incorporels et répartition du droit d'imposer entre etats et... · l’administration fiscale...

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UNIVERSITE PARIS 1 PANTHEON SORBONNE INCORPORELS ET REPARTITION DU DROIT D’IMPOSER ENTRE ETATS Mémoire Sandrine Pedro Sous la direction de Monsieur le Professeur D. Gutmann Master 2 professionnel Droit des affaires et Fiscalité Année 2011-2012

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UNIVERSITE PARIS 1 – PANTHEON SORBONNE

INCORPORELS ET REPARTITION DU

DROIT D’IMPOSER ENTRE ETATS

Mémoire

Sandrine Pedro

Sous la direction de Monsieur le Professeur D. Gutmann

Master 2 professionnel Droit des affaires et Fiscalité Année 2011-2012

2

SOMMAIRE

INTRODUCTION………………………………………………………………………… p.3

TITRE 1 : LA REPARTITION DU DROIT D’IMPOSER ENTRE ETATS

MISE A MAL PAR LES STRATEGIES FISCALES DES GROUPES

EN MATIERE D’INCORPORELS ………………………………………………………. p.7

Chapitre 1 : Localisation/Délocalisation d’incorporels : Un enjeu stratégique

pour les groupes et les Etats………………………………………...... p.7

Chapitre 2 : L’identification et l’exploitation des incorporels : Des facteurs de

risque pour la répartition du droit d’imposer……………………….. p.23

TITRE 2 : LA PRESERVATION D’UNE REPARTITION EQUILIBREE

DU DROIT D’IMPOSER ENTRE ETATS PAR LE CONTROLE

DES PRIX DE TRANSFERT…………………………………………………………… p.34

Chapitre 1 : Le contrôle des prix de transfert comme instrument de lutte

contre l’atteinte à la répartition du droit d’imposer des Etats………. p.35

Chapitre 2 : L’actuel dispositif de contrôle des prix de transfert: Un dispositif

inadapté aux incorporels, mais en évolution………………………... p.43

3

INTRODUCTION

La valeur d’une entreprise ne se résume plus aujourd’hui à ses seuls actifs corporels.

Tel est le constat qui peut être fait, et qui s’explique par le développement considérable des

actifs incorporels. Alors que l’on voyait, auparavant, les biens corporels comme la source

principale de richesse d’une entreprise, il semble qu’à l’ère de la dématérialisation les

possibilités offertes par les incorporels séduisent d’avantage.

Ce type de bien représente aujourd’hui une part prépondérante de la richesse des

entreprises tant au niveau de leur valeur et du potentiel de profit qui leur est attaché qu’au

niveau de leur importance en termes de volume. En effet, de plus en plus d’entreprises

détiennent des incorporels. Les statistiques des dépôts de brevets et de marques l’illustrent

parfaitement. Ainsi, entre 2009 et 2010, les dépôts de brevets au niveau européen ont

augmenté de 12,2%, et de 2,9% en France (chiffre certes plus faible, mais qui s’explique par

le développement du brevet européen)1. Les dépôts de marques ont, quant à eux, augmenté de

13,3% au niveau national, et de 11,4% au niveau européen sur la même période (2009-2010)2.

Les entreprises tendent alors à développer une véritable stratégie de planification de

leurs incorporels. Une stratégie économique, d’une part, qui leur permet d’asseoir leur

notoriété dans le cas des marques, des noms commerciaux…, ou de maintenir leur avance

technologique pour ce qui est des brevets, des savoir-faire, des formules… Mais cette

stratégie est également fiscale. Les incorporels sont porteurs d’importants profits. On peut, à

ce titre, citer les grandes marques de technologie (Apple, Microsoft, Hewlett-Packard…) dont

les actifs incorporels représentent une très large majorité de leur richesse, et constituent le

siège de très importants profits, qui sont une potentielle masse taxable pour les Etats. Tout

l’intérêt de ces groupes est alors de mettre en place une véritable planification fiscale (tax

planning), en vue de bénéficier des régimes fiscaux qui leur sont les plus favorables3. Il s’agit

bien évidemment de diminuer le taux effectif d’imposition du groupe en choisissant de

localiser les incorporels dans des Etats fiscalement attractifs notamment au niveau des taux

d’imposition pratiqués. Mais, les incorporels nécessitant constamment de nouveaux

investissements conséquents, l’autre aspect de ce tax planning est de sélectionner les Etats

offrant à ces groupes des avantages quant à la déduction de leurs dépenses : déductions de

dépenses de recherche et développement, de personnel… mettant ainsi les Etats au cœur de

cette stratégie.

Les autres grands intéressés par les incorporels sont ainsi les Etats. Ils sont, en effet,

directement concernés par la stratégie fiscale des groupes multinationaux. Cette dernière

constitue pour eux un risque d’érosion importante de leur base taxable et de leurs ressources.

Sur fond de crise économique et financière, voire de crise des finances publiques en Europe,

et conscients du fort potentiel économique et fiscal des incorporels, les Etats (et certains

mieux que d’autres) tentent tant bien que mal de lutter contre ces délocalisations d’incorporels

et d’attirer sur leur territoire ces précieux actifs. On assiste alors au développement d’une

1 Rapport de l’observatoire de la propriété intellectuelle de juillet 2011 portant sur les chiffres clés 2010 en matière de brevets. 2 Rapport de l’observatoire de la propriété intellectuelle de septembre 2011 portant sur les chiffres clés 2010 en matière de marques 3 « How Apple Sidesteps Billions in Taxes », C. Duhigg and D. Kocieniewski, The New York Times, April 28, 2012

4

concurrence fiscale acharnée, celle-ci se matérialisant le plus souvent par des mesures

incitatives à la localisation comme celles que l’on a citées précédemment. Tout l’enjeu est

donc pour les Etats de préserver leur assiette fiscale et leur droit d’imposer face à des biens

aussi particuliers que les actifs incorporels.

Les actifs incorporels recouvrent une multitude de biens différents. Il s’agit, en règle

générale, d’un bien non tangible porteur d’un potentiel de profit pour son détenteur. Dans une

tentative de délimitation de cette catégorie, on est tenté d’opposer les incorporels protégés aux

incorporels ne bénéficiant pas d’une protection. Les biens incorporels peuvent, en effet, faire

l’objet de différentes protections juridiques regroupées sous le qualificatif de propriété

intellectuelle. On y trouve ainsi les brevets faisant l’objet d’un dépôt auprès d’une autorité (en

France l’Institut national de la propriété industrielle ou INPI) et dont la protection légale

s’étend sur 20 ans. On peut également citer les marques qui font l’objet d’un enregistrement

auprès d’une autorité (là encore l’INPI en France) et qui se trouvent alors protégées pendant

10 ans, renouvelables sans limite. D’autres biens incorporels ne bénéficient d’une protection

juridique que par le biais des obligations de confidentialité qui les entourent : savoir-faire,

procédés de fabrication… Enfin, certains incorporels se retrouvent, au contraire, totalement

démunis et ne font l’objet d’aucune protection juridique : clientèle, goodwill. La tentative de

délimitation des incorporels par leur protection juridique ne permet pas de faire état de

l’extrême diversité de ceux-ci. Elle n’est d’ailleurs pas pertinente dans la mesure où ce qui

intéresse les entreprises et les Etats du point de vue fiscal est la richesse créée par ces

derniers. Or des incorporels non protégés sont tout autant porteurs de profits que ceux qui font

l’objet d’une protection.

La problématique fiscale des incorporels se pose essentiellement en présence de

groupes de sociétés. Des entreprises isolées peuvent bien entendu être titulaires d’incorporels

de valeur, mais les risques pour la masse imposable se situent surtout au niveau des groupes.

En effet, les liens de dépendance qui unissent les différentes sociétés d’un groupe, et de

surcroît, d’un groupe multinational, sont plus propices à l’élaboration de stratégies fiscales

source de lésion pour les Etats. Ces relations permettent de mettre en œuvre des opérations à

des conditions que des entreprises indépendantes n’auraient probablement pas acceptées, et

peuvent être le siège d’une localisation plus ou moins artificielle des incorporels et de leurs

revenus. Le groupe de sociétés n’est, en principe, pas reconnu juridiquement et notamment

fiscalement (sauf dans le cadre de régimes fiscaux particuliers : intégration fiscale, régime

mère-fille…). Mais économiquement, il constitue une réalité dont on ne peut faire abstraction.

Sachant, par ailleurs, que le commerce intragroupe représente plus 50% du commerce

international, les Etats ne pouvaient donc s’en désintéresser.

Toutes ces constatations mettent en exergue le conflit qui peut exister entre, d’un côté,

les groupes multinationaux désireux de réduire leur charge fiscale et, de l’autre, les

administrations fiscales à l’affût de ressources fiscales supplémentaires. Dans ce contexte

conflictuel se pose dès lors la question suivante : Dans quelle mesure les stratégies fiscales

des groupes en matière d’incorporels portent-elles atteinte à la répartition du droit d’imposer

des Etats, et quels sont les instruments dont disposent ces derniers pour y remédier ?

Il ne s’agira pas ici d’étudier la fiscalité des incorporels dans son intégralité et dans le

détail, mais seulement de présenter les grands traits des stratégies fiscales des groupes en

matière d’incorporels et les conséquences fiscales qui s’y attachent. Par ailleurs, ne sera pas

non plus évoqué l’impact des choix des entreprises sur tous les impôts. Les décisions prises

dans le domaine des incorporels peuvent, en effet, avoir des conséquences en matière de taxe

5

sur la valeur ajoutée, ainsi que sur les droits de douanes et sur les droits de mutation… Ici ne

seront abordés que les effets en matière d’impôt sur les sociétés et, de façon très marginale,

d’impôt sur le revenu.

La présentation des stratégies des groupes de sociétés en matière de fiscalité des

incorporels va de paire avec les moyens permettant de lutter contre d’éventuels abus. Selon

les Etats, différents dispositifs sont mis en place.

Dans le cas de la France, de nombreux moyens sont mis à la disposition de

l’administration fiscale pour réagir face à certains montages imaginés par les sociétés. On

peut, ainsi, citer l’acte anormal de gestion qui permet à l’administration fiscale de remettre en

cause un acte qui, en raison de son objet ou de ses modalités, est étranger à une gestion

commerciale normale. Mais également l’abus de droit (article L64 du Livre des procédures

fiscales, dénommé ci-après LPF) qui, lui, permet de sanctionner des actes ayant un caractère

fictif ou des actes qui, recherchant l’application littérale des textes ou décisions à l’encontre

des objectifs du législateurs, ont un motif exclusivement fiscal. Au-delà de ces mécanismes

généraux de répression, il existe une grande diversité de dispositifs anti-abus particuliers. On

peut notamment citer : l’article 209 B du Code général des impôts (ci-après dénommé CGI)

prévoyant l’imposition des sociétés mères françaises à raison des produits réalisés par une

entité qu’elle contrôle et qui est soumise à un régime fiscal privilégié ; l’article 238 A qui

prévoit la non-déductibilité de certaines charges (telles que des redevances) engagées par un

contribuable domicilié ou établi en France au profit d’un créancier établi hors de France et

soumis à un régime fiscal privilégié ; l’article 155 A qui, dans l’hypothèse d’un prestataire

établi en France dont la rémunération est perçue par une personne établie hors de France ou

d’un prestataire établi hors de France qui rend des services en France, prévoit que

l’administration fiscale pourra directement imposer la totalité des revenus encaissés par ce

prestataire sous certaines conditions4… Il ne s’agira cependant pas ici d’étudier tous ces

dispositifs, mais de se concentrer sur l’un d’eux : le contrôle des prix de transfert (article 57

du CGI).

Le dispositif des prix de transfert concerne les hypothèses dans lesquelles des sociétés

liées ont, par le biais d’une minoration ou d’une majoration de prix ou de tout autre moyen,

transféré indirectement des bénéfices qui auraient dû être imposés en France vers une société

étrangère bénéficiant d’un régime fiscal plus avantageux. Dans ce cas, l’administration fiscale

est fondée à rectifier les résultats de la société française pour neutraliser ce transfert. Ce

dispositif de contrôle se retrouve dans de nombreux droits internes, mais également dans la

convention modèle OCDE, l’OCDE constituant en la matière un point de référence.

Le parti pris d’étudier les stratégies fiscales des groupes en matière d’incorporels et

leur sanction sous l’angle des prix de transfert se justifie par l’actualité foisonnante dont ils

font l’objet, et ce, précisément dans le domaine des incorporels. L’OCDE mène, en effet,

actuellement un projet de réforme du chapitre 6 de ses principes applicables en matière de

prix de transfert sur les « Considérations particulières applicables aux biens incorporels ». Ce

projet a pour objectif d’adapter le mécanisme actuel des prix de transfert aux spécificités des

biens incorporels qui posent de nombreux problèmes soulevés par la pratique. Le projet lancé

en 2010 a, suite à de nombreuses contributions du public, donné lieu en janvier 2011 à

4 Soit lorsque la personne située en France contrôle la personne située à l’étranger percevant la rémunération ; soit lorsque la personne située à l’étranger exerce de manière prépondérante une activité industrielle et commerciale autre que la prestation de service ; soit encore lorsque la personne percevant la rémunération est établie dans un Etat où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du CGI

6

l’adoption d’un document de cadrage approuvé par le Comité des affaires fiscales. Bien qu’il

soit prévu que cette réforme n’aboutisse pas avant 2013, les incorporels constituent l’un des

problèmes les plus délicats en matière de prix de transfert, sur lequel de nombreux auteurs se

sont penchés. L’actualité de ce sujet ainsi que les problématiques complexes mais fascinantes

qu’il soulève ont, par conséquent, dicté le choix de ne pas évoquer les autres moyens de lutte.

Les stratégies fiscales mises en place par les groupes de sociétés quant à la gestion de

leurs incorporels reposent sur le choix de la localisation de ces derniers, de leurs structures de

création et d’exploitation, et sur la détermination des rémunérations auxquels ils donnent lieu

Celles-ci constituent des facteurs de risque pour la répartition du droit d’imposer entre les

Etats et la préservation de leur assiette imposable (TITRE 1). Le contrôle des prix de transfert,

sur le fondement du principe de pleine concurrence, permet cependant de préserver une

répartition équilibrée du droit d’imposer de chaque Etat, et constitue un outil redoutable pour

contrer les transferts indirects de bénéfices, bien que certaines adaptations aux spécificités des

incorporels soient nécessaires (TITRE 2).

7

TITRE 1 :

LA REPARTITION DU DROIT D’IMPOSER ENTRE

ETATS MISE A MAL PAR LES STRATEGIES FISCALES

DES GROUPES EN MATIERE D’INCORPORELS

La répartition du droit d’imposer entre les Etats est particulièrement mise à mal par les

stratégies fiscales adoptées par les groupes de sociétés quant à leurs incorporels, et ce, pour

deux raisons principales. D’une part, en raison du risque de délocalisation plus fort en matière

d’incorporels du fait de leur nature, mais également de la concurrence acharnée que se livrent

les différents Etats pour les attirer sur leur territoire (chapitre 1). D’autre part, en raison du

caractère flou de la notion même d’incorporels et de la complexité croissante de leurs modes

de création et d’exploitation, qui rendent leur appréhension plus complexe et donc plus

favorable à des transferts de base imposable (chapitre 2).

Chapitre 1 :

Localisation/Délocalisation d’incorporels : Un enjeu stratégique pour les groupes et les Etats.

Le choix de la localisation des actifs incorporels, qu’il s’agisse d’une première

localisation ou d’une délocalisation, constitue un enjeu important pour les groupes en matière

incorporelle. Ces derniers tendent, en effet, à élaborer une stratégie d’implantation de leurs

incorporels leur permettant de diminuer leur taux effectif d’imposition. Il s’agit, pour eux, de

localiser leurs incorporels ainsi que les activités s’y rattachant (recherche et développement,

commercialisation…) dans différents Etats en fonction des régimes fiscaux offerts par ces

derniers dans une logique d’optimisation fiscale. Il convient cependant de souligner que, bien

que non négligeable, le facteur fiscal ne constitue pas le seul critère intervenant dans le choix

de localisation des groupes de sociétés. D’autres facteurs tels que le coût de la main d’œuvre,

sa qualification, les infrastructures du pays, l’image plus ou moins nationale donnée à la

marque… sont déterminants dans ce choix.

Il n’en reste pas moins que les Etats se trouvent directement affectés par de telles

stratégies d’implantation. Les moins attractifs fiscalement courant ainsi le risque de voir ces

précieux actifs migrer vers des Etats plus séduisants fiscalement, et de subir ainsi une

diminution conséquente de leur base d’imposition et, par voie de conséquence, de leurs

ressources fiscales. Pour éviter cela, les Etats se livrent une concurrence acharnée pour attirer

ces actifs sur leur territoire par la mise en place de régimes fiscaux favorables voire très

favorables.

Au milieu de cette concurrence, la France - qui peut, à première vue, ne pas apparaitre

comme le pays le plus attrayant fiscalement – dispose en matière d’incorporels d’un régime

fiscal qui se révèle en réalité plutôt attractif (Section 2), et ce, même si elle se retrouve

confrontée à une concurrence accrue de la part des autres Etats de l’Union européenne

(Section 3), mais également des pays émergents (Section 4). Pour bien comprendre l’impact

8

de ce phénomène, il convient de rappeler, dans un premier temps, les principes régissant la

répartition du droit d’imposer les flux générés par les incorporels entre les Etats (Section 1).

Section I- Rappel des principes de répartition du droit d’imposer entre Etats en matière

d’incorporels.

Les groupes internationaux disposent de sociétés (filiales, succursales, voire holdings)

implantées dans différents Etats. Se pose, dès lors, nécessairement la question de la répartition

entre les Etats concernés du droit d’imposer les revenus générés par ces différentes sociétés, et

ce, dans un souci d’élimination des doubles impositions pouvant en résulter. Dans cette

logique, les principes généraux de répartition du droit d’imposer (§1) se trouvent fortement

impacter par le droit de l’Union européenne en la matière (§2).

1°) Les principes de répartition du droit d’imposer.

Il s’agit ici d’exposer les principes de répartition du droit d’imposer régissant le cas

des versements effectués à raison d’actifs incorporels en provenance ou à destination de la

France, principes qui diffèrent selon que l’on est en présence d’une convention fiscale

internationale (B) ou non (A).

A- En l’absence de conventions fiscales internationales :

En l’absence de convention fiscale internationale répartissant le droit d’imposer entre

Etats, les flux relatifs aux biens incorporels se trouvent uniquement régis par les droits

nationaux en cause, ce qui peut mener à des cas de double imposition. Dans le cadre de cette

étude, il ne sera exposé que le droit fiscal français, en distinguant selon que les paiements

effectués au titre des incorporels se font en provenance ou à destination de la France.

1- L’imposition des versements de source française :

Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle un résident français verse un paiement à un non-

résident à raison d’un incorporel. C’est, par exemple le cas, lorsqu’une filiale française se fait

concéder une licence d’exploitation d’un brevet par sa société mère étrangère qui en est la

propriétaire, et verse à cette dernière une redevance. Dans pareille hypothèse, l’article 182 B

du CGI prévoit l’application d’une retenue à la source de 33,33% ou de 50% en cas de

paiements à des personnes domiciliées ou établies dans un Etat ou territoire non coopératif au

sens de l’article 238 A du CGI.

Cette retenue à la source s’applique aux sommes versées en rémunération d'une

activité déployée en France dans l'exercice de l'une des professions mentionnées à l'article 92

; aux produits définis à l'article 925 et perçus par les inventeurs ou au titre de droits d'auteur,

5 Article 92 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. 2. Ces bénéfices comprennent notamment : 1° Les produits des opérations de bourse effectuées dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité exercée par une personne se livrant à titre professionnel à ce type d'opérations ;

2° Les produits de droits d'auteurs perçus par les écrivains ou compositeurs et par leurs héritiers ou légataires ;

9

ceux perçus par les obtenteurs de nouvelles variétés végétales au sens des articles L623-1 à

L623-35 du code de la propriété intellectuelle ainsi que tous produits tirés de la propriété

industrielle ou commerciale et de droits assimilés ; aux sommes payées en rémunération des

prestations de toute nature fournies ou utilisées en France ; aux sommes, y compris les

salaires, correspondant à des prestations sportives fournies ou utilisées en France, nonobstant

les dispositions de l'article 182 A. De façon plus concrète, cet article concerne les opérations

de recherche et développement, les cessions de brevets, de savoir-faire techniques ou de

certificats d’obtentions végétales, les fournitures d’assistance technique, les transferts de

logiciels, ainsi que les cessions de licences de marques, de dessins ou modèles.

Des conditions encadrent également la qualité du débiteur et du bénéficiaire des

sommes. Pour que le versement donne lieu à la retenue de 33,33% (ou 50%), le débiteur doit,

en effet, exercer une activité en France. Quant au bénéficiaire du paiement (personne

physique ou morale), il ne doit pas avoir en France d’installation professionnelle permanente,

et il doit relever de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés. Cette dernière

condition, qui a pu donner lieu à des hésitations d’interprétation (en effet, il est rare qu’une

société qui n’a pas d’installation professionnelle permanente en France puisse être considérée

comme relevant de l’impôt sur les sociétés), signifie en réalité que la société bénéficiaire doit

entrer dans le champ de l’impôt français sans qu’il y ait lieu de vérifier si les sommes ont été

effectivement soumises à cet impôt6, en d’autres termes « la question n'est pas de savoir si le

bénéficiaire était imposable à l'IS en France mais bien de déterminer s'il aurait été passible

de l'IS en France s'il y avait exercé son activité (…) ; l'activité du bénéficiaire devait revêtir

un caractère lucratif susceptible de la rendre passible de l'impôt français au regard des

critères de droit interne 7.

Cette retenue à la source s’applique sur le montant brut (hors TVA) des sommes

payées, ce qui n’est pas sans poser des problèmes au regard du droit communautaire8. Par

ailleurs, la retenue pratiquée est imputable sur l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur les sociétés

qui peut être dû par le bénéficiaire des versements.

2- L’imposition des versements de source étrangère :

On se trouve ici dans l’hypothèse inverse de celle exposée précédemment. Pour

reprendre l’exemple déjà cité, il s’agit du cas dans lequelle une société française concède une

licence d’exploitation d’un brevet à une société étrangère, et se voit, à ce titre, rémunérer par

une redevance.

3° Les produits perçus par les inventeurs au titre soit de la concession de licences d'exploitation de leurs brevets, soit de la cession ou concession de marques de fabrique, procédés ou formules de fabrication ;

4° Les remises allouées pour la vente de tabacs fabriqués ; 5° Les produits des opérations réalisées à titre habituel sur un marché à terme d'instruments financiers ou d'options négociables, sur des bons d'option ou sur le marché à terme de marchandises mentionné à l'article 150 octies, lorsque l'option prévue au 8° du I de l'article 35 n'était pas ouverte au contribuable ou lorsqu'il ne l'a pas exercée ; 6° Les sommes et indemnités perçues par les arbitres ou juges au titre de la mission arbitrale mentionnée à l'article L. 223-1 du code du sport; 7° Les sommes perçues par les avocats en qualité de fiduciaire d'une opération de fiducie définie à l'article 2011 du code civil. 3. Les bénéfices réalisés par les greffiers titulaires de leur charge sont imposés, suivant les règles applicables aux bénéfices

des charges et offices, d'après leur montant net déterminé sous déduction des traitements et indemnités alloués aux greffiers par l'Etat. Ces traitements et indemnités sont rangés dans la catégorie visée au V de la présente sous-section. 6 CE 30 juin 1997 n° 169179, 8e et 9e s.-s., Sté d'édition des artistes peignant de la bouche et du pied (APBP) ; CE 25 mai

2007 n° 288288, 8e et 3e s.-s., GIE Compagnie industrielle des polyéthylènes de Normandie. 7« L'article 182 B peut être appliqué sans retenue », Mlle J. Burguburu. 8 CJCE, 12 juin 2003, aff. C-234/01, Gerritse.

10

La redevance donnera généralement lieu à une retenue à la source dans l’Etat de son

débiteur (l’Etat de la source). On peut cependant citer à titre d’exception les Pays-Bas et la

Suisse.

Ce versement peut, par ailleurs, faire l’objet d’une imposition en France. Ainsi, si le

créancier français du versement se trouve être une entreprise individuelle, il n’est pas exclu

que la somme ainsi reçue soit imposée en France, donnant lieu à une déduction de l’impôt

payé à l’étranger sur le fondement de l’article 39-1 du CGI. De même, si le créancier est une

société soumise à l’impôt sur les sociétés, ce dernier pourra se voir imposer en France au titre

de ces produits, à moins que lesdits produits ne se rattachent à une entreprise que la société

française exploite à l’étranger au sens de l’article 209-I du CGI. Si tel n’est pas le cas, une

déduction de l’impôt étranger en France sera également possible au titre de l’article 39-1 du

CGI.

Que ce soit dans l’hypothèse d’un paiement de source française ou de source

étrangère, les sommes reçues au titre des incorporels peuvent donner lieu à des situations de

double imposition, qui se révèlent cependant rares au vue des nombreuses conventions

fiscales internationales conclues par la France (B).

B- En présence de conventions fiscales internationales :

Les conventions fiscales internationales tendent à l’élimination des doubles

impositions en prévoyant une répartition du droit d’imposer entre les Etats parties en fonction

de la nature des revenus considérés. Chaque convention fiscale peut prévoir des règles

différentes de partage du droit d’imposer. Aussi, on s’en tiendra ici à la répartition proposée

par la convention modèle OCDE qui, bien que les Etats puissent s’en écarter dans le cadre de

leurs négociations, constitue une référence.

Aux termes du principe de subsidiarité des conventions fiscales, il convient de

regarder, dans un premier temps, si le revenu en cause est imposé au niveau du droit fiscal

interne et selon quelle qualification, pour ensuite se reporter aux règles de répartition de

l’imposition prévues par la convention fiscale pour voir si cette dernière a pour effet de limiter

ou supprimer le droit d’imposer de l’Etat9. La détermination de l’Etat compétent pour imposer

le revenu en cause repose ainsi sur une étape fondamentale qui est la qualification dudit

revenu. En fonction de la qualification retenue, les règles de répartition du droit d’imposer

seront différentes.

Les incorporels donnent en règle générale lieu au paiement d’une redevance. Il faut,

dès lors, se reporter à l’article 12-2 du modèle OCDE qui définit les redevances comme « les

rémunérations de toute nature payées pour l'usage ou la concession de l'usage d'un droit

d'auteur sur une œuvre littéraire, artistique ou scientifique, y compris les films

cinématographiques, d'un brevet, d'une marque de fabrique ou de commerce, d'un dessin ou

d'un modèle, d'un plan, d'une formule ou d'un procédé secrets et pour des informations ayant

trait à une expérience acquise dans le domaine industriel, commercial ou scientifique ». Dès

lors qu’un versement entre dans la qualification de redevance, celui-ci est exclusivement

imposable dans l’Etat de résidence du bénéficiaire effectif (Article 12.1), sauf si ce dernier

exerce dans l’Etat de source une activité d’entreprise par l’intermédiaire d’un établissement

stable qui y est situé et que le droit ou le bien générateur des redevances s’y rattache

effectivement (Article 12.3). Dans cette hypothèse, il faut se reporter à l’article 7 qui prévoit

9 CE 28 juin 2002, n°95-969, Schneider Electric

11

l’imposition de tels revenus dans l’Etat de l’établissement stable à savoir ici l’Etat de source

de la redevance.

Enfin, il est prévu que lorsqu’en raison de relations spéciales existant entre le débiteur

et le bénéficiaire effectif ou de relations que l’un et l’autre entretiennent avec des tierces

personnes le montant de la redevance excède celui dont seraient convenus le débiteur et le

bénéficiaire en l’absence de telles relations, les dispositions de l’article 12 ne s’appliquent

qu’au montant « normal », la partie excédentaire restant imposable dans l’Etat de chaque

contractant selon son droit national en tenant compte des dispositions de la convention

(Article 12.4) ; cette partie excédentaire étant, le plus souvent, traitée comme un revenu

distribué.

On peut donc conclure que, mis à part des cas exceptionnels, le principe reste

l’imposition exclusive des redevances par l’Etat de résidence du bénéficiaire. Cela a pour

conséquence, qu’en présence d’un versement de redevance d’un débiteur français à un

créancier étranger au sens de l’article 182 B du CGI, la retenue à la source de 33,33% est, par

l’effet de la convention, écartée. Inversement, les redevances reçues par un créancier français

d’un débiteur étranger se trouvent exclusivement imposées en France, et la retenue à la source

qui aurait pu être appliquée dans l’Etat de source est écartée.

Il s’agit là des principes posés par le modèle OCDE. Mais certaines conventions s’en

écartent pour prévoir que l’Etat de la source pourra également imposer la redevance, mais à

un taux réduit. Dans ce cas, l’imposition donne droit à un crédit d’impôt. On peut ainsi

imaginer en France que la retenue à la source de 33,33% se trouve réduite, et qu’un crédit

d’impôt soit octroyé. Ce crédit d’impôt correspond en principe à l’impôt payé à l’étranger et

ne peut excéder l’impôt français. A noter, cependant, qu’il est parfois prévu des clauses de

crédit pour impôt fictif qui constitue un crédit d’impôt forfaitaire calculé à un taux plus élevé

que le taux de la retenue à la source appliquée dans l’Etat de source. Tel est notamment le cas

de la convention conclue entre la France et le Brésil.

Il se peut, cependant, que les versements effectués au titre de biens incorporels ne

puissent être qualifiés de redevance, mais entrent dans d’autres catégories de revenus qui

appellent un traitement conforme à leur qualification. On peut citer, à titre d’exemple, le cas

des activités de recherche et développement qui sont considérées comme des prestations de

service entrant dans la catégorie des bénéfices d’entreprises (Article 7)10

. Les activités de

recherche et développement sont imposées dans l’Etat de résidence de la société effectuant

ces travaux et rémunérée à ce titre, sauf si cette société prestataire dispose de son centre de

recherche dans l’Etat de source du paiement. Ainsi, si une société française rémunère une

activité de recherche et développement effectuée par une société étrangère, cette rémunération

est en principe imposée dans l’Etat de résidence de la société prestataire ; mais si cette

dernière dispose en France de son centre de recherche, l’imposition de la rémunération se fera

directement en France au titre de l’impôt sur les sociétés ou l’impôt sur le revenu, il n’y aura

donc aucune retenue à la source.

Cette répartition du droit d’imposer en matière d’incorporels connait, cependant, des

spécificités au regard du droit de l’Union européenne (§2).

10 Ce genre de revenus pouvait auparavant également entré dans la catégorie des bénéfices des professions indépendantes. Mais l’article 14 du modèle OCDE relatif à ces revenus a été supprimé en 2000. Les revenus tirés de professions libérales ou

indépendantes sont désormais traités comme des bénéfices d’entreprise.

12

2°) L’impact du droit de l’Union européenne :

Le droit de l’Union européenne (ci-après UE) a, en matière fiscale, un impact

important. En effet, l’idéal de marché commun, libre de toutes restrictions et discriminations,

ne peut se concevoir qu’en neutralisant les effets néfastes que peuvent, quelques fois, avoir les

impositions mises en place par les différents Etats, notamment au regard des libertés de

circulation garanties par le Traité. Afin d’assurer le respect de ces libertés ainsi que la

neutralité au sein de l’Union, plusieurs directives ont été adoptées dont une concernant les

retenues à la source en matière de versements d’intérêts et de redevances effectués entre

entreprises associées situées dans des Etats membres différents (§1). Au-delà des directives,

les retenues à la source peuvent parfois être déclarées non conformes au droit de l’Union

européenne, ce qui peut avoir des conséquences en matière d’incorporels (§2).

A- La Directive « intérêts-redevances »:

Par une directive « intérêts-redevances » du 3 juin 2003, il a été prévu que les Etats

membres devaient exonérer de retenue à la source les versements d’intérêts et de redevances

effectués entre sociétés associées situées dans des Etats membres différents. A noter que la

Commission vient de proposer une nouvelle directive « intérêts-redevances » en vue de

procéder à un élargissement du dispositif actuel.

1- Le dispositif actuel :

La directive « intérêts-redevances », transposée en droit français aux articles 119

quater (pour les intérêts) et 182 B bis (pour les redevances), prévoit que les intérêts et

redevances versés entre sociétés associées situées dans des Etats membres de l’UE sont

exonérés de retenue à la source, et plus précisément pour les redevances, du prélèvement

prévu à l’article 182 B. Ainsi, une société française versant une redevance à une société belge

en échange de la concession d’une licence que cette dernière lui octroie est exonérée de la

retenue de 33,33% si ces deux sociétés répondent à certaines conditions. Les redevances

concernées sont définies à l’article 182 B bis qui en fournit une liste11

.

Pour pouvoir bénéficier de cette exonération, les sociétés concernées doivent être

considérées comme associées, ce qui signifie qu’elles doivent détenir l’une ou l’autre 25% du

capital de l’autre (Société mère/filiale ou filiale/société mère) ou qu’une troisième société doit

détenir 25% dans chacune d’entre elles (sociétés sœurs), cette détention devant être directe et

ininterrompue pendant au moins deux ans (détention de deux ans déjà acquise au moment de

l’exonération ou, si ce n’est pas le cas, engagement de conservation des titres pendant deux

ans). Les sociétés doivent elles-mêmes remplir certaines conditions : elles doivent revêtir

l’une des formes prévues dans l’annexe de la directive12

, avoir leur siège de direction effective

dans un Etat membre de l’UE, et être passibles de l’impôt sur les sociétés, au titre des

redevances, dans leur Etat sans pouvoir en être exonérées. La société doit, en outre, être le

bénéficiaire effectif du versement, ce versement pouvant également se faire au profit de

l’établissement stable d’une société associée, dans les mêmes conditions.

11 Article 182 B bis, 1 al 2 : « les redevances s'entendent des paiements de toute nature reçus à titre de rémunération pour l'usage ou la concession de l'usage d'un droit d'auteur sur une oeuvre littéraire, artistique ou scientifique, y compris les films cinématographiques et les logiciels informatiques, d'un brevet, d'une marque de fabrique ou de commerce, d'un dessin ou d'un modèle, d'un plan, d'une formule ou d'un procédé secret, ainsi que pour des informations ayant trait à une expérience acquise dans le domaine industriel, commercial ou scientifique. Les paiements reçus pour l'usage ou la concession de l'usage d'un droit relatif à des équipements industriels, commerciaux ou scientifiques sont considérés comme des redevances ». 12 Pour la France, il s’agit des SA, SARL et SCA.

13

L’exonération est écartée si les redevances bénéficient à une personne morale ou à un

établissement stable d’une société qui est contrôlée directement ou indirectement par un ou

plusieurs résidents d’Etats qui ne sont pas membre de la Communauté européenne et si la

chaîne de participations a comme objet principal ou comme l’un de ses objets principaux de

tirer avantage de l’exonération de retenue à la source.

Si, du fait des relations existant entre les sociétés, le montant des redevances excède le

montant qui aurait été convenu entre des sociétés non associées, l’exonération est limitée à ce

dernier montant.

2- Vers un élargissement du champ de la directive « intérêts-redevances » par une

nouvelle directive :

Une étude établie par la Commission européenne à destination du Conseil de l’UE le

17 avril 2009, présentant un bilan de la mise en œuvre de la directive par les Etats, avait mis

en exergue le fait que le droit français pouvait sur certains aspects apparaitre contraire au droit

de l’Union européenne : Ainsi, notamment de la condition posée par le droit français selon

laquelle la société doit être soumise à l’impôt sur les sociétés dans son Etat à raison des

redevances, alors que la directive se contente d’exiger que la société soit soumise de façon

générale à cet impôt 13

. Dans un souci de renforcer la lutte contre les doubles impositions, la

Commission a fait une proposition de directive (dont la transposition est prévue pour le 1er

janvier 2013) qui vise à élargir le champ d’application de l’actuelle directive « intérêts-

redevances » : Directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011. Plusieurs propositions sont

faites14

.

Il est, ainsi, prévu d’abaisser le niveau de détention de 25% à 10%. Par ailleurs, le

bénéfice de l’exonération sera étendu à l’ensemble des sociétés assujetties à l’impôt sur les

sociétés. La liste des formes sociales devant revêtir les sociétés concernées sera élargie. La

société bénéficiaire des revenus devra être effectivement soumise à l’impôt sur les intérêts et

redevances reçus. Enfin, alors qu’à l’heure actuelle, les paiements d’intérêts ou de redevances

faits par un établissement stable doivent constitués une charge fiscalement déductible de son

résultat imposable, le paiement devra dorénavant représenter une simple charge supportée aux

fins des activités de l’établissement stable.

Le droit de l’UE, par le biais de la directive « intérêts-redevances » impacte donc

l’imposition des revenus liés aux incorporels, impact que l’on retrouve de façon plus générale

lorsque les retenues à la source elles-mêmes sont considérées comme contraires à ce droit (B).

B- Le cas des retenues à la source pouvant être déclarées non conformes au droit de

l’Union européenne :

Dans certains cas, les retenues à la source instituées par les Etats membres peuvent

être déclarées non conformes au droit de l’UE. Les principes dégagés par la Cour de justice de

l’Union européenne (ci-après CJUE) en la matière posent pour ce qui est de la fiscalité des

incorporels la question de la conformité de l’article 182 B au droit de l’UE.

13 Droit fiscal des affaires, Daniel Gutmann, p. 445 ; « La retenue à la source sur les paiements d'intérêts et de redevances entre sociétés associées : le droit français dans le collimateur de la Commission européenne », Daniel Gutmann, Option Finance 18 mai 2009. 14 « La double imposition au sein du marché unique : bilan et perspectives », Daniel Gutmann et Jean-Yves Mercier, Option

Finance, 30 janvier 2012.

14

La CJUE ne condamne pas, dans leur principe, toutes les retenues à la source15

, mais

seulement celles qui ont pour effet d’instituer une discrimination entre les résidents et les non-

résidents et qui méconnaissent donc, de ce fait, les libertés reconnues par le Traité. Cette

atteinte au droit de l’UE peut se manifester dans la retenue à la source elle-même, mais

également dans ses modalités de calcul et dans son taux.

Certaines retenues à la source peuvent par la différence de traitement qu’elles

instituent entre les résidents et les non-résidents porter atteinte aux différentes libertés

garanties par le Traité. Cette atteinte dépend du droit interne, du droit conventionnel mais

également du droit de l’autre Etat en cause. En effet, il appartient à l’Etat de la source (dans

notre cas l’Etat français) de s’assurer, lorsqu’il prélève une retenue à la source, que cette

dernière ouvrira droit à un crédit d’impôt prévu par une convention fiscale, et de surcroît, que

ce crédit pourra effectivement s’imputer dans l’Etat de résidence du bénéficiaire. Si tel n’est

pas le cas, la retenue sera jugée comme contraire au droit de l’UE16

. Etant précisé que l’Etat

de la source doit de son propre fait veiller à cela, et que cette obligation ne tombe pas lorsque

c’est le droit interne de l’Etat du bénéficiaire qui ouvre unilatéralement droit à un crédit

d’impôt17

.

Les retenues à la source peuvent également s’avérer contraires au droit communautaire

en raison de leurs modalités de calcul et de leur taux. Un Etat prélevant une retenue à la

source doit traiter de la même façon un résident et un non-résident qui se trouvent dans la

même situation, et ce notamment au regard de l’assiette. Ainsi, un Etat autorisant ses résidents

à déduire leurs frais, doit, lorsque les non-résidents se trouvent dans une situation comparable

à la leur, appliquer la retenue à la source sur le revenu net et non brut18

. La CJCE condamne

également le fait pour la législation d’un Etat d’appliquer une retenue à la source aux non-

résidents dont le taux serait supérieur à celui qui est appliqué aux résidents à raison des

mêmes revenus19

.

Tous ces principes posent directement la question de la compatibilité du prélèvement

de 33,33% (ou 50%) instituée par l’article 182 B du CGI au droit de l’UE. Dès lors que ce

dernier s’applique sur le montant brut du revenu, que son taux peut s’avérer dans certaines

hypothèses supérieur à celui appliqué pour les mêmes revenus aux résidents (qui peuvent

bénéficier d’un taux réduit) et que la restitution de l’excédent de ce prélèvement n’est pas

possible, il n’est pas exclu que celui-ci fasse l’objet d’une condamnation par la CJUE20

.

C’est au regard de tous ces principes d’imposition que se comprend la concurrence

fiscale que se mènent les Etats pour les attirer, parmi lesquels le système fiscal français

(Section 2).

Section II- Le système fiscal français des incorporels: Un système plutôt attractif.

Le système fiscal français des incorporels présente de nombreux avantages pour les

entreprises, tels que le crédit d’impôt recherche (§1), la possibilité d’amortir certains

incorporels (§2), ainsi que l’application d’un taux réduit sur les résultats dérivant de

l’exploitation de la propriété industrielle (§3). Autant de dispositifs qui font de la France un

15 CJCE 22 décembre 2008, truck Center SA 16 CJCE 14 décembre 2006, Denkavit 17 CJCE 8 novembre 2007, Amurta 18 CJCE 12 juin 2003, Gerritse ; CJCE 3 octobre 2006, Scorpio 19 CJCE 12 juin 2003, Gerritse ; CJCE 11 octobre 2007, Hollmann 20 Pour une étude plus approfondie : « Jusqu’à quand les articles 182 A et 182 B du CGI resteront-ils encore indemnes de

l’épreuve du droit communautaire ? », Stéphane Austry, FR 39/08.

15

pays plutôt attractif. Il ne s’agira pas ici d’exposer dans le détail chacun de ces dispositifs,

mais seulement d’en donner un aperçu d’ensemble mettant en exergue l’attractivité du régime

français.

1°) Le crédit d’impôt recherche, comme élément d’attraction des centres de

recherche et développement en France.

Le crédit d’impôt recherche permet à certaines entreprises de déduire de leur résultat

imposable diverses dépenses affectées à la recherche. Un tel crédit constitue un élément

d’attraction des centres de recherche et développement sur le territoire français, comme

l’illustre son champ d’application (A) et son fonctionnement (B).

A- Champ d’application :

Prévu à l’article 244 quater B, le crédit d’impôt recherche bénéficie à des entreprises et

des dépenses précises.

Concernant tout d’abord les entreprises bénéficiaires, il s’agit des entreprises

industrielles, commerciales, artisanales ou agricoles soumises à un régime réel, mais

également des sociétés commerciales qui exercent une activité non commerciale21

. Des

entreprises exonérées d’impôt sur leurs bénéfices peuvent également en bénéficier : les jeunes

entreprises innovantes (Article 44 sexies-0-A), les entreprises nouvelles (Article 44 sexies),

les entreprises constituées pour la reprise d’une entreprise en difficulté (Article 44 septies), les

entreprises implantées dans une zone de recherche et développement d’un pôle de

compétitivité (Article 44 undecies)… Pour pouvoir bénéficier du crédit d’impôt, toutes ces

entreprises doivent avoir effectué des dépenses de recherche.

Les dépenses éligibles à ce dispositif sont celles ayant été effectuées à raison de la

réalisation d’opérations de recherche scientifique et technique : recherche fondamentale,

recherche appliquée ou opérations de développement expérimental. Ces dépenses se limitent à

un certain nombre de cas limitativement énumérés par la loi. Sans tous les exposer ici, on peut

citer, à titre d’exemple, les dotations aux amortissements des immobilisations créées ou

acquises à l’état neuf et affectées à des opérations de recherche scientifique et technique, les

dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et

exclusivement affectés à ces opérations, les dépenses de fonctionnement fixées

forfaitairement à 50% des dépenses de personnel exigible, les frais de défense des brevets, les

dotations aux amortissements des brevets, les frais de dépôt des dessins et modèles… Les

dépenses éligibles doivent correspondre à des opérations de recherche localisées au sein de

l’UE ou dans un Etat partie à l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une

convention fiscale contenant une clause d’assistance administrative. Lorsque le groupe sous-

traite une partie de ses opérations de recherche à des centres de recherche, le donneur d’ordre

français bénéficie du crédit d’impôt recherche non seulement pour les dépenses de recherche

qu’il réalise lui-même mais également pour celles qu’il sous-traite, et ce, peu important que le

sous-traitant se situe en France ou à l’étranger, mais cette déduction est limitée à trois fois le

montant total des autres dépenses de recherche et développement ouvrant droit

au crédit d’impôt. Toutes ces dépenses ouvrent alors droit à un crédit d’impôt dont il convient

d’exposer brièvement le fonctionnement (B).

21 CE 7 juillet 2006 n°270899

16

B- Fonctionnement:

Les dépenses éligibles ouvrent droit à un crédit d’impôt de 30% de la fraction des

dépenses effectuées au cours de l’année si ces dernières n’excèdent pas cent millions d’euros.

Le taux est alors de 5% pour la partie excédentaire. Ce taux de 30% est ramené à 40% et 35%

au titre de la première puis de la deuxième année lorsque l’entreprise n’a pas bénéficié du

crédit d’impôt recherche au cours des cinq années précédentes et que cette entreprise n’a pas

de lien au sens de l’article 39,12 du CGI avec une entreprise ayant bénéficié d’un crédit

d’impôt recherche pendant ces cinq années.

Le crédit d’impôt recherche s’impute sur l’impôt (IR ou IS) dont la société est

redevable au titre de l’année au cours de laquelle les dépenses de recherche ont été exposées.

Le crédit excédentaire constitue alors une créance sur l’Etat dont la société peut demander le

remboursement. Les PME au sens communautaire ont droit au remboursement anticipé.

Ce crédit d’impôt peu donc s’avérer très intéressant pour les sociétés, qui peuvent

avoir intérêt à implanter leur centre de recherche et développement en France, et même

parfois l’incorporel lui-même du fait des autres avantages qui y sont directement liés, tels que

la possibilité d’amortir (§2).

2°) La possibilité d’amortir certains incorporels : Une possibilité décevante ?

Le droit fiscal français reconnait la possibilité d’amortir des incorporels, ce qui peut

être intéressant pour les entreprises (A) Or, cette possibilité s’avère, pour certains incorporels

assez marginale, rendant alors ce régime moins attractif (B).

A- Une possibilité d’amortir…

L’amortissement des actifs incorporels est admis, mais seulement à la condition qu’il

soit normalement prévisible, dès la création ou l’acquisition de l’incorporel, que les effets

bénéfiques de celui-ci sur l’exploitation prendront fin à une date déterminée22

.

Une telle possibilité est dès lors ouverte aux brevets23

qui ont, par définition, une durée

de vie limitée (la durée de leur protection étant limitée) et dont on peut, de façon certaine,

anticiper la fin de leurs effets bénéfiques. La jurisprudence, toujours selon le même

raisonnement, a également reconnu l’amortissement d’un logiciel24

, de procédés industriels,

de savoir-faire, de modèles et dessins25

, et d’une autorisation de mise sur le marché d’un

médicament26

.

Cependant, cette condition de prévisibilité de la fin des effets bénéfiques peut poser

problème dans le cas d’incorporels particuliers et donc restreindre la possibilité des

entreprises d’amortir leurs incorporels (B).

B- … qui ne bénéficie pas à tous les incorporels :

Face à certains types d’incorporels, le critère dégagé par la jurisprudence pour

autoriser l’amortissement n’est pas toujours très pertinent. On citera ici l’exemple des

22 CE 3 février 1989, n°58260 23 CE 24 avril 1981 n° 9665 24 CE 6 décembre 1985, min. c/ Sofilec 25 CE 10 octobre 1960 n° 45183 26 CE 14 octobre 2005, n°260511

17

marques. En effet, les marques revêtent une importance considérable dans le patrimoine des

entreprises. Il n’est ainsi pas rare qu’un vêtement ou un accessoire doive toute sa valeur à la

marque qu’il porte plutôt qu’à sa fabrication, sa qualité… Dès lors, il est intéressant pour les

entreprises propriétaires de marques de pouvoir les amortir.

Par un arrêt du 28 décembre 200727

, le Conseil d’Etat a explicitement admis la

possibilité d’amortissement d’une marque à la condition qu’il soit possible de déterminer la

durée prévisible durant laquelle cette marque produira des effets bénéfiques pour

l’exploitation. Il reprend ici le critère développé dans les précédentes jurisprudences. Or, un

tel critère de prévisibilité des effets bénéfiques est ici d’une application délicate. La marque,

dont l’existence est subordonnée à son simple renouvellement périodique par son propriétaire,

a par définition une durée illimitée, et donc est susceptible de produire des effets bénéfiques

pendant une période qui ne peut être déterminée avec prévisibilité. On constate donc que,

même si cette possibilité est admise, elle reste en réalité très marginale. On peut imaginer que

l’amortissement soit reconnu dans le cas de biens dont la durée de vie est en elle-même

réduite du fait de fortes évolutions, et ce, notamment dans le domaine des technologies : les

voitures, les lecteurs mp3… Dans ces hypothèses, l’amortissement semble possible. Il s’agira

donc, face à chaque incorporel, de déterminer selon les faits d’espèce si la durée de ses effets

bénéfiques peut être déterminée.

Au-delà de cette possibilité d’amortir, d’autres avantages existent, tels que le bénéfice

d’un taux réduit (§3).

3°) L’application d’un taux réduit sur les résultats dérivant de l’exploitation de la

propriété industrielle (article 39 terdecies du CGI) :

Certains revenus dérivés de l’exploitation de droits de propriété industrielle

bénéficient du taux réduit des plus-values à long terme soit un taux de 15% (impôt sur les

sociétés) ou de 16% (impôt sur le revenu)

Il s’agit des plus-values de cession et des produits de concession de licences d’exploitation

(exclusives ou non) portant sur des brevets, des inventions brevetables, des perfectionnements

apportés à ces droits mais aussi sur les procédés de fabrication industriels qui en constituent

un accessoire indispensable.

Ce taux concerne également les produits de sous-concession portant sur les droits

précédemment cités, mais à la double condition que la société concédante n’en ait pas déjà

bénéficié, et que la sous-concédante prouve que l’opération est réelle et qu’elle est créatrice

d’une valeur ajoutée sur l’ensemble de la période d’exploitation de la licence concédée.

Pour les cessions de droits de propriété industrielle, le taux réduit ne s’applique, en revanche

pas, s’il existe entre les sociétés cédantes et cessionnaires des liens de dépendance.

Ce régime s’applique également aux cessions ou concessions de marques de fabrique, de

savoir-faire, de secrets de fabrique, et de certificats d’obtention végétale.

Malgré son caractère relativement attractif en matière d’incorporels, le système fiscal

français doit faire face à une concurrence redoutable de la part des autres Etats membres de

l’UE qui peut lui être dommageable (Section 3).

27 CE, 9e et 10e s.-s., 28 décembre 2007, min c/ SA Domaine Clarence Dillon

18

Section III- Une concurrence accrue au sein même des Etats de l’Union européenne.

Au sein de l’Union européenne, les Etats membres se livrent une concurrence subtile

mais acharnée pour attirer sur leur territoire les biens incorporels et le potentiel de profit qui

s’y attache, de sorte que l’on peut, dans certain cas, parler de véritable dumping fiscal

européen (§1), dumping dont la survivance peut s’avérer menacée par le projet actuel

d’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés ou ACCIS (§2).

1°) L’existence d’un dumping fiscal européen.

Il s’agira ici d’exposer quelques aspects de certains régimes fiscaux d’Etats membres

de l’Union européenne, la Belgique (A), le Luxembourg (B) et les Pays-Bas (C), afin

d’illustrer la concurrence que se livrent les Etats membres dans l’attraction des incorporels sur

leur territoire.

A- Le cas de la Belgique :

Deux aspects du régime fiscal belge en matière d’actifs incorporels méritent d’être

présentés ici.

Tout d’abord, la loi-programme du 27 avril 2007 prévoit une déduction de 80% des

revenus perçus au titre des cessions, des concessions et des sous-concessions de brevets. Cette

déduction s’applique aussi bien aux brevets développés en interne par la société qu’aux

brevets acquis par elle. Cette déduction est donc accordée aux sociétés qui reçoivent des

revenus de licence, ainsi qu’aux sociétés utilisant le brevet pour une activité de fabrication.

Dans ce dernier cas, la déduction de 80% porte sur la redevance que la société aurait facturée

si elle avait donné son brevet en licence à un tiers. Mais cette déduction ne concerne pas les

marques, les droits d’auteur ainsi que le savoir-faire.

En outre, bien que n’étant pas réservé aux incorporels, la Belgique dispose d’un

dispositif de déduction d’un intérêt notionnel, qui permet aux sociétés de déduire un intérêt

fictif. Le taux de cet intérêt est annuellement fixé. Ce dispositif peut se combiner avec celui

de la déduction de 80%, ce qui rend le système belge particulièrement attrayant.

A noter, par ailleurs, que la Belgique connait également un mécanisme de crédit

d’impôt recherche, qui prévoit notamment un régime fiscal et social allégé pour les

chercheurs.

B- Le cas du Luxembourg :

Le régime fiscal des incorporels luxembourgeois s’avère également très compétitif.

Une loi du 21 décembre 2007 a introduit une exonération de 80% des revenus nets et

des plus-values issus de brevets, de dessins et modèles, de marques et de logiciels qui ont été

acquis ou développés à compter du 31 décembre 2007. Cependant, cette exonération ne

s’applique pas à raison des incorporels acquis auprès d’une société liée, étant précisé que la

qualité de sociétés liées concerne les sociétés mères et filiales mais aussi les sociétés sœurs et

suppose une participation de 10%. Dans le cadre de ce dispositif, une déduction notionnelle

est autorisée au profit des contribuables qui développent eux-mêmes les brevets qu’ils

utilisent dans leur processus de production, cette déduction étant égale à 80% de la

rémunération nette que la société aurait facturée si elle avait concédé l’usage du brevet à un

tiers.

19

C- Le cas des Pays-Bas :

Les Pays-Bas ont mis en place un système dit de patent box mais également

d’innovation box. Ce dispositif consiste en l’imposition à un taux effectif d’imposition réduit

de 5% sur les revenus tirés de la concession ou de la cession de brevets, ainsi que des actifs

pour lesquels un certificat de recherche et développement a été accordé par l’administration

fiscale néerlandaise, et qui sont développés en interne. Pour pouvoir bénéficier de ce taux

réduit, il faut, par ailleurs, que ces actifs génèrent plus de 30% des revenus totaux attribuables

aux actifs incorporels relevant du régime. Enfin, ce régime ne s’applique pas aux marques,

aux logos et droits similaires, sauf si l’acquéreur leur apporte des développements

complémentaires.

A noter que les Pays-Bas disposent également d’un dispositif d’amortissement pour la

création et l’acquisition d’incorporels.

Au vue de ces exemples, on note qu’il existe bien au sein de l’UE une forte

concurrence en matière d’incorporels, mais se pose la question de savoir si cette dernière ne

va pas être anéantie par le projet ACCIS (§2).

2°) Le projet ACCIS : Vers la fin du dumping fiscal européen ?

La Commission a fait, le 16 mars 2011, une proposition de directive sur la mise en

place d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS). L’ACCIS

peut apparaitre comme un moyen de lutter contre le dumping fiscal existant au sein de

l’Union européenne (A). On peut toutefois se demander si tel sera le cas en matière

d’incorporels (B).

A- L’ACCIS, comme moyen de lutte contre le dumping fiscal en Europe :

Il est prévu que l’ACCIS s’appliquera aux sociétés résidentes d’un Etat membre de

l’UE, ainsi qu’aux établissements stables européens de sociétés non résidentes d’un Etat

membre. Pour être éligible, des conditions de participation sont fixées. Ainsi la société mère

devra détenir plus de 50% des droits de vote, et plus de 75% du capital de la société ou plus

de 75% des droits sur le bénéfice.

En ce qui concerne la détermination du résultat imposable, il s’agira de calculer, dans

un premier temps, le résultat individuel de chaque société conformément aux règles de

détermination prévues par la directive, puis de consolider ces résultats au niveau de la société

mère, ce qui aurait pour conséquence de neutraliser tous les flux intragroupe. Une fois

l’assiette consolidée calculée, il faudra procéder à sa répartition entre les divers Etats

concernés. Pour cela, une clé d’allocation a été prévue. Celle-ci s’appuie sur trois facteurs : la

main d’œuvre (masse salariale et effectif), les immobilisations corporelles et le chiffre

d’affaires. Cette clé pouvant être dans certains cas exclue par une clause de sauvegarde, ainsi

notamment si la quote-part attribuée à un membre du groupe ne reflète pas fidèlement son

volume d’activité. Enfin, chaque Etat appliquera son taux d’impôt sur les sociétés à la quote-

part d’assiette lui ayant été attribuée. L’ACCIS ne constitue, en effet, pas une harmonisation

des taux, même si l’on peut considérer qu’elle favorise une potentielle harmonisation dans le

futur.

Cette harmonisation de l’assiette aura pour effet de mettre en place une concurrence

fiscale loyale entre les Etats. En, effet, l’assiette étant désormais commune, la seule

concurrence qui restera possible sera celle fondée sur les taux d’impôt sur les sociétés.

20

L’ACCIS conduira à rendre visible une telle concurrence, alors qu’à l’heure actuelle elle ne

l’est pas toujours. On peut donc voir l’ACCIS un moyen de mettre fin au dumping fiscal

existant actuellement en Europe. Il convient néanmoins de souligner que la proposition de

directive prévoit que ce régime sera optionnel. Aussi, on peut penser que, pour les sociétés

n’ayant pas opté, la concurrence pourra encore avoir de beaux jours devant elle. Cependant, le

19 avril 2012, le Parlement européen a adopté une résolution se prononçant en faveur du

caractère obligatoire de l’ACCIS pour les sociétés, excepté pour les PME.

On peut incontestablement dire que l’ACCIS représente un dispositif de lutte contre le

dumping fiscal. Mais qu’en est-il exactement en matière d’incorporels ? (B).

B- ACCIS et incorporels : La fin du dumping ?

Il semble que les Etats ayant mis en place des régimes fiscaux privilégiés pour les

incorporels soient les grands perdants de cette réforme. En effet, les incorporels n’entrent pas

dans la clé de répartition de l’assiette consolidée. Aussi, les Etats où sont localisés, plus ou

moins artificiellement, des incorporels du seul fait de la fiscalité avantageuse qui leur est

proposée, ne se verraient pas attribuer une part importante de l’assiette (s’ils ne disposent pas

par ailleurs de nombreux actifs corporels, salariés et d’un chiffre d’affaires important). Cela

aurait pour conséquence de les rendre beaucoup moins attractifs.

Cependant, là encore la prudence s’impose tant que le caractère optionnel ou

obligatoire de l’ACCIS ne sera pas tranché. En effet, s’il est finalement décidé que l’ACCIS

sera optionnel, les groupes devront arbitrer leur choix et déterminer s’il est plus avantageux

pour eux de se placer sous ce régime ou pas. Lorsqu’ils seront détenteurs de nombreux

incorporels, l’ACCIS ne leur sera pas forcément bénéfique. On peut, par conséquent, très bien

imaginer que les Etats continueront à proposer des régimes fiscaux très attractifs aux sociétés

à raison de leurs incorporels, lesquelles n’auraient qu’à ne pas opter pour l’ACCIS pour

continuer, comme aujourd’hui, à en bénéficier. Dans ce cas, le dumping fiscal en matière

d’incorporels resterait de mise. En revanche, s’il est acquis que l’ACCIS est obligatoire, cette

dernière constituera un dispositif permettant de mettre un terme à la concurrence fiscale

portant sur les incorporels.

La concurrence en matière d’incorporels ne semble donc pas tout à fait éliminée par le

projet ACCIS, et ce, d’autant plus que les Etats de l’UE, même les plus attractifs fiscalement,

doivent à leur tour faire face à la concurrence des Etats tiers notamment des pays émergents

(Section 4).

Section IV- Une concurrence renforcée au niveau international par le développement

des pays émergents.

Si traditionnellement les Etats se mènent, au niveau international, une concurrence

importante pour attirer les incorporels et les revenus qu’ils génèrent sur leur territoire. Cette

concurrence se trouve depuis quelques années fortement accrue du fait du développement des

pays émergents qui, à leur tour, souhaitent attirer ces actifs. Pour se rendre compte de

l’importance de ce phénomène, nous décrirons ici brièvement certains aspects du régime

fiscal de deux de ces Etats : l’Inde (§1) et la Chine (§2).

21

1°) L’exemple de l’Inde.

L’Inde connait, depuis une dizaine d’années environ, un important développement, et

accueille de plus en plus de centres de recherche et développement de grands groupes

internationaux. Outre sa situation géographique, sa main-d’œuvre qualifiée, et ses moindres

coûts, l’attractivité de l’Inde en matière d’incorporels s’explique par certains dispositifs

fiscaux qui y sont mis en œuvre, et dont on en citera deux : la mise en place de fortes

exonérations (§1), accompagnées de déductions très favorables (12).

A- La mise en place d’exonérations d’impôts très attractives :

Il convient, tout d’abord, de signaler que l’Inde octroie une exonération d’impôt sur

les sociétés sur quinze ans très intéressante. Il y a, dans un premier temps, une exonération de

100% pendant cinq ans. Puis elle se réduit à 50% pour les dix années suivantes. De telles

exonérations sont donc très favorables à l’implantation de sociétés dans ce pays, puisqu’elles

permettent de contrebalancer le fait que, dans les premières années, les investissements sont

plus importants et le retour sur investissement moindre. Ces exonérations facilitent

l’implantation des sociétés.

Il existe également des exonérations de taxes indirectes sur l’export de services,

notamment sur l’export de prestations de recherche et développement, pour des entités qui se

situent dans des « Special Economic Zones » (SEZ), lesquelles constituent des zones

exonérées d’impôts. Si une entreprise nouvelle étrangère s’installe donc dans cette zone, elle

pourra, en plus de l’exonération d’impôt sur les sociétés, bénéficier de l’exonération de

l’export de ses prestations et notamment de recherche et développement. Ainsi, un centre de

recherche et développement qui agit pour le compte d’un donneur d’ordre étranger en

bénéficiera, ce qui incite à l’implantation de tels centres en Inde.

Mais les avantages offerts par l’Inde comprennent en plus de ces exonérations des

déductions fiscales (B).

B- Un système de déductions fiscales défiant toute concurrence :

Le système fiscal indien prévoit que les sociétés opérationnelles peuvent déduire

200% des dépenses qu’elles ont engagées pour certains équipements destinés à la recherche et

développement. Pour cela, le secteur doit être éligible à cette super déduction. C’est le cas

notamment de l’industrie pharmaceutique, des biotechnologies, des équipements

électroniques et des télécommunications…

Depuis le 1er avril 2012, plusieurs autres déductions fiscales viennent s’ajouter. On

peut, ainsi, citer une déduction de 200% sur les dépenses engagées en matière de création et

de maintenance d’équipements internes de recherche et développement.

Ces déductions montrent bien la préoccupation du gouvernement indien d’offrir un

système fiscal très avantageux en matière de recherche et développement pour se positionner

comme un haut lieu de la recherche et du développement. D’autres pays émergents aspirent

également à cela : C’est le cas de la Chine (§2).

2°) L’exemple de la Chine.

Depuis 2000 environ, la recherche connait un très fort développement en Chine. Cela

s’explique notamment par la mise en place d’une importante politique publique qui met

22

l’innovation et les nouvelles technologies au centre de la croissance économique chinoise, et

qui met l’accent sur le développement de la recherche non seulement financièrement mais

également humainement.

A cette politique publique, s’ajoutent un certain nombre de régimes fiscalement

incitatifs au développement de la recherche dont, notamment, une très forte déduction des

dépenses de recherche et développement (A) ainsi que la mise en place d’un taux réduit

d’imposition (B).

A- La mise en place d’une super-déduction des dépenses de R&D :

La Chine a mis en place une super-déduction de 150% des dépenses de recherche et

développement (R&D). Ainsi, une société chinoise ou même une société étrangère disposant

d’une filiale en Chine peut, sous certaines conditions, déduire 150% des dépenses de

recherche et développement qu’elle supporte en Chine. Cette super-déduction, alliée à une

politique publique propice ainsi qu’à une main d’œuvre avantageuse, constituent autant de

facteurs de nature à inciter les entreprises étrangères à développer leur recherche en Chine. On

peut, d’ailleurs, signaler que la Chine est très active dans ce domaine, puisqu’elle est le

troisième déposant de brevets au niveau mondial. Cette déduction se combine avec un taux

réduit d’imposition (B).

B- Un taux réduit d’imposition, en faveur d’une localisation de la propriété intellectuelle

en Chine :

Alors que le taux de droit commun est de 25%, la Chine a prévu, en matière d’impôt

sur les sociétés, un taux réduit de 15% réservé aux entreprises de nouvelle et haute

technologie. Le bénéfice de ce taux suppose la réunion de conditions plutôt rigoureuses : la

détention en Chine des brevets et de la propriété intellectuelle liée à la recherche, ou l’octroi

d’une licence mondiale et exclusive de la propriété détenue en dehors de Chine à une filiale

chinoise, et ce, pendant cinq ans… Si les conditions sont remplies, le bénéfice du taux réduit

est octroyé pour trois ans renouvelables sur demande. Ainsi, pour pouvoir bénéficier de ce

taux, une société étrangère ou la filiale en Chine d’une société étrangère doit localiser en

Chine les brevets issus de son activité de recherche qui y est effectuée. On comprend bien ici

la logique sous-jacente de cette mesure qui est d’inciter la localisation des incorporels en

Chine et donc les revenus qu’ils génèrent, et non pas seulement les fonctions de recherche et

développement.

Au vue de tous ces exemples, il apparait clairement que les actifs incorporels

constituent un enjeu important pour les groupes de sociétés et les administrations fiscales.

Mais si cette concurrence peut s’avérer propice à l’Etat le plus attractif, cela se fait au

détriment de ceux qui le sont moins, qui voient alors leur base taxable s’amoindrir, et qui, face

à la complexité des incorporels et de leurs structures d’exploitation, ne sont pas toujours en

mesure d’appréhender tous les éventuels transferts d’incorporels venant y préjudicier

(Chapitre 2).

23

Chapitre 2 :

L’identification et l’exploitation des incorporels : Des facteurs de risque pour la répartition du droit d’imposer.

Les incorporels, plus encore que les actifs corporels, constituent des facteurs de risque

pour la répartition du droit d’imposer entre les Etats. Actifs au fort potentiel de migration, leur

caractère protéiforme et incertain (Section 1), allié à la complexification croissante de leurs

modes de création et d’exploitation, s’avèrent parfois propices aux transferts de matière

imposable (Section 2), les Etats n’étant pas toujours en mesure d’identifier l’existence d’un

transfert d’incorporel donnant lieu à un déplacement illégitime de base taxable.

Section I- Les incorporels : Une notion protéiforme aux contours aléatoires.

Les biens incorporels présentent des formes très distinctes les unes des autres : Cette

notion regroupe, en effet, une multitude de notions très différentes (§1). Cette multiplicité

rend, de ce fait, la notion générique d’incorporels difficilement saisissable et tend, avec la

pratique, à un élargissement de ce concept (§2).

1°) Une notion protéiforme :

Les incorporels ne constituent pas une catégorie homogène, mais une multitude de

biens aux caractéristiques très différentes qui tendent à se multiplier (B), ce phénomène étant

favorisé par l’absence d’une définition claire, précise et unique de ce qu’est un incorporel (A).

A- Absence d’une définition claire et unique:

Il n’existe pas de définition claire et unique de ce que constitue un incorporel, étant

précisé qu’une telle définition ne semble ni souhaitable ni même envisageable.

1- Absence d’une définition unique :

Le concept de biens incorporels ne fait pas, à l’heure actuelle, l’objet d’une définition

unique et unanimement admise. Ce concept se trouve, en effet, différemment appréhendé par

les différents domaines qui traitent de cette notion (propriété intellectuelle, comptabilité, prix

de transfert…) mais également par les Etats qui n’en retiennent pas toujours la même vision.

Au titre des définitions existantes, on peut citer celle donnée, en matière comptable,

par l’article 211-1-3 du Plan comptable général, selon laquelle « une immobilisation

incorporelle est un actif non monétaire sans substance physique ».

Le droit de la propriété intellectuel semble, quant à lui, ne pas définir les incorporels

en général, mais procéder à différentes classifications, dont la plus générale est celle

distinguant entre la propriété industrielle (brevets, marques, savoir-faire technique…) et la

propriété littéraire et artistique (droits d’auteur…), et prévoir pour chacune un régime

particulier.

La fiscalité ne donne pas non plus de définition des incorporels. Elle se base pour cela

sur la comptabilité (conformément à l’article 38 quater de l’Annexe III du CGI). Toujours en

matière fiscale, mais de façon plus précise encore, on peut citer le cas des principes directeurs

édictés par l’OCDE en matière de prix de transfert, lesquels consacrent un chapitre aux biens

24

incorporels (chapitre 6), où là encore aucune définition n’est posée, mais simplement une liste

énumérative et non limitative aux termes de laquelle constituent des biens incorporels les

droits d’utilisation d’actifs industriels tels que les brevets, les marques de fabriques, les noms

commerciaux, les dessins et modèles, mais également la propriété littéraire et artistique, ainsi

que la propriété intellectuelle telle que le savoir-faire ou les secrets industriels ou

commerciaux.

Bien que quelques points communs puissent émerger de ces différentes définitions,

comme le fait qu’un incorporel constitue en général un bien non tangible et qu’il est source de

profits, cela ne suffit pas à établir une définition unique, définition qui n’est d’ailleurs ni

souhaitable ni envisageable.

2- Une définition unique non souhaitable et non envisageable :

On pourrait penser qu’une définition unique de la notion d’incorporels constituerait un

cadre intéressant et nécessaire. D’une part, pour les Etats qui, de ce fait, se trouveraient en

possession d’un instrument leur permettant d’identifier de façon précise les incorporels et leur

éventuel transfert, et qui faciliterait également les redressements internationaux en matière de

prix de transfert en permettant d’éviter les divergences entre les administrations fiscales des

différents Etats sur la notion d’incorporel. D’autre part, du point de vue des entreprises, cela

leur offrirait une plus grande sécurité juridique dans la mesure où leurs incorporels étant

précisément définis, les redressements fondés sur un incorporel non identifié ne seraient plus

possibles. Cependant, une telle définition n’est, en réalité, pas envisageable. En effet, les

incorporels se constituent d’une multitude de biens présentant des caractéristiques

particulières très fortes rendant, de ce fait, une définition globale impossible. En effet,

comment formuler une définition unique s’appliquant aux brevets, aux marques, aux logiciels,

aux savoir-faire, aux secrets industriels… ?

En outre, il ne serait pas non plus pertinent de procéder à une définition par le biais

d’une liste limitative des incorporels. Comme le souligne Caroline Silberztein, dans le cadre

du projet OCDE en matière de prix de transfert et d’incorporels, une telle liste ne serait « ni

souhaitable ni réaliste »28

. Elle aboutirait, en effet, à exclure du contrôle exercé par les

administrations un certain nombre d’incorporels dont l’existence et l’importance n’est pas

discutable, et donc à favoriser des schémas fiscalement très optimisants. Il semble donc que la

seule solution souhaitable pour appréhender de manière efficace les incorporels soit, toujours

selon Caroline Silberztein, de « dégager des principes généraux qui permettent

l’identification d’incorporels de valeur, et au-delà de celle-ci qui permettent de répondre à la

question de savoir si ces incorporels sont utilisés ou transférés, s’ils seraient rémunérés entre

parties indépendantes, et dans ce cas comment »29

. Une telle solution semble, en effet, la plus

adéquate face à la multiplication des incorporels (B).

B- Une multiplication des incorporels:

Les incorporels constituent une catégorie protéiforme qui ne cesse de s’agrandir, et

qui, en vue de mieux la cerner, donne lieu à plusieurs typologies dont une particulière

consistant à opposer incorporels de commercialisation et incorporels manufacturiers.

28 « Prix de transfert et actifs incorporels : travaux en cours de l’OCDE », Caroline Silberztein, Dr. Fiscal n°20, 19 mai 2011, 344. 29 Ibid

25

1- La distinction entre incorporels de commercialisation et incorporels manufacturiers :

Une distinction est traditionnellement faite entre les incorporels de commercialisation

et les incorporels manufacturiers (ou biens incorporels commerciaux). Présente au chapitre 6

des principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert concernant les

incorporels, cette distinction est souvent reprise par les auteurs.

Les incorporels manufacturiers (ou biens incorporels commerciaux) « comprennent les

brevets, le savoir-faire, les dessins et modèles qui sont utilisés pour la production d’une

marchandise ou pour une prestation de services, ainsi que les biens incorporels qui

constituent eux-mêmes des actifs d’une entreprise transférés à des clients ou utilisés dans

l’exploitation de l’entreprise (par exemple les logiciels informatiques) »30

. Les incorporels de

commercialisation comprennent, quant à eux, « les marques de fabrique ou de commerce et

les noms commerciaux qui concourent à l’exploitation commerciale d’un produit ou d’un

service, la clientèle, les réseaux de distributions et les désignations, symboles ou graphismes

uniques qui ont une forte valeur promotionnelle pour le produit en cause »31

.

Cette distinction permet de cerner les incorporels entrant dans chaque classification en

fonction de leur objet, de mettre en exergue leurs particularités, pour ensuite mieux exposer

les spécificités des biens incorporels en général au vue des prix de transfert et les adaptations

qu’ils requièrent dans le cadre de l’identification et de la détermination du prix de transfert.

La question de l’utilité et de la pertinence de telles typologies a été posée dans le cadre du

projet OCDE relatif aux prix de transfert en matière d’incorporels : Il a été mis en avant l’idée

que ces classifications n’avaient d’intérêt que si elles s’accompagnaient de règles différentes

et propres à chacune d’entre elles, et il a été admis que cette question serait examinée par

l’OCDE32

. Par ailleurs, on peut souligner le fait que cette typologie ne permet pas toujours, à

l’heure actuelle, de tenir compte de l’extrême diversité des incorporels et surtout du

développement de nouveaux incorporels.

2- Des incorporels classiques vers de nouveaux incorporels :

Alors que les incorporels semblaient auparavant se limiter aux incorporels dits

classiques tels que les brevets, les marques ou encore les savoir-faire, de nouveaux

incorporels se sont progressivement imposés complexifiant d’avantage cette matière.

On peut citer, à titre d’exemple, ce que l’on appelle les incorporels dits marketing. Il

peut s’agir d’incorporels détenus par le distributeur d’une marque au niveau local. Le plus

souvent, il arrive que ce dernier assume un certain nombre de dépenses au niveau du marché

local pour développer la marque qu’il distribue : dépenses de publicité, de marketing, de

promotion. Ces dépenses peuvent être d’autant plus importantes qu’elles peuvent reposer sur

une marque déjà localement connue, tel que l’illustre le cas Maruti Suzuki33

. La société

Suzuki (fabriquant automobile japonais) prend une participation dans une société automobile

indienne (Maruti). Cette dernière est localement très connue (en Inde), alors que l’autre non.

Une licence est alors mise en place, aux termes de laquelle Maruti s’engage à commercialiser

les produits sous le nom « Maruti Suzuki », et bénéficie d’un transfert de connaissances

30 Principes de l’OCDE applicable en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, chapitre 6 Considérations particulières applicables aux biens incorporels, B1, 6.3. 31 Principes de l’OCDE applicable en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, chapitre 6 Considérations particulières applicables aux biens incorporels, B1, 6.4. 32 « Prix de transfert et actifs incorporels : travaux en cours de l’OCDE », Caroline Silberztein, Dr. Fiscal n°20, 19 mai 2011, 344. 33 Décision de la Cour Suprême Indienne du 1er octobre 2010, Maruti Suzuki India Ltd vs Additional Commissionner.

26

techniques de la part de Suzuki (savoir-faire, secrets commerciaux…), Maruti versant en

contrepartie une redevance à Suzuki. L’administration fiscale indienne avance alors l’idée que

Maruti versait un montant trop élevé de redevance à Suzuki, dans la mesure où cette dernière

n’avait pas contribué à la pénétration et au développement de la marque sur le marché indien,

mais avait au contraire bénéficié de toutes les dépenses qu’avaient subies Maruti pour

s’installer durablement sur le marché indien. De telles dépenses ajoutent donc de la valeur à la

marque exploitée et peuvent conduire à l’émergence d’un nouvel incorporel.

L’émergence de nouveaux incorporels se retrouve également dans la reconnaissance

de « soft intangibles » au titre desquels on peut citer la continuité d’exploitation (going

concern), les avantages de localisation (location savings), la main-d’œuvre en place

(workforce in place), l’avantage du premier entrant sur un marché (Market premium), le

potentiel de profits…

Aux incorporels traditionnels, s’ajoutent donc de nouveaux incorporels dont on ne sait

pas toujours définir avec exactitude les limites, et qui posent la question de l’élargissement de

la notion d’incorporels (§2).

2°) Des contours incertains : Vers un élargissement progressif de la notion

d’incorporels ?

L’absence de définition générale des incorporels, ainsi que la pratique des

administrations et des sociétés, conduisent à se poser la question des contours de cette notion

qui apparaissent très incertains. Alors que ce concept apparait flou par nature, la question se

pose avec d’autant plus de force dans des domaines tels que les prix de transfert. En effet,

certains incorporels posent de véritables interrogations quant à leur possible qualification

d’incorporels au sens du contrôle des prix de transfert (A), ce qui pose la question d’une

approche extensive de la notion d’incorporels (B).

A- Les difficultés d’identification de certains incorporels stratégiques pour la répartition

du droit d’imposer :

Certains biens incorporels, qui peuvent s’avérer stratégiques pour les sociétés, posent

de véritables problèmes quant à leur qualification en tant qu’incorporels. On peut, à ce titre,

citer l’accumulation de pertes d’un groupe, les clients intra-groupe, ou encore une équipe

reconnue d’expert dans un domaine, un département d’achats, une centrale de trésorerie…

Autant de biens qui, s’ils constituent assurément des incorporels au sens commun du terme,

laissent flotter une incertitude quant à une telle qualification au regard du droit fiscal et plus

précisément des prix de transfert. On peut également citer le cas des « soft intangibles » que

l’on a cités précédemment, et qui incontestablement posent des problèmes d’identification

tant leur appréhension et leur valorisation s’avèrent complexes.

De tels incorporels sont porteurs d’une grande valeur économique pour les sociétés

concernées. Or, s’ils sont transférés au sein d’un groupe, tout le potentiel de profit qui leur est

attaché le sera également. Il résulterait de cela une érosion de la base taxable de

l’administration, et des stratégies fiscales très profitables pour les sociétés. La répartition du

droit d’imposer entre les Etats s’en trouverait donc atteinte.

Reprenons l’exemple du transfert d’un groupe d’experts reconnus dans un domaine.

On peut ainsi imaginer le cas où un groupe d’experts reconnus dans un domaine, par exemple

dans le développement d’une technologie précise, soit transféré entre entités d’un même

27

groupe. Ce n’est pas tant le transfert de l’équipe qui doit être considéré comme un incorporel,

mais le transfert du savoir-faire qui lui est afférent. Ces connaissances représentent sans aucun

doute un incorporel d’une valeur importante. Or il n’est pas toujours évident d’identifier un tel

transfert.

Par ailleurs, l’identification d’incorporels se révèle d’autant plus complexe que la

frontière entre de tels biens et des prestations de service est parfois très mince. On peut ici

reprendre l’exemple des incorporels marketing : Doit-on considérer que le distributeur qui

exploite localement une marque est un prestataire de service (services promotionnels) et doit

être rémunéré comme tel, ou au contraire, qu’il développe un bien incorporel de

commercialisation lui ouvrant droit à une fraction des revenus supplémentaires liés à cet

incorporel ? La frontière n’est donc pas évidente, et a un impact indiscutable sur la

détermination de la rémunération.

Tous ces nouveaux incorporels dont l’identification apparait délicate conduisent à

s’interroger sur les contours de la notion d’incorporels en général qui semblent s’élargir de

plus en plus et tendre vers une approche de type goodwill (B).

B- Vers une approche extensive des incorporels de type « goodwill » ?

Le développement des incorporels par la pratique mais également par l’appréhension

qu’en font les administrations fiscales lors des contrôles de prix de transfert semble conduire à

une approche extensive des incorporels de type goodwill. La notion de goodwill n’étant pas

ici entendue comptablement ou financièrement mais plutôt dans un sens générique.

Le goodwill au sens comptable et financier entre bien évidemment dans la catégorie

des incorporels, et de façon plus précise dans celle des « soft intangibles ». Le goodwill se

présente sous deux perspectives différentes. D’une part, il fait l’objet d’une approche

économique dans laquelle il est entendu comme la valeur actuelle de profits économiques

espérés. D’autre part une approche comptable du goodwill existe également, aux termes de

laquelle le goodwill correspond à l’écart positif entre la valeur d’acquisition d’un actif et sa

valeur comptable, cette survaleur étant liée à de nombreux facteurs incorporels non pris en

compte dans les documents comptables (positionnement sur un marché géographique,

notoriété d’une marque…). Le goodwill, en tant que survaleur lié à des éléments incorporels,

constitue donc bien un incorporel à lui-seul.

Ici, on s’intéresse au goodwill dans un sens générique, c’est-à-dire entendu comme la

création de valeur par un bien incorporel. La notion d’incorporel s’étant très significativement

élargie, on peut considérer qu’elle s’entend aujourd’hui de tout élément d’actif immatériel

susceptible de générer des profits, se rapprochant ainsi de la notion de goodwill. Le

développement des incorporels dits marketing ainsi que des « soft intangibles » en est l’une

des illustrations les plus flagrantes.

La question de l’extension de la définition des incorporels se pose d’ailleurs très

clairement dans le cadre du projet OCDE. Il s’agit de déterminer s’il est préférable de retenir

une définition restrictive (qui pourrait, par exemple, se limiter aux actifs reconnus au regard

du droit de la propriété intellectuelle) ou une définition extensive dans laquelle les incorporels

seraient entendus comme des facteurs de création de valeur.

Bien qu’une vision extensive des incorporels ne soit pas encore officiellement

reconnue, la pratique des groupes et des administrations fiscales tend de facto vers une telle

reconnaissance, ce qui rend leur identification difficile, et ce, d’autant plus que les structures

28

de création et d’exploitation de ces incorporels se sont elles-mêmes fortement complexifiées

(Section 2).

Section II- Une complexification des structures de création et d’exploitation des

incorporels propice aux transferts de matière imposable.

La façon dont les actifs incorporels sont créés et exploités est déterminante puisqu’elle

constitue le socle de la répartition des bénéfices au sein du groupe entre les différentes

sociétés intervenant au processus, et a par conséquent un impact indéniable sur le taux

d’imposition effectif de celui-ci. Conscients de cela, les groupes de sociétés tendent à choisir

des structures fiscalement optimisantes (bien que d’autres critères entrent en compte, et que le

facteur fiscal ne constitue pas toujours le déterminant). On assiste alors à une

complexification croissante de ces structures.

Le cycle de vie d’un incorporel connait plusieurs phases : son financement et son

développement qui posent notamment la question des rémunérations des fonctions de

recherche et développement, sa détention qui peut être centralisée, décentralisée voire

mutualisée, mais également son exploitation avec le problème sous-jacent des redevances et

des marges, et enfin sa fin de vie qui peut passer par un amortissement ou une dépréciation

total, une cession, ou donner lieu à la naissance d’un incorporel de 2ème

génération. Les

structures choisies doivent donc accompagner l’incorporel tout au long de sa vie sous

condition quelques fois de restructurations nécessaires à leur adaptation. Ces dernières sont

alors évolutives. Cette évolution se retrouve également dans les choix des groupes qui ont eu

tendance à adopter petit à petit une gestion décentralisée pour le développement de leurs

incorporels au détriment de la traditionnelle gestion centralisée (§1), et à diversifier les modes

d’exploitation de ces derniers (§2).

1°) Le développement des incorporels : D’une gestion centralisée à une gestion

décentralisée.

Le développement d’un incorporel suppose de nombreux investissements. Si ces

investissements étaient traditionnellement gérés de façon centralisée (§1), il apparait

clairement que les groupes privilégient désormais une gestion décentralisée (§2).

A- Le système traditionnel centralisé :

Traditionnellement, les groupes de sociétés adoptaient une structure centralisée pour le

développement de leurs incorporel. Une telle organisation se caractérise par la présence d’une

entité unique propriétaire de l’incorporel qui peut financer seule son développement ou alors

recourir à la sous-traitance.

1- Financement et propriété exclusifs :

L’hypothèse est celle dans laquelle la propriété du ou des incorporels d’un groupe est

centralisée au niveau d’une seule entité, qui en concèdera par la suite l’exploitation à des

filiales, membres du groupe ou pas, via la mise en place de licences par exemple. Dans

pareille hypothèse, la société est le propriétaire exclusif des incorporels. Une telle structure se

manifeste notamment dans le cas de ce que l’on appelle les holdings de propriété

intellectuelle. Cette structure ad hoc est donc juridiquement propriétaire des incorporels et a

vocation à recevoir le profit résiduel afférents à ces derniers (après rémunération des

29

différents intermédiaires d’exploitation). L’intérêt d’une telle structure est bien évidemment

de la localiser dans un Etat où elle est susceptible de bénéficier de régimes fiscaux favorables

(tels que ceux exposés précédemment, Cf. chapitre 1).

Pour ce qui est du financement, ce dernier peut être assuré de façon exclusive par la

société centralisatrice. Elle agit alors en tant que véritable entrepreneur. Mais, encore faut-il

qu’elle dispose des moyens suffisants pour assumer l’intégralité des coûts et des risques liés

au développement de l’incorporel. Situation qui est d’autant plus contraignante que, lors de la

phase de développement de l’incorporel, celui-ci ne rapporte pas de profit. Il faudra donc que

l’entité soit en mesure d’investir massivement sans avoir de retour sur invest issement

immédiat. La contrepartie est que cette entité pourra dans certains cas et sous certaines

conditions (qui sont fonction du régime fiscal de l’Etat où elle se situe) déduire de son résultat

fiscal les dépenses qu’elle a engagées, notamment par le biais des mécanismes de crédit

d’impôt recherche, conduisant ainsi à une diminution du taux effectif d’imposition du groupe.

2- Le recours à la sous-traitance :

Il arrive fréquemment que l’entité centralisatrice recourt à la sous-traitance pour le

développement de ses incorporels, via des contrats de recherche et développement. Cette

dernière agit alors comme donneur d’ordre à l’égard d’un sous-traitant qui exécutera les

missions de développement à sa demande. La société peut aussi bien sous-traiter à une société

du groupe qu’à une société indépendante. La sous-traitance peut alors permettre d’améliorer

et de rationnaliser l’efficacité du groupe, puisqu’elle conduit à une spécialisation des

activités : certaines entités étant en charge du financement et de la supervision de l’exécution

des missions qui, elle, est prise en charge par d’autres entités. Elle a également un impact

indéniable sur la répartition des bénéfices au sein du groupe.

Le sous-traitant, agissant en tant que prestataire de services, se verra généralement

rémunérer par une méthode de prix de revient majoré (« cost plus »), qui lui permettra ainsi

non seulement de couvrir les coûts qu’il a engagés mais également d’en tirer un certain profit

(une marge). L’avantage est qu’il ne supporte pas les risques afférents à la recherche et

développement : Même si cette dernière est un échec, il sera quand même rémunéré. A

l’inverse, il n’a bien évidemment pas vocation à bénéficier de l’incorporel ainsi développé,

c’est-à-dire de se voir attribuer une rémunération complémentaire en cas de succès. Le profit

résiduel lié à l’incorporel reviendra nécessairement à la société, donneur d’ordre, propriétaire

juridique de celui-ci : Elle pourra l’exploiter pleinement et en recevoir tous les revenus.

La gestion centralisée, avec ou sans recours à la sous-traitance, suppose que l’entité

centralisatrice soit en mesure d’investir assez massivement. Or, il n’est pas toujours possible

pour une telle entité de débourser autant d’argent, et ce d’autant plus qu’il n’y a pas de retour

sur investissement immédiat, d’où l’attractivité croissante des modèles décentralisés (B).

B- L’attractivité croissante des systèmes décentralisés : Le cas des « accords de

répartition des coûts » (« Cost Sharing Agreements ») :

Comme il a été indiqué précédemment, la gestion décentralisée classique peut s’avérer

trop contraignante en termes de coûts. Il est, dès lors avantageux, de recourir à des modèles

décentralisés permettant de partager ces coûts. On peut, pour cela, penser à constituer une

joint-venture, ou encore un groupement d’intérêt économique (voire un groupement européen

d’intérêt économique). Il existe, cependant, une forme particulière de gestion mutualisée de

l’incorporel et de ses coûts qui attire plus particulièrement les groupes de sociétés : C’est

l’accord de répartition des coûts ou « cost sharing agreement » (ci-après dénommé ARC).

30

L’ARC est défini par l’OCDE comme « un accord-cadre qui permet à des entreprises

industrielles ou commerciales de partager les coûts et les risques de la production ou de

l’obtention de biens, de services ou de droits, et de déterminer la nature et la portée des

intérêts de chacun des participants dans ces biens, ces services ou ces droits »34

. Il s’agit

donc, pour les participants à un tel accord, de se répartir entre eux les coûts et les risques

afférents à des incorporels préexistants (l’un des participants apporte un incorporel) ou à

développer, chacun étant alors propriétaire d’une partie de cet incorporel à hauteur de sa

contribution. Après avoir brièvement exposé le fonctionnement de tels accords, on verra

qu’ils peuvent quelque fois donner lieu à une migration d’incorporels très optimisante.

1- Le fonctionnement des accords de répartition des coûts :

L’ARC se caractérise par une mutualisation des coûts de recherche et développement

d’un incorporel. Une telle organisation qui suppose, au-delà du partage des coûts, un partage

de la propriété, peut s’organiser selon différentes formes. D’une part, chaque entité partie à

l’accord est reconnue propriétaire de l’incorporel développé à hauteur de sa contribution à son

développement. On se trouve alors dans une situation de copropriété qui peut, dans la pratique

s’avérer complexe à organiser (notamment au niveau de la prise de décision). Mais il s’agit

d’une copropriété économique qui n’est pas toujours juridiquement formalisable. La propriété

juridique de l’incorporel développé, quant à elle, peut se voir confier à l’un des participants

(la propriété juridique se situant exclusivement au niveau de ce chef de file) qui mettra

gratuitement à la disposition des autres ledit incorporel, ou être localisée au sein d’une entité

juridique commune à tous les participants (de type joint-venture ou GIE). On peut également

imaginer l’hypothèse dans laquelle chaque participant est le propriétaire de droits issus de

certaines activités précises, le plus souvent selon les zones géographiques d’utilisation du

droit. Une fois la propriété répartie, se pose automatiquement la question de la répartition des

coûts et des rémunérations relatifs à l’incorporels.

Chaque participant doit supporter un coût équivalent à sa contribution. La répartition

des coûts doit se faire selon une clé de répartition qui se définit au cas par cas. Cette dernière

est fonction des bénéfices escomptés. Elle peut porter sur le chiffre d’affaires, le bénéfice

brut, une augmentation anticipée des revenus de l’incorporel, l’économie dont bénéficie le

participant… Elle doit évoluer en fonction des modifications pouvant survenir notamment

dans le contexte économique. Toute cette répartition repose donc sur des prévisions,

l’administration fiscale pouvant alors être tentée de la remettre en cause si ces prévisions ne se

réalisent pas.

En ce qui concerne les revenus, chaque participant étant le propriétaire effectif d’une

part, il est naturel qu’il ne verse pas de rémunération aux autres pour cette partie. Il convient

ici de réserver le cas où la propriété juridique de l’incorporel développé est détenue au niveau

d’un participant chef de file, où là les autres participants devront bien entendu lui verser une

redevance couvrant ses coûts. Enfin, chaque participant, en tant que propriétaire économique,

se verra attribuer les bénéfices liés à sa contribution dans la création et le développement de

l’incorporel.

L’ARC présente donc de nombreux avantages, notamment la diminution des risques

par le partage de ceux-ci, la réalisation d’économies d’échelle, mais également l’accès à

d’autres ressources et connaissances (chacun des participants apportant non seulement de la

34

Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des

administrations fiscales, Chapitre 8 « Accords de répartition des coûts », B.1, 8.3

31

trésorerie, mais également des savoir-faire, des connaissances techniques et pratiques…).

L’ARC permet également de jouer sur le taux effectif d’imposition du groupe, dans la mesure

où ce dernier n’est rien d’autre que la moyenne des impôts payés par chacun des participants

dans leur propre Etat. D’où il suit qu’il peut être intéressant d’implanter certains membres

dans des pays à fiscalité avantageuse mais également dans des pays bénéficiant d’un réseaux

de conventions fiscales bien fourni permettant de réduire ou supprimer les retenues à la

source. Enfin, l’ARC s’avère, dans certaines hypothèses, être un outil potentiel de migration

des incorporels.

2- Les accords de répartition des coûts, comme outil potentiel de migration

d’incorporels :

L’ARC, via la mutualisation des coûts et de la propriété qu’il induit, peut dans

certaines hypothèses permettre la migration d’incorporels, transfert qui s’opèrera sans

taxation.

L’ARC peut, tout d’abord, servir au transfert de la propriété économique

d’incorporels. Il s’agit de la situation dans laquelle un ARC est mis en place entre un

participant qui apporte un incorporel dont il est le propriétaire (cet apport constituant sa

participation à l’ARC) mais qui ne dispose pas de la capacité financière pour le développer, et

un autre participant qui, lui, apportera sa forte capacité de financement pour couvrir les frais

de recherche et développement. Ce dernier, par sa contribution régulière en termes de

trésorerie, deviendra donc le propriétaire économique de l’incorporel. Il y aura eu transfert de

la propriété économique à ce dernier sans impôt. Il est bien évidemment supposé que

l’incorporel a pris une forte valeur du fait des activités de recherche et développement. Il n’y

aura donc eu ici aucun transfert juridique, et aucune imposition. Les administrations fiscales

peuvent être tentées de remettre en cause de tels montages, en s’appuyant sur le fait qu’une

entreprise indépendante n’aurait pas accepté de se dépouiller de son incorporel de la sorte, et

donc d’identifier un prix de transfert. Il faudra alors être en mesure d’avancer des

justifications à une telle opération, telles que l’incapacité de la société propriétaire juridique

de l’incorporel à financer la recherche et le développement de celui-ci, l’apport d’une

clientèle établie par le participant non détenteur de l’incorporel…

L’ARC peut également s’avérer très optimisant lorsqu’il donne naissance à un

incorporel de 2ème

génération (dont le développement prend appui sur un incorporel déjà

existant). Imaginons deux sociétés (A et B), chacune propriétaire d’un incorporel

technologique, qui mettent en place un ARC entre elles. Chacune apporte son incorporel, en

vue de développer un incorporel de 2ème

génération qui s’appuiera sur les incorporels

primaires. On postule, par ailleurs, que l’incorporel B est de moindre importance que

l’incorporel A (car constituant une technologie plus désuète que celle de A). Il y aurait donc

au sein de cet ARC, une valeur prépondérante de l’incorporel A, justifiant un partage

déséquilibré des coûts et des revenus (la société A contribuera plus fortement mais recevra,

par la même, une rémunération plus élevée). Un incorporel C est donc développé. Après

quelques années, l’incorporel C perdant petit à petit de sa valeur, la société A décide de

s’appuyer sur celui-ci pour développer de son côté un nouvel incorporel (D), sans associer la

société B au développement de celui-ci. L’incorporel D étant développé sur la base de

l’incorporel C, la société B se voit verser une redevance à ce titre, mais redevance qui s’avère

minime puisque sa contribution initiale dans l’ARC était déjà réduite par rapport à celle de A

et que l’incorporel C, tombant progressivement en désuétude, n’a plus une grande valeur.

Lorsque l’incorporel C est complètement désuet, la société B n’a plus vocation à recevoir une

redevance. La société A, quant à elle, se retrouve avec un incorporel D à la pointe de la

32

technologie qu’elle a développé à un moindre prix, puisqu’elle s’est appuyée sur une

technologie existante (incorporel C) et n’a donc pas eu à partir de zéro, et que les profits

provenant de C lui sont majoritairement revenus.

Un ARC est certes complexe, mais peut s’avérer fiscalement très intéressant pour les

groupes, et illustre parfaitement le fait que les choix de financement et de détention sont

fiscalement structurants. Un tel impact se retrouve également dans les différents modes qui

peuvent être mis en œuvre pour exploiter l’incorporel (§2).

2°) Les différents modes d’exploitation des incorporels.

L’exploitation des incorporels peut se faire selon plusieurs modalités différentes qui

dépendent chacune de la stratégie du groupe en question et des incorporels en présence. On

distinguera ici entre deux modes d’exploitation : l’exploitation pour les besoins propres du

groupe (A) et l’exploitation par le biais de concessions de licences et de sous-licences (B).

A- L’exploitation pour les besoins propres du groupe :

L’exploitation des incorporels pour les besoins du groupe se caractérise par

l’exploitation par la société l’ayant développé, mais peut s’accompagner d’une mise à

disposition gratuite.

1- L’exploitation par la société ayant développé l’incorporel :

Il est possible que la ou les sociétés ayant développé un bien incorporel décident

d’exploiter ce dernier directement et pour elles-mêmes. Cela signifie que la société non

seulement aura développé le bien (recherche et développement…), mais l’utilisera également

dans son activité de production et de distribution.

On peut ici se retrouver face à différentes possibilités. On peut, ainsi, imaginer que la

société a développé un logiciel qu’elle utilisera uniquement au sein de son groupe pour les

besoins des différentes filiales (logiciel de facturation, intranet…). Mais cela peut également

concerner le cas où la société a élaboré une nouvelle technologie (on peut ici reprendre le cas

du logiciel) qu’elle intégrera dans des produits, tels que des produits de télécommunication,

qu’elle fabriquera et qu’elle distribuera exclusivement par le biais de ses filiales. Dans pareille

hypothèse, cela pose bien entendu la question des flux intra-groupe. Si la filiale se contente de

commercialiser le bien, il est fort probable que la rémunération de l’incorporel soit déjà

intégrée dans le prix qu’elle aura payé pour les biens (si tel n’est pas le cas, la filiale devra

verser une redevance complémentaire). En revanche, si la filiale procède localement à des

investissements pour développer l’incorporel, on se trouve en présence d’incorporels

marketings qui appellent une rémunération de la filiale au titre de ces investissements.

2- La mise à disposition gratuite de certains incorporels :

L’exploitation pour les besoins du groupe peut également donner lieu à une mise à

disposition gratuite des incorporels. On retrouve ici le cas des incorporels développés en

interne et destinés à aider les filiales du groupe dans leur gestion quotidienne, tels que les sites

intranet. Dans ce cas, il se peut que la société mère mette gratuitement à la disposition de ses

filiales ce type de bien. Un autre exemple de mise à disposition gratuite peut se retrouver en

matière de sous-traitance. Ainsi, la société ayant développé l’incorporel peut en sous-traiter la

fabrication. Dans une telle hypothèse, il peut arriver que le sous-traitant utilise une

33

technologie dont la société mère est propriétaire. Ici, aucune redevance ne devra être payée

par le sous-traitant à la société, dans la mesure où son mode de rémunération tiendra compte

du fait qu’il ne possède pas cette technologie et ne couvrira que les charges qu’il a supportées

pour la fabrication.

On voit donc bien que, même au sein d’une exploitation pour les besoins du groupe,

les choix opérés influent directement sur les rémunérations et la répartition du droit

d’imposer. Cela se retrouve bien évidemment en présence de concessions de licences et de

sous-licences (B).

B- Le système des concessions de licences et de sous-licences :

La société ayant développé un incorporel peut choisir de concéder des licences voire

des sous-licences sur celui-ci, ce qui n’est pas sans implications fiscales.

1- Fonctionnement :

Il s’agit ici pour la société propriétaire de l’incorporel d’en concéder l’utilisation par le

biais de licences ou de sous-licences. Une concession de licence constitue le contrat par lequel

un licencié se voit concéder le droit d’utiliser, en totalité ou en partie, de façon exclusive ou

pas, un bien incorporel (brevet, marque…) par un tiers selon des conditions fixées par le

contrat. Le licencié verse alors au propriétaire du bien une redevance. Lorsque le licencié

concède, à son tour, un droit d’utilisation de l’incorporel dont il s’est lui-même vu reconnaitre

le droit d’utiliser, il s’agit d’une concession de sous-licence.

Il semble qu’à l’heure actuelle le droit fiscal (du moins en France) semble privilégier

cette forme d’exploitation par rapport à l’exploitation en propre par la société propriétaire de

l’incorporel. Cela se manifeste notamment par des dispositifs que l’on a évoqués

précédemment, tels que la déduction des redevances, et le bénéfice du taux réduit. Au-delà de

cet aspect, le système des concessions de licences a d’autres implications en matière fiscale.

2- Implications fiscales :

La question est, ici, celle de la rémunération devant être versée par le licencié au titre

du droit d’utilisation de l’incorporel qui lui a été octroyé. Le problème ici ne porte pas tant sur

l’existence de cette redevance, mais sur son montant. S’il est naturel de verser une

rémunération en contrepartie de l’usage d’un brevet, d’une marque, ou encore d’un savoir-

faire non détenu par celui qui l’utilise, il n’est, en revanche, pas normal de surpayer cet

avantage. Il serait, en effet, tentant de surévaluer ce paiement afin de transférer de la masse

imposable vers une société propriétaire située dans un Etat à fiscalité moins élevée. Ou

inversement, de sous-évaluer cette redevance si c’est la société licenciée qui est située dans un

Etat à fiscalité plus faible que celle de l’Etat de la société propriétaire. De telles fixations des

rémunérations auraient pour conséquence de transférer de la masse imposable d’un Etat à

fiscalité importante vers un Etat à fiscalité moindre, mettant ainsi en péril la répartition

équilibrée du droit d’imposer entre ces deux Etats. C’est alors sur le terrain des prix de

transfert que se placent les administrations fiscales pour tenter de préserver leur droit

d’imposer (Titre 2).

34

TITRE 2 :

LA PRESERVATION D’UNE REPARTITION EQUILIBREE DU DROIT D’IMPOSER ENTRE ETATS

PAR LE CONTROLE DES PRIX DE TRANSFERT

Les groupes de sociétés, par leur choix de localisation, de structuration, mais

également de fixation des rémunérations intra-groupe, peuvent porter atteinte à la répartition

du droit d’imposer entre les Etats. Cela peut notamment être le cas lorsque des transferts

d’incorporels ne sont pas identifiés et ne donnent lieu à aucune rémunération, ou lorsque la

rémunération d’un tel transfert ou de l’utilisation d’un incorporel est artificiellement majorée

ou minorée, l’objectif étant ici de transférer indirectement des bénéfices d’un Etat à forte

fiscalité vers un Etat plus clément. De tels montages sont facilités, en effet, par le caractère

flou et difficilement appréhendable de la notion d’incorporel35

.

Les administrations, conscientes de cela, ont alors mis en place un certain nombre de

dispositifs permettant de lutter contre de telles hypothèses. L’un de ces dispositifs est celui

des prix de transfert. Celui-ci permet de contrôler les prix des transactions intra-groupe et de

les comparer à ce que des sociétés indépendantes auraient accepté. Ce dispositif est

particulièrement intéressant, dans la mesure où il se retrouve dans de nombreux pays, et qu’il

est même reconnu au niveau international par l’OCDE. Il concerne à la fois les biens

corporels et incorporels. Mais, tel que l’illustre l’actuel projet de réforme engagé par l’OCDE

en matière de prix de transfert et d’incorporels, ce dernier ne semble pas tout à fait adapté à ce

type de biens si particuliers. Pour comprendre cette inadaptation et exposer les pistes

d’adaptation envisagées par l’OCDE (chapitre 2), il faut, dans un premier temps, décrire de

façon générale le mécanisme des prix de transfert dans ses aspects communs aux biens

corporels et incorporels (chapitre 1).

35 Cf. Titre 1, chapitre 2, Section 1

35

Chapitre 1 :

Le contrôle des prix de transfert comme instrument de lutte contre l’atteinte à la répartition du droit d’imposer des Etats.

Objet d’un consensus international (dans leur principe, mais pas toujours dans les

moindres de leurs modalités), le contrôle des prix de transfert repose sur un dispositif de lutte

au niveau national (Section 1), complété au niveau international par l’OCDE et le droit de

l’Union européenne (Section 2). On décrira ici les grands traits de ce contrôle.

Section I- Le dispositif français de lutte contre les prix de transfert.

Le droit français des prix de transfert repose sur l’article 57 du CGI qui dispose que

« Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la

dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices

indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des

prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés

par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la

dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises

situées hors de France ». Se dégage de cet article un certain nombre de principes : Tout

d’abord le contrôle des prix de transfert repose sur une présomption de transfert indirect de

bénéfices (§1), qui conduit à une correction du résultat de la société concernée et ainsi à une

double imposition dommageable (§3). On verra, par ailleurs, que ce dispositif se caractérise

par une grande efficacité (§2).

1°) Un dispositif reposant sur une présomption de transfert indirect de bénéfices:

La sanction des prix de transfert repose sur une présomption de transfert indirect de

bénéfices : C’est parce qu’il y a eu un transfert indirect de bénéfices étranger à une gestion

commerciale normale (B) entre des sociétés dépendantes (A) que l’administration fiscale est

fondée à remettre en cause la transaction en question.

A- Un transfert entre sociétés dépendantes :

Pour que le transfert de bénéfice entre sociétés soit répréhensible, il faut que ce dernier

ait eu lieu entre sociétés dépendantes et situées dans des Etats différents, ce qui suppose ici de

présenter la notion de dépendance, et d’apprécier la pertinence de ce critère.

1- La notion de dépendance :

La notion de dépendance recouvre plusieurs hypothèses. Est, d’une part, visé le cas de

la dépendance juridique : Une société française est considérée comme dépendante lorsqu’une

société étrangère possède une part prépondérante dans son capital ou la majorité de ses droits

de vote (société mère étrangère et filiale française), et inversement lorsqu’une société

française détient un tel contrôle sur une entreprise étrangère (société mère française et filiale

étrangère). Il y a également dépendance lorsque l’entreprise étrangère exerce, au sein de la

société, un pouvoir décisionnel directement ou par personne interposée : gérants,

administrateurs ou directeurs de la société dirigeante, ou encore toute entreprise sous contrôle

commun (sociétés sœurs). D’autre part, la dépendance, au sens de l’article 57, vise également

36

la dépendance de fait : il s’agit ici d’une dépendance économique d’une société à l’égard de

l’autre qui peut découler d’un contrat ou des conditions de leurs relations.

Enfin, lorsque le transfert se fait à destination d’une entreprise établie dans un Etat ou

territoire à fiscalité privilégiée au sens de l’art 238 A du CGI36

, l’administration est dispensée

d’apporter la preuve d’une quelconque dépendance.

2- La pertinence de ce critère :

L’exigence d’une telle dépendance part du postulat que des sociétés indépendantes

n’auraient pas accepté de contracter à de telles conditions. Ainsi, dans l’hypothèse où une

société mère établie dans un pays à fiscalité plus faible concède une licence sur un brevet à sa

filiale située dans un Etat à fiscalité plus forte, le transfert peut s’opérer par majoration de la

redevance due par la filiale à la société mère. Or, une entreprise indépendante n’aurait pas

accepté de contracter à de telles conditions. C’est parce que les sociétés sont liées qu’un tel

transfert peut être mis en œuvre. Mais la raison d’être de ce critère est également sa faiblesse.

En effet, c’est parce que les sociétés sont liées qu’elles peuvent accepter de contracter à des

conditions plus avantageuses pour l’une, et non de façon « normale ». Ainsi, une société mère

peut prévoir d’accorder une réduction de la redevance payée par la filiale en considération de

leurs relations. Dès lors, bien que pertinent, le critère de la dépendance, peut faire l’objet de

quelques réserves.

Une fois la dépendance établie, l’administration fiscale doit apporter la preuve d’un

transfert indirect de bénéfice étranger à une gestion commerciale normale (B).

B- Un transfert indirect de bénéfices étranger à une gestion commerciale normale :

Pour que la transaction soit remise en cause, l’administration doit apporter la preuve

de l’existence d’un transfert de bénéfices par la société française à la société étrangère qui soit

étranger à une gestion commerciale normale, le contribuable devant par la suite établir

l’existence d’une contrepartie37

.

1-L’existence d’un avantage anormal :

L’administration fiscale doit établir que la société française s’est appauvrie de façon

non justifiée au profit de la société étrangère en lui concédant un avantage anormal, ce qui a

eu pour conséquence de diminuer le résultat imposable en France. Ce transfert peut prendre

diverses formes : majoration ou diminution du prix de vente ou d’achat, ou tout autre moyen

(par exemple, lors d’une restructuration du groupe). L’administration fiscale dispose donc ici

d’une grande marge de manœuvre.

L’avantage doit apparaitre comme anormal par comparaison au prix ou aux conditions

contractuelles qu’auraient acceptés des entreprises indépendantes placées dans la même

situation. Plusieurs méthodes de détermination du prix ou des conditions normales sont alors

utilisables. Il convient de se référer aux méthodes préconisées par l’OCDE (prix comparable

sur le marché libre, prix de revente, prix de revient majoré, méthode transactionnelle de la

marge nette, méthode du partage des bénéfices) sur lesquelles on reviendra plus en détail

ultérieurement.

36 Article 238 A: « Dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies ». 37 CE Plén. 27 juillet 1988, n°50020, SARL Boutique 2M.

37

2- La possibilité pour la société d’apporter la preuve contraire :

Une fois la double preuve de la dépendance et de l’avantage anormal apportée par

l’administration, il appartient au contribuable d’établir que cet avantage est justifié, c’est-à-

dire qu’il y a une contrepartie suffisante. On peut ainsi imaginer qu’une société mère française

concède une licence d’exploitation d’une marque française à une filiale indienne, au titre de

laquelle elle exige de cette dernière une redevance d’un montant plus faible dans le but de

pénétrer le marché indien, et de s’y implanter durablement (ce qui suppose des coûts plus

importants et un retour sur investissement moindre dans les premières années).

Dans le cadre de son contrôle des prix de transfert, l’administration fiscale dispose de

nombreuses armes, rendant le dispositif français des prix de transfert très efficace (§2).

2°) Un dispositif caractérisé par une grande efficacité :

Le contrôle des prix de transfert s’avère, en France, d’une particulière efficacité

puisqu’il mêle à la fois des instruments de contrôle renforcé (A) et des dispositifs de

sécurisation a priori (B).

A- Des instruments au service d’un contrôle renforcé…

L’administration dispose, dans le cadre de son contrôle des prix de transfert,

d’instruments lui permettant de mener à bien celui-ci : l’article L13B du LPF, ainsi que les

obligations documentaires auxquelles sont soumises certaines sociétés.

1- L’article L13B du LPF :

L’article L13B du LPF permet à l’administration, lorsqu’elle réunit au cours d’une

vérification de comptabilité des éléments faisant présumer qu’une entreprise a opéré un

transfert indirect de bénéfices, de demander à ladite entreprise de lui fournir des informations

supplémentaires sur la nature des relations qu’elle entretient avec la société étrangère, la

méthode de détermination des prix utilisée. En cas de réponse insuffisante, l’administration

doit adresser à la société une mise en demeure de compléter les informations dans un délai de

trente jours. Si la réponse n’est toujours pas satisfaisante, l’administration pourra évaluer le

montant du bénéfice transféré à partir des éléments en sa possession, et la société peut se voir

infliger une amende de 10 000€ pour chaque exercice vérifié.

2- Le renforcement des obligations documentaires :

L’article L13 AA du LPF prévoit un certain nombre d’obligations documentaires

devant être respectées par certaines sociétés. Dans un objectif de plus grande efficacité du

contrôle des prix de transfert, ces obligations ont été renforcées par la loi de finances

rectificative pour 2009. Ces obligations concernent les grandes entreprises, notamment les

entreprises dont le chiffre d’affaires annuel hors taxe ou l’actif brut figurant au bilan est

supérieur ou égal à 400 000 000 d’euros38

. Cette documentation doit contenir des

informations générales sur le groupe d’entreprises associées et des informations spécifiques

concernant l’entreprise vérifiée. Pour plus de détail, on renvoie donc à la lecture de cet article.

Au-delà des moyens a posteriori, l’administration dispose également d’instruments a

priori (B).

38 Pour le détail de toutes les entreprises concernées, cf l’article L13 AA du LPF.

38

B- …alliés au développement de mesures de sécurisation au profit des entreprises : Les

accords préalables sur les prix.

Le but est ici de s’assurer de la conformité des transactions intra-groupe a priori c’est-

à-dire avant leur réalisation, par le biais des accords préalables sur les prix (ci-après

dénommés APP). Cette procédure constitue un véritable outil tant pour l’administration que

pour l’entreprise qui est assurée d’une plus grande sécurité juridique. Il existe une procédure

d’APP classique et une procédure simplifiée au profit des PME.

1- La procédure d’APP :

La procédure d’APP consiste pour la société à sécuriser la méthode de détermination

de ses prix de transferts. Pour cela, l’entreprise va présenter à l’administration la méthode

qu’elle a retenue en lui fournissant un dossier détaillé et complet pour que celle-ci la valide.

Cet accord peut être unilatéral (conclu entre la seule administration fiscale française et la

société, et constitue alors une prise de position formelle de l’administration39

) ou multilatéral

(conclu entre l’administration fiscale française, les administrations étrangères concernées, et

la société). Cette procédure n’empêche pas les contrôles ultérieurs, mais garantit le groupe

contre la remise en cause de sa méthode, sauf si des dissimulations ou manœuvres

frauduleuses ont eu lieu. Cet accord vaut pour une durée de trois à cinq ans.

2- Une procédure simplifiée au profit des PME :

La procédure d’APP apparaissait trop lourde pour les PME. A donc été créée une

procédure simplifiée à leur profit40

. Cette procédure ouverte seulement aux PME répondant

aux critères de l’article 44 septies IV du CGI, a pour but d’alléger la documentation à fournir

pour le dépôt et l’instruction de la demande, à l’aider dans la réalisation de certaines étapes

(analyse fonctionnelle, analyse de comparabilité…).

Tout est donc fait pour que le contrôle des prix de transfert soit le plus efficient

possible aussi bien en amont qu’en aval. Ce dispositif conduit cependant à une double

imposition redoutable (§3).

3°) Un dispositif aux conséquences redoutables : Une double imposition

dommageable.

S’il s’avère que la société a procédé à un transfert indirect de bénéfices au profit d’une

société étrangère et que ce dernier ne comporte pas de justifications suffisantes,

l’administration fiscale est alors fondée à réintégrer, d’une part, l’avantage indûment octroyé

(A), et appliquer, d’autre part, une retenue à la source sur le fondement d’une présomption de

distribution (B), ce qui conduit à une double imposition fortement dommageable pour la

société redressée et le groupe plus généralement.

A- Réintégration de l’avantage indûment octroyé :

L’administration fiscale procèdera, dans un premier temps, au rehaussement du

bénéfice imposable de la société française en y réintégrant l’avantage indûment octroyé. Or, le

montant de l’avantage a sûrement fait l’objet d’une imposition dans l’Etat de la société

39

Article L80B,7° du LPF 40 Instruction du 28 novembre 2006, 4A-13-06

39

bénéficiaire. A défaut d’ajustement corrélatif, il y a donc double imposition économique (le

même revenu étant imposé entre les mains de deux personnes différentes). Mais

l’administration ne s’arrête pas là et applique en plus une retenue à la source (B).

B- Présomption de distribution et application d’une retenue à la source :

En plus de la réintégration de l’avantage anormal, l’administration fiscale va

requalifier l’avantage indu (c’est-à-dire la partie excessive du prix) en revenu réputé distribué

au profit de la société étrangère, et dès lors appliquer une retenue à la source de 25%. Au

final, l’administration impose donc deux fois la même somme : une fois au titre du

rehaussement du bénéfice imposable et une autre en tant que revenu réputé distribué. Cela

conduit à une sanction redoutable pour le contribuable qui fera l’objet d’une double

imposition. Certaines de ces conséquences peuvent être atténuées par les dispositifs

internationaux et communautaires des prix de transfert (Section 2).

Section II- Le dispositif des prix de transfert au niveau international et communautaire.

Le contrôle des prix de transfert ne relève pas seulement des législations nationales. Il

se retrouve également au niveau de l’OCDE qui fait référence en la matière (§1), mais

également de l’Union européenne dont le rôle tend à s’accroitre (§2).

1°) L’approche des prix de transfert de l’OCDE : Une approche faisant

référence.

L’OCDE, par l’article 9 du modèle de convention fiscale internationale qu’elle élabore

mais également par l’intermédiaire des principes applicables en matière de prix de transfert à

l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales qu’elle a édictés, a

mis en place un cadre servant à la détection et à la sanction des prix de transfert qui fait

référence. Celui-ci repose sur la sanction des prix non conformes au principe de pleine

concurrence conduisant à une rectification des résultats des entreprises concernées (A), mais

prévoit en plus des mécanismes d’élimination des doubles impositions en résultant (B).

A- L’article 9 du modèle OCDE : La sanction des prix non conformes au principe de

pleine concurrence.

La sanction des prix de transfert, au niveau international, repose sur l’article 9 du

modèle OCDE qui prévoit qu’en présence d’un prix non conforme au principe de pleine

concurrence, les sociétés apparentées doivent procéder à des corrections.

1- Le principe de pleine concurrence, un pilier du système OCDE des prix de

transfert… :

L’article 9 du modèle OCDE envisage l’hypothèse où les entreprises associées « sont,

dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions convenues ou

imposées, qui diffèrent de celles qui seraient convenues entre des entreprises

indépendantes ». C’est là le siège du principe de pleine concurrence. On retrouve ici la même

idée qu’en droit fiscal français (l’existence d’un avantage anormal). De même qu’en droit

interne, les entreprises en cause doivent être liées (détention de capital, participation à la

direction ou au contrôle). Et, pour déterminer si le principe de pleine concurrence est respecté,

il faut se référer aux conditions qu’auraient acceptées des entreprises indépendantes. L’OCDE

40

développe, dans ses principes applicables aux prix de transfert, toute une méthodologie à

mettre alors en œuvre pour déterminer si la transaction conclue entre les entreprises liées est

conforme au principe de pleine concurrence : la société doit procéder à une analyse

économique, comprenant une analyse fonctionnelle, et à une recherche de comparables

(autant d’étapes qui seront développées par la suite, tant elles présentent des caractéristiques

en matière d’incorporels). La détermination du prix de concurrence se fait, quant à elle, selon

les méthodes préconisées par l’OCDE exposées ci-après.

2- … conduisant à la correction des prix entre entreprises apparentées :

S’il s’avère que le prix retenu par les entreprises liées ne correspond pas à un prix de

pleine concurrence, l’article 9 prévoit que « les bénéfices qui, sans ces conditions, auraient

été réalisés par l'une des entreprises mais n'ont pu l'être en fait à cause de ces conditions,

peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence ». Cela

signifie que l’Etat de l’entreprise ayant octroyé des conditions contraires au principe de pleine

concurrence peut rectifier les résultats de cette entreprise afin d’y réintégrer la somme qu’elle

aurait dû recevoir en cas de transaction à des conditions normales. Le problème de la double

imposition économique se repose donc ici, comme en droit interne, puisque la même somme

aura été imposée une fois entre les mains de la société étrangère bénéficiaire des conditions

anormales et une fois, après rectification, entre les mains de la société qui avait accordé

l’avantage anormal. Mais, contrairement au droit interne, le modèle OCDE prévoit des

mécanismes d’élimination de cette double imposition (B).

B- Des mécanismes d’élimination des doubles impositions, venant remédier aux lacunes

des approches nationales:

Le modèle OCDE prévoit que les doubles impositions résultant de la rectification des

résultats suite à l’identification d’un prix de transfert peuvent être éliminées selon plusieurs

techniques qui s’appliquent les unes à la suite des autres en cas d’échec des précédentes : la

technique de l’ajustement corrélatif, puis la procédure amiable et la clause d’arbitrage. Toutes

ces mesures viennent pallier aux lacunes du droit interne qui ne permet pas d’échapper à la

double imposition.

1- La technique de l’ajustement corrélatif :

Selon cette technique, lorsque l’Etat de la société à qui revenait le bénéfice indûment

transféré a rectifié le résultat de cette société en y réintégrant la partie qui devait lui revenir

par un ajustement primaire, l’Etat de l’autre société doit alors procéder à un ajustement

corrélatif, ce qui permet d’éviter la double imposition économique. A titre d’exemple, si une

société française concède une licence d’exploitation d’un brevet moyennant redevance, et que

le montant de cette dernière est minoré par rapport au prix de pleine concurrence,

l’administration fiscale française va procéder à un ajustement primaire en réintégrant la

fraction supplémentaire qui aurait dû revenir à la société française dans le résultat de cette

dernière. La société ayant bénéficié du prix minoré aura été imposée à raison de ses bénéfices

comprenant l’avantage indu. Son administration fiscale devra alors procéder à un ajustement

corrélatif en ajustant à la baisse son résultat. Mais les Etats ne procèdent pas toujours aux

ajustements corrélatifs. Ils ne sont, en effet, pas enclins à rectifier à la baisse les résultats de

leur société et donc à s’auto-priver de ressources fiscales. Par ailleurs, les différentes

administrations fiscales ne sont pas toujours d’accord quant à l’existence d’un prix de

41

transfert et surtout quant à son montant. De sorte, qu’en l’absence d’ajustement corrélatif, la

société pourra aller un cran au-dessus et mettre en œuvre la procédure amiable.

2- La procédure amiable :

Le contribuable, n’ayant pu bénéficier des ajustements corrélatifs, va pouvoir

demander à son administration fiscale d’engager une procédure amiable avec l’administration

de l’autre Etat en cause. Cette procédure (prévue à l’article 25 du modèle OCDE) est une

procédure non contentieuse par laquelle les deux administrations vont tenter de parvenir à un

accord sur le prix de transfert c’est-à-dire de déterminer un prix normal. Cependant, cette

procédure s’avère limitée puisque, d’une part, le contribuable n’a pas de droit à cette

procédure (l’administration n’est pas tenue d’accueillir sa demande), et d’autre part, les

administrations ne sont pas tenues de parvenir à un accord. De sorte que si un tel accord n’est

pas trouvé, le contribuable devra monter encore d’un cran dans les procédures et faire jouer la

clause d’arbitrage.

3- La clause d’arbitrage :

La clause d’arbitrage (article 25) vient compléter le mécanisme de procédure amiable.

Cette clause prévoit que le contribuable qui a subit une imposition non conforme à la

convention fiscale peut, si les autorités fiscales des Etats en question n’ont pas réussi à trouver

d’accord dans les deux ans suivant le déclenchement de la procédure amiable, les contraindre

à se soumettre à un arbitrage et à trouver une solution au problème de prix de transfert. Cette

clause est beaucoup plus contraignante dans la mesure où le contribuable a le droit à obtenir

une solution et la suppression de la double imposition économique.

On constate cependant que la double imposition juridique résultant du fait que la

société française requalifie les sommes en revenus réputés distribués n’est pas réglée par le

modèle OCDE. Il se peut que les conventions fiscales règlent ce problème. Sinon, il convient

de se référer à l’article sur les dividendes de la convention (si elle adopte une conception large

des dividendes incluant les revenus réputés distribués) ou à l’article sur les revenus innomés

(en cas de définition étroite des dividendes). Au vue des prévisions de ces articles, la retenue à

la source de 25% sera maintenue ou écartée. Malgré cet aspect, le modèle OCDE joue un rôle

important et efficace en matière de prix de transfert, rôle qui se trouve concurrencé par

l’implication croissante de l’Union européenne dans ce domaine (§2).

2°) Le rôle de l’Union européenne en matière de prix de transfert : Un rôle en

expansion.

L’Union européenne tend de plus en plus à s’intéresser aux problématiques de prix de

transfert au sein de l’UE. Le développement de son rôle s’illustre notamment par la

convention d’arbitrage qu’elle a adoptée (A) ainsi que l’harmonisation de la documentation

mise en œuvre au sein de l’UE (B). Enfin, les travaux actuels sur l’ACCIS posent la question

d’une éventuelle fin des problématiques de prix de transfert au sein de l’UE(C).

A- La Convention d’arbitrage, comme instrument d’élimination des doubles

impositions :

A été adoptée le 23 juillet 1990 une « Convention relative à l’élimination des doubles

impositions en cas de correction des bénéfices d’entreprises associées ». Le but de celle-ci est

de permettre de résoudre les différends entre Etats membres lorsque l’un d’eux a procédé à

42

une correction à la hausse des résultats d’une entreprise sur la base du contrôle des prix de

transfert. Cette convention tente de mettre en place un mécanisme plus contraignant que celui

du modèle OCDE. Elle prévoit ainsi l’élimination de la double imposition dans le cadre d’un

accord entre les Etats concernés. Lorsqu’ils ne parviennent pas à un accord, ils doivent

recueillir l’avis d’un organe consultatif, dont ils ne sont pas obligés de suivre l’avis. Mais si

les Etats ne parviennent pas à un accord, cet avis devra être suivi pour parvenir à l’élimination

de la double imposition. A noter qu’un « forum conjoint de l’UE sur les prix de transfert » a

été créé en 2002 pour formuler des recommandations en vue d’harmoniser les différentes

pratiques des Etats dans de domaine. Il a conduit à l’adoption d’un code de conduite relatif à

la mise en œuvre de la convention. Mais l’effort d’harmonisation ne concerne pas seulement

l’élimination des doubles impositions, on le retrouve en matière de documentation (B).

B- Une harmonisation de la documentation en vue d’une simplification :

Les obligations documentaires en matière de prix de transfert peuvent sensiblement

différer d’un Etat à un autre, ce qui oblige les entreprises à produire différents documents

selon des exigences différentes. Or cela s’avère très lourd pour ces dernières non seulement

sur le plan formel mais aussi financier. En vue de remédier à cela, a été adopté le 27 juin 2006

un code de conduite sur la documentation des prix de transfert pour les entreprises associées

résidentes d’Etats membres de l’UE. L’objectif est ici d’harmoniser la documentation à

fournir par les entreprises au sein de l’UE concernant la méthode de détermination des prix

retenue par elles. Cela conduirait donc à une simplification. Cependant, ce code de conduite

n’a pas de force obligatoire, et constitue un simple engagement politique. Il convient tout de

même de saluer cette initiative, qui semble indispensable aux entreprises.

Tous ces efforts d’harmonisation sont les bienvenus. Mais avec la future mise en place

de l’ACCIS, on peut se demander s’ils sont toujours nécessaires, l’ACCIS pouvant être vue

comme un moyen de mettre fin à la problématique des prix de transfert (C).

C- Le régime de l’ACCIS : Vers la fin de la problématique des prix de transfert?

Il ne s’agit pas ici de réexpliquer le mécanisme de l’ACCIS (Cf Titre 1, chapitre 1,

Section 3), mais seulement de s’interroger sur le point de savoir si l’ACCIS, souvent

présentée comme un moyen de mettre fin aux problématiques de prix de transfert, y mettra

véritablement un terme.

L’ACCIS suppose une consolidation des résultats de toutes les sociétés du groupe, ce

qui aura pour effet de neutraliser les flux intra-groupe. On peut alors penser qu’il n’y aurait

plus de problématique de prix de transfert. Les choses ne sont, en réalité, pas aussi tranchées.

D’une part, l’ACCIS vise à consolider les résultats de sociétés établies dans des Etats

membres de l’UE, et non dans des Etats tiers. De sorte que la problématique des prix de

transfert ne serait éliminée que pour les groupes ne détenant que des filiales en Europe, et

subsisterait dans les relations entre les sociétés établies en Europe et leurs filiales établies

dans des Etats tiers. Or, le plus souvent, les groupes possèdent aussi bien des filiales en

Europe qu’en dehors. D’autre part, le projet actuel d’ACCIS prévoit que ce dispositif serait

optionnel. Certaines entreprises pourraient alors décider qu’il est plus judicieux pour elles de

ne pas opter pour ce régime. Or, dans pareille hypothèse, la problématique des prix de

transferts ne seraient pas éliminée. Rappelons ici la résolution du Parlement européen du 19

avril 2012 qui envisage de rendre l’ACCIS obligatoire pour les sociétés sauf pour les PME. Si

tel est le cas, le problème des prix de transfert serait résolu au sein de l’UE, mais toujours pas

avec les filiales d’Etats tiers. Les futures évolutions sont donc à suivre de très près.

43

Le dispositif des prix de transfert que l’on vient de présenter permet donc de contrôler

les opérations entre sociétés liées et de sanctionner d’éventuels transferts de masse imposable.

Or si ce mécanisme apparait plutôt efficace dans son ensemble, certains de ces aspects sont en

réalité inadaptés face à des actifs aussi particuliers que les incorporels (Chapitre 2).

44

Chapitre 2 :

L’actuel dispositif de contrôle des prix de transfert: Un dispositif inadapté aux incorporels, mais en évolution.

L’actuel dispositif des prix de transfert apparait, face aux spécificités mais également à

la complexité des incorporels, inadapté, et ce, notamment en ce qui concerne l’identification

et la détermination du prix de transfert. Consciente de cela, l’OCDE a proposé un projet dont

l’objectif est justement d’adapter le dispositif des prix de transfert aux incorporels.

Il s’agira ici d’exposer certains de ces aspects en mettant en exergue les difficultés

existantes tout en renvoyant aux pistes proposées dans le cadre du projet OCDE. Ces

difficultés se manifestent tout au long des différentes étapes de détermination du prix de

pleine concurrence : lors de la délicate identification des transactions impliquant l’usage ou le

transfert d’incorporels (Section 1), mais également les difficultés qui peuvent surgir lors de

l’analyse économique (Section 2), de la valorisation des incorporels en vue de déterminer un

prix de pleine concurrence (Section 3), et enfin de la recherche de comparables (Section 4).

Section I- Les transactions impliquant l’usage ou le transfert d’incorporels : Des

transactions délicates à identifier.

L’identification d’un prix de transfert en matière d’incorporels suppose une transaction

impliquant l’usage ou le transfert d’un tel bien. Or cette identification peut s’avérer

problématique.

Outre le problème de l’identification des incorporels eux-mêmes (Cf. supra41

), le

transfert ou l’usage de ce type d’actifs peut être difficilement identifiable, et ce, pour plusieurs

raisons. D’une part, car on se situe dans des transactions entre sociétés liées, or de telles

relations s’avèrent propices à des transferts ou usages plus facilement dissimulables ou à des

conditions que des entreprises indépendantes n’auraient pas acceptées. D’autre part, en raison

même de la nature des incorporels qui les rend d’avantage insaisissables. La combinaison de

ces deux facteurs conduit à ce que, quelques fois, il y ait transfert ou usage d’incorporels sans

qu’aucune transaction ne soit clairement et formellement identifiée. Tel est le cas de la mise à

disposition d’informations au sein du groupe via un site intranet. Cette identification peut

également être rendue plus difficile lorsque l’incorporel utilisé ou transféré ne fait pas l’objet

d’une protection juridique, notamment au titre du droit de la propriété intellectuelle

(exemples : noms commerciaux, savoir-faire, clientèle…). En effet, l’usage ou le transfert

d’un actif immatériel protégé (brevet, marque, droit d’auteur…) sera d’avantage identifiable

que celui d’un incorporel non protégé.

Pour échapper à la sanction des prix de transfert, le transfert doit bien évidemment

porter sur un incorporel ayant une véritable valeur économique. Cette précision, bien

qu’évidente, est cependant importante, car elle permet d’éviter que les sociétés d’un groupe ne

procèdent entre elles à des cessions d’incorporels sans valeur dans le seul dessein de

transférer de la base imposable vers un Etat fiscalement plus avantageux.

Les transactions impliquant l’usage ou le transfert d’un bien incorporel peuvent se

présenter sous différentes formes : cession pure et simple de l’incorporel, concession de

licence… Il ne s’agira pas ici de les présenter toutes, mais simplement quelques unes en vue

41 Titre 1, Chapitre 2, Section 1

45

d’illustrer les difficultés d’identification qui peuvent se présenter. On verra ainsi le cas des

incorporels transférés en conjonction avec d’autres actifs (§1), celui des incorporels

marketings (§2) ainsi que l’hypothèse des restructurations (§3).

1°) Les incorporels transférés en conjonction avec d’autres actifs corporels ou

incorporels.

Il est tout à fait possible de transférer un bien incorporel en conjonction avec d’autres

actifs. Un tel transfert peut se faire soit dans le cadre d’une vente de marchandise ou d’une

prestation de service (A), soit lors du transfert d’un ensemble d’incorporels (B).

A- Les incorporels transférés dans le cadre d’une vente de marchandise ou d’une

prestation de services :

Des biens incorporels peuvent être transférés dans le cadre d’une vente de

marchandise ou d’une prestation de service. Pour le cas du transfert en conjonction avec une

vente, on en trouve un exemple lorsqu’une entreprise vend des biens non achevés à une autre

tout en mettant à sa disposition son savoir-faire pour les opérations restant à faire42

, ou encore

lorsqu’une société, propriétaire d’une marque, vend à une autre société distributrice un bien

de cette marque. Pour ce qui est du transfert en conjonction d’une prestation de service, l’une

des hypothèses est celle dans laquelle une société, disposant d’un savoir-faire technique, va

dans le cadre d’une prestation de service à une autre société utiliser ce savoir-faire.

Dans ces circonstances, la question qui se pose est celle de savoir si l’acheteur ou le

bénéficiaire de la prestation de service doit payer, en plus du prix de la vente ou de la

prestation, une redevance complémentaire relative à l’incorporel transféré ou utilisé.

Conformément aux principes de l’OCDE en matière de prix de transfert43

, cela dépend des

circonstances de chaque transaction. Ainsi, si le prix payé inclut la rémunération à verser au

titre de l’incorporel, il semble qu’aucune redevance complémentaire ne soit due. A l’inverse,

si la redevance n’est pas comprise dans le prix, un paiement complémentaire sera nécessaire

pour que le principe de pleine concurrence soit respecté. Il faudra, dans tous les cas, veiller à

ce que le prix total (redevance incluse) n’excède pas le prix qui aurait été convenu entre deux

sociétés indépendantes.

L’OCDE précise, par ailleurs, qu’en présence d’une société située dans un Etat

prélevant une retenue à la source, il faudra, pour le traitement de la redevance au regard de ce

prélèvement, ventiler le prix global afin de déterminer le montant de pleine concurrence de la

redevance qui fera l’objet de la retenue.

L’OCDE prévoit donc des solutions permettant de traiter le transfert d’incorporels

isolés dans le cadre d’une vente ou d’une prestation de service, mais également quand il s’agit

du transfert d’un ensemble d’incorporels (B).

B- Le transfert d’un ensemble d’incorporels :

Il se peut qu’une société transfert un ensemble d’incorporels dans le cadre d’une même

transaction. Tel peut être le cas, si la société concède une licence au titre de tous les droits de

42 Exemple donné dans le chapitre 6 sur les incorporels des principes directeurs de l’OCDE en matière de prix de transfert, 6.17 43 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des

administrations fiscales, Chapitre 6 « Considérations particulières applicables aux biens incorporels », 6.17

46

propriété industrielle et intellectuelle qu’elle détient44

, ou si une société transfert un brevet de

fabrication d’un produit qui s’accompagne du transfert du savoir-faire et la marque y afférent.

Dans pareille hypothèse, la solution envisagée par l’OCDE est d’examiner séparément

les composantes de l’ensemble pour vérifier le respect du principe de pleine concurrence du

transfert, autrement dit la rémunération doit être examinée séparément pour chaque incorporel

en cause45

. Une fois la rémunération de chaque droit déterminée, il suffira de les additionner

pour obtenir la rémunération globale du transfert. Certains ajustements seront, cependant,

nécessaires pour tenir compte de l’impact de la globalité du transfert. Ainsi, l’acquisition d’un

ensemble de droits peut, entre entreprises indépendantes, se faire selon un prix moindre que

celui résultant de l’addition des prix de chaque droit. Cette méthode, bien que présentant

l’avantage de rendre plus simple l’identification de comparables dans la mesure où de tels

comparables sont plus faciles à trouver face à un droit spécifique que face à une conjonction

de droits tous très différents, ne semble cependant pas adaptée lorsque tous les droits

transférés forment un tout indissociable. Dans ce cas, là, il semblerait qu’une évaluation

globale soit préférable en raison de son plus grand réalisme.

Mais les incorporels transférés en conjonction avec d’autres actifs ne sont pas les seuls

transferts pouvant poser des difficultés, le cas des actifs incorporels dits « marketing » mérite

également que l’on s’y attarde (§2).

2°) Le cas particulier des actifs incorporels dits « marketing ».

L’exploitation au niveau local d’un incorporel peut quelque fois donner naissance à un

incorporel marketing, ce concept déjà évoqué supra46

(A) n’est pas sans conséquences en

matière de prix de transfert (B).

A- Le concept d’incorporel marketing :

Les incorporels « marketing » prennent naissance dans l’hypothèse suivante : Une

société décide de commercialiser ses produits par le biais d’une filiale de distribution locale.

Pour cela, la société lui concède une licence d’exploitation de sa marque, voire de son savoir-

faire. Au niveau local, la société distributrice fera un certain nombre de dépenses de publicité,

de marketing, de promotion pour que la marque se développe sur ce marché. Cette activité

permet alors de développer deux incorporels distincts : D’une part, la marque distribuée

puisque cette dernière verra sa valeur augmenter sur le marché local ce qui se répercutera sur

sa valeur globale, d’autre part un droit incorporel marketing au niveau de la filiale lui

permettant d’acquérir des parts de marché ou de conforter sa position et de développer sa

clientèle.

Ces incorporels marketings ont dès lors un impact sur la répartition du profit lié à la

marque entre les sociétés du groupe et donc en matière de prix de transfert (B).

44 Exemple donné dans le chapitre 6 sur les incorporels des principes directeurs de l’OCDE en matière de prix de transfert, 6.18 45 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Chapitre 6 « Considérations particulières applicables aux biens incorporels », 6.18 46 Titre 1, Chapitre 2, Section 1, §1, B

47

B- Les enjeux en matière de prix de transfert :

Les incorporels marketing posent directement la question de la répartition du profit lié

à l’augmentation de la valeur de la marque. Conformément au principe de pleine concurrence,

des sociétés liées doivent contracter à des conditions de pleine concurrence c’est-à-dire à

celles qui seraient convenues entre des sociétés indépendantes. Or, entre de telles sociétés, la

filiale de distribution aurait reçu une rémunération au titre des investissements réalisés par

elle. Dès lors, il serait normal que la filiale de distribution liée soit également rémunérée.

Cette rémunération doit tenir compte des dépenses effectuées par la filiale distributrice ainsi

que des risques assumés par celle-ci. Dans l’hypothèse des incorporels marketing, la filiale

doit régulièrement investir et de façon importante pour entretenir son actif incorporel. A

l’inverse, la société propriétaire doit également investir pour entretenir la marque et

notamment sa reconnaissance, mais celle-ci dépérit plus lentement, impliquant ainsi des

investissements sur le long terme. La répartition du surprofit engendré par les investissements

de la filiale distributrice doit donc se faire de façon équitable entre les deux sociétés à raison

des risques qu’elles ont chacune supportés. Dans cette optique, il apparait normal que la filiale

soit rémunérée au titre de ses dépenses.

Le projet de l’OCDE en matière d’incorporels met en exergue les problèmes posés par

les incorporels marketing. Il pose tout d’abord la question de l’existence même de tels

incorporels, s’interrogeant sur le point de savoir si « un distributeur détient un incorporel

secondaire, local, lié mais distinct de la marque »47

. Ce qui aboutit à se demander « quelles

sont les circonstances dans lesquelles une entreprise devrait, dans des conditions de pleine

concurrence, partager les profits générés par l’exploitation d’une marque appartenant à une

autre entreprise, du fait par exemple de l’importance des fonctions qu’elle exerce qui

contribuent au développement de la valeur de ladite marque, et des conditions contractuelles

et économiques dans lesquelles elle exerce ces fonctions ? » 48

. Toutes ces interrogations

amènent à la question de la propriété économique que l’on développe ci-après.

Les incorporels marketing, dont l’importance ne cesse de croître, constituent donc des

hypothèses de transfert et d’usage d’incorporels, au même titre que les opérations de

réorganisation des entreprises (§3).

3°) Le cas des opérations de réorganisation des entreprises.

Les opérations de réorganisation des entreprises liées, qu’il conviendra de définir (A),

peuvent donner lieu à des transferts d’actifs incorporels qui doivent être appréhendés par le

mécanisme des prix de transfert (B)

A- Définition des réorganisations d’entreprises au sens des prix de transfert:

Au sein des principes applicables en matière de prix de transfert figure un chapitre 9

portant sur les aspects prix de transfert des réorganisations d’entreprise49

. Dans le cadre de ce

chapitre, la réorganisation d’entreprise est définie comme le redéploiement transnational par

une entreprise multinationale de ses fonctions, actifs et/ou risques. Ces réorganisations

peuvent consister notamment en la transformation de distributeurs de plein exercice en

distributeurs limités ou en commissionnaires agissant pour une entreprise associée étrangère

47 « Prix de transfert et actifs incorporels : travaux en cours de l’OCDE », Caroline Silberztein, Dr. Fiscal n°20, 19 mai 2011, 344. 48 Ibid 49 Ce chapitre a été introduit le 22 juillet 2010 suite a un projet qui avait été présenté par l’OCDE le19 septembre 2008.

48

qui peut jouer le rôle de donneur d’ordre, en la transformation de fabricants de plein exercice

en sous-traitants ou façonniers, en la centralisation d’actifs incorporels au sein d’une entité du

groupe telle qu’une société holding de propriété intellectuelle, en la rationalisation et/ou

spécialisation d’activités et en la création ou le renforcement d’une entité agissant comme un

entrepreneur principal au sein du groupe.

Ces différentes réorganisations peuvent donner lieu à un transfert d’actifs incorporels,

tels que le transfert de brevets, de savoir-faire, de la clientèle, qui se trouvent dès lors soumis

au contrôle des prix de transfert (B).

B- Enjeux des réorganisations en matière de prix de transfert :

Dès lors qu’une réorganisation d’entreprise donne lieu à un transfert d’incorporels, se

pose automatiquement la question de savoir si ce transfert doit donner lieu à une rémunération

de pleine concurrence. L’OCDE applique le principe de pleine concurrence aux opérations de

réorganisation, aussi bien à la réorganisation elle-même qu’aux opérations post-

réorganisation. Dans ces hypothèses, il faut donc définir une rémunération de pleine

concurrence au titre de la réorganisation et des opérations qui lui seront postérieures. Dès lors,

et de façon classique, les transferts d’incorporels ayant lieu du fait de la réorganisation

devront être identifiés et rémunérés correctement, et leur exploitation par la nouvelle entité

détentrice donnera elle aussi lieu à l’application d’un prix de pleine concurrence, notamment

si elle concède une licence d’exploitation dessus. A titre d’exemple, la centralisation d’actifs

incorporels au sein d’une holding de propriété intellectuelle suppose une rémunération de ce

transfert conforme au principe de pleine concurrence, mais également que ce principe soit

respecté dans le cadre de l’exploitation desdits incorporels par la holding notamment par le

biais de licences.

Une fois le transfert ou l’usage d’un incorporel identifié, la société doit procéder à une

analyse économique, qui constituera le socle de la détermination du prix de pleine

concurrence, et qui là encore s’avère relativement délicate face à la complexification des

structures d’exploitation des incorporels (Section 2).

Section II- L’analyse économique en matière d’incorporels : Une analyse difficile face à

la complexité des structures d’exploitation des incorporels.

L’analyse économique constitue une étape fondamentale dans la détermination d’un

prix de transfert de pleine concurrence. Elle consiste en une analyse précise de la situation des

entreprises liées, analyse qui permettra non seulement de trouver la méthode adéquate de

détermination du prix, mais qui constituera également un préalable fondamental à

l’identification de transactions comparables afin de s’assurer de la conformité du prix retenu

au prix de pleine concurrence (elle délimitera le champ de la recherche de comparables que

l’on étudiera par la suite50

). Cette étape joue un rôle clé dans l’allocation des revenus au sein

du groupe et, par voie de conséquence, sur la répartition du droit d’imposer entre les Etats.

L’importance de l’analyse économique explique ainsi que son déroulement soit

relativement encadré par les principes applicables en matière de prix de transfert édictés par

l’OCDE, qui comportent une partie intitulée « guide pour l’application du principe de pleine

50 Titre 2, Chapitre 2, Section 4.

49

concurrence »51

exposant les différents facteurs de cette analyse. Cependant, face à la

complexification croissante des structures d’exploitation des incorporels, l’application de ces

critères ne s’avère pas toujours facile (§1), et ce, particulièrement lors de l’analyse

fonctionnelle qui constitue l’une des étapes les plus délicates (§2).

1°) Les critères de l’analyse économique et leur application en matière

d’incorporels :

Aux termes des principes OCDE, il existe cinq facteurs de comparabilité qui sont donc

mis en œuvre dans le cadre de l’analyse économique : Les caractéristiques des biens (A),

l’analyse fonctionnelle, les clauses contractuelles (B), les circonstances économiques (C) et

les stratégies d’entreprise (D), qui ne sont pas limitatifs. Il s’agira d’exposer ici chacun de ces

critères, afin d’exposer leur application en présence d’incorporels, à l’exception de celui de

l’analyse fonctionnelle qui requiert des développements particuliers (Cf. infra : §2).

A- Les caractéristiques des biens:

Les caractéristiques des biens constituent l’un des facteurs de comparabilité à prendre

en compte dans le cadre de l’analyse économique. Il convient, en effet, de cerner le bien objet

de la transaction donnant lieu à un prix de transfert, pour pouvoir analyser par la suite sa

comparabilité avec un autre bien, et même justifier une éventuelle différence de valeur (les

biens n’étant pas souvent similaires, spécialement en matière d’incorporels).

Cette analyse des caractéristiques suppose de regarder, notamment, la nature de la

transaction en cause (s’agit-il d’une cession, d’une concession de licence…), le type d’actif

(brevet, marque, savoir-faire…), la durée, la nature ainsi que l’étendue de la protection dont

bénéficie cet incorporel (marque ou brevet déposés, savoir faire ne donnant pas lieu à un droit

de propriété exclusif et opposable mais protégé sur le fondement de la concurrence

déloyale…), la notoriété (notamment en présence d’une marque), le potentiel de

profitabilité… Autant d’éléments qui permettent de tracer les contours du bien.

Il est cependant difficile d’identifier des biens exactement comparables en matière

d’incorporels du fait de la forte spécificité de ce type d’actif. Par ailleurs, de façon plus

générale, l’importance de ce facteur varie selon la méthode de détermination choisie : S’il est

particulièrement important en cas de mise en œuvre de la méthode du prix comparable sur le

marché, son importance est moindre dans le cadre de celle reposant sur une marge nette.

Toujours est-il que cette étape reste importante et permet de définir précisément le bien qui

s’inscrit dans une transaction dont les clauses contractuelles jouent également un rôle notable

(B).

B- Les clauses contractuelles :

Les clauses contractuelles sont déterminantes dans l’analyse de comparabilité et sont

très fortement liées à l’analyse fonctionnelle (Cf infra) dans la mesure où elles « définissent,

expressément ou implicitement, les modalités de répartition des responsabilités, des risques et

51

Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des

administrations fiscales, Chapitre 1 « Le principe de pleine concurrence », D.

50

des bénéfices entre les parties »52

. Les éléments contractuels pris en compte sont, notamment,

les conditions du paiement, le volume de la transaction, les garanties fournies, la durée du

contrat, les conditions de fin du contrat et de renouvellement, les clauses d’exclusivité…

Toutes ces clauses ont une influence sur la profitabilité de la transaction, et doivent donc être

prises en compte.

L’analyse des clauses contractuelles se heurtent cependant parfois, et spécialement

entre entreprises liées, à l’absence d’un contrat écrit. Les relations intra-groupe ne donnent, en

effet, pas toujours lieu à l’élaboration d’un contrat écrit. Dans ce cas, l’OCDE prévoit la

possibilité de se référer à la correspondance et aux communications ayant eu lieu entre les

parties, et même au comportement des parties et « aux principes économiques qui régissent

habituellement les relations entre entreprises indépendantes ».

Les clauses contractuelles conditionnent l’opération économique mise en œuvre entre

les sociétés, et donc la répartition des rémunérations qui doit en résulter et la fixation du prix

de pleine concurrence. Cette importance se retrouve ainsi en jurisprudence où des différences

sur la monnaie de référence, sur les volumes des ventes, sur les années en cause ont été

sanctionnées53

.

Par ailleurs, les clauses contractuelles sont propres à chaque contrat et à la relation

commerciale sous-jacente. En effet, en fonction des parties en cause, les conditions peuvent

significativement différer, et ce, particulièrement en matière d’entreprises liées et

d’incorporels. Chaque contrat est lié à l’actif qui en fait l’objet et aux relations entre les

parties. Il peut, ainsi, arriver qu’une filiale bénéficie d’une réduction de la redevance qu’elle

paye pour l’exploitation d’une marque lorsque, en contrepartie, la société mère laisse à sa

charge des dépenses de publicité ou de marketing. Dès lors, la redevance ne peut être remise

en cause du simple fait qu’elle est supérieure au prix « normal », puisqu’une contrepartie

existe à cette réduction. Les conditions contractuelles doivent être prises en compte dans leur

ensemble. Or là encore, la matière des incorporels fournit pléthore de combinaisons possibles,

ramenant toujours à l’idée de la difficile comparabilité de telles transactions. Transactions qui

sont d’ailleurs fortement influencées par les circonstances économiques (C).

C- Les circonstances économiques :

Même lorsque deux transactions portent sur le même bien, il ne faut pas négliger les

circonstances économiques de la transaction. Le principe de pleine concurrence suppose, en

effet, de déterminer un prix que des entreprises indépendantes auraient accepté. Or ce prix est

fortement impacté par l’environnement économique de l’entreprise et donc par ses conditions

de marché. L’analyse des circonstances économiques passent alors par la détermination du

marché pertinent, mais également du positionnement de l’entreprise au sein de celui-ci.

Le marché pertinent doit être déterminé aussi bien géographiquement que

temporellement, et tenir compte de l’offre et la demande. Il peut, en effet, y avoir une pluralité

de marchés pour un même bien. Il faut donc identifier le marché de référence. Ce marché se

définit par rapport aux biens en cause (ainsi, une marque peut être fortement connue sur un

marché et, au contraire, très peu présente sur un autre), par rapport aux années en cause (un

bien peut être très présent sur un marché et quelques années après avoir été évincé par de

nouveaux concurrents, de sorte que le marché pertinent ne sera pas le même selon les années

52

Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des

administrations fiscales, Chapitre 1 « Le principe de pleine concurrence », D.1.2.3, 1.52 53 CAA Nancy 26 janvier 1995, n°92-240, SARL Moulin de la Chée, RJF 95 n°712.

51

considérées). Il peut également poser la question de l’opposition entre marché local et

mondial : Certains biens incorporels, tels que des marques (Coca-Cola…) ou des logiciels

(Microsoft, Apple…), sont mondialement connus et donc se situent sur un marché mondial,

alors que d’autres peuvent, au contraire, n’être connus que localement (Leader Price…). La

notion de marché n’étant bien évidemment pas statique mais évolutive. Ainsi, une marque

locale peut conquérir de nouveaux marchés et devenir mondialement connue, de sorte que le

marché de référence évoluera. Tous ces facteurs permettent de déterminer le marché de

référence, et de justifier des écarts de rémunération. L’arrêt Cap Gemini du Conseil d’Etat

illustre parfaitement cette idée de marché pertinent et de son évolution54

. Le marché pertinent

se délimite également par l’offre et la demande. Sont alors pris en considération le type de

clients, le pouvoir d’achat et les habitudes culturelles des consommateurs sur le marché, ainsi

que le volume des transactions réalisées. On peut également citer ici la récession du marché

en cause 55

ou, au contraire, son expansion.

Il convient, en outre, une fois le marché délimité, de tenir compte de la position de

l’entreprise sur ce dernier par le biais de différents indicateurs : les parts de marché de

l’entreprise, la concurrence existant sur le marché et le développement de produits de

substitution…

Tous ces éléments conduisent donc à déterminer la position économique de

l’entreprise en question, permettant de fixer une rémunération de pleine concurrence et de

justifier d’éventuels écarts. Cela permet de procéder à des ajustements de comparabilité et

d’établir un cadre pour, ensuite, procéder à la recherche de comparables (Cf infra : Section

IV), recherche qui est aussi impactée par les stratégies mises en œuvre par l’entreprise (D).

D- Les stratégies d’entreprise :

Les stratégies des entreprises peuvent avoir un impact sur les prix pratiqués par ces

dernières, et doivent donc être prises en considération dans le cadre de la détermination du

prix de pleine concurrence. Une entreprise mène, en effet, une stratégie sur le moyen ou long

terme, ce qui exclut donc d’avoir une vision trop court-termiste de ses prix. Dans le cadre de

sa stratégie, la société peut mettre en place des conditions divergentes de celles pratiquées sur

un marché de pleine concurrence, mais qui sont fondées sur une réalité économique sous-

jacente.

Différentes stratégies des entreprises peuvent être prises en compte : la pénétration

d’un marché (qui peut, entre autres, supposer un prix inférieur au prix « normal »), le maintien

sur un marché, la recherche de gain de nouvelles parts de marché, la mise en place de

nouveaux produits, la diversification des activités, la reconversion de la société ou même sa

sortie, ainsi que tous ceux ayant une incidence sur le fonctionnement quotidien des

entreprises. Tous ces facteurs peuvent justifier des différences de prix entre des transactions

comparables : la société mettant en œuvre la stratégie se retrouvant, le plus souvent, avec des

bénéfices moindres et des coûts plus élevés. Il est dès lors normal que la stratégie soit intégrée

à l’analyse économique, dans la mesure où elle impacte le prix et l’analyse de comparabilité.

54 CE 7 novembre 2005, n°266436 et 266438, 3e et 8 s., min c/ Sté Cap Gemini : Le Conseil d’Etat reprochait à l’administration de s’être « bornée pour établir l'existence d'un avantage consenti par une société mère à ses filiales étrangères, à se référer aux redevances perçues par la société mère de ses filiales françaises au cours des années en litige ou à celles perçues de ses filiales étrangères au cours d'années postérieures, n'établit pas que la société mère, en ne percevant aucune rémunération de ses filiales étrangères pour l'utilisation d'une marque et d'un logo, leur avait ainsi consenti un avantage alors que cette marque et ce logo dont la valeur est susceptible de varier en fonction du temps ou du marché,

étaient alors peu connus sur les marchés des filiales étrangères, parfois issues du rachat d'entreprises y ayant associé leur propre marque ». 55 CAA Paris 29 juin 1993, Enka France.

52

Cependant, bien que devant être prise en compte, la stratégie de l’entreprise peut

s’avérer discutable et discutée au regard du principe de pleine concurrence, et ce, notamment

dans l’hypothèse où elle s’avère infructueuse pour l’entreprise et qu’elle est tout de même

poursuivie par cette dernière au-delà de ce qu’une entreprise indépendante aurait accepté. Il

convient ici de se demander si une telle entreprise « aurait été disposée à sacrifier ses

bénéfices pendant une période similaire dans les mêmes conditions économiques et de

concurrence »56

. Si tel n’est pas le cas, on pourrait estimer que le principe de pleine

concurrence n’est pas respecté et que le prix ne pouvait être réduit d’autant.

Au regard de tous ces éléments, on voit bien que l’analyse économique constitue une

étape importante dans la détermination de la méthode applicable, mais également dans un but

de comparabilité. Si les différents facteurs que l’on vient d’exposer comportent des

spécificités en matière d’incorporels, c’est l’étape de l’analyse fonctionnelle qui pose dans ce

domaine le plus de difficultés (§2).

2°) L’analyse fonctionnelle : Une étape particulièrement complexe en matière

d’incorporels.

L’analyse fonctionnelle fait partie des cinq facteurs de comparabilités dégagés par

l’OCDE. Mais cette étape appelle une description séparée des autres tant sa mise en œuvre est

fondamentale et délicate en présence d’incorporels.

« L’analyse fonctionnelle consiste pour l’entreprise à s’interroger sur sa place et son

rôle économique au sein du groupe, et à recenser les fonctions exercées, les risques encourus

et les actifs corporels et incorporels utilisés »57

. A chaque fonction, chaque risque et chaque

actif correspond une rémunération particulière. L’analyse fonctionnelle constitue donc le

socle de la détermination du prix de pleine concurrence et, par conséquent, du choix de la

méthode pertinente. Mais deux autres enjeux ressortent de cette phase : D’une part, elle

permet, avec tous les autres facteurs, de dresser le profil de la société liée et de dégager ainsi

un cadre pour l’analyse des comparables, d’autre part, elle permet d’identifier une éventuelle

transaction qui n’aurait pas été rémunérée. L’analyse fonctionnelle permet donc de déterminer

le rôle économique de chacune des sociétés parties à la transaction en cause. Elle conduit à

une distinction entre les activités dites de routine qui ont une moindre importance et

l’entrepreneur principal qui constitue l’entité principale. Cependant, face à la complexité de la

matière des incorporels mais également à la complexification des structures qui les créent et

les exploitent, l’identification de cet entrepreneur principal s’avère quelques fois difficile (A),

ce qui explique que, pour pallier à cela, la pratique ait de plus en plus recours à la notion de

propriété économique (B).

A- La difficile identification de l’entrepreneur principal :

La notion d’entrepreneur principal, qui n’est pas explicitement reconnue dans les

principes de l’OCDE, est définie par l’administration fiscal comme « L’entreprise qui assume

les risques principaux (qu’ils se concrétisent ou non) et qui prend les décisions

stratégiques»58

. L’entrepreneur principal se distingue donc des activités de routines, qui

constituent des activités de moindre importance dans l’exploitation d’un incorporel, et qui de

56 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Chapitre 1 « Le principe de pleine concurrence », D.1.2.5, 1.63 57 Définition donnée par le guide pratique de l’administration à l’usage des PME (Bien que s’adressant aux PME, ce guide comporte un certain nombre de remarques générales applicables à toutes les entreprises et pas seulement aux PME). 58 Ibid

53

ce fait, ont vocation à une rémunération moindre. Il y a donc une dichotomie entre

entrepreneur principal et fonction de routine qui s’explique par la nécessité d’identifier la

rémunération de pleine concurrence revenant à chacun. En effet, la méthode de prix de

transfert doit permettre de fixer le profit qui est attribuable aux activités de routine,

l’entrepreneur principal ayant vocation à recevoir le profit résiduel.

L’entrepreneur principal n’est identifié qu’à l’issue de l’analyse fonctionnelle. Pour

procéder à son identification, il faut analyser les fonctions, les risques et les actifs utilisés par

chaque entité partie au processus. Il faut donc, dans un premier temps, procéder à l’analyse

des fonctions qui peuvent être diverses. A titre d’exemple, on peut citer la conception, la

recherche et développement, la fabrication, les prestations de services, la distribution, la

commercialisation, la sous-traitance, la publicité, la gestion, la cession, concession ou mise à

disposition d’un incorporel… Dans un second temps, il doit être procéder à l’analyse des

risques, qui peuvent être des risques de marché (tels que les variations des coûts des moyens

de production et du prix des produits (variation du prix des matières premières par

exemple)…), les risques liés à la gestion des stocks, les risques liés aux investissements (biens

meubles ou immeubles, installations…), les risques financiers (variation des taux de change et

des taux d’intérêt), les risques de crédit… Enfin, il faut recenser les actifs corporels et

incorporels utilisés dans le cadre de la transaction en cause en tenant compte du type d’actif

(dans le cadre des incorporels : brevet, marque, savoir-faire, nom commercial…) et de ses

caractéristiques (en matière d’incorporels : leur importance économique, leur protection, la

stratégie, la renommée…).Une fois ces étapes franchies, il est possible de distinguer les

fonctions de routine et de leur attribuer une rémunération, ainsi que l’entrepreneur principal.

L’entrepreneur principal apparait finalement comme la fonction la plus importante que le

groupe ne serait pas prêt à déléguer, à sous-traiter.Mais, cette identification s’avère en réalité

plus difficile en matière d’incorporels.

Tout d’abord, il convient de souligner que dans certaines structures mettant en œuvre

des incorporels, la notion d’entrepreneur principal ne présente pas grand d’intérêt : Tel est le

cas notamment dans le cadre des accords de répartition des coûts.

Par ailleurs, la difficulté d’identification de cet entrepreneur peut se présenter dans le

cadre d’opérations de restructuration impliquant des actifs incorporels : il est fréquent qu’il y

ait un transfert de risques d’entités opérationnelles vers un entrepreneur principal (notamment

lors de la transformation de distributeurs de plein exercice en distributeurs limités ou en

commissionnaires). Ce transfert, mais également les opérations post-restructuration, doivent

répondre au principe de pleine concurrence, et supposent dès lors une analyse fonctionnelle

qui s’avère d’autant plus compliquée face à la complexité voire à une certaine opacité de ces

opérations.

En réalité, c’est surtout l’éclatement de la propriété et de l’exploitation des incorporels

qui pose problème. Les modèles classiques de gestion centralisée ont laissé place à des

exploitations décentralisées, dans lesquelles l’identification d’un entrepreneur principal peut

s’avérer très complexe. Ainsi, lorsqu’une marque est détenue de manière centralisée par une

société (qui en détient donc la propriété juridique), mais que cette marque est déclinée au

niveau local par une autre entité du groupe, cette dernière supportant d’importants coûts, peut-

on véritablement distinguer de façon classique l’entrepreneur principal et l’activité de

routine ? Certes l’entité locale ne détient pas la propriété de l’actif et n’en assume pas

pleinement le risque de sorte qu’elle ne peut être considérée comme un entrepreneur principal,

mais elle supporte tout de même des coûts qui peuvent être importants et surtout elle porte

cette marque, elle la développe. Dès lors, on ne peut lui nier une rémunération plus importante

que celle revenant classiquement à une activité de routine. Or, face à de tels schémas, la

54

notion d’entrepreneur montre ses limites. Ce qui explique que la pratique ait recours à

d’autres notions telles que la propriété économique (B).

B- L’importance croissante de la notion de propriété économique :

La pratique utilise de plus en plus fréquemment la notion de propriété économique

dans le cadre des prix de transfert. Ainsi, l’entreprise liée peut se fonder sur ce concept en vue

de distribuer entre différentes entités ayant participé ensemble au développement d’un

incorporel les bénéfices générés par ce dernier. Mais cette notion a également son importance

pour l’administration fiscale qui peut s’en servir pour fonder des redressements dans des

hypothèses de délocalisation d’actifs où le propriétaire juridique du bien se trouve à l’étranger

mais que le propriétaire économique se situe sur son territoire.

Malgré sa grande utilité, cette notion reste floue. Les principes de l’OCDE y font

expressément référence concernant le cas des incorporels commerciaux59

, sans pour autant la

définir. A noter que ce concept est également reconnu au niveau européen dans des matières

autres que celle des prix de transfert60

.

La problématique de la propriété économique se pose lorsque plusieurs sociétés d’un

groupe contribuent au développement d’un même incorporel sans pour autant en détenir la

propriété. Dès lors que chacune de ces entités subit des coûts et des risques au titre de l’actif,

il est légitime qu’elle perçoive une rémunération à ce titre correspondant à une partie du

bénéfice généré par cet actif, et ce, même si elle n’est pas juridiquement propriétaire de

l’actif. Comme on l’a déjà dit plusieurs fois, cela est très fréquent en matière de marque : une

filiale qui supporte des coûts de publicité ou de marketing pour développer sur son marché la

marque dont elle distribue les produits, ou même de façon plus nette encore lorsqu’une

marque non reconnue sur un marché local vient se substituer à une marque qui elle est

fortement connue localement, et donc bénéficier de sa forte implantation (clientèle, parts de

marché, notoriété…) ce qui est incontestablement une valeur ajoutée à la marque comme le

montre la décision Maruti Suzuki de la Cour Suprême Indienne61

.

Dans ces hypothèses, on distingue alors deux propriétés : la propriété juridique du bien

qui revient à la société titulaire du « titre de propriété » (brevet, dépôt de la marque…) et la

propriété économique qui revient à la filiale ayant contribué au développement de l’incorporel

et à sa valorisation. Il semble donc qu’il existe une propriété juridique du titre qui se combine

avec une propriété économique portant sur la substance du bien. Cette répartition fonde la

répartition de la valeur entre les entités concernées62

.

Se pose alors la question de savoir ce que recouvre exactement cette notion de

propriété économique. Dans un sens général (non spécifique aux prix de transfert), la doctrine

tend à considérer que la propriété économique se définit quant à son contenu : la propriété

économique constituerait donc « l’appropriation effective de la substance économique de la

chose »63

. En matière de prix de transfert plus spécifiquement, Jean-Frédéric Maraia estime

que la propriété économique découle du principe de pleine concurrence et « considère que le

59 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Chapitre 6 : Considérations particulières applicables aux biens incorporels, B1, 6.3 60 En matière de TVA : CJCE 8 février 1990, n° 320/88, 6e ch., SAFE Rekencentrum BV ; En matière d’aides d’Etat : Commission 2000/735/CE, 21 avril 1999 61 Un exemple très intéressant d’un tel cas est celui de Décision de la Cour Suprême Indienne du 1er octobre 2010, Maruti Suzuki India Ltd vs Additional Commissionner. Cf supra : Titre 1, chapitre 2, Section 1, §1, B, 2. 62 « Prix de transfert : l’accession mobilière, un fondement légal de la propriété économique des marques ? », Isabelle Rouberol, Droit fiscal n°27, 7 juillet 2011, 410. 63 Ibid « Prix de transfert : l’accession mobilière, un fondement légal de la propriété économique des marques ? ».

55

régime d’attribution des risques lors du développement de l’incorporel constitue un élément

central de l’attribution de la propriété économique. Il en conclut que la notion de propriété

économique garantit l’adéquation de l’attribution des profits avec la réalité des efforts

économiques engagés par chacun »64

. Selon Isabelle Rouberol, « la propriété économique

constitue l’appropriation de la substance économique d’un incorporel et cette appropriation

résulte des efforts entrepris, des fonctions et des risques assumés »65

. A noter que cet auteur

propose toute une réflexion intéressante sur le fondement d’une telle conception en droit

français, estimant que la propriété des marques pourrait trouver son fondement dans le

concept d’accession mobilière66

.

La propriété économique constitue donc une institution originale, qui est d’une grande

utilité en pratique, et qui permet de pallier à la carence du concept d’entrepreneur principal

dans certaines hypothèses biens précises. L’importance de cette notion mais également sa

difficile appréhension se retrouvent d’ailleurs dans les travaux actuels de l’OCDE sur la

réforme des prix de transfert en matière d’incorporels, qui s’interrogent justement sur cette

notion et sur la nécessité de la clarifier notamment en recherchant des facteurs à prendre en

compte pour la définir : fonctions, permanence, contrôle, risques, coûts…

Au vue de tous ces éléments, on constate donc que l’analyse économique des sociétés

liées s’avère très délicate en matière d’incorporels tant ces biens sont particuliers. Elle doit

donc, dans ce domaine, être menée avec la plus grande attention, et ce, d’autant plus qu’elle

constitue le fondement du choix de la méthode de détermination du prix de pleine

concurrence (Section 3).

Section III- Le prix de pleine concurrence et la difficile valorisation des incorporels.

Sur la base de l’analyse économique, l’entreprise doit choisir librement la méthode de

détermination du prix qu’elle estime la plus pertinente, la plus adaptée aux circonstances pour

que la rémunération alors pratiquée soit conforme au principe de pleine concurrence, et soit

donc à l’abri d’une remise en cause par l’administration fiscale. De telles méthodes sont

prévues par l’OCDE dans ses principes applicables aux prix de transfert. Le droit français ne

prévoit, en effet, pas de méthodes précises et renvoie aux principes de l’OCDE. Or, ces

méthodes apparaissent inadaptées à des biens aussi uniques et importants que les incorporels

(§1), d’où la nécessité de recourir à des méthodes financières (§2).

1°) L’inadaptation des méthodes classiques.

L’OCDE propose, dans ses principes, cinq méthodes pour déterminer un prix de pleine

concurrence. Cette liste est non limitative. Il n’existe pas de hiérarchie entre ces différentes

méthodes, il convient juste de trouver la méthode la plus appropriée. Il est, par ailleurs,

possible de les utiliser conjointement, permettant ainsi d’obtenir un résultat plus fiable. Mais

cela représente une charge trop lourde pour le contribuable. Les méthodes OCDE se divisent

en deux catégories : les méthodes traditionnelles fondées sur les transactions (A) et les

méthodes transactionnelles de bénéfices (B).

64 Ibid « Prix de transfert : l’accession mobilière, un fondement légal de la propriété économique des marques ? » ; « Prix de transfert des biens incorporels : droit fiscal suisse et international », Jean-Frédéric Maraia. 65 Ibid « Prix de transfert : l’accession mobilière, un fondement légal de la propriété économique des marques ? ». 66 Pour plus de détails, cf « Prix de transfert : l’accession mobilière, un fondement légal de la propriété économique des

marques ? ».

56

A- Les méthodes traditionnelles fondées sur les transactions :

Il existe trois méthodes traditionnelles fondées sur les transactions que l’on présentera

ici brièvement.

1- Méthode du prix comparable sur le marché libre :

La méthode du prix comparable (« Comparable Uncontrolled Price », CUP) est celle

consistant à comparer le prix d’un bien ou d’un service transféré dans le cadre d’une

transaction contrôlée à celui d’un bien ou d’un service transféré dans des conditions

comparables67

. Cette technique suppose donc une comparabilité élevée des transactions, et

donc des comparables externes ou internes. Or, en matière d’incorporels, cela s’avère très

difficile. Si la société en cause a déjà procédé à une transaction comparable avec une autre

société du groupe ou une société extérieure, on dispose alors d’un comparable interne.

Cependant, il convient de souligner ici la méfiance de l’administration fiscale quant aux

comparables internes. Dans l’hypothèse où de tels comparables n’existent pas, il faut recourir

à des comparaisons externes. Ce qui s’avère particulièrement complexe tant les incorporels

constituent des biens uniques et tant les relations qui les entourent sont particulières. Il est, en

effet, rare de trouver deux brevets entièrement comparables par exemple. Il faudra alors

procéder à des ajustements pour lisser ces différences, et parvenir à la rémunération de pleine

concurrence, ce qui laisse planer une certaine incertitude. Malgré tous ces inconvénients, cette

méthode reste tout de même d’un usage relativement courant en matière d’incorporels tant par

l’entreprise que par l’administration fiscale.

2- Méthode du prix de revente (ou resale minus) :

Cette méthode prend comme point de départ le prix auquel un produit acheté à une

entreprise associée est revendu à une entreprise indépendante. Il faudra ensuite retrancher de

ce prix de revente une marge brute appropriée représentant le montant sur lequel le revendeur

couvre ses frais de vente, ses dépenses d’exploitation et réalise un bénéfice convenable en

rapport avec les fonctions qu’il assume68

. Sa mise en œuvre suppose de procéder à la

comparaison entre la marge brute générée sur la vente intra-groupe d’un bien ou d’un service

avec celle qui serait réalisée dans des conditions comparables. Là encore on retrouve la

possibilité de se référer à un comparable interne ou externe. Cette méthode est envisageable

en matière d’incorporels, notamment lorsque l’incorporel fait l’objet d’une licence ou d’une

sous-licence à un tiers, où là un comparable plutôt fiable sera identifié. Mais si une telle

transaction n’existe pas, cette méthode ne semble pas tout à fait adaptée aux actifs incorporels

dans la mesure où elle conduit à une évaluation groupée de l’incorporel et du prix du produit,

et donc à une difficile séparation des deux.

3- Méthode du prix de revient majoré (ou cost plus) :

Cette méthode consiste à déterminer, pour les biens ou services transférés à un

acheteur apparenté, les coûts supportés par le fournisseur dans le cadre d’une transaction entre

entreprises associées. On ajoute alors au prix de revient une marge brute approprié aux coûts,

de façon à obtenir un bénéfice approprié aux fonctions exercées et aux conditions du

67 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Chapitre 2 : Méthodes de prix de transfert, B1, 2.13 68 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des

administrations fiscales, Chapitre 2 : Méthodes de prix de transfert, C1, 2.21

57

marché69

. Il convient donc de comparer la marge sur le prix de revient du fournisseur dans le

cadre des transactions intra-groupe et la marge de ce fournisseur ou d’un autre fournisseur

similaire dans le cadre de transactions non contrôlées. On peut là encore utiliser des

comparables internes ou externes. Ici les mêmes problèmes se posent que dans la méthode du

prix de revente (absence de comparables fiables et difficulté à dissocier le produit et

l’incorporel).

L’OCDE prévoit une seconde catégorie de méthodes : les méthodes transactionnelles

de bénéfices (B).

B- Les méthodes transactionnelles de bénéfices :

Les méthodes transactionnelles de bénéfices recouvrent, dans les principes de

l’OCDE, deux méthodes particulières : La méthode transactionnelle de la marge nette et la

méthode du partage des bénéfices.

1- Méthode transactionnelle de la marge nette :

Cette méthode repose sur l’identification, à partir d’une base appropriée (coûts, ventes,

actifs…), de la marge bénéficiaire nette que réalise un contribuable au titre d’une transaction

contrôlée70

. Une fois cette marge déterminée, il s’agit de la comparer à la marge bénéficiaire

nette que réalisent des sociétés similaires. Elle suppose une comparabilité moindre que les

méthodes du prix comparable, du prix de revente et du prix de revient, et apparait plus simple.

2- Méthode du partage des bénéfices (Profit split) :

La méthode du partage des bénéfices consiste à identifier les bénéfices provenant des

transactions contrôlées (bénéfices, mais également pertes), et à les partager entre les

entreprises associées en fonction d’une base économiquement valable qui se rapproche du

partage des bénéfices qui aurait été prévu dans un accord de pleine concurrence c’est-à-dire

entre entreprises indépendantes71

. Cette méthode tend donc à supprimer l’influence des

conditions spéciales existant entre entreprises liées en déterminant la répartition qu’auraient

acceptée de telles entreprises si elles avaient réalisé la transaction en question. Cette méthode

s’avère particulièrement avantageuse lorsque des transactions comparables entre entreprises

indépendantes ne peuvent être identifiées, et reflète la réalité des transactions intra-groupe.

Le profit consolidé permet, en effet, de distinguer deux éléments fondamentaux : D’une part,

le profit routinier c’est-à-dire celui rémunérant les fonctions standard (qui peut être,

notamment, la rémunération d’un concessionnaire), et d’autre part le surprofit généré par

l’incorporel (goodwill) et par l’organisation de la société, l’un et l’autre étant attribués aux

différentes entreprises en fonction de leur contribution (sur la base de leurs fonctions, leurs

risques et leurs ressources). Cette méthode a donc l’avantage d’être pragmatique, et

économiquement viable. Cependant, son application s’avère compliquée, notamment car elle

suppose une analyse économique complexe.

69Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Chapitre 2: Méthodes de prix de transfert, D1, 2.39 70 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Chapitre 2: Méthodes de prix de transfert, B1, 2.58 71 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Chapitre 2: Méthodes de prix de transfert, C1, 2.108

58

L’exposé des différentes méthodes illustre l’inadéquation des méthodes proposées par

l’OCDE aux biens incorporels. Ces dernières reposent très souvent sur une exigence de

comparabilité qui, en pratique, s’avère très difficile à mettre en œuvre tant les incorporels

présentent des caractères spécifiques et que les informations disponibles en la matière

manquent. Pour pallier à cette inadaptation, il est alors possible de recourir à des méthodes

financières (§2).

2°) Le recours à des méthodes financières, comme réponse à cette inadaptation.

Les praticiens ont souvent recours à des méthodes financières pour valoriser un

incorporel dans le cadre des prix de transfert. Il n’existe pas de consensus sur l’applicabilité

de ses méthodes ni même sur la façon de les appliquer. Mais l’OCDE mène actuellement une

réflexion sur ce sujet. On peut distinguer trois principales méthodes : la méthode des multiples

(A), la méthode des coûts (B), ainsi que la méthode « Discounted cash flows » (C).

A- La méthode des multiples (ou des comparables):

La méthode des multiples consiste à apprécier la valeur d’un actif en fonction de

multiples observés à raison d’entreprises comparables. Il s’agit de déterminer, dans un

premier temps, un panel de sociétés comparables à la société en cause, selon différents

critères. Autrement dit, d’observer des sociétés détenant des incorporels comparables à ceux

de la société visée par les prix de transfert (sociétés détenant des incorporels similaires, ayant

une activité, un positionnement géographique et une rentabilité comparables). Dans un second

temps, au regard du panel retenu, on détermine des ratios comptables, économiques,

financiers pertinents qui sont le reflet de la rentabilité de l’actif dans ces différentes sociétés.

On applique alors ces ratios à l’actif en cause, avec éventuellement des ajustements pour tenir

compte des différences pouvant exister entre les sociétés. On applique « aux agrégats

financiers spécifiques de l’actif à évaluer les multiples de valorisation observés pour des

transactions récentes sur des actifs comparables »72

. On aboutit ainsi à la valorisation de

l’actif incorporel par comparaison avec la valorisation d’incorporels semblables détenus par

d’autres entreprises observée lors de récentes transactions.

Cependant, cette méthode (très fréquente en matière d’évaluation d’entreprise) n’est

généralement pas retenue en matière d’actifs incorporels, non seulement car l’information sur

des incorporels comparables manque (et ce, d’autant plus qu’il s’agit de la rentabilité d’un

actif précis et non de la société en général), mais également car une telle comparaison ne

s’avère pas toujours pertinente en raison des spécificités des incorporels qui influent

directement sur leur rentabilité et qui ne peuvent pas toujours être corrigées par de simples

ajustements. D’où l’utilité d’autres méthodes telles que la méthode des coûts (B).

B- La méthode des coûts :

La méthode des coûts part du postulat qu’il existe un lien entre les coûts et la valeur.

Elle consiste à déterminer la valeur d’un actif incorporel par la capitalisation de tous les coûts

qu’il a engendrés depuis son acquisition ou sa création73

. On additionne donc tous les coûts

relatifs à cet incorporel : coûts de création, coûts de développement, coût du maintien…

72 « Prix de transfert et évaluation d’incorporels : les principes fiscaux aux secours de la finance », Antoine Glaize, Source : www.arsene-taxand.com 73 Ibid

59

Cette méthode n’est cependant pas sans limites. D’une part, elle ne semble pas tenir

compte de la variation de la valeur de la monnaie dans le temps (à moins de prévoir des

actualisations dans ce domaine). D’autre part, le recours aux coûts lui-même est critiquable. Il

n’est, en effet, pas toujours possible de distinguer de façon précise les coûts liés à un actif

particulier, et ce, d’autant plus si cet actif est ancien. Par ailleurs, le fait de se fier aux coûts

des incorporels à partir de la comptabilité de la société, c’est-à-dire à partir des coûts

historiques, ne permet pas de déterminer exactement la valeur de l’incorporel aujourd’hui, le

principe du coût historique n’étant pas toujours pertinent, et un incorporel pouvant avoir une

valeur bien supérieure à sa valeur en comptabilité. Pour une plus grande pertinence, il faudrait

combiner cela avec une évaluation des revenus générés par l’incorporel (C).

C- La méthode “Discounted cash flows”:

La méthode “Discounted cash flow” (DCF) consiste à prendre en compte les flux

futurs de trésorerie (cash flows) susceptibles d’être générés par l’actif incorporel et de les

actualiser par le biais d’un taux d’actualisation tenant compte de divers facteurs (risques,

inflation…). Cette méthode part du principe que la valeur d’un incorporel repose sur les

revenus qu’il génère et qu’il est capable de générer dans le futur. Mais également sur le

postulat que cette valeur fluctue dans le temps, d’où l’actualisation. Cette méthode très

fréquemment utilisée par les praticiens semble faire partie des plus pertinentes. La prise en

compte du potentiel de profit de l’actif est, en effet, économiquement juste (contrairement à la

méthode des coûts).

Mais cette méthode repose sur des projections de flux futurs. Or il n’est pas certain

que ces prévisions se réaliseront par la suite. Aussi, il convient d’être particulièrement attentif

et de chiffrer le plus justement et le plus prudemment possible ces estimations. Par ailleurs, il

est nécessaire de contrôler régulièrement si les projections se sont réalisées, et de les revoir à

la baisse s’il apparait qu’elles ne sont pas ou qu’elles ne seront pas respectées. A défaut, le

contribuable court le risque de se voir redresser par l’administration fiscale, cette dernière

remettant en cause la méthode de détermination du prix de transfert.

Il convient de signaler que la méthode DCF semble évoquée par les principes de

l’OCDE qui, au titre des facteurs devant être pris en compte pour déterminer le prix de pleine

concurrence en matière d’incorporels, prévoient que les avantages attendus du bien incorporel

constituent l’un de ces facteurs. L’OCDE précise, par ailleurs, que ces avantages peuvent être

déterminés au moyen d’un calcul de la valeur actualisée nette74

, ce qui semble renvoyer à la

méthode DCF.

Cependant, toutes ces méthodes ne font pas pour l’instant l’objet d’un consensus

international. L’OCDE, dans le cadre de sa réforme des prix de transfert en matière

d’incorporels, envisage d’examiner une reconnaissance officielle de ces méthodes, et d’aller

plus loin en rédigeant des lignes directrices afin d’aider, les entreprises et les administrations,

à l’appréciation de la pertinence des paramètres choisis et de la formule retenue pour fixer le

prix de pleine concurrence. Un prix de pleine concurrence qui suppose une dernière étape

pour être pleinement identifié : celle de la recherche de comparables (Section 4).

74 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Chapitre 6 : Considérations particulières applicables aux biens incorporels, C3, 6.20

60

Section IV- La recherche de comparables : Une recherche impossible ?

La recherche de comparables constitue l’ultime étape de la détermination du prix de

pleine concurrence. En effet, après l’analyse économique et la détermination d’une méthode

de prix de transfert, l’entreprise doit s’assurer que son prix est conforme au principe de pleine

concurrence par le biais de la recherche de comparables (ou benchmark). Cette étape doit

aboutir à l’indentification de transactions comparables avec celle de la société en cause,

identification qui s’avère particulièrement difficile en présence de biens incorporels (§1), et

qui aboutit finalement plus à une approximation qu’à un véritable comparable (§2).

1°) La difficile identification de comparables face aux spécificités des

incorporels…

Quelque soit la méthode de détermination retenue par l’entreprise, sa validité repose

sur une comparaison entre la transaction en question et une transaction réalisée par une

entreprise indépendante (le comparable). Cela suppose donc d’identifier un tel comparable.

Mais face aux spécificités des biens incorporels, la notion de comparable (A) s’avère

particulièrement difficile à manier (B).

A- La notion générale de comparable :

Le fondement de la notion de comparable se trouve dans le principe de pleine

concurrence (Article 9 du modèle OCDE). En effet, ce principe exige une comparaison entre

les conditions d’une transaction entre entreprises associées et les conditions d’une transaction

entre entreprises indépendantes. Pour pouvoir procéder à une telle comparaison, les

caractéristiques de ces deux entreprises et de leurs transactions doivent être suffisamment

comparables. C’est l’identification des comparables.

Les principes édictés par l’OCDE en matière de prix de transfert définissent la notion

de comparable. Il ressort de celle-ci que comparable ne signifie pas identique. On considère,

en effet, qu’il y a comparable soit lorsqu’il n’y a pas de différence entre les situations

comparées qui puisse notablement influer sur l’élément examiné (prix, redevance, marge),

soit lorsqu’il existe une telle différence mais que des correctifs suffisamment fiables puissent

être utilisés pour éliminer l’incidence de la différence.

L’identification des comparables s’effectue sur la base de l’analyse économique que

l’entreprise aura préalablement effectuée. Ainsi, la détermination des comparables se fait à

partir des cinq facteurs de comparabilités : les caractéristiques des biens ou services, l’analyse

fonctionnelle, les clauses contractuelles, les circonstances économiques et les stratégies des

entreprises75

. Au regard de ces différents critères, on s’aperçoit que la notion de comparable

est particulièrement difficile à mettre en œuvre dans le cas des incorporels (B).

B- Une notion délicate à manier en matière d’incorporels :

Les incorporels constituent des biens imprégnés d’une très forte individualisation.

Chaque incorporel dispose, en effet, de caractéristiques propres très marquées. Dès lors, il est

très difficile voire impossible d’identifier deux incorporels comparables. Il s’agira ici de

donner quelques exemples illustrant cette difficulté, sans revenir en détail sur les critères de

comparabilité.

75 Cf supra : Section 2

61

Ainsi, pour que des transactions soient considérées comme comparables, la transaction

comparable doit porter sur des biens présentant les mêmes caractéristiques que les biens de

l’entreprise dépendante. L’appréciation de ce critère suppose de prendre, notamment, en

compte la nature de la transaction, l’actif concerné, la durée, l’étendue de la protection et la

notoriété. Or il est rare de trouver deux incorporels présentant autant de similitudes. Si on

prend l’exemple d’une marque, celle-ci peut bénéficier d’une notoriété que d’autres marques

n’ont pas. Pour identifier un comparable pertinent, il faudrait donc identifier une transaction

ayant porté sur une marque de notoriété équivalente, dans un même secteur (luxe,

alimentaire…). A cela s’ajoute la prise en compte des clauses contractuelles sur les conditions

de paiement, le volume de la transaction, les garanties, l’exclusivité. Dès lors, il apparait très

difficile d’identifier deux concessions de licence d’une marque, présentant une notoriété

équivalente, aux mêmes conditions de paiement, d’exclusivité d’exploitation… On voit donc

bien que la notion d’incorporels, à laquelle se rattachent différentes caractéristiques, rend

difficile l’identification d’un comparable pleinement pertinent.

Cette difficulté se manifeste avec d’avantage de force en ce qui concerne les

circonstances économiques et les stratégies de l’entreprise. Un incorporel se caractérise par le

marché sur lequel il est exploité et sur sa position sur ce marché. Or, il apparait très difficile

d’identifier pour un incorporel précis un bien équivalent et, de surcroît, positionné de la même

façon sur un même marché. Ainsi, des sociétés opérant dans le même secteur d’activité, mais

sur des marchés différents ne représentent pas forcément des comparables pertinents76

. Les

incorporels, tels que les marques par exemple, peuvent donc différer sensiblement d’un

marché à l’autre, rendant là encore la recherche de comparables très complexe. Tout cela a

pour effet d’aboutir d’avantage à une approximation qu’à un véritable comparable (§2).

2°) …. aboutit d’avantage à une approximation qu’à un véritable comparable.

Le processus de recherche de comparables (A) permet rarement d’aboutir à

l’identification d’un seul et unique comparable, mais plutôt à un intervalle de pleine

concurrence (B), et donc plus à des approximations qu’à un véritable comparable.

A- Le processus de recherche de comparables :

Le processus de recherche de comparables suppose, dans un premier temps, de

rechercher l’existence de comparables internes à l’entreprise, c’est-à-dire des transactions

comparables que le groupe en question a réalisées avec des entités indépendantes. On regarde,

par exemple, si l’entreprise a concédé une licence d’exploitation semblable sur le même bien

(logiciel par exemple) à une société indépendante, auquel cas cette transaction constituera la

base de la redevance en cause. On n’exclut cependant les transactions purement internes

(conclues entre deux sociétés du même groupe) qui ne répondent bien évidemment pas au

principe de pleine concurrence. Ce n’est qu’à défaut de comparables internes que la société ou

l’administration doit rechercher des comparables externes.

Les comparables externes visent les comparables qui ne concernent pas le groupe et

que l’on identifie à partir d’une base de données publiques. Il existe deux grandes bases de ce

76 Cf CAA Versailles 5 mai 2009, n°08-2411, 3e ch., Man Camions et Bus, jugé en dehors du cas des incorporels, mais servant d’illustration : Le juge a écarté, en matière de poids lourds, trois comparables opérant sur des marchés étrangers (néerlandais, italien et portugais) au motif que rien ne démontrait que ces marchés européens présentaient des caractéristiques proches de celles du marché français, et a relevé que l’administration n’avait pas pris en compte l’existence en France d’un

acteur majeur dans ce secteur qui influençait les marges de ses concurrents (dont la société en cause).

62

type en France : DIANE pour les sociétés situées en France, et AMADEUS pour une

recherche sur des sociétés européennes. Cependant, ces bases ne constituent pas toujours un

outil efficace dans la mesure où elles ne sont pas facile à manier et qu’elles sont payantes, ce

qui fait supporter un coût au contribuable non négligeable. Par ailleurs, les bases de données

ne sont pas aussi complètes en matière d’incorporels que pour les marchandises : Il y est plus

difficile de trouver des informations pertinentes concernant des redevances d’incorporels, ce

qui rend encore plus difficile l’identification d’un prix de pleine concurrence dans ce

domaine.

La recherche de comparables internes ou externes peut concerner directement des

contrats comparables (taux de redevance…), ou simplement viser à déterminer la rentabilité

de sociétés indépendantes exerçant des fonctions comparables à celles de la société en cause.

L’entreprise ou l’administration doit entrer dans la base de données les critères qu’elle

a dégagés lors de l’analyse économique pour identifier les comparables, cependant il est rare

d’aboutir à un seul comparable. Le plus souvent, le résultat se présente sous la forme d’un

intervalle de pleine concurrence (B).

B- L’aboutissement à un intervalle de pleine concurrence :

La recherche de comparables est une opération qui s’affine progressivement77

. Comme

précisé précédemment, on entre les caractéristiques retenues dans la base de données, ce qui

aboutit à un grand nombre de sociétés. On affine alors la recherche en introduisant des critères

d’indépendance et de comparabilité. Une fois le panel réduit, il faut encore procéder à une

sélection manuelle permettant de le réduire d’avantage. Après toutes ces étapes, le panel

définitif des sociétés comparables est enfin identifié. Ce panel constitue alors ce que l’on

appelle « l’intervalle de pleine concurrence », ce qui conduit à la dernière phase qui est celle

de l’exploitation des résultats.

C’est dans le cadre de l’intervalle de pleine concurrence que doit rentrer le prix de la

société en cause. Au regard des principes OCDE, il semble qu’à l’intérieur de celui-ci tous les

points sont acceptables. L’entreprise n’a donc pas l’obligation d’en respecter un précisément.

La pratique tend à retenir comme intervalle de pleine concurrence l’intervalle interquartile

c’est-à-dire les entreprises comprises entre les deuxième et troisième quartiles, et d’exclure le

premier et le dernier quartiles qui représentent respectivement les 25% d’entreprises de

l’échantillon les moins rentables et les 25% d’entreprises les plus rentables78

. A cela s’ajoute

la notion de médiane qui constitue la valeur se situant entre les 50% inférieurs et supérieurs. A

partir de la combinaison de ces deux notions, on obtient donc le prix de pleine concurrence. Il

convient, cependant, de souligner que, même si le guide édicté par l’administration fiscale à

destination des PME en matière de prix de transfert fait expressément référence à ces notions,

l’OCDE ne le fait pas. On peut donc à juste titre penser qu’il serait possible pour les

entreprises qui ne sont pas des PME de s’écarter de cela.

La recherche d’un prix de transfert de pleine concurrence constitue en général, et plus

encore en matière d’incorporels, une tâche ardue aussi bien pour les entreprises que pour les

administrations. De telle sorte, que l’aboutissement de celle-ci mène d’avantage à

l’identification d’une approximation qu’à un véritable prix de pleine concurrence, si tant est

77 Cf « Prix de transfert : Un benchmark est-il une preuve ? », J-L Trucchi et A. Gobel, BF 4/10, qui présente de façon détaillée le déroulement de la recherche de comparables et expose les principes en matière de charge de la preuve. 78 Ibid : « Prix de transfert : Un benchmark est-il une preuve ? »

63

qu’un tel prix puisse in fine exister. Dans ce cas d’ailleurs, le Conseil d’Etat lui-même

préconise de limiter les risques de redressement en la matière en déterminant la valeur vénale

la plus plausible de l’incorporel, afin de dissuader l’administration fiscale de s’aventurer dans

un processus d’évaluation long, complexe et incertain. Tout semble, en définitive, tourner

autour de l’idée que le prix de transfert se justifie plus par une logique, une substance

économique sous-jacente, pertinente, acceptable et acceptée par l’administration fiscale que

par l’identification d’un véritable prix de pleine concurrence.

Les prix de transfert constituent une matière complexe et évolutive, devant faire face à

des spécificités croissantes. Les incorporels en sont une parfaite illustration. Le

développement de ces derniers pose, comme on l’a vu tout au long de cette étude, de

véritables difficultés et appelle de nombreuses adaptations du dispositif existant actuellement.

Tel est l’objectif que s’est fixée l’OCDE dans le cadre de la réforme qu’elle mène

actuellement, et dont le fruit ne sera pas connu d’ici 2013. Les incorporels constituent sans

aucun doute l’une des matières les plus complexes en matière de prix de transfert à l’heure

actuelle. Et le challenge reposant sur l’OCDE sera de modifier ses principes directeurs pour

les adapter à ses actifs si particuliers, de façon à clarifier cette notion mais également à poser

un cadre clair et précis permettant d’identifier de façon précise les prix de transfert dans ce

domaine. L’enjeu est tel que les travaux actuels des Nations Unies en matière de prix de

transfert, dont l’objectif est l’élaboration d’un manuel en la matière, traiteront également

(parmi d’autres sujets) des incorporels.

64

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages :

- Droit fiscal des affaires, Daniel GUTMANN, Montchrestien, 2ème

édition, 2011.

- Prix de transfert, Pierre-Jean DOUVIER, Stéphane GELIN, Bruno GIBERT et Arnaud

LE BOULANGER, Dossiers pratiques Francis Lefebvre, 2ème

édition, 2010.

- Précis de fiscalité internationale, Bernard CASTAGNEDE, PUF, 3ème

édition, 2010

- Les impôts dans les affaires internationales, Bruno GOUTHIERE, Editions Francis

Lefebvre, 8ème

édition, 2010

- Fiscalité de la recherche, de la propriété industrielle et des logiciels, Jean-Luc

PIERRE, Editions EFE, 2011

- La fiscalité des sociétés dans l’UE, Jean-Marc TIRARD, Groupe Revue Fiduciaire,

Collection pratiques d’experts, 8ème

édition, 2010

- Mémento Francis Lefebvre, Fiscal, 2011

Revues :

- Bulletin des conclusions fiscales, Edition Francis Lefebvre

- Bulletin fiscal Francis Lefebvre

- Feuillet rapide fiscal, Edition Francis Lefebvre

- Revue de jurisprudence fiscale, Edition Francis Lefebvre

- Nouvelles fiscales, Lamy

- Revue de droit fiscal, Lexisnexis

- Revue Option Finance

Sites internet :

- Site de l’administration fiscale française : Impôts.gouv

- Site de l’OCDE

- Site de l’Union européenne (EUROPA)

65

TABLE DES MATIERES

SOMMAIRE ………………………………………………………………………………………… p.2

INTRODUCTION …………………………………………………………………………………... p.3

TITRE : LA REPARTITION DU DROIT D’IMPOSER ENTRE ETATS

MISE A MAL PAR LES STRATEGIES FISCALES DES GROUPES EN MATIERE D’INCORPORELS……………………………………………………………………... p.7

Chapitre 1 : Localisation/Délocalisation d’incorporels : Un enjeu stratégique pour les groupes et les Etats ………………………………………………………………………….. p.7

Section I- Rappel des principes de répartition du droit d’imposer entre Etats en Matière d’incorporels…………………………………………………………………………. p.8

1°) Les principes de répartition du droit d’imposer ……………………………………… p.8

A- En l’absence de conventions fiscales internationales …………………………... p.8

1) L’imposition des versements de source française …………………………. p.8 2) L’imposition des versements de source étrangère…………………………. p.9

B- En présence de conventions fiscales internationales…………………………... p.10

2°) L’impact du droit de l’Union européenne …………………………………………… p.11 A- La Directive « intérêts et redevances »………………………………………… p.12

1) Le dispositif actuel………………………………………………………… p.12

2) Vers un élargissement du champ de la directive « intérêts-redevances »

par une nouvelle directive……………………………………………………. p.13 B- Le cas des retenues à la source pouvant être déclarées

non conformes au droit de l’UE …………………………………………………... p.13

Section II- Le système fiscal français des incorporels: Un système plutôt

attractif …………………………………………………………………………..……………p.14

1°) Le crédit d’impôt recherche, comme élément d’attraction des centres de R&D en France………………………………………………………………………... p.15

A- Champ d’application…………………………………………………………… p.15

B- Fonctionnement ………………………………………………………………... p.15

2°) La possibilité d’amortir certains incorporels : Une possibilité décevante ?.......................................................................................................................... p.16

A- Une possibilité d’amortir…………………………………………………… p.16

B- … qui ne bénéficie pas à tous les incorporels ……………………………. p.16 3°) L’application d’un taux réduit sur les résultats dérivant de l’exploitation de la

Propriété industrielle………………………………………………………………… p.17

Section III- Une concurrence accrue au sein même des Etats de l’UE……………………... p.17

1°) L’existence d’un dumping fiscal européen…………………………………………... p.18

A- Le cas de l’Irlande …………………………………………………………… p.18

B- Le cas de la Belgique ………………………………………………………… p.18 C- Le cas du Luxembourg ……………………………………………………… p.18

2°) Le projet ACCIS : Vers la fin du dumping fiscal européen ?....................................... p.19

A- L’ACCIS, comme moyen de lutte contre le dumping fiscal en Europe ………………………………………………………………………… p.19

B- ACCIS et incorporels : La fin du dumping ? …………………………………. p.20

Section IV- Une concurrence renforcée au niveau international par le développement des pays émergents………………………………………………………… p.20

1°) L’exemple de l’Inde. ……………………………………………………………… p.20

A- La mise en place d’exonérations d’impôts très attractives …………………… p.21

66

B- Un système de déductions fiscales défiant toute concurrence………………. p.21

2°) L’exemple de la Chine ……………………………………………………………… p..21

A- La mise en place d’une super-déduction des dépenses de R&D……………… p.22 B- Un taux réduit d’imposition, en faveur d’une localisation

de la propriété intellectuelle en Chine ……………………………………………. p.22

Chapitre 2 : L’identification et l’exploitation des incorporels : Des facteurs de risque

pour la répartition du droit d’imposer ………………………………………………………. p.23

Section I- Les incorporels : Une notion protéiforme aux contours aléatoires……………….. p.23 1°) Une notion protéiforme………………………………………………………………. p.23

A- Absence d’une définition claire et unique …………………………………….. p.23

1) Absence d’une définition unique …………………………………………. p.23 2) Une définition unique non souhaitable et non envisageable ……………... p.24

B- Une multiplication des incorporels ……………………………………………. p.24

1) La distinction entre incorporels de commercialisation et incorporels manufacturiers ………………………………………………... p.25

2) Des incorporels classiques vers de nouveaux incorporels ………………... p.25

2°) Des contours incertains : Vers un élargissement progressif de la

notion d’incorporels ? ………………………………………………………………….. p.26 A- Les difficultés d’identification de certains incorporels stratégiques

pour la répartition du droit d’imposer ……………………………………………. p.26

B- Vers une approche extensive des incorporels de type « goodwill » ?............. p.27

Section II- Une complexification des structures de création et d’exploitation

des incorporels propice aux transferts de matière imposable. ……………………………… p.28

1°) Le développement des incorporels : D’une gestion centralisée à une gestion décentralisée. ………………………………………………………………... p.28

A- Le système traditionnel centralisé ……………………………………………... p.28

1) Financement et propriété exclusifs ……………………………………….. p.28 2) Le recours à la sous-traitance ……………………………………………... p.29

B- L’attractivité croissante des systèmes décentralisés : Le cas des « accords

de répartition des coûts » (« Cost Sharing Agreements ») ………………………... p.29 1) Le fonctionnement des ARC ……………………………………………… p.30

2) Les ARC, comme outil potentiel de migration d’incorporels …………….. p.31

2°) Les différents modes d’exploitation des incorporels. ………………………………... p.32

A- L’exploitation pour les besoins propres du groupe …………………………… p.32 1) L’exploitation par la société ayant développé l’incorporel ……………….. p.32

2) La mise à disposition gratuite de certains incorporels ……………………. p.32

B- Le système des concessions de licences et de sous-licences ………………… p.33 1) Fonctionnement ……………………………………………………… p.33

2) implications fiscales ……………………………………………………… p.33

TITRE 2 : LA PRESERVATION D’UNE REPARTITION EQUILIBREE

DU DROIT D’IMPOSER ENTRE ETATS PAR LE CONTROLE

DES PRIX DE TRANSFERT…………………………………………………………………….. p.34

Chapitre 1 : Le contrôle des prix de transfert comme instrument de lutte contre

l’atteinte à la répartition du droit d’imposer des Etats ……………………………………... p.35

Section I- Le dispositif français de lutte contre les prix de transfert………………………… p.35

1°) Un dispositif reposant sur une présomption de transfert indirect de bénéfices ……… p.35

A- Un transfert entre sociétés dépendantes ……………………………………….. p.35

1) La notion de dépendance …………………………………………………. p.35 2) La pertinence de ce critère ………………………………………………... p.36

67

B- Un transfert de bénéfices indirect étranger à une gestion commerciale

normale ……………………………………………………………………………. p.36

1) L’existence d’un avantage anormal ………………………………………. p.36 2) La possibilité pour la société d’apporter la preuve contraire ……………... p.37

2°) Un dispositif caractérisé par une grande efficacité …………………………………... p.37

A- Des instruments au service d’un contrôle renforcé ……………………………. p.37 1) L’article L13B du LPF ……………………………………………………. p.37

2) Le renforcement des obligations documentaires ………………………….. p.37

B- …alliés au développement de mesures de sécurisation au profit des

entreprises : Les accords préalables sur les prix………………………………….. p.38 1) La procédure d’APP ……………………………………………………… p.38

2) Une procédure simplifiée au profit des PME …………………………….. p.38

3°) Un dispositif aux conséquences redoutables : Une double imposition dommageable……………………………………………………. p.38

A- Réintégration de l’avantage indûment octroyé ………………………………... p.38

B- Présomption de distribution et application d’une retenue à la source ……… . p.39

Section II- Le dispositif des prix de transfert au niveau international et communautaire …... p.39

1°) L’approche des prix de transfert de l’OCDE : Une approche faisant référence ……... p.39

A- L’article 9 du modèle OCDE : La sanction des prix non conformes au principe de pleine concurrence…………………………………………………. p.39

1) Le principe de pleine concurrence, un pilier du système OCDE

des prix de transfert…………………………………………………………... p.39 2) … conduisant à la correction des prix entre entreprises apparentées …….. p.40

B- Des mécanismes d’élimination des doubles impositions, venant remédier

aux lacunes des approches nationales ……………………………………………. p.40

1) La technique de l’ajustement corrélatif ………………............................... p.40 2) La procédure amiable …………………………………………………… p.40

3) La clause d’arbitrage ………………………………………………… p.41

2°) Le rôle de l’UE en matière de prix de transfert : Un rôle en expansion. ……………. p.41 A- La Convention d’arbitrage, comme instrument d’élimination

des doubles impositions ………………………………………………………….. p.41

B- Une harmonisation de la documentation en vue d’une simplification …………p.42 C- Le régime de l’ACCIS : Vers la fin de la problématique des prix de transfert?.. p.42

Chapitre 2 : L’actuel dispositif de contrôle des prix de transfert: Un dispositif inadapté

aux incorporels, en évolution …………………………………………………………………. p.43

Section I- Les transactions impliquant l’usage ou le transfert d’incorporels :

Des transactions délicates à identifier ………………………………………………………. p.43 1°) Les incorporels transférés en conjonction avec d’autres actifs corporels

ou incorporels. …………………………………………………………………………… p.44

A- Les incorporels transférés dans le cadre d’une vente de marchandise ou d’une prestation de services …………………………………………………… p.44

B- Le transfert d’un ensemble d’incorporels ……………………………………... p.44

2°) Le cas particulier des actifs incorporels dits « marketing » …………………………. p.45

A- Définition ……………………………………………………………………… p.45 B- Enjeux …………………………………………………………………………. p.46

3°) Le cas des opérations de restructuration ……………………………………………... p.46

A- Définition ……………………………………………………………………… p.46 B- Enjeux …………………………………………………………………………. p.47

Section II- L’analyse économique en matière d’incorporels : Une analyse difficile

face à la complexité des structures d’exploitation des incorporels ……………………….... p.47 1°) Les critères de l’analyse économique et leur application en matière d’incorporels …. p.48

68

A- Les caractéristiques des biens ………………………………………………… p.48

B- Les clauses contractuelles ……………………………………………………... p.48

C- Les circonstances économiques ……………………………………………….. p.49 D- Les stratégies d’entreprise …………………………………………………….. p.50

2°) L’analyse fonctionnelle : Une étape particulièrement complexe en matière

d’incorporels ……………………………………………………………………………... p.51 A- La difficile identification de l’entrepreneur principal …………………………. p.51

B- L’importance croissante de la notion de propriété économique ………………. p.53

Section III- Le prix de pleine concurrence et la difficile valorisation des incorporels ……... p.54 1°) L’inadaptation des méthodes classiques. …………………………………………….. p.54

A- Les méthodes traditionnelles fondées sur les transactions …………………….. p.54

1) Méthode du prix comparable sur le marché libre ………………………… p.55 2) Méthode du prix de revente (resale minus) ……………………………….. p.55

3) Méthode du prix de revient majoré (cost plus) …………………………… p.55

B- Les méthodes transactionnelles de bénéfices ………………………………….. p.56 1) Méthode transactionnelle de la marge nette ………………………………. p.56

2) Méthode du partage des bénéfices (Profit split) …………………………... p.56

2°) Le recours à des méthodes financières, comme réponse à cette inadaptation. ………. p.57

A- La méthode des multiples (ou des comparables) ……………………………… p.57 B- La méthode des coûts ………………………………………………………….. p.57

C- La méthode « Discounted cash flows » ……………………………………….. p.58

Section IV- La recherche de comparables : Une recherche impossible ? …………………... p.58

1°) La difficile identification de comparables face aux spécificités des incorporels ……. p.59

A- La notion générale de comparable …………………………………………….. p.59

B- Une notion délicate à manier en matière d’incorporels ……………………….. p.59 2°) … aboutit d’avantage à une approximation qu’à un véritable comparable ………… p.60

A- Le processus de recherche de comparables …………………………………… p.60

B- L’aboutissement à un intervalle de pleine concurrence ……………………….. p.61

BIBLIOGRAPHIE ………………………………………………………………………………... p.63

TABLE DES MATIERES ………………………………………………………………………... p.64