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29 La Météorologie - n° 91 - novembre 2015 Aérosols et nuages Interactions aérosols- rayonnement-climat en région méditerranéenne Impact de l’effet radiatif direct sur le cycle de l’eau Marc Mallet 1 , François Dulac 2 , Pierre Nabat 3 , Paola Formenti 4 , Jean Sciare 2 , Greg Roberts 3 , Cyrielle Denjean 4 , Jacques Pelon 5 , Didier Tanré 6 , Frédéric Parol 6 , Gérard Ancellet 5 , Frédéric Auriol 6 , Luc Blarel 6 , Thierry Bourrianne 3 , Gérard Brogniez 6 , Patrick Chazette 2 , Servanne Chevaillier 4 , Marine Claeys 3 , Aurélie Colomb 7 , Barbara D’Anna 8 , Yevgeny Derimian 6 , Karine Desboeufs 4 , Jean-François Doussin 4 , Pierre Durand 1 , Anaïs Féron 4 , Hélène Ferré 9 , Laurence Fleury 9 , Evelyn Freney 7 , Philippe Goloub 6 , Noël Grand 4 , Éric Hamonou 2 , Isabelle Jankowiak 6 , Matthieu Jeannot 10 , Dominique Lambert 1 , Jean-François Léon 1 , Sylvain Mailler 11 , Laurent Menut 11 , Géraud Momboisse 3 , José Nicolas 7 , Thierry Podvin 6 , Véronique Pont 1 , Géraldine Rea 11 , Jean-Baptiste Renard 10 , Laurent Roblou 1 , Alfons Schwarzenboeck 7 , Karine Sellegri 7 , Michaël Sicard 12 , Fabien Solmon 13 , Samuel Somot 3 , Benjamin Torres 6 , Julien Totems 1 , Sylvain Triquet 4 , Nicolas Verdier 10 , Christian Verwaerde 6 , Damien Vignelles 10 1 Laboratoire d’aérologie, Université Paul-Sabatier / CNRS, Toulouse 2 Laboratoire des sciences de l’environnement et du climat, Institut Pierre-Simon Laplace, CEA / CNRS / Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Gif-sur-Yvette 3 Centre national de recherches météorologiques, Météo-France / CNRS, Toulouse 4 Laboratoire interuniversitaire des systèmes atmosphériques, Institut Pierre- Simon Laplace, Universités Paris-Est Créteil / Paris Diderot / CNRS, Créteil 5 Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales, Institut Pierre- Simon Laplace, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines / Université Pierre-et-Marie-Curie / CNRS, Paris 6 Laboratoire d’optique atmosphérique, Université de Lille 1 / CNRS, Lille 7 Laboratoire de météorologie physique, Université Blaise-Pascal / CNRS, Clermont-Ferrand 8 Institut de recherches sur la catalyse et l’environnement de Lyon, Université de Lyon 1 / CNRS, Villeurbanne 9 Service de données de l’Observatoire Midi-Pyrénées, Observatoire Midi-Pyrénées, Toulouse 10 Laboratoire de physique et chimie de l’environnement et de l’espace, Université d’Orléans / CNRS, Orléans 11 Laboratoire de météorologie dynamique, Institut Pierre-Simon Laplace, Université Pierre-et-Marie-Curie / École normale supérieure de Paris / École polytechnique / CNRS, Paris 12 Remote Sensing Laboratory, Universitat Politècnica de Catalunya, Barcelone, Espagne 13 International Centre for Theoretical Physics, Trieste, Italie [email protected] L a région méditerranéenne est reconnue comme l’une des régions les plus sensibles aux changements climatiques (Giorgi et Lionello, 2008). En effet, la réponse des modèles clima- tiques globaux ou régionaux au change- ment climatique prévoit un assè- chement significatif du bassin méditer- ranéen (diminution de 25-30 % des pré- cipitations, notamment en saison sèche) associé à une hausse importante des températures (+4-5 °C en été) à l’échéance 2070-2100 pour le scénario A1B. Aujourd’hui, la majorité des étu- des liées au climat présent et futur de cette région ont été effectuées soit à l’aide de modèles climatiques globaux utilisant une résolution horizontale de l’ordre de 150 km, soit à l’aide de modèles dits régionaux (résolution de Résumé Une grande campagne expérimentale a été réalisée en Méditerranée occiden- tale pendant l’été 2013 afin d’étudier l’impact des aérosols sur le bilan radia- tif et le climat régional. Les observa- tions obtenues dans plusieurs stations de surface, à bord de deux avions de recherche, sous ballons sondes plafon- nants et par satellite ont documenté la distribution et les propriétés physico- chimiques et optiques des particules. Cette campagne a vu se succéder des transports d’aérosols désertiques d’in- tensité modérée, absorbant modé- rément le rayonnement solaire et stratifiés verticalement. Les premières simulations climatiques indiquent un impact significatif des aérosols notam- ment sur la température de surface de la mer, les flux océan-atmosphère et les précipitations saisonnières. Abstract Aerosol-radiation and climate inter- actions in the Mediterranean region. Impact of radiative effect on the water cycle An experimental campaign, coupled with three-dimensional modeling, was conducted in the western Mediter- ranean during the summer of 2013 to study the impact of aerosols on the radiative balance and climate of this region. In situ observations were obtai- ned on the ground, aboard two research aircraft and balloons to cha- racterize the physico-chemical and optical properties of particles and their vertical stratification. This campaign was mainly characterized by moderate events of desert aerosols. During these episodes, strong vertical stratification was observed and the measurements of the optical properties reveal moderate absorbing particles in the visible spec- trum. Climate simulations indicate a significant impact of aerosols in parti- cular by changing the surface tempera- ture of the sea, the ocean-atmosphere fluxes and consequently seasonal precipitation.

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Page 1: Interactions aérosols- rayonnement-climatmenut/pp/2015-LaMeteo-Adrimed.pdf · La Météorologie - n° 91 - novembre 2015 29 A é r o s o l s e t n u a g e s Interactions aérosols-rayonnement-climat

29La Météorologie - n° 91 - novembre 2015

Aérosols et nuages

Interactions aérosols-rayonnement-climaten région méditerranéenneImpact de l’effet radiatif direct sur le cycle de l’eau

Marc Mallet1, François Dulac2, Pierre Nabat3, Paola Formenti4, Jean Sciare2, Greg Roberts3, Cyrielle Denjean4, Jacques Pelon5, Didier Tanré6, Frédéric Parol6, Gérard Ancellet5, Frédéric Auriol6, Luc Blarel6, Thierry Bourrianne3, Gérard Brogniez6, Patrick Chazette2, Servanne Chevaillier4, Marine Claeys3, Aurélie Colomb7, Barbara D’Anna8, Yevgeny Derimian6, Karine Desboeufs4, Jean-François Doussin4, Pierre Durand1, Anaïs Féron4, Hélène Ferré9, Laurence Fleury9, Evelyn Freney7,Philippe Goloub6, Noël Grand4, Éric Hamonou2, Isabelle Jankowiak6,Matthieu Jeannot10, Dominique Lambert1, Jean-François Léon1,Sylvain Mailler11, Laurent Menut11, Géraud Momboisse3, José Nicolas7, Thierry Podvin6, Véronique Pont1, Géraldine Rea11,Jean-Baptiste Renard10, Laurent Roblou1, Alfons Schwarzenboeck7,Karine Sellegri7, Michaël Sicard12, Fabien Solmon13, Samuel Somot3,Benjamin Torres6, Julien Totems1, Sylvain Triquet4, Nicolas Verdier10,Christian Verwaerde6, Damien Vignelles10

1 Laboratoire d’aérologie, Université Paul-Sabatier / CNRS, Toulouse2 Laboratoire des sciences de l’environnement et du climat,Institut Pierre-Simon Laplace, CEA / CNRS / Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Gif-sur-Yvette

3 Centre national de recherches météorologiques, Météo-France / CNRS, Toulouse

4 Laboratoire interuniversitaire des systèmes atmosphériques, Institut Pierre-Simon Laplace, Universités Paris-Est Créteil / Paris Diderot / CNRS, Créteil

5 Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales, Institut Pierre-Simon Laplace, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines / Université Pierre-et-Marie-Curie / CNRS, Paris

6 Laboratoire d’optique atmosphérique, Université de Lille 1 / CNRS, Lille7 Laboratoire de météorologie physique, Université Blaise-Pascal / CNRS, Clermont-Ferrand

8 Institut de recherches sur la catalyse et l’environnement de Lyon, Université de Lyon 1 / CNRS, Villeurbanne

9 Service de données de l’Observatoire Midi-Pyrénées, Observatoire Midi-Pyrénées, Toulouse

10 Laboratoire de physique et chimie de l’environnement et de l’espace, Université d’Orléans / CNRS, Orléans

11 Laboratoire de météorologie dynamique, Institut Pierre-Simon Laplace, Université Pierre-et-Marie-Curie / École normale supérieure de Paris / École polytechnique / CNRS, Paris

12 Remote Sensing Laboratory, Universitat Politècnica de Catalunya, Barcelone, Espagne

13 International Centre for Theoretical Physics, Trieste, Italie

[email protected]

L a région méditerranéenne estreconnue comme l’une des régionsles plus sensibles aux changements

climatiques (Giorgi et Lionello, 2008).En effet, la réponse des modèles clima-tiques globaux ou régionaux au change-ment climatique prévoit un assè-chement significatif du bassin méditer-ranéen (diminution de 25-30 % des pré-cipitations, notamment en saison sèche)

associé à une hausse importante destempératures (+4-5 °C en été) à l’échéance 2070-2100 pour le scénarioA1B. Aujourd’hui, la majorité des étu-des liées au climat présent et futur decette région ont été effectuées soit àl’aide de modèles climatiques globauxutilisant une résolution horizontale del’ordre de 150 km, soit à l’aide demodèles dits régionaux (résolution de

RésuméUne grande campagne expérimentalea été réalisée en Méditerranée occiden-tale pendant l’été 2013 afin d’étudierl’impact des aérosols sur le bilan radia-tif et le climat régional. Les observa-tions obtenues dans plusieurs stationsde surface, à bord de deux avions derecherche, sous ballons sondes plafon-nants et par satellite ont documenté ladistribution et les propriétés physico-chimiques et optiques des particules.Cette campagne a vu se succéder destransports d’aérosols désertiques d’in-tensité modérée, absorbant modé-rément le rayonnement solaire etstratifiés verticalement. Les premièressimulations climatiques indiquent unimpact significatif des aérosols notam-ment sur la température de surface dela mer, les flux océan-atmosphère et lesprécipitations saisonnières.

AbstractAerosol-radiation and climate inter-actions in the Mediterranean region.Impact of radiative effect on the water cycle

An experimental campaign, coupledwith three-dimensional modeling, wasconducted in the western Mediter-ranean during the summer of 2013 tostudy the impact of aerosols on theradiative balance and climate of thisregion. In situ observations were obtai-ned on the ground, aboard tworesearch aircraft and balloons to cha-racterize the physico-chemical andoptical properties of particles and theirvertical stratification. This campaignwas mainly characterized by moderateevents of desert aerosols. During theseepisodes, strong vertical stratificationwas observed and the measurements ofthe optical properties reveal moderateabsorbing particles in the visible spec-trum. Climate simulations indicate a significant impact of aerosols in parti-cular by changing the surface tempera-ture of the sea, the ocean-atmospherefluxes and consequently seasonal precipitation.

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10 à 50 km) qui ne prennent pas forcé-ment en compte toutes les composantesdu système climatique méditerranéen.La région méditerranéenne est en effetune zone complexe caractérisée par unetopographie contrastée, une mer quasifermée source importante d’humidité,des vents régionaux violents (tramon-tane, mistral, meltem, bora), ainsi qu’unfort gradient de son albédo de surfaceentre le sud (désert, semi-aride) et lenord (mer, végétation) du bassin.

Cette région est aussi caractérisée par laprésence de différents types de parti-cules atmosphériques, qui peuvent êtred’origine anthropique ou naturelle. Lamer, les feux de forêts, mais aussi lesdéserts nord-africains sont des sourcesimportantes d’aérosols. Enfin, l’enso-leillement fort sur cette région associé àdes précipitations faibles (notammentlors de la saison « sèche » de juin à sep-tembre) favorise la concentration enparticules dites secondaires formées àpartir de précurseurs gazeux. Cetterégion est donc caractérisée par descharges importantes en particules denature physico-chimique et optique trèsvariée, associées à une forte hétérogé-néité spatiale et temporelle. Or, depuisl’expérience Indoex dans l’océan Indien(Ramanathan et al., 2001), on sait que,de par leurs interactions avec le rayon-nement solaire et infrarouge, les parti-cules modifient significativement lebilan radiatif à l’échelle régionale, avecdes impacts potentiels sur l’évaporationà la surface, les nuages, la dynamique et le climat régional. Ces impacts restent encore à être quantif iés enMéditerranée.

En région méditerranéenne, les diversprocessus de génération des particules,qui sont soit primaires (c’est-à-direémises directement sous forme particu-laire), soit secondaires, conduisent àune granulométrie et une compositionchimique des particules très contras-tées. Or, ce sont ces mêmes propriétésmicrophysiques et chimiques quicontrôlent leurs propriétés optiques(diffusion et absorption) et donc lamanière dont les particules interagissentavec le rayonnement (effet radiatif « direct »). Certaines particules comme

les aérosols sulfatés et les sels marinsne font que diffuser la lumière solaire,alors que d’autres comme certaines par-ticules issues de la pollution anthro-pique ou des feux de forêts, quicontiennent des concentrations élevéesen carbone suie, peuvent aussi en absor-ber une grande partie. Les poussièresdésertiques, quant à elles, suivant leurcomposition chimique (présenced’oxyde de fer, notamment) et leurtaille, peuvent également absorber unepartie du rayonnement visible. Cetteabsorption est ensuite « redistribuée »sous forme d’échauffement dans lescouches atmosphériques où sont locali-sées les particules absorbantes, modi-fiant ainsi les profils d’humidité, detempérature, voire de nébulosité (effet « semi-direct »). La structure verticaledes aérosols est donc un paramètreimportant pour estimer le forçage radia-tif1 exercé par les particules. Il faut éga-lement noter que, de par leur taille (plusimportante), les aérosols désertiquesont la capacité d’interagir avec le rayon-nement thermique infrarouge. Pourfinir, l’albédo de la surface joue égale-ment un rôle essentiel. En effet, loca-lisés au-dessus d’une surface réfléchis-sante, les aérosols absorbants peuventinduire un échauffement au sommet de l’atmosphère. À l’inverse, si les par-ticules sont transportées au-dessus desurfaces faiblement réfléchissantes,comme la surface de l’océan, ellesinduisent généralement un forçageradiatif négatif (effet refroidissant).

En résumé, toutes ces caractéristiques, àsavoir une grande variété de particules,associée à des propriétés physico-chimiques et optiques variées, une fortevariabilité spatiale et temporelle des

concentrations, des interactions avec lerayonnement solaire et infrarouge, unfort gradient sud-nord du type de sur-face, ainsi bien sûr que le rôle importantdes interactions océan-atmosphère fontdu bassin méditerranéen une zone privi-légiée pour étudier les interactions entreparticules atmosphériques, rayonne-ment et climat à l’échelle régionale.

Le programmeCharmexLe but du programme Charmex2 (lacomposante « chimie atmosphérique »du programme international Mistrals3)et plus spécifiquement de son groupede travail « aérosol-rayonnement » étaitd’aborder la question scientifique desinteractions entre aérosols, rayonne-ment et climat sur cette région.L’objectif était d’étudier les possiblesréponses de la dynamique atmosphé-rique, des échanges air-mer, de l’évapo-ration, de la nébulosité, des préci-pitations et plus largement du cycle del’eau au forçage radiatif exercé par lesparticules. Il s’agit là en effet de ques-tions majeures pour cette région quiconnaît une demande en eau toujoursplus importante, notamment dans leMaghreb et à l’est du bassin, où auralieu l’essentiel de la croissance démo-graphique du bassin méditerranéendurant ce siècle. Il apparaît donc primor-dial d’améliorer notre connaissance deces processus « aérosol-rayonnement-climat » sur cette région afin de mieuxles prendre en compte dans les simula-tions climatiques futures et de mieuxprévoir et anticiper les ressources en eaudisponibles.

1. Mesure le déséquilibre radiatif au sommet del’atmosphère induit par une perturbation clima-tique avant que le système climatique n’ait letemps de répondre.2. Chemistry-aerosol Mediterranean experiment.3. Mediterranean integrated studies at regionaland local scales.

Figure 1. Dispositif instrumental déployé pendant la campagne Charmex/Adrimed (Aerosol directradiative impact in the Mediterranean) (SOP-1a) sur l’ouest du bassin méditerranéen, avec les différents sites de mesures au sol, ainsi que la base aéroportée de Cagliari.

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Figure 2. Photo des stations instrumentées du cap Corse (Ersa, en haut) et de Lampedusa (en bas)pendant la SOP-1a.

Le dispositif expérimental de la SOP-1aUn important dispositif expérimental aainsi été mis en place pendant l’été2013 (du 10 juin au 5 juillet) sur le bas-sin occidental de la Méditerranée(f igure 1). Cette grande campagned’observations (SOP-1a4) a permisd’effectuer des mesures in situ sur diffé-rentes stations au sol, associées à desobservations aéroportées à l’aide desdeux avions de recherche français(ATR-42 et F-20 gérés par Safire5). Desmesures ont également été effectuées àl’aide de ballons sondes et de ballonsplafonnants (appelés BPCL, pour bal-lons pressurisés de couche limite) misen œuvre par le Cnes. Tous ces moyensexpérimentaux ont fourni un jeu dedonnées unique permettant d’étudier lespropriétés des aérosols et leurs inter-actions avec le rayonnement, et d’éva-luer la capacité des modèles de climat àreproduire le cycle des particules danscette région – leur émission, leurtransport, l’évolution de leurs propriétésphysico-chimiques et optiques, leurstructure verticale – dans le but d’esti-mer leur impact sur le bilan radiatif et le climat.

Les super-sites à l’actionDans le cadre de la SOP-1a, deux « super-sites » ont été instrumentés afinde caractériser les propriétés des parti-cules à Ersa, au nord du cap Corse, etsur l’île de Lampedusa (figures 1 et 2).Autant que possible, ces deux sites ontété instrumentés de manière quasi simi-laire. Deux containers (appartenant auCNRM et au LSCE) ont été mis enplace sur le site du cap Corse, et laplate-forme mobile Pegasus6 (du Lisa)est venue compléter le dispositif instru-mental de la station pour l’observationdu climat de l’Enea7 sur le site deLampedusa (figure 2). En parallèle,plusieurs sites secondaires (moinsinstrumentés que les deux précédents)ont également été utilisés, comme lessites Earlinet-Aeronet de Barcelone,Grenade (Espagne) ou Lecce (Italie).Une nouvelle station a également étédéployée sur l’île de Minorque qui aaussi accueilli la station de lancementdes ballons. Tous ces sites étaient répar-tis de façon à pouvoir échantillonner lesgrands types de particules observés enMéditerranée. Le site d’Ersa était plus

spécifiquement destiné à l’observationdes masses d’air polluées provenant ducontinent européen (notamment de laplaine du Pô et de la région deMarseille/Berre), alors que le site deLampedusa était dédié majoritairementà l’observation des poussières déser-tiques et de la pollution « âgée ». Lessites de Minorque, Grenade et de Barce-lone, bien que moins instrumentés,étaient complémentaires, car suscep-tibles d’échantillonner la pollutiondepuis la péninsule Ibérique et les pous-sières désertiques remontant par la merd’Alboran. Les deux avions de recher-che étaient basés à Cagliari (Sardaigne),au centre de la région d’étude, et la locali-sation de la station des ballons àMinorque avait été choisie pour pouvoirdocumenter les transports de poussièressahariennes. Les moyens aéroportésétaient déployés en fonction des observa-tions et des prévisions de divers modèlesmétéorologiques et de chimie-transportopérationnels, les produits graphiquesétant rassemblés sur un site internet decampagne (http://choc.sedoo.fr). Celui-ciétait particulièrement intéressant pourdéfinir les plans de vol des deux avionspendant la campagne.

Les propriétés des particulesd’aérosols mesurées à la surfaceAfin de caractériser la granulométrie del’aérosol sur l’ensemble de son spectredimensionnel, des compteurs optiques(OPC, optical particle counter) et desinstruments à mobilité électrique

(SMPS, scanning mobility particlesizer) ont été utilisés aux stations desurface. En parallèle, des mesures de lacomposition chimique en espèces solu-bles (sulfates, nitrates, chlorure...) àhaute fréquence temporelle ont égale-ment été réalisées à l’aide de systèmesPILS (particle into liquid sampler) auxdeux super-sites. Le mélange des aéro-sols submicroniques a été caractérisé àl’aide d’un V-H-TDMA (volatilization-humidification tandem differentialmobility analyser) sur le site d’Ersa. Enparallèle, la composition chimique de lafraction non réfractaire des particulesfines (PM1) a également été mesurée àErsa par un spectromètre de masse et àLampedusa à l’aide de l’instrumentnational C-ToF-AMS (compact-time-of-flight aerosol mass spectrometer).Afin de compléter ces mesures en ligne,la composition chimique des particulesa également été obtenue grâce à des collectes sur filtres pour différentesgammes de taille.

Les propriétés optiques des particules(diffusion, absorption, extinction8), trèsimportantes pour notre étude, ont étéestimées à l’aide de néphélomètres pour quantif ier la diffusion de lalumière dans trois longueurs d’onde.L’absorption du rayonnement par les

4. Special Observation Period.5. Service des avions français instrumentés pourla recherche en environnement.6. Portable gas and aerosol sampling units.7. Agenzia nazionale per le nuove tecnologie, l’energia e lo Sviluppo economico sostenibile.8. L’extinction correspond à la somme de la diffusion et de l’absorption.

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Lampedusa (mn = 0.23)

Jours

Jours Jours

1.00

0.75

0.50

0.25

0.00

AO

D

AO

D m

ode

Fin

(44

0 n

m)

1.0

0.9

0.8

0.7

0.6

0.5

0.4

0.3

0.2

0.1

0.0

AO

D m

ode

gros

sier

(44

0 n

m) 1.0

0.9

0.8

0.7

0.6

0.5

0.4

0.3

0.2

0.1

0.0

07/06 10/06 13/06 16/06 19/06 22/06 25/06 28/06 01/07 04/07

07/06 10/06 13/06 16/06 19/06 22/06 25/06 28/06 01/07 04/0707/06 10/06 13/06 16/06 19/06 22/06 25/06 28/06 01/07 04/07

Ersa (mn = 0.16)

Cap En Font (mn = 0.21)

Lampedusa (mn = 0.13)

Ersa (mn = 0.13)

Cap En Font (mn = 0.15)

Lampedusa (mn = 0.09)

Ersa (mn = 0.02)

Cap En Font (mn = 0.04)

ADRIMED – AOD

ADRIMED – AOD – mode fin ADRIMED – AOD – mode grossier

Figure 3. Épaisseurs optiques moyennes journalières (mesurées à 440 nm) totale, du mode fin (dia-mètre de l’aérosol inférieur à 1 µm) et grossier (diamètre supérieur à 1 µm) de l’aérosol, estiméessur les trois stations d’Ersa, de Cap d’En Font et de Lampedusa pendant la campagne SOP-1a. Lesmoyennes sur toute la période sont indiquées.

particules a été estimée à l’aide d’aetha-lomètres. Cette dernière propriété estcruciale et doit être prise en compte demanière rigoureuse dans les modèlesclimatiques (Solmon et al., 2008). Elleest souvent représentée par l’albédo desimple diffusion (rapport entre la diffu-sion et l’extinction du rayonnement).Enfin, des mesures de flux descendants(direct et diffus) dans le spectre visibleet proche infrarouge ont été effectuéessur les deux stations. L’instrumentationcomplète utilisée pour la campagne estdétaillée dans Mallet et al. (2015).

Les mesures de télédétectiondepuis la surfaceEn plus des mesures in situ effectuéesdans les stations au sol, des observa-tions complémentaires permettant defournir des informations sur toute lacolonne atmosphérique ont été réaliséespar télédétection sur les différents sitesmentionnés. Principalement, deux typesd’instruments ont été utilisés : des sys-tèmes lidars et des photomètres solaires.Les premiers sont des systèmes de télé-détection dite active (car munis d’unesource de rayonnement laser) fournis-sant une information sur la répartitionverticale des aérosols. Certains systè-mes permettent d’obtenir une infor-mation supplémentaire sur le typed’aérosols grâce à la mesure de la dépo-larisation du rayonnement (due aux par-ticules non sphériques). Ces instru-ments étaient déployés en continu surles sites d’Ersa, de Lampedusa et deMinorque, ainsi qu’à Barcelone etGrenade.

En parallèle, des observations effec-tuées à l’aide de photomètres solaires(à plusieurs longueurs d’onde) ont étéobtenues en partenariat avec le réseauAeronet/Photons (Aerosol robotic net-work/Photons). Ces instruments detélédétection fournissent des informa-tions sur les particules intégrées sur lacolonne atmosphérique. L’un des para-mètres optiques dérivés est l’épaisseuroptique qui représente l’atténuation durayonnement sur toute la colonneatmosphérique. Durant la SOP-1a, plu-sieurs photomètres supplémentairesont été déployés, en particulier sur l’îlede Minorque et à Cagliari. Au total,plus de dix photomètres étaientdéployés sur le bassin occidental. Les

mesures d’épaisseur optique à 440 nm(totale et pour les modes granulo-métriques fin et grossier de l’aérosol)obtenues sur quatre stations sont rassemblées sur la figure 3.

Les observations aéroportées(avions et ballons)Pour compléter les mesures aux stationsde surface, deux avions de recherche,l’ATR-42 et le F-20, ont été utilisésdurant la campagne. Ces deux avionsétaient basés à Cagliari afin de pouvoireffectuer un survol des deux stations enfonction des conditions météorolo-giques et du transport des particules.Les mesures in situ des propriétés desparticules étaient effectuées à bord del’ATR-42, celles par télédétectionactive (LNG, lidar nouvelle génération)et passive (radiomètre Osiris9) à bord duF-20. Les instruments installés à bordde l’ATR-42 étaient quasi identiques àceux utilisés à la surface. Cependant,deux instruments récents (SP2, singleparticle soot photometer, et CAPS,cavity attenuated phase shift) ont étédéployés pour la première fois à bord del’ATR-42 af in de caractériser laconcentration en carbone suie, ainsi quel’extinction du rayonnement dans levisible, apportant une contrainte fortepour l’estimation des propriétés d’ab-sorption des particules. En parallèle,des mesures du radiomètre Plasma10 ontégalement été effectuées dans plusieurs

bandes spectrales afin de déterminer lastructure verticale de l’épaisseuroptique. Enfin, des mesures de flux(descendants et montants) dans les spec-tres solaire et infrarouge ont été réaliséesà bord des deux avions de recherche.

Trois grandes zones du bassin occiden-tal ont été couvertes durant la campagned’observations SOP-1a en lien avec lesconditions synoptiques (figure 4). Lorsde la première période (du 17 au 20 juin), les vols ont été principalementeffectués sur l’ouest de la zone, incluantun survol et des mesures à plusieursaltitudes (profils verticaux) au-dessusdes sites instrumentés de Grenade(figure 5) et de Minorque. Dans unsecond temps, plusieurs vols ont étéeffectués sur la zone aérienne militairefrançaise (dénommée D54) permettantd’effectuer des profils au-dessus de lastation instrumentée d’Ersa. Enfin, lorsde la dernière partie de la campagne, denombreux vols ont été réalisés sur lazone « Sicile-Lampedusa ». Ces mesu-res ont permis de caractériser les pro-priétés microphysiques et optiques despoussières désertiques provenant dunord de l’Afrique.

Associées aux mesures aéroportées, des observations ont également étéeffectuées sur des ballons plafonnants et par radiosondages, principalementpour caractériser la granulométrie des particules à l’aide du compteur granulométrique LOAC (light optical

9. Observing system including polarisation in thesolar infrared spectrum.10. Photomètre léger aéroporté pour la sur-veillance des masses d’air.

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33La Météorologie - n° 91 - novembre 2015

Figure 4. Plans de vols des deux avions de recherche ATR-42 et F-20 effectués lors de la campagneSOP-1a, en juin et juillet 2013.

aerosol counter) développé pour l’oc-casion, certains ballons embarquantune sonde ozone. Les ballons plafon-nants de couche limite sont conçuspour dériver avec le vent à un niveaude densité atmosphérique donné dansla basse troposphère. Quatorze vols deballons ont été effectués avec succès,

entre environ 1850 et 3350 m d’alti-tude. Ces ballons ont été lancés suralertes, notamment lors de remontéede poussières africaines (épisodes du15 au 19 juin 2013 et du 2 juillet2013), ainsi que lors du passage d’unpanache de feux de forêts d’originenord-américaine (27-28 juin).

Les conditions météorologiques pendant la campagneLes conditions synoptiques rencontréeslors de la SOP-1a ont permis l’émissionet le transport de particules désertiquesde manière régulière sur le bassin médi-terranéen et plusieurs cas ont donc puêtre observés et échantillonnés. Lafigure 6 illustre l’épaisseur optiquemoyenne quotidienne (à 550 nm) obte-nue par l’instrument Seviri du satelliteMSG sur plusieurs jours pour la périodedu 16 juin au 2 juillet. Ces observationsspatiales indiquent clairement desvaleurs modérées de l’épaisseur optiquecomprises entre 0,1 et 0,6.

En tout début de campagne, après despluies dans la nuit du 9 au 10 juin, unflux d’ouest-nord-ouest a régné sur lamajeure partie du bassin occidental. Unfaible géopotentiel (à 700 hPa) localiséau large du golfe de Gascogne a pro-gressivement généré un flux de secteursud-ouest restant faible sur l’Espagne,créant ainsi des conditions favorables à un transport de poussières désertiquesgagnant la mer d’Alboran à partir du 12 juin, puis le sud de l’Espagne àpartir du 14 juin et les îles Baléares àpartir du 16. Ce système dépressionnaires’est ensuite déplacé sur le golfe deGascogne à compter du 18 juin, renfor-çant les vents de secteur sud et entraî-nant de fortes épaisseurs optiques entreles îles Baléares et la Corse (figure 6).

Après le 20 juin, un régime météorolo-gique différent s’est installé sur le nord-ouest du bassin induisant un fluxmajoritairement d’ouest associé à unediminution des charges en particulesentre le 21 et le 23 juin sur l’ouest dubassin. Le panache de poussières déser-tiques se décalant vers l’ouest a entraînéune augmentation de la turbidité sur lebassin central, notamment au niveau dela station de Lampedusa. À partir du 24 juin, un flux de nord-ouest a amenésur le bassin occidental des masses d’air d’origine nord-américaine, avecdes épaisseurs optiques fortes du 26 au28. Enfin, le géopotentiel (à 700 hPa)observé le 29 juin indique un maximumsur le proche-atlantique induisant unvent de direction nord à nord-ouest surla majorité du bassin occidental, associéà de faibles valeurs de l’épaisseuroptique. Durant la dernière partie de lacampagne (30 juin au 5 juillet), des ventsde nord à nord-est ont majoritairementtransporté des masses d’airs chargées enaérosols désertiques sur le sud du bassinoccidental et le site de Lampedusa.

Figure 5. Photo prise à bord de l’ATR42 lors du vol entre Minorque et la station de Grenade où l’onobserve très clairement la couche de poussières désertiques.

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34 La Météorologie - n° 91 - novembre 2015

Figure 6. Épaisseur optique en particules ou AOD (aerosol optical depth) restituée à 550 nm par lecapteur Seviri du satellite MSG sur plusieurs journées lors de la période de la campagne SOP-1a.L’échelle de couleur représente l’AOD restituée.

Pour finir, il faut noter que les condi-tions météorologiques lors de la campa-gne (absence de températures élevées,périodes de mistral et de tramontane)

n’ont pas permis le développement de forte pollution photochimique sur le bassin occidental. Les observationsont donc principalement concerné les

poussières sahariennes, des feux de bio-masse intense provenant du continentnord-américain autour du 27 juin et lesaérosols marins échantillonnés en bas-ses couches lors de périodes de ventmodéré.

Résultats issus des observationsaéroportéesLa première partie de la campagne aété principalement dédiée à l’étuded’un événement de poussières déser-tiques observé sur la partie occiden-tale du bassin entre l’Espagne et lesîles Baléares entre le 16 et le 20 juin.Ces masses d’air riches en poussièresdésertiques ont été particulièrementbien observées par les instruments detélédétection déployées à la surface.Les lidars installés sur l’île deMinorque et au cap Corse ont en effetidentif ié le passage de ces couches de particules désertiques entre 2 et 4 km d’altitude à Minorque et entre 4et 6 km au cap Corse, où l’on note uneaugmentation du coefficient d’extinc-tion jusqu’à 0,06 km–1 (figure 7). Enparallèle, les données du lidar LNGembarqué à bord du F-20 ont montréune structure verticale complexe avecplusieurs couches de particules biendistinctes au-dessus de la couchelimite marine (principalement compo-sée de poussières désertiques). Lessondages utilisant les compteursoptiques embarqués sur l’ATR-42 etsur ballon conf irment la présence de particules désertiques jusqu’à plu-sieurs dizaines de micromètres de diamètre en altitude au-dessus deMinorque du 15 au 19 juin. En paral-lèle, les observations ont montré peude variation du diamètre effectif despoussières durant leur transport.

L’utilisation de la télédétection lors decet épisode montre des épaisseursoptiques modérées (entre 0,1 et 0,7 à440 et 550 nm, figures 3 et 6) avec unecontribution équivalente à l’atténuationdu rayonnement due aux fractions fineet grossière des particules désertiques(figure 3). Lors de ce premier épisode,des profils verticaux ont été réalisés parl’ATR-42 au-dessus des sites instru-mentés en surface, comme celui du capCorse. Les propriétés optiques des particules ont donc été déterminées surla verticale indiquant des coefficientsd’extinction pouvant atteindre desvaleurs importantes de 100 Mm–1

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Figure 8. Profil vertical (ATR-42) du coefficient de diffusion, d’extinction, de la concentration en nombre de particules et de la distribution granulométriqueen volume, observé au-dessus du super-site de Lampedusa pour le vol du 22 juin (Dp est le diamètre de l’aérosol). La figure de gauche permet d’observerune forte dépendance spectrale de la diffusion, entre la surface et 3 000 m (aérosol de taille inférieure à 1 µm) et une dépendance spectrale plus faibleentre 3 000 et 6 000 m (aérosol de taille plus importante comme les poussières désertiques). Denjean et al. (2015)

Les propriétés optiques mesurées ontensuite été utilisées dans des modèlesde transfert radiatif unidimensionnelafin d’estimer l’impact de ces particulessur le rayonnement solaire à l’échellelocale et à différents niveaux atmo-sphériques. Les premiers résultats ontindiqué un forçage radiatif directimportant à l’échelle locale, avecnotamment un impact significatif à lasurface lié à une diminution forte durayonnement solaire due aux particulesdésertiques. Les premières simulations,validées à l’aide des mesures de rayon-nement aéroportées, indiquent en effetune diminution comprise entre 30 et 90 Wm–2 à la surface de la mer en fonc-tion de la concentration et des proprié-tés optiques des particules. Ces valeurs

sont tout à fait cohérentes avec certainesdéjà référencées sur la Méditerranée parRoger et al. (2006) ou di Sarra et al.(2008).

Le deuxième épisode présenté ici a étéobservé lors de la deuxième partie dela campagne, qui s’est principalementdéroulée sur le bassin central de laMéditerranée. Comme indiqué précé-demment, des concentrations impor-tantes en poussières désertiques ont étéobservées sur la station de Lampedusale 22 juin, permettant de réaliser desvols aéroportés intéressants sur cettezone en parallèle des mesures effec-tuées au sol. Les observations réaliséesà bord de l’ATR-42 lors de cet évé-nement indiquent encore une structureverticale complexe (f igure 8). Lesaérosols désertiques sont princi-palement localisés en altitude (entreenviron 3 000 et 6 000 m) et associés à des maxima de coefficient de diffu-sion et d’extinction respectivement del’ordre de 60 et 100 Mm–1. Cette cou-che de poussières est également biendétectée par les mesures de granulo-métrie avec un mode autour de 8-9 µmcaractérisé par de fortes concentra-tions. Entre la surface et 3 000 m, plu-sieurs couches riches en particulessubmicroniques sont détectées etnotamment une première entre la sur-face et 1 000 m et une seconde entre 2 000 et 3 000 m. Dans ce cas, lesextinctions observées sont souventplus faibles que celles détectées dansla couche de poussières.

Station Ersa 20-2610

8

6

4

2

00.00 0.10 0.20 0.30 0.40

Alti

tude

(km

)

Extinction Particulaire 550 nm (km–1)

Station Minorque 16–06Station Minorque 17–06

10

8

6

4

2

00.00 0.10 0.20 0.30 0.40

Extinction Particulaire 550 nm (km–1)

Alti

tude

(km

)

Figure 7. Exemples de mesures par lidar (sur les stations d’Ersa et de Minorque) de l’extinction parti-culaire (km–1) à 550 nm observée entre le 16 et le 20 juin.

(0,1 km–1) pour les couches atmosphé-riques chargées en poussières miné-rales. Comme indiqué précédemment,une des originalités de cette campagne aété de coupler des mesures de diffusionet d’extinction afin de contraindre aumieux les propriétés d’absorption desaérosols, qui sont très difficiles à esti-mer à partir de mesures se fondant uniquement sur la transmission durayonnement. Cet apport a permis d’estimer de manière plus précise l’albédo de simple diffusion des diffé-rents types d’aérosols. Pour ce cas, desvaleurs de 0,90 (à 520 nm) ont été observées dans les couches de pous-sières, indiquant un aérosol ayant la capacité d’absorber de manière nonnégligeable le rayonnement solaire.

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36 La Météorologie - n° 91 - novembre 2015

La modélisation des interactions « aérosols-rayonnement-climat »en MéditerranéeQuantifier l’impact des particules sur leclimat méditerranéen nécessite desmodèles météorologiques à haute réso-lution horizontale (typiquement de 1 à10 km) ou de climat régional (avec unerésolution de 10 à 50 km), prenant encompte les aérosols atmosphériques etleur influence sur le rayonnement, viaun couplage entre le schéma d’aérosolet le code de rayonnement. Généra-lement, des paires de simulations sontréalisées, en incluant ou non les parti-cules dans les simulations, afin de com-parer certaines variables météoro-logiques (température, humidité rela-tive, couverture nuageuse, précipita-tions) et de rayonnement entre ces deuxsimulations. Deux modèles de climatrégional sont utilisés dans le cadre de ceprojet : le système de modélisationrégionale couplée CNRM-RCSM(Sevault et al., 2014 ; Nabat et al.,2015) et le modèle régional de climatRegCM (Giorgi et al., 2012), développéau Centre international de physiquethéorique (ICTP). CNRM-RCSM estdéveloppé au CNRM et intègre notam-ment le modèle atmosphérique Aladin-Climat et le modèle océaniqueNemomed. Ces deux modèles représen-tent de manière simplifiée les aérosolsatmosphériques, soit en imposant desvaleurs mensuelles d’épaisseur optique(fondée sur des données satellites et demodélisation, Nabat et al., 2013), soiten activant un schéma interactif d’aéro-sols considérant un mélange externe desdifférentes espèces et utilisant quelquesclasses de tailles pour représenter lespectre dimensionnel des particules. Àl’heure actuelle, ces modèles de climatne considèrent pas encore les aérosolsorganiques secondaires (SOA). Cettereprésentation permet de réaliser dessimulations à des échelles « clima-tiques » (saisonnières, pluri-annuelles etselon des scénarios).

Dans un premier temps, différentsmodèles ont été évalués sur leur capa-cité à reproduire l’épaisseur optique en aérosols. La figure 9, montrant descomparaisons entre ces deux modèlesde climat (et le modèle de chimie-transport Chimere) et les observationsAeronet/Photons sur le site deLampedusa, indique la bonne capacitédes modèles à reproduire l’ordre de

grandeur de ce paramètre avec des biaisgénéralement faibles (de l’ordre de0,05). Des tests sont également effec-tués pour évaluer la capacité desmodèles à simuler la granulométrie desaérosols, leur structure verticale etleurs propriétés optiques, à partir desobservations in situ obtenues durant la campagne, avant d’effectuer des

simulations sur de plus longues pério-des. Des premières simulations de l’ef-fet radiatif direct, effectuées avec lesdeux modèles de climat régional(figure 10), indiquent des valeurs for-tes sur la région euro-méditerranéenne.Les particules induisent en effet uneréduction du rayonnement visible à lasurface comprise entre 30 et 50 Wm–2

Lampedusa

Days

CNRM – RCSM (std = 0.15 , corr = 0.82 , biais = 0.05)

CHIMERE (std = 0.11 , corr = 0.85 , biais = 0.03)

RegCM (std = 0.06 , corr = 0.55 , biais = –0.03)

AERONET Lvl_1.5 (std = 0.09)

1.0

0.8

0.6

0.4

0.2

0.007/06 10/06 13/06 16/06 19/06 22/06 25/06 28/06 01/07 04/07

AO

D (5

00

nm

)

Figure 9. Comparaison entre les simulations de l’épaisseur optique en aérosol (à 500 nm) par lesmodèles Chimere, CNRM-RCSM et RegCM sur toute la période de la SOP-1a et les observationsAeronet/Photons sur le site de Lampedusa.

Figure 10. Forçage radiatif direct (pour le spectre solaire uniquement et moyenné sur toute la périodede la SOP-1a, en Wm–2) exercé par les aérosols estimé à l’aide des modèles CNRM-RCSM (haut) etRegCM (bas) à la surface (gauche) et au sommet de l’atmosphère (TOA, droite).

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37La Météorologie - n° 91 - novembre 2015

Figure 11. Différence moyenne a) de température de surface de la mer (°C), b) de la perte en chaleurlatente (Wm–2), c) de l’humidité spécifique (g kg–1) à 925 hPa et d) des précipitations (mm jour–1)entre deux simulations incluant ou non les aérosols (naturels et anthropiques). Les moyennes sontréalisées sur la période 2003-2009 et seules les valeurs significatives sont tracées. Adaptée deNabat et al. (2015).

sur le nord de l’Afrique où sont simu-lées les plus fortes épaisseurs optiques.Les diminutions sont logiquement plusmodérées (~10 Wm–2) sur l’Europe et sont principalement liées aux aéro-sols de pollution sur la zone duBenelux ou des Balkans. Au sommetde l’atmosphère, la figure 10 indiqueun contraste fort entre le sud et le nordde la région. Sur l’Afrique du Nord, leforçage radiatif est positif, car les aéro-sols sont localisés au-dessus de sur-faces réfléchissantes. À l’inverse, surla mer Méditerranée et l’Europe, le forçage radiatif direct est négatif, parfois jusqu’à –15 Wm–2.

L’objectif final de ce projet est d’étudierla réponse du climat de la région médi-terranéenne à ce forçage radiatif directet semi-direct. Pour cela, des premièressimulations ont été réalisées à deséchelles climatiques (simulations pluri-annuelles de 2003-2009) à l’aide dusystème de modélisation régionale couplée CNRM-RCSM, en imposantune climatologie réaliste d’aérosols. Ici,l’une des avancées importantes a été depouvoir, pour la première fois, estimerl’impact du forçage radiatif des parti-cules sur les flux échangés entre la merMéditerranée et l’atmosphère, ainsi que sur la température de surface de lamer. Les résultats ont tout d’abordconf irmé le forçage radiatif directimportant des particules aux échellesclimatiques, avec notamment un

forçage (dans le solaire) de –20 Wm–2

sur la mer Méditerranée et de –15 Wm–2

sur l’Europe. Le forçage radiatif exercéau sommet de l’atmosphère étant lui de –10,5 Wm–2 (mer Méditerranée) et–6,5 Wm–2 (Europe). Ces simulationsont également indiqué un forçage radia-tif semi-direct positif à la surface de +5 Wm–2, dû à la modification de lacouverture nuageuse et de la circulationatmosphérique.

Le couplage océan-atmosphère utiliséici plutôt qu’un forçage climatologiquede température de surface de la mer apermis de mettre en évidence l’impactdu forçage radiatif des particules sur latempérature de surface de la mer, avecune diminution de 0,5 °C en moyennesur le bassin avec des contrastes mar-qués (figure 11a). En parallèle, les fluxde chaleur latente entre mer etatmosphère sont également fortementmodifiés (figure 11b) avec une dimi-nution annuelle moyenne de 11 Wm–2

entre les deux simulations incluant ounon les aérosols (naturels et anthro-piques), réduisant ainsi l’humidité spé-cifique dans la basse troposphère de0,2 g kg–1 en moyenne (figure 11c).Les précipitations sont en conséquenceaussi réduites par les aérosols sur toutela région méditerranéenne (f igure11d). En moyenne, sur la période2003-2009, cette réduction atteint 0,2 mm jour–1, soit environ 10 % desprécipitations (Nabat et al., 2015).

Conclusions, perspectivesLa campagne Charmex/Adrimed, quis’est déroulée sur le bassin occidentalde la Méditerranée pendant l’été 2013,a été l’occasion de déployer des moyensexpérimentaux importants au sol etaéroportés permettant de documenterles propriétés physico-chimiques etoptiques des aérosols, leur structureverticale et leur impact sur le rayonne-ment. Les conditions synoptiques rencontrées lors de la campagne ontengendré des transports réguliers d’aérosols désertiques sur le bassinprincipalement depuis des régions sour-ces algériennes, marocaines et tunisien-nes. Ces mêmes conditions n’ont paspermis le développement d’épisodes depollution intense pendant cette période.En parallèle, des cas favorables de ventsmodérés ont permis d’échantillonnerdes aérosols marins primaires générés à la surface marine.

Ces masses d’air ont conduit à desépaisseurs optiques modérées compri-ses entre 0,1 et 0,6 (à 440 nm) à l’échelle du bassin occidental. Prin-cipalement localisées entre 3 et 6 km etdonc non échantillonnées à la surface,les particules désertiques ont pu l’être àl’aide de nombreux vols aéroportées.Au niveau expérimental, l’une des originalités de cette campagne a été l’utilisation de mesures aéroportéesd’extinction du rayonnement indépen-damment des autres mesures optiquesclassiquement utilisées. Ces mesuresont révélé des maxima importants (~ 100 Mm–1 à 520 nm) de l’extinctiondu rayonnement dans certaines couchesatmosphériques. L’association des diffé-rentes mesures optiques a permis égale-ment d’estimer l’albédo de simplediffusion avec une meilleure précision.

Les mesures par lidar réalisées au solsur plusieurs sites ainsi que celles effec-tuées à l’aide du lidar LNG embarqué àbord du F-20 ont indiqué une structureverticale complexe avec des couchesbien identifiées comme la couche limitemarine marquée par des extinctions nonnégligeables (dues aux aérosols marinset de pollution) associées à de fortesvaleurs dans la troposphère libre, typi-quement entre 3 et 6 km, liées à la pré-sence des poussières désertiques. Toutesces informations ont servi d’entrées àdes modèles de rayonnement 1-D pourestimer l’impact radiatif direct des aéro-sols lors du survol des stations. Ces esti-mations locales ont été complétées desimulations 3-D à l’échelle régionale

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38 La Météorologie - n° 91 - novembre 2015

afin d’évaluer l’influence des aérosolssur le bilan radiatif de cette région et sesrétroactions climatiques.

Les premiers résultats issus des simu-lations régionales ont mis en évidenceun forçage radiatif direct important à la surface avec des maxima localisésdans le nord de l’Afrique. Au sommetde l’atmosphère, le forçage radiatif esttrès contrasté avec des valeurs posi-tives sur l’Afrique du Nord et néga-tives sur la mer et le continenteuropéen, lié en grande partie aux dif-férences d’albédo de surface. Cessimulations indiquent également desdifférences fortes entre le forçageradiatif exercé en surface et celui ausommet de l’atmosphère, dues à l’ab-sorption du rayonnement dans les cou-ches atmosphériques où sont localiséesles particules. L’impact de ce forçageradiatif direct et semi-direct sur le climat a été étudié ici pour la pre-mière fois à des échelles climatiques à l’aide d’un modèle incluant un couplage entre la mer Méditerranée etl’atmosphère. Cet outil de modéli-sation original (CNRM-RCSM) a per-mis d’étudier la modification des fluxd’humidité, de température de surfacede la mer et de dynamique océanique,liée au forçage radiatif des aérosols.Les premières simulations ont indiquéun impact important sur le cyclehydrologique à l’échelle du bassin enréduisant notamment la nébulosité etles précipitations.

Un résultat majeur est l’impact du for-çage radiatif des aérosols sur les précipi-tations, qui sont diminuées de près de 15 % sur certaines régions d’Afrique du Nord comme la Tunisie. Des dimi-nutions sont aussi notées sur certainesparties de l’Europe comme la Grèce.Ces premiers résultats indiquent claire-ment que les simulations climatiques

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Bibliographie

régionales prévues sur la Méditerranée,notamment dans le cadre de la secondephase du projet international Med-Cordex (www.medcordex.eu), devrontprendre en compte les différentes espè-ces particulaires et leurs interactionsavec le rayonnement afin d’améliorer leréalisme des simulations du climat danscette région.

RemerciementsCe projet a été soutenu par le programme Mistrals/Charmex(http://charmex.lsce.ipsl.fr) et par des

projets associés : Adrimed (soutenupar l’ANR), Caliosiris (campagne demesures aéroportée lidar LNG/HRS-Osiris), Epacmed (Evaluation ofaerosol Parasol and Caliop obser-vations over Mediterranean), ballonsCharmex (soutenus par le Cnes) et Corsica (Centre d’observation régio-nal pour la surveillance du climat et de l’environnement atmosphérique et océanographique en Méditerranéeoccidentale, voir La Météorologie,numéro 85, page 6) soutenu par la collectivité territoriale de Corse.