inra magazine n°14 - octobre 2010

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magazine Alimentation Agriculture Environnement INR A N°14 - OCTOBRE 2010 REPORTAGE Fireparadox : Feu contre feu RECHERCHE Des levures qui carburent DOSSIER Les recherches pour l’avenir de la PAC REGARD L’Europe invente une nouvelle forme de coopération

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À l’occasion de la sortie du document d’orientation Inra 2010-2020, Marion Guillou, présidente de l’Inra, livre son analyse des grands enjeux qu’il porte pour l’avenir de l’Institut. Les lauréats des Lauriers 2010 sont révélés. Le dossier central "Les recherches pour l’avenir de la PAC" donne quelques clés de compréhension, et montre en quoi la recherche menée à l’Inra en économie et en sciences sociales contribue aux débats et aux réflexions sur la PAC.Parmi les autres sujets : des chercheurs participent au décryptage du dialogue entre gènes et forme de la plante ; un reportage au cœur des forêts méditerranéennes pour lutter contre les incendies à Avignon. À lire également, une interview de Jean-François Soussana, président du Conseil scientifique de la programmation conjointe "Agriculture, sécurité alimentaire et changement climatique" et Tim Willis, membre du Comité directeur, qui livrent leurs réflexions sur cette nouvelle forme de collaboration scientifique européenne ; un retour sur un temps fort récent : l’expertise scientifique collective sur les comportements alimentaires.

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magazine

AlimentationAgricultureEnvironnementINRA

N°14 - OCTOBRE 2010

◗ REPORTAGEFireparadox :Feu contre feu

◗ RECHERCHEDes levures qui carburent

◗ DOSSIER

Les recherches pour l’avenir de la PAC

◗ REGARDL’Europe invente une nouvelle forme de coopération

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INRA MAGAZINE • N°14 • OCTOBRE 2010

◗sommaire

Directrice de la publication : Marion Guillou. Directeur éditorial : Jean-François Launay. Directeur de la rédaction : Antoine Besse. Rédactrice en chef : Pascale Mollier. Rédaction :Géraud Chabriat, Magali Sarazin, Brigitte Cauvin, Armelle Pérennès, Heather McKhann, Patrick Etiévant, Catherine Donnars, Anaïs Tibi. Photothèque : Jean-Marie Bossennec, Julien Lanson,Christophe Maître. Couverture : Illustration : Gianpaolo Pagni. Maquette : Patricia Perrot. Conception initiale : Citizen Press - www.citizen-press.fr. Impression : Imprimerie CARACTERE.Imprimé sur du papier issu de forêts gérées durablement. Dépôt légal : octobre 2010.

03◗ HORIZONSDocument d’orientation

Cinquième cérémonie des lauriers de l’Inra

07◗ RECHERCHES& INNOVATIONS

La meilleure façon de pousser

Des levures qui carburent

Elevage et biodiversité des prairies : des bénéfices réciproques

Choisit-on vraiment ce que l’on mange ?

25◗ REPORTAGEFeu contre feu

Tempête Xynthia : après l’inondation, une activité agricole à reconstruire

Manger comme un cochon, un modèle de recherche

32◗ IMPRESSIONS

34◗ REGARDL’Europe invente une nouvelle forme de coopération

ISSN : 1958-3923

En 2020, la PAC arrivera en fin de l’exercicebudgétaire débuté en 2014 et qui estactuellement en cours de négociation.

Nous saurons alors si les questions essentielles posées sur cette politique de soutien à l’agriculture auront trouvé des réponsesfécondes. La compétitivité des filières agricoles en ressortira-t-elle renforcée ? L’impact de la volatilité des prix sera-t-il contenu ? Le dossier de ce numéro fait le point sur les éclairages des économistes et des sociologues de l’Inra qui sont essentiels pour façonner l’avenirde cette politique agricole qui, ne l’oublions pas,influe et influera sur le prix de nos repas.

En 2020, l’Inra arrivera également à un pointd’étape important de son histoire, celui des nouvelles orientations décennales présentéesaujourd’hui. Les changements attendus dansl’Institut sont à la hauteur des problématiquesmondiales auxquelles la recherche agronomique est désormais confrontée : nourrir le monde,préserver la durabilité de la planète ou encorelimiter le changement climatique. Ce sont là des défis considérables que nous nous devons de contribuer à relever.

En 2020, ce sera aussi la 15e cérémonie des Lauriers de l’Inra ! Nous ne doutons pas que les futurs lauréats seront aussi brillants que ceux récompensés cette année pour leurs réalisations exemplaires. Penser à l’avenir n’empêche pas de célébrer le présent !

La rédaction

Chers lecteurs

INSTITUT NATIONAL DE LA RECHERCHE AGRONOMIQUE147 rue de l'Université • 75338 Paris Cedex 07 www.inra.fr

13◗ DOSSIERLes recherchespour l’avenir de la PAC

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Renseignements et abonnement : [email protected]

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Le précédent document d’orientation courait sur quatre ans. Ici, il couvre la décennie 2010-2020. Pourquoi ce changementd’amplitude ?Marion Guillou : Le pas de temps aété modifié en cours de processus.C’est l’avis du conseil scientifique quinous a fait évoluer sur ce point ennous suggérant de regarder plus loin.Un document d’orientation n’est pasun document opérationnel mais uncap scientifique. Par exemple, la thé-matique « agro-écologie » va être unescience à fonder, ce qui va demanderau moins 10 ans. Mais en cours deroute, nous pourrons être appelés àfaire évoluer une priorité au sein decette thématique.

Quel a été le processus de création de ce document ?M. G. : Ce document, validé le 18juin 2010 par le conseil d’administra-tion, a été pensé collectivement selon

A l’occasion de la sortie du document d’orientation Inra 2010-2020, Marion Guillou nous livreson analyse des grands enjeux qu’il porte pour l’avenir de l’Institut.

Le document d’orientation 2010-2020 « Travailler ensemble sur des problèmes mondialisés et pluridisciplinaires »

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plusieurs modalités de participation.Au début, en 2009, il y a eu la partici-pation des scientifiques de l’Inra quiont identifié quatre chantiers derecherche prioritaires (relance agro-nomique, adaptation au changementclimatique, transition alimentaire etbiologie prédictive…). Au cours del’été, ce premier texte a été soumis àl’avis de tous les conseils scientifiquesde centres et de départements. En juin2009, François Houllier proposait despistes pour une réorganisation quiavait fait l’objet d’une consultationdans les conseils de gestion. Suite àcela, à Dijon, en novembre 2009, nousavons présenté les chantiers de réor-ganisation de l’institut et notammentla décision de mettre en place desmétaprogrammes, ces programmesmultidisciplinaires et trans-départe-ments. Ces deux mouvements ontconvergé pour donner la versioninitiale du document qui a été sou-mise à la consultation externe. Celle-ci a été particulièrement ouverte et

innovante puisqu’en plus de laconsultation classique de nos parte-naires, il y a eu l’initiative du blog (1)et l’organisation d’une réunion degroupes de travail avec acteurs et par-tenaires. Cette consultation externea imprimé sa marque sur le docu-ment final. Avec, par exemple, unaccent mis sur la priorité à la durabi-lité et sur une plus grande placeaccordée aux acteurs dans le proces-sus de nos recherches.

Un accent est mis sur la recherche participative,pouvez-vous expliquer les changements que cela implique ?M. G. : Nous avons mis en placedepuis deux ans des modalités de tra-vail très originales. Avec les groupe-ments d’intérêts scientifiques (GIS)sur la production intégrée en agricul-ture ou élevage qui impliquent deregarder l’ensemble des facettes du tra-vail depuis les inventions d’où qu’elles

© William Beaucardet

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viennent, jusqu’à l’insertion dans lapratique par les acteurs. Avec DuA-LIne, une prospective sur les systèmesalimentaires durables, le groupe de tra-vail comprend dès le départ des ONG,des professionnels et des scientifiques.Il reste à mesurer l’impact de cette nou-velle philosophie sur nos pratiques.

Quelle influence aura ce document sur le fonctionnement de l’Institut ?M. G. : Un document d’orientationadresse un message. Par exemple, enconstituant une nouvelle disciplinecomme l’agro-écologie, c’est un mes-sage pour le décloisonnement desagronomes et des écologues. L’idéen’est pas de faire brusquement changerde discipline intellectuelle les cher-cheurs, un virologue restera virologuemais s’il rejoint les programmes surla gestion intégrée de la santé des ani-maux, il devra prendre en compte dansson raisonnement la conduite de trou-peau, la génétique, l’environnement…C’est donc aux équipes de réfléchirau position nement qu’elles voudrontadopter en connaissant les directionsque l’Institut privilégiera. Nous avonsmaintenant du recul sur l’influencedu précédent document d’orienta-tion et nous constatons un infléchis-sement notable de la nature despublications sur les thèmes choisis,ce qui dénote une large adhésion auxnouveaux projets.

Pouvez-vous définir l’agro-écologie qui fait partie dedeux chantiers scientifiquesinterdisciplinaires prioritaires ?M. G. : L’agro-écologie représente icila convergence entre l’agronomie et l’écologie. Nous allons utiliser laconnaissance des processus écologiquespour enrichir la recherche agrono-mique. Par exemple, grâce à la méta-génomique nous avons les moyens derelier la fertilité d’un sol avec l’état de sapopulation microbienne. En intégrantces connaissances aux pratiques agro-nomiques, nous pourrions trouver lesstratégies de travail du sol pour entre-tenir la fertilité tout limitant les apportsd’engrais donc en économisant l’énergie. Un prolongement socio- économique sera bien sûr nécessaire.

Et la biologie prédictive, l’autre chantier scientifiqueprioritaire ?M. G. : A l’Inra, nous avons unatout, encouragé par le précédent

document d’orientation : la biologieintégrative. Les recherches vont de lamolécule à la population. Parallèle-ment, les techniques d’analyse à hautdébit permettent d’accumuler des don-nées sur les gènes, leur expression enfonction de l’environnement. Ces don-nées servent à réaliser des modélisa-tions de phénomènes complexes. Labiologie prédictive représente l’étapesuivante de cet assemblage où, grâce àun modèle robuste et éprouvé, onpourra explorer des réponses dans desconditions environnementales diffé-rentes de celles d’aujourd’hui.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’internationalisation qui occupe une place centraledans le document d’orientation ?M. G. : La pratique scientifique denos chercheurs se situe dans un espaceinternational ; les revues, les pairs, lesspécialistes sont internationaux. C’estun acquis. Depuis peu, les thèmes surlesquels nous travaillons sont égale-ment mondialisés : la malnutrition,les invasions d’espèces, le changementclimatique… Les lieux politiques à l’échelle mondiale où ces problèmesse discutent se mettent en placecomme le GIEC (2) sur le climat, l’IPBES (3) sur la biodiversité ou leGIESA (4) sur la sécurité alimentaire.Ils mobilisent un éclairage scientifiqueavant de construire des réponses poli-tiques adaptées. Jusque-là, l’espacepolitique de l’Institut, lui, était euro-

péen. Nous sommes présents dans leslieux de décisions des futures poli-tiques européennes. C’est toujoursnécessaire mais plus suffisant, il estessentiel que nous nous engagionsdésor mais à une échelle mondialisée.

L’attractivité est une facette de cette internationalisation ?M. G. : Effectivement, car il s’agit detraduire ce mouvement dans les unités.Il est évident que nous serons demeilleurs « internationaux », si noséquipes sont multiculturelles. Et pourêtre respecté à l’international -c’est larègle du jeu de la recherche - il fautdes équipes avec un bon niveau depublications, quelles que soient leursnationalités. D’où notre volonté affi-chée d’attirer des chercheurs étrangersavec une solide notoriété. Les méta-programmes participent également àcette attractivité puisqu’ils contien-nent systématiquement une compo-sante internationale. A l’international,il faut avoir à l’esprit que ce sont lesthématiques, plus que les disciplinesqui mobilisent désormais. ●

Propos recueillis par Antoine Besseet Jean-François Launay

Les trois défis des métaprogrammes

Les métaprogrammes représentent un pilotage des recherches caracté-risé par une approche transdisciplinaire qui implique plusieurs départe-ments sur une même thématique. Six ont été identifiés, mais leur nombrepourrait monter à dix d’ici la fin de la décennie. Olivier Le Gall, chef du dépar-tement SPE et en charge du métaprogramme Gestion intégrée de lasanté des plantes, nous livre son analyse de cette nouvelle organisation.

« L’initiative était très attendue. Elle apporte vraiment le type de rechercheque l’on doit mener sur des grands enjeux en répondant à trois défis.Celui de la lisibilité de nos travaux d’abord. Nos partenaires aiment bien tra-vailler avec nous. Mais ils avaient relevé, lors de l’évaluation, qu’ils avaientparfois du mal à identifier le point d’entrée pour initier une collaboration.L’entrée thématique des métaprogrammes devrait nous rendre plus acces-sibles. Le défi de porter nos idées dans les consortiums internationauxensuite. En santé des plantes, par exemple, l’Inra est reconnu en France eten Europe (avec le REX Endure notamment) mais pas encore très bien posi-tionné à l’international. Enfin, le défi de la mise en cohérence de nos tra-vaux. Dans le métaprogramme que je porte, je vais m’efforcer de mettre encohérence des travaux en écologie, biologie, génétique et en sciencessocio-économiques. Pas facile quand les disciplines sont aussi éloignées !Il existe déjà de belles réussites ponctuelles dans des travaux transdisci-plinaires à l’Inra, mais cela doit devenir notre marque de fabrique. »

(1) www.inra2014.fr(2) Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolutiondu climat(3) Intergovernmental science-policy Platform onBiodiversity and Ecosystem services(4) Groupe Inter-ministériel d'Experts sur la SécuritéAlimentaire

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La cinquième cérémonie des lauriers de l’Inra, organisée le 12 octobre 2010, révèle cinq talents au service de la recherche agronomique. Leurs parcours, combinant quête de connaissances et innovation, illustrent le continuum entre recherche fondamentale et recherche appliquée. Ce rendez-vous annuel est l’occasion de célébrer la contribution de cinq personnalités hors du commun dont les travaux bénéficient à l'ensemble de la société.

TRAQUEUR D’ENZYMES

Jean-Paul

Renard

Jean-Paul Renard a consacré sa carrière à ques-tionner les aspects les plus fondamentaux du débutde l’embryogenèse. Cette démarche lui a permis d’élaborer dès les années 80 des techniques inédi-tes de transfert et de congélation d’embryons demammifères largement utilisées aujourd’hui. Il a aussicherché à mieux comprendre la nature du programmede développement au cours de la transition entrel’œuf et les premières différenciations cellulaires del’embryon. En 1998, il confirme avec la naissancede la vache Marguerite la réversibilité de ce pro-gramme et la réalité du clonage reproductif. Depuis,au sein du laboratoire « Biologie du développementet de la reproduction* », les clones sont utilisés commedes modèles de recherche fondamentale.

* Unité mixte de recherche de l’Inra et de l’Ecole vétérinaire d’Alfort.

LAURIER DE LA RECHERCHEAGRONOMIQUE

Les bactéries commensales de l’intestin auraient unrôle majeur pour la santé humaine ? À l’Institut Micalis*Olivier Berteau, 37 ans, s’intéresse à cette popula-tion largement méconnue. Plus précisément, il traqueles enzymes que ces bactéries synthétisent pourd’une part, découvrir leurs rôles précis et d’autrepart, mettre en évidence leurs impacts éventuels surla nutrition ou la santé humaine. Le jeune chercheurprivilégie une approche pluridisciplinaire associantgénétique, physico-chimie et biochimie. Ces enzy-mes représentent également un réservoir inexploréde nouveaux catalyseurs au service de la chimieverte. C’est l’enjeu du programme européen PolyModE qu’Olivier Berteau a initié en 2009 avecplusieurs partenaires européens.

* Chargé de recherche à l’Institut Micalis, Microbiologie de l’alimentation au service de la santé (Unité mixte de recherche associant l’Inra et AgroParisTech), du centre Inra de Jouy-en-Josas (départements Microbiologie et chaîne alimentaire et Alimentation humaine).

Olivier

Berteau

LAURIER JEUNE CHERCHEUR

EN QUÊTE DES PRÉMICES DE LA VIE

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EXPÉRIMENTATRICE DU VÉGÉTAL

Dominique Arrouays, 53 ans, a consacré l’ensemble de sacarrière à cartographier le sol, cette ressource omniprésente,non renouvelable, largement méconnue et souvent mal entre-tenue. Il a commencé par initier le passage de la cartographietraditionnelle à la cartographie prédictive numérique infinimentplus puissante. En 2000, il crée et prend la tête de l’unité InfoSol*. Il apporte alors un système pérenne d’informations surles sols de France, un outil unique d’aide aux décisions environ -nementales et territoriales. Preuve supplémentaire de l’impor-tance des rôles du sol : son expertise scientifique sur leur capacité à stocker du carbone lui vaut de rejoindre le Grouped’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)en 2002.

* Infosol : département Environnement et Agronomie du centre Inra Orléans.

LAURIER INGÉNIEUR

Dominique

Arrouays

LE SOL DANS LE SANG

LAURIERS APPUI À LA RECHERCHE

Faire progresser la recherche végétale grâce à desrobots... voilà une trajectoire atypique. C’est pourtantbien celle de Myriam Dauzat, 47 ans, qui, par sontravail acharné, a mis en place la plateforme Phenopsisoù des automates cultivent, expérimentent et observent cinq cents pousses d’Arabidopsis simul-tanément. Cette efficacité robotique a permis auxchercheurs du LEPSE* de Montpellier d’identifier lesgénotypes de plantes qui ne réduisent pas leur sur-face foliaire durant une sécheresse. Anticipant lesbesoins des chercheurs, elle a aussi développé desappareils innovants de mesure des échanges gazeuxd’Arabidopsis en relation avec sa croissance. Celaurier couronne 22 années d’appui enthousiaste àla recherche.

* Laboratoire d’écophysiologie des plantes sous stress environnementaux (LEPSE).

Myriam

DauzatL’APPEL DU POLLEN

Apiculteur pendant neuf ans avant d’être recruté àl’Inra en 1993, Jean-François Odoux, 49 ans, aconçu un dispositif d’une centaine de ruches dansl’unité expérimentale d’Entomologie*. Ce rucherpermet d’étudier l’impact des pratiques agricolessur les abeilles et l’a conduit à créer une base de données de reconnaissance des fleurs et pollens,acces sible sur internet, recensant 420 plantes mellifères. Avec des partenaires roumains, il mèneégalement un projet pour mieux comprendre la capacité de certains pollens à protéger les abeillesdes maladies. Identifier les fleurs exploitées dansun système agricole céréalier est aujourd’hui unenjeu pour la survie des abeilles.

* Département Santé des Plantes et Environnement du centre Inra Poitou-Charentes.

Jean-François

Odoux

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La meilleure façon de pousser

M ême les plus allergiquesaux choux de Bruxellesne peuvent s’empêcher

d’admirer la régularité quasi-mathé-matique avec laquelle cette plantedispose ses bourgeons le long de satige. Il en va de même avec beaucoupde formes dans la nature. On les croi-rait issues d’un code génétique dotéd’un divin sens de l’esthétisme.La réalité est plus prosaïque. C’est ceque l’équipe du laboratoire de repro-duction et développement des plantes(RDP) (1) a participé à démontreraux côtés de collègues américains etsuédois. Cette étude (2) leur a valu leprix du ministère de la recherche2009. « Si la génétique contrôle les pro-priétés chimiques et mécaniques descellules individuelles, elle ne suffit pas àexpliquer comment ces dernières com-muniquent entre elles pour s’organiseret former in fine un organe. Nous avonsdécrit le rôle des contraintes mécaniquesexercées par les cellules sur leurs voisi-nes dans l’organisation au niveau dutissu. Ce rôle était pressenti depuis long-temps mais ce sont les avancées de lamodélisation informatique et de l’ima-

est, lui, peu spectaculaire. Tout com-mence en effet par un simple renfle-ment à la surface du méristème, le« primordium », qui va ensuite se développer et produire un organe spé-cialisé. Pour modéliser ce processus,il suffit de contrôler deux paramèt-res : la direction et la vitesse de crois-sance des cellules du méristème. Auniveau de chaque cellule, on connaîtle facteur déterminant de l’allonge-ment dans une direction donnée. Ils’agit d’un élément de leur cytosque-lette : les microtubules. Ces protéinesfilamenteuses plaquées contre lamembrane des cellules contrôlent ledépôt de cellulose dans leurs parois.Très résistantes, les fibres de cellu-lose constituent de véritables arceauxautour de la cellule. Elles guident lacroissance des cellules dans une di-rection donnée, un peu comme unballon qui se gonflerait dans un res-sort.

Une organisation sous contrainteL’organogenèse pose une questionfondamentale : pourquoi les cellules se

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gerie du vivant qui ont permis d’en per-cer les mécanismes » explique OlivierHamant, chargé de recherche au RDP.Depuis, les chercheurs ont fait paraîtreune nouvelle étude (3) qui étend l’in-fluence de ces contraintes sur la circu -lation d’une hormone capitale dansla croissance cellulaire, l’auxine. Cesrésultats permettent de mieux com-prendre la création des organes, l’or-ganogenèse, mais aussi la phyllotaxie,c'est-à-dire l’ordre dans lequel cesorganes sont implantés sur la plante.

Les plantes ont le sens de l’orientation Pour comprendre l’organogenèse, leschercheurs ont logiquement observéle centre névralgique de l’architecturede la plante : le méristème apical cau-linaire. Situé à l’extrémité de la tige,ce tissu est composé de cellules peudifférenciées en phase de division.C’est là que les organes (feuilles, péta -les, étamines...) prennent naissance,là que la plante produit les cellules quilui permettent de continuer à croître.Le phénomène qui conduit à ces organes parfois très impressionnants

Depuis une vingtaine d’années, la biologie du développement végétal fait sa révolution autourd’une question d’expert : la forme de l’organisme contient-elle en elle-même une informationsusceptible de contrôler le comportement des cellules ? Des chercheurs de l’Inra ont participéau décryptage du dialogue entre gènes et forme de la plante en démontrant le rôle majeurqu’y jouent les forces physiques.

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mettent massivement à s’allongerdans une direction précise afin de for-mer un primordium et ensuite unorgane ? Au vu du rôle directeur desmicrotubules, les scientifiques ontcherché à dresser la carte de leurorientation dans le méristème. Prin-cipale observation : à la frontière entrele primordium et le méristème, lesmicrotubules sont alignés à l’échellede nombreuses cellules créant poten-tiellement un anneau de cellulose quiaboutit à un pli séparant les deux enti-tés. L’avenir du primordium sousforme d’organe est ainsi scellé. Or, lesphysiciens des solides savent bienqu’un tel pli est le lieu de forces phy-siques qui s’orienteraient de la mêmefaçon que les microtubules. Les cel-lules en croissance sont justementsoumises à un champ de forces. Collées les unes aux autres par unesorte de glue, elles ne peuvent pas glis-ser pour se faire de la place. Il enrésulte des contraintes mécaniquessur leurs parois. L’équipe du RDP asupposé une analogie de comporte-ment mécanique entre un tissu végé-tal sous tension, comme l’est celui duméristème, et une forme physiquecaractéristique : la coque. La physiquedes coques étant bien connue, onpourrait ainsi prévoir la direction desforces dans l’ensemble d’un méris-tème en fonction de sa forme. Parigagnant : les forces prédites cor-respondent parfaitement à l’orienta-tion des microtubules.

Méristème torturéCes forces pourraient-elles être unvecteur d’organisation supra cellulaireen provoquant l’alignement desmicrotubules ? Pour tester cette hypo-thèse, les scientifiques ont un peu tor-turé leur méristème. Ils l’ont pressédans un mini-étau ou l’ont amputéd’une cellule, bouleversant ainsi lescontraintes qui y règnent. A chaquefois, la réorientation attendue a eulieu. Les microtubules « ressentent »donc bien les contraintes et tententd’y résister. Cette règle a ensuite étécodifiée et introduite dans un modèlemécanique du méristème qui repro-duit avec succès in silico l’orientationdes microtubules observée in vivo.L’étude a mis en lumière un méca-nisme de rétro-contrôle entre la formeet la cellule qui explique en partie lareproductibilité de l’organogenèsechez les plantes.Après avoir relié la direction de crois-sance des cellules aux contraintesmécaniques, les chercheurs se sont

intéressés à leur vitesse d’expansion.Celle-ci est essentiellement moduléepar des hormones qui rendent la paroicellulaire plus ou moins extensible.Parmi elles, l’auxine est sans doute laplus connue et la plus importantedans l’organogenèse. Le dépôt d’unegoutte de cette hormone sur le méris-tème provoque l’apparition d’un pri-mordium. Le centre des primordiaest d’ailleurs perçu par les biologis-tes comme un puits drainant l’auxinevers lui en raison d’un phénomènebien connu : quand une cellule estriche en auxine, les cellules voisinesaccumulent des protéines (PIN1) surla membrane qui la jouxte. Les PIN1pompent l’auxine des cellules voisinesvers cette cellule, déjà riche en auxine,amplifiant ainsi les différences localesde concentration en auxine dans letissu. Au final, ce processus crée des zonestrès riches en auxine, les primordia,entourées de zones moins concen-trées dans lesquelles le dévelop pementd’un autre organe devient impossi-ble. On peut donc en conclure lamanière dont la plante disposera sesprochains organes. Modéliser ce phé-nomène est un enjeu majeur pourcomprendre, par exemple, pourquoiles plantes ont une seule feuille ou unseul fruit plutôt que deux ou trois parnœud. Or, un mystère subsiste pourles chercheurs : il est difficile de com-prendre comment une cellule peutpercevoir la concentration en auxinedans une cellule voisine, pré-requisindispensable pour expliquer la pola-rité de PIN1 et la directionnalité dutransport d’auxine. Les scientifiquesont pensé que les contraintes méca-

niques pourraient, là aussi, jouer unrôle. Ce qui indiquerait une régulationcommune de la vitesse et de la direc-tion de croissance.

Anticiper les rendements Pour le prouver, ils ont traité chimi-quement les cellules de manière à leurimposer de nouvelles contraintes etont ensuite observé l’orientation desprotéines PIN1 et des microtubules.Un lien fort entre les deux orienta-tions est effectivement apparu.L’hypo thèse a ensuite été validée parune modélisation mathématiqueintégrant les contraintes et letransport d’auxine. Celle-ci a renducompte des différents modes de phyl-lotaxie rencontrés dans la nature.En plus de ces avancées sur le planfondamental, qui trouvent un échoen biologie animale et médicale, cesrésultats pourraient permettre deprévoir l’architecture des plantesainsi que leur capacité de produc-tion. Des applications industriellessont aussi envisageables, en particu-lier dans le domaine des biomaté-riaux et du bois, dont les propriétésmécaniques sont très recherchées. ●

Géraud Chabriat

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(1) Le laboratoire de reproduction et développementdes plantes situé à Lyon est une unité mixte de recher-che, Inra, CNRS, ENS, université de Lyon.(2) Science, 12 décembre 2008 : Developmental pat-terning by mechanical signals in Arabidopsis.(3) PLoS Biology 19 octobre 2010 : Alignment bet-ween PIN1 polarity and microtubule orientation in theshoot apical meristem reveals a tight coupling betweenmorphogenesis and auxin transport.

MODÉLISATION DES CONTRAINTES MÉCANIQUES dans l'épiderme du méristème après ablation d'une cellule.

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+d’infosOcontact :[email protected]/fr/bs/equipes/biostructurale/index.htmOréférence :Froissard M., D'Andréa S., Boulard C. and Chardot T. (2009). Heterologous expression of AtClo1, a plant oil body protein, induces lipid accumulation in yeast. FEMS Yeast Research 9 : 428-438.

L es industriels sont deman-deurs de nouvelles moléculeslipidiques détentrices de pro-

priétés particulières, d'une part, pourdes applications de chimie verte tellesque biolubrifiants, additifs pourmoteur, « démoulants » pour bétonetc, d’autre part, pour les biocarbu-rants. Dans l’aéronautique en parti-culier, ces derniers doivent êtreconçus pour résister à des tempéra-tures extrêmes, puisque les avionssillonnent aussi bien des zones d’altitude très froides que des zonestropicales.Ce besoin de nouvelles biomoléculesest d’autant plus fort qu’elles sontappelées à relayer les ressources dela pétrochimie qui se raréfient.

Quand une plante modèlerencontre une levure de boulangerie Actuellement, les lipides d’intérêt,acides gras et leurs dérivés, provien-nent essentiellement des huiles végé-tales (colza, tournesol…). Mais unenouvelle source est en plein essor,celle des huiles produites par desmicroorganismes, essentiellementlevures, algues et bactéries.Une équipe de l’Inra a réussi à utiliserune protéine issue d’une plante pourfaire produire plus de lipides par unelevure. Chez la plante modèle Arabi-dopsis thaliana, les chercheurs ont étudié les protéines associées spécifi-quement aux corps lipidiques, desstructures de réserve des lipides dela graine. Ils se sont plus particuliè-

rement intéressés à la fonction de lacaléosine (AtClo1). En faisant expri-mer cette protéine chez la levure deboulangerie (Saccharomyces cerevi-siae), les chercheurs ont observé uneaugmentation du nombre et du dia-mètre des corps lipidiques de la levure.Ces modifications morphologiquesse traduisent par une augmentationde 47% de la teneur en acides gras dela cellule, par comparaison avec unesouche de levure non modifiée. Lesscientifiques font l’hypothèse que lacaléosine favorise la formation demembranes capables d’empaqueterdes lipides.

Vers de nouveaux systèmes de production d’huiles par les levures La levure exprimant la caléosine d’A. thaliana représente un formida-

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En faisant exprimer une protéine de plante chez une levure, les chercheurs de l’Inra de Versailles-Grignon induisent une suraccumulation de lipides. Ces travaux ouvrent la voie à l’utilisation des microorganismes pour produire des lipides d’intérêt pour la chimie verte ou les biocarburants.

L'expression de la caléosine (AtClo1) d’Arabidopsis thaliana induit la prolifération des corps lipidiques (structures rondes et blanches sur les photos obtenues en microscopie électronique à transmission) chez la levure de boulangerie.

Des levures qui carburent

ble outil pour comprendre la dyna-mique de synthèse et de stockage deslipides dans les corps lipidiques. Cesconnaissances peuvent déboucher surl’élaboration de « mini-usines » defabrication de lipides « à façon » dansdes microorganismes, en s’affran-chissant de certaines limites inhéren-tes aux systèmes végétaux : difficultéde maîtriser la composition des lipi-des, dépendance de la production vis-à-vis de contraintes climatiques,concurrence avec les usages alimen-taires... ●

Catherine Foucaud Scheunemann

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sans caléosine avec caléosine

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Dans quel contexte ce projet prairies-oiseauxprend-il place ?Muriel Tichit : Les prairies occupentune place majeure en France, car ellescouvrent environ un tiers des 45millions d’hectares entretenus par lesagriculteurs et les forestiers. Les oiseauxqu’elles hébergent sont de bons indi-cateurs de la biodiversité globale :comme partout, leur présence dépendde la richesse des ressources alimen-taires, insectes ou graines, elles-mêmesfonction de la diversité végétale. Dupoint de vue de l’agriculteur, la prairieest d’abord destinée à alimenter sesanimaux. Les oiseaux des prairies, quinichent au sol pour la plupart, doiventdonc cohabiter avec le piétinement detroupeaux ou le passage d’engins agri-coles. Différentes études préconisaientd’interdire le pâturage ou la fauchependant la saison de reproduction desoiseaux. Notre modèle qui simule l’évolution, sur quinze ans, des popu-

lations de deux petits échassiers, le Van-neau huppé et le Chevalier gambette,révèle des modes de gestion compati-bles, voire favorables à la fois auxoiseaux et aux troupeaux.

Quelle modélisation proposez-vous ?M. T. : Nos travaux sont basés surun modèle mathématique originalayant deux avantages. En sortie du

Elevage et biodiversité des prairies : des bénéfices réciproquesComment concilier le pâturage des prairies et la reproduction d’oiseaux qui nichent au pied des vaches ? A partir de données acquises en Marais Poitevin, l’équipe de Muriel Tichit (1) propose un modèle dynamique prédisant des stratégies de pâturage pour conjuguer, à longterme, production fourragère et conservation de l’avifaune.

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Pourquoi la diversité floristique est-elle un atoutpour l'élevage ?

La diversité floristique est importante pour la qualité des fourrages. D’abord, elle peut accroître la motivation de l’animal à brouter : des travauxde l’Inra ont montré que des brebis ingèrent davantage dans des prairieset parcours plurispécifiques que dans une pâture composée d’une seuleespèce. Par ailleurs, les prairies à flore diversifiée présentent une diges-tibilité plus stable sur la saison. Composées de plantes ayant des cyclesdifférents, elles offrent en outre de la souplesse d’exploitation aux éleveurs.Ce sont des « prairies reposantes », selon leur terme. Des études sont éga-lement en cours pour étudier l’impact de l’herbe sur la santé des animaux.Ainsi, l’absorption par les moutons de tanins contenus dans certaines légu-mineuses ou dans les petits ligneux permettrait de lutter contre les para-sites intestinaux. Enfin, de nombreux résultats expérimentaux ont mis enévidence des liens entre la composition botanique des prairies et les carac-téristiques sensorielles et nutritionnelles des fromages, même si lesmécanismes sous-jacents ne sont pas complètement élucidés.

Ocontact : Anne Farruggia ([email protected])

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modèle, on obtient des résultats assezsimples, comme par exemple le nom-bre de journées de pâturage par hec-tare et par an, ou la taille d’unepopulation d’oiseaux. Ces critères ontun sens à la fois pour les agriculteurset pour les acteurs de la protectionde la nature. Sa deuxième qualité estde proposer des scénarios d’évolu-tion du système en fonction des pra-tiques. Il intègre les contraintes de laproduction agricole et celles de labiologie des oiseaux. Son chemine-ment itératif permet de voir si l’ontend vers une situation avec bénéficesréciproques durables, ou si des effetsnégatifs pénalisent fortement l’unedes deux parties.

Quelles contradictions faut-ilessayer de dépasser ?M. T. : Essayons de simplifier notresystème, qui est complexe. Les oiseauxont des périodes de reproductionparfois décalées, c’est le cas des deuxespèces de notre marais. Les œufspeuvent être détruits par le piétine-ment des vaches. Après l’éclosion, lespoussins quittent le nid pour cher-cher leur nourriture. L’herbe, selonsa hauteur, les entrave ou les protège.La hauteur de l’herbe est condition-née par le travail de l’agriculteur quila coupe à des moments précis ouqui la fait pâturer. De ces multiplesparamètres à prendre en compte, ildécoule que le pâturage favorise oudéfavorise la vie des oiseaux. La satis-faction simultanée des deux partiesest difficile. Les agriculteurs ont sou-vent des calendriers de travaux asseztendus, surtout dans les marais dontles sols souvent humides sont plussensibles au chargement.

sable directement par des acteurs deterrain. En revanche, c’est un outilintéressant car, dans la recherche depratiques agroécologiques, il permetde passer d’une obligation de moyensà une obligation de résultats. La pre-mière logique fixe des contraintes surles pratiques, par exemple des seuils defertilisation ou de chargement. Dansla deuxième logique, on part aucontraire des résultats souhaités, parexemple, dans notre cas, un équilibrede co-viabilité pâturage-oiseaux, pourdéfinir les pratiques. La même démar-che prévaut dans les mesures agri-environnementales de type « prairiesfleuries ». Elle n’est possible que sil’on est capable de prédire l’évolutionde l’agroécosystème en fonction despratiques, ce que permet notremodèle. ●

Propos recueillis par Brigitte Cauvin

(1) Unité Sciences pour l’action et le développement : activités, produits et territoires, Inra-AgroParisTech.

A quelles échelles la modélisation s’applique-t-elle ?M. T. : Dans le temps, elle intègre lesrythmes des animaux, des végétaux etdes interventions humaines. Dansl’espace, elle aborde trois échelles :- la parcelle, où l’on s’intéresse à la dateet à l’intensité du pâturage représentéepar la quantité d’animaux à l’hectare ; - l’exploitation, où l’on peut détermi-ner la meilleure proportion entre par-celles fauchées pour le foin d’hiver etparcelles pâturées ;- le paysage, c'est-à-dire la mosaïquede parcelles fauchées et pâturées appar-tenant à différentes exploitations.Nous montrons alors que, s’il est dif-ficile d’être « gagnant-gagnant » à l’échelle d’une parcelle, la concilia-tion de nos objectifs de productionet de préservation devient possibleavec une mosaïque plus diversifiée.En effet, une complémentarité spa-tiale se fait jour entre parcelles, ouentre exploitations.

Quelles sont les utilisationspossibles de ces recherches ?M. T. : Notre cadre de modélisationest transposable à d’autres espèces, àcondition que les interactions « bio-logie - modes de gestion» soient déjàbien documentées. Le modèle mathé-matique, sophistiqué, n’est pas utili-

+d’infosOcontacts : [email protected] Ces travaux ont été réalisés dans le cadredu programme FARMBIRD de l’AgenceNationale de la Recherche, qui associeécologues, zootechniciens, agronomes,économistes et mathématiciens, de l’Inra et du Muséum national d’histoire naturelle,en relation avec les agriculteurs et lesgestionnaires d’espaces naturels.- Sabatier R., Doyen L., Tichit M. (2010).Modelling trade-offs between livestockgrazing and wader conservation in agrassland agroecosystem. EcologicalModelling, 221(9) 1292-1300.www.inra.fr/sciences_action_developpement/publications/facsade, note de synthèse FaçSADe n° 30.

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Les « prairies fleuries », un concours et une mesure agri-environnementale

Cette année a lieu le premier concours nationaldes « prairies fleuries », qui récompense, nonpas les plus belles, ni même les plus fleuries,mais les prairies naturelles exploitées qui conci-lient au mieux valeur fourragère et valeur floris-tique/faunistique. Les prix seront attribués les20 et 21 octobre au siège de l’Assemblée per-manente des chambres d’agriculture à Paris, enprésence des deux ministres de l’Agriculture et del’Ecologie. Des chercheurs de l’Inra ont élaboré,avec leurs partenaires de la Fédération des Parcsnaturels régionaux, les critères scientifiques pourapprécier la valeur agroécologique des prairiescandidates. Ils reposent sur la présence dans la parcelle d’au moins quatre espèces au seind’une liste de plantes indicatrices choisies pour leur intérêt agronomique, écologique, mellifère et fromager. Ces mêmes critères régissent une mesure agri-environnementale envigueur depuis 2007. Les quelques 600 exploitants qui en bénéficient actuellement reçoiventune aide sur cinq ans, et sont soumis en retour à une obligation de résultats quant à la bio-diversité floristique de leur prairie de fauche ou de leur pâture.

Ocontacts : [email protected] et [email protected] - www.prairies fleuries.fr

NID DE VANNEAU.

© Inra / Christophe Maître

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+d’infosOcontact :[email protected]@paris.inra.frDélégation à l’expertise, la prospective et aux études :www.paris.inra.fr/prospective/presentation/l_expertise_scientifique_collective

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P hysiologie, appartenancesociale, environnement dumangeur... Les facteursinfluant le comportement

alimentaire sont nombreux. C’est cequi ressort de l’étude réalisée par unetrentaine d’experts qui a analysé prèsde 1 800 articles scientifiques. Les prises alimentaires sont ainsi régléespar l’alternance de la faim et de lasatiété grâce à un réseau de signauxchimiques, hormonaux et nerveux,émanant de l’aliment et de l’appareildigestif et intégrés par le cerveau. Cetterégulation automatique compense lesdéficits et, dans une moindre mesure,les excès ponctuels. Cependant, plu-sieurs facteurs peuvent en affecter laprécision. La composition des alimentspar exemple : les boissons sucrées,dont la consommation s’accroît chezles jeunes, échappent à la régulationphysiologique. L’environ nement :manger devant la télévision ou dans lebruit induit aussi une surconsom -mation. Des travaux récents en mar-keting et en neurosciences soulignent

d’autres biais qui naissent d’une appré-ciation floue de l’apport nutritionneldes aliments : l’ajout, par exemple,d’une portion de brocolis à un ham-burger va, par sa connotation d’ali-ment sain, minimiser l’estimation descalories ingérées.A une échelle de temps plus longue,l’histoire sociale et culturelle réguleaussi les comportements alimentairesautour de menus, d’horaires et derègles de convivialité. En France, lerepas convivial à trois plats, pris enfamille, à la maison, reste massive-ment la norme. Les préférences ali-mentaires s’acquièrent jeune et sontdifficiles à changer, d’où l’importancede l’éducation alimentaire des enfantset d’une sensibilisation préventive desjeunes mères, en cas d’obésité infan-tile. L’expertise souligne sans surprisel’inégalité de l’alimentation entrecatégories sociales : les populationsdéfavorisées lui consacrent jusqu’à50% de leur budget contre 17% enmoyenne nationale. Elles ont, enoutre, des choix alimentaires moins

conformes aux recommandationssanté et présentent, de plus, des fac-teurs de risque d’obésité plus élevéscomme la sédentarité ou une moindreestime de soi.Ces différents éléments amènent lesexperts à mettre en avant l’efficacitéd’actions ciblées en complément descampagnes d’informations (parexemple le Plan national nutritionsanté). Celles-ci améliorent en effetle niveau de connaissance duconsommateur mais ont peu d’im-pact sur son comportement. Ainsi,des interventions ciblées portant surl’environnement social ou jouant surla composition des produits -teneuren gras, sucre, sel, vitamines...- et surleur accessibilité - proposer une cor-beille de fruits plutôt qu’un distribu-teur de snacks à l’école- donnent desrésultats probants. Ceux-ci battenten brèche l’image du consommateursouverain en soulignant l’importancede l’environnement de consom -mation dans l’arbitrage des choix.L’expertise souligne le besoin d’abor -der les relations entre pratiques ali-mentaires et santé de manière globale,au-delà de l’impact des nutrimentset micronutriments, notamment àl’échelle des régimes alimentaires ensituation « réelle ».●

Patrick Etiévant, Catherine Donnars et Anaïs Tibi

Dans le cadre de la préparation de son Plan national pour l’alimentation (1), le ministre de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la pêche a commandé à l’Inra en 2009, une expertise scientifiquecollective sur les comportements alimentaires en France (2). La relation entre pratiques alimentaires et santé intéresse particulièrement les pouvoirs publics pour asseoir la conception de leurs actions.

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Choisit-on vraiment ce que l’on mange ?

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(1) Le Conseil national de l’Alimentation a rendu, le 17 juin 2010, un rapport pour la mise en œuvre du Plan national pour l’alimentation (PNA) prévu dans le cadre de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, actuellement discutée au Parlement. www.cna-alimentation.fr(2) Expertise scientifique collective « Les comportementsalimentaires, quels en sont les déterminants ?, quellesactions pour quels effets ? » juin 2010. Patrick Etiévant(Inra), France Bellisle (Inra), Jean Dallongeville (InstitutPasteur de Lille), Fabrice Etilé (Inra), Elisabeth Guichard(Inra-ANR), Martine Padilla (IAMM), Monique Romon-Rousseaux (CHU Lille), éditeurs.www.inra.fr/l_institut/expertise/expertises_realisees/expertise_comportements_alimentaires

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RLes recherches pour l’avenir de la PACLes recherches pour l’avenir de la PAC

La politique agricole commune européenne influence notre façon de nousnourrir, question universelle qui dépasse les frontières. Alors que son cadrebudgétaire 2014-2020 est en cours de discussion, la PAC fait face à de nombreux défis : compétitivité, volatilité des prix et des marchés,

fourniture de biens publics environnementaux (stockage de carbone, préservationde la biodiversité, etc.). Ce dossier a pour but, outre de donner quelques clés de compréhension, de montrer en quoi la recherche menée à l’Inra en économie et en sciences sociales contribue aux débats et aux réflexions sur la PAC.

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L es Etats membres doivent semettre d'accord sur le bud-get européen et sa réparti-tion entre les différentes

politiques pour la période 2014-2020. A ce titre, la PAC est forte-

ment questionnée, d'autantplus qu'elle représente unepart importante de ce bud-get. Critiquée à l’intérieurde l’Europe, la PAC l’estaussi sur la scène interna-tionale. Ces remises encause, ajoutées à l’élargis-sement de l’Europe à 27membres et aux défis quedoit relever l’agriculture

européenne, appellent une révisionde la politique agricole. La Com-mission européenne est chargée d’élaborer un texte de propositionsà même de répondre à toutes ces

Depuis 1962, l'Europe soutient son agriculture via la Politique agricole commune (PAC). Cinqdécennies plus tard, l'Union européenne (UE) s'est considérablement élargie, le contextepolitique et économique a changé du tout au tout. Qu'est devenue la PAC en 2010 à la veillede l'importante négociation sur le budget communautaire 2014-2020 ? Quelle sera la part allouée à l’agriculture ?

attentes. Dans ces réflexions crucia-les pour l’avenir de la PAC, les tra-vaux de recherche de l’Inra apportentdes éléments objectifs d’analyse.

Cinquante ans de soutien à l’agriculture européenne

1

Un budget à relativiserLa PAC utilise environ 40% dubudget communautaire, maisc’est aussi la seule politique fi-nancée en majeure partie parl’UE. Les autres politiques le sontindividuellement par les Etats.L’agriculture ne représente que0,5% de la dépense publiqueeuropéenne totale, contrerespectivement 5% et 2% pourl’éducation ou la recherche.

2

OCALENDRIER DES NÉGOCIATIONS :• Fin 2010 : communication de la Commission européenne sur le devenir de la PAC après 2013. Début du débat budgétaire.

• Mi 2011 : proposition d’un paquet législatif. Discussions et amendements par leParlement européen et le Conseil des ministres européens de l’Agriculture. Depuisjanvier 2010, le Parlement a un rôle de décision équivalent à celui du Conseil.

• Fin 2012- début 2013 : adoption des propositions.

• En toile de fond, le cycle de Doha, négociations multilatérales sur le commercedébutées en 2001 dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

© Gianpaolo Pagni

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OCE QU’IL FAUT SAVOIR POUR COMPRENDRE

omme la plupart des pays développés - dont les Etats-Unis, le Japon - et de nombreux pays envoie de développement, l’Union européenne soutient son agriculture. A l’origine, la PAC est unepolitique agricole, mais aussi une politique alimentaire visant, au lendemain de la Seconde

Guerre mondiale, à développer la production agricole pour satisfaire la consommation intérieure.

Années 60-90 : la « première » PACA l’origine, la PAC reposait sur trois grands instruments : l’in-tervention, les subventions à l’exportation et les droits dedouane. L’intervention consistait à garantir aux producteursdes prix de vente stables, supérieurs aux cours mondiaux.En 1987 par exemple, les prix intérieurs des céréales étaientde 2,5 fois supérieurs à ceux qui prévalaient sur les marchésmondiaux. La garantie de bénéficier de ces prix élevés aincité les agriculteurs à produire des quantités importantes. L’industrie de l’alimentation animale se détournait progres-sivement de ces céréales européennes trop chères, et pré-férait utiliser d’autres matières premières, souvent importées.Les stocks de céréales, mais aussi de poudre de lait, debeurre, et de viande bovine achetés par les instances com-munautaires pour soutenir les prix, se sont peu à peu accu-mulés. Ecouler ces surplus hors Europe aux cours mondiauxmobilisait des subventions à l’exportation et engendrait uncercle vicieux : les quantités exportées faisaient baisserles prix et augmenter d’autant les subventions à l’exportation,dont le budget explosait. Ces subventions étaient vivementcritiquées par les pays tiers pour leurs effets de distorsionsur les marchés internationaux, de même que la protectiondouanière qui consiste à limiter les importations en Europeen taxant les produits importés.

Années 1990 : changement de logiqueC’est ainsi que sous l’effet de contraintes à la fois internes et externes, la Commission européenne s’estengagée, à partir des années 90, dans un processus de réforme qui se poursuit encore aujourd’hui. Au-delà des compromis, la ligne de cette réforme est constante : le remplacement progressif du soutien auxprix par des aides directes. Les prix institutionnels garantis diminuent pour se rapprocher des prixmondiaux et les conditions de l’intervention publique (achats, stocks et subventions aux exportations) sontplus strictement encadrées. Pour compenser le choc économique induit par la baisse des prix institutionnels, les agriculteurs reçoi-vent des aides directes, d’abord couplées à une production particulière, c’est-à-dire versées par hectare,tête de bétail ou tonne de lait produite. Pour limiter les incitations à produire, ces aides ont été pro-gressivement déconnectées des productions agricoles développées. C’est le principe du « décou-plage », mis en place par la réforme de 2003 : l’agriculteur perçoit désormais un montant global parexploitation, ou « paiement unique », indépendamment de ce qu’il produit. Cette réforme a également intro-duit le concept de « conditionnalité » : pour bénéficier de ces aides, l’agriculteur doit respecter des exi-gences réglementaires (une vingtaine de directives) en matière d’environnement, de santé et de bien-êtreanimal. Il peut aussi décider de ne rien produire, à condition de maintenir les sols dans de « bonnes condi-tions agricoles et environnementales ».Enfin, parallèlement, s’est développé depuis 1999, un transfert d’une part croissante de ces aides direc-tes, dites du premier pilier, vers un deuxième pilier consacré au « développement rural » et comprenant desactions en faveur de l’environnement (maîtrise des pollutions etc.), de l’aménagement de l’espace rural, dela gestion des risques et de l’adaptation des structures. La réforme de 2003 a renforcé ce second pilier enautorisant un prélèvement supplémentaire sur les aides directes. Ce transfert s’appelle la « modulation ».

Comme Rome, où a été signé son acte de nais-sance (en 1957), la PAC ne s’est pas faite en unjour... De longues négociations ont été néces-saires pour faire émerger trois principes fonda-teurs, encore en vigueur aujourd’hui : - l’unicité du marché : absence de droits dedouane entre les pays constitutifs de la zoneéconomique (Union européenne) et harmoni-sation des règles administratives et sanitaires.- la préférence communautaire : taxation desimportations venant de l’extérieur de l’Europe.- la solidarité financière : les Etats membresabondent le budget de l’UE, dont la majeure par-tie est consacrée à la PAC en fonction princi-palement de leur Produit intérieur brut et indé-pendamment du poids de leur agriculture.L’Allemagne est le plus gros contributeur. Cer-tains pays se sont peu à peu élevés contre lecoût de la PAC et le choix de soutenir des prixélevés en situation excédentaire. Représentatifde cette position, résumée par le célèbre « I wantmy money back », de Margaret Thatcher, leRoyaume-Uni obtint en 1984 un rabais de sacontribution financière.

NAISSANCE ET PRINCIPES

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RÉPARTITION DES SOUTIENS À L’AGRICULTURE EN FRANCE EN 2008Source : MAP, SAFSL

Paiement unique (1)47 %

Aides aux produits (2)23 %

Développement rural (5)

16 %Filières (4)

9 %

Soutien au marché (3)

5 %

Le détail de ces soutiens permet d’en saisir le contenu concret, mais aussi la complexité.

Les postes 1, 2, 3 sont financés uniquement sur fonds communautaires, les postes 4 et 5 sont cofinancés par la PAC et par les Etats membres

(1) Aides découplées

(2) Aides couplées : PMTVA (prime de maintien destroupeaux de vaches allaitantes), PBC (prime à la brebis

et à la chèvre), aide compensatrice à l’hectare decéréales/oléagineux/protéagineux (COP) et autres

paiements directs liés aux produits

(3) Restitutions à l’exportation, dépensesd’intervention, aide à l’écoulement sur lemarché intérieur et autres soutiens de marché

(4) Organisation des filières, aide à la qualitédes produits, aide alimentaire, gestion

des aléas, sécurité sanitaire

(5) 2e pilier : Maîtrise des pollutions, cessationd’activité, indemnité de compensation de handicaps

naturels (ICHN), mesures agro-environnementales(MAE), dont prime herbagère agro-environnementale

(PHAE), aménagement de l’espace rural, transformation et commercialisation des produits agricoles, activités hippiques

ODes aides aux montants contrastés :(Valeurs moyennes en France sur la période 2003-2007)

- En grandes cultures,montant moyen des aides directes totales (1er et 2e piliers) : 36 200 euros par an, revenu (= « résultat courant avant impôt ») :34 800 euros par an- En élevage ovins-caprins, montant moyen des aides directes : 27 000 euros par an,revenu : 18 400 euros par an

La recherche sollicitée« A chaque tournant de la PAC, noussommes sollicités, que ce soit au niveaufrançais ou européen », indique VincentChatellier, directeur de l’unité « Labo-ratoire d'Études et de Recherches enEconomie », Inra Angers-Nantes.« Nous participons à des groupes de tra-vail organisés par le ministère en chargede l’Agriculture. Actuel lement, cinqgroupes examinent différents enjeux dela PAC, comme la compétitivité, l’ins-tabilité du marché, l’environnement,etc. Nous sommes également invités àprésenter nos travaux devant la Com-mission et le Parlement européen, maisaussi en France, auprès des syndicats etdes coopératives agricoles. Le travail deséconomistes consiste à modéliser lesimpacts de telle politique actuelle ou àvenir. Nous devons à la fois produiredes données et affiner nos modèles pourêtre à jour avec les derniers dévelop -pements de la recherche », ajoute Alexandre Gohin, directeur de recher-

che au sein de l’unité SMART*, InraRennes. « C’est pourquoi les travaux derecherche sur le long terme sont néces-saires », complète Vincent Réquillart,(directeur de recherche, GREMAQ**)qui a dirigé, sur une période de dixans, l’élaboration d’un modèle dans lesecteur laitier. La plupart des écono-mistes de l’Inra spécialistes de la PACen suivent les évolutions depuis denombreuses années.

Où en sommes-nous actuellement ?Les réformes successives de la PAC onteu des résultats positifs. Les aides

octroyées comme compensation à labaisse des prix administrés ont un coûtde gestion élevé, mais elles constituentun transfert de revenu vers les agricul-teurs plus efficace que celui qui étaitpermis par les dépenses d’interven-tion. Les aides directes, paiementunique et aides aux produits, repré-sentent désormais plus des deux tiersdu budget de la PAC (voir le schéma).Sans elles, la plupart des agriculteursobtiendraient un revenu modeste, voirenégatif, dans la mesure où les coûtsglobaux de production sont souventsupérieurs au chiffre d’affaires.Les instruments d’intervention sontréduits mais pas supprimés (ils ont étéréactivés en 2009 lors de la chute duprix du lait). Dans le détail, les achats à

« Les chercheurs économistes de l’Inra interviennent en appui auxpolitiques publiques dans un objectif premier d’éclairage desdécisions, adoptées ou en discussion. Pour cela, ils en quantifientles impacts sur les productions, les prix, les revenus, etc., en utilisantdes modèles de simulation. Ceux-ci intègrent, de façon aussi fineque possible, les mécanismes à l’œuvre de sorte qu’il est possiblede comprendre le pourquoi de tel ou tel résultat, son originepremière et les forces qui l’accentuent ou au contraire l’atténuent.Centrés au départ sur les dimensions économiques agricoles, cesmodèles intègrent aujourd’hui de mieux en mieux les dimensionséconomiques non agricoles, environnementales et territoriales ».

Hervé Guyomard, directeur scientifique Agriculture, Inra

Le rôle de la recherche dans la décision publique

* Structures et Marchés Agricoles, Ressources etTerritoires** Groupe de Recherche en Economie Mathématique etQuantitative

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Les choix français En 2003, le gouvernement français aopté pour le maintien d’un couplagedes aides directes aux productionsbovines et ovines-caprines (1). Cecipour éviter un abandon de ces pro-ductions, alors même qu’elles jouentun rôle environnemental et territorialjugé essentiel dans les zones défavo-risées, notamment en montagne. Eneffet, si les aides ne sont plus condi-tionnées à la production (c’est leprincipe du découplage), certains éle-veurs peuvent avoir intérêt à ne plusproduire, surtout dans le cas où lescoûts de production sont supérieursau chiffre d’affaires. Autre raison poursoutenir ces productions : maintenirle taux d’auto-approvisionnement,déjà très faible en France pour le sec-teur ovin (50%). En 2003, le gouvernement français aopté pour le système dit « de la réfé-rence historique » (2) afin de mettreen œuvre les paiements découplés.Ce choix est identique à celui del’Espagne et de l’Italie mais différentde celui de l’Allemagne et duRoyaume-Uni. Selon ce modèle his-torique, le montant des aides décou-plées versé à chaque agriculteur estdéterminé en fonction de ce qu’il per-cevait (en aides directes couplées auxfacteurs de production) au coursd’une période de référence 2000-

2002. Ce modèle tend donc à figer lasituation initiale, les exploitations lesplus productrices continuant à rece-voir le plus d’aides. En Allemagne,un modèle différent, dit « régiona-lisé », implique que chaque exploi-tant d’une même région touche lemême montant par hectare, quelleque soit son activité. A noter que, si lemodèle allemand permet des redis-tributions budgétaires entre agricul-teurs, il a tendance, comme le modèlefrançais, à profiter aux exploitationsde grandes superficies. En 2008, malgré les encouragementsdu nouveau règlement communau-taire, le gouvernement français adécidé de maintenir le modèle de laréférence historique, mais de procéderà une redistribution des soutiens parune autre voie. C’est le plan « Bar-nier » de 2009. La redistribution,importante(15% du total des aides,soit environ 1,5 milliard d’euros) sefait essentiellement (3) en faveur de l’élevage à l’herbe, via des aides à l’hade prairies et fourrages, et en faveurdu secteur ovin-caprin, à travers unenouvelle prime à la brebis. Les fondsbudgétaires nécessaires sont prélevésdans le pool des aides via la modula-tion et l’augmentation du découplage,qui passe de 0 à 25% pour la PMTVA,de 75 à 100% pour les aides en gran-des cultures. Ce dernier secteur voitdonc ses aides diminuer. Malgré ces réformes conséquentes, laPAC est critiquée, en particulier sur laforte hétérogénéité des aides entreEtats membres ou entre types de pro-duction, ainsi que sur l’inadaptationdes instruments aux défis que doitrelever l’agriculture européenne :compétitivité, instabilité des prix etdes marchés, fourniture de bienspublics environnementaux (stockagede carbone, préservation de la bio-diversité, etc.).

La question fait débat et illustre l’importance de la solidité desmodèles utilisés par les chercheurs pour analyser les politiquespubliques. Selon une étude britannique publiée en 2005 (4), laréponse serait sans appel : malgré une diminution de la richesseproduite en Europe, la baisse des prix alimentaires entraîneraitun tel gain pour les consommateurs que la société européennedans son ensemble serait gagnante. Une étude française (5) réali-sée en 2008 par Alexandre Gohin tire une conclusion différente. Enutilisant une représentation fine des secteurs agricoles et agro-ali-mentaires, le chercheur français montre que ceux de la viandebovine, du maïs et du bioéthanol seraient les plus affectés au tra-vers notamment d’importations accentuées. Contrairement auxchercheurs britanniques, l’économiste prend en compte l’exis-tence d’un chômage potentiellement engendré chez les agriculteursainsi qu’une transmission imparfaite des baisses de prix le long deschaînes de production, transformation, distribution et consom -mation. L’introduction de ces deux phénomènes aboutit à inverserles résultats de l’étude anglaise, à savoir que la suppression de laPAC aurait un coût, non seulement pour les acteurs de la brancheagricole, mais également pour la société européenne. Toutefois, Alexandre Gohin tient à préciser : « Ces résultats neplaident en aucun cas pour que la PAC reste en l’état. Ils mettentsimplement en garde contre les dangers de raisonnements troppartiels ou partiaux sur cette politique ».

ET SI LA PAC ÉTAIT SUPPRIMÉE ?

prix fixes ne se font plus que pour cer-tains produits : blé tendre, beurre, pou-dre de lait, et dans la limite de quantitéspréétablies ; le stockage public via lesoffices d’intervention se déclenche sousforme de « filets de sécurité » seule-ment si le prix baisse en dessous d’unseuil prédéfini. Selon l’état des mar-chés, la Commission européenne peutaussi donner des aides ciblées au stoc-kage privé pour le beurre, les viandes,le sucre et l’huile d’olive.Le soutien aux exportations ne repré-sente plus aujourd’hui que 2% dubudget de la PAC, contre 30% avant1992, et concerne surtout les produitslaitiers et le sucre. Plusieurs pays récla-ment à l’OMC la suppression totalede cet instrument fin 2013.La réforme de la PAC la plus récente(2008) dite du « bilan de santé »apporte trois innovations importan-tes : l’obligation d’un découplage quasitotal des paiements directs en 2013 ; lapossibilité pour les Etats membres deredistribuer une partie des aides direc-tes entre catégories d’agriculteurs, et l’abandon du régime des quotas lai-tiers à horizon 2015. Les règlements communautaires lais-sant aux Etats membres certaines marges de manœuvre, l’applicationfrançaise des deux précédentes réfor-mes de la PAC (2003 et 2008) présentecertaines particularités.

(1) PMTVA et PBC, voir le schéma page précédente, pour les définitions des primes.(2) Principe de la référence historique : le paiementunique est égal à la « moyenne des aides perçues dans la période 2000-2002, divisée par le nombre d’ha de l’exploitation, le tout multiplié par le nombre d’hectareséligibles ». Les ha éligibles étant les terres arables et les pâturages, à condition que ces surfaces soiententretenues selon les « bonnes conditions agricoles etenviron nementales. Le corollaire étant qu’un agriculteurpeut percevoir ces aides même s’il a complètement arrêté de produire à partir de 2002.(3) Et dans une moindre mesure pour l’agriculturebiologique, l’assurance récolte, etc.(4) HM Treasury and Defra (2005). A vision for the Common Agricultural Policy.(5) Alexandre Gohin. Quelles conséquences d’unesuppression de la PAC après 2013 ? Revue d’économiepolitique, 2009/4 (Volume 119).

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Ce rééquilibrage des aides ne se tra-duit pas systématiquement par celuides revenus, ceux-ci dépendant éga-lement des prix agricoles, caractériséspar une grande volatilité. Au niveaurégional, la redistribution bénéficieaux régions herbagères d’élevage(+13% d’aides directes en Auvergne,+12% en Franche-Comté et enLimousin) au détriment des régionsspécialisées en grandes cultures

Les aides directes, par Vincent Chatellier, directeur de l’unité « Laboratoire d'Études et de Recherches en Economie »

La PAC, un terrain de recherche fertile

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Confrontée à de nombreuses difficultés, la PAC a considérablement évolué depuis sa création. Dans ce processus continu de réforme, les travaux des chercheurs tiennent une placeimportante. Les économistes en particulier sont sollicités pour éclairer la décision publique,essentiellement en quantifiant l’impact des politiques actuelles et des décisions futures.Plusieurs d’entre eux s’expriment sur leurs travaux.

Quelles sont les principalesconséquences du bilan desanté de la PAC en France ?Les simulations que nous avons réali-sées à partir des données du RICA*montrent que le « plan Barnier » de2009 permet une redistribution signi-ficative des aides, d’une part entresecteurs d’activité agricole, d’autre

part entre régions : - 16% pour lesexploitations spécialisées en grandescultures, +50% pour les producteursspécialisés en ovins-viande et +30%pour les producteurs laitiers herba-gers des zones de montagne. L’im-pact est plus neutre, voire légèrementnégatif, pour les éleveurs de bovins-viande des zones de plaine et pourles exploitations laitières intensives àbase de maïs fourrage.

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* RICA : Réseau d’Information Comptable Agricole

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(-16% en Ile-de-France, -14% enrégion Centre).

Peut-on envisager d’autresformes de redistribution ?Dans le modèle régionalisé allemand,il n’y a pas de redistribution des sou-tiens entre les régions, chacune conti-nuant à recevoir la même enveloppeglobale. Par contre, à l’intérieur dechaque région, la répartition des aidesentre agriculteurs change, puisqu’ellesdeviennent uniformes par hectare.C’est un modèle difficile à appliquer enFrance : il serait en effet délicat d’u-niformiser le montant à l’hectare dansdes régions hétérogènes comme l’Aquitaine où cohabitent, entre autres,des cultures intensives et des systèmesd’élevage extensif. Au contraire dumodèle utilisé en Allemagne, le « planBarnier » permet, lui, une redistribu-tion entre les régions. En partenariatavec l’Association des régions deFrance, nous avons étudié d’autres scé-narios de répartition interrégionale,prenant en compte les dimensionssociales (emploi) et territoriales (pro-portion de zones défavorisées, surfaceagricole utile). Ces scénarios débou-chent également sur des redistribu-tions importantes.

Les soutiens directs découplés sont-ils neutressur la production ?Cette question est d’importance carles soutiens découplés, tolérés pourl’instant dans le cadre de l’OMC, sontnéanmoins critiqués. Leur effet de dis-torsion de concurrence fait en parti-culier l’objet d’un examen approfondi.Nous avons récemment soumis uneréflexion à ce sujet dans le cadre d’unouvrage international de l’ICTSD (1).Nous y soulignons que les soutiensdécouplés ont moins d’effet de distor-sion sur la production et sur les échan-ges que les soutiens couplés ou qu’unsystème de prix garantis à un niveauélevé. Cependant, ils ne sont pas tota-lement neutres sur les choix productifsdes agriculteurs : en assurant un mon-tant minimal de revenu indépendam-ment de l’évolution des prix, ilsapportent une sécurisation qui peutfavoriser la production, l’accès au cré-dit, les investissements. Ces soutiensdirects sont néanmoins indispensa-bles à la viabilité d’un très grand nom-bre d’exploitations européennes.

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Au sein de l’Union européenne, et comme en témoignent les nombreux débats dumoment entre la France et l’Allemagne sur la question de la compétitivité relativedes filières agricoles, les Etats membres sont en concurrence les uns vis-à-vis desautres. Si la PAC cherche, au travers du principe de l’unicité des marchés, à harmoniserles règles (administratives, sanitaires, environnementales, etc.) entre les Etatsmembres, elle offre aussi à chacun d’eux d’importantes latitudes quant à leursapplications (selon le principe dit de la subsidiarité). De même, la PAC ne se substituepas à certaines règles nationales (fiscalité, niveaux des salaires, etc.) qui peuventinduire des distorsions de concurrence. Ainsi les règles nationales relatives à lamise en œuvre du régime des quotas laitiers sont, depuis de nombreuses annéesdéjà, très différentes d’un pays à l’autre. Les travaux de recherche sur le secteur laitier soulignent que les exploitationsfrançaises disposent d’atouts à faire valoir dans la compétition européenne : dufoncier en quantité relativement abondante ; des montants importants d’aidesdirectes ; une bonne maîtrise du coût alimentaire (en raison notamment d’un climatpropice) ; un faible coût d’acquisition des moyens de production (le foncier vautmoins cher qu’ailleurs et les quotas laitiers sont gratuits et gérés administrativement) ;une dynamique soutenue des investissements pour moderniser les installations etles rendre compatibles avec les normes environnementales. Ces travaux indiquent,en revanche, que les unités françaises sont pénalisées par des coûts élevés demécanisation et une productivité du travail encore insuffisante par rapport à celledes concurrents des pays du Nord. Enfin, en raison des investissements importantsréalisés au cours de la précédente décennie, de nombreuses exploitations pourraientaujourd’hui produire plus de lait à coûts fixes constants.D’une façon générale, des travaux conduits à l’Inra cherchent à identifier les forceset faiblesses des exploitations agricoles françaises dans l’univers concurrentielcommunautaire. En s’appuyant sur les bases de données représentatives del’agriculture européenne (Enquête structure, Réseau d’Information ComptableAgricole) et en privilégiant des analyses pluriannuelles, ces travaux permettentd’apporter des résultats quantitatifs précis sur les gains de productivité (des facteursde production et du travail), l’efficacité économique des différents systèmes deproduction et/ou la dynamique de l’endettement. Ces analyses comparativespermettent aussi de tester la sensibilité des exploitations agricoles à une modificationdu mode d’octroi des aides de la PAC et à une variation des prix des produitsagricoles ou des intrants. Dans le contexte d’une raréfaction progressive desressources en énergie fossile, ces recherches doivent aussi permettre de discuterdes systèmes de production innovants sur le plan environnemental et performantsau plan économique.

Une âpre concurrence entre pays européens

(1) Agricultural Subsidies in the WTO Green BoxEdited by Ricardo Meléndez-OrtizInternational Center for Trade and Sustainable Development., Geneva, Switzerland.

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Comment analysez-vous lesmesures environnementalesde la PAC ?Les deux principaux instruments enfaveur de l’environnement sont laconditionnalité des aides et les MAE.Incluses dans le deuxième pilier, lesMAE sont basées sur des contrats. Leuradoption par les agriculteurs est facul-tative. Nous avons conduit deux pro-grammes de recherche européens surles MAE et réalisé deux rapports d’évaluation, ces derniers à la demandede la Commission européenne. Notreanalyse pointe plusieurs défauts. Tropd’objectifs parfois contradictoires sontciblés par les MAE, conduisant à unedispersion des efforts. Les coûts admi-nistratifs de ces mesures sont malconnus et les bénéfices attendus ne 2

UNE “BANDE ENHERBÉE” (mélange fleuri) en bordure de champs de maïsdans une région de grandes cultures intensives de plaine (vallée de l’Ain).

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Les mesures agri-environnementales (MAE), par Pierre Dupraz, directeur de l’unité « Structures et Marchés Agricoles, Ressources et Territoires »

Les instruments de régulation des marchés, par Alexandre Gohin, directeur de recherche, unité « Structures et Marchés Agricoles, Ressources et Territoires »

Faut-il une régulation publique des marchés agricoles ?C’est certainement l’un des sujets lesplus controversés en économie agri-cole. Pour les tenants d’une forterégulation publique, les marchésagricoles ne peuvent pas s’autorégu-ler, de par leur spécificité. Prenonsun exemple. Si la récolte de blé estmauvaise, les prix augmentent car ily a pénurie. Pour qu’ils diminuent, ilfaudrait, soit que l’offre augmente,soit que la demande diminue. Or l’offre est peu réactive, du fait de ladurée du cycle de production, et lademande est peu modulable, du faitde besoins alimentaires constants.Toute variation de prix est doncamplifiée, au détriment de la stabilitédu marché et du fonctionnement desentreprises.A l’inverse, les tenants d’une faiblerégulation publique en agriculturearguent que les mécanismes privésde stockage et d’échanges interna-tionaux suffisent à endiguer l’essen-tiel de la volatilité. Le reste étantcompensé par des systèmes d’assu-rance ou de marchés à terme. Forceest de reconnaître que ces solutionsprivées n’existent pas toujours etmême lorsqu’elles existent, les prixet revenus ne sont pas stables pourautant.

Pourquoi est-il difficile de développer des solutionsprivées ?De nombreux travaux de recherchesoulignent le rôle dissuasif des poli-tiques publiques agricoles sur le déve-loppement des outils privés de gestiondu risque. En particulier les aidesdirectes, surtout lorsqu’elles sont ajus-tables en fonction des prix, commeaux Etats-Unis, réduisent l’intérêt pourles agriculteurs à utiliser des produitsde gestion des risques. Nos recherchesmontrent en plus que les entreprisesdisposent également de certains levierspropres pour gérer les effets du risque,notamment via leurs décisions d’in-vestissement. En anticipant ou retar-dant leurs investissements, elles lissentles effets des prix sur leurs propresrevenus et par la même occasion ten-dent à stabiliser les marchés.

Comment fonctionnent les marchés à terme ?Les marchés à terme, qui existentdans de nombreux secteurs permet-tent des opérations de bourse sur desmarchandises agricoles ou non-agri-coles. Dans le secteur agricole, ilsconsistent à « pré-vendre », par exem-ple la production de l’année à venir,en pariant sur le prix qui aura coursau moment de la récolte. Acheteurs etvendeurs se mettent d’accord sur des

contrats en fonction de leurs estima-tions respectives. Le vendeur réalisedes gains si le prix sur lequel il s’estengagé est supérieur au prix de mar-ché en vigueur au terme du contrat...et inversement pour l’acheteur. Cejeu de spéculation, qui est très dis-cuté, a cependant une vertu, qui est deprotéger les acteurs contre les varia-tions futures de prix, puisque ce sonteux qui fixent et s’engagent sur lesprix. Nous avons montré que les spé -culateurs, en intervenant massive-ment sur les marchés à termefavorisent la production par couver-ture du risque.

Quel rôle pour l’action publique ?Elle devrait veiller au bon fonction-nement de ces marchés à terme, ens’assurant notamment qu’ils ne sontpas aux mains d’un nombre limitéd’acteurs qui pourraient imposer desprix trop éloignés de la réalité. L’in-tervention publique est égalementnécessaire dans les situations ditescatastrophiques, un accident sanitairemajeur par exemple, pour lesquellesles solutions privées ne sont pas effi-caces. Un enjeu majeur de recherchesest d’ailleurs d’établir une frontièrenon arbitraire entre ces situationscatastrophiques et ce qui relève d’unesituation normale de risque.

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sont pas assez documentés. Cela handicape leur efficacité et leur éva-luation. Les coûts administratifs sup-portés par les agriculteurs ne sont paspris en compte dans les compensa-tions offertes, au détriment des mesu-res les plus ambitieuses du point devue environnemental. Récemmentdes progrès ont été réalisés dans laprise en compte des effets de seuil : untaux d’adoption minimal est exigépour la mise en œuvre de certai-nes MAE territorialisées pour queleur impact soit significatif sur la qua-lité de l’eau ou sur la biodiversité.

Comment dessiner des aidesefficaces ?Outre la correction des défauts évo-qués ci-dessus, un point essentiel estde cibler des objectifs adaptés à l’ins-trument. Offrir des MAE aux agri-culteurs pour réduire les impactsnégatifs des pratiques sur la qualité del’eau ou de l’air est en contradictionavec le principe pollueur-payeur. Au-delà de l’aspect moral, enrichir lespollueurs leur donne un avantage surles marchés, en particulier sur le mar-ché foncier, qui peut s’avérer contre-productif à long terme. Autre aspect, développer des MAEavec obligation de résultats. Danscette logique, le paiement des aidesest subordonné à l’obtention de résul-tats environnementaux, au contrairedes mesures à obligation de moyensqui ne sont pas directement liées auxrésultats. Cela sous-entend de pou-voir mesurer ces impacts environne-mentaux. Les expériences récentessont prometteuses, y compris enterme de collaboration entre agricul-teurs, militants associatifs et admi-nistrateurs. Elles montrent la nécessitéd’un accompagnement scientifiqueet technique soutenu.

Quelles pistes de recherchepour ces aides ?La PAC étant une politique euro-péenne, il semble logique qu’ellefinance des biens publics globaux,comme la biodiversité, plutôt que desbiens publics locaux, comme la qua-lité de l’eau ou le paysage. On peutcomprendre par exemple que les Bulgares rechignent à financer la qua-lité de l’eau en Bretagne. Pour servirdes objectifs globaux, comme la bio-diversité, on pourrait se pencher surun indicateur comme le taux dematière organique des sols. Un tauxoptimal permet en effet une protec-tion contre l’érosion, une meilleure

dégradation des pesticides, unmeilleur usage des engrais. Il favo-rise la vie dans le sol, et par là-même,la biodiversité dans l’ensemble del’agro écosystème. Enfin, il est un indi-cateur du carbone séquestré dans lesol, ce qui rejoint la problématiquedu climat. En allant plus loin, ce tauxde matière organique pourrait être

pris en compte pour attribuer lesaides du premier pilier, non pascomme conditionnalité, mais sousforme d’aides modulées en fonctiondes résultats obtenus. La difficultéconsiste actuellement à mesurer cetindicateur de façon simple et peucoûteuse. Ici aussi, il y a besoind’appro fondir.

Comment prendre en compte les territoires ?

Il est aujourd’hui malaiséd’évaluer les aides qui sontréellement consacrées audéveloppement des terri-toires ruraux. Une partie deces aides dépend de la« Politique de cohésion »,volet de la politique de l’UEvisant la convergence des« régions » européennes.Quant à la PAC, même si ledeuxième pilier est intitulépolitique de « dévelop -pement rural », les mesuresqui lui sont spé cifi quementdédiées n’en représententque 18 % du budget total.Ces mesures concernentessentiellement la qualité de vie et la diversification économique des territoires. Latrentaine de mesures du deuxième pilier est surtout consacrée au développementagricole, pour soutenir la compétitivité de l’agriculture, encourager les pratiquesagri-environnementales (MAE essentiellement) et compenser les handicaps naturels. Cette situation invite à clarifier les rapports entre développement des territoiresruraux et développement de l’agriculture, qui sont en réalité essentiels l’un à l’autre. Notre analyse montre que l’agriculture joue encore un rôle moteur dans le déve-loppement économique des territoires ruraux, même si son poids s’est considéra-blement amoindri dans les dernières décennies, surtout pour les espaces rurauxsoumis à de fortes influences urbaines et qui se tournent vers des économies rési-dentielles. Des recherches récentes montrent que cet effet d’entraînement est d’au-tant plus fort dans les régions possédant un secteur agro-alimentaire développé, àcondition que ce dernier valorise les productions locales. L’agriculture joue aussi unrôle déterminant dans l’attractivité démographique rurale, par les paysages qu’ellecontribue à offrir et par son rôle dans la qualité des ressources naturelles. Peu de tra-vaux permettent cependant de documenter ce dernier point. Des études montrent quecertains traits du paysage ont un effet attractif direct (haies, forêts, par exemple).Réciproquement, le développement rural profite à l’agriculture et c’est là un aspectmoins clairement pris en compte : la qualité des biens et services offerts localement,les dynamiques économiques offrant une possibilité d’emplois pour le conjointsont autant de facteurs qui favorisent l’installation, la reprise d’exploitations etaident à la pérennisation de certaines structures agricoles.En conclusion, il serait nécessaire, d’une part, de clarifier les objectifs du second pilieret, d’autre part, d’articuler les différents volets des politiques, PAC et Politique de cohé-sion, pour éviter les redondances, voire les incohérences, dans l’application desmesures. Les recherches permettant une connaissance fine des impacts réciproquesentre développement de l’agriculture et développement des territoires seront utilespour y parvenir.

PAYSAGE AGROFORESTIER : les arbres espacés permettent une production agricole maintenue dans un paysage attractif.

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Bertrand Schmitt et Francis Aubert, Centre d'Economie et de Sociologie Rurales Appliquées à l'Agriculture et aux Espaces Ruraux, Inra Dijon

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La PAC et les échanges internationaux de produitsagricoles

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L ’agriculture a longtemps faitl’objet de dérogations qui, enpratique, revenaient à l’exo-nérer des contraintes impo-

sées au commerce international. Lacontrainte est apparue lors du cycledit de l’Uruguay initié en 1986. LesEtats-Unis, la Nouvelle-Zélande etl’Australie, mais aussi plusieurs paysémergents comme le Brésil, l’Argentineou la Thaïlande, ont fait pression pourmettre fin à « l’exception agricole ». Le cycle de l’Uruguay s’est conclu en1994 par les accords de Marrakech.Leur volet agricole comprenait trois« piliers » sur lesquels les membres sesont engagés : le soutien interne, la

concurrence à l’exportation et l’accèsau marché. En l’absence d’un nouvelaccord à l’OMC, ces règles organisentaujourd’hui encore le commerce inter-national de produits agricoles.Sur le chapitre du soutien interne d’abord, les aides ont été classées danstrois « boîtes » de couleur différenteselon les distorsions de concurrencequ’elles entraînent. La plus distorsive,la boîte orange, renferme les aidescouplées ainsi que les dépenses desoutien au prix de marché. Elle estsoumise à un plafon nement et à desengagements de réduction. La boîtebleue contient des aides aux effetsplus ambigus puisqu’elles sont cer-

tes couplées mais simultanément sou-mises à des mesures de contrôle del’offre, comme une obligation de miseen jachère par exemple. Ces aides sonttolérées. La boîte verte enfin contientdes aides ayant peu ou pas d’impactsur la production. Les aides décou-plées, les soutiens à la recherche ou lesaides environnementales entrent danscette catégorie. Les aides de la boîteverte sont autorisées sans limites.Les restitutions à l’exportation,ensuite, étaient l’outil le plus criti-qué car elles abaissent directementles cours mondiaux et concurren-cent les productions locales des paystiers. De nombreux pays souhaitaient

La PAC influence les marchés mondiaux des produits agricoles. A ce titre, elle doit respecterles règles édictées par l’OMC. L’enjeu des travaux de l’Inra est double : éclairer l’avenir de la PAC en tenant compte des règles actuelles et futures de l’OMC, comprendre les liens entre commerce et développement.

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leur disparition. En 1994, fut décidéeune obligation de réduction de cessubventions après qu’elles aient étéplafonnées par produit à la fois envolume et en valeur.Enfin, l’accord sur l’accès au marchéavait pour but d’obtenir une plusgrande prévisibilité et une meilleuretransparence. Les différents instru-ments protecteurs des marchés inté-rieurs ont été convertis en équivalentsdroits de douane et réduits de 36% enmoyenne.

Des règles plus contraignantes à l’avenirLe volet agricole des accords de Mar-rakech laissait aux membres une cer-taine marge de manœuvre. Elle a étéutilisée par les pays afin d’échapperaux aspects les plus contraignants del’accord. Un savant dosage dans laréduction des droits de douane a ainsipermis de conserver les droits les plusélevés qui protégeaient des secteurs

sensibles tout en respectant les objec-tifs globaux de réduction. De même,les différentes réformes de la PAC,notamment le découplage des aides,ont permis de conserver des soutiensinternes élevés dans l’UE en les trans-férant vers la boîte verte.Selon l’économiste Jean-ChristopheBureau, « peu de réformes ont en fait étéadoptées sous la contrainte directe del’OMC. Toutefois, prévient le chercheur,dans les négociations actuelles, certai-nes propositions de modalités, commecelles des Etats-Unis ou du Brésil, empê-cheraient l’UE de conserver des outilsde régulation ou de gestion de crise.Outils pourtant fort utiles au regard dela situation actuelle de l’agriculture ». L’issue des négociations qui ont lieuactuellement dans le cadre du cycle deDoha reste incertaine car de nom-breuses divergences subsistent sur levolet agricole, comme sur de nom -breux dossiers non agricoles. Cepen-dant, on entrevoit la forme que

prendrait un accord. C’est plutôt lechiffrage des différents engagementsqui fait débat. D’ores et déjà, il a été convenu de sup-primer les subventions à l’exportationdès 2013 en cas d’accord. Pour le sou-tien interne, le plafond de la boîteorange devrait être réduit et la boîtebleue serait, elle aussi, plafonnée. Unerestriction porterait également sur lecumul de toutes les aides distorsives.D’autre part, le contenu de la boîteverte pourrait être réexaminé. Pourl’accès au marché, il a été convenud’une modalité de réduction parbande tarifaire dans laquelle les droitsde douane les plus hauts seraient sou-mis à de plus fortes baisses. Néan-moins, les pays auraient la possibilitéde classer certains produits dans unecatégorie dite « sensible » pour les-quels des conditions plus souplesseraient accordées.

Mesurer les conséquencesd’un futur accordTout comme dans la définition desréformes des politiques publiques, leséconomistes participent à éclairer lesnégociations internationales en quan-tifiant les impacts des diverses pro-positions.Dans cette optique, les chercheurs del’Inra de Rennes ont développé unmodèle du commerce internationalagricole permettant d’évaluer l’impactdes propositions sur l’agriculture euro-péenne (UE à 15). En se basant sur laproposition de l’UE, les situationsapparaissent très contrastées. Les mar-chés européens du maïs, des viandesovines, bovines et de volailles seraientles plus affectés par les importations àla hausse. La production extensive deviande bovine (vache allaitante) seraitla plus touchée car très concurrencéepar des pays comme le Brésil. Basé surl’herbe, ce secteur produit pourtantde nombreux bénéfices environ -nementaux. D’autre part, les exporta-tions européennes de sucre, de viande,de volaille, de produits laitiers et d’orgesouffriraient de la fin des subventionsà l’exportation.Au final, les revenus et la valeur ajou-tée agricole baisseraient et de nomb-reux emplois pourraient quitter lesecteur. Toutefois, les auteurs préci-sent que ces résultats dépendent for-tement de plusieurs paramètresdifficilement maîtrisables tels que l’évolution des prix mondiaux, destaux de change, de la consommationalimentaire en Chine. L’évolution deces variables a été explorée dans le 2

Du Gatt à l’OMC, des négociations de plus en plus difficilesLe processus de négociations multilatérales a débuté en 1947 avecla signature de l’accord général sur les tarifs douaniers et lecommerce (GATT en anglais). Depuis 1995, il se poursuit dans lecadre de l’OMC. Alors que le Gatt, signé entre 23 pays, concernaitessentiellement la réduction des droits de douane industriels, lesnégociations à l’OMC impliquent actuellement 153 membres et sesont étendues à d’autres secteurs comme l’agriculture, les servicesou encore la propriété intellectuelle. Deux principes sous-tendentl’adoption d’un accord multilatéral : l’unanimité de tous les membreset le « tout ou rien », c'est-à-dire qu’aucun accord ne peut s’appliquerdans un secteur particulier avant qu’un consensus soit trouvé danschaque domaine. L’affrontement sur une question sensible commel’agriculture peut donc bloquer l’ensemble des négociations.L’entrée effective de l’agriculture dans le processus de libéralisationet la création de l’OMC sont toutes deux le fruit des accords deMarrakech qui ont conclu, en 1994, le cycle de l’Uruguay. En plusde l’introduction d’un volet agricole ambitieux et contraignant, cesaccords prévoyaient la création d’une organisation internationale,juridiquement reconnue, à même de faire respecter les règlesédictées et continuer à réduire les obstacles aux échangesinternationaux ; ce sera l’OMC. Contrairement à la plupart desorganisations internationales, l’OMC possède une réelle capacitéd’imposer ses décisions à un Etat au travers de son Organe deRèglement des Différends (ORD). La procédure de règlement desdifférends peut aboutir à l’autorisation de mesures de rétorsion dela part du pays lésé contre le membre en infraction. Peu à peu, unejurisprudence est ainsi créée. De plus en plus de pays en voie dedéveloppement utilisent d’ailleurs ce recours. Les accords de Marrakech prévoyaient aussi l’ouverture de futuresnégociations. Un nouveau cycle à ainsi débuté à Doha en 2001.Qualifié de « cycle du développement », il témoigne de la montée enpuissance des pays émergents comme le Brésil ou l’Inde dans lesnégociations, mais aussi de la difficulté d’obtenir un accord multilatéral.En effet, près de dix ans après, il n’a toujours pas été conclu.

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lui est associée pénalisent plutôt despays émergents exportateurs de pro-duits agricoles comme le Brésil ou laThaïlande, mais favorisent les pays lesplus pauvres. L’Europe octroie en effetde nombreuses préférences tarifaires àces derniers. Sur les 153 membres del’OMC, environ 140 bénéficient d’accords qui leur permettent d’ex-porter plus facilement sur le marchécommunautaire. Les 49 pays les moinsavancés (PMA) peuvent même expor-ter vers l’Europe tous leurs produits,hormis les armes, sans droits dedouane ni limite quantitative. La PACles met donc à l’abri de leurs concur-rents exportateurs possiblement pluscompétitifs en coûts.L’Inra, en partenariat avec le CEPII(1), a développé un modèle mathé-matique du commerce mondial,appelé MIRAGE-AGRI, qui permetde quantifier les effets d’un futuraccord à l’OMC en tenant comptedes préférences tarifaires et des droitsde douane réellement appliqués. Cemodèle est utilisé par la Commis-sion européenne dans ses négocia-tions commerciales. Il pointe un effet défavorable de la libéralisation ducommerce agricole au dévelop -pement des PED : en réduisant lesdroits de douane pour l’ensembledes pays, l’accord amoindrirait lamarge préférentielle dont ils bénéfi-cient pour leurs exportations, parrapport à leurs concurrents émer-gents ou développés. Au total, le modèle MIRAGE-AGRI

conclut à des effets très contrastéspour les PED. Globalement, ce sontles pays du groupe de Cairns (2) quiverraient leurs exportations augmen-ter le plus au détriment de l’Europe etdes pays bénéficiant de préférencestarifaires. L’Australie et le Brésilapprovision neraient davantage lesmarchés de l’Afrique, des Caraïbes oudes pays Andins. Malgré la faible aug-mentation de prix prévue par lessimulations en cas d’accord dans lecycle de Doha, l’Afrique subsaha-rienne ou les pays méditerranéensverraient leur situation se dégradercar les pertes pour les consommateurspayant plus cher leur nourritureseraient supérieures aux gains pourles producteurs. En revanche, plu-sieurs pays asiatiques et sud-améri-cains gagneraient à la libéralisation.L’OMC reconnaît dans ses statuts lebesoin d’appliquer des règles plus sou-ples pour les PED. Plusieurs mesuresen ce sens existent déjà. Toutefois,comme le démontrent ces résultats,ce régime ne distingue pas assez lesPED entre eux pour satisfaire auxobjectifs de développement du cyclede Doha. Les efforts de modélisation,au-delà de leur rôle prédictif, peuventpermettre de concevoir un systèmede préférence à même de créer un lienfort entre expansion du commerce etdéveloppement. ●

cadre de la prospective « Agriculture2013 ». Cette initiative de l’Inra, enpartenariat avec le Crédit Agricole etGroupama, a permis de simuler, à tra-vers trois scénarios contrastés, l’im-pact de la croissance des politiquespubliques en matière de biocarburants,des règles de l’OMC et de la PAC.La situation en Europe est égalementpassée au peigne fin dans le but demesurer l’acceptabilité des proposi-tions d’autres membres. Ainsi, Jean-Christophe Bureau et Jean-PierreButault ont montré que l’UE pourraitsupporter une baisse de 70% du pla-fond de sa boîte orange sans avoir àmodifier sensiblement la PAC. Parcontre une réduction plus importantepourrait priver l’UE de la possibilitéde soutenir un secteur particulier encas de crise majeure. Pour l’UE l’enjeupremier des négociations sur le dos-sier du soutien interne est de s’assu-rer du maintien de la définition dela boîte verte, d’autant plus qu’unejurisprudence de l’OMC pourraitpermettre de contester l’absence dedistorsions de ces aides.La fin des subventions à l’exporta-tion enlèvera la possibilité d’apurerle marché intérieur ; le prix plancherdevra se rapprocher du prix mondialmoyen. Si l’Europe voulait mainte-nir des prix minima, il faudrait alorsqu’elle se dote de nouveaux outils derégulation des marchés.La question de l’accès au marchéreprésente le « talon d’Achille » del’Europe dans les négociations actuel-les. Pour certains produits, la viandebovine par exemple, les prix intérieursrestent encore aujourd’hui très supé-rieurs aux prix mondiaux ; une baissede certains droits de douane entraî-nerait une forte hausse des importa-tions comme l’ont montré lessimulations des chercheurs de l’Inra.

Quelles incidences pour le Sud ?Souvent accusées de contribuer àmaintenir les pays en développement(PED) dans la pauvreté, les politiquesagricoles et commerciales des paysdéveloppés ont en fait des effets plusambigus. Il en est donc de même pourla libéralisation des échanges qui viseplus particulièrement ces politiques. La PAC a longtemps concurrencé desproductions locales, comme l’élevageen Afrique de l’Ouest mais, avec ladiminution drastique des subventionsà l’exportation depuis 1994, c’est demoins en moins le cas. Aujourd’hui, laPAC et la protection douanière qui

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Dossier rédigé par GéraudChabriat et Pascale MollierResponsable scientifique :Vincent Chatellier (Inra, Angers-Nantes) et Hervé Guyomard (Inra,directeur scientifique Agriculture)

+d’infosOréférences :- « La politique agricole commune ». Jean-Christophe Bureau, 2007, Ed. La Découverte.- Tous les résultats et enseignements de la prospective sur : www.inra.fr/agriculture2013

(1) Centre d’études prospectives et d’informationsinternationales.(2) Coalition de 19 pays agro-exportateurs développés et émergents subventionnant peu leur agriculture(Brésil, Argentine, Canada, Australie, Afrique du Sud...)

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L es forêts méditerranéennes nes’enflamment pas qu’aucontact de la foudre. Aujour-d’hui, l’homme est responsa-

ble de la plupart des incendies. Lesactivités humaines au sein ou au voi-sinage des forêts multiplient lesrisques d'imprudences et de mises àfeu accidentelles.Chaque année en Europe, un demi-million d’hectares de forêt brûlent.Dans le pourtour méditerranéen, lenombre de grands incendies aug-mente fortement, défiant les moyens

écosystèmes au sein de l’unité derecherche « Ecologie des forêts médi-terranéennes » de l’Inra d’Avignon. Ila co-animé de 2006 à 2010 « Fire Para-dox », un programme de rechercheeuropéen. Avec « Fire Paradox », onchange de tactique, on apprend à vivreavec les incendies, précise-t-il. Il ne s’a-git pas d’éteindre tous les feux, maisd’en prévenir les conséquences les plussévères. Car le feu a aussi des effets béné-fiques de régénération de la végétation,par exemple dans la pratique tradi-tionnelle du brûlage pastoral. Certaines

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Feu contre feu

de lutte conventionnels. Ils peuventdurer plusieurs jours sans que lespompiers ne parviennent à les étein-dre. En Grèce, pendant l'été 2007, 300 000 hectares ont été consuméspar le feu et 80 personnes ont perdu lavie. Les dommages ont été estimés àplusieurs milliards d'euros. Et le pireest à venir, selon les prévisions dechangement climatique, assorties decanicules et de sécheresses répétées...« La surenchère de canadairs ne mène àrien, explique Eric Rigolot. Ce cher-cheur étudie les effets du feu sur les

uneunité

O À AVIGNON

PRÉVENTIF, LE BRÛLAGE

DIRIGÉ élimine les broussailles et la litière sans

détruire les arbres.

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Dans les pays du poutour méditerranéen, les lances à eau ne suffisent plus à « saper » les incendies de forêts, plus nombreux, plus puissants. Grâce au projet « Fire Paradox », les scientifiques de l’Inra ont élaboré de solides outils de lutte contre le feu, par le feu.

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essences forestières ont d’ailleurs déve-loppé des adaptations surprenantes,comme le déclenchement de la germi -nation des graines après le passage dufeu. Concernant les incendies domma-geables, nous avons élaboré, avec nos 35partenaires de 15 autres pays touchéspar les incendies de forêt, deux tech-niques de « gestion du feu par le feu »,l’une préventive : le brûlage dirigé, l’au-tre défensive : le feu tactique. L’ensemble,feu préventif comme défensif, constitueune nouvelle gestion du feu, intégrée. »

Le brûlage dirigé, feu préventif Nous avons mis au point cette techniqueen France il y a une dizaine d’années, encréant des formations, une charte et desfiches de suivi qui décrivent le milieuet les dispositions opérationnelles, pour-suit Eric Rigolot. Déclenché dans desconditions environnementales choi-sies, le brûlage dirigé est confiné à unezone prédéterminée. On y recourtavant tout pour consommer le com-bustible végétal afin de réduire lesrisques d'incendie. Les chercheurs ontmontré que l'application extensivedu brûlage dirigé permet d’abaisserles émissions de CO2 en diminuantles surfaces incendiées, particulière-ment dans les pays où le feu est fré-quent. Le brûlage dirigé est aussiutilisé pour maintenir les paysagesouverts, favoriser la biodiversité oucréer des pâturages.Les chercheurs ont en outre produitun guide adapté aux particularitésdes autres régions européennes.

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« Nous avons réussi à introduire cettetechnique dans des pays d'Europe oùelle n'avait jamais encore été utilisée,comme en Italie » observe Eric Rigolot.En préalable, les chercheurs avaientméticuleusement collecté et compilédes données sur tous les combustiblesforestiers (essences, herbes, buissons,etc.) dans une base européenne. Celle- ci alimente le « Fuel Manager », logi-ciel qu’ils ont également développépour reconstituer différents niveauxde végétation et visualiser leur crois-sance dans le temps.

Le feu tactique renaît de ses cendresUtilisé de tout temps par les popu-lations rurales pour protéger leursvies et leurs biens, avant même l'ap-parition des services de lutte organi-sés, le feu tactique a rapidement été

FORMATION SUR LE BRÛLAGE DIRIGÉ dans le massif des Maures (Var). Pour conduire un brûlage dirigé, des lignes successives de mise à feu sonttracées, en descendant la pente et contre le vent, pour ralentir et contrôler le feu.

LE FEU PROGRESSE par bandes montantes, chaque bande étant arrêtée par la précédente, située en amont.

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© Inra /Christophe Maître

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interdit. Trop dangereux. Grâce aux recherches, en particulier celles del’Inra, cette technique a été à nouveauautorisée par la loi sur la sécurité civilede 2004. Le feu tactique est mainte-nant pratiqué en complément des autres techniques d'extinction pourfaire face aux incendies exceptionnels.Comment expliquer qu'un incendiesoit dévoré par le feu tactique ? « Nousavons voulu vérifier le phénomène sou-vent évoqué d'aspiration entre deuxfeux. D'après nos résultats, on ne l’observe que lorsque deux fronts de feusont très proches. C'est avant tout l'absence de combustible qui arrête lapropagation de l'incendie. Le feu tac-tique consomme le combustible en avantde l'incendie qui n'est donc plus ali-menté, précise Eric Rigolot. Les cher-cheurs ont réalisé les premièressimulations numériques de feu tac-tique grâce à « Firetec », modèle depropagation du feu élaboré avec lesAméricains du Los Alamos NationalLaboratory, associés au projet. La pro-pagation est simulée en trois dimen-sions à l’échelle d’un peuplementforestier ou d’un petit paysage de 20 à50 ha. Pour Eric Rigolot, « Firetec resteun outil au service de la recherche, trèssophistiqué, mais qui permet de fournirdes recommandations opérationnelles.Comme tout modèle, il ne peut s’af-franchir des expérimentations, sur leterrain ou en bancs d’essai au labora-toire. Celles-ci permettent de paramét-

rer des critères complexes (température,hygrométrie, mesure du vent, géomé-trie des flammes, topographie, compo-sition et structure de la végétation, etc.)et de les comparer à la réalité observéepour valider les prédictions : vitesse depropagation du feu, intensité, hauteurde roussissement foliaire pour anticiperla mortalité des arbres après incendie,etc. » A partir des résultats de « Fire Para-dox », un livre blanc1 a été publié, destiné aux décideurs politiques etéconomiques. Parmi les recomman-

dations : éviter les travaux forestiers pendant les périodes d’été à hautrisque, et la circulation des prome-neurs aux heures les plus chaudes, appuyer les projets d’enfouissementde lignes à haute tension, etc. Matérielpédagogique, vidéo, site Internet,actions de formation et de sensibilisa-tion2 ont relayé ces messages auprèsdes différents usagers de la forêt (spécialistes de l'aménagement des ter-ritoires, professionnels du feu, pro-priétaires, habitants, agriculteurs, sylviculteurs, entreprises, promeneurs,touristes, automobilistes). A l'échelleeuropéenne, les chercheurs préconi-sent d’insérer la gestion intégrée dufeu dans la législation, au travers d'unedirective-cadre. ●

Magali Sarazin et Anne Glémin

1- www.efi.int2- Voir la plateforme de transfert de connaissances :http://fireintuition.efi.int

+d’infosOcontacts :[email protected]éférencesMorsdorf F., Anders M., Koetz B., Cassagne N., Pimont F., Rigolot E.,Allgöwer B. 2010. Discrimination of vegetation strata in a multi-layered Mediterranean forest ecosystem using height and intensityinformation derived from airborne laser scanning. Remote Sensingof Environment 114: 1403–1415. (doi:10.1016/j.rse.2010.01.023)Rego F., Silva J.S., Fernandes P., Rigolot E. 2010. Solving the FireParadox – Regulating the wildfire problem by the wise use of fire. In: Silva et al. (ed.) Towards Integrated Fire Management –Outcomes of the EU Project Fire Paradox. EFI Res. Rep. 23: 220-228.

A L’INRA D’AVIGNON, un dispositif expérimental permet d’observer la propagation d’un feu. Lors des essais, ce plateau articulé de 27 m2

est recouvert de différents végétaux forestiers.

PORTUGAL.RÉALISATION D’UN FEUTACTIQUE en têted’incendie où lesflammes atteignentdéjà quatre mètresde hauteur et vingtde longueur. On observe un phénomèned’aspiration et de convergence entre les deux feux.

© Fire Paradox / Pedro Palheiro / GAUF-DGRF

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Voir le diaporama :www.inra.fr/la_science_et_vous/la_maitrise_du_feu

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28 février 2010Les digues ont cédé dans la nuit. La mer s’estengouffrée sur le marais quadrillé de canaux. Elle a noyé cultures et prairies et détruit les systèmes hydrauliques régulant l’eau douce. En Charente-Maritime, plus de 700 exploitations ontété touchées, quelquefois en totalité. Les animauxd’élevage ont été épargnés, la plupart étant à l’abrien cette période de l’année.

mars 2010L’urgence est d’extraire l’eau salée des champs,alors même que les vannes ou les pompesélectriques sont hors d’usage. Les Chambresd’agriculture recensent les besoins immédiats des exploitants et leur apportent des soutiensd’urgence. Elles dressent une carte des exploitations touchées pour évaluer l’ampleur des dommages et alertent les collectivités locales,l’Etat et l’Europe pour débloquer des financementsexceptionnels.

printemps 2010 Sur les prairies, les apparences

sont trompeuses : l’herbe n’a pas étéépargnée par la submersion et le sel.

Les légumineuses ont disparu. Le pâturage sera maigre et la récolte de fourrage pour l’hiver compromise.

Une chaîne de solidarité se met en placeavec des territoires excédentaires

en ressources fourragères.

Tempête Xynthia :après l’inondation, une activitéagricole à reconstruireLa tempête Xynthia de l’hiver 2010 a touché très durement les habitants et agriculteurs du littoral charentais et vendéen. En Charente-Maritime, l’eau salée a envahi 23 000 ha de cultures et de prairies. Les exploitants mettront du temps à remettre leurs parcelles en état.Sur le terrain, l’Inra s’associe aux Chambres départementales d’Agriculture qui soutiennent les agriculteurs et les conseillent sur la conduite à tenir.

N ous avons pu agir dans l’urgence avec l’Inra, parce que nous œuvrons ensemble depuis des années ». PourDidier Gauchet, directeur de la Chambre d’agriculture de Charente-Maritime, « ce partenariat est extrême-ment important. Il est vraiment construit pour échanger nos connaissances, pas par principe ». Au domaine del’Inra à Saint-Laurent-de-la-Prée, Jean-Michel Hillaireau et Claude Chataigner apportent leurs compéten-

ces aux Chambres d’agriculture, aux côtés d’autres interlocuteurs professionnels (Arvalis, le Cetiom, les coopératives,le négoce agricole…). Depuis la catastrophe, ces partenaires élaborent et diffusent des notes techniques rédigées pourchacune des cultures. Les informations aident les agriculteurs à situer leur cas particulier et à programmer les travauxde restauration des sols.

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© Philippe Bégaud

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Brigitte Cauvin et Armelle PérennèsRemerciements à Philippe Bégaud, agriculteur en marais charentais

mai 2010 L’Inra et les deux Chambres d’agriculture suivent

l’évolution des sols, selon des protocoles définis au débutde la crise. Cent vingt parcelles en Charente-Maritime

et soixante en Vendée sont étudiées de près, grâce à des analyses d’échantillons prélevés régulièrement. Les agriculteurs ont alors des bases techniques pour

mieux programmer les interventions culturalesindispensables. Sur le plus long terme, cinquante

parcelles représentatives de la diversité des situations de l’aire touchée seront suivies pendant trois ans.

août 2010 Les travaux de remise en état des parcelles avant les nouveaux semis sont considérables. L’actionmécanique des outils, combinée à la sécheresse de l’été, contribue à émietter les mottes de terre. Puis, l’épandage de gypse (photo) dans les parcellesde cultures va contribuer à redonner une structureporeuse au sol. Ainsi, la circulation de l’eau seraaméliorée et permettra d’abaisser la salinité pardrainage. En fonction des analyses et de l’évolutiondes sols, techniciens et agriculteurs ont pu calculer et programmer ces opérations logistiques lourdes.Aujourd’hui, ils espèrent que les trop faiblesprécipitations enregistrées depuis le printempspourront être compensées par les pluies de l’automne.

Après les pertes de récoltes de l’année 2010,l’évolution des sols va conditionner la possibilité des semis d’automne. La situation n’étant pas trèsfavorable, certains exploitants repensent leurassolement de 2011 : ils pourront peut-être prendre

le risque d’implanter des céréales d’hiver, comme du blé, ou bien ils attendront le printemps pour envisager de semer de l’orge ou du tournesol. Face à une météo capricieuse, tout le savoir-faire local est en œuvre.

printemps 2010 Sur les cultures (ici des tournesols épars), le sel a brûlé les plantes, la boue a asphyxié les racines. Quelques plantes frêles ont levé dans certaines parcelles. Dans d’autres, le sol est nu et sa structure est compactée.Les récoltes de l’année sont perdues, et celles des annéessuivantes dépendront du travail de restauration du sol.

+d’infos- Chambre d’Agriculture de Charente-Maritime, notes techniques : www.charente-maritime.chambagri.fr/tempete-xynthia.html- Inra Poitou-Charentes : www.poitou-charentes.inra.fr/toute_l_actu/tempete_xynthia_consequences_pour_les_agriculteurs

© Inra / Bertrand Nicolas

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Pour mener des recherches en nutrition humaine, les porcs et, mieux encore, les porcsminiatures sont de parfaits modèles. Les chercheurs de l’Inra s’en servent pour étudier les pathologies liées aux désordres du comportement alimentaire, comme l’obésité. Cela se passe à quelques kilomètres de Rennes, dans l’équipe « Contrôle de l’ingestion » de l’unité de recherche « Systèmes d'élevage, nutrition animale et humaine » (1).

Manger comme un cochon, un modèle de recherche

Au bloc Les chercheurs suivent le devenir réel des alimentsdans le tube digestif par scintigraphie (2). Ils obtiennent également par une autre instrumen tation encore plus précise, le tomographeà émission positronique, des images du métabolisme du cerveau renseignant sur son activité (débit sanguin cérébral, consommationde glucose, réseaux neuronaux impliqués).

Une partie de l’équipe de gauche à droite :Paul Meurice, informaticien, Caroline Clouard,doctorante, David Val-Laillet, chercheur spécialiste ducomportement animal et des neurosciences, Charles-Henri Malbert, animateur de l’équipe, Sylvie Guérin,ingénieur responsable des instruments d’imageriemédicale. En combinaisons bleues : Alain Chauvin et Loïc Gaillard, techniciens de recherche. Animaliers,ils s’impliquent à la fois dans l’élevage et les expérimentations menées avec les porcs. La plupart des techniques utilisées sont non invasiveset elles respectent toutes le bien-être des animaux.

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Petit, obèse et modèleLe porc présente d’intéressantes similitudes physiologiques et anatomiques avec l’homme. Soumis à un régime de type « fast-food », au cours de sa croissance mais aussi à l’âge adulte,il présente les mêmes dysfonctionnements comportementaux,métaboliques et cérébraux que les hommes obèses, atteste DavidVal-Laillet, un des chercheurs de l’équipe. Leurs « circuits de la récompense » sont notamment sous-activés par rapport à des sujets sains. C’est pourquoi il faudra aux obèses plus de stimuli (plus de quantité ingérée, plus de grignotage, etc.) pour satisfaire leur désir alimentaire. Autre avantage pour l’étude des désordres alimentaires : le porc (350 kg à l’âge adulte) aime manger et devient facilementobèse ! On lui préfère alors son cousin, le miniporc, dont lesmensurations restent raisonnables : un adulte de 40 kilos peutatteindre 100 kilos à l’état obèse. Beaucoup plus maniable pour les tests de comportement et d’imagerie fonctionnelle !Ci-contre, un représentant de la race miniature Pitman-Moore.

Décrypter le comportement alimentaire Les chercheurs étudient les déterminants

neurophysiologiques qui conditionnent la sensation de rassasiement, déclenchant l’arrêt du repas (alors que

la satiété détermine les intervalles entre deux repas).Des dispositifs expérimentaux leur permettent de suivreprécisément la consommation des animaux (fréquence,

quantités, vitesse d’ingestion). Ici, un capteur de pression est connecté à la mangeoire pour connaître

en temps réel la quantité de nourriture restant dans l’auge. Un tel dispositif, réalisé par l’ingénieur

électronicien Eric Bobillier, est modulable selon les besoins des études. Les chercheurs observent aussi

le comportement des porcs (préférences et aversions,recherche spatiale de nourriture et persévérance

à trouver un aliment).

Anatomie d’un porc au scanner X L’équipe s’apprête à réaliser un scanner sur un porcanesthésié. Les chercheurs ont mis au point une technique nouvelle pour étudier la distribution des tissus adipeux chez les sujets obèses.L’accumulation de graisse sous la peau ou entre les organes internes comme l’estomac et les intestinsest en effet liée à l’apparition d’une insulino-résistancevoire d’un diabète de type 2. Le scanner sert aussid’outil de neuronavigation pour la chirurgie cérébrale.

Magali Sarazin Reportage photo : William Beaucardet

(1) Unité mixte de recherche Inra et Agrocampus-ouest : http://w3.rennes.inra.fr/senah(2) Imagerie des émissions de rayonnement gamma après injection d’un marqueur radioactifdétecté par une gamma caméra.

+d’[email protected], [email protected]://w3.rennes.inra.fr/senah

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OUNE SOCIÉTÉ AGRONOMIQUE AU XVIIIe SIÈCLE. Les Thesmophores de Blaison en AnjouOuvrage collectifEDITIONS UNIVERSITAIRES DE DIJON, 2010, 282 P., 25 €

en bref OMieux intégrer la biodiversité dans la gestionforestière Marion Gosselin, Yoan PailletComment préserver labiodiversité dans une forêt ?Comment intégrer cettepréoccupation dans la gestionsylvicole ? S’appuyant sur unesolide bibliographie, ce guidepropose un ensemble depratiques construites sur la basede connaissances scientifiques et d’expertise pour aider les forestiers à répondre à cesquestions. Les recommandationssont réparties en deux ensemblescohérents : des actions indivi -duelles à l’échelle de la propriétéet des actions collectives sur des territoires plus vastes.Éditions Quae, collection Guide pratique, mai 2010, 156 p., 29 €

OCochons d’or L’industrie porcine en questions Jocelyne Porcher En 1970, une truie sevrait seizeporcelets par an. Elle en sèvrevingt-neuf aujourd’hui. Une unitéde production de 1 000 truies et 16 000 porcs peut êtreconduite par moins de huitpersonnes. Dans cet élevage, la recherche de performance a conduit à des transformationsradicales du contenu du travail etde son sens. Produire à tout prix ?Pour qui ? Pour quoi ? Cette étude sociologique du travail en production porcineindustrielle intéresse des publicsd’enseignants ou d’étudiants, bien au-delà du strict secteurprofessionnel de l’agriculture.Éditions Quæ, juillet 2010, 256 p.,35 €

Au XVIIIe siècle, la société savantede Blaison, bourg d’Anjou, se

posait des questions qui n’ont rienperdu de leur actualité : « La grandeculture nuit-elle à la population ? », « Son produit est-il différent de celuide la petite culture ? ». A partir detextes originaux, les dix auteurs nousproposent d’entrer dans les débatsd’érudits, à une époque où le mot« agronomie » désigne encore « lediscours sur l’agriculture ». Un chapitreécrit par F. Knittel, chercheur à l’Inra, nous resitue cettesociété parmi ses contemporaines, dans une perspectivehistorique qui annonce l’enseignement agricole. Il donnedes clés pour comprendre leurs échanges, voire leursrivalités, dans ce domaine qui se situe aux charnières de la science, de l’agriculture, de l’économie et du social.

OALIENS TERRESTRIAL ARTHROPODS OF EUROPE EDITEUR : ALAIN ROQUES, ET AL. BIORISK 4, 2010, SPECIAL ISSUE - VOLUME 1 : 570 P., 85 €, VOLUME 2 : 500 P., 75 €

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OTOUTES LES BIÈRES MOUSSENT-ELLES ? 80 clés pour comprendre les bières

Jean-Paul Hébert, Dany Griffon ÉDITIONS QUAE,

COLLECTION « CLÉS POUR COMPRENDRE »JUIN 2010, 224 P., 25 €

Qu’est-ce qu’une bière ? De la bière artisanale

européenne au saké asiatique en passant par le dolo africain, la recette est toujours la même :une céréale riche en amidon quifermente… comme le pain ! Sous forme de questions-réponses, l’ouvrage nous faitdécouvrir l’histoire technique,économique et sociale de la bière,boisson qui, comme le vin, a accompagné le dévelop pementdes civilisations depuis le néolithique. Une mine d’informations pour « se faire mousser »à l’apéritif…

Cette publication découle d’études effectuées dans le cadre du programme européenDAISIE (Delivering Alien Invasive Species Inventories in Europe) qui a pour objectifs

d’inventorier les espèces invasives d’Europe, de décrire les plus envahissantes pour les milieuxterrestres, aquatiques et marins qu’elles colonisent, et d’évaluer leurs impacts économiques,écologiques ou sur la santé. Il s’agit ici du volet consacré aux arthropodes terrestres exotiquesd’Europe, coordonné par A. Roques, Inra Orléans. Douze chercheurs et ingénieurs de l’Inra ontcontribué à cet inventaire très documenté et illustré. Cinq chapitres généraux permettent dedécouvrir les habitats concernés, les répartitions géographiques ou les vecteurs d’introduction.Dix chapitres sont consacrés à chacune des classes d’invertébrés. L’ouvrage, en deux volumes, est un numéro spécial de la revue Biorisk (Biodiversity &

Ecosystem Risk Assessment). Un site web permet de consulter chaque chapitre, par téléchargement séparé et gratuit. Site web : http://pensoftonline.net/biorisk - site d’information de DAISIE : www.europe-aliens.org

OLes secrets des algues Véronique Leclerc,Jean-Yves Floc’hVertes, brunes ou bleues, géantesou microscopiques, vivant au fonddes océans ou au cœur desdéserts les plus arides… D’unediversité étonnante, les alguesreprésentent un dixième desvégétaux du globe. Leur utilisationest tout aussi variée que leurapparence ou leur mode de vie :on en trouve dans nos assiettes,nos crèmes ou nos gélules. Cetouvrage très richement illustré,accessible à tous, vous offre de partir à la découverte de cemonde complexe et insoupçonné. Éditions Quæ, collection Carnets de science , mai 2010, 168 p., 22 €

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Ce dossier scientifiquepermet d’entrer dans

l’actualité d’une sélectiongénétique des animauxd’élevage dont les objectifset les techniques ontgrandement évolué en 60 ans. Les huit articlesapportent des éclairagesprécis sur des mots quirecouvrent des conceptscomplexes à expliquer. Les thèmes ont étévolontairement choisis dans des filières animalesdiverses, à des niveaux d’organisation différentsou dans plusieurs disciplines. Ces précisions sont bien utiles à un moment où l’élevage mondial est fortement questionné :décrié dans certains pays, désiré dans d’autres...Résumés disponibles sur : www.inra.fr/productions-animales

OLes insectes ont-ils un cerveau ? 200 clés pour comprendre les insectes Vincent AlbouyCet ouvrage, joliment illustré, estconstruit autour de questions-réponses assez originales ouamusantes. Les connaissancesqu’il apporte relèvent denombreux domaines : histoire del’entomologie, relations auxhommes, anatomie, classification,mœurs… jusqu’aux records quedétiennent des insectes. Lesauteurs y ont mêlé science,humour et anecdotes, pour fairedécouvrir aussi bien le monde desinsectes ordinaires que lesétonnantes particularités decertains d’entre eux.Éditions Quæ, collection Clés pourcomprendre, juin 2010, 200 p., 22 €

www.quae.com

c/o Inra - RD 10 -F-78026VersaillesCedex

éditionsQuæ

O Introductions d’espècesdans les milieux aquatiquesFaut-il avoir peur des invasionsbiologiques ?Jean-Nicolas Beisel, Christian Lévêque Alors que certains discours tendentà diaboliser les invasions biologi -ques, les auteurs proposent uneapproche originale de la situation à partir d’exemples concrets pris en milieux aquatiques continentaux(comme l’embléma tique Perche duNil du lac Victoria). Dépassant lesidées reçues, leur regard scienti fiques’attache à examiner les diverspoints de vue sur l’arrivée d’uneespèce exotique dans un éco -système, d’autant que beaucoup de circuits économiques sont baséssur l’exploitation de ces espèces.Éditions Quæ, collection Synthèses,juillet 2010, 248 p., 29 €

OQualité de l’œuf N° spécial - coord. Yves NysAprès un panorama économiquemondial de la production et de laconsommation des œufs, les dixarticles abordent diverses théma -tiques scientifiques : génétique de laqualité de l’œuf, minéralisation de lacoquille, apport de la biologie à hautdébit, systèmes d’élevage despoules et alimentation, microbiologiede l’œuf et des ovoproduits, intérêten nutrition humaine. Ces synthèsessont réalisées à partir despublications les plus récentes sur lesujet. L’ouvrage collectif se terminepar une revue des laboratoires derecherche avicole à l’Inra. Revue Inra Productions Animales,2010, volume 23, numéro 2, 133 p.,26 €Résumés disponibles sur :www.inra.fr/productions-animales

OL'ART D'ACCLIMATER LES PLANTES EXOTIQUESLE JARDIN DE LA VILLA THURETCatherine Ducatillion,Landy Blanc-Chabaud ÉDITIONS QUAE, AOÛT 2010, 192 P., 29,50 €

Si les arbres du jardin Thuretavaient su parler… que

d’histoires à faire sortir de ce livre !Depuis cent cinquante ans, des milliers de plantes exotiquesont été invitées à séjourner dans le jardin de la Villa Thuret, au capd'Antibes, sous le regard attentifdes visiteurs, des botanistes et des jardiniers. Certaines s’y sonttant plu qu’elles ont fondé une famille, sculptant le paysage de la Riviera, transformant à jamais une terre ingrate en un paradis de verdure. Pénétrons dans ce monde végétal, écoutons l’histoire de ce lieu,entretenu et façonné par l’Inra durant ces dernières années.

Avec les épisodes récurrents de flambée des prix des denrées agricoles, l’agriculture et l’alimentation redeviennent des sujets de préoccupation majeurs. La disponibilité

alimentaire ne dépend pas de la seule production agricole et réciproquement, lesfonctions de l'agriculture ne se limitent pas à la fourniture de nourriture. Les agriculteurssont au cœur de trois défis majeurs : la pauvreté des populations rurales, l’alimentation de la planète, la fragilité des habitats humains et des écosystèmes face au changementclimatique. Cet ouvrage rassemble les données d’auteurs de formations diverses :agronomie, économie, géographie, sociologie… Il invite à réfléchir à ce que l’on peutappeler « les termes de l’équation agricole ».

OROBUSTESSE, RUSTICITÉ, FLEXIBILITÉ,PLASTICITÉ, RÉSILIENCE… les nouveauxcritères de qualité des animaux et des systèmes d’élevage Dossier coordonné par Daniel Sauvant et Jean-Marc PerezREVUE INRA PRODUCTIONS ANIMALES, 2010,VOLUME 23, NUMÉRO 1, 107 P., 20 €

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OLA QUESTION AGRICOLEMONDIALE Enjeux économiques, sociaux et environnementaux Sous la direction de ThierryDoré et Olivier RéchauchèreLA DOCUMENTATION FRANÇAISE,2010, 184 P., 14,50 €

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Du coup, c’est un système très ouvert : ayant l’initiative,chaque pays peut faire des propositions, du moment qu’ellesconcernent des enjeux européens globaux.

Jean-François Soussana : La programmationconjointe m’apparaît comme un grand pas dans le pro-cessus de collaboration existant déjà entre les chercheurseuropéens. C’est la première fois que la coopération estorganisée à une telle échelle. Ainsi, l’initiative « Agricul-

L’Europe invente une nouvelle forme de coopération◗

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Quelle est votre définition de la programmationconjointe ? Est-ce « révolutionnaire » ? Tim Willis : Dans la programmation conjointe (2), ce sontles Etats membres et associés de l’Union européenne quiprennent l’initiative de coordonner leurs recherches pourrelever les défis qu’ils ont identifiés ensemble, comme parexemple la santé, l’agriculture ou l’énergie. Ils n’attendentplus que la Commission européenne organise la coopéra-tion, voilà ce qui peut être qualifié de « révolutionnaire ».

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Atravers l’exemple de l’initiative de programmation conjointe « Agriculture, sécurité alimentaire et changement climatique », Jean-François Soussana, qui en préside le Conseil scientifique et Tim Willis, membre du Comité directeur, nous livrent leurs réflexions sur cette nouvelle forme de collaboration scientifique européenne.

JEAN-FRANÇOIS SOUSSANA, directeur scientifique Environnement à l’Inra.

TIM WILLIS, directeur des relations internationales du BBSRC (1).

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ture, sécurité alimentaire, et changement climatique »(FACCE) réunit une vingtaine de pays et mobilise desmoyens considérables. La participation de chacun estvolontaire et à géométrie variable.

Concrètement, comment peut émerger un tel dispositif collaboratif ?J.-F. S. : L’initiative FACCE a vu le jour à la suite de laconvergence d’idées sur la nécessité d’étudier l’adapta-tion au changement climatique de l’agriculture en lien avecla sécurité alimentaire. C’était l’objet d’une première pro-position de la France. Le Royaume-Uni coordonnait déjàune action nationale sur le thème de la sécurité alimen-taire, et des instances de réflexion européennes comme leSCAR et Euragri (3) avaient identifié le problème duchangement climatique en agriculture. Ces réflexions sesont cristallisées lors d’une réunion d’Euragri à Madrid enseptembre 2009.

T. W. : L’Inra et le BBSRC ont joué un rôle moteur dansla mise en place de l’initiative FACCE. Elle a été approuvéepar le Conseil de compétitivité (4) en décembre 2009.Après celle sur la maladie d’Alzheimer, qui a servi depilote, elle fait partie de la « seconde vague », aux côtés dedeux autres initiatives appelées « Healthy diet for an heal-thy life » et « Cultural heritage » (5). Suivent six autres,approuvées en mai 2010 par le Conseil de compé titivité,concernant, entre autres, les ressources de l’océan, l’évo-lution démographique, la microbiologie dans la santéhumaine, le défi de l’eau...

Où en est-on aujourd’hui et quelles sont les perspectives pour FACCE ? J.-F. S. : Le Comité directeur s’est réuni pour la premièrefois en janvier 2010. Les vingt-sept Etats membres y étaientinvités, vingt-cinq sont venus et vingt se sont engagésdans le financement et la participation aux futures rencontres. La première réunion du Conseil scientifiques’est tenue en juin 2010. Une vision commune commenceà émerger. Le Conseil scientifique a un rôle majeur àjouer de ce point de vue car il réfléchit indépendammentdes préoccupations nationales de chaque pays. Les objec-tifs sont définis pour le long terme, au moins dix ans.Une vision se dégage : pour renforcer à l’avenir le rôle del’Europe dans la sécurité alimentaire, il faut combinerdifférents types d’approche, comme la modélisation descénarios futurs, la conception de nouveaux systèmes deculture, d’élevage et de forêt adaptés aux changementsplanétaires et leur évaluation coûts/bénéfices, ainsi que lacartographie des régions d’Europe les plus vulnérables. Il y a aussi convergence, d’une part sur le concept d’inten -sification écologique, pour éviter la destruction des éco-systèmes, d’autre part sur le rôle de l’innovation danstous les domaines. ●

Propos recueillis par Heather McKhann (secrétariat de l’initiative FACCE) et Pascale Mollier

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Comment organiser une collaboration scientifique à grande échelle ?Créer des synergies à partir du potentiel des différents pays, en tenant compte des capacités de recherche existantes et desprogrammes déjà en cours, est forcémentcomplexe et nécessite une forte volontécommune. Tout repose sur l’établissementd’une « vision partagée » qui définit les axesde recherche prioritaires à développer. Cette vision commune permet d’établir un agenda de recherche stratégique. Puis une analyse des forces existantes chez les différents partenaires permet deconstruire les actions conjointes répondantaux objectifs fixés. Ces actions peuventprendre différentes formes : appel d’offres,mobilité de chercheurs, infrastructures de recherche, etc. La conception d’un teldispositif nécessite l’organisation de groupesde travail européens qui interagissent avec deux instances principales : le Conseilscientifique et le Comité directeur (6).Le Comité directeur de FACCE est formé de représentants de chaque pays participant(deux au maximum), d’observateurs du SCAR(3) et d’observateurs de la Commissioneuropéenne. Le Conseil scientifique réunit douzescientifiques de stature internationale, élus par le Comité directeur à partir d’une listed’environ 70 candidats proposés par les différents états participants. Actuellement,il comprend deux scientifiques américains et dix scientifiques européens, dont deuxtravaillent ou ont travaillé dans desorganismes internationaux de développement(FAO, IFPRI (7)).

(1) Le BBSRC, Biotechnology and Biological Sciences Research Council, réunit huitinstituts et développe la recherche biologique non médicale au Royaume-Uni.(2) Le concept de programmation conjointe (en anglais JPI pour Joint ProgrammingInitiatives) a vu le jour il y a dix ans, lorsque les Etats membres se sont réunis pour construire l’ « Espace européen de la recherche ». Ils sont partis du constat que les moyens mis en commun au sein de la Commission européenne ne représententque 15 % de leurs dépenses publiques de recherche, 85 % des ressources restantconsacrées à des programmes nationaux, au risque d’une certaine redondance et fragmentation. C’est pourquoi la programmation conjointe vise à coordonner ces programmes nationaux, l’aide de la CE se limitant à un appui à l’organisation. A côté de la programmation conjointe, la CE décrit quatre autres instruments de construction de l’Espace européen de la recherche : un marché unique du travailpermettant une meilleure circulation des chercheurs, le développement d’infrastructuresde recherche communes, le transfert des connaissances et l’ouverture à la coopérationinternationale.Voir le livre vert de la Commission européenne de 2007.Voir aussi Inra magazine n°7, janvier 2009, dossier Europe.

(3) Le SCAR (Standing Committee on Agricultural Research) regroupe des représentants mandatés par les 27 Etats membres. Euragri réunit des représentantsdes organismes de recherche et des ministères.(4) Le Conseil de compétitivité, instauré en 2002, est une formation du Conseileuropéen, qui réunit cinq à six fois par an les ministres européens concernés autour des thèmes : recherche, industrie et marché intérieur.(5) Traductions approchées : « Alimentation saine pour une vie saine » et « Héritageculturel ».(6) « Comité directeur » est une traduction approchée pour Governing board.(7) IFPRI (International Food Policy Research Institute).

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◗AG

ENDA

9 novembreDIJON

Ciag - Les lipides : enjeux sensoriels et nutritionnelsOrganisé par l'Inra avec le pôle de compétitivité Vitagora,c’est le premier Ciag (Carrefour de l'innovationagronomique) dédié à l’alimentation. Il s’adresse à tous lesprofessionnels de l’agriculture et de l’alimentation. Cettepremière session consacrée aux lipides dansl’alimentation, abordera la relation entre nutrition et plaisir.WWW.inra.fr/ciag/accueil/actualites

20/31 octPARIS

Exposition « Biodiversités » Une exposition, accompagnée de conférences et de films,organisée par le CNRS avec ses partenaires : CNES,Cemagref, Inra... Les chercheurs, les ingénieurs et lestechniciens de différents laboratoires seront présents, à la rencontre du public, pour expliquer leurs recherchessur la biodiversité.L'Inra organisera des conférences et animera un stand.WWW.cnrs.fr/expobiodiversites

27 octobrePARIS

L'agriculture face à l'incertitude des marchés : quels enseignements de la recherche pour la politique agricole ? L’instabilité des prix agricoles préoccupe, à juste titre, lesacteurs des filières agroalimentaires et les consommateurs.Elle interpelle également les chercheurs, les concepteurs de la politique agricole et tous ceux chargés de la mettre en œuvre. Le colloque organisé conjointement par Pluriagriet l’Institut national de la recherche agronomique aborderales principales questions posées et en explorera les enjeuxpour la réforme de la PAC.WWW.inra.fr

9 décembreBEAUVAIS

Ciag : Légumineuses fourragères et à graines pour une agriculture durableCe Xe Ciag (Carrefour de l’innovation agronomique), sur les légumineuses, est organisé par l’Inra en partenariatavec l'Institut polytechnique Lasalle Beauvais. WWW.inra.fr/ciag/accueil/actualites

22/24 novMONTPELLIER

Agir en situation d'incertitude - Quellesconstructions individuelles et collectivesdes régimes de protection et d'adaptationen agriculture ?Les agriculteurs et éleveurs, au Nord comme au Sud, sont confrontés à des incertitudes, au pluriel, sur les prix,le climat, l’évolution des politiques agricoles... Ce colloqueinvite, pour un débat ouvert, un public large : chercheurs,enseignants et professionnels du développement et desinstitutions agricoles, et des contributeurs tout aussi variésprovenant de plusieurs disciplines techniques et sociales.WWW.agir-incertitude2010.fr/index.php/agir2010

8/9 décembrePARIS

Journées 3R - Rencontres recherchesruminants Organisées par l’Inra et l’Institut de l’élevage pour mettrerapidement à disposition les derniers résultats derecherche, les rencontres devraient privilégier cette année :

- le bilan carbone et les gaz à effet de serre - la détection et l’expression des chaleurs - l’élevage et les paysages.

WWW.journees3r.fr

Les pays européens sont engagés dans la construction de plansd’action en application de la Directive cadre pour l’utilisationdurable des pesticides, avec pour objectif de faire de la Protectionintégrée une réalité dès 2014.

La généralisation de la Protection intégrée ne se réalisera pas sans des efforts importants de recherche et de développement. La diversité des expériences, outils et stratégies observés à traversl’Europe, est une ressource pour construire des synergies et rendrela protection des cultures plus compatible avec les nouveauxobjectifs environnementaux, sans sacrifier la compétitivité.

Le réseau ENDURE est coordonné par l’Inra et géré par sa filiale Inra Transfert. Il a mobilisé plus de 130 chercheurs de 18 institutionseuropéennes.

Renseignements et inscription : https://colloque.inra.fr/endure2010

La protection intégrée dans l’agriculture européenne

Integrated pest management in Europe

Le réseau d’excellence ENDUREpartage le fruit de quatre ans

de rechercheavec les acteurs de la protection

des cultures

24 et 25 novembre 2010Eurosite George V28, avenue George V . 75008 Paris