ingeborg bachmann

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EMELINE HOREL VICTORIA CALLIGARO 2008 // DESIGN DESPACES (2°)

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Poesie et engagements de l'auteur Ingeborg Bachmann Victoria Calligaro Emeline Horel

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Page 1: Ingeborg Bachmann

EmElinE HorEl

Victoria calligaro

2008 // DEsign D’EspacEs (2°)

Page 2: Ingeborg Bachmann

Ingeborg Bachmann est née en 1926 à Klagenfurt en Autri-che. Région frontière entre le monde germanique et le mon-de slave, la Carinthie de l’enfance d’Ingeborg Bachmann est aussi celle des écrivains Robert Musil (1880-1942) et Peter Handke (1942-…). Mahler (1860-1911), Brahms (1833-1897), Hugo Wolf (1860-1903) et Alban Berg (1885-1935) vinrent y composer des airs célèbres. Ingeborg Bach-mann, qui cultivera sa vie durant la figure de l’Exil, n’aura pu se défaire d’un sentiment ambigu avec la région de son enfance. Elle dira d’ailleurs : « il faudrait ne pas être de là pour trouver supportable plus d’une heure un lieu tel que Klagenfurt, ou alors il faudrait y vivre constamment ; en tout cas, il ne faudrait pas y revenir. » Ce retour difficile, douloureux, voire impossible est aussi à l’image du retour sur son enfance. Survivre au traumatisme de la Seconde Guerre Mondiale exigeait, pour elle comme pour de nom-breux allemands, de faire retour sur ses origines immédia-tes et d’en surmonter le poids. La Carinthie incarne cette douleur, exactement comme l’Anschluss en 1938, alors qu’elle était âgée d’à peine douze ans, marque un tournant historique dans sa perception du monde : l’expérience de l’annexion devint pour elle un motif récurrent et déclina-ble jusque dans le rapport de l’homme à la femme. A tel point qu’elle écrivit en 1972 : « Le fascisme ne commence pas avec la première bombe larguée, il ne commence pas avec la terreur, sur laquelle vous pouvez écrire dans cha-que journal. Il commence dans les relations entre les peu-ples. Le fascisme est la première chose qui s’établit dans la relation d’un homme avec une femme. »

Rapport ambigu à la FRONTIERE

ANNEXER>>>

EXIL

Page 3: Ingeborg Bachmann

FRONTIERES« Car dans tout ce que nous faisons, pensons et ressentons, nous aimerions parfois aller jusqu’à l’extrême. En nous s’éveille le désir de transgresser les frontières qui nous sont imposées. Non pour me rétracter, mais pour clarifier mon point de vue, j’ajouterai : cela ne fait pas de doute pour moi que nous devons rester à l’intérieur de l’ordre social, que l’on ne peut sortir de la société, qu’il faut nous confronter les uns aux autres. Mais de l’intérieur des frontières, no-tre regard tend vers la perfection, l’impossible, l’inaccessible, que cela concerne l’amour, la liberté ou toute autre valeur pure. C’est dans la confrontation du possible et de l’impossible que nous élar-gissons le champ de nos possibilités. Que nous engendrions cette tension, au contact de laquelle nous grandissons, c’est cela l’im-portant selon moi ; que nous nous orientons vers un but qui, certes,

s’éloigne à chaque fois que nous nous en approchons. »(I.B. discours prononcé en 1959 prix de la meilleure pièce radio-

phonique)

Page 4: Ingeborg Bachmann

La bohême est au bord de la mer

Vertes en ce pays sont les maisons, j’y entre encore.Indemnes sont les ponts, je vais en terrain sûr.Peines d’amour perdues de tout temps, je les perdsici bien volontiers.Ce n’est pas moi, mais quelqu’un d’aussi bon que moi.Un mot m’accoste et je le laisse m’accoster.La Bohême est encore au bord de la mer, jecrois les mers à nouveau.Et croyant à la mer, en la terre j’espère.C’est moi, donc c’est tous ceux qui sont autant que moi.Et je ne veux plus rien pour moi. Faire naufrage.Naufrage — cela veut dire en mer, là je trouve la Bohême.Couler à pic — je me réveille dans le calme.Je connais le fond à présent, tout le contraire de perdue.Venez, Bohémiens de tous bords, navigateurs, putainsportuaires, naviresjamais à l’ancre. Et ne voulez-vous être de Bohême,ô vous tous, d’Illyrie, de Véroneet de Venise ? Jouez les comédies qui font rire,et qui pourtant sont pour pleurer. Et trompez-vous cent foiscomme moi je l’ai fait, sans être reçue aux épreuves,reçue pourtant, une fois pour l’autre.Comme fut reçue la Bohême, comme un beau jour elle reçutla grâce d’approcher la mer, et maintenant se trouveau bord de l’eau.J’accoste encore un mot et un autre pays,j’accoste, si peu que ce soit, à tout de plus en plus,bohème, vagabonde, qui n’a rien ni ne conserve rien,dotée seulement de la mer, de la mer contestée,pays élu de mon regard.IB.

Page 5: Ingeborg Bachmann

Lit de NeigeYeux, aveugles au monde, dans les failles du mourir :je vienspousse dure au coeur.Je viens.Miroir lunaire l’abrupt. Vers le bas.(Lueur maculée par le souffle. Stries de sang.Nuée de l’âme, qui a pris corps encore une fois.Ombre des dix doigts − cramponnés.)Yeux aveugles au monde,yeux dans les failles du mourir,yeux, yeux.Le lit de neige sous nous deux, le lit de neige.Cristal après cristal,grille dans la profondeur du temps, nous tombons,nous tombons et gisons et tombons.Et tombons :Nous étions. Nous sommes.Une seule chair avec la nuit.Dans les allées, les allées.

Paul Celan / Grille de Parole[ composé avec Ingeborg ]

rElation ÉpisoDiQUEEt passionnÉEaVEc cElan //plUsiEUrs annÉEspatiEncE BrÛlantEDE ingEBorgFErVEUr >>>t E n s i o n spotlatcH patiEntEt tragiQUE

Page 6: Ingeborg Bachmann

gÉnÉalogiE DE la mEconnaissancE DE l’oEUVrE DE in-gEBorg BacHmann

Distance des sujets FloUEs

Distance entre les personnages// espace neutre et passionné entre les personnages No man’s land, une terre brulée mais fertile.On se trouve dans un Hors-CHamps où la réalité de l’action prend un écho tout particulier, où les pas-sions sont amplifiées, les sensations décuplées et mêlées chaotiquement à une réflexion qui pose des amorçes partout dans le récit.

Hors catégories ------- Une littérature incomplète/ fragentairepensée /narration En arcHipEl -----------------------------------

noUVEllE langUE donc pas de référent /ni littéraire ni historiqueDans ce nouveau langage qu’on apprend à dompter et l’on se perd volontierle leCteur doit s’inventer son propre mode de lecture.

actiVation DU lEctEUr

(Invention) Nouvelle langue // Utopie :un nouvel espace

littéraireprose/ poésie lyrique

>> Difficultés de traductions avec

cette nouvelle langue poétique

Pas de nouvelles réé-ditions homogènes et

cohérentes >> Accéssibilité,

lisibilité.

>>Oeuvre fragmen-tée, inachevée

Page 7: Ingeborg Bachmann

Ingeborg est certainement «un des écrivain les plus exigeants du XXe siècle.» *, l’écriture qu’on lui décou-vre au tissu décousu de son oeuvre est à la fois un ravisse-ment des sens et un feu d’artifice en puissance d’une vita-lité contenue sous des airs sages. Ingeborg a une écriture qui demande un sacrifice de taille au lecteur non-initié, et qui nous paraît bien incompréhensible à notre époque : du temps. Car il faut du temps pour apprendre à parcourir ses nouvelles, ses histoires, ses personnages. Il faut aussi user de patience pour lire et relire, s’arrêter. Le lecteur que nous sommes doit trouver ses propres respirations face au rythme chaotique que peut présenter ses différentes oeuvres. Alors une fois que l’on s’est saisi de notre propre place dans le ré-cit, s’engage une danse entre son écriture et nous. Entre les personnages et nous. Entre les personnages. Entre l’auteur et ses inventions, entre les sensations contradictoires et ses réflexions douloureuses. Le bal masqué est ouvert. Sous les voiles les plus fins et délicats des relations amoureuses se trament bien souvent, des rapports de forces remontant à la nuit des temps (rapport au pouvoir entre les hommes, des hommes sur les femmes...), mais aussi des questions qui viennent nous interroger sur notre rapport à la disparition, à l’oubli, à la mémoire, aux frontières (à l’exil), à la solitude inconsolable inhérente à chaque être.

Ingeborg est donc un auteur qui n’est pas conquis d’avance qui ne fait pas que donner à son lecteur, mais qui attend dès le départ un soutien du lecteur. Il viendra com-bler à sa guise les lacunes, portera lui-même le décor de l’action sous ses paupières, et traduira cette langue selon sa propre appréciation. C’est, entre autres raisons, pourquoi son oeuvre est si méconnue et tant ignorée du grand public. Il est dur et inconcevable de témoigner de cette situation quand on sait que cet auteur abhorrait l’ignorance des uns envers les autres, et vouait toute son énergie à redécouvrir, revisiter, et panser les plaies de la mémoire collective.

* Ingeborg Bachmann, par Hans Holler, traduit de l’allemand par Michel Couffon Ed. Actes Sud, 2006.

Page 8: Ingeborg Bachmann

Lève les yeux /et ne me regarde pas !Tombent les drapeaux,

/consumées sont les torches,et la lune décrit son orbite.

/Il est tempsque tu viennes pour /t’emparer de moi,

/sainte folie !

(I.B. /poeme Je crains encore)

Aux longs jours on nous sème, sans que nous l’ayons

demandé, dans ces lignes /courbes et droites,

/et les étoiles font leur en-trée. Dans les champs,

/nous prospérons ou /périssons au hasard,

dociles à la pluie et pour finir /aussi à la lumière.

(I.B poeme Etoile de Mars)

SUJET/ OBJET

I- rapport a soI _///_ rapport a autruI____________________________________________glIssement______________

Ecriture sous le sceau de la FEmmE

introspecion /voyage intérieur/ voyageur immobile

«Je» et auteur >>> Glissement de l’un à l’autre / contours flousMEMOIRE difficile à explorer mais bien présente dans la vie des personnages

>> Maïeutique de la mémoireCONFLIT entre la sensualité et l’intellect, entre le corps réel et le corps qui peut tout imaginé/ corps délié des impréatifs liés àl’existence

Lutte de l’écrivain dans le monde contemporain/ moderneQuid de sa PLACE

Rapport de force antidiluvien entre l’homme et la femme>>Lutte entre les sexes /

mélancolie mais bataille contre l’oppression de la femme

modernistaion de la sociétéQUiD DU FascismE

Quid de la non-tolérence de l’Autre.

MEMOIRE COLLECTIVE/ rapport à l’HistoireRemise en question des

FrontièrEs >>>> jusqu’aux frontières entre les existences

Page 9: Ingeborg Bachmann

I- rapport a soI _///_ rapport a autruI____________________________________________glIssement______________

Ecriture sous le sceau de la FEmmE

introspecion /voyage intérieur/ voyageur immobile

«Je» et auteur >>> Glissement de l’un à l’autre / contours flousMEMOIRE difficile à explorer mais bien présente dans la vie des personnages

>> Maïeutique de la mémoireCONFLIT entre la sensualité et l’intellect, entre le corps réel et le corps qui peut tout imaginé/ corps délié des impréatifs liés àl’existence

Lutte de l’écrivain dans le monde contemporain/ moderneQuid de sa PLACE

Rapport de force antidiluvien entre l’homme et la femme>>Lutte entre les sexes /

mélancolie mais bataille contre l’oppression de la femme

modernistaion de la sociétéQUiD DU FascismE

Quid de la non-tolérence de l’Autre.

MEMOIRE COLLECTIVE/ rapport à l’HistoireRemise en question des

FrontièrEs >>>> jusqu’aux frontières entre les existences

Paul CelanGrille de parole

Aujourd’hui et demain

Ainsi je soutiens, pétrifié, lelointain, où je t’emmenais.

Lavésd’une pluie de sable les deuxtrous à la limite inférieure du front.A scruter,tu y trouves l’ombre.

Battude marteaux soulevés en silence,l’endroitoù l’œil-aile m’a frôlé.

Derrière,creusée dans le mur,la marcheoù le souvenir est ac-croupi.

Icise distille, avec le don des nuits,une voixdans laquelle tu puises à boire.

Page 10: Ingeborg Bachmann

Mes cheveux ne blanchis-sent pas

car je me suis traîné hors di sein des machines,

Le goudron m’a marqué au front d’un trait rose

et les mèches, on a étrangléleurs sœurs d’une blancheur

de neige. Mais moi,chef de tribu, j’ai traversé

la villeaux dix fois cent mille âmes,

et mon pieda foulé les âmes cloportes

sous un cielde cuir où pendaient, froids,dix fois cent mille calumetsde la paix. Je souhaite pour

moisouvent un calme d’ange

et des territoires de chasse, pleins

de cris impuissantsde mes amis.

Ailes et jambes écartées,la jeunesse ça va sans dire

m’a sauté par-dessus et dans les nuits immenses

par-dessus le purin, par-des-sus le jasmin

il en fut ainsi du secret des racines carrées, et d’heure

en heure la légendede la mort vient souffler sa

buée à ma fenêtre,donnez-moi de l’euphorbe et

versez-moidans le gosier le rire des

vieux à ma vuequand je tombe endormi sur

les in-foliodans le rêve humiliant,

pour n’être apte à nulle pensée,

jouant avec des glands d’où pendent

des franges de serpents.(I.B. poeme Curriculum

Vitae)

soUs lE scEaU DE la FEminitÉ //

Ingeborg cherche à faire parler une femme au-delà des gé-néralités, elle se méfie plus que tout de voir un personnage enfermé dans un statut sexiste. Quand elle décide de faire parler une femme, que ce soit Franza ou une autre, elle se projette dans l’(H)histoire qui a construit cette personne et fait parler ses tripes. Elle s’attache moins à un discours en-gagé politiquement et ciselé pour dénoncer une oppression qu’à une écriture d’un corps meurtri, une identité bafouée. Ingeborg a toujours refusé de s’inscrire dans la lignée de résistant(e)s féministes émergeante à cette époque et se dé-veloppant exponentiellement par la suite, elle refuse les étiquettes. Si elle mène son combat contre les discrimina-tions et plus simplement contre des abus de pouvoir entre les sexes, c’est dans son quotidien, en refusant de courber l’échine face à des institutions comme le mariage ou le couple monogame, ou encore la procréation. Elle inscrit cette volonté de dépasser des clivages conventionnels qui ronge son environnement dans sa vie. On ne peut dès lors vouloir séparer sa vie de son œuvre. Ils se font écho et l’un vient enrichir l’autre inexorablement.On est bien loin d’un auteur qui viendra revendiquée la toute puissance d’une gente féminine, qui viendrait impo-ser son point de vue. Ingeborg affirme non pas la condi-tion de la femme, mais nous donne à percevoir le monde à travers le prisme de la féminité. Les questions qui lui sont inhérentes et posent autrement le récit. Le corps dans le-quel vient s’inscrire le «je» qui parle et pense, est marqué par ce choix. Ainsi l’écriture qu’invente Bachmann vient au service de ce choix. Néanmoins il serait réducteur de ne considérer que cet as-pect, Ingeborg cherche à faire parler la singularité de cha-que personne dès lors qu’elle entre en jeu dans le récit. Le lecteur perçoit donc cette sensibilité décuplée qui vient s’entremêler avec un point de vue singulier qui ponctue le récit. La magie de l’écriture de Bachmann réside aussi dans le fait qu’il n’est nullement impératif de réflechir pour percevoir ces subtilités dans le récit.

Page 11: Ingeborg Bachmann

« Alors qu’un certain nombre de femmes, et d’hommes, ont raconté le malheur de leurs aventures sentimentales, elle est la première à dire le malheur du sentiment comme tel, à mettre en évidence le fait que pour une subjectivité féminine en tout cas la rencontre de la masculinité − l’approche d’un homme− n’est pas constitutive : elle est même une menace de déstructuration, voire de destruction. […] Quoi qu’on ait pu écrire de l’ambiguïté − définie com-me « androgynie » − de certain des personnages ou de la fonction narrative elle-même, on ne peut nier que la lecture du monde ne soit ici une lecture féminine du monde. »(Françoise Collin , le non-né, revue europe n°892-893)

« les Héroïnes mè-nent leur aventure en solitaires : rien ne s’y dessine d’une quel-Conque forme de « sororité ».i.B.

FEMME MONDE LITTERAIRE EN 46 – MONDE D HOMMES / TROUVER UNE FORME LITTERAIRE SINGULIERE POUR ETRE DISTINGUER PAR SA SINGULARITE PROPRE D INDIVIDU ET NON DE FEMME ____ VOLON-TE DE RENDRE COMPTE DE SA CONDITION DE FEMME ECRIVAINEQUID DE LA POSSIBILITE D ECRIRE EN RESTANT FEMME LIBRE PAS UNE MERE MAIS AMANTE > CONTRE LE CODE SOCIAL DU MARIAGE (RELATION EPISODIQUE AVEC CELAN)LIBRENE VEUX PAS ETRE CONSIDEREE COMME FEMINISTEANTI SECTAIRE ET COMMUNAUTARISTE ELLE REVENDIQUE DES SINGULARITERESTE EN MARGE NE VEUX PAS ETRE CATEGORISEE

EN PERPETUEL MOUVEMENT

« Sa qualité d’artiste se ré-vèle justement en ceci qu’elle n’ar-rive pas à étouffer dans l’art l’expé-rience de la femme qu’elle est. »Christa Wolf, 1983

Page 12: Ingeborg Bachmann

QUanD ingEBorg s’aDrEssE aUssi BiEn aU lEctEUr QU’à sEs pErsonnagEs ...//

« Nous disons très simplement et très justement, quand nous nous trouvons dans cet état, cet état lucide, doulou-reux, dans lequel la douleur devient féconde : mes yeux se sont dessillés. Nous ne disons pas cela pour exprimer le fait que nous percevions une chose ou un évènement extérieurs, mais parce que nous comprenons ce que jus-tement nous ne pouvons pas voir. Voilà ce que l’art de-vrait réaliser : réussir, dans ce sens-là, à nous dessiller les yeux. L’écrivain − et cela aussi est dans sa nature− est de tout son être dirigé vers un Tu, vers l’être humain à qui il veut livrer son expérience de l’être humain (ou bien son expérience des choses, du monde, de son époque, ou tout à la fois !) ; il veut livrer en particulier son expérience de l’être humain tel que lui ou les autres peuvent être, là où lui-même et les autres sont au plus haut degré des êtres humains. Toutes antennes déployées, il palpe la forme du mond, les traits des hommes de son époque. Quels sont les sentiments des gens, que pensent-ils, comment se comportent-ils ? Quels sont leurs passions, leurs dépé-rissements, leurs espoirs… ?»(I.B. discours prononcé en 1959 prix de la meilleure piè-ce radiophonique)

Ingeborg s’intéresse à la singularité qui fait chaque in-dividu. Cette singularité résulte de la conjugaison d’élé-ments disparates et dont le contrôle nous échappe ; l’envi-ronnement géographique, l’Histoire dont il est empreint, la rencontre de personnes, l’éducation, la spécificité d’un corps etc. Mais tous ces éléments ne sont pas clairement et distinctement énoncés par Ingeborg. Sa volonté réside dans la retranscription de ce que va percevoir un person-nage, pourquoi va-t-il ressentir cela en particulier. C’est à cet instant que la singularité de l’individu s’affirme, peut-être même plus que lorsque le personnage choisit d’agir. Ces choix seraient alors la résultante de cette singularité mais d’autres facteurs sont à prendre en compte comme

Mais on peut flairer une odeur

avant-coureuse des comètes,

et le tissu de l’airdéchiré par leur

chute.Nomme cela « statut

des solitaires »dans lequel s’acom-

plit l’étonnement.Sans plus.

Nous avons décollé, et les couvents sont

videsdepuis que nous souf-

frons, un ordre qui n’enseigne

ni ne guérit. Le commerçe n’est pas

l’affairedes pilotes. Ils ont

dans l’œil des points d’appui

et étalée sur les ge-noux la carte

d’un monde auquel il n’y a rien à ajouter.

(IB. poeme/ vol de nuit)

Page 13: Ingeborg Bachmann

par la solitude existentielle qui anime les personnes qu’elle raconte. Par le dialogue intérieur mouvementé qu’à un in-dividu pour lui-même, qu’il s’agisse de questionnement, de réflexions, de contradiction, ou d’une volonté stérile de per-cer l’absurde.« Je crois que les êtres humains, dans toutes leurs relations, ne parlent jamais le même langage, cette compréhension apparente que l’on nomme sincérité n’en est pas une. Com-prendre −cela n’existe pas. La sincérité n’est rien d’autre qu’un total malentendu. Au fond, chacun est seul avec ses pensées et ses sentiments intraduisibles. »(Wir mussen wahre Satze finden, interview Barbara Bron-nen 7 oct 1972) ; Ingeborg ne se place jamais en spectatrice impassible d’une scène, décrivant les faits et gestes d’un personnage ou d’un autre, elle veut entrer sous sa peau, témoigner des imbrica-tions de ses pensées. D’où cette impression puissante et complexe qui échappe parfois à une première lecture, de sentir un monde naître sous la plume de l’auteure. Le lecteur prend par à cette cos-mogonie, où le réel n’existe qu’à travers le prisme d’un in-dividu : on touche du doigt ce monde grâce à cette écriture qui tâche de nous retranscrire toutes les sollicitations d’une personne face à son environnement.

UBIQUITE

[forCe intelleCtuelle et CapaCité d’aimer autrui] >>> etre total

provoCation

l’autre = la sinGu-larité / pas isolé / pas séparé de moi --------------- au-delà de la séparation

fusion moi/ autrui

IL NE S AGIT PAS D IMITER, ni

DE RETRANSCRIRE DE FACON

REALISTE UNE SUITE LINEAIRE

D EVENEMENTS MAIS PAR UN

CLAIR-OBSCUR , DE PROJE-

TER UN ECLAIRAGE SUR LA

REALITE : commEnt Est-EllE pErçUE à Un instant prÉcis/ Et par QUi?

Page 14: Ingeborg Bachmann

UnE maïEUtiQUE DE la mEmoirE //

L’auteure met en place au cours du récit un système basé sur l’expérience, qui lui est si chère, afin de faire recouvrir des parcelles de la mémoire personnelle et collective à ses dif-férents personnages. Elle cherche à provoquer un remous de l’inconscient ou du subconscient qui pourra aiguiller le récit. Elle ne cherche pas dans les écrits, ni dans les témoignages quelques traces anecdoitique d’une histoire personnelle ou collective, non, Ingeborg tâche de nous faire déceler quelle histoire peut traverser un individu à travers sa construction dans le temps, la vision de son environnement, sa perception des autres. Elle nous fait comprendre que l’Histoire se vit, et que ce sont ces expériences tangibles qui forgent des carac-tères si singuliers qui soutiennent toute son oeuvre.On comprend par là le rapport ambigu de cet auteure a, à sa propre histoire, à son contexte historique. Un lien doulou-reux mais inextricable de son écriture. Ingeborg se position-ne fortement et inébranlement dans son époque comme une femme forte et sensuelle, qui proclame un statut singulier : libre, sensible et honnête, des positions bien suversives pour cette époque et la région dont elle est originaire. On la trouve souvent dans cette position ambivalente où elle tâche de cou-per le cordon avec ses racines, mais où elle reste fascinée par les rouages de l’Histoire. Ingeborg reste désespérement optimiste et veut réécrire l’histoire ou plus modestement dans ses récits, les histoires des personnage qu’elle fait vivre sous ses doigts. Elle estime qu’une langue nouvelle signifie une table rase pour recompo-ser avec les charpies d’une europe meurtrie par le fascisme et la guerre latente, déclarée ou non. Ce conflit entre le passé et le temps futur au coeur duquel elle cherche à s’inscrire, nous indique pourquoi le rapport au temps est si complexe dans son oeuvre. Elle met au banc un temps linéaire ou tous les évènements s’enchaînent irrémé-diablement, elle engage le récit de façon arborescente et sans préméditation. ***

Page 15: Ingeborg Bachmann

orIgIne CarInthIe

régIon frontalIère

// Toucher à la frontière a un mot en allemand : « grensen »Confrontation jeune à un milieu fasciste / Chasse aux juifs et aux slaves > Père au parti NaziViolence guerrière« Peur mortelle » de BachmannAversion viscérale pour la violence / Le non-respect l’abjure

>>>>se met instinctivement du côté de l’opprimé « Je suis une slave » // Franza : « Je suis une papou »

VOLONTé DE VOULOIR RENOUVELER SON ENVIRONNEMENT// MEMOIRE REVISITéE

*** Ingeborg décrit et dénonce ces conflits, ces tensions qui existent entre les hommes, les femmes qui font l’His-toire. Elle raconte aussi la méfiance, on sent que son écri-ture tend toujours vers un abandon total et sans entrave mais paradoxalement, elle se ressaisit juste avant un point de non-retour. C’est un thème récurrent qui revient inlassa-blement chez les personnages féminins de Ingeborg. Cette attitude de contrôle absolu des personnages masqué der-rière une sensation de liberté chaotique, d’errance existen-cielle, d’absurdité du récit est un clair-obscur avec lequelle l’auteure joue sans cesse.On retrouve aussi ces duels : abandon/ maîtrise, pouvoir/ soumission, liberté/ absurdité au sein même de son écri-ture. Bachmann a voulu inventé une nouvelle écriture afin de panser les plaies de son histoire, et de la mémoire col-lective. Miroitait au loin un rêve désuet pour cette époque d’utopie. Pour elle, il s’agissait aussi de créer un nouvel espace littéraire au coeur duquel elle pouvait se trouver une place faute de pouvoir le faire dans la société littéraire masculine dans laquelle elle vivait.

UBIQUITE DANS LECRITURE//

Page 16: Ingeborg Bachmann

EXIL

je suis un mort qui marCHe

nulle part annonCé

inConnu dans le royaume des arrêtés préfeCtoraux

surnuméraire dans les villes d’or

et dans les pays verdoyants

depuis lonGtemps dédaiGné

à qui nul ne pense

seulement aveC vent aveC temps aveC sons

Car je ne peux vivre au milieu des Hommes

moi aveC Cette lanGue allemande

Ce peuple autour de moi

que je prenais Comme maison

je passe au travers de toutes les lanGues

ô Comme elles s’oBsCursissent

les somBres notes de la pluie

seulement ne tomBent Guère

dans des zones plus Claires elle soulève alors le mort

iB.

Après ce déluge

Après ce délugeà nouveau j’aimerais

voir sauvée la colombe,la colombe et rien

qu’elle.Ah je me noierais

bien dans cette mer !si elle ne s’envolait

pas,si elle ne rapportait

pasau dernier moment le

rameau.IB.

Page 17: Ingeborg Bachmann

« La guerre n’est plus dé-clarée mais poursuivie »« l’éternel réarmement »

« il faut corrompre les actualités de son époque »

touCher à la frontIère a un mot en allemand :« grensen »

«Je suIs une papoue» IB.

Page 18: Ingeborg Bachmann

SUJET/ OBJET

L’intérêt au premier chef dans l’œuvre d’Ingeborg Bachmann, c’est l’analyse du rapport entre les sexes dans le contex-te du passé nazi (autrichien), qui n’a fait l’objet d’aucun tra-vail de mémoire. Dans son projet inachevé Todesarten (Genres de morts), elle fait voire l’influence des modèles de pensée et de comportement fascisants sur les structures sociales, comme la famille ou les rapports entre les sexes. Ingeborg Bachmann décrit encore comme une guerre psychique subtile, comme un « crime raffiné », dans le fragment de roman d’Ingeborg Bachmann Franza, le psychiatre Leo Jordan détruit sa femme Franza en disséquant son psychisme par le menu. Dé-pouillée de sa dignité et de sa personnalité, Franza en est finale-ment réduite à mettre fin à ses jours. Pour Bachmann, la femme est l’objet de l’homme, il en dispose à sa guise. L’assErVissE-mEnt Et la soUmission DU corps FÉminin reviennent comme un leitmotiv dans son œuvre.

///cHEz BacHmann, la protagonistE Doit rEnoncEr à sa FÉmi-nitÉ, car la crÉation artistiQUE rEQUiErt UnE VolontÉ Et UnE rationalitÉ mascUlinE. ///

Même si ces protagonistes parvenaient dans son œuvre créatrice d’écrivaine à se positionner comme sujets féminins, le conflit entre sensualité et intellect, entre amour et art resterait entier, car la relation amoureuse présuppose le schéma traditionnel HommE/sUjEt contre femme/objet et menace donc la femme dans son existence comme sujet. Pour rendre le désir féminin actif, la femme n’a d’autre choix que de s’effacer complètement : lorsqu’elle désire un homme, elle doit se faire « désirable », sans quoi elle tue le désir de l’homme. Les protagonistes, objet du désir masculin, doit aban-donner le statut de sujet péniblement acquis de par son activité artistique et intellectuelle, car ***

DUELS

sEnsUalitÉ/intEllEct

HommE/sUjEt

FEmmE/oBjEt

>>>QUi inFlUE sUr QUi?

DÉsir actiVÉ/ sUBit///

Ingeborg Bach-mann voyait dans

le fascisme « la première chose dans la relation

entre un homme et une femme », elle

y voit un « mot désignant

un comportement privé »

Page 19: Ingeborg Bachmann

« Alors qu’un certain nombre de femmes, et d’hommes, ont ra-conté le malheur de leurs aventures sentimentales, elle est la première à dire le malheur du sentiment comme tel, à mettre en évidence le fait que pour une subjectivité féminine en tout cas la rencontre de la masculinité − l’approche d’un homme− n’est pas constitutive : elle est même une menace de déstructu-

ration, voire de destruction. […] Quoi qu’on ait pu écrire de l’ambiguïté − définie comme « androgynie » − de certain des personnages ou de la fonction narrative elle-même, on ne peut nier que la lecture du monde

ne soit ici une lecture féminine du monde. »(Françoise Collin , le non-né, revue europe n°892-893)

« Tu parles de fascisme, c’est drôle, je n’ai encore jamais en-tendu ce mot pour désigner un comportement privé. Pourquoi n’en parle-t-on que lorsqu’il s’agit d’idées ou d’actions publi-

ques ? »(I.B)

***il est incompatible avec leur statut d’objet dans la relation amoureuse. Elle s’est intéressée à la question des rapports hommes/femmes, identifiant la socialisation féminine comme un « genre de mort » pour reprendre le mot de Bachmann. Le « nulle part » où se trouve la femme, l’impossibilité d’une identité féminine sont des thèmes centraux qu’elle examine au travers des mutations économiques et sociales de la so-ciété capitaliste et de consommation.

No man’s land de la place de la femme dans la société au coeur de laquelle vit Bachmann >>> cEttE placE Est à inVEntEr poUr BacHmann

Page 20: Ingeborg Bachmann

femme auteure///

L’engagement d’Ingeborg Bachmann comme femme et écrivain femme est étroitement lié à l’expérience et la ré-flexion historiques : l’époque hitlérienne, le nazisme, mar-quèrent l’enfant et la femme et elle n’eut de cesse de dénon-cer, dans chacune de ses œuvres, les diverses manifestations, dans la société capitaliste, impérialiste et patriarcale, de ce qu’elle continua résolument de nommer fascisme. La révolte de la jeune poétesse qui écrivait le poème Alle Tage (Tous les jours) en 1953 n’est guère éloignée de celle qui poussait la femme mûre à concevoir un triptyque romanesque, dont elle n’acheva que Malina, sur les différentes « façons de mourir » (Todesarten) ou d’être assassinée, dans une société où « la Guerre n’est plus déClarée / mais poursui-vie ».

L’œuvre d’Ingeborg Bachmann reflète la lutte désespérée de l’écrivain, de l’intellectuel confronté au risque de son impuis-sance dans le monde moderne. Elle reflète en outre le combat doublement difficile d’une femme voulant à la fois vivre et écrire, c’est-à-dire écrire et aimer, une femme-écrivain cher-chant sa voie et sa voix propre au sein d’une tradition dont elle hérite, tout en voulant la transformer./ Un jE à l’articUlation EntrE DEUx monDEs cHErcHE toUt aU long DE l’œUVrE à ExistEr, à sE nommEr Et à ÉcrirE.//

Le concept de « femme auteure » joue lui aussi un rôle cen-tral. Dans Malina, la voix féminine disparaît à la fin du roman dans une fissure du mur ; ne reste plus que le rôle-titre mascu-lin, l’alter ego de la protagoniste qui écrit. son ÉcritUrE Est inDÉniaBlEmEnt mascUlinE.Elle est convaincue que non seulement l’écriture, mais aussi la langue ont une dominante masculine. La langue est pour elle le sanctuaire du pouvoir des hommes ; les mécanismes d’oppression non seulement s’y reflètent, ils s’y développent aussi. La langue se faisant l’idéologie patriarcale, elle con-forte en permanence, par sa capacité à forger les consciences, les rapports de force existants.

sacralitÉ DE la lan-gUE ///sacralitÉ -cEntralitÉ DU poUVoir

>>>la lan-gUE commE liEn, mais aUssi raison DE DiscorDE EntrE lEs in-DiViDUs<<<

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Ingeborg Bachmann, mène une lutte acharnée contre la lan-gue de bois et le langage vide de réflexion. Elle croit que la langue commande la pensée ; dans toute son œuvre. Son œuvre exhale une profonde méfiance envers le langage, attitude très autrichienne. La réflexion langagière débouche chez Ingeborg Bachmann sur un langagE poÉtiQUE. Elle em-ploie des techniques de variation musicales, mais elle le fait avant tout pour révéler et élever le niveau de signification par une interaction entre fICtIon et musICalIté. Elle emploie des procédés de composition musicale par rap-port à un profond scepticisme vis-à-vis de la langue.

Son œuvre s’attarde sur les contradictions, sans jamais les lever avec une écriture subjective. Selon Ingeborg Bach-mann, les « vrais théâtres » sont « intérieurs », elle déplace l’action de son histoire dans « l’intérieur dans lequel se dé-roulent tous les drames ». Dans Malina, elle décrit un itiné-raire spirituel en gros plan ; les personnages incarnent plu-sieurs facettes d’une seule et même personne.

Dans son œUVrE, ingEBorg BacHmann ExprimE DE la DoUlEUr Et Un DÉsir DE comprEnDrE toUt En ayant UnE proFonDE rEtE-nUE sUr lEs sUjEts sociaUx, politiQUEs Et priVÉs.

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II -langage poétIque/// « restauratIon » de la langue

>> La littérature doit agir // part intégrante de l’Histoire

>> Une littérature « fragile qui se dérobe à la maîtrise »

>> Un nouveau langage

>> Un rêve d’Utopie

>> Une oeuvre inachevée

>> Passage à la prose

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II -langage poétIque/// « restauratIon » de la langue

>> La littérature doit agir // part intégrante de l’Histoire

>> Une littérature « fragile qui se dérobe à la maîtrise »

>> Un nouveau langage

>> Un rêve d’Utopie

>> Une oeuvre inachevée

>> Passage à la prose

Vos motsdédiée à Nelly Sachs, l’amie, la poétesse

Vous mots, levés, allez dans moi!et nous sommes aussi déjà plus loin,allés trop loin, et encore une fois cela vaplus loin, cela va vers aucune fin.

cela n’éclaire plus.

Le mot derrière soipourtant va ramener vers nousd’autres motsphrase après phrase.Ainsi devrait le mondedéfinitifs’imposer,être déjà dit.Elle ne le dit pas.

Vous mots, dans moi,qui jamais ne seront plus valables-non pas ce désir de parolede dicton et de contradiction!

Laisse une pause maintenant

le sentiment ne peut être parléle muscle du cœurs’exercera autrement.

Laisse, je dis, laisse.

rien dans l’oreille suprêmerien, je dis, ne soit chuchoté,dans la mort rien ne t’effondreslaisse, et dans moi, ni douxni amer non plus,sans consolation,pas défini,et aussi pas sans signe-

et seulement pas cela : une imagedans le cocon de la poussière, éboulis videsde syllabes, de mots de morts .

Aucun mot de mort,vous les mots !

IB.

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la littÉratUrE Doit agirPour Ingeborg la littérature n’est plus donc qu’un vecteur de pensée, l’acte même d’écrire agit dans la vie de l’auteur, du lecteur. Et inversement, la vie influence de façon inexorable et fertile l’écriture même, le choix des mots, la langue. Cette position qu’a l’auteur et le lecteur averti de modeste démiurge face à cette écriture performative, peut parfois encombrer et déstabiliser, dans le pire des cas cette position échappe au lec-teur.« L’écrivain −c’est dans sa nature− souhaite être entendu. Et cependant cela lui semble prodigieux, lorsqu’un jour, il sent qu’il est en mesure d’exercer une influence − d’autant plus s’il n’a rien de très consolant à dire à des êtres humains qui ont besoin de consolation comme seuls les êtres humains, bles-sés, offensés et pénétrés de cette grande et secrète douleur qui distingue l’homme de toutes les autres créatures. C’est une distinction terrible et incompréhensible. […] Il est incongru, me semble-t-il, de vouloir y parvenir avec des mots. Quelque forme qu’elle prît, elle serait par trop mesquine, pitoyable, provisoire. La tâche d’écrivain ne peut pas consister non plus à nier la douleur ni à effacer ses traces ou à leurrer son lecteur en dis-simulant son existence. Il doit au contraire prendre la mesure de sa vérité et la rendre effective encore une fois, afin que nous puisions voir. Car nous voulons tous devenir voyants. » (I.B. discours prononcé en 1959 prix de la meilleure pièce radiophonique)Pour Ingeborg un engagement ne peut consister qu’en une va-gue rumeur appuyée par quelques textes grandiloquents mais bien par un façon d’envisager sa propre existence, pour Inge-borg cela consiste aussi en une écriture. L’écriture n’est pas une fin mais aussi sa façon de percevoir le monde, au-delà de frontières et de territoires mais aussi à travers eux. En se positionnant précisément sur ces délimitations parfois chan-geantes, parfois floues, parfois plus profondément ancrées. Elle use de son talent pour l’ubiquité.Chaque ligne surprend, désarçonne et encourage le lecteur dans une poursuite de son écriture indomptable. Ingeborg tient à ne pas entretenir son lecteur dans une narration plate et

- Utopie : nouvel espace littéraire à inventer + place à trouver dans le monde des écrivain(mais difficile car elle ne veut pas d’éti-quette, elle ne veut pas être catégorisée)

- Trouver la vérité : sub-jectivité de son écriture // mode de lecture à trouver

- Passage de la poésie à la prose > nouvelle langue

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CREATION LITTERAIRECréer un nouveau langageLe langage n’est pas donné/ acquisition SpoliationLangage inopportunLangage mauvais car construction sur des oppostions binairescar vecteur de clichéscar manichéen>>Recherche formelle qui dépasse les charnières d’oppositionsPAS DE SEPARATION ENTRE L ESPACE LE TEMPS LES PERSONNES LES EMOTIONS PENSEE ET GRANDE SENSUALISTEDENSITE DE LA MATIEREINVENTION DE L ECRITURESENSMATERIALITE LEGERE ET PASSION-NELLE« SOUPR PRIMITIVE » DE MOTS ET DE SENSATIONSESPACE NOUVEAU ET COMPLEXE

LANGAGE DU SYSTEME SYMPA-THIQUE SYSTEME NERVEUX ET ENDOCRINIEN

La littérature doit AGIRSentiment d’avoir le regard fixé sur l’ho-rizon, vers un but qui s’éloigne à mesure que l’on s’en rapproche« Une livre doit être la hache qui fend la mer gelée en deux. » Kafka

Littérature qui dé-rangeAu-delà des étiquettes, pas de comparai-son stériles mais une capacité à prendre un évènement, une personne et son environnement dans une globalité où les frontières sont mobiles et floues .

TRAVAIL PHILOSOPHIQUE QUI BAI-GNE SON OEUVREUBIQUITE

linéaire. Elle ne choisit pas la facilité et ne veut pas qu’on puisse prédire ce qu’elle va entreprendre dans son récit. Qu’on puisse esquisser l’enchaînement lui paraît absurde, néanmoins elle ne se dérobe pas dans une surenchère de rebondissements. Elle est moins dans une suite de l’écriture que dans un enchaînement articulé autour d’axes principaux autour desquels se met en mouvement le récit. Sa vision de l’écriture narrative apparaît ainsi pareillement à une arbo-rescence foisonnante avec des branches tantôt robustes et longues, tantôt des pousses mort-nés ou encore des bour-geons sur le point d’éclore.

Une littérature « fragile qui se dérobe à la maîtrise »:

« […] une littérature toujours sur le point de n’être pas litté-raire, voire de succomber, avec ses à coups, son désordre, ses ré-pétitions thématiques et stylistiques. Ce texte en friche dans son raffinement même inclut un inachèvement qui se présente alors moins comme un accident que comme un mode d’être : la révé-lation de ce qui anime la création quand elle se délivre de tout codage et qu’elle fait du défaire ou de la défaite son faire même. […] La décomposition s’avère alors principe de composition. L’œuvre s’arrache au registre du visible pour se tenir dans celui du seul lisible. »« La composition bachmanienne est surmontement d’une décom-position qu’elle laisse affleurer. On peut sans doute inscrire cette structure déstructurée dans l’histoire littéraire des formes et des déformes contemporaines d’un genre, le roman. »« La fragmentation définit son rapport au monde, marqué par la répétition du traumatisme plutôt que par son élaboration discur-sive. Atteinte dans sa racine, l’écriture d’Ingeborg Bachmann se révèle en un sens incapable de « roman » dans son obstination à s’affronter à cette forme. Incapable d’histoire. Son œuvre atteste de la résistance de l’écriture à se déployer dans la progression temporelle du genre. Le temps est répétition infinie de la frac-ture, la force de l’écrivain étant d’inscrire cette répétition dans la variation de l’écriture et de « tenir » longtemps sur cette frac-ture, assez parfois pour que cela se nomme roman. »« Ce n’est pas seulement le je du personnage qui est divisé mais la forme narrative elle-même. »« faire chanter le cri »

(Françoise Collin , le non-né, revue europe n°892-893)

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un nouveau langage///

Sa gloire fut une consécration redoutable, puisqu’elle re-posait, en partie au moins, sur une lecture superficielle de son œuvre lyrique : après avoir subi la poésie lapidaire et cynique de l’immédiat après-guerre, l’Allemagne de la re-construction /Ingeborg Bachmann employait quant à elle le terme « restauration » / s’empressait de se reconnaître dans un lyrisme qui, par son intensité émotionnelle, la beauté et la richesse de sa langue, semblait si bien renouer avec la tradition. Ingeborg Bachmann est l’emblème de cette « littérature comme utopie », une pratique de l’Exil Et DE l’EngagE-mEnt, celle d’une écrivaine qui fut toujours prête à dénon-cer les oppressions qui agitent le monde, et en particulier les femmes.Ses poèmes et pièces radiophoniques reçoivent à la fois un succès critique et un engouement du public, et lui assurent une grande renommée dans le monde germanophone. À travers ses poèmes, elle cherche, conformément à l’objectif du Groupe 47, à renouveler le langage : on ne construit pas « un monde nouveau sans un langage nouveau ».

>>>Une autre thématique se dégage: l’Amour et sa violence relationnelle inhérente, l’incommunicabilité dans le couple ; mais aussi, le tragique de l’existence féminine. >>>

« UN MONDE NOUVEAU SANS UN LANGAGE NOUVEAU ».

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Le Groupe 47 devait libérer les Hommes des mots salis par les Nazis, et les aider à écrire un nouveau monde. Il servira aussi, se disent-elles, à nettoyer le langage des mots dont se servent les hommes pour parler des femmes en leur nom, et donc, usurper leur place - et taire leurs passions. C’est le début d’une tentative littéraire originale et révolutionnai-re d’écrire l’Amour, que les femmes ressentent avec leurs mots à elles - non ceux fabriqués par des siècles d’auteurs masculins ce que nous montrent sur ce thème la nouvelle de Bachmann, « Ondine », dans le recueil La trentième an-née.

En 1959, elle inaugure, comme premier professeur invité, la Chaire de Poétique de l’Université de Francfort-sur-le-main, créée par cette université pour permettre à un écrivain de langue allemande d’y exposer son « art poétique ». Des six conférences initialement prévues (de novembre 1959 à février 1960), Ingeborg Bachmann n’en donnera que cinq. Leur titre : Elle choisit d’opter pour une expérience poéti-que, à travers la nouvelle poésie allemand « Questions de poésie contemporaine». Elle exprime la place du narrateur et l’effacement au fur-et-à mesure du nom du héros des ro-mans ou de l’actualisation de l’œuvre.

cEci par la proBlÉmatiQUE : Comment produire par un nou-veau lanGaGe quelque CHose de nouveau qu’on puisse appe-ler réalité.

>>>tEntatiVE littÉ-rairE originalE Et rÉVolUtionnairE

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Un rEVE D’UtopiE //

Ingeborg invente, créée un nouveau langage, elle veut réé-crire l’Histoire ; elle ne veut rester impuissante, elle veut pouvoir agir dans le réel. On pourrait penser qu’on peut y voir un paradoxe car ses histoires peuvent sembler loin de la réalité tangible de la société dans laquelle elle vit et c’est là faire fausse route. Ingeborg a un regard aiguisé sur le mon-de qui l’entoure, très sensible à ce qui s’y déroule, attentive aux personnes qui le peuple. Mais elle ne veut se résoudre à subir le cours de l’histoire, elle voudrait maîtriser ce flux incessant et voudrait partager sa découverte avec ceux qui seraient à même de l’écouter.Ingeborg construit cette nouvelle langue. Une langue sexuée qui relève de la singualarité de chacun, une langue qui in-corpore déjà dans on essence même les douleurs d’une mé-moire bafouée, une langue qui permet de se dessiller.Mais l’entreprise de l’auteure est ambitieuse et tentaculaire. Elle veut briser les frontières qui ferment la société, elle ne veut plus d’étiquettes, c’est la singularité du parcours d’un individu qui le définit, non sa classe sociale, sa langue, son sexe, son origine.Elle veut mettre en évidence des liens qui soutendent les re-lations entre les évènements, les personnes, les lieux. Cette circulation souterraine qui inféchie aveuglément le cours de l’histoire, elle veut le parcourir avec ses mots, le mettre au jour.Est-ce un échec ? La fragmentation et le caractère inachevé ne reflètent-t-ils pas l’insuccès effectif de la volonté de Ba-chmann ? Je ne pense pas, dans la mesure où l’on ressent tout au long de ses nouvelles (requiem pour Fanny Goldmann, Trois sentiers vers le lac, Franza, le Passeur...) la grande exigence qu’elle s’impose et dont sa langue peut témoigner. Son exigence pulvérise son oeuvre, mais celle-ci n’en res-sort pas affaiblie. Dans le merveilleux chaos qui colore son oeuvre, le lecteur saisi au vol tel ou tel sens, il capture un personnage et tente de le suivre, de le comprendre. Ces ful-gurations renforcent son oeuvre et la rendent passionnante. C’est ça le miracle de la langue de Bachmann.

Page 29: Ingeborg Bachmann

QUanD lEs FrontiErEs s’EstompEnt EntrE lE sUjEt, l’aUtEUr, lE «tU», lE «jE» ...QUanD on Est EntrE lEs pErsonnagEs //

« lIAISOnS TrAnSVErSAlES SOUTErrAInES » p.91 FrAnzA

ubiquité<<<<<<<<Premier plan grouillant et élastiqueOn se situe non pas dehors des personnages, visualisant une scène, mais entre les personnages, dedans parfois : dans les gestes, les intentions, les sensationsextension de personnalitéTemps linéaire ABOLI // CAPILLARITE // STRATESARBORESCENCE

On ne témoigne pas de ce qui se passe/ on ressent/ on est (lecteur) prisonnier d’un corps sensuel en proie au monde qui l’entoure sur lequel il agit et qui agit à son tour sur ce corpsArBOrESCEnCE + rACInES + prISES

SCHEMA DE LA BOUTURE

« prisonnière de ce labyrinthe » (fil d’Ariane) [bchmnn >> Rilke / Klosptock classique / surréalisme] On n’est plus dans la progression d’un récit narratif mais dans une arborescence foisonnante, une pensée en ARCHIPELconstituée de fragments, de coupures, d’aller-retour, de PLIS

errance ? isolat ?

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Une oeuvre inachevée/

son œUVrE comptE parmi lEs proDUctions lEs plUs rEmar-QUaBlEs DE la littÉratUrE gErmanopHonE DE la sEconDE moitiÉ DU xxE sièclE.//En France, cependant, elle est assez peu connue du grand public. Pour quelles raisons ? Sans doute en premier lieu parce qu’il est toujours difficile de bien traduire une langue au plus haut point poétique comme celle de Bachmann. On hésite par exemple à recommander la lecture de ses recueils de poèmes dans l’uni-que traduction disponible jusqu’à présent en librairie. Il faudrait qu’un éditeur ait le courage de tout reprendre et de proposer une traduction homogène et cohérente de l’œuvre tant lyrique qu’en prose, telle que Bachmann la publia de son vivant. Sans parler de ces milliers de pages qui sont restées à l’état de fragment ou d’es-quisse, et dans le plus grand désordre, sans que l’auteure, du fait de sa mort prématurée, n’ait pu préciser ses intentions, un fonds considérable que même les lecteurs germanophones ne font que commencer de découvrir, après que la partie accessible aux cher-cheurs a été analysée, classée, ordonnée, souvent avec beaucoup de difficultés. Voilà peut-être une autre raison du succès limité jusqu’à présent d’Ingeborg Bachmann en France : on ne connaît d’elle finalement que peu de textes et son œuvre n’a pas été suf-fisamment présentée dans ce qu’elle a de plus passionnant : son caractère inachevé.

« Bachmann est cette Franza du fragment de roman qui n’arrive pas à maîtriser son his-toire, sa forme », écrit Christa Wolf en 1983.

sa mort a rÉVÉlÉ trop tôt lE carac-tèrE FonDamEntal.

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Dire que l’œuvre de Bachmann est inachevée, cela ne veut pas dire bien sûr que les recueils de poèmes, pièces radio-phoniques, recueils de nouvelles et le roman Malina, qui l’ont située, pour le meilleur et pour le pire, au cœur et au sommet de la littérature de langue allemande pendant vingt ans, des années cinquante jusqu’à sa mort, en 1973, ne for-ment pas une œuvre aboutie. Cela veut dire que « ce texte en friche dans son raffinement même inclut un inachève-ment qui se présente moins comme un accident que comme un mode d’être » (Françoise Collin). En 1978, c’est-à-dire cinq ans après sa mort, grâce au tra-vail de ses amies romaines, Christine Koschel et Inge von Weidenbaum, on découvrait pour la première fois des frag-ments sur son travail en éternelle gestation avec cet élan d’écriture utopique c’est-à-dire toujours en quête de ce qui, par définition, ne peut ni ne doit jamais être fixé ni défini-tif. Certes l’œuvre de Bachmann fut interrompue en pleine gestation, en plein vol. Mais sans doute serait-elle restée de toute façon au moins en partie fragmentaire.

Le lecteur peut être dérouté par exemple par le roman resté à l’état de fragment qu’est Der Fall Franza (Franza). Ou bien il peut au contraire saisir la chance de s’immiscer, par sa lecture, entre le possible et l’impossible de la création.

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Oh si je ne craignais la mort !Si j’avais eu le mot,(ou ne l’avais manqué),si je n’avais des chardons dans le coeur,(si n’avais éteint le soleil),ni d’avidité dans la bouche,(et n’avais bu l’eau sauvage),ni ouvert les paupières,(et n’avais vu la corde),Est-ce qu’on enlève le ciel ?Si la terre ne me portait,depuis longtemps je ne bougerais plus,depuis longtemps couchéelà où me veut la nuitavant qu’elle ne gonfle les naseauxet lève le sabotpour d’autres ruades,pour frapper toujours.La nuit sans cesse.Et pas de jour.(IB, poeme Curriculum Vitae)

Page 33: Ingeborg Bachmann

lE passagE à la prosE//

A partir du début des années 1960, Ingeborg Bachmann écrit toujours de la poésie, mais se consacre de manière plus importante à la prose. La virulence de son propos, la ferveur de ses convictions et la complexité de son style apparaissent de manière plus explicite encore. La critique émettra alors quelques réserves, sans pour autant ralentir le succès com-mercial de ses livres qui sont des best-sellers : La Trentième année : recueil de nouvelles dont la fameuse Ondine qui est une appropriation par les mots d’une femme de cet amour dont les hommes semblaient avoir jusqu’alors le monopole littéraire / Trois sentiers vers le lac : cinq nouvelles, cinq histoires de femme à Vienne qui se heurtent à la solitude et au désespoir / Malina : premier tome de la tétratologie Genres de mort écrit à la première personne par une femme prise dans un trio masculin vertigineux).

Ne prescrivez à cetterace nulle foi

Ne prescrivez à cetterace nulle foi,il suffit des étoiles,des navires et de lafumée,elle se place dansles choses, dans lesastrescertes, et dans l’infi-nité du nombre,un cortège surgit pluspur de tout cela,cortège d’un amour,appelons-le.Les cieux penchentfanés et les étoiles selibèrentde leurs liens avec lalune et la nuit.IB.

Page 34: Ingeborg Bachmann

III -ré-aCtualIsée dans l’art ContemporaIn : hommage///(re-née de ses Cendres)

- rElation EntrE poÉsiE Et art contEmporain

- ansElm KiEFEr : pEintUrE, stratEs, littÉratUrE Et poÉsiE.

- tHomas HirscHorn : KiosKE Et poÉtiQUE

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------(+

artistE Dont lE propos Est similairE, mêmE matricE DE pEnsÉE

(pas ÉViDEnt mais soUjacEnt, mêmE strUctUrE Et FonD

Et conjonction DEs DEUx sUr lEs mêmEs tErrains DE la FÉminitÉ,

la mÉmoirE Etc.)//rEBEcca Horn

// racHEl WHitErEaD)

Page 35: Ingeborg Bachmann

III -ré-aCtualIsée dans l’art ContemporaIn : hommage///(re-née de ses Cendres)

- rElation EntrE poÉsiE Et art contEmporain

- ansElm KiEFEr : pEintUrE, stratEs, littÉratUrE Et poÉsiE.

- tHomas HirscHorn : KiosKE Et poÉtiQUE

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artistE Dont lE propos Est similairE, mêmE matricE DE pEnsÉE

(pas ÉViDEnt mais soUjacEnt, mêmE strUctUrE Et FonD

Et conjonction DEs DEUx sUr lEs mêmEs tErrains DE la FÉminitÉ,

la mÉmoirE Etc.)//rEBEcca Horn

// racHEl WHitErEaD)

Anselm Kiefer/Sulamith, 1990.Livre plomb soudé, cheveux de femme et cen-dres, 64 pages, 101 x 63 x 11 cm, Collection particulière.

Page 36: Ingeborg Bachmann

représentants lIttéraIres de la pensée novatrICe///

Pour ses contemporains déjà, Ingeborg Bachmann avait quelque chose d’incompréhensible, de mystérieux. Tout un mythe se créa autour d’elle, un mythe qu’elle contribua peut-être elle-même à façonner. Elle déconcertait, embarrassait, fascinait : qu’une femme pût réunir en elle une intelligence d’une telle acuité et un tel degré d’émotivité, de sensibilité, de sensualité et de beauté très féminines, dans les années cinquante, soixante.

« Ingeborg Bachmann aurait davantage mérité le prix Nobel de littérature, elle est morte trop jeune », a confié Elfriede Jelinek aux Inrockuptibles. Dans une interview publiée en 1991, elle déclarait déjà que pratiquement aucune auteure contemporaine n’avait traité avec une telle radicalité le thè-me de la lutte des sexes. Dans son essai publié en 1983 « La guerre par d’autres moyens », qui livre une analyse de l’œuvre de sa consœur, Elfriede Jelinek ne disait pas autre chose.Comme toutes les œuvres qui l’ont inspirée, Ingeborg Bach-mann ne s’y arrête pas : elle prend et transforme, elle aime, absorbe et recrée. L’écriture est pour elle « un acte d’amour sans cesse recommencé, passionnément, un désir de rencon-tre à la limite qui lie et délie ». Son œuvre est en devenir, par-delà la mort. Ce n’est pas un hasard si elle accompagne depuis longtemps trois autres éminents représentants de ce que la pensée et la littérature françaises produisent de plus novateur : Hélène Cixous, Françoise Collin et Henri Mes-chonnic. En effet, Hélène Cixous est une féministe française, pro-fesseure, écrivaine, poète, auteur dramatique, philosophe, critique littéraire et rhétoricienne, autant de pluralité profes-sionnelle qu’Ingeborg Bachmann. Elle s’est fait connaître en France comme essayiste avec l’Exil de James Joyce ou l’art du remplacement (Grasset, 1968). C’est l’une des por-teuses de l’idée d’écriture féminine. Elle écrit de nombreux essais sur des œuvres d’artistes notamment sur Ingeborg Ba-chmann.

Page 37: Ingeborg Bachmann

EllE DÉVEloppE UnE rÉFlExion sUr la FÉminitÉ, l’amBiVa-lEncE sExUEllE Et lE corps commE langagE DE l’incons-ciEnt.

Pour sa part, Françoise Collin a une position singulière dans le paysage intellectuel féministe. Elle explore le « différend des sexes », selon son expression. Quand à El-friede Jenilek, son œuvre est difficilement lisible, écrite dans un style sec. Elle opte pour une narration omnisciente, conciliant l’expérimentation linguistique érudite avec une composition musicale et une expression brutale. Elle va parfois même jusqu’à l’absurde sur les rapports de forces socio-politiques et les répercussions sur les comportements sentimentaux et sexuels. Tout comme Ingeborg Bachmann, elle fait voire et dénonce le triomphe de l’homme sur la femme. Son roman le plus connu et le plus vendu : La Pia-niste a été adapté au cinéma en 2001 par Mickael Haneke avec Isabelle Huppert, Annie Girardot et Benoît Magimel dans les rôles principaux. En 1991, elle avait également co-signé le script du film Malina de Werner Schroeter d’après un récit autobiographique d’Ingeborg Bachmann.

« Ingeborg Bachmann aurait davantage mé-rité le prix Nobel de lit-térature, elle est morte trop jeune »

Page 38: Ingeborg Bachmann

rEprÉsEntation FÉmininE cHEz ansElm KiEFEr ///

Traditions mythologiques, biblique et littéraire pour évoquer à travers différentes figures de femmes, un ensemble d’idées qu’elles incarnent. Ce sont donc par les différents aspects féminins de chacunes des HÉroïnEs qui sont privilégiés, le sentiment qu’elles dégagent. L’histoire permet de faire jouer aux femmes qui comptent ou qui ont compté un rôle détermi-nant dans le travail de l’artiste. Anselm Kiefer approfondit son rapport à la mémoire, une mémoire balafrée par le drame de la Shoah. En effet, que cela soit Paul Celan qui n’eut de cesse d’interroger la langue al-lemande après la guerre ou pour Ingeborg, il fallait inventer une nouvelle langue.

Comment se rappeler l’horreur absolue ?

L’enjeu artistique pour Kiefer, Celan, et Ingeborg consiste à retrouver « le centre de gravité de cette mémoire débousso-lée ». En rappelant au présent l’œuvre de ces poètes habités par une confrontation problématique du passé. Le visiteur de l’expositon est convié à un partage de mémoire. Pour MO-NUMENTA 2007, Anselm Kiefer dédie l’ensemble d’œuvres inédites qu’il présente dans la nef du Grand Palais aux poè-tes Paul Celan et Ingeborg Bachmann. Plus qu’un hommage cette dédicace témoigne d’un dialogue étroit que le peintre a noué de nombreuses années avec la poésie.Il est captivé par les femmes d’intelligence, de célébrité et de pouvoir. Il entretient un dialogue ininterrompue avec In-geborg poétesse absolue selon lui. Notamment une fascina-tion pour le travail d’Ingeborg.La dédicace est un geste de mémoire. En dédiant son œuvre, l’artiste inscrit d’emblée son travail dans un exercice de / remémoration /. Ingeborg est ainsi rappelée au souvenir de quiconque découvre monumenta 2007. Elle invente une nouvelle forme d’écriture pour parler d’amour. Elle souhaite créer une forme de littérature qui par-le des femmes par les femmes, pas seulement de cet amour vu par les hommes.

Message

Du vestibule céleste encore chaud de cada-vres sort le soleil.Là ne sont pas les immortels,mais les morts, avons-nous ouï dire.

Et la putréfaction l’éclat n’en tient pas compte. Notre divinité,l’histoire, nous a pré-paré une tombed’où l’on ne ressuscite pas.

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Qui mieux qu’une femme peut formaliser la passion, l’amour, la séduction, de la « femme » ?

Anselm Kiefer voue une admiration débordante pour Inge-borg. Ainsi, il donne à de nombreuses œuvres des titres em-pruntés de ses poèmes Fée Escarboucle (1992), La Bohème au bord de la mer (1995), Ton âge, le mien et l’âge du monde (1997), L’Orage des roses (1998), Vaisseau du soleil (1998). Le lien entre le titre et l’œuvre / la matière de nouvelles in-terprétations / ouvrent de nouveaux horizons de lecture et de contemplation.

A l’abri sous des plumes d’acier,des instruments, horlo-ges et cadrans, interro-gent l’espace,les buissons de nuages, et l’amoureffleure la langue oubliée de notre cœur :brève et longue… lon-gue… La grêle, une heuredurant, bat le tambour de l’oreille qui, maldisposée envers nous, écoute et vrille.

Terre et soleil ne se sont point couchés,seulement déplacés en tant qu’astres impossibles à reconnaître.

Nous avons décollé d’un portoù ne comptent retourni cargaison ni prise.

(IB, poeme Vol de nuit)

Isis et Osiris, Isis und Osiris, 1987-91.Livre, argile et boue argileuse sur photographies originales sur carton avec fil de cuivre et morceaux de céramiques, 17 doubles pages plus couverture et dos relié toile, 74 x 50 x 13,5 cm, Collection particulière.

«Sous l’orage des roses

Où nous nous dirigeons sous l’orage des rosesla nuit est éclairée d’épines, et le tonnerredu feuillage, qui dans les buissons était si doux,maintenant nous emboîte le pas.»

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rEBEcca Horn // La façon qu’a Ingeborg Bachmann de traiter des sujets de tEnsions entre les individus, de la rencontre électrique entre des singularités bien réelle mais relèvant beaucoup pour elle du désir, me fait beaucoup penser à l’oeuvre de rEBEcca Horn, qui d’ailleurs, dans la même veine que Bachmann, ne se revendique pas sous le label estampillé «féministe» même si les sujets qu’elle aborde remettent souvent en question la vision de la femme dans notre société. Rebecca Horn em-ploie le vocabulaire de la poésie légère et subtile, sensuelle et existencielle comme Ingeborg noue sa relation avec les

mots le long de son oeuvre rappiécée. Les pièces de Rebecca évoque deux chairs qui s’électrisent et qui se rencontrent, une tension, un duel ou les protago-nistes ont tour à tour le dessus sur une situation, si dérisoire et modeste soit-elle. Les dessins executés par des subtiles rouages nus, à vif, qu’on peut scruter sans pudeur, sont des fulgurances tracées, sillonnées dans le papier avec virulen-ce, avec parfois une violence inouïe, indecelable au premier

coup d’oeil en regardant ces machines.Ingeborg témoigne de ces tensions intrinsèques aux indivi-dus, aux relations EntrE les personnes, de la même manière. Il s’agit moins de position politique, ou d’échanges verbaux, Ingeborg se situe dans un langagE prEsQUE corporEl, à la

Fois arcHaîQUE Et D’UnE sUBitlitÉ intEnsE. De plus cette façon ironique et forte de capituler pour l’ar-tiste, de laisser le sort de l’oeuvre se créer sans intervenir ; simplement en posant une situation et laisser agir sous des doigts volontaiement impuissants, donne à voir la complexi-té d’un acte, d’un geste, cette façon de s’abandonner tragi-quement face au destin peut-être déjà tracé des personnages

me rappelle éminemment Ingeborg.

racHEl WHitErEaD //

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Dans une autre mesure, Ingeborg me rappelle beaucoup Rachel Whiteread et son rapport au soUVEnir, à la mÉ-moirE. Comme Ingeborg la mémoire est de l’ordre de la perception, même involontaire. La mémoire d’un lieu soudainement mis à nu et offert au regard curieux qui scrute l’empreinte matérielle d’un lieu oublié, disparu et fantomatique. Rachel Whiteread convoque la mémoi-re collective qui fait sens devant le renfonçement d’une porte, devant le négatif absurde d’une fenêtre moulée en béton aveugle et mat. Ingeborg quant à elle, cherche par le langage à nous questionner sur l’histoire, à son empreinte muette tant dans nos actes que dans la société que nous peuplons. Les mots, les évocations parfois les dialogues viennent convoquer nos réflexes aveugles, le sens de notre perception de l’environnemnt familier que nous ne remet-tons pas en question. De la même manière, ces objets si simples et courants, ces gestes tellement connus nous ap-paraissent sous un angle nouveau qui nous rend perplexes. Comment prendre cet évènement si proche et d’un seul

coup devenu si ÉtrangEr ? Elles cherchent à revisiter notre mémoire. Elles cherchent à renverser un processus : le temps qui passe et qui flétrit inexorablement tout ce qu’il touche. Posé au milieu d’un champ vide, d’un terrain vague, un endroit neutre qui fait surgir le sens profond sous couvert d’une forme dont on ne sait où est l’entrée, ou se situe la sortie, ces deux fem-mes nous interpellent sur la mémoire, sur l’histoire que

nous nous construisons et que nos vies construisent.

PENSEE ET GRANDE SEN-SUALISTEDENSITE DE LA MATIEREINVENTION DE L ECRITURESENSMATERIALITE LEGERE ET PAS-SIONNELLE« SOUPR PRIMI-TIVE » DE MOTS ET DE SENSA-TIONSESPACE NOU-VEAU ET COM-PLEXE

LANGAGE DU SYSTEME SYM-PATHIQUE SYS-TEME NERVEUX ET ENDOCRI-NIEN

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Kioskes /__________________/ Potlatch LANGUE

>>> Intégrité envers le lecteur/ regardeur : pla-ce qui lui est réservée / intégrée dans son oeuvre

Sincère // SPONTANE

Artiste qui font une place, laisse un espace de mouvement au lecteur/ regardeur

Lecteur se saisit de son statUt actiF Mode de leCture à ConstruIre //

Une sorte de perte

Utilisée à deux : livres, saisons, une musique.

Les clés, les bols à thé et la corbeille à pain,

des draps, un lit.Apporté avec nous,

employé, épuisé tout un trousseau

de mots, de gestes.Observé règlement inté-

rieur. Dit et fait. Et toujours tendu la

main.IB.

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tHomas HirscHHorn //

Les kioskes que l’artiste alloue à cette poétesse mécon-nue sont autant d’offrandes sacrifiées sur l’autel de la mémoire de la langue, du sens, du sensible. Hirschhorn collecte, accumule, puis donne. De la façon la plus sincè-re et simple possible. Il ne veut ni du décorum habituel-lement établi quand on rend hommage qui déshumanise l’acte de faire revivre sa mémoire.

L’artiste nous fait parcourir son panthéon personnel, nous montre sa dévotion païenne de la langue. De la même manière qu’Ingeborg, il y a une forme d’intégrité dans son oeuvre, il ne veut pas farder la réalité, il veut les cho-ses brutes et concrètes, ce qui ne retire rien à la subitilé de son oeuvre.J’aime aussi la manière non intrUsiVE qu’on Ingeborg et Thomas Hirschorn de nous faire rentrer dans leur mon-de, nous faire voyager dans les méandres de leur pensée foisonnante et fertile. Cette politesse envers le regardeur ou le lecteur souffle sur la littérature ou sur l’art comme une respiration inespérée dans notre environnement où nous sommes sans cesse sollicités

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Hotel de la paix

Le fardeau des roses sans bruit tombe des murs,le terrain transparaît à travers le tapis.Le coeur lumineux de la lampe se brise.Nuit noire. Bruit de pas.Le verrou a barré la porte à la mort.

IB.

Pour Hans Werner Henze, depuis l’époque des Ariosi.

eniGme

Rien n’arrivera plus.

Jamais plus le printemps.Des calendriers millénaires le présidentà chacun.

Mais l’été aussi et la suite, ce que prometun mot heureux comme « estival »—rien n’arrivera plus.

Ne pleure pas, il ne faut pas,dit une musique.

Personnedu restene ditrien.

pas de déliCatesses

Je n’ai plus goût à rien.

Faut-ilque j’habille une métaphoreavec une fleur d’amandier ?que je crucifie la syntaxesur un effet de lumière ?Qui va se creuser les méningessur des trucs aussi superflus ? —

j’ai acquis un brin de raisonà l’égard des motsque voilà(pour la classe inférieur)

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Faim Honte Larmeset Ténèbres.

Pour les sanglots non purifiés,je pourrais m’en sortir,et pour le désespoir(je désespère en de désespoir)devant l’immensité de la détresse,le taux de maladie, le coût de la vie.

Je ne renonce pas à l’écriture,mais à moi.Dieu sait comme les autres savents’aider avec les mots.Mais moi je ne suis pas mon aide.

Devrai-jefaire prisonnière une pensée,la conduire dans la cellule éclairée d’une phrase ?nourrir l’œil et l’oreillede bouchées de mots premier choix ?sonder la libido d’une voyelle,établir la valeur amoureuse de nos conson-nes ?

Faudra-t-ille crâne grêlé, et la crampe de l’écrivain dans cette main,sous la pression de trois cents nuitsdéchirer le papier,balayer l’opéra des mots en confettisdétruisant ainsi : moi toi et lui elle çanous vous ?

(Le faut pourtant. Toi et les autres.)

Ma part, il faut qu’elle se perde.

IB.

Ultimes poèmesécrits par Ingeborg //quelques temps avantsa mort à Rome

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BiBliograpHiE

>Lettres à Felician, Actes Sud>La trentième année, traduction M.S. Rollin, le Seuil, 1964>Malina, traduction Philippe Jaccottet, Le Seuil, 1973>Trois sentiers vers le lac, traduction H. Belletto, éditions du Sorbier, 1982>Franza, roman, traduction M. Couffon, Actes Sud, 1985>Leçons de Francfort : problèmes de poésie contemporaine, traduction E. Poulain, Actes Sud, 1986>Requiem pour Fanny Goldmann, roman, traduction M. Couf-fon, Actes Sud, 1987>Berlin, un lieu de hasards, avec treize dessins de Günter Grass, traduction M.S. Couffin Actes Sud, 1987>Poèmes, traduction F.-R. Daillie Actes Sud, 1989>Le bon dieu de Manhattan, traduction de C. K¨bler, Actes Sud, 1990>Le Passeur, traduction de M. Couffon, Actes Sud, 1993.

sur Ingeborg Bachman :>Revue Europe, numéro 892-893, d’Août-septembre 2003>Ingeborg Bachmann biographie par Hans Höller, Actes Sud 2006

>espritsnomades.com/>Monumenta www.monumenta.com/2007[Peinture & Arts graphiques]Lieu : Nef du Grand Palais - Parisdu 30/05/2007 au 08/07/2007

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