inra magazine n°12

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magazine Agriculture Alimentation Environnement INR A N°12 - FÉVRIER 2010 REPORTAGE Dans la biodiversité guyanaise RECHERCHE Oméga 3 : le régime des Français s’améliore DOSSIER Pour une agriculture compétitive plus économe en pesticides HORIZONS Orientations 2010-2014 : le débat est ouvert

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Page 1: Inra magazine n°12

magazine

AgricultureAlimentationEnvironnementINRA

N°12 - FÉVRIER 2010

◗ REPORTAGEDans labiodiversitéguyanaise

◗ RECHERCHEOméga 3 : le régime des Français s’améliore

◗ DOSSIER

Pour une agriculture compétitive plus économeen pesticides

◗ HORIZONSOrientations 2010-2014 : le débat est ouvert

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INRA MAGAZINE • N°12 • FÉVRIER 2010

◗sommaire

Directrice de la publication : Marion Guillou. Directeur éditorial : Jean-François Launay. Directeur de la rédaction : Antoine Besse. Rédactrice en chef : Pascale Mollier. Rédaction :Géraud Chabriat, Armelle Favery, Evelyne Lhoste, Laurent Cario, Catherine Donnars, Brigitte Cauvin. Photothèque : Jean-Marie Bossennec, Julien Lanson, Christophe Maître. Couverture :Claire Scully. Maquette : Patricia Perrot. Conception initiale : Citizen Press - www.citizen-press.fr. Impression : Imprimerie Champagnac. Imprimé sur du papier issu de forêts géréesdurablement. Dépôt légal : février 2010.

Renseignements et abonnement : [email protected]

03◗ HORIZONSOrientations 2010-2014 : le débat est ouvert

Sécurité alimentaire : la nécessité d’un questionnement éthique

06◗ RECHERCHES& INNOVATIONS

L’étrange génome de M. incognita

Oméga-3 : le régime des Français s’améliore

Changement climatique : rechercher pour s’adapter

Évolution in silico

Le sol ressemble-t-il à un bioréacteur ?

25◗ REPORTAGEEcofog au cœur de la biodiversitéamazonienne

31◗ IMPRESSIONS

34◗ REGARDRéinventer la communication scientifique

36◗ AGENDA

ISSN : 1958-3923

L ’Inra construit son avenir… avec vous. C’est la première fois qu’un organisme de recherche français ouvre un blog

de consultation sur ses nouvelles priorités de recherche. Jusqu’à la mi-avril, vous pourrez yentendre les trois directeurs scientifiques des secteurs Alimentation, Agriculture etEnvironnement s’exprimer sur les sept prioritésscientifiques envisagées et vous pourrez donnervotre avis sur leurs analyses. Les fruits de cette largeconsultation viendront enrichir la construction desorientations de l’Inra pour la période 2010-2014.

Développer des systèmes de culture compétitifs tout en préservant l’environnement fait partie des priorités de l’Institut depuis plusieurs années.Le dossier de ce numéro en aborde une facette en s’interrogeant sur les possibilités de réductiondes pesticides en agriculture. Un thème en résonnance avec celui que l’Institut développe au Salon international de l’agriculture, à savoirl’exploration des synergies entre agriculture et biodiversité.

La gestion de la biodiversité, c’est la problématiquecentrale dans notre grand reportage réalisé en Guyane, au sein d’une équipe mixte associantAgroParisTech, le Cirad, le Cnrs, l’Inra et l’Université Antilles-Guyane. On y apprend que la forêt amazonienne n’est pas l’espace viergeque l’on croit, mais était déjà exploitée par lespeuples amérindiens. Maintenant, son avenirdépendra d’un équilibre à trouver entre les enjeuxécologiques et les besoins d’une population localeen extension.

La rédaction

Chers lecteurs

INSTITUT NATIONAL DE LA RECHERCHE AGRONOMIQUE147 rue de l'Université • 75338 Paris Cedex 07 www.inra.fr

13◗ DOSSIER

Pour une agriculture compétitive plus économe en pesticides

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A l’occasion de la cérémoniedes vœux qui s’est tenue le13 janvier à Paris, Marion

Guillou a dévoilé les sept prioritésscientifiques que l’Inra propose pourles cinq années à venir (cf encadré).Autant de grands sujets qui avaientfait l’objet d’une première phase deréflexion interne, conduite au plusprès des centres et départements del’Institut au cours du second semes-tre 2009. Fidèle à sa mission d’organismepublic de recherche finalisée et à savolonté de dialogue avec la société,l’Inra ouvre la consultation sur sesnouvelles priorités scientifiques àl’ensemble de ses partenaires, publicset privés, issus des sphères scienti-fiques nationales et internationales,socio-économiques, territoriales,associatives… et, plus largement, àtous les citoyens, par l’entremise dublog www.inra2014.info, complétépar une version en langue anglaise.C’est une première pour un institutde recherche français. L’objectif est

En 2010, l’Inra définit ses priorités de recherche pour les cinq ans à venir.Initiative inédite en France, l’Institut décide de consulter, au-delà de sespersonnels et partenaires, les citoyens intéressés par les enjeux de recherchevia un blog dédié.

Orientations 2010-2014 :le débat est ouvert

© Frédéric Stucin / MYOP

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Les sept priorités de recherches de l’Inra en discussion

O Conjuguer les performanceséconomiques, sociales et environnementales de l’agriculture

O Minimiser les risques environnementaux, quantifieret maximiser les servicesécosystémiques (eau, biodiversité, …) rendus par les activités agricoles et forestières

O Mieux connaître les transitions alimentaires et leurs effetsO Développer et valoriser le carbone renouvelable pour la chimie

et l’énergieO Adapter l'agriculture au changement climatique et réduire

sa contribution à l'effet de serreO Renforcer les capacités de prédiction en biologie

et en écologieO Rechercher les cohérences systémiques et territoriales

pour la sécurité alimentaire mondiale

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+d’infosO web :www.inra2014.info

d’accueillir réactions, idées, préci-sions sur les priorités choisies afind’en faire évoluer les contours. Lespremières contributions reçues mon-trent un fort intérêt tant pour cettedémarche participative que pour lefond scientifique. Preuve, si besoinil en était, que les problématiquesabordées par les recherches en agro-nomie sont largement partagées partous. Ce site accueille les contribu-tions jusqu’à la mi-avril. Celles-cipermettront de nourrir la réflexionavant de finaliser les orientations2010-2014.

Une consultation interne en parallèleLe dialogue bat parallèlement sonplein en interne. Depuis le 11 février,la direction générale de l’Institut alancé un cycle de rencontres avec lespersonnels dans les centres Inra, partout en France. Ces rencontres sedérouleront jusqu’au mois d’avril2010. Le 4 mars 2010, un atelier dediscussion avec les partenaires socio-économiques est organisé à l’occa-sion du Salon international del’agriculture, où seront notammentdiscutées les contributions déposéessur www.inra2014.info. Le fruit de cette concertation per-mettra de répondre à des questionsde recherche structurantes pour l’avenir de l’agronomie. Il est en effetessentiel de savoir si les défis d’ordreéconomique, social, environnementalet scientifique identifiés par l’Inradans chacune des priorités mises endébat répondent aux analyses desacteurs institutionnels et privés. Lecas échéant, les partenariats et actionsenvisageables pourront être circons-crits plus efficacement.A l’heure où l’Inra évolue pour rele-ver les défis alimentaires, agricoles etenvironnementaux mondiaux, lescontributions de tous -scientifiques,personnels d’appui, représentants descollectivités territoriales ou d’asso-ciations, élus, ou partenaires privés-sont donc essentielles. ●

Jean-François Launay

Alors que l’Inra lance le processusde redéfinition de ses orientationsscientifiques pour la période 2010-2014, quelle est votre vision de l’Institut ?C’est d’abord la vision d’un Institut qui est - et restera - un grand opérateur

de recherche dans son champ de compétences. Pour être innovant,l’Inra s’est doté d’outils lourds en biologie comme en observation de l’environnement et doit en permanence expérimenter sur le terrain, au bénéfice de tous. Les enjeux, pas seulement nationaux oueuropéens mais désormais mondiaux, sont ceux de la sécuritéalimentaire et du développement durable et la France doit devenir unacteur majeur dans ces champs.De plus, l’Inra doit s’inscrire dans la stratégie nationale de recherche et d’innovation, notamment à travers sa participation aux diversesalliances. J’y veillerai attentivement. Je pense en particulier à ladernière et quatrième alliance en date, Allenvi, qui après les alliancespour la santé (Aviesan), l'énergie (Ancre) et le numérique (Allistene),aura pour mission de coordonner l’ensemble des acteurs de recherchesur les problématiques scientifiques liées à l’alimentation, à l’eau, au climat et aux territoires.L’alliance Allenvi devra aussi porter la parole de la communautéscientifique française aux niveaux européen et international. Sur la question du développement durable, la demande en matièred’innovation croît d’année en année et je me félicite que l’Inra ait mis en place une véritable politique d’innovation et valorisation de sonsavoir-faire et de ses travaux.

Quelles leçons tirez- vous de la récente évaluation de l’Inrapar l’AERES ? L’AERES évalue désormais chaque année plusieurs organismes de recherche et de nombreuses universités. Elle sait adapter ses méthodes selon la mission de l’établissement étudié et composerdes comités de visite pertinents.Pour l’évaluation de l’Inra, l’AERES a mis en place un comitéinternational de très haut niveau qui a fait une évaluation sérieuse et en profondeur de l’établissement. Cette évaluation confortel’établissement au cœur de ses missions, en tant qu’Institut de recherche agronomique, mais elle a aussi ouvert de nombreusespistes d’amélioration, notamment en matière de prospectivescientifique. Je me réjouis que la direction de l’Inra ait d’ores et déjàengagé une réflexion pour mettre en œuvre les recommandations de l’AERES.

L’Inra a lancé une concertation publique sur ses prioritésscientifiques 2010-2014. Quel regard portez-vous sur cettedémarche ? Je serai très attentive à cette démarche car elle constitue unepremière dans notre système de recherche et correspond à une trèsforte demande de la société civile. Dans le champ de la rechercheagronomique, les enjeux sont cruciaux, et la question de la sécuritéalimentaire pour tous, dans le cadre d’un développement durable des modes de production agricole, reste encore totalement ouverte.Ces questions nous concernent tous, chercheurs, décideurs publics,mais aussi entreprises, ONG, collectivités et bien sûr, tous lescitoyens. Je souhaite que la réflexion lancée par l’Inra se fasse dans la plus grande transparence et dans un esprit de démocratiescientifique, qui caractérisent une science à l’écoute de la société.

Valérie PécresseMINISTRE DE L’ENSEIGNEMENT

SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE

O 3 QUESTIONS À...

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en bref

OTrois initiatives pour le climat Outre ADAGE, atelier deréflexion prospective coordonnépar l’Inra (cf page 10), l’Institutest également associé à lapremière communauté euro -péenne de la connaissance et de l’innovation (KIC-climat),associant 16 organismes pourlutter et s’adapter au change -ment climatique. L’Inra pilote parailleurs dans une programmationconjointe des rechercheseuropéennes sur « Agriculture,sécurité alimentaire et change -ment climatique ».www.inra.fr/presse/changement_climatique_l_inra_reaffirme_son_engagement_face_a_ce_defi_majeur, décembre 2009.

OValoriser des recherchescommunes L’Inserm, l’Inra et leurs filialesInserm-Transfert et Inra-Transfertmettent en place, pour quatre ans,un dispositif bilatéral pour laprotection et la valorisationéconomique de leurs recherchescommunes en science de la vie.L’une ou l’autre des filialesinterviendra comme maîtred’œuvre unique en fonction du domaine d’application des découvertes.www.inra.fr/les_partenariats

ODes microbes pour uneaquaculture durableL’Ifremer et l’Inra participent avec six partenaires européens au programme Promicrobe. Ce programme cherche à éclairerles relations qui existent dansl’écosystème aquacole entre le poisson, sa flore digestive, et les populations microbiennes de l’environnement afin dedévelopper de nouveaux modesde conduite d’élevage plusrespectueux de l’environnement et économiquement viables.www.inra.fr/les_partenariats

OPrixMichel Zitt (Inra Angers-Nantes) a reçu la médaille Derek de SollaPrice 2009 pour ses recherchessur les potentialités et les limitesdes indicateurs bibliométriques.Ce prix récompense des contri -butions à l’analyse quantitativedes sciences.www.inra.fr/toute_l_actu/prix_et_distinctions

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+d’infosO web :www.inra.fr/l_institut/organisation/l_ethique/comite_d_ethique

L ’alimentation n’est pas un biende consommation comme unautre. Si elle permet de répon-

dre à des besoins vitaux, et constitueun droit en tant que tel, elle est égale-ment source de liens sociaux et d’affirmation culturelle. Traiter laquestion de la sécurité alimentaire nepeut être dissocié d’une analyse descomportements et des valeurs dessociétés confrontées à ces difficultés.De plus, des tensions très fortes surles ressources alimentaires, en eau eten sol renforceront les inégalités d’ac-cès et aggraveront les effets négatifssur les écosystèmes. Ces multiplesdimensions font de la sécurité ali-mentaire un objet de recherche com-plexe qui soulève de nombreusesinterrogations d’ordre éthique. Les Présidences du Cirad et de l’Inraont proposé à leur comité consultatifcommun d’éthique de rendre un avisafin de guider leur action dans cedomaine. Sous l’égide du présidentLouis Schweitzer, les treize membresdu comité ont d’abord défini unensemble de principes et de valeurssur lesquels fonder leur réflexionéthique. Le respect de la dignitéhumaine, la préservation de l’envi-

ronnement ou le partage équitable des connaissances ensont des exemples. À l’issue d’un long débat pluridiscipli-naire, l’avis du comité a pris la forme de neuf recomman-dations qui invitent la communauté des chercheurs à placerles questions de sécurité alimentaire et de modèles deconsommation dans leurs contextes sociaux, institutionnelset environnementaux. Une recherche agronomique quivise à assurer une sécurité alimentaire universelle et per-pétuelle et qui s’interroge sur sa légitimité à intervenir surles modèles de consommation alimentaire, voilà le fon-dement des réflexions proposées. À cette occasion, le comi-té a mis en lumière des domaines de vigilance se rapportantaux moyens mobilisés par la recherche, y compris la ques-tion des partenariats et des droits de propriété intellec-tuelle, les objectifs et les finalités des recherches entreprises,l’utilisation des résultats obtenus, comme leurs impacts àplus long terme.Sur la période 2008-2009, le comité d’éthique a eu à trai-ter une autre question concernant la valorisation des pro-ductions agricoles, non plus à des fins alimentaires, maisaussi non alimentaires, notamment le cas des biocarburantset de leurs enjeux. Le comité publiera prochainement sonavis sur le sujet. Pour 2010, le comité d’éthique devraitinstruire deux nouvelles questions posées par les Prési-dences de l’Inra et du Cirad sur les nanotechnologies et lespartenariats dans la recherche. ●

Géraud Chabriat

Depuis janvier 2008, le comité consultatif commun d’éthique pour la recherche agronomique Inra-Cirad donne des éléments de réflexion aux deux instituts pour appréhender les multiples dimensions de sujetscomplexes. Il a adopté son premier avis le 20 Novembre 2009, sur la sécuritéalimentaire et les modèles de consommation.

Sécurité alimentaire :la nécessité d’un questionnement éthique

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L’étrange génomede M. incognita

L e génome du nématode à galles Meloidogyne incognita alivré quelques-uns de ses sec-

rets. Les nématodes sont des ani-maux capables de coloniser tous lesmilieux et représentent une grandepart de la diversité biologique, avecquatre-vingt mille espèces décrites, etplus d'un million estimées. Le veranalysé, M. incognita, est un parasiteextrêmement vorace, capable d'atta-quer plus de deux mille plantes hôtes,et particulièrement dommageablepour le café, le coton et les cultures

maraîchères (tomate, piment, melon).Le séquençage récent de son génomea été réalisé par un consortium inter-national de vingt-sept laboratoires,impliquant le Génoscope et l'UMRInra - CNRS - Université de NiceSophia-Antipolis, dirigée par PierreAbad. C’est le premier génome d’unanimal parasite de plantes à êtreentièrement séquencé et analysé. Ilcontient près de vingt mille gènes(contre vingt-cinq mille chez l’Hom-me). Ces travaux ont permis de leverle voile sur l’arsenal et les adapta-

tions développés par les ravageursdes cultures pour attaquer les plantes.

Un génome d’une extrêmeplasticitéChez les espèces diploïdes (commel’Homme), les individus possèdentdeux génomes, issus de leur père etde leur mère, ces deux génomes sonttrès proches. On trouve moins de0,1 % de différences entre les séquences de gènes chez l’Hommepar exemple. Pendant la méiose leschromosomes homologues paternels

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Le séquençage du génome du nématode Meloidogyne incognita, une première concernantun parasite de plante, a fourni aux chercheurs plusieurs illustrations inédites de la variétéde stratégies évolutives développées par les ravageurs des cultures.

LARVE DE M. INCOGNITA

pénétrant uneradicelle de tomate

(X 500). Une fois à l'intérieur,

la larve provoquel'apparition d'une

galle où lesnutriments

sont détournés à son profit.

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en bref

OBronchiolite et modélisationLa structure tridimensionnelled’une région-clé du virus de labronchiolite a été élucidée par des chercheurs de l’InstitutPasteur, du CNRS, de l’université Paris-Sud et de l’Inra. La nucléoprotéinemodélisée participe à laprotection de l’ARN viral des défenses immunitaires de l'organisme infecté, mais aussi à sa multiplication.Ce travail ouvre donc denouvelles perspectives derecherches thérapeutiques.Science, novembre 2009

ONourriture et abeilles Une équipe de l’Inrad’Avignon a montré qu’unrégime alimentaire de l’abeilleplus varié, à base de pollenissu de cinq plantes au lieud’une, leur permettrait de renforcer l’immunité de la ruche. La baisse de labiodiversité des plantes desprairies rentrerait ainsi dans l’explication du déclindes colonies.Biology letters Royal Society,20/1/2010

OMémoire et amidonElaborer des objets à« mémoire de forme » à partirde farines de céréales plutôtqu’à partir de couteuxpolymères synthétiques ?Cette possibilité a été miseen évidence par deschercheurs de l’Inra-Nantes à partir d’amidon traitéthermiquement. Les pistes de valorisation sontnombreuses : traceursd’humidité et de température,implants chirurgicauxrésorbables, corn flakesà forme variable.Starch/Stärke 2009

OPoulets et salmonellesUne équipe de l’Inra de Toursa localisé des régions dugénome du poulet impliquéesdans la résistance au portagede salmonelles, c'est-à-dire lacapacité à être porteur sain dela bactérie. Ce travail, réalisédans le cadre du projeteuropéen SABRE, vabénéficier à une lignéecommerciale de poulet.Animal Genetics, 2009

et maternels doivent s'appa-rier. Pour que cela se passe cor-rectement, les chromosomeshomologues doivent être suffi-samment semblables. Il y adonc une pression de sélectionqui « empêche » des mutationstrop nombreuses de se fixer.Chez le nématode à galles M.incognita, au contraire les cher-cheurs ont eu la surprise deconstater la présence de deuxgénomes dont le taux de diver-gence moyen est l’un des plusimportants jamais observés(plus de 7 % de différence).Cette particularité génétiquepourrait être à l'origine del'acqui sition rapide de nouvel-les fonctions conférant à cesorganismes leur grande capa-cité d'adaptation, responsablede leur large distribution surla planète. Une des hypothèsesd’évolution avancées est que ce nématode des-cendrait d’un ancêtre avec une reproductionsexuée d'où la présence de deux génomes diffé-rents. Cet ancêtre aurait ensuite perdu ce modede reproduction pour un mode de reproductionasexué, sans méiose. Cette bascule aurait permisaux anciens chromosomes paternels et mater-nels d’être libérés d'un certain nombre decontraintes sélectives en l'absence d'apparie-ment. Ils seraint donc devenus libres d'évoluerindépendamment et d’accumuler les mutations.

Un arsenal enzymatique emprunté à des bactériesUn autre résultat majeur du séquençage résidedans l'identification d'un large éventail d'enzy-mes (plus de soixante) dégradant la paroi cel-lulaire des plantes. C’est une diversité inégaléedans le règne animal. Un travail d’annotation deces enzymes spécifiques a été réalisé par EtienneDanchin au sein de l’équipe IPN(1) et cessoixante protéines du nématode à galles ont étécomparées, via une base de données interna-tionale CAZy (2), à ce qui existe dans le mondedu vivant.Ces enzymes, œuvrant, entre autres, pour ladégradation de la cellulose, ne se retrouventgénéralement pas dans le règne animal, exceptéchez les autres nématodes parasites de plantes, etleurs plus proches homologues appartiennent aumonde des bactéries, organismes très éloignésdes nématodes sur l'arbre de la vie qui définit lesfiliations entre espèces.Une des hypothèses est que la proximité phy-sique de M. incognita et des bactéries, dans lesol, ait favorisé des transferts de gènes entreces organismes. Ces transferts, qualifiés d’ho-rizontaux (entre espèces), ont été suivis deduplications multiples au sein du génome dunématode. La variété du répertoire génétique deM. incognita pourrait ainsi s'exprimer de

+d’infosOréférences :- Genome sequence of the metazoan plant-parasiticnematode Meloidogyne incognita, NatureBiotechnology 2008 26 : 906-915 Abad et al.www.nature.com/nbt/index.html- The Genomes of Root-Knot Nematodes. Annu RevPhytopathol. 2009 May 4. Bird DM, Williamson VM,Abad P, McCarter J, Danchin EG, Castagnone-SerenoP, Opperman CH. http://arjournals.annualreviews.org

manière différentielle en fonction des nombreux types d'hôtes rencontrés. Le fait d'a-voir un répertoire d'enzymes varié et desfamilles présentes en multiples copies (parexemple plus de 20 cellulases) autorise uneexpression différentielle de ces copies. Par exem-ple, certaines cellulases pourraient s’exprimersur un type de plantes hôtes alors que d'autresseraient exprimées sur des hôtes différents.Mais cela reste une hypothèse qui n'a pas enco-re été démontrée chez M. incognita.Aujourd'hui, les nématodes causent des dégâtsestimés à plusieurs dizaines de milliards d'eurospar an dans le monde. Or, la lutte chimique estdevenue problématique, du fait de la toxicitédes produits pour l'homme et l'environnementconduisant à l’interdiction de la nombreusesmolécules existantes. Le fait d'avoir trouvé unarsenal d'enzymes pour la dégradation de laparoi des plantes offre un jeu de gènes ciblesintéressant pour le développement de nouvellesmolécules visant par exemple à inactiver cesgènes. Elle ouvre ainsi la voie à de nouvellessolutions de lutte. ●

Armelle Favery

(1) Equipe IPN Interactions Plantes-Nématodes, Unité Mixte deRecherche IBSV Interactions Biotiques et Santé Végétale INRA-CNRS-Université de Nice Sophia-Antipolis, Centre de recherche - 400,route des Chappes - BP 167 - 06903 Sophia-Antipolis(2) www.cazy.org

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ONS Oméga-3 :

le régime des Français s’améliore

es Français mettent enfin unpeu plus d’oméga-3 dans leursassiettes. En 2007, des cher-cheurs de l’unité de recherche

Nutrition et régulation lipidique desfonctions cérébrales (Nurelice), encollaboration avec l’Institut des corpsgras, ont évalué l’impact des recom-mandations nutritionnelles et de lapromotion récente d’aliments richesen oméga-3 sur le niveau de consom-mation de ces acides gras en France.Celui-ci a été déterminé d’après lesteneurs en oméga-3 du lait de fem-me, un indicateur fiable du niveaude la consommation nationale. Si lateneur en ALA, un oméga-3 précur-seur (cf encadré), n'atteint pas encoreles besoins préconisés, une augmen-tation de 65 % par rapport à ladécennie précédente a été notée dansdes échantillons de lait maternelrecueillis sur toute la France. Cetteévolution situe le niveau actuel deconsommation en ALA de la femmequi allaite autour de 1,2 g par jourcontre 0.8 g en 1990. Rappelons queles besoins journaliers ont été esti-més autour de 2 g pour l'ALA, et de250 mg pour le DHA, un oméga-3essentiel (1). Cette augmentation deconsommation d'ALA est accompa-gnée d’une tendance à la baisse dela teneur en acide linoléique, le pré-curseur métabolique essentiel desoméga-6, contribuant ainsi à limi-ter le déséquilibre du rapport oméga-6/oméga-3.

Le régime français était déséquilibréVoilà qui comble un peu le retardévalué dans les précédentes études.Les Français sont parmi ceux quiconsomment le moins d'oméga-3 en©

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Les chercheurs de l’unité de recherche Nutrition et régulation lipidique des fonctions cérébrales (Nurelice) de l’Inra de Jouy-en-Josas étudient le rôle des acides gras oméga-3 et oméga-6 dans le fonctionnement cérébral à différents âges. Ils contribuent ainsi à établir des recommandationsnutritionnelles appropriées aux différents stades de la vie. L’identification des modes d’action de ces composés pourrait contribuer à prévenir certains effets liés au vieillissement cérébral.

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A DROITE : MARQUAGE DE NEURONESenrichis en DHA. Le DHA, acide gras oméga-3fortement présent dans le cerveau, favorise lacroissance des prolongements neuronaux, et parconséquent la communication inter-cellulaire.

+d’infosOweb : www.jouy.inra.fr/unites/nureliceOréférences scientifiques :- Guesnet P, Combe N, Ailhaud G,Alessandri JM 2009. La teneur en acidesgras polyinsaturés du lait maternel : unmarqueur biologique fiable du niveau deconsommation des populations.Oléagineux Corps gras Lipides, 16 : 1-3.- Boué-Vaysse C, Billeaud C., Guesnet P,Couëdelo L, Alessandri JM, Putet G,Combe N 2009. Teneurs en acides graspolyinsaturés essentiels du lait maternelen France : évolution du contenu enacides linoléique et alphalinolénique aucours des 10 dernières années.Oléagineux Corps gras Lipides,16 : 4-7.Ocontacts scientifiques : PhilippeGuesnet, [email protected] Lavialle,[email protected]

Europe. Selon des enquêtes deconsommation datant des années1995-99, les apports nutritionnels enacides gras saturés sont trop élevés etceux en acides gras mono-insaturéstrop faibles. Quant aux acides graspolyinsaturés, la quantité totaleconsommée est proche des recom-mandations mais déséquilibrée parun apport excessif d'oméga-6 auxdépens des oméga-3. La quasi-totalitéde la population française adulte(95 %) n’atteignait pas l’apportrecommandé en ALA. Le déséquili-bre entre les proportions oméga-6/oméga-3 dans l'alimentation desfrançais résulterait d'une consom-mation insuffisante en poissons eten huiles et margarines bien équili-brées (colza) en faveur d'huiles et dematières grasses d'origine animaleriches en oméga-6. La teneur en oméga-3 des produits issus des ani-maux (viandes, œufs, produits lai-tiers) dépend de leur alimentation.Ainsi, le fait de substituer les alimentsdu bétail utilisés dans la filière clas-sique par des aliments plus riches enALA et/ou DHA pourrait contribuerà redresser ce déséquilibre.Les acides gras oméga-3 et oméga-6sont des nutriments indispensables,constituants fondamentaux desmembranes cellulaires. Ils peuventêtre aussi transformés en médiateursimpliqués dans de multiples fonc-tions, en particulier au niveau du

sieurs études cliniques ont en effetdémontré qu'une consommationadaptée d'oméga-3 (et en particulierde DHA) pourrait contribuer à limi-ter, voire à prévenir, les déficits cogni-tifs liés au vieillissement. Ainsi, lateneur en DHA des hématies et deplusieurs zones cérébrales est dimi-nuée chez des patients atteints demaladie d’Alzheimer. En outre, lerisque d’apparition de cette maladieest deux fois plus élevé chez des sujetsâgés ne consommant jamais de pois-son que chez ceux qui en consom-ment au moins une fois par semaine.Enfin, l’apport quotidien de DHAaméliorerait le déficit mnésique chezdes patients atteints par la maladied'Alzheimer et présentant des symp-tômes modérés. Enfin, les oméga-3 influeraient sur lafréquence d’apparition ou les symp-tômes de nombreuses pathologiesdont les maladies cardiovasculairesou de désordres neuropsychiatriques(dépression, schizophrénie…), le dia-bète et l'obésité. Il est probable qu’unealimentation inadéquate, trop richeen oméga-6 et déficitaire en oméga-3,ait en partie contribué à l’émergencede ces pathologies dans les popula-tions occidentales. ●

(1) Recommandations de l’Agence française de sécuritésanitaire des aliments

Evelyne Lhoste

système nerveux central, où on lestrouve en abondance. C'est pourquoiune consommation en oméga-3 pro-che des apports nutritionnelsconseillés est indispensable à unebonne santé, notamment chez lesfemmes enceintes et allaitantes. Eneffet, la qualité de ces apports pen-dant les trois derniers mois de ges-tation et jusqu'à l'âge de deux ans estdéterminante pour le dévelop pementfonctionnel du cerveau. Le rôle spéci -fique du DHA dans la maturationdes fonctions visuelles et cérébrales aété clairement démontré chez l’ani-mal et le jeune enfant.

Prévention du veillissementcérébralPar ailleurs les travaux de l’unitéNurelice ont montré le rôle du DHAdans la plasticité cérébrale et dans laneuroprotection. En particulier, sonimportance dans les processus demémorisation diminués au cours duvieillissement, constitue la base desrecherches en cours. Les chercheursont en particulier démontré que, chezle rongeur, le DHA participerait à larégulation du métabolisme énergé-tique cérébral, et notamment letransport du glucose au niveau de labarrière hémato-encéphalique.L'effet préventif du DHA vis-à-visdes maladies neurodégénératives s'ex-pliquerait par ses différentes actionssur le système nerveux central. Plu-

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Les différentes sources d’oméga-3Les acides gras oméga-3 et oméga-6 sont des acides gras polyinsaturéspour lesquels la première double liaison rencontrée est respectivementen position 3 et 6 de la chaîne carbonée. Tout comme les vitamines, ils sontindispensables pour l’homme, qui, incapable de les fabriquer, doit impé-rativement les trouver dans son alimentation. Les précurseurs (acide α-linolénique -ALA- pour les oméga-3 et acide linoléique pour les oméga-6)sont présents dans les matières grasses végétales tandis que l’on trou-ve directement les oméga-3 fonctionnels (acide docosahexaénoïque -DHA-et acide eicosapentaénoique -EPA) dans les poissons gras d’eaux froides(saumon, sardine, hareng), qui consomment du phytoplancton riche enALA. Les recommandations nutritionnelles conseillent d’équilibrer autourde 5 le rapport oméga-6/oméga-3. Il est actuellement de 12.

A GAUCHE : MARQUAGE DE NEURONESTÉMOINS issus de cellules souches de cerveau de rat. Ces cellules sont responsables de latransmission de l’influx nerveux. Les noyaux des cellules sont colorés en bleu, et les protéines du cytosquelette en vert.

© Inra / Christine Heberden

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+d’infoswww1.clermont.inra.fr/adage

Une augmentation de 2°Cen moyenne d’ici 2100,c’est le « rail de sécurité »défini par l’Union euro-

péenne pour éviter des bouleverse-ments majeurs à long terme liés auchangement climatique. C’est aussiune prévision qui apparaît aujourd’huicomme optimiste puisqu’elle reposesur l’hypothèse (1) d’une réductionnette des émissions mondiales de CO2dès 2015. Hypothèse rendue impro-bable par l’absence de mesurescontraignantes dans les conclusionsdu dernier sommet sur le climat deCopenhague. Au vu de l’enjeu parallèleque représente la sécurité alimentaire,il apparaît d’ores et déjà incontour-nable d’adapter l’agriculture à l’évo-lution du climat. Pourtant, ce domainede l’adaptation au changement cli-matique a été jusqu’à présent peu étu-dié en comparaison des efforts fournispour tenter d’atténuer les émissionsde gaz à effet de serre.

Une urgence planétaireCette lacune est l’une des premièresconclusions de l’ARP ADAGE qui a

recensé les différents projets de recher-ches nationaux sur la thématique duchangement climatique. Animé parJean-François Soussana, l’ARP a aussidégagé les diverses questions de recher-che soulevées par l’adaptation desmilieux gérés par l’homme dans unelarge zone géographique incluant l’Eu-rope, l’Afrique et l’Amérique du sud.Devant l’ampleur de la tâche, plus de150 experts scientifiques et 43 parte-naires publics ou privés ont été mobi-lisés. De l’agronomie aux sciences duclimat, de la génétique aux sciences del’information en passant par la socio-logie ou l’économie, de nombreuxchamps scientifiques ont été sollicités.Cette extrême pluridisciplinarité a per-mis de construire une large vision pro-spective sur les connaissances àmobiliser pour répondre au défi del’adaptation.Les travaux de l’ARP ont été structurésen trois sous-ateliers. Une premièreapproche s’est concentrée sur les ques-tions scientifiques génériques : comment prendre en compte les inno-vations ou le rôle de la biodiversité,caractériser l’adaptabilité d’un milieuou traiter les incertitudes dues à lamodélisation de phénomènes com-plexes ? Une deuxième approche aconsisté à identifier les questions liéesaux interactions entre écosystèmes,filières de production et zones géo-graphiques : par exemple, prairie, sava-ne et systèmes d’élevage, forêt tropicaleet filière bois,… Enfin, la dernièreapproche est centrée sur les implica-tions socio-économiques, environ -nementales et territoriales del’adaptation. Ce sous-atelier est animé

en interface avec les ARP « Change-ments environnementaux planétai-res » et « Vega, biomasse pour lefutur ». Il a pour but d’évaluer lesconséquences systémiques des adap-tations au changement climatique etles effets possibles qu’elles peuventavoir en retour sur les grands enjeuxmondiaux (sécurité alimentaire, res-sources en eau, évolution de l’usagedes terres et séquestration du CO2,utilisation de la biomasse).

Donner les clés d’une stratégie de rechercheLa diversité des organismes et des dis-ciplines représentés dans l’ARP ADA-GE a permis aux experts de proposerplusieurs priorités de recherches etdivers types d’actions à entreprendrepour réduire la vulnérabilité desmilieux. Par exemple, améliorer la rési-lience des systèmes de production,développer une génétique adaptée,proposer des modes de gouvernancesadaptatives des ressources naturelleset des territoires, réduire les incertitu-des sur les modèles d’impacts... Toutesces conclusions pourront être utiliséespour formuler des propositions àl’ANR et aux ministères afin de pro-grammer les recherches sur la théma-tique de l’adaptation. En effet, il fautagir dès maintenant, y compris pourdes résultats sur le très long terme.D’ailleurs, les travaux de l’ARP ADAGE ont déjà favorisé la naissanced’une initiative de programmationconjointe « Agriculture, sécurité ali-mentaire et changement climatique »,validée par le Conseil Compétitivitéde l’Union européenne le 4 décembredernier. Elle permettra à des Etats membres et à des pays associés deconstruire conjointement une pro-grammation de la recherche dans cedomaine à forts enjeux.

G. C.(1) Hypothèse correspondant à la moyenne des modè-les climatiques (Parry et al., Nature, 2007 ; GIEC, 2007Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolutiondu climat)

Changement climatique :rechercher pour s’adapterL’atelier de réflexion prospective sur l’adaptation au changement climatique de l’agriculture et des écosystèmes anthropisés (ARP ADAGE) a rendu ses conclusions le 15 décembre dernier. Ce projet, financé par l’Agenge Nationale de la Recherche (ANR) et coordonné par l’Inra,a donné les premiers éléments d’une future stratégie nationale sur cette question brûlante.

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Evolution in silico

Philippe Monget vous êtesdirecteur adjoint de l’équipebiologie intégrative de l’ovaire à l’Inra (1), à quoisert la phylogénie ?Nous connaissons la fonction biolo-gique de seulement 10 % des 25 000gènes constituant le génome desverté brés supérieurs. Cette connais-sance est déduite d’expériences lour-des in vivo qui visent à créer desmutants par surexpression ou inva-lidation de gènes sans savoir si lesespèces modèles utilisées sont les pluspertinentes.La phylogénie est une alternativecomplémentaire à ces stratégies. Elles’appuie sur l’étude systématique del’évolution des gènes, explicative del’évolution des grandes fonctions entre espèces, et elle retrace les liensévolutifs sur plusieurs millions d’an-nées. Elle permet d’établir des rela-tions entre différentes espèces enrecherchant leurs ancêtres communs.

Comment fait-on pourreconstituer cette histoire ?Depuis de nombreuses années, ondistingue les espèces les unes par rap-port aux autres en fonction de leurscaractéristiques anatomiques et fonc-tionnelles. Avec l’avènement duséquençage, on a pris conscience quede faux liens avaient été établis entredes individus qui paraissaient ana-tomiquement identiques.Dans notre laboratoire, nous cons-truisons des arbres phylogénétiquesque nous « confrontons » auxséquences complètes des génomes,aux séquences codantes et aussi à des« gènes morts » qui correspondent àdes traces de séquence de gènes pré-sents chez certaines espèces mais quine s’expriment plus chez d’autres.

Quelles sont vosperspectives de recherche ?Nous nous sommes par exempleintéressés aux gènes codant pour lesrécepteurs à la mélatonine. Chez les

La construction d’arbres phylogénétiques de gènes est un outil puissant pourpermettre d’identifier les mutations responsables de sélections fonctionnellesdivergentes au cours de l’évolution.

tions, que Mel-1c ne possède pas, sontapparues.Cette démonstration in silico pour-rait être testée in vitro en transfor-mant Mel-1c en GPR50 pour voirprogressivement la perte de la fonc-tion Mel-1c. On pourra désormaistester l’hypothèse que la perte de liai-son à la mélatonine sur le gèneGPR50 s’est accompagnée de l’acquisition de nouvelles fonctionsqui restent à découvrir. ●

Propos recueillis par Laurent Cario

(1) UMR PRC Centre Inra de Tours

vertébrés, cette hormone joue un rôleprimordial pour traduire les effets dela durée du jour sur de nombreusesfonctions physiologiques comme lareproduction, la lactation ou la croissance. Jusqu’à présent, les arbresphylogénétiques des vertébrés indi-quaient qu’il y avait quatre gènesimpliqués dans les récepteurs de cettehormone : Mel-1a, Mel-1b (présentchez tous les vertébrés), Mel-1c (chezles oiseaux et les poissons) et GPR50(spécifique aux mammifères). Nousavons démontré que ce dernier esten fait une copie de Mel-1c ayant per-du sa capacité de liaison à la mélato-nine (on parle de gène orthologue).Au cours de l’évolution des mammi-fères, GPR50 a subi des changementsimportants dans sa séquence codante,ce qui suggère que de nouvelles fonc-

MODÈLE 3D de la protéine transmembranaire GPR50.

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+d’infosOcontact :[email protected] Mathématiques, informatique et statistique pour l’environnement et l’agronomie, centre Inra de Montpellier

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En quoi consiste le projetVITELBIO ?Alain Rapaport : Dans le sol sedéroule une partie importante descycles du carbone, de l’azote et duphosphore, dont dépend la vie desplantes… et la nôtre. Les micro -organismes du sol dégradent les matiè-res organiques, - débris végétaux et/ouengrais pour les sols cultivés - libé-rant de l’azote et du phosphore sousforme assimilable par les plantes. Unepartie du carbone est stockée sous for-me d’humus, tandis que l’autre estlibérée dans l’atmosphère sous formede gaz carbonique. Voilà un bref aperçu des rôles agronomiques et éco-logiques fondamentaux du sol, résul-tantes d’un comportement complexeque les scientifiques cherchent àdécrypter. Il existe déjà des modèlesgéochimiques des sols qui reprodui-sent leur composition chimique cm2

par cm2. Ces modèles sont capablesde simuler le comportement du solen terme d’entrées (types et quanti-tés de matières organiques de surface)

et de sorties (types et quantités de sub-stances assimilables par les plantes ourelarguées). Cependant, ils ne reflè-tent pas la micro-hétérogénéité du sol,qui détermine elle-même une distri-bution spatiale hétérogène des micro-organismes et de leur biodiversité,fondamentale pour comprendre leursactivités. VITELBIO ambitionne de secentrer sur la modélisation de cettecomposante microbiologique du sol,en postulant qu’elle peut être décritepar un ensemble de bioréacteurs inter-connectés. L’idée de base est que l’onpeut décrire le fonctionnement micro-biologique du sol par des modèles à lafois plus simples et plus spécifiquesque les modèles de simulation géo-chimiques, les deux types de modèlesétant in fine complémentaires.

En quoi le sol ressemble-t-il à un bioréacteur et commentle modéliser ?A. R. : Comme les bioréacteurs uti-lisés pour la dépollution, le sol contientdes populations de milliards de micro-

organismes qui interagissent et dontcertaines sont en compétition pourdes ressources communes. Ces popu-lations occupent des niches écolo-giques différentes, et leur localisationdans la structure agrégée du sol comp-te au moins autant que l'accès aux res-sources. Le sol pourrait donc êtrereprésenté comme un ensemble de« hot-spots » microbiens, chacun étantmodélisé comme un « bioréacteur vir-tuel » interconnecté en réseau. L’ori-ginalité de cette représentation reposedonc sur la topologie des connectionsentre bioréacteurs, couplée à la repré-sentation plus classique des transfor-mations biologiques et géochimiquesqui se déroulent au sein de chacun deces bioréacteurs.

Comment vérifier la fidélitéde ce modèle ?A. R. : Pour être valable, le modèleVITELBIO doit fournir les mêmes« sorties » qu’un vrai sol, à partir desmêmes « entrées ». Les données d’un« vrai » sol sont obtenues, soit en uti-lisant des sols reconstitués en labora-toire, soit en faisant appel aux modèlesde simulation géochimiques men-tionnés précédemment, qui sont éta-blis en fonction de mesures etd’extrapolations statistiques. La cons-truction de VITELBIO a débuté en2009 et concernera d’abord des grandstypes de sols comme la forêt, la prairiecultivée, ou la savane. ●

Propos recueillis par Pascale Mollier

(1) Institut national de recherche en informatique et enautomatique.

Le sol ressemble-t-il

à un bioréacteur ?

sorties :prélèvements

racinaires

coupe de sol en profondeur

entrée

écoulementspréférentiels

hot-spots microbiens

sorties

ensemble de bioréacteurs

entréeentréeentrée

sorties

Illustrant la collaboration entre l’Inra et l’Inria (1) pour la modélisation de phénomènes biologiques, VITELBIO (Virtual telluric bioreactors) vise à modéliser la transformation, par les micro-organismes du sol, de la matière organique en composés assimilables par les plantes. Le projet réunit une vingtaine de chercheurs, mathématiciens, informaticiens, microbiologistes, écologues, pédologues et géologues de plusieurs unités de l’Inra (Montpellier, Rennes, Clermont-Ferrand, Dijon, Narbonne) et de l’Inria. Alain Rapaport, responsable du projet, relève le défi de nous en expliquer la démarche.

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ANALOGIE ENTRE LE SOL ET UN ENSEMBLE DE BIORÉACTEURS. Les zones de concentrationbactérienne (hot-spots) sont modélisées sous forme de bioréacteurs interconnectés, de façon à reproduire le plus fidèlement possible le fonctionnement microbiologique du sol.

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Pour une agriculture compétitive plus économe en pesticides

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Pour une agriculture compétitive plus économe en pesticides

Depuis plusieurs années, la recherche menée à l’Inra vise à inscrirel’agriculture dans un développement durable. Elle s’est traduite par une priorité explicite sur la conception de systèmes économes en pesticides, et a suscité des partenariats renforcés avec les acteurs

du développement. Fin 2006, les pouvoirs publics ont demandé à l’Inra de conduireune étude pour apprécier les effets et modalités d’une réduction de 50 % de l’usagedes pesticides en agriculture, objectif retenu lors du Grenelle de l’environnement. Ce dossier présente les résultats de cette étude, et, plus largement, lesconséquences d’une réduction de l’usage des pesticides sur l’ensemble du systèmede production, ainsi que les questions de recherche soulevées.

Rédaction : Pascale Mollier et Géraud ChabriatAvec la collaboration de : Pierre Ricci et Marco Barzman

(réseau européen Endure), Marie-Hélène Jeuffroy (blés rustiqueset amélioration variétale), Benoît Sauphanor et Sylvaine

Simon (Gotheron), Laurent Delière et Dominique Forget(Couhins), Thierry Ghewy, Pierre Mischler et FrançoisDumoulin (Agro-transfert Picardie), Antoine Méssean et

Thierry Doré (modélisation), Carole Caranta et Dominique Blancard (pathogènes),

Garants scientifiques : Hervé Guyomard et Pierre Stengel

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P rocédure de ré-homologa-tion (1), retrait de molécu-les. Depuis plus de vingtans, les pouvoirs publics

européens ont régulièrement ren-forcé le cadre réglementaire qui régitl’usage des pesticides. Symbole decette évolution, le « paquet pestici-des » a été définitivement adopté, le24 septembre 2009, par le conseil de l’Union européenne. Cet ensemblede textes remplace les précédentesdirectives. Il introduit des critèresplus stricts pour l’autorisation demise sur le marché des pesticides à

usage agricole et prévoit l’inter dictiond’une vingtaine de molécules jugéespréoccupantes. En outre, une direc-tive cadre fixe, pour la première fois,des règles pour une utilisation« durable » des pesticides. Elle obli-ge les Etats-membres à adopter unplan d’action national de réductiondes risques liés à ces produits. Cettedémarche anticipée par la France, à lasuite du Grenelle de l’environ -nement, amplifie les initiatives déjàprises dans le cadre du Plan Inter-ministériel de Réduction des Risquesliés aux Pesticides.

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L’usage des pesticides (insecticides, fongicides, herbicides) a participé au formidable bond en avant des productions agricoles françaises et mondiales lors des cinquante dernières années.Néanmoins, on voit apparaître certaines conséquences négatives de la dissémination de cesproduits dans l’environnement, par exemple, l’émergence de résistances chez les ravageursciblés ou de troubles de la reproduction chez les oiseaux… Les impacts sur la santé humaine, en premier lieu celle des agriculteurs, suscitent également de vives interrogations.

Un plan d’action nationalLe ministère de l’Agriculture et de laPêche a lancé, en 2007, le plan Eco-phyto 2018 avec l’objectif de réduirede moitié l’utilisation de pesticidesd’ici 2018 « si possible ». Plus exi-geant que la directive européenne, ilprévoit à terme le retrait des 53 molé-cules potentiel lement les plus dan-gereuses. Par ailleurs, la directivecadre sur l’eau, en visant l’obtentiond’un bon état chimique des massesd’eau souterraines en 2015, va sansdoute amener également à restreindrel’utilisation de pesticides, voire à lesinterdire dans certaines zones sensi-bles, comme les bassins de captaged’eau potable. Comme l’a montrél’expertise scientifique collective Inra-Cemagref en 2005, les impactsenviron nementaux et sanitaires del’utilisation des pesticides sont diffi-cilement quantifiables pour l’instant.Néanmoins, plusieurs éléments éclai-rent sur l’étendue de leur dissémina-tion et expliquent les préoccupationsquant à leurs effets à long terme sur lasanté publique et les écosystèmes.

Une présence assez répandue dans les milieuxnaturelsQu’ils soient volatilisés dans l’atmo -sphère, stockés dans les sols, emportéspar les eaux de ruissel lement ou qu’ilsse diffusent vers les nappes phréa-tiques, certains produits phytosani-taires se retrouvent dans de nombreuxmilieux naturels. En l’absence de nor-me, leur présence dans l’air est obser-vée mais encore mal évaluée. Enrevanche, pour les eaux naturelles, les

Réduire l’utilisation des pesticides : une attente de la société

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Illustration : Claire Scully

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études de l’IFEN (2) permettent defaire un bilan régulier. La dernière endate, parue en 2007 révèle que 91 %des points de mesures des eaux desurface et 55 % pour les eaux souter-raines témoignent de la présence d’aumoins un type de molécule pestici-de. Il s'agit principalement d'herbici-des ou de produits de leur dégradationdans l'environnement. Pour 10 % despoints de mesure, la contaminationne permet pas l’utilisation de ces res-sources pour l’approvisionnement eneau potable. Les impacts sur la bio-diversité et les écosystèmes aquatiquesrestent à quantifier.

Impacts sur la santé malconnusQuant à l’évaluation de l’impact sani-taire des pesticides, elle est confrontéeà de nombreux écueils : effets de fai-bles doses sur le long terme, possi-bles sy nergies entre produits, originesmultifactorielles de certaines mala -dies concernées, diversité des familleschimi ques et de leurs effets toxico-logiques.

A l’heure actuelle, ce sont les impactssur les utilisateurs professionnels quisont le mieux documentés. Les effetsaigus d’une contamination acciden-telle massive sont bien connus. Ils peu-vent aller de l’irritation cutanée àl’atteinte du système nerveux central.De nombreuses initiatives visentparallèlement à évaluer les effets d’unecontamination chronique. En 2009,une étude épidé miologique de l’In-serm en partenariat avec la Mutualitésociale agricole (MSA) a établi un lienstatistique entre la survenue de lamala die de Parkinson et la durée d’ex-position aux pesticides. Une autre étu-de épidémiologique de plus grandeampleur, utilisant aussi les donnéesde la MSA, est menée par le Grecan(3). Elle permettra de préciser le risquede cancer chez les agriculteurs. D’après une étude de l’Observatoiredes Résidus de Pesticides, 91,9 % descontrôles sur la qualité des eaux dis-tribuées indiquent une conformitéaux normes européennes, preuve del’efficacité des traitements avantconsommation. D’autre part, les ana-

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lyses effectuées par la DGCCRF (4)décèlent régulièrement la présence depesticides dans les denrées alimentairesle plus souvent à des doses inférieu-res aux limites tolérées. Ces résultats,couplés à une étude de l’Afssa (5) quiprend en compte les différents modesd’alimentation, permettront de quan-tifier l’exposition de la populationgénérale. De fait, les pesticides appa-raissent comme un sujet de préoccu-pation au sein de la population. Ainsi,d’après le baromètre 2009 de l’IRSN(6), 64 % des Français considèrent lerisque lié aux pesticides comme élevéet seulement 14 % d’entre eux ontconfiance dans les autorités publiquespour les en protéger.

(1) L’efficacité et l’innocuité des substances actives sontrégulièrement réévaluées au niveau européen(2) Institut français de l’environnement(3) Groupe régional d’étude sur le cancer(4) Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes(5) Agence française de sécurité sanitaire des aliments(6) Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire

La comparaison des pratiques de phytoprotection dans plusieurs États-membres fait apparaître des différences fortes dansl’usage des pesticides. Ainsi, dans le cas du contrôle des maladies fongiques chez le blé, les indices de fréquence detraitements (IFT) s’échelonnaient en 2004 entre 0,6 et 2,4 dans les cinq pays étudiés (Allemagne, Danemark, France, Pays-Bas et Royaume-Uni). Parmi les facteurs explicatifs de cet écart figurent bien sûr les différences de pression parasitaireliées à la situation climatique, mais aussi l’attention accordée aux méthodes non chimiques, en l’occurrence la disponibilitéde variétés résistantes adaptées. Pour le maïs, les différentes régions européennes font face à des problèmes phytosanitairesde nature semblable, mais elles n’ont pas la même marge de manœuvre du fait de la variation de la part des surfacescultivées en monoculture, qui est une limite majeure pour contrôler de manière non chimique les adventices et d’autresbioagresseurs (15 à 80 %). L’action publique intervient différemment selon les pays, tant sur l’usage même des pesticides (taxation) que par desmesures d’appui au conseil ou de soutien à un réseau d’expérimentation et de démonstration. Avant même que la directivecadre sur l’utilisation durable des pesticides n’engage chaque État-membre à rédiger un plan d’action national, plusieurspays européens ont déjà établi des plans pour réduire les risques liés aux pesticides. Sans attendre de savoir évaluerprécisément ces risques, certains pays ont choisi de réduire globalement l’utilisation de pesticides. Ils se sont donnédes objectifs chiffrés, traduits par des indicateurs de volume, puis, plus récemment, par les IFT, introduits par le Danemark.D’autres se fixent des objectifs de réduction d’impact environnemental : c’est le cas des Pays-Bas, de l’Allemagne (quia développé un indicateur environnemental) et c’est aussi ce qu’envisagent maintenant le Danemark, et la France pour2012. Le Royaume-Uni de son côté s’appuie sur un dispositif de suivi et de recommandations, sans objectif contraignant,assorti de mesures incitatives et d’un encouragement à la formation. Le dialogue entre les acteurs s’y déroule sur la based’initiatives volontaires, alors qu’aux Pays-Bas, l’implication de la totalité des acteurs autour d’un consensus national estassurée par l’Etat.Il n’existe pas de modèle unique d’agriculture moins dépendante des pesticides, les solutions étant à adapter en fonctiondes contextes nationaux et locaux. Ces études comparatives aident à élargir le champ des options et à mieux évaluerleurs chances de succès en bénéficiant de la diversité des expériences européennes.

Pierre Ricci et Marco Barzman, coordinateurs du réseau d’excellence ENDURE, (2007-2010) pour la réduction des pesticides et la mise en place de la protection intégrée au niveau européen, regroupant 300 scientifiques, ingénieurs, industriels de 10 pays européens.

Des différences d’usage et de politique sur les pesticides entre pays européens

Voir la vidéo de lancement du programme : www.inra.fr/audiovisuel/reseau_europeen_endure

Voir le site : www.grecan.org/agrican.html

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P our établir les différentsseuils possibles de réductiondes pesticides, l'étude Ecophyto R&D a rassemblé

l'ensemble des données accessibles surl'utilisation des pesticides en Francemétropolitaine et sur les performan-ces des systèmes de culture plus oumoins économes en produits de trai-tement. Il s'agit, d'une part, des don-nées statistiques du RICA (6) et desenquêtes « Pratiques culturales » de2006 réalisées par le SSP (7) du minis-tère de l'Agriculture, l'année 2006

ayant de ce fait été choisie commeannée de référence. D'autre part, lesrésultats disponibles d'essais réalisésou suivis par les structures de recher-che et de développement ont étéexploités. En cas d'insuffisance,notamment sur des systèmes de cul-tures innovants, ces résultats ont étécomplétés à « dire d'experts ». L’étude définit des niveaux de pratiquesdits « intensif », « raisonné », de « pro-tection intégrée », de « production inté-grée », et « Agriculture biologique »,dont certains se déclinent différem-ment selon les cultures. Le niveauintensif est globalement défini com-me une stratégie de traitements systé-

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matiques d'assurance contre les bio-agresseurs. Le niveau raisonnéimplique de limiter les traitements enfonction de seuils d’intervention pré-conisés pour chaque bioagresseur. Ils’appuie sur des outils d’aide à la déci-sion, couplés aux données de sur-veillance sanitaire des servicesrégionaux. La protection intégrée setraduit en grandes cultures par descombinaisons de techniques nonconventionnelles aujourd’hui telles quel’utilisation de variétés résistantes, dessemis moins denses, retardés, le dés-herbage mécanique, la lutte biologiqueetc. En vergers, elle consiste essentiel-lement à utiliser la confusion sexuellecontre les papillons ravageurs (voirphoto). La production intégréeimplique des modifications plus pro-fondes du système de culture : diver-sification des rotations en grandescultures, ou bien reconfiguration desvergers avec des variétés plus résis-tantes.

Des paliers de réduction successifsGrâce à l’utilisation d’un indicateurharmonisé, l’IFT (voir l’encadré), lesexperts ont pu estimer la réductionde pesticides correspondant à chaqueniveau de pratiques. Ainsi, l’engage-ment du Grenelle de l’environnementde réduire les pesticides de moitié cor-respondrait, sur une année moyennesemblable à 2006, aux résultats d’unesimulation dans laquelle toute l’agri-culture française passerait en produc-tion intégrée. La réduction de l’IFTest estimée alors à 50 % en grandescultures, à 79 % pour les fourrages,mais à seulement 37 % en viticultureet 21 % en arboriculture fruitière.Pourquoi de tels écarts ? Les grandes

Amorcer une évolution 2

A la demande des ministères en charge de l’Agriculture et de l’Environnement, l’Inra a conduit une étude qui permet pour la première fois de traduire concrètement les objectifs du Grenelle de l’environnement et d’en esquisser les conséquences sur l’agriculture française. Cette étudemontre qu’une réduction de moitié des pesticides suppose une modification profonde del’ensemble du système de production. Des réductions substantielles sont d’ores et déjà possibles.

* Voir la vidéo : www.inra.fr/audiovisuel/web_tv/ecophyto

Illustration : Claire Scully

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cultures (blé tendre et dur, orge, colza,tournesol, maïs, pois, betterave, pom-me de terre) occupent la plus grandepart de la surface cultivée (46 % de lasurface agricole utile (SAU)) et offrentégalement un large choix de tech-niques culturales économes en pesti-cides d’où une baisse possible élevée.Vigne et arboriculture fruitière repré-sentent des surfaces beaucoup plusmodestes (3 et 0,8 % de la SAU,respectivement), mais sont plus exi-geantes en pesticides, car la pressionparasitaire est forte sur ces culturespérennes et les marges de manœuvrede réduction des pesticides y sont plusréduites. Le passage de toute l’agricul-ture à un niveau de protection inté-grée permettrait une diminution despesticides de 33 % (34 % en grandescultures, 38 % pour les fourrages, 37 %en viticulture et 6 % en arboriculturefruitière).Le passage à des niveaux de produc-tion ou de protection intégrées s’accompagnerait, dans l’état actueldes connaissances et des techniques,d’une diminution de la productionglobale. Les simulations économiquesréalisées dans Ecophyto R&D l’esti-me (en valeur) à 12 % en grandes cul-tures, 24 % en viticulture et 19 %pour les fruits (sur la base des prix2006) pour un passage en productionintégrée. Le passage en protectionintégrée permettrait le maintien dela production en arboriculture mais setraduirait, pour les grandes cultures,

par une baisse de production d’envi-ron 6 %, tandis que les margesseraient peu ou pas touchées dans lecontexte de prix de 2006. Même avecle degré d’imprécision lié aux limitesdes données disponibles, ces résultatssoulignent le besoin de recherche surces systèmes intégrés pour en amé-liorer les performances.

Réduire de 50 % les pesticides signifie changer de système de productionFaire évoluer les pratiques intensivesvers les pratiques raisonnées, grâce à lamise à disposition d’outils d’aide à ladécision plus précis, permettrait déjàde réduire l’usage des pesticides, en

ne traitant les cultures que si la quan-tité de bioagresseurs dépasse les seuilspréconisés et en choisissant les dates detraitement de manière à en optimiserl’effet. Cependant, cette stratégieatteint vite ses limites si elle ne s’ac-compagne pas d’autres changementsde pratiques. En effet, on ne peut pasdiminuer largement les traitementsen continuant à utiliser des variétéssensibles aux pathogènes. De même,maîtriser durablement les mauvaisesherbes tout en utilisant moins d’her-bicides nécessite souvent une diversi-fication des rotations, comme l’ontmontré les expérimentations réaliséesen grandes cultures sur le domaineInra d’Epoisses, près de Dijon. Il estainsi difficile de modifier une seulecomposante dans un tout cohérent.Les systèmes intensifs qui ont prévaludepuis les années 70-80 sont eux-mêmes des systèmes cohérents, com-me l’ont montré des chercheurs del’Inra sur l’exemple du blé : schémati-quement, les travaux sur la fertilisa-tion azotée ont permis d’en accroîtrel’efficacité et d’augmenter la produc-tivité des épis ; pour protéger ces épisplus lourds contre la verse, on a utili-sé des régulateurs de croissance et desvariétés à tige courte ; favorisé par larichesse du sol, le développement desmauvaises herbes a nécessité l’usageaccru d’herbicides ; enfin, l’augmen-tation de la fréquence de certaines cultures (blé, maïs, notamment) dansles successions, et la densité des cultu-res les a rendues plus fragiles aux

Ecophyto R&D (2007-2009) est une étude originale car elle associeprès d’une centaine de chercheurs et d’experts de « terrain » issusde plus de trente organismes : Inra, Instituts techniques, chambresd’agriculture, Agro-transfert, Services régionaux de la protectiondes végétaux… Elle dresse un état des lieux détaillé de laconsommation actuelle de pesticides en France, en utilisant unnouvel indicateur, l’indice de fréquence de traitements (IFT).Jusqu’ici, les quantités de pesticides étaient exprimées en tonnages,ce qui ne tient pas compte de l’activité spécifique des produits.L’IFT, correspondant au nombre de doses homologuées appliquéespar hectare et par an, permet d’avoir une unité valable pour desproduits très différents, et ainsi, de faire des calculs avec desdonnées comparables d’une culture à l’autre. L’IFT national est lamoyenne des IFT calculés par type de culture - grandes cultures,vigne, fruits (pomme) - pondérés par la surface occupée parchacune de ces cultures. Les simulations économiques sont à considérer avec précaution.Ainsi, les calculs ont été effectués avec les données de l’année2006 et ne prennent pas en compte le développement de nouvellesfilières ni les effets de marché.

(6) Réseau d'information comptable agricole(7) Service de la statistique et de la prospective

CONFUSIONSEXUELLE. La diffusion dansl’atmosphèred’analoguesd’hormonessexuelles brouille la reconnaissanceentre insectes mâleet femelle etempêche lareproduction.

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Au cœur de la méthode Ecophyto R&D

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pathogènes, d’où l’utilisation d’insec-ticides et fongicides de synthèse appa-rus dans les années 60-70. Cettelogique intensive, mise en place pouraugmenter la production française auxlendemains de la Deuxième Guerremondiale, puis entretenue par le sou-tien de prix élevés, a ainsi contribué àrendre l’agriculture dépendante despesticides et des engrais.

Une autre logique est possibleRéorienter cette logique nécessite lamise au point de systèmes tout aussicohérents et performants, technique-ment et économiquement. Les systè-mes dits « intégrés » sont basés sur laprévention : il s’agit, d’une part decréer des conditions de milieu moinsfavorables aux pathogènes, d’autre partde favoriser les propres capacités dedéfense et d’ « autorégulation » dumilieu. Cette approche requiert doncune connaissance fine de l’écosystèmecultivé, dont toutes les composanteset leurs interactions doivent être prisesen compte : sol, pathogènes, mauvaisesherbes, mais aussi faune auxiliaire pourcombattre les ravageurs. Elle nécessitede combiner judicieusement des pra-tiques à effets partiels mais qui se com-plètent : utiliser des variétés résistantes,semer plus tard, à des densités moin-dres, ajuster la fertilisation azotée, favo-riser la lutte biologique, etc. En grandescultures, diversifier les espèces culti-vées est aussi un moyen de rompre lecycle des pathogènes et de mieuxcontrôler les mauvaises herbes, touten introduisant des cultures ayant despropriétés intéressantes, comme desprotéagineux* à l’action fertilisanteou des moutardes, qui ont des effetsassainissants sur certains pathogènesdu sol comme les nématodes. La pro-duction intégrée permet ainsi de rédui-re la dépendance aux pesticides, sanstoutefois s’interdire leur utilisation siles conditions l’exigent. Une transi-tion massive vers cette forme de pro-duction, qui implique à la foisl’organisation des exploitations et cel-le des filières en aval, dans le cas oùl’on introduit de nouvelles cultures,est difficile à envisager à court terme. Le défi posé à la recherche est d’aider àla conception de ces nouveaux systè-

Depuis les années 90, l’Inra contribue à expérimenter des systèmeséconomes en pesticides pour différents types de culture, dont troissont cités ici en exemple : grandes cultures, vigne et vergers de fruits.

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R Des expérimentations à l’œuvre à l’Inra

L ’Inra participe depuis une dizaine d’années à un réseau d’expérimen-tations multilocales et pluriannuelles destinées à évaluer les perfor-

mances des variétés de blé rustiques couplées à des itinéraires tech-niques adaptés. Ces variétés, multirésistantes aux maladies et à la verse,ne présentent un intérêt économique et environnemental que dans le cadrede conduites économes en intrants. Le réseau, initié en collaboration avecdes sélectionneurs privés et Arvalis-Institut du végétal, a connu des dé-buts prometteurs qui ont conduit ses participants à constituer, en 2003,un deuxième réseau. Plus étendu, incluant notamment plusieurs chamb-res d’agriculture, le réseau élargi accorde une plus grande part à la dif-fusion des innovations vers les agriculteurs. Entre 2004 et 2007, les cher-cheurs ont observé une diminution moyenne de rendement de 9 %accompagnée d’une baisse d’IFT de 38 % (essentiellement fongicideset régulateurs de croissance) entre une variété sensible conduite en rai-sonné et une variété rustique conduite à bas intrants. Dans un contextede prix du blé modéré ou d’énergie chère, ces rendements un peu plusfaibles sont compensés par des charges réduites en intrants et en car-burants. Le couple variété rustique / itinéraire bas intrants permet doncdans certains cas d’augmenter les marges tout en les rendant moinssensibles à la volatilité des prix du blé ou du pétrole. Avec maintenantune centaine de sites d’essais sur plusieurs années, ces réseaux ont fournide solides références sur ces itinéraires techniques en termes de choixde variété, de mise en œuvre et de performances économiques. A pré-sent, l’ambition des partenaires du projet est d’utiliser ces acquis dans unréseau d’expérimentation national tel que l’ont dessiné les experts du rap-port Ecophyto R&D. Ce changement d’échelle pourrait être facilité par lesmodèles agronomiques et les outils informatiques qui sont développés enparallèle par les chercheurs.

OQuelques chiffres : Les grandes cultures : blé tendre et dur, orge,colza, tournesol, maïs, pois, betterave, pomme de terre, représentent46 % de la surface agricole utile (SAU) de l'hexagone, 67 % desdépenses en pesticides (majoritairement herbicides), avec un IFTmoyen de 3,8 en 2006.

EXEMPLE EN GRANDES CULTURES : LE RÉSEAU BLÉ RUSTIQUE

* Voir la vidéo : www.inra.fr/audiovisuel/la_filiere_proteagineuse_francaise

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EXEMPLE EN FRUITS : LES VERGERS DE GOTHERON

Depuis 2005, l’unité expérimentale de recherche in-tégrée de Gotheron procède à une évaluation de trois

systèmes de production/protection en verger de pom-miers. Chaque système est planté avec trois variétés depommes plus ou moins résistantes à la tavelure, de ma-nière à évaluer l’intérêt du choix variétal pour raisonnerl’application de fongicides. Chaque système intègre desobjectifs gradués en termes de qualité commerciale, deproductivité et de gestion du risque. L’évaluation porte surdes critères agronomiques, environnementaux et écono-miques. Alors qu’un premier système est protégé de ma-nière conventionnelle, le deuxième est conçu pour n’uti-liser les pesticides qu’en dernier recours. Le troisièmerépond au cahier des charges de l’agriculture biologique.Le deuxième système permet de maîtriser le risque detavelure en réduisant au maximum les traitements fongi-cides, avec un IFT moyen de 15,4 pour les années 2006à 2008. Ce système combine des méthodes de prophy-laxie (enfouissement des feuilles sur le rang et ramassagedes feuilles sur l’inter-rang), l’utilisation d’une variété peu

sensible et la définition de seuils d’intervention ajustés aux conditions locales. Etablis à partir d’une observation fine du verger et deson environnement (ravageurs, maladies, climat), ces seuils permettent d’effectuer un traitement en fonction du risque effectif pourla production. Malgré le temps et la technicité qu’ils réclament, des exemples à l’étranger montrent que la mutualisation des moyensà l’échelle d’une coopérative agricole rend leur utilisation économiquement viable. A terme, l’unité prévoit d’aller plus loin en optimi-sant la diversité végétale des vergers avec des bandes fleuries. Il s’agit de favoriser l’habitat des insectes auxiliaires des cultures envue de limiter le développement des ravageurs du verger.

OQuelques chiffres : les fruits représentent 0,8% de la SAU française, dont 32 % en pomme, 5 % des dépenses enpesticides (surtout fongicides et insecticides), avec un IFT moyen de 17,3 en 2006 (34 pour la pomme).

EXEMPLE EN VIGNE : LE DOMAINE DE COUHINS

L e domaine expérimental de Couhins, près de Bordeaux, apparaîtcomme une vitrine des recherches en matière de viticulture à haute

valeur environnementale. Deux axes majeurs de recherche et de pro-grès y sont développés. D’une part, il s’agit d’évaluer l’efficacité de laprotection offerte par de nouvelles molécules fongicides ou des mé-thodes alternatives (des agents de lutte biologique ou de stimulationdes défenses des plantes). D’autre part, le domaine sert de terraind’expé rimentation pour développer de nouveaux outils d’aide à la dé-cision. Ainsi, l’outil « Mildium », mis au point par des chercheurs de l’Inrade Bordeaux, propose un ensemble de règles de décision pour la pro-tection à la fois contre le mildiou et l’oïdium, deux champignons aux-quels les cépages français sont particulièrement sensibles et qui sontà l’origine de 70 % des traitements en vigne. Mildium fixe un nombremaximum de traitements de dix par an, avec seulement quatre traite-ments obligatoires, et module le reste des traitements en fonction dessymptômes observés et de l’état de réceptivité de la plante, sur lequelon peut agir en ajustant la fertilisation azotée. L’outil est en cours devalidation à l’échelle de l’exploitation après trois ans de test à l’échellede la parcelle. L’ensemble des pratiques appliquées sur le domaineconduisent à un IFT de 7,8 (moyenne 2001-2007) contre 12,5 enmoyenne nationale (en 2006).

OQuelques chiffres : la vigne représente 3% de la SAUfrançaise, 14% des dépenses en pesticides (essentiellementfongicides), avec un IFT moyen de 12,5 en 2006.

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Rvent leurs parcelles en se passant d’in-secticides, d’herbicides, ou des deux »indique Christian Gary, rapporteur del’Inra pour ce secteur dans l’étude Eco-phyto R&D.Dans le cadre de l’Agro-transfertPicardie, huit fermes pilotes volontai-res ont mis en place des pratiques inté-grées en systèmes céréaliers, enco-construction avec des chercheurs

mes qui se doivent de conjuguer per-formances environnementales, tech-niques et économiques.

Les agriculteurs innoventDiverses initiatives d’agriculteurs illus-trent la mise en œuvre de pratiqueséconomes en pesticides. « Dans troisrégions (Bourgogne, Centre et Proven-ce), environ 20 % des viticulteurs culti-

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de l’Inra, des conseillers et avec l’aidedes chambres d’agriculture. L’expé-rience s’est révélé probante sur plu-sieurs années, avec une réductiond’IFT de 40 à 50 % sans perte de marge (voir l’interview de ThierryGhewy).Une analyse sociologique conduite àl’Inra (projet ANR GeDuPic, 2007-2010) a également identifié des pro-

Qu’est-ce qui a motivé votre passage en production intégrée ?Thierry Ghewy : Ma motivation de départ a été de protéger mes sols

et leur richesse biologique, d’autant plus vitale qu’ils sontnaturellement pauvres en matières organiques. Je constataisune mauvaise évolution autour de moi, avec des sols ravinésou pris en masse en surface lorsque des orages survenaientaprès le labour. J’ai arrêté d’exporter mes pailles dans lesannées 1980 pour garder la matière organique et suis passéau non-labour en 2001. J’ai ensuite décidé d’aller plus loin enlimitant l’usage des phyto sanitaires et me suis porté volontaireen 2004 pour développer la production intégrée. Là, c’est unvirage complet vers l’agronomie !

Comment s’est fait la transition ?T. G. : Nous avons travaillé en groupe avec les autresagriculteurs, au cours de réunions régulières avec des chercheurs, des conseillers d’instituts techniques et de chambres. Nous avons adapté leurs propositions à chacune de nos exploitations mais n’avons pas appliqué de modèles prédéfinis. Par exemple, j’ai mis au point monpropre modèle pour l’orge de printemps, pour laquelle le choix de variétés résistantes est limité par les critères de brasserie. En jouant sur les densités de semis et unpilotage fin de l’engrais azoté, j’ai considérablement réduitl’emploi de fongicides et de régulateurs de croissance. J’ai procédé prudemment, d’abord par des essais en bandescomparatives, puis sur des parcelles, et enfin, à l’échelle de l’exploitation. La diversification des cultures implique

un temps d’attente pour que se mettent en place lesinteractions entre elles. Je ne raisonne donc pas en rentabilitéà l’année, mais sur la durée d’une rotation.

Quel bilan en tirez-vous?T. G. : Agir en amont en jouant sur les rouages agrono miquesévite beaucoup de soucis en culture. En réduisant l’usage despesticides, on évite de favoriser certains pathogènes oumauvaises herbes en voulant en éliminer d’autres. Il vaut mieuxavoir un peu de chaque maladie que d’en sélectionnercertaines qui deviennent difficiles à enrayer. On voit parexemple se développer dans la région des vulpins, ray-grass,brome, coquelicots résistants aux herbicides utilisés. Je n’aipas de tels problèmes sur mon exploitation. Si des insectesravageurs apparaissent dans mes parcelles, j’observe l’arrivéede la faune auxiliaire, syrphes, chrysopes, coccinelles et je faisdes comptages. Je ne traite qu’en cas d’excès. Globalement,je n’ai quasiment plus besoin d’utiliser d’insecticides, ni derégulateurs de croissance, et j’ai réduit les fongicides de 60 %. Le temps gagné en supprimant les traitements se transforme en observations au champ. J’ai ainsi constatéque la dégradation des résidus de paille est très rapide, signede la vitalité du sol. Le prochain axe de travail de notre groupeest de trouver de nouvelles techniques de désherbage. Pour l’instant, je n’ai diminué les herbicides que de 15 %.

Données techniques : 180 ha, huit espèces cultivées : blé, orge deprintemps, betterave, luzerne, escourgeon (orge d’hiver), tournesol, maïs,oeillette (oléagineux à usage pharmaceutique ou alimentaire). Rendementen 2009 : blé tendre : 93 q/ha ; tournesol : 41 q/ha ; maïs : 102,5 q/ha ;orge de printemps : 80 q/ha.

Thierry Ghewy est l’un des huit agriculteurs engagés dans la production intégrée avecl’Agro-transfert Picardie. En quelques années, il est passé d’un système de niveau raisonnéà la production intégrée dans son exploitation céréalière située en Champagne crayeuse.

O INTERVIEW

O TÉMOIGNAGE DE…

Pierre Mischler, conseiller de la chambre d’agriculture de Picardie. Il anime le réseau des huit fermes et analyse leurs résultats annuels.

« La dynamique du groupe s’est construite progressivement. Au début, les agriculteurs trouvaient les diagnostics environnemen-taux trop théoriques. Puis, ils ont travaillé en sous-groupes avec les agronomes et ont construit pas à pas les rotations adaptéesà leurs contraintes. Ils ont argumenté leurs choix et ont souvent trouvé eux-mêmes les débouchés pour les cultures qu’ils ont in-troduites. L’année 2007 n’a pas été bonne car il y a eu des maladies que l’on n’avait pas prévues, sclérotinia sur colza et rouillebrune sur céréales, avec des conséquences pour le rendement. Toutes les exploitations de la région ont été touchées, mais, avantmême que ne paraissent leurs données, les fermes en production intégrée ont été particulièrement critiquées, parce qu’entouréesa priori de scepticisme. Le réconfort du groupe est important pour dépasser ces épisodes de doutes. Et finalement, les agricul-teurs en production intégrée se disent plus sereins car ils n’ont pas d’impératifs de traitements à réaliser à une date précise. Ils sont aussi moins dépendants des conseillers, dont la posture évolue vers un rôle plus informatif ».

Site Web : www.agro-transfert-rt.org

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cessus progressifs de passage vers despratiques intégrées auprès d’agricul-teurs de l’Eure et de l’Oise. Certainsont commencé par changer les tech-niques indépendamment les unes desautres, quitte à rencontrer des impassestechniques liées au caractère nécessai-rement systémique de la productionintégrée. Ces agriculteurs se caracté-risent par un fort degré d’appartenanceà des réseaux indépendants, commeles Groupements de développementagricole et ont souvent signé unContrat territorial d’exploitation(dispositif de contractualisation avecl’Etat mis en place de 1999 à 2004) quiles a sensibilisés à une vision globaledes pratiques et appuyés dans leurtransition. L’étude montre qu’au-delàd’une opposition réductrice entre mili-tantisme et intérêts économiques, leursmotivations se recomposent au fil dutemps entre économie, environ -nement, santé, et image profession-nelle. Le goût de l’expérimentations’avère également assez déterminant.L’image, avec l’aide du collectif, peutévoluer d’une culture du rendementvers une virtuosité technique au servicede l’environnement. Ces formes d’a-griculture sont en effet aussi perfor-mantes et pointues que l’agriculturede type intensif.

Une mobilisation nécessaireà tous les niveauxPour développer davantage les systè-mes intégrés, il est nécessaire de com-pléter les références sur ces systèmesdans différentes situations pédo -climatiques et sur plusieurs années,

condition indispensable pour entraî-ner la confiance des agriculteurs. Eneffet, l’analyse des réseaux d’expéri-mentations existants, menée dans lecadre de l’étude Ecophyto R&D, faitapparaître des lacunes dans les expé-rimentations : peu de données à l’é-chelle de l’exploitation, voire duterritoire, et sur plusieurs années,cultures peu étudiées (comme lepêcher, la pomme de terre ou l’orge).De plus, la coordination et le par-tage des données entre les réseauxexistants restent difficiles. Pour pal-lier tous ces manques, les expertsproposent de mobiliser les nomb-reux acteurs impliqués dans undispositif national. Illustrant cettedémarche, un prototype de réseaude 180 fermes pilotes se met en pla-ce dès cette année en Bourgogne. Lacoordination en est assurée par uningénieur de la chambre d’agricul-ture, cette dernière étant impliquéeégalement dans le RMT (8) « Systè-mes agricoles innovants », tandis quel’Inra établira le cahier des charges dela future base informatique de par-tage des données.Le développement de systèmes inno-vants implique de nombreux acteursdu système socioéconomique. Ainsi,l’introduction de nouvelles espècesen grandes cultures requiert simul-tanément un investissement enamont pour améliorer ces espècesactuellement mineures, et l’organi-sation de filières en aval pour lesvaloriser. Dans le cas des fruits etlégumes, la marge de manœuvrepour réduire les pesticides est faible

dans l’état actuel des connaissances etde l’orga nisation économique. Aussi,une partie de la solution pourraitpasser par l’assouplissement des nor-mes de commercialisation, l’aban-don du « zéro défaut » et lavalorisation par des labels de pro-ductions respectueuses de l’environ-nement. La balle est donc aussi ducôté des consommateurs et desdistri buteurs. Enfin, l’élément déclen-cheur de toute la chaîne pourraitbien se trouver du côté de l’actionpublique, en offrant une visibilité àlong terme facilitant les anticipationsstratégiques des acteurs, en soute-nant l’effort de reconception de systèmes de culture et le dévelop -pement de dynamiques territoriales collectives, associant, outre les agri-culteurs, l’ensemble des acteurs dela R&D et du conseil.

(8) Les RMT et UMT (réseaux et unités mixtestechnologiques) constituent un des dispositifs decollaboration entre les organismes de recherche, deformation et de développement agricole. Créés en2006 par le ministère en charge de l’Agriculture, ilspermettent de conduire des projets communs de 3 à 5ans renouvelables. Les Agro-transferts, quant à eux,ont été mis en place au niveau régional par l’Inra et leschambres d’agriculture pour développer des outilsdestinés aux professionnels, outils d’aide à la décision,de diagnostic, de formation etc.

Voir la vidéo : Quel travail du sol aujourd’hui ?www.inra.fr/audiovisuel/quel_travail_du_sol

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Quelques axes de recherche 3

Amélioration variétale : diversifier les critères de sélectionDévelopper une nouvelle variété peutprendre 10 ans, parfois plus dans lecas de l’arboriculture. Il s’agit doncd’anticiper, d’ores et déjà, les systèmesqu’il conviendra d’utiliser à moyenterme et travailler à l’obtention d’unmatériel génétique qui valorise cesfutures conditions. Ainsi, des systè-mes innovants qui incluent des cul-tures intermédiaires aux propriétésassainissantes, comme la moutarde,ont été testés dans le domaine Inra

d’Epoisses. Ces systèmes ne sontaujourd’hui pas rentables sur le planéconomique en partie par manquede variétés adaptées. Idem pour desprotéagineux comme le pois d’hiver,dont la productivité serait à amélio-rer. A l’avenir, si ces systèmes sontjugés pertinents dans l’optique d’uneréduction de l’usage des pesticides,la sélection végétale devra s’intéresseraussi à ces espèces dites « orpheli-nes ». En plus de cet exercice prospectif surles choix des espèces à améliorer, lasélection végétale se confronte à un

deuxième défi : celui d’une adapta-tion plus fine des variétés aux condi-tions locales. En effet, pour leurinscription, les variétés sont aujour-d’hui évaluées par la moyenne deleurs performances sur l’ensembledes sites d’essais répartis sur le terri-toire. Ce mode de calcul privilégieles variétés qui ont un bon compor-tement partout, au détriment de cel-les qui seraient mieux adaptées àcertaines conditions et moins bien àd’autres. Dans le cadre d’une moin-dre utilisation d’intrants, et donc d’une moindre homogénéisation desmilieux par l’artificialisation, il rede-vient important de prendre en comp-te leurs caractéristiques. Ainsi, autantune variété de blé résistante à larouille jaune est indispensable enNormandie si l’on veut y réduire l’IFTfongicides, autant ce caractère estmoins essentiel dans le Nord-Est de laFrance du fait de la faible fréquencede la maladie dans cette zone.En fait, le défi est d’autant plus grandque ce sont les interactions génotype-environnement-conduite de culturequ’il faut considérer. Par exemple,une variété de blé rustique n’est com-pétitive que si elle est utilisée dans lecadre d’itinéraires techniques à basintrants. Le réseau « blé rustique » a

Les leviers d'action permettant de réduire l'usage des pesticides sont nombreux. Ils se situentà des échelles différentes et sont le plus souvent interdépendants. Un des défis pour larecherche est donc de penser leur optimisation dans le cadre d'une vision globale dessystèmes et des pratiques agricoles. L'innovation génétique, la gestion des pathogènes,l'agronomie ou l'économie sont des exemples de disciplines qui doivent avancer de manièrecohérente, souvent en anticipant les progrès des autres domaines. Ces anticipations sontaujourd'hui facilitées par l'informatique et la modélisation qui permettent d'obtenir descapacités d'analyses prédictives plus rapides et plus précises.

Illustration : Claire Scully

Voir les vidéos : www.inra.fr/audiovisuel/varietes_innovantes_modes_cultures

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démontré, sur plusieurs années, lapossibilité de compenser les rende-ments légèrement inférieurs de cesvariétés via des économies de char-ges générées par des itinéraires tech-niques à bas intrants. Ces résultatsont déjà suscité l’intérêt de certainsagriculteurs et de plusieurs chambresd’agriculture. Néanmoins, ces variétésn’ont pas été améliorées spécifique-ment pour cette conduite de culture.On peut donc penser que la prise encompte des itinéraires techniques dansla sélection végétale pourra conduireà des performances susceptibles defaire adopter plus largement ces inno-vations par les agriculteurs et leursconseillers. Dans cette perspective, leComité technique permanent de lasélection a lancé une réflexion sur l’évaluation adaptée à des itinérairesbas intrants.Toutes ces nouvelles exigences récla-ment une grande diversification descritères de sélection. Elles illustrentdonc l’importance des progrès dansdes domaines tels que la sélection

assistée par marqueurs ou le phéno-typage à haut débit qui permettrontde prendre en compte tous ces critèressimultanément.

Connaître et gérer les agentspathogènes Créer des résistances variétales n’estpas chose aisée. L’exercice réclame dutemps et des connaissances dans denombreux domaines tels que la géné-tique ou la pathologie. Il faut savoirensuite gérer ces résistances sous pei-ne de voir des années d’effort réduitesà néant. En effet, même si l’on dispo-se de variétés résistantes aux bio-agresseurs, le contournement desrésistances par les pathogènes est unproblème majeur et difficilement pré-visible. Ainsi, les résistances au phomadu colza (un champignon pathogè-ne), introduites dans les années 90,ont été d’autant plus rapidementcontournées qu’elles étaient efficaceset donc massivement adoptées. Lesrésistances au bremia chez la laituene durent pas plus d’un an alors que

la résistance du haricot vert à l’an-thracnose persiste depuis 50 ans. Denombreux travaux sont menés à l’In-ra pour comprendre et freiner lesmécanismes de contournement desrésistances. Sur le modèle piment-potyvirus, les chercheurs ont montréque la durabilité de la résistance dupiment au virus dépend directementdu nombre de mutations requiseschez ce dernier pour la contourner.Ainsi les gènes de résistance nécessi-tant plusieurs mutations chez lepathogène pour le contournementsont à privilégier. Une autre pisteconsiste à associer plusieurs types derésistance afin de retarder le contour-nement. L’efficacité de cette stratégiea été démontrée pour les couplespiment/potyvirus et colza/Lep-tosphaeria maculans (phoma), encombinant une résistance qualitati-ve, contrôlée par un gène, à une résis-tance quantitative, contrôlée parplusieurs loci expliquant chacun unepart de la résistance observée. Ainsi,autant que l’identification de nou-veaux gènes de résistance, leur ges-tion est déterminante, à l’instar decelle des antibiotiques en santéhumaine et animale. L’élaboration detechniques culturales visant à préser-ver la durabilité des résistances resteégalement une piste de recherche pro-metteuse. Le modèle SIPPOM per-met de prévoir l’évolution despopulations de phoma, en quantifiantles spores du champignon, en fonc-tion du climat, du sol et de l’agence-ment des parcelles. En rotationcolza-blé-orge, le modèle indique qu’ilest plus intéressant de séparer les troiscultures en bandes plutôt que de lesmélanger sous forme d’une mosaïquealéatoire, afin de maximiser l’éloi-gnement des parcelles plantées en col-za à une année d’intervalle

Modélisation et couplage agronomie/économie Le développement de la modélisationpermet d’évaluer par simulation ungrand nombre de systèmes, ce qui n’estpas possible en conditions réelles. Afin

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Dans le cadre du GISPIClég, consacré à laprotection intégrée descultures légumières, leschercheurs et informati -ciens de l’Inra développentun portail Web qui proposeà la fois un outil dediagnostic des maladiesdes légumes et des métho -des de protection intégrée. Le module « salade » devrait voir le jouren 2010. Pour le diagnostic, un premier « mode d’identificationguidé », assez classique, permet de décrire progressivement lessymptômes observés sur les plantes grâce à des menus déroulants.Le deuxième « mode d’identification par l’image », plus innovant,propose un diagnostic grâce à des mosaïques d’images de plantesou d’organes malades permettant de situer les symptômes sur lesplantes et de définir leur origine. Chaque choix d’image dirigel’utilisateur sur une nouvelle série de photos aux symptômes deplus en plus proches. Au final, quel que soit le mode utilisé, undiagnostic est proposé à l’utilisateur, assorti d’informations sur lebioagresseur en cause et de conseils de protection. D’autresmodules seront développés pour plusieurs légumes méditer -ranéens appartenant aux Cucurbitacées (courge et courgette,concombre, melon) et aux Solanacées (tomate, aubergine, piment).Un module analogue est déjà disponible pour le tabac et en coursde construction pour la vigne.

Diagnoleg, un outil pratique de diagnostic/conseil des maladiesdes cultures

Voir le site : www.inra.fr/sante_plantes_environnement/en_savoir_plus/seminaires/gestion_durable_des_resistances_aux_bioagresseurs_des_cultures

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ciliter l’adoption de systèmes en rup-ture. Malgré des capacités prédictives par-fois étonnantes, les modèles ne per-mettront jamais de remplacer l’expé-rimentation et l’observation. En effet,leur solidité et leur précision reposentsur la qualité et la quantité de don-nées que l’on peut leur fournir en en-trée. En revanche, il existe une sy-nergie entre les résultats d’un modèleet ceux des expérimentations qui peu-vent se nourrir mutuellement.

A court terme, une première réduc-tion d’emploi des pesticides pourrase faire sans remettre en cause pro-fondément les systèmes de produc-tion. Elle supposera l’implication denombreux acteurs. L’étude Ecophyto

+d’infosOweb : Voir également les vidéos :- Colloque du Salon international de l’agriculture 2009 : vers une agriculture à hauteperformance environnementale www.inra.fr/audiovisuel/web_tv/colloques/vers_une_agriculture_a_haute_performance_environnementale-Rencontres filières végétales du SIA 2008 : vers un programme de recherches sur laproduction intégrée en grandes cultures : acquis et perspectives www.inra.fr/audiovisuel/web_tv/rencontres/salon_international_de_l_agriculture_2008/rencontres_filieres_vegetales_les_grandes_cultures-Signature du Groupement d’intérêt scientifique Systèmes de production de grandescultures à hautes performances économiques et environnementales (GC-HP2E)www.inra.fr/audiovisuel/web_tv/la_vie_de_l_inra/signature_du_gis- Carrefours de l'innovation agronomique, Dijon 2008 : gestion des adventices engrandes cultureswww.inra.fr/audiovisuel/web_tv/ciag/gestion_des_adventices_en_grandes_cultures- Carrefours de l'innovation agronomique, Paris 2007 : protection intégrée enarboriculture et en viticulturewww.inra.fr/audiovisuel/web_tv/ciag/protection_integree_en_arboriculture_et_en_viticulture

Odocuments :- Résultats de l’étude Ecophyto R&D, 2009 :www.inra.fr/l_institut/etudes/ecophyto_r_d/ecophyto_r_d_resultats-Résultats de l’expertise collective Pesticides, agriculture et environnement, 2005 www.inra.fr/l_institut/expertise/expertises_realisees/pesticides_rapport_d_expertise

d’explorer le champ des possibilités,la conception de nouveaux systèmespeut inclure des innovations qui nesont pas rentables à court terme dansle contexte socio-économique actuel,mais qui pourraient l’être sous cer-taines conditions. Voire des innova-tions qui ne sont pas encore au point,comme par exemple des rotations cul-turales qui n’ont pas encore été tes-tées. Dans le cadre du réseau euro-péen Endure, les chercheurs de l’Inraparticipent à la conception de systè-mes innovants moins dépendants enpesticides pour trois types de culture :céréales de régions Nord basées surblé/colza, maïs seul ou associé au blépour les régions Sud, et vergers depommiers.L’évaluation permet de choisir les sys-tèmes les plus performants a priori.Ce qui permet de cibler ensuite les ex-périmentations prioritaires à réaliseret donc d’économiser à la fois dutemps et des ressources financières.Comme le résume Antoine Messéan,qui dirige des recherches sur les im-pacts écologiques des innovations végétales, « cette évaluation doit être multicritères (environnementaux, éco-nomiques, sociaux), multiéchelles (dela parcelle au territoire), multiacteurs(en conciliant les attentes) ». Afin deprendre en compte tous ces critèreset d’obtenir l’évaluation d’un systèmedans toutes ses dimensions, différentsmodèles sont couplés. Ils sont issusde nombreuses disciplines telles quel’agronomie, l’économie, la climato-logie... L’outil d’évaluation « a priori »MASC, conçu à l’Inra, propose, parexemple, 32 critères d’évaluation dela durabilité des systèmes, dans leursdimensions économique (rentabilité),sociale (organisation du travail, maisaussi contribution à l’emploi local etrisques pour la santé) et environ -nementale (23 critères détaillant lapollution de l’eau et de l’air, la qua-lité du sol, l’économie d’eau ou laconservation de la biodiversité). En tenant compte de l’aversion aurisque des acteurs ou de l’adoptiond’une innovation en fonction de cri-tères économiques, les couplagesagronomie-économie peuvent égale-ment permettre d’évaluer l’efficacitéet les conséquences d’une politiquepublique. L’évaluation multicritèresd’un système permet ainsi de s’in-terroger très tôt sur les éléments decontexte (politiques publiques, filiè-res, recherches) qui permettent de fa-

R&D apporte un éclairage sur les don-nées disponibles et les lacunes à com-bler progressivement. Elle identifiedes leviers d’action, notamment pouraméliorer le dispositif d’expérimen-tation et le partage des données. L’Inrapropose une approche globale des sys-tèmes de production combinant agro-nomie, écologie et sciences écono-miques et sociales. L’Institut poursuitégalement l’étude fine du fonction-nement des agro-systèmes et de leurscomposantes, ainsi que celle de la bio-logie des bioagresseurs. ●

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Pour combiner dans une mêmevariété des caractères valorisantles nombreuses interactionsgénotype x environnement xconduite de culture, il faudratester de multiples combinaisonset, là encore, recourir à la modé -lisation. Les travaux de l’Inra surle pois d’hiver illustrent cettedémarche. Des essais sur unevariété « Hr » à semis précoce alimentent un modèle agronomiquecouplé à un modèle d’organisation du travail, modèles quipermettent de prédire le comportement de cette variété dans diverssystèmes de culture, d’en déceler les limitations et de dégagerainsi de nouvelles pistes d’amélioration. La construction d’un« idéotype » se fait ainsi par une démarche en boucles de progrèssuccessives.

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A vec plus de 200 espècesd’arbres par hectare, l’Amazonie compte qua-rante fois plus d’espèces

d’arbres en moyenne qu’une forêttempérée, et 10 % de la faune connue.Elle est, avec les forêts de l’archipelindonésien et du Bassin du Congo,l’une des trois plus grandes réserves debiodiversité mondiale. Le « bouclierforestier des Guyanes », sous-ensem-ble de l’Amazonie, s’étend du Brésil auVenezuela, Suriname et Guyana, cou-vre 90 % de la surface de la Guyanefrançaise. L’unité mixte de recherche« Ecologie des Forêts de Guyane »

Comment les uns et les autres utili-sent-ils les ressources en lumière, eau,carbone et éléments minéraux ? Peut-on modéliser ce fonctionnement éco-logique pour prédire les conséquencesde changements climatiques et desperturbations liées aux activitéshumaines ?

L’espèce, une notion à revoir Les chercheurs ont observé en parti-culier qu’ au sein d’une même espèced’arbre, la vitesse de croissance et lacapacité photosynthétique des feuillesvarient entre bas-fonds et plateauxselon les contraintes hydriques. Ivan

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Ecofogau cœur de la biodiversitéamazonienne

(Ecofog), associant AgroParisTech, leCirad, le CNRS, l’Université desAntilles-Guyane et l’Inra, lui consac-re toutes ses compétences. Les cher-cheurs s’attèlent à comprendre lesmécanismes conduisant au maintiend’une telle diversité. Dans l’incroyableenchevêtrement de la forêt tropicalehumide, l’écologie, science des inter-faces entre populations et commu-nautés, entre écosystème vivant etmilieu physique, trouve un terraind’étude hors pair. En quoi la diversi-té des espèces d’arbres et celle desmicro-organismes influe-t-elle sur lefonctionnement de l’écosystème ?

uneunité

O EN GUYANE

GRENOUILLEVÉNÉNEUSE

Dendrobate(Dendrobates

tinctorius). Les indiens

enduisaient leursflèches de son

poison.

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Scotti dirige l’équipe de génétique despopulations. « Cette discipline étudieles facteurs génétiques qui permettentles interactions d’une population avecl’environnement. Inscrites dans la théo-rie de l’évolution, nos recherches étu-dient l’adaptation des arbres forestiersà l’échelle de parcelles des massifs, desrégions et jusqu’au continent, à traversun réseau de sites, « Guyafor », et d’unréseau international de collaboration.Pourquoi telle espèce se retrouve dansdes milieux différents ? Quelle est sadyna mique de régénération, de disper-sion des graines et du pollen ? Nouscarto graphions la dispersion, à grandeéchelle, des graines et du pollen, par phy-logéographie ». Cette nouvelle disci-pline vise à reconstruire l’histoire despopulations à différentes échelles spatio -temporelles. Un projet pan-amazonien (Seedsource) a ainsi déduitde la comparaison de marqueurs nu-cléaires de trois espèces communes(Carapa guianensis, Jacaranda copaiaet Simarouba amara) que leur coloni-sation des parties orientale et occi-dentale de l’Amazonie avait été faitede manière indépendante.Plus les chercheurs regardent la di-versité des espèces, plus ils s’interro-gent sur la notion d’espèce, laquellesemble souvent s’estomper au profitd’un continuum qui conjugue varia-bilité intraspécifique et interspécifique.La classification de Linné prend uncoup de vieux !

Un « régulateur » du climat à l’échelle de la planèteOutre sa biodiversité, la forêt tropi-cale humide intéresse les chercheursd’Ecofog parce qu’elle a le pouvoird’influer sur le climat de la planète,soit directement, à travers le cycle del’eau, soit indirectement à travers lecycle du carbone et son rôle de gaz àeffet de serre. La déforestation seraitainsi responsable de 20 % des émis-sions de CO2 dans l’atmosphère. Gérercette déforestation pourrait être unemonnaie d’échange potentielle dansles négociations internationales sur laréduction des émissions de gaz à effetde serre et ouvrirait la voie à une ré-munération de la séquestration de CO2par les forêts. Pourtant, les chercheurs connaissentencore peu la dynamique du carboneà long terme et les conséquences desactivités humaines sur ce cycle. Le siteGuyaflux (voir p. 29), installé en 2003à Paracou, est l’un des rares endroitsoù l’on mesure les échanges entre une

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Sur le terrain pour comprendre la forêt

Rendez-vous au kilomètre 74,2 de la route qui relie Cayenne à la frontière brésilienne. Un « carbet » (cabane) sert de gîted’étape à l’équipe de Christopher Baraloto durant sa semaine derecherche sur le terrain. Boucles blondes nouées dans un catogan,machette au ceinturon et sourire aux lèvres, Christopher Baralotoest l’un des quatre lauréats des « packages scientifiques 2009 »que l’Inra a instaurés pour attirer de jeunes chercheursexpérimentés d’envergure internationale. Ce programme lui ouvreun contrat de quatre ans assorti de moyens financiers attractifs etla possibilité d’accueillir pour trois ans un chercheur post-doctorant junior et un doctorant.Il fait nuit noire lorsque l’équipe arrive, éreintée de sa journéepassée dans la forêt à collecter des échantillons sur unesoixantaine d’arbres. Toilette rapide dans le ruisseau en contrebaset repas vite pris - le comté fruité et le beaufort fermier apportésde métropole ont été appréciés - et l’équipe se met au travail. Les feuilles récoltées passent au crible : surface, épaisseur, duretéet teneur en chlorophylle sont mesurées. Les tissus des feuilles,racines et tiges sont conservés pour de futures analyseschimiques et anatomiques en laboratoire. Le cliquetis des claviers

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d’ordinateurs et le ronronnement du groupe électrogène se mêlent au bourdonnement des insectes et au bavardage des crapauds.Les données mettront à jour des corrélations entre lescaractéristiques de fonctionnement (traits fonctionnels) des arbresselon leur habitat. Les stratégies des diverses espèces permettront de mieux comprendre la distribution des espèces le long des gradients environnementaux et de modéliser le fonctionnementde l’écosystème. Si au sein d’un genre, ou même d’une espèce, les stratégies divergent entre habitats (bas-fonds, sols argileux,sables blancs), on pourra en déduire des adaptations face à lasécheresse ou dans la défense contre les attaques des insectesherbivores. L’équipe de terrain comprend une chercheuse, ClaireFortunel, deux doctorants, Greg Lamarre et Seth Kauppinen, un grimpeur, Benjamin Leudet, pour prélever les échantillonsinaccessibles avec une gaule, ainsi que deux botanistes, Marcos Rioset Elvis Valderrama, qui viennent d’une équipe péruvienne où undispositif semblable a été mis en place. La conversation passeindifféremment du français, à l’anglais ou à l’espagnol.Les transects de collectes quadrillent la forêt de part et d’autre de la crête d’une colline de sables blancs. « Ces forêts sur sables

blancs s’appellent ‘tiki-tiki bushi’ au Suriname oùl’on retrouve, à 500 km d’ici, les mêmes espèces,tandis qu’en face, sur les sols granitiques de lacolline à 1 km d’ici on trouve une flore beaucoupplus diverse. Il y a seulement trois espèces encommun » commente Chris Baraloto. Dans cepaysage somptueux, seul le passage d’un morpho(papillon d’un bleu électrique), les sauts d’unedendrobate ou une fleur « encore jamais vue »,minuscule appendice au creux d’une branche,détournent la jeune équipe transpirante de son labeur.

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forêt tropicale humide et l’atmosphère.Au-delà des variations saisonnières, laforêt (arbres et sol) agit actuellementcomme un puits de carbone.Les chercheurs ont étudié, sur le siteexpérimental de Paracou, les flux decarbone dans neuf parcelles exploitéesdepuis 1984 selon des coupes de boisd’intensités différentes. Il ressort quetoutes les parcelles agissent commeune source de carbone sur une duréede dix à douze ans après l’exploita-tion. Au-delà, elles captent plus de car-bone qu’elles n’en émettent, et rede-viennent donc un puits de carbonepour l’atmosphère. Les équipes ontextrapolé les données pour évaluer de45 à 100 ans, selon l’intensité de l’ex-ploitation, la durée nécessaire à la re-constitution du stock de carbone initial. Ces résultats plaident pour destechniques d’abattage à faible impactqui sont recommandées par la certi-fication forestière. Celle-ci, conçue initialement pour lutter contre la déforestation en milieu tropical, s’estparadoxalement répandue en milieutempéré et boréal, les forêts tropica-les humides ne représentant que 4,7 %des forêts certifiées.

Ne dites plus forêt vierge !On connaît d’ailleurs mal la dyna-mique forestière, après exploitation.On avait ainsi pris l’habitude de croireque la forêt amazonienne était vierge,à peine frôlée par quelques chasseurscueilleurs. Or il semble que la réalitésoit plus nuancée. Les archéologues del’Institut national de recherche enarché ologie préventive et les forestiersde l’ONF ont découvert de très nom-breux sites archéologiques en forêt,démontrant une occupation ancienneet durable. En collaboration avec lesarchéologues, forestiers, et des collè-gues de l’Inra de Nancy, les chercheurs d’Ecofog essaient d’évaluer dans quellemesure l’occupation amérindienne amodifié les sols et la biodiversité. « Surces sites, on retrouve des tessons de po-terie et des sols foncés, très enrichis encarbone et souvent en phosphore, ca-ractéristiques d’implantations villa-geoises durables. Or ces sols sont répu-tés être, au Brésil, parmi les plusproductifs de l’Amazonie. Par ailleurs,on sait que les amérindiens sélection-nent les arbres dont ils tirent parti pourtoutes sortes d’usages On a donc toutesles raisons de penser que ces occupationsanciennes ont pu modifier la distribu-tion des espèces, soit directement, soitindirectement à travers les sols » souli-gne Etienne Dambrine associé au

L’unité Ecofog

L’unité mixte de recherche (UMR)Ecologie des forêts de Guyane,Ecofog, compte 25 chercheurs ouenseignants chercheurs, une dizainede post-doctorants et une trentainede thésards. Créée en 2001, elleassocie l’Inra, AgroParisTech, leCirad, le CNRS et l’universitéAntilles-Guyane. Deux équipes derecherche travaillent en écologieforestière, des populations d’unepart, et des communautés, d’autrepart. La troisième équipe rassembledes chercheurs en physique, chimie et mécanique dans l’optique de valoriser les matériaux et substances naturelles du milieu

amazonien et d’étudier les fonctions liées à ces disciplines : écologiechimique, biomécanique, biodégradation. Les recherches sontfinancées principalement par des fonds européens, l’Agencenationale pour la recherche (ANR) et le programme interdisciplinaireAmazonie du CNRS, outre les dotations globales et les salaires prisen charge par chaque tutelle. Le Cirad et l’Inra se sont implantés en Guyane dans les années 1970. Au début 1990, ils se sontrapprochés de l’Engref pour constituer, avec l’Office national des forêts, l’Office de la faune sauvage et d’autres partenaires, un Groupement d’intérêt scienti fique. Ce GIS Silvolab recentre les recherches sur la préservation de l’écosystème forestier. Les stations expérimentales d’élevage et d’aquaculture de l’Inra sontalors cédées à la chambre d’agriculture, le Cirad gardant un voletplantations et ressources génétiques en dehors du regroupement.Quelques années plus tard, Meriem Fournier, en poste pour l’Engref(devenu AgroParisTech) pousse à la création d’une unité mixte derecherche et sera la première directrice d’Ecofog. Le CNRS rejointun peu plus tard l’UMR, suivi par l’université des Antilles et de la Guyane basée à Cayenne, en 2006, renforçant l’axevalorisation des matériaux et molécules.Le pôle AgroParisTech d’Ecofog anime au sein de l’UMR une importante composante formation au travers du module « forêtstropicales humides » quiaccueille à Kourou, depuis1994, une quarantained’étudiants de métropole enmaster, thèse ou formationprofes sionnelle. Pendantquatre semaines, ils alternentcours et travaux de terrain enforêt. Un parcours de master2 ouvrira en septembre 2010.

projet et dont les travaux sur les sitesgallo-romains en forêt de la Haye (prèsde Nancy) concluent également à unetrès longue « mémoire » des sites an-ciennement cultivés. « Les archéolo-gues ont démontré que la densité hu-maine a été importante en Amazonieet qu’il y a eu d’importants mouvementsde populations aussi bien au Brésil, auPérou, qu’en Guyane ». Au lieu de forêt

vierge, on devrait donc plutôt la qua-lifier de forêt « mature ». L’empreintede l’homme, même si elle remonte auxcivilisations préindustrielles, voire néo-lithiques, est donc toujours visible, rai-son de plus pour être attentif, au-jourd’hui, aux activités humaines(orpaillage, sylviculture, agriculture…)dont les conséquences devraient aussimarquer le très long terme.

Eric Marcon, le directeurd’Ecofog est ingénieur forestier.Spécialiste d’informatique, il s’est orienté vers la statistiquespatiale.

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Guyaflux : à l’écoute de la respiration des arbres

L’Inra a installé en 2003, sur le site de Paracou, une tour à flux. Avec des airs de pylône électrique, elle domine la canopée, à 55 m au-dessus du sol.« Guyaflux » enregistre en continu les données micro-climatiques et les turbulences. Pendant 4 ans, Damien

Bonal, son pilote scientifique, a grimpé à l’échelle un bonmillier de fois pour vérifier le matériel, mais aussi pour la vueextraordinaire, cadeau offert aux officiels et visiteursscientifiques qui viennent en Guyane... Les résultats montrentque le bilan de carbone dans l’empreinte des flux est négatif,c'est-à-dire que les flux de photosynthèse sont plus forts que ceux de respiration, et l’écosystème stocke du carbone :entre 1,0 et 1,5 tonnes de carbone par hectare et par an. La forêt guyanaise est donc un puits de carbone, commevraisemblablement l’ensemble des forêts non perturbées en Amazonie. Mais l’origine de ce bilan reste encoreméconnue. Les expéri menta tions sur parcelles montrent une augmentation de la biomasse aérienne (troncs, brancheset feuilles) depuis 20 ans. Pourtant, la forêt considéréecomme mature, ne devrait plus croître en biomasse. Le concept de « forêt mature » est donc questionné par de nombreux scientifiques. Une hypothèse explique cette augmentation par unedisponibilité accrue des ressources, principalement le CO2,résultant des activités humaines.D’ores et déjà, les scientifiques ont observé que pendant la saison des pluies, quand le rayonnement solaire est plusfaible, la photosynthèse ralentit, tandis que l’activitémicrobienne du sol et la respiration des arbres restent fortes. La forêt rejette alors du CO2 dans l’atmosphère. Au basculement des saisons, le rayonnement solaire active la photosynthèse, et l’écosystème se comporte alors commeun fort puits de carbone. Enfin, quand la saison sèchedevient très marquée, le manque d’eau ralentit davantage larespiration que la photosynthèse, la forêt reste un puits de carbone.Les données produites par le programme Guyaflux ont étéintégrées dans plusieurs méta-analyses internationales. Il s’agit d’évaluer si les relations entre variables climatiques et fonctionnement de l’écosystème sont identiques entre lesécosystèmes forestiers boréaux, tempérés, ou tropicaux. Les données pourraient donc être intégrées dans desmodèles de changements globaux.

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+d’infosOweb :Site de l’UMR : www.ecofog.gf/frConférence internationale nov. 2009 : la science au service de la gestion des forêts tropicales humides : www.inra.fr/efpa/internet/Conference_Cayenne/AnnonceConference-version4-05-09-vf.pdfOvidéos :www.inra.fr/audiovisuel/web_tv/cayenne_2009_la_science_au_service_de_la_gestion_des_foret_tropicales_humides

Les scientifiques ne se lassent pas d’observer les mutualismes qui se tis-sent entre certaines fourmis, insectespollinisateurs, microorganismes et lesarbres. Parmi les interactions plantes-insectes, les liens complexes noués entredes fourmis arboricoles et des arbresde Guyane intéressent particulièrementles scientifiques CNRS d’Ecofog.

Fourmis mutualistesCertains arbres ou plantes à tiges four-nissent un logement aux fourmis sousla forme de poches situées à la basedes feuilles ou de galeries sous l’écorce.En contrepartie, les fourmis protègentleur plante-hôte contre les insectes her-bivores, lesquels peuvent d’ailleurs ap-partenir à d’autres familles de four-mis ! Le collectif mutualiste peut aussis’élargir à d’autres partenaires, commedes guêpes par exemple qui trouventabri dans l’arbre, sont protégées demaladies fongiques par les fourmis etles protègent en retour d’autres pré-dateurs (mammifères, oiseaux…).L’importance de ces interactions entrecommunautés, parfois négligée dansles théories de la biodiversité, apparaîtcentrale dans le fonctionnement del’écosystème amazonien. Les cher-cheurs décryptent la composition etla structure plus ou moins « emboî-tée » de ces réseaux pour en com-prendre, in fine, leurs rôles dans lemaintien de la biodiversité.La chimie des molécules et la physiquedes matériaux est la troisième di-

mension de l’unité de recherche Ecofog. L’objectif est de s’inspirer despropriétés des substances naturellespour traiter des maladies ou pour rem-plir des fonctions que l’on recherche.« Notre démarche ‘bioinspirée’ consisteà regarder les mécanismes de défense dubois contre les champignons lignivorespour imaginer des défenses de la peaucontre des infections fongiques. L’ana-logie pourrait déboucher sur des trai-tements thérapeutiques. » expliqueEmeline Houël, l’une des ingénieuresde l’équipe. D’autres travaux cherchent à imagi-ner de nouvelles méthodes pour dif-férencier les espèces d’arbres selon leur« empreinte chimique », ce qui pour-rait faciliter le travail des forestiers.

La forêt aux racines du développement localBernard Thibaut, précédent directeurde l’unité, est sensible aux sources devalorisation qui pourraient favoriserun développement local. « Un enjeuest d’ancrer les recherches d’Ecofog auservice de la Guyane. La quasi-totalitéde la population locale vit en dehorsde la forêt et ne s’en nourrit pas. Les dé-bats actuels sur le stockage du carbonepar la forêt pourraient déboucher surun revenu lié à la conservation de l’écosystème. C’est l’occasion de déve-lopper une filière forêt-bois créatriced’emplois dans une région où cela de-vient la priorité des priorités. »Enjeu que Richard Pasquis, géographeau Cirad, confirme. « Aujourd’hui, la

problématique centrale de la Guyanec’est sa croissance démographique, l’unedes plus élevées au monde, 3,7 % paran dont une bonne partie est due à l’im-migration venant du Suriname et duBrésil. La recherche peut être utile pourcomprendre les dynamiques de popu-lations et leur impact sur les modes d’oc-cupation de l’espace et de gestion desressources naturelles, notamment dansla frange entre la forêt et le littoral, làoù les activités agricoles et sylvicoles, etla croissance urbaine sont les plus for-tes. Lorsque l’on déforeste, l’essentiel dubois pourrit sur place ou part en fumée.Rationaliser ce coût d’entrée agricole etse pencher sur la planification de l’ex-ploitation forestière pourraient fonderune stratégie gagnant-gagnant entre l’a-griculture et la forêt. En Amazonie bré-silienne, c’est le marché agricole quirythme la déforestation. Ici, un autremodèle de développement qui valoriseles potentiels naturel et humain est en-core possible. » ●

Catherine DonnarsReportage photos : Christophe Maître

UNE SCIERIEentre Kourou

et Paracou.Développer une

filière bois durableet créatrice

d’emplois est unepriorité dans

la région.

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Les motsde la faim

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Pourquoi un ouvrage sous la forme d’un dictionnaire ? Jean-Christophe Bureau : C’est un ouvrageoriginal qui peut être lu de « abattoirs » à« zoonoses » ou picoré par article, au fil desquestionnements. C comme « café », « carence »ou « consumérisme », S comme « sans-terre »,« semences » ou « Sen Amartya », prix Nobeld’économie ayant travaillé sur les famines. On trouvera des articles sur les principalescultures mondiales, leur commerce, desorganisations internationales ou des entreprises,des personnalités, des concepts, ainsi que surles grandes entités géographiques de la planète.Des cultures secondaires ou des pratiquesmarchandes ne sont pas oubliées quand ellessont essentielles pour certains pays comme les épices, base d’échanges emblématiques.

Ce fut une entreprise colossale ?J.-C. B. : Pour obtenir plus de cinq cents entréesqui balayent l’état des connaissances etenvisager des perspectives sur ce sujet complexemais encore méconnu dans sa réalité, il a falluréunir une quarantaine d’auteurs issus dedisciplines variées (géographes, économistes,historiens, agronomes...). Sans oublier un éditeurpassionné.

La diversité des auteurs de ce dictionnaireest sa richesse, comment avez-vous pugérer les points de vue, voire lescontradictions, sur les visions du mondedes différents spécialistes ? J.-C. B. : Certaines entrées renvoient à destextes longs permettant une synthèse assez

complète sur un sujet important ; ils sont, pour la plupart, élaborés par un chercheur dont c'est le thème de travail. D'autres sont plus brefs. La multiplicité des approches, la densité des textes et la précision de la documentationchiffrée procurent des sources d’informationsutiles pour enrichir une réflexion trop souventrapide et entachée de biais ou de partis pris. Les articles sont autant de clés pour comprendrela mondialisation de l’alimentation, éclairer les crises ou rappeler que se nourrir n’est pas si simple sur la planète. D’ailleurs, « crises » et « mondialisation » sont deux mots absents desentrées de ce dictionnaire... tant ils sont présentsau fil des textes.

A qui s'adresse-t-il ? J.-C. B. : Il intéressera des étudiants, des lycéens, des enseignants, des journalistesqui recherchent des références, ou toutepersonne se posant ces questions : quelsenjeux ? Quelles analyses ? Quels points devue ? Quels moyens mettre en œuvre ? « Nourrirles hommes » est un véritable défi pour le XXIesiècle. Car, malgré l’augmentation régulière des rendements agricoles et des surfacescultivées sur la planète, il y a toujours un milliardd’individus qui ont faim, d’autres sont mal nourris,et certains vivent dans une pléthore alimentairedommageable à la santé. Enfin, des populationstombent dans la précarité, y compris dans des pays qui se croyaient à l’abri.

Propos recueillis par Brigitte Cauvin

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On oublie trop souvent que s’alimenter est la première préoccupation quotidienne de beaucoup d’hommes, qu’ils soient citadins ou ruraux. Ce dictionnaire vient à pointnommé pour nous éclairer sur cette question essentielle. Jean-Christophe Bureau,Professeur à AgroParisTech et chercheur à l’UMR-Inra Economie publique, en est l’un des nombreux contributeurs, il nous commente l’ouvrage.

ONOURRIR LES HOMMESUN DICTIONNAIRE

CollectifÉDITIONS ATLANDE, COLLECTION RÉFÉRENCES, 2009,768 PAGES, 25 €.

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OORGANIC FARMING, PEST CONTROL AND REMEDIATION OF SOIL POLLUTANTS (1) Ed. : E. LichtfouseEDITIONS SPRINGER, OUVRAGE EN ANGLAIS, 2010, 418 P., 158,20 €

en bref

OLe potager familial méditerranéenCharles-Marie Messiaen, Fabienne Messiaen-PagottoVoilà un guide très complet pourcréer son potager en climat méditer -ranéen, agrémenté de dessins del’auteur et d’anec dotes. On y trouvedes recom mandations générales surla fertilisation, l’arrosage, la luttecontre les maladies dans un justemilieu entre le « tout chimique » et le « 100 % biologique ». Les pluspassionnés apprécieront ladescription de la culture decinquante plantes maraîchères et aromatiques.Éditions Quæ, collection Guide pratique, déc. 2009, 192 p., 29 €.

OL’élevage, richesse des pauvresGuillaume Duteurtre, BernardFaye (Coord.)L’animal d’élevage a un rôlecentral dans la vie économique et sociale des paysans du monde.Au-delà de l’alimentation de lafamille, il remplit plusieursfonctions essentielles : revenumonétaire, patrimoine, projetd’équipement, vie communau -taire... L’approche pluridisciplinairede ces systèmes complexes estprésentée à travers une quinzainede cas, choisis dans despopulations de pasteurs et d’agro-éleveurs parmi les pluspauvres de la planète. Éditions Quæ, collection Update Sciences & Technologies, déc. 2009,288 p., 40 €.

OLe campagnol terrestrePrévention et contrôle des populationsPierre Delattre, Patrick Giraudoux(Coord.)Comment lutter contre les attaquesde campagnols qui causent des dégâts dans les régionsd’élevage ? S’appuyant surplusieurs plans d’action menésentre 1992 et 2007, cette étudese concentre sur les processus de pullulation et les pistes derecherche de solutions alternativesà la lutte chimique. Un ouvrage trèscomplet destiné aux professionnelsde l’agriculture et de l’environ -nement, gestionnaires des milieux,chercheurs, enseignants et étudiants.Éditions Quæ, collection Savoir-faire, nov. 2009, 304 p., 38 €

Ce premier livre de la série « Sustainableagriculture reviews », regroupe les contributions

de 43 auteurs venus de quinze pays. La série donnel’état de la science sur l’agriculture durable. A noter une introduction sur les perspectiveshistorique et géographique des failles des agriculturescontempo raines ; notamment avec deux textes de Rattan Lal, directeur du centre de séquestrationdu carbone de l'université de l'Ohio, des articles sur le sol, fragile et malmené sur la planète, et surl’utilisation de technologies sans discernement.Plusieurs sections sont consacrées à la gestiondurable du sol ; l'agriculture biologique, le coton transgénique et la pollutionpar les métaux lourds. Dans cette même série, on trouve également : ClimateChange, Intercropping, Pest Control and Beneficial Microorganisms (2),Sociology, Organic Farming, Climate Change and Soil Science (3) GeneticEngineering, Biofertilisation, Soil Quality and Organic Farming (4 à paraître).

O LES INVASIONS BIOLOGIQUES, UNE QUESTION DE NATURES ET DE SOCIÉTÉS Martine Atramentowicz, Robert Barbault (coord.)ÉDITIONS QUAE, COLLECTION SYNTHÈSES, 2010, 208 P., 29 €

INRA MAGAZINE • N°12 • FÉVRIER 201032

O IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX DES TECHNIQUES CULTURALES SANS LABOUR EN FRANCE - État des connaissancesArvalis - Institut du végétal et partenaires ARVALIS ÉDITIONS, 2009, 40 P., 15 €

La nécessité de réduire les charges de mécanisation

incite beaucoup d’agriculteursà se tourner vers les techniquessans labour. Cet ouvragepropose une synthèse d’étudesréalisées, sous l’égide de l’Ademe, par Arvalis et ses partenaires (Chambresd’agriculture, Area, ITB,Cetiom, IFVV, Inra). Il fait le point de l’état des connais -

sances scientifiques sur le sujet. Il montre par exempleque son intérêt environnemental, aspect mis en avant,dépend beaucoup des conditions du sol ou de la rotationdes cultures.

Algue verte des Caraïbes, frelon chinois, chrysomèle du maïs américain… l'Homme joueun rôle majeur dans le phénomène des invasions biologiques, mettant en contact des

espèces appartenant à des entités biogéographiques de plus en plus éloignées. Il revient à la société d'en gérer les conséquences. Comment prévenir les invasionsbiologiques ? Comment évaluer le risque qu'elles représentent ? Que peut-on faire pourlutter contre les invasions en cours ? Sensibilisé à cette problématique, le ministère chargéde l'Ecologie a sollicité une communauté de chercheurs, issus de disciplines variées, afind'appréhender ces questions selon des approches biologiques, sociologiques etéconomiques. Il n’y a pas de réponse unique à ces problèmes mais cet ouvrage apporte des avancées indéniables dans la compréhension des mécanismes qui sous-tendent cesinvasions et cela permet d'éclairer les décisions qui seront à prendre par les gestionnairesde l'environnement. Les scientifiques, enseignants et étudiants y trouveront également desrésultats et réflexions qui enrichiront leurs connaissances.

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Le changement climatique,en cause dans le déséqui -

libre des écosystèmes et du développement du vivant,participe à la modification de la carte agricole mondiale. A la fin du XXIe siècle, verra-t-on des champs de maïs en Laponie ou des vendanges au nord du Danemark ? Les terroirs seront-ils menacés ? Quels bouleversementsinterviendront dans les aires deproduction et qu’en sera-t-il de l’accès à la nourriturede neuf milliards d’Hommes ? L’auteur, membre du Giec et chercheur à l’Inra, explore les projectionsactuelles et leurs incidences sur l’agriculture, donnantune information nuancée et accessible pour que chacunpuisse aborder cet enjeu majeur du changementclimatique.

OLe temps des SyalTechniques, vivres et territoiresJosé Muchnik, Christine de SainteMarieDe la vache d’Aubrac auxfromages corses en passant parle safran du Quercy : cet ouvragesur les systèmes agro -alimentaires loca lisés (Syal)aborde de manière originale les relations entre change menttechnique, ancrage territorial etproduction durable. On trouvera dans ce livre des réflexions méthodologiqueset des idées de démarchespossibles pour aider les acteursà tisser des liens plus étroitsentre agriculture et terroirs.Éditions Quæ, Update Sciences &Technologies, janv. 2010, 324 p., 37 €

www.quae.com

c/o Inra - RD 10 -F-78026VersaillesCedex

éditionsQuæ

OUtilisation des bois de Guyane pour la constructionMichel Vernay, Sylvie MourasCe guide pour les professionnelsde la construction en boiscomporte soixante-six fichestechniques pour autant d’élémentsde construction, chacuneprésentant les essences quiconviennent le mieux et lesexigences des toutes dernièresnormes. Un outil d’aide à ladécision pour l’emploi du bois de Guyane, avec la description de vingt essences ainsi que des préconisations pour une« construction durable » complètel’ensemble.Éditions Quæ, collection Guide pratique, nov. 2009, 160 p., 35 €

OTransitions vers l’agriculture biologique Pratiques et accompagnementspour des systèmes innovantsStéphane Bellon, Claire Lamine(Coord.)Cet ouvrage propose deséléments d’analyse et des voiesd’innovation dans différentssystèmes de culture, pour laformation et l’accompagnement. C’est un guide d’appuiscientifique et concret pour ceuxqui s’orientent vers des systèmesagri-alimentaires plus écologiqueset qui se complète d’une réflexion sur le devenir de l’agriculture.Co-éditions Quæ-Educagri, collection Science en partage, déc. 2009, 316 p., 29 €

OCONCEVOIR ET CONSTRUIRE LA DÉCISION Démarches en agriculture, agroalimentaire et espace ruralElisabeth de Turckheim, Bernard Hubert, Antoine Messéan (coord.) ÉDITIONS QUAE, COLLECTION UPDATE SCIENCES & TECHNOLOGIES, 2009, 360 P., 45 €

Comment la recherche agronomique peutaider à la décision ? Comment articuler

la production de connaissances scientifiqueset une démarche d’intervention ? Comment combiner enjeux de recherche et perspective d’action pratique ? Cet ouvrage illustreà quel point tout processus de décision relève d’une activité de conception, d’aller-retour entre modèle théorique et expériencede terrain. Des études de cas sont présentées autour de domainestels que la pollution des eaux par les herbicides, l’utilisationraisonnée de traitements phytosanitaires, l’alimentation d’untroupeau, la gestion du pâturage, la gestion de populationsd’espèces envahissantes ou menacées... Cet ouvrage s’adresse à tous ceux qui souhaitent approfondir leur réflexion sur lesdémarches de conception, enrichir leurs méthodes pour construiredes outils utilisables et éclairer leurs modes d'implication dans l'action collective.

Le comportement d’un animal forme un flux continu et spontané qu’une étude segmentée détruitnécessairement. Pourtant, ce sont bien de brèves séquences comportementales isolées au laboratoire

que l’on choisit d’étudier. Mais a-t-on encore affaire à un comportement ? Ne l’a-t-on pas ainsi réduit à l’un des éléments qui le composent : les mécanismes physiologiques, le programme génétique, les opérations cognitives, etc. ? À l’opposé de cette perspective réductionniste, le comportement est comprispar les approches phénoménologiques comme l’expression d’une liberté, une relation dialectique avec le milieu. Celles-ci imposent du même coup des conditions d’observation en milieu naturel. Comment, dès lors, élaborer une éthologie plus juste, tant du point de vue de la compréhension du comportement que de celui des besoins, au sens large, des animaux placés sous la domination de l’homme ?

OCOUP DE CHAUD SUR L’AGRICULTUREBernard SeguinÉDITIONS DELACHAUX ET NIESTLÉ, COLLECTION CHANGER D’ÈRE, 2010, 224 P., 19 €

INRA MAGAZINE • N°12 • FÉVRIER 2010 33

OPENSER LE COMPORTEMENT ANIMALContribution à une critique du réductionnismeDirection : Florence BurgatÉDITIONS QUAE - MAISON DES SCIENCES DE L’HOMME, COLLECTION NATURES SOCIALES, FÉVRIER 2010, 416 P., 34 €

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adressez -vous seulement au personnel de l’Inra ou abor-dez-vous des questions de science et société ? La mêmequestion s’est posée avec le magazine dont je suis le rédac-teur en chef, Research.eu, anciennement RDT Info. Nousavons pris un virage. Au début il ne s’adressait qu’aux béné-ficiaires des crédits de recherche européens, maintenantc’est un outil au service du dialogue entre science et socié-té. Il est réalisé par des journalistes professionnels en touteindépendance. Le choix des sujets n’est évidemment pasanodin mais la liberté des journalistes est totalement respec-tée. Les articles d’Inra Magazine intéressent un public bienplus large que les agents de l’Institut. Et ce virage vers lasociété pourrait être amorcé car il y a une demande très forte de l’extérieur. En communication scientifique, il fautêtre modeste et ambitieux. Ambitieux car on peut mieux faire et on doit mieux faire. Modeste car il faut savoir quetout ne peut pas se résoudre par des simples questions decommunication. Arrêtons de penser que si le public rejetteles OGM c’est parce qu’il se sent sous-informé. C’est tropsimpliste. Il faut dépasser le stade de l’information pure, àl’ancienne, illustrée par le modèle du déficit.

Qu’est-ce que ce modèle du déficit ?M. C. : Le « modèle du déficit » a eu le vent en poupedans les années 1980. Il part du principe qu'il existe un

Réinventer la communicationscientifique◗

REGA

RD

Essayiste, rédacteur en chef de larevue Research.eu et responsablede l’Unité Communication de la Direction générale de la Recherche

à la Commission européenne, Michel Claessens, 52 ans, est un spécialiste de lacommunication scientifique. Il a publié en2009 un livre sur la question aux éditionsQuae et il anime le réseau international sur la communication publique de lascience et de la technologie.

© D

R

Inra Magazine est caractéristique de ces nouveaux supports : ni revue à comité de lecture, ni organe de presse. Quelle est votre vision de ces nouveaux médias scientifiques ?Michel Claessens : Vous avez une publication dequalité. On vous sent néanmoins entre deux eaux. Vous

INRA MAGAZINE • N°12 • FÉVRIER 201034

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Propos recueillis par Antoine Besse

manque de culture scientifique quasi généralisé et a consa-cré l'idée de construire une « écluse de la culture », étantdonné l'importante dénivellation qui existe entre lesconnaissances scientifiques des « savants » et celles des« ignorants » (le public) et qui justifie l'aménagementd'un écoulement des premiers vers les seconds. En réali-té, les bases scientifiques de ce déficit sont contestables.Plusieurs auteurs ont estimé qu’à peine 10 % environ dela population peuvent être considérés comme scientifi-quement cultivés. Toutefois, ces études offrent peu depoints de référence. Comment concilier, en effet, l’affir-mation selon laquelle le public est un ignorant ès sciencesquand on manque d’informations sur ses connaissancesen arts ou en histoire ? En quoi la science est-elle le parentpauvre de la culture de l’honnête homme ? Toujours est-il que, plusieurs années durant, la communauté scienti-fique s'est imposé d'organiser la transmission desconnaissances de l'autorité scientifique vers le grandpublic. L'objectif était de faciliter, le passage du courantentre la science (l'amont) et le public (l'aval).

Pour vous, il n’y a donc pas un manque de communication scientifique qui implique un dialogue entre deux parties, mais plutôt un excès d’information scientifique ?M. C. : Je ne dirais pas nécessairement un excès d’infor-mation. Le message que je développe dans le livre esteffecti vement un manque de communication, un manquede prise en compte des soucis, des questions que se pose lepublic. L’inventaire des sites internet des grandes univer-sités et organismes de recherche sont consacrés à des mis-sions d’information mais très peu offrent des possibilitésde communication avec leurs visiteurs. On l’a vu notam-ment lors de la naissance de Dolly ou aujourd’hui autourdes nanotechnologies, il y a un manque de communica-tion : le public découvre la réalité de ces choses-là lors deleur médiatisation alors qu’elles sont en préparation dansles laboratoires depuis des années. Cela se comprend quandon sait comment se pratique l’information dans le domai-ne scientifique avec le système des publications qui consa-crent des recherches terminées. Cette tendance ne fait quese renforcer avec l’intervention de plus en plus importan-te des partenaires privés. L’argent, les processus de brevetà protéger sont autant de freins à la communication de larecherche en cours. Mais ce manque de communicationdonne le sentiment, à tort ou à raison, d’une commu-nauté scientifique dans une tour d’ivoire, fonctionnanten circuit fermé.

Pourtant les scientifiques communiquentbeaucoup… M. C. : Ça fait même partie de leur travail ! Ils commu-niquent beaucoup avec leurs pairs, ils recherchent aussil’attention des médias avec des intentions un peu naïvesparfois. Les scientifiques ont tendance à considérer lesjournalistes comme des porte-paroles. Pour eux le jour-naliste idéal est celui qui reproduit mot pour mot leurdéclaration. Les chercheurs pensent que le contrôle strictde l’information qu’ils distillent est indispensable ; ce qui

ne conduit pas à de bonnes relations avec le grand publicni avec la presse. D’une façon générale chez les chercheurs, il n’y a pas unereconnaissance du travail et de la méthode de traitementde l’information des journalistes. C’est dommage car c’estun autre accès au savoir avec une autre façon de présen-ter le savoir et un souci de contextualiser les recherches quin’est jamais fait dans les publications des revues à comitéde lecture. C’est un travail différent mais tout aussi valable.

Dans votre livre vous appelez de vos vœux des conférences citoyennes pour mettre endébat les avancées scientifiques. Le débatpublic sur les nanotechnologies a rassembléde nombreuses personnes. Est-ce pour vous la bonne méthode ? M. C. : C’est une bonne méthode oui. A condition que cesdébats soient suivis d’une action politique. C’est là le prin-cipal défaut, à l’échelle de la France. Les précédentes initia-tives n’ont pas été suivies de décision politique. J’ai bienconscience que les politiques voient dans ces conférencesune sorte de concurrence mais, en fait, il s’agit juste d’éclairer le sujet d’une manière tout à fait intéressanteet instructive.

La multiplication des moyens de s’informersemble conduire à une méfiance croissante de l’opinion publique sur des questions scientifiques (OGM, pesticides, vaccination)qui peut s’illustrer par l’inscription du principede précaution dans la constitution. Est-ce la preuve d’un échec de l’informationscientifique ? M. C. : Les sujets controversés comme les OGM sontmobilisés par les activistes dans les débats. Il y a une voixinsuffisante de la communauté scientifique et des expertsdont on doit reconnaître qu’ils ne partagent pas tous lesmêmes vues. C’est un travail d’éducation à effectuer car cette notion d’expertise plurielle apparaît encore nouvellepour le public. Il découvre les divergences de points de vuedes experts lors des crises : on pénètre alors au cœur mêmede la méthode scientifique faite d’hypothèses et de tâton-nements. Mais lors d’une crise on voudrait entendre uneréponse unique, validée par une science pourvoyeuse desolution. C’est la limite du modèle linéaire, on ne conçoitplus la recherche comme un questionnement du mondedésintéressé mais comme un moyen de réponse. Lesscienti fiques jouent d’ailleurs sur cette image pour obtenirdes crédits. Il y a bien des ambiguïtés dans l’expression dela communauté scientifique ! Quand au principe de pré-caution, pour moi il a une qualité essentielle, il porte surla place publique des controverses et des incertitudes. ●

+d’infosScience et Communication : pour le meilleur ou pour le pire,Éditions Quae

INRA MAGAZINE • N°12 • FÉVRIER 2010 35

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◗AG

ENDA

23/24 marsDIJON

Ve Congrès International Goût-Nutrition-SantéL’Inra participe au comité scientifique et aux communi -cations orales de ce congrès organisé par le pôle decompétitivité Vitagora. Le thème central choisi pour cettecinquième édition est « aliments, nutriments et bien-être ».WWW.gout-nutrition-sante.com

28/31 marsMONTPELLIER

Conférence mondiale sur la rechercheagricole pour le développementL’Inra sera présent lors de cet évènement organisé par le global forum on agricultural research (GFAR) et Agropolis International. La conférence regroupera 600participants issus d’une centaine de pays du Nord et du Sud. Elle permettra de discuter et d’articuler les stratégies de programmation de la recherche agricolepour le développement.WWW.egfar.org/egfar/website/gcard

27 fév/7 marsPARIS

Le Salon international de l’agricultureLe stand de l’Inra a pour thème la gestion de la biodiversitédes espaces cultivés. Le colloque institutionnel du 2 marstraite de la « Compétitivité et environnement : le défiagricole, un rôle pour la PAC ». Des rencontres profes -sionnelles ont lieu également chaque jour sur le stand.

6 maiGRIGNON

Colloque « Grandes cultures économesen pesticides »Cette nouvelle édition des Carrefours de l’innovationagronomique aborde les façons de repenser la diminutiondu recours aux pesticides, avec une mise en œuvreconcrète d’une protection intégrée.WWW.inra.fr/ciag

11/14 avrilTOULOUSE

Biocatalyse pour les industries des aliments et des boissonsC’est la quatrième conférence sur ce sujet, organisée par l’INSA-Université de Toulouse, avec la Sectioneuropéenne de biocatalyse appliquée (ESAB), la Fédération européenne de biotechnologie (EFB) et l’Inra. Elle explore le thème de l’innovation dans les procédés pour les industries, les biocatalyseurset les ingrédients.https://colloque.inra.fr/bfdi25 mars

LE MANS

Nouveaux outils d’aide à la décision au service de la production avicoleCette journée de la World’s Poultry Science Association,organisée en alternance avec les Journées de la RechercheAvicole, fait le tour des outils d’optimisation disponiblespour les différentes étapes de la filière avicole. L’analysedes matières premières des rations alimentaires, la qualitédes souches animales utilisées, les outils de managementainsi que les bonnes conditions d’élevage sont à l’ordre dujour pour produire des animaux sains et de qualité.http://wpsa.fr/les_jeudis/programme.html