme de réadaptation. Apprendre à vivre avec unbras ou une jambe en moins n’est pas une chose fa-cile.» Handicap international se préoccupe ausside la santé mentale et de l’insertion sociale desvictimes. «Une personne handicapée a aussi unimpact sur les personnes autour d’elle.»

Handicap international est aussi engagé dansle déminage humanitaire de zones contaminéespar les mines antipersonnel et les bombes à sous-munitions. «Nous avons des spécialistes et des ex-perts en déminage qui sont aptes à former sur pla-

ce des démineurs locaux. Nous faisons aussi, avecces équipes de déminage, de la sensibilisation au-près des populations locales quant au danger quereprésentent ces engins explosifs.» Au total, Handi-cap international compte 310 projets en tout gen-re dans 63 pays du monde.

Sur un plan plus politique, Handicap interna-tional milite pour l’abolition des mines antiper-sonnel et des bombes à sous-munitions. Ses ef-forts, ainsi que ceux des autres organismes en-gagés dans la même cause, ont mené à la signa-ture de deux traités internationaux: le traitéd’Ottawa en 1998 sur les mines antipersonnelet le traité d’Oslo sur les bombes à sous-muni-tions. «Le Canada a signé et ratifié le premiertraité; cependant, s’il a signé le second, il ne l’atoujours pas ratifié.»

C’est pour faire avancer ses causes que Handi-cap international organise chaque année une py-ramide des souliers. En septembre dernier, Han-dicap international Canada a organisé sa cinquiè-me pyramide des souliers à Montréal. «Nousavons choisi le soulier pour symbole, car il fait di-rectement référence à ce dont on n’a plus besoinlorsqu’on perd une jambe en marchant sur unemine antipersonnel. Les gens amènent donc despaires de souliers, puis ces souliers sont ensuite re-cyclés et remis à des groupes en ayant besoin. Maisc’est surtout pour nous l’occasion d’attirer l’atten-tion sur ce fléau que sont ces engins explosifs et l’oc-casion pour la population de soutenir notre actionen signant notre pétition qui enjoint au gouverne-ment canadien de ratifier le traité d’Oslo.»

Collaborateur du Devoir

Des souliers contre les mines antipersonnelHandicap international a été colauréat du prix Nobel de la paix en 1997

Parmi les victimes des guerres et des conflitsarmés, il ne faut pas oublier les civils. Si cesderniers ne meurent pas tous, beaucoup sontblessés et certains sont estropiés pour la vie.C’est pour aider ces derniers qu’est né Han-dicap international.

Ce sont lesfemmes etles enfantsqui en sontlespremièresvictimes

Voilà quatre décennies que le Comité de solidarité de Trois-Rivières est de toutes les causes: combattre l’injustice, la fa-mine, les violences et la misère humaine. Quand les mots «li-berté», «justice», «partage» et «solidarité» prennent toutleur sens. Bienvenue au cœur d’un engagement militant et ci-toyen qui force le respect.

SOURCE CSTR

Jean-Claude Landry, cofondateurdu Comité de solidarité de Trois-Rivières

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M A R I E - H É L È N EA L A R I E

P lan Nord, exploitation desmines du Nord du Québec,

extraction du gaz de schistedans le Bas-Saint-Laurent: Ma-rie-Josée Béliveau, de la Liguedes droits et libertés, Ugo La-pointe, de la Coalition pour quele Québec ait meilleure mine!,Yao Graham, coordonnateurdu Third World Network-Afrique, et Nadia Faucher, d’In-ter Pares, discuteront de cesquestions en les abordant sousl’angle de la promotion de lajustice sociale, de l’économie etde l’écologie et du droit despeuples à décider de leur ave-nir, lors d’une conférence inti-tulée «Pour l’égalité: quel mo-dèle de développement?».

SolidaritéDe la part d’un organisme de

coopération internationale, l’or-ganisation d’un tel événementpeut sembler hors de propos.Pourtant, pour Inter Pares, laconférence de Montréal s’ins-crit dans une série d’événe-ments ponctuels qui permet-tent à l’organisme de se faireconnaître partout au pays, touten suscitant des débats sur desenjeux qui sont à la base des ré-flexions de l’organisation:«Quand on parle de solidarité,on parle de partage d’informa-tions; il est important de voirque ce qui se passe ailleurs estsemblable à ce qui se passe ici, etles échanges donnent un regaind’énergie pour poursuivre la lut-te», explique Nadia Faucher, co-ordonnatrice de programmeschez Inter Pares.

Le nom Inter Pares signifieen latin «entre égaux», c’estdonc dire que toutes les inter-ventions du groupe sont moti-vées par cette volonté d’égalitéentre les individus et entre lespeuples. Pourtant, Inter Paresn’a pas de bureau outre-mer niquelque représentation pu-blique que ce soit. L’organismepréfère travailler avec les genset les organisations qui agissentdans leur propre pays. En cesens, le rôle d’Inter Pares est

celui d’un accompagnateur quiaide les personnes et orga-nismes à faire face à l’injustice,tout en renforçant leur travail eten leur permettant de s’appro-prier les espaces politiques quileur appartiennent.

Ici même au Canada, InterPares tente de jouer un rôleafin de soutenir la lutte contreles injustices par l’entremisede politiques étrangères, maisaussi en remettant en questionle compor tement des entre-prises canadiennes œuvrant àl’étranger... et chez nous:«L’action au Canada, c’est unetrajectoire pour Inter Pares, cen’est pas nouveau qu’on regar-de autant ce qui se passe dansnotre propre pays qu’ailleurs»,ajoute Nadia Faucher.

Ici et ailleursConcrètement, Inter Pares

travaille sur des enjeux relatifsà la migration, à la violencecontre les femmes, à la démo-cratie, au contrôle des res-sources, à la santé, à la souve-raineté alimentaire et à la justi-ce économique. Évidemment,par tout dans le monde, lesmodes de solutions passent parla par ticipation citoyenne:«Dans tous les endroits où ontravaille, on veut s’assurer que lasociété civile est assez organiséepour être un acteur de sonpropre développement», rappelleNadia Faucher.

Tout d’abord, au Canada, onœuvre à sensibiliser la popula-tion aux questions relatives à lajustice sociale et à la promotiondu changement social. «Dès1982, Inter Pares participe àune commission à propos desfermes familiales au Canada.On a alors couplé de petits fer-miers des Maritimes à d’autresdes Caraïbes et de l’Afrique pourdécouvrir des enjeux similaires.À l’époque, on a été visionnaire,puisque les enjeux sont encore lesmêmes aujourd’hui», rappelleSamantha McGaven, directricedes communications. En cetteère de mondialisation, les en-jeux ne connaissent pas defrontières et Inter Pares met encontact des militants de partout

qui luttent pour les droits desfemmes, contre l’extraction desressources et pour l’agriculturedurable et les libertés civiles.

D’Afrique en AmériqueEn Afrique, et plus précisé-

ment dans une grande partiede l’Afrique subsaharienne, uncertain héritage économique,social et politique empêche en-core les populations de prendreleur avenir en main. Ici, InterPares travaille avec des orga-nismes qui cherchent à amélio-rer la qualité de vie et qui ten-tent de résoudre les conflits parl’organisation communautairelocale; c’est le cas, par exemple,en Guinée-Bissau, au Ghana, auMali et au Soudan. Inter Parescollabore aussi avec des organi-sations qui misent sur la mobili-sation et sur des enjeux poli-tiques d’importance cruciale,tels que la protection de l’envi-ronnement, l’imputabilité dugouvernement, l’égalité entre

les sexes, la souveraineté ali-mentaire, le commerce et lesdroits de la personne.

Pendant ce temps, en Asie,Inter Pares agit avec des ONGnationales au Bangladesh, enInde et aux Philippines. Ail-leurs, Inter Pares fait par tied’une coalition d’ONG cana-diennes qui appuie les per-sonnes réfugiées birmanes etles déplacées en Thaïlande, enChine, en Inde, en Malaisie etau Bangladesh.

En Amérique latine, où degrands changements politiquesont eu lieu ces dernières an-nées, c’est auprès d’organisa-tions nationales au Mexique, auGuatemala, au Salvador, au Ni-caragua, au Pérou et en Colom-bie qu’Inter Pares agit, tout enmaintenant des liens avec sonhomologue régional, ProjectCounselling Service, une ONGqui appuie les efforts des genspour reprendre le contrôle deleurs ressources, ainsi que l’af-

firmation et la participation po-litique des femmes et despeuples autochtones.

Des actions concrètesauprès des femmes

Un exemple concret de l’ac-tion d’Inter Pares, c’est le projetPérou. «Les femmes font souventpartie des groupes les plus margi-nalisés. Les voix qu’on entend le

moins souvent, ce sont celles desfemmes et des populations autoch-tones», explique Nadia Fortier,qui est responsable du program-me Pérou. «On travaille beau-coup avec des femmes qui se sontfait élire à des postes de conseillè-re lors d’élections municipales enzone rurale. On appuie un ré-seau de ces femmes afin de lessortir de l’isolement, de leur don-ner des moyens de communica-tion afin d’échanger plus réguliè-rement. Ces femmes s’appuientmutuellement pour tenter de fai-re tomber les stéréotypes et lespratiques plus patriarcales», ra-conte Mme Faucher.

Ces politiques publiques don-nent une poussée qui permetde commencer à changer leschoses, et Inter Pares soutientdes interventions subséquentescapables de transformer les re-lations hommes-femmes.

Il existe d’autres exemplesoù on va favoriser la participa-tion des femmes. Au Bangladesh,on appuie la présence desfemmes au sein de comités desurveillance de l’application despolitiques du gouvernement.«Au Soudan, on travaille avecdes groupes qui suscitent la par-ticipation citoyenne des femmesdans des conditions souvent diffi-ciles. Même chose aux Philip-pines et dans plusieurs pays où iln’est pas facile pour les femmesde mettre de l’avant leurs inté-rêts, en raison souvent des gou-vernements et de la religion»,conclut Nadia Faucher.

Collaboratrice du Devoir

! Pour l’égalité: quel modèlede développement?, le lundi 14 novembre 2011 à 19h30, auCentre Saint-Pierre, 1212, ruePanet, Montréal.

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C O O P É R AT I O NExploitation des ressources

Le Québec ou l’Afrique, même combat !La société civile est-elle organisée pour être un acteur de son développement ?

Inter-Pares, un organisme de coopération basé à Ottawa, pro-fitera des Journées québécoises de la solidarité internationa-le pour présider une conférence intitulée «Pour l’égalité: quelmodèle de développement?».

ENRIQUE CASTRO-MENDIVIL REUTERS

Les femmes font souvent partie des groupes les plus marginalisés, comme au Pérou, où InterPares agit avec des ONG nationales.

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C O O P É R AT I O N

J E S S I C A N A D E A U

C haque année, au mois demai, ils sont des milliers à

descendre dans la rue pour ré-clamer un monde plus juste,des jeunes du secondaire quiviennent de par tout au Qué-bec et qui convergent vers leparc Lafontaine, à Montréal,pour participer à la marche duClub 2/3, la division jeunessed’Oxfam-Québec. Pour eux,c’est l’aboutissement d’une an-née d’engagement au quoti-dien dans leur école respecti-ve sur le thème de la solidaritéinternationale, de la citoyenne-té active et de la consomma-tion responsable.

«Le feeling de gang, c’est in-contournable quand tu es adoles-cent, explique le cofondateur del’organisme, Jean-Pierre Denis.Quand on est entouré de 15 000jeunes qui veulent la même cho-se que soi, c’est très valorisant etça favorise l’émergence de la ci-toyenneté active.»

Tournée d’écolesC’est en 1970, au retour d’un

voyage initiatique en Haïti, queJean-Pierre Denis, alors âgé de15 ans, fonde le Club 2/3. Lui etses compagnons de voyage déci-dent de faire la tournée desécoles de leur quartier pour té-moigner de ce qu’ils ont vu.

L’adolescent de l’époque étaitloin d’imaginer que son petitgroupe, formé autour de l’anima-teur de pastorale de l’école, de-viendrait, quarante ans plus tard,une véritable institution pour lesjeunes qui souhaitent changer lemonde. Mais il était convaincud’une chose, c’est que cette ex-périence l’avait changé à jamais.«On avait fait un deal, à notre re-tour d’Haïti, qu’on ne se couche-rait pas un seul soir sans avoir es-sayé de contribuer à la construc-tion d’un monde plus juste.»

Ce monde plus juste, il tentede l’atteindre par le biais desjeunes qui le suivent, plus nom-breux que jamais, dans son rêved’adolescent. À travers les activi-

tés du Club 2/3 dans les écoles,il sensibilise les jeunes pour lesamener à un certain niveau desensibilisation et leur proposedes actions concrètes qu’ils peu-vent appliquer dansleur quotidien.

«On forme les futursdirigeants, les pro-chains députés, maires,directeurs de grande en-treprise, consomma-teurs, citoyens… L’ave-nir du monde est sur lesbancs d’école en ce mo-ment. On leur inculqueune meilleure compré-hension du monde, onleur suggère des pistesd’action pour être de jeunes ci-toyens du monde. Ça prend dutemps, mais c’est ça, l’éducation.»

Qui sont ces jeunes qui choi-sissent de s’engager? «Le profiltype, répond Jean-Pierre Denis,c’est certainement trois filles pourun gars. Et je soupçonne le garsd’être là parce qu’il y a trois filles!»

Ce qu’ils réclament? De la jus-tice. Et un développement du-rable, qui passe par une visionéconomique autre que celle quiprévaut actuellement. «Pour lesjeunes d’aujourd’hui, l’environne-ment et la justice sociale, c’est inti-mement lié.»

Une soif d’engagementPour Katina Binette, respon-

sable du programme Québec

sans frontières, un programmede stages d’initiation à la coopé-ration internationale destiné auxjeunes de 18 à 35 ans, il n’y a pasde modèle unique. «C’est très va-

rié. On a des jeunes quiviennent d’arriver aucégep et qui souhaitentvivre une expérience àl’international, certainssont interpellés par l’as-pect plus culturel et ladécouverte d’un autrepays. Il y en a d’autresqui sont à l’université etqui veulent travaillerdans l’humanitaire plustard, qui voient donc le stage comme une por-

te d’entrée.»Selon elle, le point commun

de tous ces coopérants, c’est l’at-trait de la découverte et le be-soin de s’engager. «Ces jeunes-làs’engagent même ici, au Québec,dans dif férentes sphères, ils ontune soif d’engagement et d’actioncitoyenne.»

Elle observe, depuis une quin-zaine d’années, que la solidaritéinternationale jouit d’une popula-rité croissante auprès desjeunes, un phénomène qu’elle at-tribue notamment aux nouvellestechnologies. «Avec l’arrivée d’In-ternet, il y a une nouvelle ouvertu-re sur le monde, ça fait en sorteque les jeunes ont envie de partirà la découverte et de s’engager.»

Les jeunes qu’elle côtoie — ils

sont, bon an mal an, environ 350à s’engager bénévolement com-me coopérants aux quatre coinsdu monde — représentent bien,selon elle, la jeunesse québécoi-se. «Ce sont des jeunes très dyna-miques, qui sont très engagés, quece soit en environnement ou sur leplan social et politique… Ce sontdes jeunes informés, politisés ettrès critiques en général. Mêmenous, les organisations qui offrentdes stages, nous avons dû nousadapter. Avant, nous donnions desformations de base. Maintenant,il faut augmenter le niveau desconnaissances parce qu’ils sontdéjà très informés, très engagés.»

Quelle place pour les jeunes?

Et si les jeunes peuvent par-fois sembler apathiques oudésengagés, c’est peut-être par-ce que la société ne leur laissepas assez de place, estime poursa part Sébastien Maillette, coor-donnateur de l’engagement dupublic pour l’organisme Jeunes-se Canada monde.

«On les incite à s’engager,mais on ne les invite pas néces-sairement à participer aux ré-unions d’impor tance, on neleur demande pas de par tici-per ou même d’écouter et demettre en pratique leurs sug-gestions. Ils sont généralementrelégués à de petites tâches mi-neures qui ne les inspirent

pas toujours à maintenir leurengagement.»

Par la coopération internatio-nale, les jeunes trouvent biensouvent leur voie. Ils partent à ladécouverte du monde, mais ilsse rencontrent en chemin,constate Sébastien Maillette.

«On pousse les jeunes à choisirun chemin de carrière assez tôt et,souvent, ils ne sont pas prêts. Ilsarrivent au cégep ou à l’universitéet ne sont pas certains de leurchoix. Plusieurs décident deprendre une année sabbatique eten profitent pour voyager. Mais ilsne voient pas à quel point ça lesaide à découvrir qui ils sont, quel-le est leur place, non seulementdans le monde, mais dans leur so-ciété et leur collectivité. Plusieursjeunes nous disent, au retour, quele voyage a changé leur vie etqu’ils savent désormais ce qu’ilsveulent faire.»

Certains les qualifieront d’uto-pistes, de «pelleteux de nuages».Jean-Pierre Denis, le fondateurdu Club 2/3, répond qu’il n’y arien de mal à alimenter l’utopie.Au contraire. C’est, selon lui,d’abord et avant tout une ques-tion de survie. «Si on est conscient,mais réellement conscient des en-jeux et du monde dans lequel onvit, il n’y a que deux possibilités:l’utopie ou la mort. Nous autres,on a choisi l’utopie…»

Collaboratrice du Devoir

D’Oxfam-Québec à Jeunesse Canada monde

« L’avenir du monde est sur les bancs d’école »La solidarité internationale jouit d’une popularité croissante auprès des jeunes

K A R L R E T T I N O - P A R A Z E L L I

L’ organisme SUCO, (pour solidarité, union,coopération), qui fête cette année ses

50 ans, est une des premières organisations nongouvernementales (ONG) laïques en coopéra-tion internationale au Canada. Il est actif danscinq pays à travers le monde, dont Haïti, et comp-te sur le travail de 25 employés et d’une quaran-taine de volontaires déployés sur le terrain.

Contrairement aux organisations d’interven-tion d’urgence, SUCO mise plutôt sur une inter-vention à long terme et œuvre en grande partieauprès des populations en milieu rural. «Nousmettons l’accent sur des démarches en agriculturedurable. Le but, c’est d’augmenter la productionagricole dans le respect de l’environnement et de fa-voriser la prise en charge des plans de développe-ment par les populations», explique RichardVeenstra, directeur général de SUCO.

Dans le cas d’Haïti, ravagé en janvier 2010par un violent séisme, pendant que les gouver-nements et les ONG de différents pays appor-taient eau, nourriture et abris aux sinistrés,SUCO prêtait aussi main-forte, mais prévoyaitdéjà l’après-crise. «En Haïti, il y a beaucoupd’agriculteurs qui sont installés sur les flancs de

montagne et qui sont vulnérables à des désastresquand il y a des pluies ou des ouragans. On nepeut pas empêcher les grandes pluies, mais onpeut en réduire les ef fets», affirme M. Veenstra.

SUCO montre par exemple aux Haïtiens des fa-çons d’aménager leur terrain pour éviter que le solne s’érode, ou encore les semences à utiliser pourobtenir un meilleur rendement. «Les gens appren-nent ces techniques-là chez eux, dans leur proprechamp, donc l’application est beaucoup plus auto-matique», ajoute M. Veenstra.

L’apport de l’organisme ne se limite toutefois pasaux connaissances techniques et aux ressources fi-nancières. SUCO veut également que les collectivi-tés soient en mesure de prendre leur avenir enmain. «L’idée du développement local, c’est d’aider lespopulations à prendre leur place et à se faire entendreauprès des autorités locales», ajoute le directeur géné-ral de l’organisme.

Les collectivités sont donc au cœur de leurpropre développement et, de l’avis de RichardVeenstra, les initiatives récemment prises portentdéjà leurs fruits. «J’étais à Haïti il y a deux semaineset, très spontanément, les gens m’ont parlé du chan-gement que ç’a fait dans leur vie», se réjouit-il.

Vers « un monde plus juste »

«Agir pour un monde plus juste»: voilà com-ment Développement et paix définit sa vision dela solidarité internationale. Au contraire deSUCO, les actions de cet organisme rattaché àla Conférence des évêques catholiques du Ca-nada sont guidées par des principes religieux,ce qui ne l’empêche pas de venir en aide auxpopulations démunies de 70 pays dans le mon-

de, catholiques ou non. «Pour nous, agir pourun monde plus juste, c’est un équilibre, un parte-nariat, un respect pour la dignité des êtres hu-mains partout sur la Terre. Ça veut dire qu’ilfaut que la relation entre le Nord et le Sud, entreles pays riches et les pays pauvres, soit une rela-tion de respect», illustre Josianne Gauthier, di-rectrice générale adjointe de l’organisme.

Concrètement, Développement et paix amor-ce des projets qui concernent des enjeux aussivariés que la condition des femmes, l’accès à ladémocratie, les droits des groupes vulnérablesou l’équilibre dans le partage des ressourcesnaturelles, et ce, sans jamais oublier les valeursdictées par l’Évangile.

«Nous avons nos valeurs, qui sont catho-liques, et elles définiront toujours les paramètresde notre travail. Nous n’agirons pas contre nosvaleurs et nous ne demanderons pas à quel-qu’un d’autre de suivre nos valeurs non plus, ré-pond Mme Gauthier lorsqu’on lui demande oùse situe la frontière entre aide humanitaire etévangélisation. On n’a pas de mandat d’évangé-lisation. Nous, c’est par l’action qu’on tra-vaille», assure-t-elle.

Comme dans le cas de SUCO, l’organisme ca-tholique offre de l’aide d’urgence lorsque c’estnécessaire, mais il mise d’abord et avant tout surle développement durable en collaboration avecles acteurs locaux. Les pays de la Corne del’Afrique touchés cet été par la pire sécheresseen 60 ans n’y font pas exception.

«Nous travaillons directement avec les Églises lo-cales au Kenya, en Éthiopie et en Somalie pour ve-nir en aide, même à petite échelle, avec des vivres,des tentes, etc. Parce qu’actuellement nous sommes

encore en mode survie, admet Mme Gauthier.Mais, évidemment, à moyen et à long terme, nousespérons pouvoir aider les collectivités à trouver dessolutions pour ne pas retomber dans cette vulnéra-bilité chronique», ajoute-t-elle.

Faire les choses autrementMalgré le fossé idéologique qui sépare SUCO

de Développement et paix, les deux organismessont unanimes: l’aide offerte en période de criseest trop souvent orientée vers le court terme, etles mentalités doivent changer.

«Le problème, c’est qu’on arrive dans une pé-riode de crise et qu’on quitte par la suite. Onn’est plus là pour soutenir la recherche de solu-tions et changer les structures qui créent la vul-nérabilité», estime Josianne Gauthier, de Dé-veloppement et paix.

Richard Veenstra, de SUCO, croit lui aussi quel’aide offerte aux populations démunies devraitêtre pensée en termes de développement du-rable et d’autonomie des collectivités. «Je ne veuxpas critiquer les ONG sur le terrain, mais ce qu’onvoit beaucoup, c’est un engouement pour mettre enœuvre un projet, alors que nous n’avons pas seule-ment besoin de projets: nous avons besoin de chan-gements à long terme», renchérit-il.

À son avis, les projets rapidement mis sur pieden Haïti ou dans la Corne de l’Afrique ont leurraison d’être, mais ils ont aussi leurs limites. «Jepense que l’aide d’urgence a sûrement aidé à sau-ver des vies, mais les vies sauvées ne sont pas néces-sairement hors de danger un ou deux ans plustard…», observe-t-il.

Collaborateur du Devoir

SUCO et Développement et paix

Les artisans du développement durable sont à l’œuvre« Nous avons besoin de changements à long terme »

Désengagés, les jeunes? Ce n’est certainement pas le constatque font les responsables des organisations de solidarité inter-nationale, qui observent plutôt une recrudescence de la partici-pation des jeunes dans les mouvements de coopérants. Nonseulement ils sont de plus en plus nombreux à s’engager, maisils sont également plus informés que jamais, au point où les or-ganisations doivent adapter leurs formations. Tour d’horizonsur l’engagement des jeunes dirigeants de demain.

SUCO, Développement et paix: deux organismesde solidarité internationale, deux visions diffé-rentes. Le premier est laïque, le second s’inspi-re des valeurs de l’Évangile. Mais tous deux par-tagent une volonté d’of frir un soutien durableaux populations dans le besoin.

Il n’y a riende mal à alimenterl’utopie,selon Jean-PierreDenis